Sciences / Environnement

Dès son lancement, la COP 28 ne manquait pas d’ironie : elle s’est tenue aux Emirats arabes unis, une économie pétrolière et gazière clé, sous la présidence du sultan Al Jaber, lui-même directeur général de la compagnie pétrolière Adnoc. Cela pourrait prêter à rire tellement la situation est grotesque, mais la réalité est que la classe dirigeante n’a rien de mieux à offrir en matière de « lutte contre le changement climatique ».

Alors que l’année écoulée a été une nouvelle fois marquée par des vagues de chaleur record, des conditions météorologiques extrêmes et des feux de forêt qui ont coûté la vie à des milliers de personnes, nous sommes aujourd’hui engagés dans une course contre la montre face au réchauffement climatique et ses effets sur la sécurité de populations entières.

Mais alors que la planète brûle, la COP 28 n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu.

Conflits d’intérêts

Selon un article du Guardian, Adnoc est l’entreprise à l’initiative du plus grand plan d’expansion de la production de gaz et de pétrole au niveau mondial. Des chercheurs ont ainsi souligné l’aberration d’une présidence de la COP 28 assurée par le Sultan Al Jaber alors que le « conflit d’intérêts » est évident.

Pour se défendre, le sultan Al Jaber a honteusement affirmé qu’il n’existe « aucune donnée scientifique » indiquant que l’élimination progressive des combustibles fossiles soit nécessaire à la limitation du réchauffement climatique ! Il a ajouté qu’« à moins de vouloir ramener tout le monde dans des grottes », il est impossible de combiner l’élimination progressive des combustibles fossiles et le développement économique.

De toute évidence, Al Jaber considérait ce sommet comme une simple opportunité de faire des affaires. Des documents confidentiels, que le Center for Climate Reporting (CCR) et le Guardian ont pu se procurer, ont révélé qu’en marge du sommet l’entreprise Adnoc s’est entretenue avec 15 pays avec lesquels l’entreprise souhaite conclure des contrats d’extraction de leurs ressources pétrolières et gazières.

Ainsi, tout en promettant de s’engager contre le réchauffement climatique, la société Adnoc propose d’aider la Chine à évaluer ses opportunités d’extraction de GNL (gaz naturel liquéfié) et « se tient prêt » à aider le Mozambique, le Canada et l’Australie à exploiter leurs réserves de pétrole et de gaz.

50 grandes sociétés pétrolières et gazières se sont de leur côté « engagées » à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais sans réduire leurs actions de forage. Quant aux entreprises clés des grands pays producteurs de pétrole – comme la Chine, l’Irak, l’Iran et le Qatar –, elles n’ont même pas pris la peine de s’exprimer sur le sujet.

Palabres et régression 

Le 11 décembre dernier, le Financial Times rapportait que toute mention de l’élimination progressive des combustibles fossiles avait été supprimée du projet d’accord de la COP28. Cela a provoqué une telle indignation que les « négociateurs » ont dû prolonger le sommet jusqu’au 13 décembre.

Ils se sont finalement mis d’accord sur un appel à « s’éloigner » des combustibles fossiles. Cet accord est maintenant présenté comme « historique » car aucune COP n’avait jamais mentionné un éloignement du pétrole et du gaz ! Néanmoins, au vu des faits rapportés plus haut, nous sommes en droit de considérer cet « accord » avec le plus grand scepticisme. 

Un article de Bloomberg explique que, pour faire de ces modiques promesses une réalité, tout dépendra « des investisseurs, des consommateurs et des gouvernements nationaux ». L’article souligne que les engagements précédents ont tous été ignorés et que les émissions de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter.

Comme le rapporte Bloomberg, l’Arabie Saoudite a exercé une forte pression contre la mise en place d’un accord visant une « élimination progressive » des combustibles fossiles :

« Alors que la COP28 battait son plein, Bloomberg News a demandé au ministre de l’Energie du royaume s’il serait heureux de voir inscrite dans le texte une réduction progressive [du recours aux énergies fossiles]. “Absolument pas”, a-t-il répondu. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole a par la suite envoyé une lettre à ses membres, leur demandant de faire pression contre tout texte ciblant les combustibles fossiles plutôt que les émissions de gaz à effet de serre. »

Le texte final a donc été édulcoré pour ne pas aller à l’encontre des intérêts de ces pays. 

Les climatologues ont répété à maintes reprises à quel point il était essentiel de cesser le plus rapidement possible l’exploitation croissante de combustibles fossiles, dont la combustion ne peut s’effectuer sans dommage catastrophique pour l’environnement. Mais ce n’est pas du goût de Ryad, qui obtient satisfaction au moindre grognement de mécontentement. 

Absence de solutions

Au final, la COP 28 n’a été qu’un écran de fumée. Sans surprise, les classes dirigeantes font passer leurs intérêts économiques nationaux avant la lutte contre le changement climatique. En période de crise mondiale et de contraction des marchés, leur priorité absolue est de conclure de juteux accords commerciaux.

De nombreux responsables et militants issus des pays les plus vulnérables au changement climatique ont souligné l’urgence de politiques d’« adaptation » à la crise environnementale. Alors qu’aucune sortie des énergies fossiles ne se dessine, les pays africains ont par exemple désespérément besoin de ressources financières pour renforcer leur résilience face à l’augmentation des températures, aux sécheresses et aux tempêtes. Mais cela non plus n’a fait l’objet d’aucun engagement sérieux lors du sommet.

The Independent s’est entretenu avec Teresa Anderson, figure mondiale de la justice climatique chez ActionAid International, qui a qualifié la situation d’« incroyablement frustrante » et a ajouté : « Les négociations n’ont pas été à la hauteur de l’urgence climatique ni du rythme et du type d’engagements dont nous aurions besoin. Le problème est que les investissements nécessaires pour s’adapter au changement climatique ne sont pas profitables pour les investisseurs» N’est-ce pas un bon résumé de la logique absurde du capitalisme ?

Après des décennies de coupes budgétaires et d’austérité, les capitalistes ne sont pas disposés à investir de l’argent dans des infrastructures qui ne sont pas rentables. Ils sont également incapables de planifier à long terme, car ils sont entièrement concentrés sur la protection à court terme de leurs propres marchés et profits. Cependant, plus ils tardent à affronter le problème de la question climatique, plus la situation s’aggrave et plus les mesures à prendre à l’avenir seront coûteuses. 

Mascarade

Toutes les COP se sont révélées n’être que des mascarades totalement inutiles. Aucune mesure sérieuse n’a jamais été adoptée pour lutter contre le changement climatique, et nous n’avons rien à attendre de la classe dirigeante en la matière. C’est que le problème central réside dans la propriété privée des moyens de production et dans la logique du profit. Nous disposons déjà des solutions technologiques qui permettraient de développer l’économie en harmonie avec la nature. La seule entrave à leur utilisation, c’est le système capitaliste lui-même.

Cela nous amène au problème fondamental : on ne peut pas planifier ce qu’on ne contrôle pas, et on ne peut pas contrôler ce qu’on ne possède pas. Il faudra que la classe ouvrière prenne le contrôle des principaux leviers de l’économie – les grandes entreprises, les banques et l’industrie – pour que soit possible une planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de la majorité de la société.

Seuls le contrôle et la planification de l’économie par la classe ouvrière permettront d’investir dans les infrastructures nécessaires pour s’adapter aux impacts du changement climatique, et jeter les bases d’une transition énergétique fondée sur les énergies solaire, éolienne et hydraulique (entre autres).

Mais cela ne serait qu’un début. En supprimant le profit de l’équation et sur la base d’un véritable contrôle et d’une gestion ouvrière, nous pourrons libérer le potentiel d’ingéniosité de l’ensemble de l’humanité. C’est pour cela que nous nous battons.

En 2021, un sondage révélait que 86 % des habitants de la Bretagne avaient confiance en leur eau potable. La même année, l’Agence régionale de santé (ARS) de Bretagne estimait que 40 % de l’eau du robinet de la région était contaminée par des éléments toxiques divers.

