Dans les années 1960 et 1970, le maoïsme a exercé une influence considérable parmi les intellectuels de gauche, notamment en France. Aujourd’hui encore, le maoïsme bénéficie parfois d’une certaine aura : Mao Zedong aurait « adapté » le marxisme à l’Asie, voire au tiers-monde dans son ensemble, et ses idées auraient été bien plus radicales que celles de la bureaucratie soviétique.

La théorie des deux étapes

En réalité, le maoïsme est un stalinisme « à la chinoise ». La figure du « Grand Timonier » (Mao) y jouait le même rôle que celle du « Petit père des peuples » (Staline).

Loin d’être plus radical que Staline, Mao a commencé par chercher à nouer des alliances avec la bourgeoisie chinoise, qui lui répondait en persécutant ses partisans. Fidèles à la théorie stalinienne des « étapes », Mao et ses proches pensaient qu’une révolution socialiste, en Chine, n’était possible que sur la base d’un capitalisme pleinement développé, de sorte que la révolution chinoise devait d’abord transférer le pouvoir entre les mains de la bourgeoisie nationale.

Les nationalistes chinois ayant mené une guerre civile contre l’armée paysanne de Mao, ce dernier s’est retrouvé au pouvoir – presque malgré lui – en octobre 1949. Cependant, la direction du Parti Communiste chinois continuait de s’accrocher à la théorie des deux étapes. Cette même année 1949, l’un de ses dirigeants, Liu Shaoqi, affirmait : « les premiers véritables pas vers le socialisme en Chine sont réservés à un avenir assez lointain ».

Cette perspective s’est heurtée à la résistance de la bourgeoisie chinoise, ce qui a forcé Mao à nationaliser et planifier l’économie, en 1951 et 1952. Cette rupture avec le capitalisme a permis à l’économie chinoise d’accomplir d’immenses progrès – et, sur cette base, d’arracher les masses aux formes d’oppression les plus extrêmes. Cependant, le régime était alors une copie conforme de l’URSS stalinisée, dans laquelle le pouvoir était concentré entre les mains d’une bureaucratie parasitaire. La gestion bureaucratique de l’économie chinoise a débouché sur des catastrophes telles que le « Grand bond en avant », entre 1958 et 1960 : des dizaines de millions de personnes sont mortes de faim.

Bureaucratisme et répression

Un authentique Etat ouvrier doit reposer sur des « conseils ouvriers », dont Lénine disait qu’ils étaient « l’organisation directe des masses travailleuses et exploitées, à qui [ils] facilitent la possibilité d’organiser elles-mêmes l’Etat et de le gouverner par tous les moyens ». Or, dans la Chine « populaire », il n’y avait pas de conseils ouvriers. Les travailleurs ne contrôlaient pas l’appareil d’Etat, qui était entre les mains de la bureaucratie maoïste. Toute critique visant cette bureaucratie était férocement réprimée. Par exemple, la « campagne des Cent Fleurs », en 1956-1957, fut une gigantesque purge au cours de laquelle près d’un demi-million de personnes, dont beaucoup de jeunes communistes, furent déportées.

Une légende tenace concerne la « Révolution culturelle » de 1966-1967. Elle est souvent présentée comme une tentative ratée d’impliquer les masses dans la vie politique. [1] En réalité, il s’agissait d’une guerre civile – menée sur le dos des masses – entre fractions rivales de la bureaucratie. Evincé du pouvoir après l’échec du Grand bond en avant, Mao a mobilisé l’armée et une partie de la jeunesse pour le reprendre, après quoi il a fait exécuter ou déporter les jeunes communistes qui avaient cru à ses mots d’ordre anti-bureaucratiques.

De même, la rupture sino-soviétique, en 1961, s’explique non par d’authentiques divergences théoriques, mais par la rivalité entre les bureaucraties de Pékin et de Moscou. Dans cette lutte, la Chine de Mao n’a pas hésité à s’allier aux Etats-Unis et à soutenir des dictatures anti-communistes (dont celle de Mobutu, au Zaïre) dans le seul but de miner la politique étrangère de l’URSS.

Enfin, comme son homologue stalinienne, la bureaucratie maoïste a fini par rétablir le capitalisme à son profit. En éliminant la planification et en privatisant une large partie de l’économie, elle a donné naissance à une classe bourgeoise qui exploite la classe ouvrière. La principale différence, c’est que la restauration du capitalisme, en Chine, s’est accomplie de façon beaucoup plus graduelle et moins chaotique qu’en Russie – au point que la nouvelle bourgeoisie chinoise a conservé le décorum du régime stalinien, avec ses portraits de Mao et ses drapeaux rouges.


[1] Par exemple, dans son livre Vivre sans ?, Frédéric Lordon abonde dans ce sens.