Cet article a été publié une première fois le 28 septembre 2005.


Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire de la mort d’André Breton, l’un des plus remarquables représentants du surréalisme. Breton s’est efforcé de lier l’art à la politique révolutionnaire, et collabora un temps avec Léon Trotsky.

Le capitalisme est dans une impasse complète. Sa dégénérescence sénile atteint des degrés extrêmes. En conséquence, la crise de ce système affecte chaque aspect et chaque manifestation de la vie. Les forces productives stagnent ; le chômage et le sous-emploi frappent des millions de gens ; les inégalités s’accroissent à des niveaux inédits. Les guerres et le terrorisme ne sont plus l’exception, mais la règle. Des éléments de barbarie ont même commencé à surgir dans les pays les plus prospères et les plus « civilisés ».

La survie du système capitaliste menace de détruire les fondations de la civilisation et de la culture. Comment l’art pourrait-il ne pas en être affecté ? Ainsi, l’idée de lier l’art et la révolution – dont Breton et Trotsky furent des pionniers – conserve aujourd’hui toute sa pertinence et sa vitalité.

Capitalisme et surréalisme

Le surréalisme formule une vision contradictoire (illogique) de la réalité. Il cherche à exprimer les éléments de violence et de sauvagerie qui sont tapis sous le mince vernis de la civilisation bourgeoise. Les manières policées et le « bon goût » de la société bourgeoise ne sont qu’une façade derrière laquelle se cachent l’exploitation, la répression et les souffrances les plus terribles. Le surréalisme déchire ce voile hypocrite et révèle l’horrible et repoussante réalité qu’il recouvre.

Paradoxalement, l’homme dont le nom est le plus fréquemment associé à cette école révolutionnaire, Salvador Dalí, était un servile défenseur du statu quo, un homme de droite qui admirait Hitler et Franco, un monarchiste et un laquais des classes dominantes. A l’inverse, le surréaliste Louis Buñuel était un authentique révolutionnaire. Il a été sanctionné pour avoir réalisé un film athée, dont Dalí n’a pas manqué de se dissocier. Buñuel l’en remercia d’un coup de poing.

A la différence de Dalí, Buñuel était contre la classe dominante, contre la religion et contre l’Eglise. Politiquement, il était proche de l’anarchisme, dont les idées sont peut-être celles qui reflètent le mieux le point de vue surréaliste. Mais avec André Breton, le surréalisme se rapprocha également du marxisme. En 1937, il écrivit avec Trotsky un Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, qui conserve aujourd’hui toute sa validité.

Dans le surréalisme, il y a aussi un autre élément : l’idée que tout est en transition, instable et changeant. C’est pourquoi la mort et la métamorphose y occupent une position aussi centrale. Ici, nous décelons la présence d’une idée fondamentalement dialectique : l’idée d’un changement constant, par lequel toute chose se transforme en son contraire, n’est jamais ce qu’elle semble être, abrite en son cœur même des contradictions.

Ce n’est pas un hasard si le surréalisme a fleuri sur les terres catholiques d’Espagne, de France et d’Italie. Il est bien connu que le fanatisme catholique produit son contraire, sous la forme de puissants mouvements anti-cléricaux.

Dans tous les grands soulèvements révolutionnaires qu’avaient connus ces pays, il y avait toujours eu un déferlement d’actions anti-cléricales. Un tel phénomène n’aurait jamais pu se développer dans les pays protestants de l’Europe du nord – où la bourgeoisie a, depuis des siècles, réglé ses comptes avec l’Eglise catholique. La logique froide de la bourgeoisie y a depuis longtemps banni l’obscurantisme irrationnel de l’Eglise. Mais dans les pays du sud de l’Europe, il fallait encore en finir avec cette idole.

Comme son nom le suggère, le surréalisme s’efforce de voir au-delà de l’apparence des choses, pour en saisir l’essence. Par contraste, l’esprit nord-européen, froid, sans imagination, moulé par une longue tradition de pensée empirique, se satisfait de ce qui est donné, des « choses telles qu’elles sont. » Cependant, « les choses telles qu’elles sont » se révèlent souvent très différentes de ce qu’elles paraissent.

Oui, le monde du surréalisme est un monde étrange, dans lequel les choses et les relations « normales » sont sans dessus dessous. Mais en réalité, c’est le capitalisme qui transforme toute relation naturelle en son contraire. Les contradictions et l’irrationalité de ce système lui sont inhérentes. L’art surréaliste peut bien exprimer ces contradictions – mais elles ne peuvent être résolues, dans les faits, que par la révolution socialiste.

L’art et la révolution

Communards - Diego Rivera (1928) Quel est le rôle d’un artiste, à notre époque ? Il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas. Le rôle d’un véritable artiste n’est pas de rester sur le bord de la touche, pendant que de grandes batailles sont menées qui décideront de l’avenir de l’humanité. L’art qui se coupe de la société, qui est indifférent à son sort, ne peut aspirer à aucune grandeur. Un tel art ne peut que languir dans les marais et les contre-bas de l’histoire. Il n’en atteindra jamais les sommets.