Les eaux bretonnes sont parmi les plus polluées de France. D’après une étude de l’Observatoire de l’environnement de Bretagne, si l’on remonte à la source, c’est-à-dire aux eaux de surface (étangs, littoral, rivières) et aux nappes phréatiques, on trouve des traces de pesticides dans 99 % des masses d’eau bretonnes. Cet observatoire a même repéré pas moins de 83 substances différentes sur un seul point de captage !

Pesticides

En 2000, une directive européenne « imposait » aux Etats membres de faire en sorte que 100 % de leur eau douce soit « en bon état » en 2015. A l’époque, c’était le cas de seulement 40 % des masses d’eau douce européennes. L’objectif n’ayant pas été atteint, il a été repoussé à 2027. Mais pour la Bretagne, ce report ne suffira pas. L’Etat prévoit que seules 60 % des eaux de la région seront alors en « bon état ».

La pollution de l’eau n’est pas une nouveauté en Bretagne. Elle est en grande partie une conséquence directe de l’utilisation massive de pesticides par le secteur agricole, dont la Bretagne est l’un des piliers. Dominée par un nombre de plus en plus restreint de grands propriétaires et par les grands groupes de l’industrie agro-alimentaire, l’agriculture intensive bretonne produit notamment 58 % des porcs français, 43 % des œufs et 24 % du maïs destiné au fourrage des animaux d’élevage. Au passage, elle consomme des quantités faramineuses de pesticides.

Ces dernières années, outre les pesticides, on repère aussi de plus en plus de métabolites, c’est-à-dire les restes d’un pesticide suite à sa dégradation. La dangerosité de ces substances n’est pas toujours bien connue, en particulier lorsque plusieurs métabolites se combinent dans une même eau.

Le scandale du S-métolachlore

Parmi ces métabolites figurent ceux issus de la dégradation du pesticide S-métolachlore. Dérivé d’un produit interdit en 2003 (le Métolachlore), le S-métolachlore a été mis sur le marché pour le remplacer. Il est aujourd’hui massivement utilisé : ses métabolites sont présents dans 99 % des captages d’eau de Bretagne.

Jusqu’à l’année dernière, ce produit était jugé dangereux par l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSES). Cet avis était partagé par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), qui l’avait classé dans la catégorie des « cancérigènes suspectés ». En septembre 2022, coup de théâtre : l’ANSES change d’avis et décide que ce pesticide ne représente plus un danger. La base de cette nouvelle évaluation ? Deux études réalisées… par le fabricant du S-métolachlore !

D’un coup de baguette magique, l’ANSES transformait une eau jusque-là polluée en eau « propre » – au grand dam de ceux qui devaient la boire, mais pour le plus grand bonheur de la FNSEA, le syndicat qui représente la plupart des grandes exploitations agricoles privées.

Cependant, après plusieurs mois de scandale et une nouvelle étude, l’ANSES a de nouveau changé d’avis et décidé que, finalement, le S-métolachlore et ses résidus représentent bel et bien un danger. En avril 2023, elle engageait même une procédure d’interdiction de ce produit. La FNSEA était furieuse, tout comme le ministre de l’Agriculture. Depuis le pupitre du Congrès de la FNSEA, ce dernier s’est opposé publiquement à cette décision, au nom de la défense de la « filière agricole » et de la « souveraineté alimentaire ».

« Délais » criminels

L’ANSES a maintenu sa décision, mais les gros exploitants s’en sortent bien : l’interdiction du S-métolachlore n’entrera en vigueur qu’en octobre 2023 en ce qui concerne la vente, et en octobre 2024 en ce qui concerne l’utilisation des stocks existants, soit un délai de près d’un an et demi ! Et c’est sans compter les possibles « délais de grâce » supplémentaires que les lobbys de l’agro-alimentaire pourraient obtenir de l’Etat. En Guadeloupe et en Martinique, ils avaient réussi à repousser de trois ans l’interdiction de la Chlordécone, dont les résidus empoisonnent toujours près d’un demi-million d’Antillais.

L’interdiction d’un produit ne met pas fin à la pollution qu’il provoque. Ces dernières années, on trouvait encore des traces de Métolachlore, alors même qu’il a été interdit il y a près de 20 ans ! Enfin, rien n’empêchera les patrons du secteur de mettre sur le marché un « dérivé » du S-métolachlore pour le remplacer, comme ils l’avaient fait en 2003 avec le Métolachlore. Il faudrait alors des années d’études pour, de nouveau, prouver la dangerosité de ce dérivé et, de nouveau, obtenir son interdiction…

Pour les grands capitalistes qui dominent l’industrie agro-alimentaire, les profits passent avant la défense de l’environnement et de la santé publique. Et puisque l’Etat bourgeois est au service de la classe dirigeante, il préférera toujours défendre les intérêts des pollueurs plutôt que les populations empoisonnées par les pesticides.

Courant juillet, l’île hawaïenne de Maui a été ravagée par des incendies qui ont fait près d’une centaine de morts. Il s’agit malheureusement d’un bilan très provisoire, car près d’un millier de personnes sont encore portées disparues à ce jour (27 août).

La ville de Lahaina – qui compte plus de 13 000 habitants, dont beaucoup de salariés de l’industrie touristique – a été rayée de la carte. Alors que la ville était équipée de sirènes d’alerte, les survivants affirment souvent n’avoir reçu aucun avertissement. Ils n’ont eu que quelques minutes pour s’échapper. De nombreuses victimes ont été cernées par les flammes alors qu’elles tentaient de fuir en voiture ou à pied.

Pour les rescapés, le calvaire ne s’est pas arrêté avec la fin de l’incendie. Nombre d’entre eux n’ont pas réussi à trouver d’hébergement d’urgence et ont dû s’entasser dans les terminaux de l’aéroport de Maui, à la recherche d’un siège ou d’un coin de sol où s’allonger.

Facteurs multiples

Cette nouvelle catastrophe est tout sauf « naturelle ». Elle est la conséquence directe de la crise climatique et de la destruction de l’environnement par le système capitaliste. Elles prennent un caractère particulièrement aigu à Maui.

Depuis plusieurs années, l’île subit une sévère sécheresse qui est en partie causée par la transformation de la végétation de l’île. Au XIXe siècle, le développement d’un élevage bovin intensif a mené au remplacement de nombreuses forêts humides par des prairies. Depuis, l’industrie agro-alimentaire s’est tournée vers la monoculture intensive, ce qui a encore appauvri les sols et favorisé la sécheresse. Les champs et les prairies se sont transformés en gigantesques réserves de matières inflammables, qui n’attendent qu’une étincelle pour s’embraser – sur fond de températures extrêmes provoquées par le réchauffement climatique.

Les premiers incendies qui ont éclaté, le 8 août, ont été attisés par les vents violents de l’ouragan Dora, actif non loin de l’archipel. Ces premiers foyers se sont très vite transformés en un gigantesque brasier qui a réduit Lahaina à l’état de cendres.

Plusieurs rapports ont souligné l’aggravation des risques, ces dernières années, mais la direction des services de secours a refusé d’en tenir compte. Elle insistait : le risque d’incendie était « faible ». Et alors que l’ouragan approchait, personne n’a jugé utile de vérifier le bon fonctionnement du réseau de sirènes d’alerte qui couvre l’île.

La réaction des autorités à la catastrophe n’a pas été meilleure. Une bonne partie des premiers secours et des premières mesures de lutte contre le feu sont venus de citoyens ordinaires et d’ONG. Des associations ont organisé des collectes de nourriture, de couches et d’équipements de premiers secours. Puis tout ceci a été acheminé vers les zones sinistrées par une nuée de bateaux de volontaires, qui s’est pratiquement organisée sans la participation des autorités.

Capitalisme et crise climatique

Alors que l’hémisphère nord a traversé l’été le plus chaud jamais enregistré, les rescapés de Maui rejoignent la cohorte des dizaines de millions de personnes qui ont déjà été chassées de chez elles par le changement climatique, ces dernières années. Parallèlement, les investissements dans les énergies fossiles ont atteint un nouveau record en 2022 : plus de 1000 milliards de dollars.

