Le destin de la France est suspendu, paraît-il, à la « confiance » des milieux capitalistes. Il faut tout mettre en œuvre pour les rassurer. Il faut réduire le « coût du travail ». Les travailleurs ne travaillent pas assez. Il faut en finir avec la semaine des 35 heures, démolir le Code du travail et, de manière générale, lever tous les obstacles légaux à la « création de richesses ». Les fonctionnaires, les retraités, les chômeurs et les travailleurs immigrés sont accusés d’accaparer une part trop importante de la richesse nationale. Il a même été question d’un référendum pour couvrir d’une auréole « démocratique » le projet de priver les chômeurs de leurs allocations. En somme, la crise économique ne serait pas la faute des capitalistes, mais de ceux qui résistent à leurs exigences.

Déguisée comme elle l’est en de savants raisonnements économiques, cette propagande ne va pas sans semer une certaine confusion. Pour ne pas être assaillis d’arguments auxquels nous n’avons pas de réponses, il est indispensable de nous armer d’une compréhension du fonctionnement du capitalisme. Les travaux de Karl Marx nous permettent de percer le brouillard mystificateur du discours officiel. Rien ne peut se substituer à une étude sérieuse du Capital ou du moins des écrits de Marx et Engels qui résument son contenu. Dans cet article, nous essayerons toutefois de présenter quelques repaires préliminaires indispensables.

Valeur d’usage et valeur d’échange

Historiquement, l’émergence du capitalisme se caractérise par la production et la mise en circulation d’une masse sans cesse croissante de marchandises. De nos jours, cette masse de produits et le marché mondial sont infiniment plus développés qu’à l’époque de Marx. Mais aujourd’hui comme au XIXe siècle, la valeur de ces marchandises est déterminée par la quantité de travail nécessaire à leur production. Ceci détermine la valeur d’échange d’une marchandise, à ne pas confondre avec sa valeur d’usage. La valeur d’usage désigne l’utilité d’une chose. Un marteau sert à planter des clous. Mais cette utilité n’entre pas en ligne de compte pour déterminer sa valeur d’échange, c’est-à-dire sa valeur relative à celle d’autres marchandises. La valeur d’échange est déterminée par la quantité de travail, mesurée en temps de travail, que recèle la marchandise [1]. Des marchandises – ou des quantités de marchandises – qui recèlent des temps de travail nécessaires équivalents sont échangeables sur le marché. L’argent, qui dans les sociétés précapitalistes occupait une place marginale dans le processus d’échange et de répartition des biens, devient sous le capitalisme l’intermédiaire omniprésent et universel du processus d’échange. L’argent est la marchandise au moyen de laquelle s’échangent toutes les autres marchandises.

Or, si nous acceptons que ce sont des valeurs égales qui s’échangent et que chacun reçoit, en échange de ce qu’il donne, une valeur équivalente, il faut se demander d’où vient le profit. D’où vient cette accumulation d’une masse de plus en plus importante de valeur que nous appelons le capital ? La source de la valeur, nous l’avons dit, c’est le travail. A première vue, le travail est une marchandise qui se vend et qui s’achète (contre un salaire). Si le capitaliste achète le travail à sa valeur et vend le produit du travail contre des équivalents, comment expliquer que ces opérations lui procurent un excédent de valeur que nous appelons le profit ?

La force de travail

Avant Marx, ce problème a souvent été évoqué par de grands penseurs et économistes, comme par exemple Adam Smith. Mais aucun n’a pu fournir une explication suffisante. On a avancé l’idée que le capitaliste, par ruse, achetait en dessous ou vendait au-dessus de la vraie valeur des choses. Mais puisque chacun est tantôt acheteur, tantôt vendeur, les bénéfices de cette tricherie s’annuleraient réciproquement. Les capitalistes savent tricher, bien sûr. Mais dans le meilleur des cas, ce procédé expliquerait un déplacement des richesses – et non leur création.

Marx a résolu cette énigme en démontrant qu’il existe une marchandise dotée d’une propriété particulière : sa consommation est créatrice de nouvelle valeur. Et cette marchandise, ce n’est pas le travail en tant que tel, mais la force de travail, la capacité du travailleur à travailler. C’est cela, et non le travail lui-même, que le capitaliste achète. A partir de cette prémisse, Marx a pu expliquer la source du profit et le processus de formation du capital, sans avoir à remettre en cause le postulat de base suivant lequel le fondement de l’économie politique est l’échange d’équivalents.