Le grand art doit s’intéresser aux grands problèmes. Un véritable artiste ne peut être indifférent au sort des autres hommes et des femmes. Les conformistes et les béni-oui-oui, qui se contentent de suivre comme des moutons la dernière tendance à la mode, ne produiront jamais un art ou une littérature d’envergure.

L’art a le devoir de s’exprimer avec force et courage contre toutes les manifestations de l’oppression, de l’exploitation, du mensonge et de l’hypocrisie. Il doit indiquer la possibilité d’une meilleure vie et d’un monde meilleur. Il importe peu que le message manque de clarté, qu’il soit incomplet et imparfait, qu’il n’aborde seulement que tel ou tel aspect des choses. L’art n’est pas la science ou la politique. Il a sa propre identité et parle de sa propre voix. Tout en adoptant une position passionnée sur les problèmes auxquels l’humanité est confrontée, il doit toujours rester fidèle à lui-même.

L’art peut être engagé et révolutionnaire sans dégénérer en pure propagande. L’art doit être libre de toute contrainte. Il ne doit reconnaître aucun maître, que ce soit l’Eglise, l’Etat ou le Grand Capital. L’artiste doit être libre de suivre ses propres sentiments et croyances. Une telle liberté artistique est incompatible avec le système capitaliste, où les banques et les monopoles décident de tout en fonction du profit – la production de T-shirts comme celle de peintures, de musique et de littérature.

L’art ne deviendra libre que dans une société où tous les hommes et toutes les femmes seront libres, où les rapports d’argent seront remplacés par de véritables rapports humains – autrement dit, sous le socialisme. Dans une société fondée sur une planification harmonieuse et démocratique des forces productives, les hommes et les femmes parviendront enfin à contrôler rationnellement leur existence. Alors seulement, l’art perdra les marques de l’esclavage et deviendra pleinement humain.

Dans une société de classe, l’art a un caractère de classe. Il tend à se séparer de la société ; la majorité des gens le considèrent comme quelque chose d’étrange et d’éloigné. Pour détruire la muraille de Chine qui sépare l’art de la société, il faut commencer par abolir les bases matérielles de cette aliénation.

L’art et le socialisme

Dans Littérature et révolution, Trotsky écrivait : « Combien d’Aristote sont des porchers ? Et combien de porchers sont assis sur des trônes ? » En abolissant la frontière entre le travail manuel et le travail intellectuel, le socialisme lèvera – une fois pour toutes – l’obstacle qui empêchait au peuple d’accéder à l’art, à la science, à la culture et au gouvernement. Cela ouvrira une nouvelle Renaissance, qui fera de l’ombre à toutes les réalisations de l’Athènes antique et des XVe et XVIe siècles florentins.

Le plein épanouissement de l’art est incompatible avec toute étroitesse d’esprit, y compris l’étroitesse d’esprit nationale. Le surréalisme était un courant authentiquement internationaliste, qui reflétait l’existence de sentiments et de problèmes communs au monde entier. C’était une anticipation de ce que seront, sous le socialisme, la culture et l’art mondiaux.

Cela fait longtemps que le patrimoine culturel de l’Europe se trouve dans une impasse. Cela reflète le long déclin du capitalisme européen, confronté à des rivaux plus jeunes et plus dynamiques. Le Vieux monde n’a plus rien d’intéressant à dire. Comme l’avait prévu Trotsky, après être passé de la Méditerranée à l’Atlantique, le centre de l’histoire mondiale passe à présent de l’Atlantique au Pacifique, où sera décidé le sort du monde entier.

Les vieilles frontières qui divisent le corps vivant de l’humanité ont depuis longtemps perdu leur nécessité historique. Elles constituent le même type d’obstacle au progrès humain que les anciennes frontières locales du système féodal. Elles sont vouées à être balayées – et elles seront balayées. C’est particulièrement nécessaire dans le cas de l’Amérique latine, ce merveilleux continent qui possède tout ce qu’il faut pour créer un paradis sur terre, mais qui a été balkanisé et réduit à l’esclavage par deux siècles de capitalisme.

Dans un monde socialiste, le génie des peuples d’Amérique latine sera un élément vital de la culture mondiale. Les grandes traditions des Mayas, des Aztèques, des Incas et de tous les autres peuples du continent connaîtront une renaissance à un niveau qualitatif plus élevé.

Quelle sera la nature de l’art socialiste ? Il est impossible de le dire – et nous ne devons pas donner de leçons aux générations futures. L’art obéira toujours à ses lois propres et inhérentes, qui ne correspondent à aucune théorie préconçue, mais reflètent les besoins et les aspirations de chaque génération. Cependant, nous pouvons être sûrs d’une chose. L’art ne manquera pas de variété. Toutes sortes de courants artistiques rivaliseront et débattront, dans une passionnante école de démocratie qui impliquera, non plus seulement une poignée de snobs, mais des millions de gens. Il en surgira une culture nouvelle et supérieure à tout ce qui a existé.

C’est pour ce futur que nous luttons. Et dans ce combat, les artistes contemporains doivent prendre la place qui leur revient : sur le front de lutte pour le socialisme.

Concluons sur une citation du Manifeste rédigé par Breton et Trotsky :
« Nos objectifs : l’indépendance de l’art – pour la révolution.
La révolution – pour la complète libération de l’art ! »

Tu es communiste ? Rejoins-nous !