Les politiciens réformistes se contentent de souligner que « l’activité humaine » est à l’origine du changement climatique. Mais c’est beaucoup trop général, car c’est surtout l’activité de la grande bourgeoisie – et de son système – qui est en cause. Pendant que la propagande officielle reproche aux travailleurs ordinaires leurs « mauvaises habitudes de consommation individuelle », une centaine d’entreprises, seulement, ont été responsables de près de 70 % des émissions de gaz à effet de serre, ces 35 dernières années.

Réchauffement climatique, destruction des sols, défaillance des systèmes d’alerte et de secours : la catastrophe qui a frappé Maui est une nouvelle et tragique illustration de l’incapacité du capitalisme à répondre aux causes et aux conséquences de la crise environnementale. Pour les communistes, la lutte contre le changement climatique doit être une lutte des classes, une lutte pour renverser le système qui détruit l’environnement tout en exploitant la masse des travailleurs.

Face au changement climatique, il faut des investissements massifs dans les infrastructures, ainsi que des migrations organisées, volontaires et prises en charge, hors des zones les plus exposées aux catastrophes. Les secours et les services d’alerte ne doivent pas dépendre du hasard, mais être planifiés et financés à hauteur des besoins. Dans le même temps, pour s’attaquer aux causes du problème, il faut exproprier les industries les plus polluantes, à commencer par le secteur énergétique, et investir massivement dans la production d’énergies propres et renouvelables. Les énormes ressources financières requises supposent de nationaliser l’ensemble du secteur bancaire. En bref, une véritable « transition énergétique » implique une autre « transition » : celle du capitalisme vers une planification socialiste démocratique de la production – et ce à l’échelle mondiale, car la pollution ne connaît pas de frontières.

Voici les Thèses sur la crise climatique dont la Tendance Marxiste Internationale avait prévu de discuter, en 2020, lors de son Congrès mondial. Finalement, le Congrès a été reporté et remplacé par une Ecole mondiale en ligne, à cause de la pandémie.


L’attention du monde entier est aujourd’hui tournée vers le combat contre la pandémie de Covid-19. Mais une fois ce danger plus ou moins écarté, une autre menace – plus terrible encore – se dressera face à nous : le dérèglement climatique.

Les forêts tropicales s’embrasent. De gigantesques incendies ont ravagé l’Australie et la Californie. Des inondations dévastent l’Indonésie et le Bangladesh. Des îles et des côtes entières sont rapidement submergées. La sécheresse et la famine poussent des millions de pauvres à s’exiler. Chaque été, les canicules en Europe tuent des milliers de personnes. Des espèces disparaissent tous les jours de la surface de notre planète. La crise climatique n’est pas une menace hypothétique pour les générations futures : c’est une véritable catastrophe, qui se produit actuellement sous nos yeux.

Des mouvements massifs de jeunes, d’étudiants et de lycéens se dressent face à cette menace. « The oceans are rising and so are we » [les océans montent et nous nous soulevons], pouvait-on lire sur des pancartes à Londres, lors d’un rassemblement. En septembre 2019, environ six millions de personnes ont pris part à la grève mondiale pour le climat initiée par le collectif Fridays for future. Les grandes villes des Etats-Unis, du Canada, d’Allemagne, d’Italie et du Royaume-Uni ont été le théâtre d’immenses manifestations, rassemblant des centaines de milliers de personnes.

Un problème systémique

Le capitalisme tue la planète. Telle est la conclusion que tirent, à juste titre, de nombreux militants, réunis autour de mots d’ordre tels que « Changer le système, pas le climat », ou « La planète avant les profits ». C’est bien ce mode de production – avec son insatiable soif de profit – qui est responsable de la destruction de l’environnement, de l’effondrement de la biodiversité, de la pollution de l’air que nous respirons et de l’eau que nous buvons.

Sous le capitalisme, ce sont les grandes fortunes qui décident quoi produire et dans quelles conditions, sans suivre de plan préétabli. Notre économie est dirigée par la prétendue « main invisible », c’est-à-dire abandonnée à l’anarchie du marché. Toute tentative de régulation environnementale est aussitôt contournée, voire piétinée, par des entreprises soucieuses de réduire leurs coûts de production, de faire face à la concurrence et de conquérir de nouveaux marchés – toujours dans le but de maximiser leurs profits. Cette course au moins-disant écologique n’est pas seulement le fait de quelques patrons sans scrupules : elle découle fatalement des lois économiques du capitalisme, un système basé sur la propriété privée des moyens de production, la concurrence et la production pour le profit.

Le problème est d’une ampleur colossale. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) considère que le réchauffement climatique doit être limité à 1,5 °C afin d’éviter la catastrophe environnementale. Or, pour cela, les émissions globales de gaz à effet de serre doivent être réduites de 45 % à l’horizon 2030 – et tendre vers zéro d’ici 2050. En outre, des mesures radicales doivent être prises pour juguler les conséquences de ce dérèglement, dont une reforestation massive et la construction de digues. On estime le coût de tels projets à 2000 milliards de dollars par an, soit environ 2,5 % du PIB mondial.

Pour y parvenir, les connaissances scientifiques et les technologies requises existent. La production d’électricité pourrait se faire de façon renouvelable, à partir de l’énergie du vent, du soleil, des marées, etc. Les voitures et les infrastructures de transport pourraient être alimentées à l’électricité ou à l’hydrogène. Des mesures d’optimisation énergétique pourraient réduire drastiquement la consommation des ménages et de l’industrie. La pollution pourrait être très fortement réduite. La production de nourriture pourrait ne plus nuire à l’environnement. Les déchets pourraient être massivement recyclés. D’immenses étendues de forêts pourraient être replantées.

Mais toutes ces mesures vitales nécessitent deux choses : des moyens économiques et une planification de la production – deux choses que le capitalisme est incapable de fournir. En effet, la production capitaliste se base avant tout sur la propriété privée et la concurrence, en vue d’accroître les profits d’une poignée de parasites irresponsables. La planification à des fins économiques et sociales lui est complètement étrangère.

Par ailleurs, d’où viendraient les moyens pour financer de telles mesures, sous le capitalisme ? L’économie mondiale est déjà criblée de dettes depuis la crise de 2008, qui a été suivie par plus d’une décennie de politiques d’austérité. Depuis mars dernier, la pandémie a précipité une récession mondiale bien plus grave que celle de 2008.

Dans ce contexte, les classes dirigeantes ne vont pas investir dans la transition écologique ; au contraire, elles vont réaliser des coupes supplémentaires dans les budgets publics. La lutte contre la catastrophe climatique est la dernière de leurs priorités.

Les capitalistes n’investiront pas dans les mesures requises, car elles ne leur sont pas profitables. Des technologies exploitant les énergies renouvelables, qui pourraient fournir une électricité propre, abondante et à moindre coût, vont à l’encontre des lois du marché et de la course aux profits.

Par exemple, les subventions publiques attribuées aux énergies renouvelables ont paralysé le marché mondial de l’électricité. L’arrivée de grandes quantités d’électricité verte et à bas coût a tiré les prix vers le bas, menaçant la rentabilité des centrales à gaz et à charbon. Aussitôt, l’investissement privé dans les nouvelles énergies s’est effondré. Les ménages n’ont même pas pu profiter de cette potentielle baisse de leurs factures, puisque les nouvelles aides gouvernementales se sont alors concentrées sur le soutien aux grandes multinationales de l’énergie. Autrement dit, le marché ne peut pas résoudre le problème, car le marché est le problème.

Qui paye ?

La question de l’investissement se réduit à cette autre question : qui paye ? La richesse existe, mais elle dort paisiblement dans les comptes bancaires des grandes entreprises, quand elle ne sert pas à renforcer l’armement destructeur des puissances impérialistes. Dix grandes entreprises américaines, par exemple, stockent à elles seules près de 1100 milliards de dollars inutilisés, tandis que les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 1800 milliards par an.