La journée de travail

La force du travail est matérialisée sous la forme du travailleur vivant qui, pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses proches, a besoin d’une quantité déterminée de moyens de subsistance (nourriture, vêtements, etc.). La valeur de la force de travail du travailleur est déterminée, comme toute autre marchandise, par le temps de travail nécessaire à la production de ses moyens de subsistance. Supposons qu’à la fin de la cinquième heure d’une journée de huit heures, le salarié ait produit une quantité de richesses équivalente, en valeur, à celle de sa force de travail (que représente son salaire pour une journée). Le capitaliste a acheté sa force de travail, non pour cinq heures, mais pour toute la journée. Par conséquent, le salarié continuera de travailler pendant trois heures. Le travailleur réalise alors un surtravail de trois heures, au-delà des cinq heures de travail nécessaire. En cinq heures, il fournit au capitaliste l’équivalent de son salaire journalier. Ceci représente la valeur de sa force de travail pour une journée. Ce qu’il donne au capitaliste pendant les trois heures restantes, c’est la plus-value, ou le profit.

Le problème est donc résolu. Le capitaliste paie la force de travail à sa vraie valeur [2]. Il vend aussi le produit de cette force de travail à sa vraie valeur [3]. Et c’est la différence entre les deux qui constitue le profit. Le capitaliste, malgré ses prétentions, ne crée absolument aucune richesse. Il s’enrichit par l’appropriation d’une partie de la richesse créée par les travailleurs. Le profit, c’est le travail impayé du salariat.

Nous avons pris l’exemple d’une journée de huit heures. Mais puisque le capitaliste achète non pas le travail effectué, mais la force de travail pour une journée, il a intérêt à prolonger la journée de travail au-delà de huit heures. Et la concurrence entre les salariés – qui doivent travailler pour vivre – tendra à réduire les salaires à la valeur de cette force de travail, que la journée de travail soit de huit ou de dix heures, ce qui fait augmenter dans les mêmes proportions la part du profit. En augmentant le nombre d’heures travaillées, les capitalistes augmentent ce que Marx appelle la plus-value absolue. Mais la journée ne peut pas être rallongée à l’infini, et les capitalistes doivent s’efforcer, par conséquent, d’augmenter aussi la plus-value relative, c’est-à-dire la part de profit extraite de chaque heure de travail. Ils augmentent la plus-value relative au moyen de la technologie ou en accélérant les cadences. Dans les deux cas, la productivité du travail augmente.

La crise économique

A partir de ces quelques éléments de la théorie économique de Marx, nous voyons bien les véritables intérêts de classe qui se cachent derrière le « discours économique » des possédants. Travailler plus et plus longtemps ne réglerait en aucune façon la crise économique. Le seul résultat serait d’augmenter la masse de profits extraite de notre travail. Les « charges patronales » dont les capitalistes se plaignent sont payées, en réalité, à partir de la richesse créée par le travail, tout comme les charges salariales. Réduire les allocations des chômeurs, pour les forcer à accepter n’importe quel emploi sous peine de sombrer dans la misère absolue, c’est une façon d’aiguiser la concurrence entre les travailleurs afin de baisser les salaires.

La théorie économique de Marx permet aussi de comprendre la cause fondamentale de la crise de surproduction qui frappe les économies française, européenne et mondiale. Le salariat ne recevant qu’une fraction de la valeur qu’il crée par son travail, il ne peut jamais racheter et consommer l’intégralité de cette valeur. La crise est plus compliquée que cela, bien évidemment. Il y a le facteur de l’endettement massif – et bien d’autres facettes du problème. Mais ce phénomène de surproduction, inhérent au capitalisme, se trouve au cœur de la catastrophe économique et sociale actuelle.

Ce n’est pas pour rien que les capitalistes haïssent le marxisme. Les implications révolutionnaires de la théorie économique de Marx sont évidentes. Aujourd’hui plus que jamais, toutes les fonctions essentielles de la société sont assurées par le salariat. Il en découle que la classe capitaliste n’est pas une classe indispensable. Et tant qu’elle conservera la propriété des moyens de production, les travailleurs seront toujours forcés de travailler non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour satisfaire la voracité sans bornes de la classe parasitaire qui les exploite.


[1Marx parle plus précisément de quantité de travail socialement nécessaire, « dans un état social donné, dans certaines conditions sociales moyennes de production, et étant donné une intensité et une habileté sociales moyennes dans le travail employé ». Ainsi, le travailleur utilisant une technique de production dépassée mettra plus de temps que la moyenne des travailleurs à produire la mêmemarchandise, mais il n’y incorporera pas davantage de valeur.
[2Concernant la « vraie valeur » de la force de travail d’un salarié, il va de soi que le capitaliste s’en fait une idée différente de celle du travailleur lui-même. Cette valeur varie d’un pays à l’autre selon les circonstances et la lutte des classes.
[3La valeur d’échange et le prix de vente ne sont pas la même chose. Le prix de vente d’une marchandise donnée oscille autour de sa valeur d’échange, et ces oscillations sont déterminées par le rapport entre l’offre et la demande.

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