Greta Thunberg, militante suédoise de 17 ans et fondatrice du collectif Fridays for Future, est devenue le visage et la voix du mouvement international de défense du climat. S’exprimant devant des parterres de dirigeants mondiaux lors du forum de Davos et lors des sommets de l’ONU, elle a martelé l’évidence : « notre maison brûle ». Aux élites qui l’écoutent, elle crie : « Je veux que vous paniquiez ». Mais ses appels à une action politique ambitieuse et immédiate tombent dans des oreilles de sourds.

Cette inertie à la tête des Etats n’est pas simplement due à une absence de volonté politique. Les politiciens de l’establishment ne restent pas passifs sur ces questions en raison d’un manque de détermination, mais parce que leur but premier est de défendre le système capitaliste – et non le futur de l’humanité.

Thunberg souligne que les politiciens ignorent complètement les recommandations des scientifiques. Elle appelle les gouvernements à écouter les rapports et les conseils des climatologues. Mais les capitalistes et leurs représentants politiques ne seront pas convaincus par des arguments moraux, ni par des faits et des chiffres qu’ils connaissent déjà. Pour ces élites déconnectées, la seule chose qui compte, c’est la maximisation des profits capitalistes, fût-ce aux dépens de l’humanité entière.

Pour apaiser leurs électeurs, certains gouvernements ont proclamé un « état d’urgence climatique ». C’est une formule creuse dans la bouche de politiciens soumis aux diktats des grandes fortunes. Après tout, sous le capitalisme, ils n’ont pas vraiment le pouvoir de décider. Notre destin est livré aux caprices du marché.

Pour résoudre cette crise mondiale, une action mondiale est nécessaire, mais les gouvernements bourgeois sont impuissants. Malgré un nombre incalculable de sommets internationaux et de traités pour le climat, rien – ou presque – n’est fait. Les palabres débouchent sur des accords extrêmement modérés. Et même ces accords, pourtant bien peu contraignants, sont finalement contournés, voire ignorés. Ainsi Donald Trump a-t-il pu retirer les Etats-Unis (premier émetteur de gaz à effet de serre) de l’accord de Paris sur le climat (2015), réduisant à néant sa portée.

Les deux grands obstacles au progrès – les Etat-nations et la propriété privée des moyens de production – sont à l’origine de cette situation. Sous le capitalisme, les gouvernements nationaux servent les intérêts de leur bourgeoisie nationale. Aussi ne peuvent-ils pas agir collectivement. Pareils à une bande de pirates, ils ne coopèrent que temporairement, quand ils ont intérêt à piller ensemble. Mais dès que le butin se réduit, ces bandits retournent à leurs luttes intestines. Dans la période actuelle, marquée par une profonde crise économique, chaque gouvernement s’efforce d’exporter ses problèmes loin de chez lui (protectionnisme). Cela conduit à des politiques égoïstes, au « chacun pour soi », à une instabilité géopolitique chronique, à l’abandon de toute forme de coopération face aux enjeux internationaux.

En réaction, les militants pour le climat battent le pavé, bloquent des rues et paralysent des villes entières pour attirer l’attention des politiciens. Dans le monde entier, des millions de jeunes et d’étudiants se sont mobilisés – souvent pour la première fois – afin de réclamer des actions immédiates et un changement systémique.

Ces mobilisations ont permis aux nouvelles générations de prendre conscience de leur force, de leur pouvoir et de leur détermination. Pour ces jeunes militants, l’action massive est désormais la norme – et non plus l’exception. L’idée de grève politique est désormais fermement ancrée dans leurs esprits.

De nombreux militants ont compris la nécessité des mobilisations de masse. Mais il faut aussi tirer les leçons de ce mouvement – et en reconnaître les limites. Les manifestations de rue et les grèves étudiantes ne suffiront pas. Les défenseurs du climat doivent se lier au mouvement ouvrier pour obtenir, dans la lutte, un changement politique radical.

Le néo-malthusianisme

Comparée à l’activisme individuel d’autrefois, l’idée de mobilisations de masse et d’actions militantes pour un changement systémique représente un immense progrès. Mais en l’absence d’une direction révolutionnaire, le spectre du vieil écologisme libéral et petit-bourgeois continue de hanter le mouvement pour le climat. Cette confusion se manifeste dans l’émergence d’idées confuses – telles que la « décroissance » ou « l’anti-consumérisme » – qui dominent les débats et atténuent la radicalité des jeunes grévistes.

Au fond, toutes ces idées sont des régurgitations des arguments réactionnaires de l’économiste Thomas Malthus, qui déclarait, au XIXe siècle, que la famine, la pauvreté et les maladies résultaient d’une « surpopulation ». Aujourd’hui, on n’entend plus seulement déplorer qu’il y aurait « trop de bouches à nourrir » ; la même idée revient sous cette forme : « nous vivons au-dessus de nos moyens ». Autrement dit, la crise écologique serait imputable à de mauvais comportements individuels – et non à un système pourrissant.

Friedrich Engels a déjà répondu aux arguments de Malthus. Dans une lettre à Albert Lange, il expliquait : « On ne produit pas assez ; c’est la racine du problème. Mais pourquoi ne produit-on pas assez ? Ce n’est pas que les limites de la production – même de nos jours et en l’état actuel de nos moyens – sont atteintes. Non, c’est parce que les limites de la production sont fixées par le nombre d’acheteurs potentiels – et non par le nombre de ventres affamés. La société bourgeoise ne veut pas produire davantage. Les ventres sans le sou, le travail impossible à exploiter pour faire du profit, et donc à acheter, sont abandonnés aux statistiques de la mortalité ».

Les prédictions apocalyptiques de Malthus ont été réfutées par les faits. Les progrès dans la technique agricole ont permis de subvenir aux besoins d’une population plus nombreuse – et mieux nourrie. De même, de nos jours, les technologies permettant de produire davantage – sans dégradation ni destruction de l’environnement – existent déjà. Le problème, comme le faisait remarquer Engels, c’est que le capitalisme ne peut pas utiliser ces forces productives de manière rentable.

Sans surprise, les partisans du capitalisme ont repris la rhétorique néo-malthusienne à leur compte. Ils affirment que nous devons résoudre la crise par des comportements individuels plus « éthiques » : prendre l’avion moins souvent, ne plus manger de viande, mieux recycler nos déchets personnels, etc. En mettant l’accent sur la responsabilité individuelle et la question des styles de vie, la classe dirigeante défend son pouvoir et détourne les masses de la tâche qui leur incombe : transformer radicalement la société sur la base d’un programme socialiste.

Les « solutions » découlant de ce mantra individualiste sont entièrement réactionnaires. Elles consistent en un simple « greenwashing » de l’austérité : aux travailleurs et aux pauvres de se serrer la ceinture – pour résoudre un problème créé par les capitalistes et leur système corrompu.

Aux « anti-consuméristes », nous posons cette unique question : qui consomme trop ? Les millions de ménages des pays dits « développés » qui doivent choisir entre manger sainement et se loger convenablement ? Les masses des nations « en développement », qui doivent se battre pour simplement nourrir leurs familles ? Les travailleurs exploités des quatre coins du monde, qui vivent dans la pauvreté au milieu des richesses ?

Les données statistiques montrent que les 1 % les plus riches de la planète rejettent 175 fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % les plus pauvres. Et la moitié la plus pauvre de la population mondiale n’est responsable que de 10 % des émissions globales, contre 50 % pour les 10 % les plus riches. Ces « inégalités carbone » sont le reflet des violentes inégalités économiques inhérentes au capitalisme.

Les travailleurs ne sont pas stupides. Ils voient bien l’hypocrisie de leurs gouvernants, qui demandent aux gens ordinaires de « faire des sacrifices » au nom de la planète. Pendant ce temps, les richissimes élites capitalistes vivent dans leur bulle, accumulent des fortunes obscènes et se déplacent en jets privés. Cette flagrante contradiction a alimenté la mobilisation des Gilets jaunes en France (« taxe carbone ») – et les mouvements de masse, dans de nombreux pays ex-coloniaux, contre les coupes du FMI dans les aides à l’achat de carburant.

Les marxistes doivent s’opposer à ces mesures et prétendues « taxes vertes ». Ces taxes minent la consommation des ménages sans toucher aux profits des grandes entreprises. Elles placent le fardeau de la crise sur le dos de la classe ouvrière et des classes moyennes. De telles taxes sont réactionnaires et rétrogrades ; elles n’ont rien à voir avec l’écologie. Ce sont de simples mesures d’austérité. Nous devons nous tenir aux côtés des Gilets jaunes et réclamer que les capitalistes payent le prix de la crise, et non les travailleurs.

L’impasse de la « décroissance »

Blâmer le « consumérisme » et la « croissance » est un leurre. Ce ne sont pas l’industrie et la production qui abîment l’environnement, mais la façon dont la production est organisée et contrôlée sous le capitalisme. La compétition et la course aux profits génèrent gâchis et pollution : les sociétés programment l’obsolescence de leurs produits afin d’en vendre davantage. La gigantesque industrie publicitaire s’efforce de nous convaincre d’acheter des choses dont nous n’avons pas besoin. Enfin, des entreprises comme Volkswagen enfreignent consciemment les réglementations écologiques, pour réduire leurs coûts et maximiser leurs profits.

C’est la course aux profits, et non la croissance elle-même, qui pose problème. Nous vivons dans un système économique reposant sur la consommation constante de marchandises et sur l’accumulation de profits. Les capitalistes ne produisent pas pour répondre à des besoins, mais pour « faire de l’argent ». Si leurs biens ne sont pas vendus, les entreprises ferment, et des millions de travailleurs perdent leur emploi.

C’est pourquoi la revendication – qui circule dans le mouvement pour le climat – d’une « croissance zéro » ou d’une « décroissance », est réactionnaire. « Zéro croissance » sous le capitalisme, c’est la récession, dont les travailleurs et les plus pauvres font toujours les frais. En somme, la « décroissance », c’est l’austérité permanente.

Les théories de la décroissance sont incorrectes et positivement nocives. L’accent doit être mis sur les conditions de la production économique et non sur la consommation et les « choix des consommateurs ». Que valent les boycotts individuels face à l’anarchie et au chaos du marché ? Nous avons besoin, non d’actions isolées de quelques consommateurs « éthiques », mais d’une planification rationnelle de l’économie, contrôlée démocratiquement par les travailleurs et les consommateurs.

Même si nous décidions collectivement de réduire notre consommation, comment serait-il possible de limiter une production entièrement possédée, contrôlée et dirigée par la classe capitaliste ? Comment réduirions-nous l’industrie de la viande ? Comment limiterions-nous la population ? Qui déciderait ce qu’il faut produire et dans quelles quantités ? Il suffit de poser ces questions pour comprendre l’absurdité de l’écologie individualiste et le caractère réactionnaire de toute forme de malthusianisme.

La crise du coronavirus a clairement montré les limites de l’approche individualiste et réactionnaire des néo-malthusiens : l’économie mondiale s’est arrêtée, les avions ont cessé de voler, les rues se sont vidées, la demande en pétrole s’est effondrée et la consommation des ménages a fortement baissé. Il en a résulté une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 8 %. Cependant, il faudrait qu’une telle réduction advienne tous les ans pour parvenir aux objectifs de la décennie et limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.

Comme le montre l’impact de la pandémie, des changements importants au sein du capitalisme ne peuvent avoir lieu que de façon chaotique, catastrophique, au prix d’une sévère dépression économique et d’une montée brutale du chômage, de la pauvreté et de la faim. En outre, de tels changements ne toucheraient encore que la surface du problème. Il est nécessaire d’opérer une transformation profonde, radicale, de la production – et même de toute l’organisation sociale – afin de réduire au niveau requis nos émissions de gaz à effet de serre.

Pour une solution collective et radicale

Il ne faut pas chercher à changer les modes de vie personnels, à réduire la consommation individuelle ou à revenir à des formes plus primitives de production (la « désindustrialisation »). Les moyens technologiques et scientifiques existent, aujourd’hui, pour produire la quantité de biens nécessaires pour permettre à chaque habitant de cette planète de mener une vie décente et confortable. Ce qui est nécessaire, c’est un changement systémique, fondamental et international de notre système économique.

Sous le capitalisme, la technologie développée pour accroître la productivité peut aboutir, paradoxalement, à détruire le potentiel de croissance. On le voit dans les progrès récents de l’agriculture, où l’usage intensif des insecticides et des fertilisants artificiels a décimé des populations d’insectes, appauvri les sols et pollué les réserves d’eau. De même, l’industrie et les transports actuels, en polluant et en rejetant des gaz à effet de serre, détruisent le milieu naturel dont dépend l’humanité tout entière.

Les faits confirment ce que Marx expliquait dans Le Capital, à propos de la production agricole sous le capitalisme : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps est un progrès dans la ruine de ses sources durables de fertilité. […] La production capitaliste ne développe donc la technique […] qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur ».

Ce n’est pas, chez Marx, un argument contre la technologie et l’industrie, ni un plaidoyer pour la « désindustrialisation » ; c’est une dénonciation de la propriété privée, de l’anarchie du marché et de la course aux profits. C’est un argument en faveur d’une planification socialiste : il faut mettre la science et la technologie au service des peuples et de la planète – et non plus des profits de quelques-uns.

En somme, c’est une question de classe. Qui possède ? Qui décide ? L’anarchie du capitalisme détruit l’environnement. Il nous faut planifier – rationnellement et démocratiquement – la façon dont nous utilisons les ressources terrestres, et développer en conséquence les technologies nécessaires. Cependant, on ne peut planifier ce qu’on ne contrôle pas, et on ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas.

Dans de nombreux pays, des organisations et des partis politiques libéraux ont tenté de contrôler et de récupérer le mouvement pour le climat, dans le but de vider les manifestations et les revendications de ses militants de tout contenu radical. Des ONG comme Greenpeace ont souvent pris la tête – bureaucratiquement – de la mobilisation, pour y prêcher une ligne « politiquement ouverte » (droite comprise). Même des groupes militants comme Extinction Rebellion sont tombés dans ce piège, qui consiste à dépolitiser les enjeux écologiques et, dans le même temps, à convier les politiciens de tous bords à se réunir pour en discuter.

Or le problème du dérèglement climatique est politique. Ce sont les capitalistes et leur système qui conduisent la planète à la ruine. Travailler avec des partis bourgeois et faire appel à des politiciens soumis aux intérêts des grandes entreprises est non seulement futile, mais dangereux : c’est le plus sûr moyen de vider le programme du mouvement de toute substance. Ces politiciens défendent les intérêts de la classe capitaliste et non ceux de la société ou de l’environnement. Le mouvement ne doit placer en eux aucun espoir, aucune confiance, pas plus qu’il ne doit croire aux bonnes intentions des ONG et des libéraux, qui cherchent avant tout à atténuer la radicalité des revendications.

« Green New Deal » ?

Les partis verts ont connu une notable progression électorale, conséquence des préoccupations environnementales croissantes des électeurs – et du discrédit qui frappe les partis traditionnels. Cependant, les dirigeants verts ne sont que des libéraux, qui n’ont pas la moindre intention de combattre le système capitaliste. L’exemple du gouvernement de coalition autrichien (Verts et Conservateurs) est révélateur. Ils sont tombés d’accord sur un programme qui vise à « réduire les émissions » et… l’immigration. Le masque « progressiste » des verts est tombé, révélant leur véritable visage.

Ailleurs, cependant, des pas importants ont été faits pour établir une liaison entre la question environnementale et les combats politiques de la gauche. La revendication d’un Green New Deal, notamment, est devenue un cheval de bataille des gauches britannique et américaine. Au début de l’année 2019, la députée Alexandria Ocasio-Cortez a présenté une résolution, à Washington, appelant le gouvernement fédéral à réduire les émissions carbone en investissant massivement dans les énergies renouvelables et la création de métiers « verts ». Au Royaume-Uni, le Parti travailliste est allé encore plus loin lors de sa Conférence annuelle de 2019, en adoptant une motion pour un « Socialist Green New Deal », basé sur la propriété publique et le contrôle démocratique des travailleurs sur les moyens de production.

En réalité, pourtant, le Green New Deal est un slogan assez creux, que chacun peut remplir selon ses désirs. On le voit dans la grande variété des soutiens du projet d’Ocasio-Cortez, parmi lesquels des personnalités de la droite du Parti Démocrate, tels Biden, Buttigieg et Klobuchar.

Les vagues projets de Green New Deal sont, au fond, des projets keynésiens de réguler et de diriger le système capitaliste. Mais le capitalisme ne peut pas être dirigé. On ne peut ni le domestiquer, ni le verdir. Tant que l’économie sera basée sur la course aux profits, les grandes fortunes dicteront leurs volontés aux gouvernements – et non l’inverse. Bref, au lieu de viser un changement de système, les revendications keynésiennes d’un Green New Deal cherchent à sauver le capitalisme de lui-même.

Une étude fréquemment citée montre que 100 grandes entreprises (principalement des producteurs de carburants fossiles) sont responsables de plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Plus récemment, une autre étude a révélé que 20 sociétés avaient généré un tiers de tout le CO2 émis depuis 1965. De même, seuls 3 à 10 % des déchets produits dans les pays capitalistes avancés viennent de la consommation des ménages ; tout le reste résulte des processus industriels de production, de construction et d’extraction minière.

Ces éléments soulignent la véritable origine de la crise environnementale. Ils indiquent clairement la solution : ces entreprises doivent devenir publiques et passer sous le contrôle démocratique des travailleurs, dans le cadre d’une planification rationnelle et socialiste de la production. Alors, seulement, pourrons-nous bâtir une économie durable, où l’amélioration globale des conditions de vie ne se fera pas au détriment de l’environnement.

Entre des mains privées, les grands monopoles génèrent des niveaux obscènes de gâchis et de dommages environnementaux. Cependant, une fois nationalisés dans le cadre d’une planification socialiste, ces moyens de production pourront développer des technologies modernes, durables, afin de réduire drastiquement les émissions et la pollution, tout en permettant à tous d’accéder à une nourriture de qualité, à un logement décent, à un système éducatif performant, à un bon réseau de transports et à des services de santé gratuits.

Le mouvement ouvrier

En associant les meilleurs esprits scientifiques aux diverses compétences des travailleurs, sous le contrôle démocratique de ces derniers, nous pouvons mettre les capacités technologiques de la société et ses différentes ressources au service de l’humanité et de la planète. Le plan des ouvriers britanniques de Lucas Aerospace, dans les années 1970, en montre le potentiel. Ces travailleurs de l’industrie militaire et aérospatiale avaient élaboré un projet détaillé, démontrant que les mêmes usines, machines et employés pourraient être réorganisés et redirigés pour produire des équipements technologiques et médicaux avancés, plutôt que des missiles et des armes. Finalement lâchés par la section locale du Parti travailliste et par les dirigeants syndicaux, les ouvriers de Lucas et leur plan alternatif n’en demeurent pas moins une formidable source d’inspiration : ils ont prouvé le potentiel innovateur de la classe ouvrière – et sa capacité à planifier la production.

L’exemple du plan Lucas démontre la possibilité – et la nécessité – d’une « transition climatique ». Il n’y a aucune raison pour que le passage à une industrie verte et la fermeture des usines polluantes fassent grimper le chômage. Les travailleurs peuvent être reconvertis et les usines rééquipées. Mais cela suppose la propriété publique des moyens de production, le contrôle ouvrier et, plus généralement, la planification socialiste de l’économie. Si, à l’inverse, on laisse « le marché » décider de la mise à l’arrêt des industries obsolètes, cela provoquera de nouvelles catastrophes sociales pour la classe ouvrière, à l’image de la fermeture des mines au Royaume-Uni et de la désindustrialisation de la « Rust Belt » aux Etats-Unis.

Cela souligne la nécessité de lier le mouvement pour le climat aux organisations de la classe ouvrière. Dans certains pays, les militants pour le climat ont eu la bonne idée de réclamer le soutien des syndicats. Greta Thunberg elle-même a encouragé ce type de rapprochements, en appelant les travailleurs du monde entier à rejoindre la grève des étudiants et des lycéens. Quelques organisations ont répondu à l’appel et rejoint le mouvement de contestation. C’est la bonne approche, car la question climatique ne touche pas seulement la jeunesse, mais aussi l’ensemble de la classe ouvrière.

Les organisations ouvrières doivent être en première ligne dans le combat contre le changement climatique. Malheureusement, en concentrant leur stratégie sur l’action directe et les coups d’éclat publicitaires, des groupes tels qu’Extinction Rebellion se tiennent à distance du mouvement ouvrier. Leur but premier est de « sensibiliser » l’opinion publique en attirant l’attention des médias par des blocages, des occupations, etc. Lorsqu’il s’est agi, par exemple, de forcer la fermeture de l’aéroport de Londres au moyen de drones, ils n’ont pas pensé à contacter les syndicats du site, alors même que les employés (y compris les bagagistes et les pilotes) s’apprêtaient à faire grève. Un tel mouvement coordonné aurait pu paralyser l’aéroport – et sensibiliser l’ensemble des travailleurs – plutôt que d’échouer lamentablement, comme ce fut le cas, finalement, du plan d’Extinction Rebellion.

Un programme révolutionnaire

Plutôt que de s’engager dans des actions frivoles et apolitiques, le mouvement pour le climat doit se baser sur la mobilisation massive des travailleurs et de la jeunesse, autour de revendications socialistes claires. Armée d’un tel programme, le pouvoir de la classe ouvrière organisée serait colossal. Les marxistes l’ont toujours dit : pas une ampoule ne brille et pas une roue ne tourne sans la permission de la classe ouvrière.

Les mouvements sociaux et politiques de gauche connaissent une croissance dans le monde entier. Il faut maintenant que le militantisme et la radicalité des jeunes engagés pour le climat s’intègrent au mouvement plus large de la classe ouvrière, autour d’un programme socialiste et écologique ambitieux, capable de mobiliser l’ensemble de la jeunesse et des travailleurs. Un tel programme devrait inclure les revendications suivantes :

- Nationaliser les grands monopoles de l’énergie, les entreprises produisant des carburants fossiles et leurs réseaux de transmission, sous le contrôle démocratique des travailleurs, afin d’ôter notre approvisionnement en énergie des mains des profiteurs et des barons du pétrole. Nous pourrons alors investir massivement dans les énergies renouvelables et cesser progressivement d’utiliser des combustibles fossiles, tout en réduisant les prix pour les consommateurs.

- Exproprier les entreprises du bâtiment – et placer la terre et les banques sous propriété publique. Ainsi pourrons-nous entreprendre un vaste programme public d’isolation des logements existants et de construction des logements sociaux neufs, de haute qualité et de haute efficience énergétique.

- Nationaliser tous les moyens de transport collectifs : chemins de fer, métros, bus, tramways, transports aériens et maritimes. Remplacer le chaos actuel par un vaste système de transports publics gratuits, écologiques, coordonnés, intégrés et de haute qualité. Nationaliser les entreprises des secteurs automobile et aérospatial, sous le contrôle démocratique des salariés, afin d’investir dans des véhicules et des avions plus respectueux de l’environnement.

- Mettre toutes les ressources naturelles (la terre, les mines, les cours d’eau et les forêts) sous propriété publique et contrôle démocratique : on ne doit pas permettre au capitalisme et à l’impérialisme de continuer à ravager la planète au nom du profit. Il faut mettre en œuvre un vaste programme de reforestation et de construction de digues contre les inondations.

- Chasser les grandes entreprises des universités. La recherche et le développement doivent être financés par de l’argent public, dirigés démocratiquement et orientés vers les intérêts de la société – et non vers les profits des multinationales.

- Mettre en œuvre le contrôle et la gestion démocratiques des salariés dans toutes les industries nationalisées et dans les services publics. Un plan doit être élaboré par les travailleurs (sur le modèle du plan Lucas) pour mettre en œuvre la transition vers une production plus respectueuse de l’environnement.

Loin d’ignorer la question de l’environnement, Marx et Engels y portaient un grand intérêt. Leur conclusion, qui est aussi la nôtre, est qu’il ne sera pas possible de mettre fin à la destruction de la nature sur la base de l’anarchie capitaliste. Seule une planification socialiste permettra un développement harmonieux de l’humanité et de la nature. Comme l’écrivait Engels: « Ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. […] Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement »

Seule une transformation socialiste de la société nous permettra de satisfaire les besoins de la majorité en harmonie avec l’environnement, plutôt que de générer des profits pour une minorité parasitaire. Les sciences et les technologies permettant de lutter contre le dérèglement climatique existent déjà. Mais, sous le capitalisme, ces forces détruisent la planète plutôt que de la sauver. Socialisme ou barbarie : telle est l’alternative qui s’offre à nous.

Le 29 mai dernier, l’Agence France Presse annonçait à Paris un temps « nuageux avec des averses éparses de plastique ». Ce bulletin météorologique, digne d’un roman de science-fiction, reflète la dystopie dans laquelle le capitalisme est en train de plonger l’humanité. Chaque jour, entre 40 et 48 kilos de plastique sont en suspension dans l’air au-dessus de la capitale.

Le plastique pollue toute la planète, de sorte qu’on le retrouve partout : dans nos villes, au fond des océans, dans nos aliments, dans les forêts les plus lointaines, sur les plages les plus reculées, et même dans les glaces de l’Arctique. Chaque année, le capitalisme produit plus de 430 millions de tonnes de plastique, et 167 000 tonnes de granulés plastiques se retrouveraient dans la nature, soit l’équivalent de 40 milliards de bouteilles plastiques.

La production mondiale de ce matériau a triplé en 25 ans. La planète en consomme 200 fois plus qu’en 1950. Or si rien ne change, l’avenir ne sera guère plus réjouissant : la croissance de la production mondiale de plastique est de 4,5 % par an depuis 1990, en moyenne, et l’OCDE prévoit que la production annuelle pourrait tripler d’ici 2060. La quantité de déchets plastiques augmentera donc dans des proportions similaires.

Impacts multiples

Pour comprendre tous les impacts de ce matériau, il faut considérer l’ensemble de sa chaîne de production. 99 % des plastiques mis en circulation sont produits à partir de pétrole (70 % de la matière première), de gaz (25 %) et de charbon (entre 1 et 5 %). La quasi-totalité des types de plastique étant fabriquée à partir de ressources fossiles, son impact sur l’environnement débute dès sa phase d’extraction, via des méthodes ultra-polluantes telles que la fracturation hydraulique, un procédé utilisé pour extraire du gaz de schiste.

Lors de la phase de raffinage, où le pétrole est transformé en naphta et le gaz en éthane – deux éléments nécessaires à la fabrication de plastique –, d’énormes quantités d’eau douce sont consommées pour séparer les hydrocarbures. L’ultime étape, consistant à transformer les matières traitées en plastique, nécessite l’utilisation de nombreux additifs classés cancérigènes ou hautement toxiques.

Dans l’industrie du plastique, le pétrole et le gaz ne constituent pas seulement l’énergie utilisée pour produire le matériau et le transformer ; ils sont aussi sa matière première. De fait, cette industrie est la plus énergivore au monde. Elle est aussi la troisième industrie en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES), après la cimenterie et la sidérurgie. Selon le GIEC, la production et l’incinération de plastique, à l’échelle mondiale, libèrent plus de 850 millions de tonnes de GES dans l’atmosphère, soit autant que 189 centrales à charbon de taille moyenne.

Le rôle de la pétrochimie

Premier dérivé du pétrole, le plastique est devenu le nouvel eldorado des géants pétro-gaziers. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la pétrochimie mondiale consomme déjà 14 % de la production totale de pétrole, et 8 % de celle de gaz. Ce secteur est appelé à croître d’un tiers entre 2020 et 2030 : l’utilisation de pétrole comme matière première pétrochimique devrait atteindre les 3,3 millions de barils par jour d’ici 2040. A ce rythme, le pétrole sera donc davantage utilisé pour la fabrication de plastique que comme carburant pour les voitures.

La multiplication de projets de construction, d’agrandissement ou de reconfiguration de raffineries orientées vers la production de plastique témoigne de l’engouement des multinationales pétro-gazières pour ce matériau. Le géant saoudien Aramco, premier exportateur mondial de pétrole, a annoncé 100 milliards de dollars d’investissements dans la pétrochimie au cours de la prochaine décennie. En avril 2018, il a signé avec des compagnies pétrolières indiennes la construction d’un gigantesque site pétrochimique dans l’Etat du Maharashtra, pour un coût estimé à 44 milliards de dollars. A Jubail, en Arabie Saoudite, il s’est lié au français Total pour engager 5,5 milliards de dollars dans l’agrandissement de l’un des sites de raffinage les plus rentables au monde. Baptisé « Amiral », ce projet pharaonique devrait permettre de produire chaque année 2,7 millions de tonnes de produits chimiques, dès 2024. Et ainsi de suite.

Alors que se sont tenues au siège parisien de l’UNESCO, début juin, des négociations de 175 pays pour conclure un futur traité international contre la pollution du plastique, une « Coalition pour la haute ambition » regroupant une cinquantaine de pays a affiché l’objectif de « mettre fin à la pollution plastique d’ici à 2040 ». Ce sont autant de vœux pieux et hypocrites, pour la simple et bonne raison que ses auteurs n’ont pas la moindre intention de s’attaquer à la véritable source du problème : le mode de production capitaliste – et l’immense source de profits que représente le plastique pour les multinationales pétro-gazières.

Le mouvement ouvrier est donc confronté à l’alternative suivante : soit exproprier ces multinationales et mettre un terme à ce fléau, soit subir des « averses de plastique » de plus en plus fortes – entre autres calamités.

Le 19 décembre dernier, les ministres de près de 200 pays réunis à l’occasion de la COP15 signaient un accord visant à prendre des « mesures urgentes » pour « arrêter et inverser la perte de biodiversité » d’ici la fin de la décennie.

Effectivement, il y a urgence. Dans son rapport de 2019 sur la biodiversité, l’IPBES [1] estimait que 75 % des milieux terrestres et 66 % des milieux marins étaient « sévèrement altérés » par les activités humaines. Les populations de vertébrés sauvages ont chuté de 69 % entre 1970 et 2018. Sur les huit millions d’espèces animales et végétales présentes sur Terre, près d’un million pourraient disparaître au cours des prochaines décennies.

En moins d’un demi-siècle, plus de 20 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté de deux-tiers. Et l’IPBES de conclure : « La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ».

L’agriculture capitaliste est l’une des principales responsables de cette situation. A lui seul, le secteur agricole concentre 23 % des émissions de gaz à effet de serre. Par ailleurs, le recours massif et croissant aux pesticides – pour accroître les rendements à court terme – a des conséquences majeures et catastrophiques.

Le marché des pesticides

Chaque année, 3 millions de tonnes de pesticides sont épandues à travers le monde, un chiffre en hausse de 80 % depuis le début des années 1990. Le marché mondial des pesticides a quasiment doublé au cours des vingt dernières années, pour atteindre près de 53 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2020.

Le développement de ce marché s’est accompagné, comme toujours, d’une concentration croissante des capitaux. Alors qu’en 1990, 16 entreprises représentaient environ 80 % du marché mondial des pesticides, une succession de fusions-acquisitions a fait émerger quatre multinationales – Bayer, BSF, Syngenta/Chemchina et Corteva – qui contrôlent plus des deux-tiers du marché mondial. Cette mainmise leur assure de hauts niveaux de profitabilité, avec des ratios de bénéfices sur chiffres d’affaires allant de 10 à 20 %, soit 50 % au-dessus de la moyenne européenne de l’industrie manufacturière.

Avec 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019, l’Union européenne est l’un des principaux marchés des pesticides au niveau mondial. Au sein de l’UE, la France est de loin le premier marché de pesticides à usage agricole, avec un quart des ventes totales en 2017. Elle est suivie par l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni et la Pologne, qui totalisent la moitié du marché européen. Cependant, l’essentiel de la croissance du secteur se joue ailleurs : entre 2013 et 2018, les ventes de pesticides à usage agricole ont augmenté de 40 % en Argentine, de 25 % en Russie, de 15 % en Roumanie et de 7 % au Brésil.

La course aux rendements

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe a connu un boom démographique sans précédent. En moins d’un quart de siècle, la population française augmentait de neuf millions. Autant de bouches à nourrir – et de profits à engranger pour l’agro-industrie et l’industrie chimique qui produit les pesticides : les liens entre ces deux secteurs, amorcés dès la seconde moitié du XIXe siècle, étaient définitivement scellés.

En France, en cinquante ans, le nombre de types d’activité agricole a été divisé par cinq, tandis que la productivité a été multipliée par dix et les volumes produits par deux. La production de céréales a quintuplé, celle du vin a doublé, celle des fruits et légumes a augmenté de 50 %. Le développement des systèmes de production agricole reposant sur l’usage combiné de machines, d’engrais, de pesticides et de variétés hybrides et génétiquement modifiées a eu les mêmes résultats au niveau mondial : depuis 1960, alors que les surfaces cultivées ont augmenté de 50 %, les rendements moyens globaux ont doublé. La production végétale agricole mondiale a été multipliée par 3,4. [2]

Dès 1867, dans Le Capital, Marx remarquait que « tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les États-Unis d’Amérique, part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement, et plus ce processus de destruction est rapide ».

Cette observation de Marx n’a pas cessé, depuis, d’être confirmée, comme en témoignent les ravages des pesticides sur la santé humaine, la biodiversité, les sols et l’eau (entre autres).

Le « pillage du sol » dont parlait Karl Marx atteint désormais des niveaux vertigineux. Selon les dernières données publiées par l’ONU, 75 % des sols mondiaux sont dégradés à divers degrés. Cela pourrait concerner 90 % des sols d’ici 2050. En France, 20 % des sols sont menacés d’érosion du fait de l’absence d’invertébrés indispensables à leur bonne porosité et à l’infiltration des eaux. Par ailleurs, l’analyse de 31 pesticides couramment utilisés en grandes cultures a révélé la présence d’au moins l’un d’entre eux dans 100 % des sols et 92 % des vers de terre analysés. 54 % de ces derniers étaient contaminés « à des niveaux qui mettent ces organismes en danger ». [3]

En ce qui concerne la biodiversité, le terme d’« insecticide » porte bien son nom. En 30 ans, les pesticides ont provoqué la disparition de 80 % des insectes en Europe. En France, 39 % des populations d’oiseaux spécialistes des milieux agricoles ont disparu sur la même période, et plus de la moitié des populations de chauves-souris se sont éteintes entre 2006 et 2019.

Pour les mêmes raisons, 30 % des colonies d’abeilles déclinent chaque année. Or ces pollinisateurs sont un chaînon essentiel de la biodiversité : ils assurent la reproduction sexuée des plantes, et donc la formation des fruits et des graines. Sans leur contribution, le café et le chocolat disparaîtraient de notre quotidien, de même que les oléagineux (colza, arachide, olives), les protéagineux (pois, fèves) et les fruits à coques. Ne subsisteraient que des cultures telles que le blé, le maïs ou le riz, qui sont pollinisées par le vent.

Catastrophe sanitaire

L’usage croissant des pesticides entraîne une augmentation des intoxications via leur exposition. Chaque année, il y a environ 255 millions de cas d’empoisonnement – à des degrés divers – en Asie, un peu plus de 100 millions en Afrique et environ 1,6 million en Europe.

En juin 2021, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dressait un bilan des connaissances relatives aux effets des pesticides sur la santé. A travers une analyse critique de la littérature scientifique internationale publiée depuis 2013, l’INSERM concluait à une « présomption forte » d’un lien entre l’exposition aux pesticides et six pathologies graves, dont les lymphomes non hodgkiniens, le cancer de la prostate et la maladie de Parkinson.

Alors que l’INSERM alertait en mars 2022 sur une augmentation significative du taux de mortalité infantile en France, le ministère de la Santé indiquait quatre mois plus tard que le risque de développement de leucémie aiguë pour un enfant augmentait nettement lorsque son domicile était situé à proximité des vignes cultivées en agriculture conventionnelle. [4]

Le même mois, le professeur et pédiatre américain Philip Landrigan affirmait que la hausse des cas de cancers pédiatriques aux Etats-Unis et en Europe était « trop rapide pour être d’ordre génétique (…) Il est de plus en plus évident que les expositions environnementales, et en particulier aux produits chimiques manufacturés, sont, en fait, des facteurs importants de cancer chez l’enfant, et en particulier les expositions au cours des 1000 premiers jours de la vie ». D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les cancers chez les enfants ont progressé de 13 % dans le monde en seulement 20 ans.

Ces substances toxiques dégradent durablement tous les milieux qu’elles touchent. Près de 80 % des masses d’eau souterraine sont contaminées par les pesticides au Luxembourg, contre 50 % en République tchèque, 24 % en Belgique et 17 % en France. En 2021, en France, 12 millions de personnes ont bu une eau impropre à la consommation en raison de la présence de métabolites issus de la dégradation des pesticides. D’autres analyses ont montré que dans 35 % des eaux du robinet analysées contenant au moins un pesticide, les trois-quarts retrouvés étaient, dans 38,5 % des cas, de types Cancérogènes, Mutagènes, Reprotoxiques (CMR), et dans 56,8 % des cas de types Perturbateurs Endocriniens (PE). [5]

Leurs effets sur la santé sont très concrets. Par exemple, l’OMS définit les perturbateurs endocriniens comme « des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien [l’ensemble des organes qui ont la capacité de relâcher des hormones dans le sang] et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants ». Chez les femmes, cela peut se traduire par des problèmes de fertilité et des naissances prématurées ; chez les hommes, par des cancers de la prostate ; chez les nourrissons, par des troubles cognitifs et un retard du développement cérébral.

Pour s’éviter un scandale sanitaire, le gouvernement français a fait « disparaître » artificiellement le problème. L’ESA-métolachlore, un métabolite issu d’un herbicide utilisé principalement en grande culture, est un véritable cas d’école. Selon les données du ministère de la Santé, la présence de ce métabolite dans l’eau potable était impliquée, en 2020, dans 51 % des cas de non-conformité des unités de distribution. Qu’à cela ne tienne ! Le 30 septembre 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) multipliait par neuf la teneur minimale en ESA-métolachlore pour qualifier une eau « non conforme », en contradiction totale avec les recommandations des scientifiques. Qu’importe : soudainement, 97 % des eaux « non conformes » redevenaient « conformes ».

Impérialisme chimique

Les gouvernements français successifs sont coutumiers du fait. Pendant plusieurs décennies, les Guadeloupéens et Martiniquais ont été empoisonnés au chlordécone, un perturbateur endocrinien à très forte toxicité utilisé pour lutter contre le charançon du bananier. Bien que le chlordécone ait été déclaré cancérogène par l’OMS dès 1979, son utilisation a été autorisée aux Antilles de 1972 à 1993, notamment grâce aux différentes dérogations accordées par Jacques Chirac lorsqu’il était ministre de l’Agriculture. Résultat : 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont aujourd’hui contaminés au chlordécone. La Martinique détient le triste record du taux de cancer de la prostate le plus élevé au monde, avec 225 nouveaux cas déclarés pour 100 000 personnes, chaque année. 18 000 hectares de cultures ont été infectés par ce perturbateur endocrinien, dont la molécule peut survivre dans la nature pendant plus de sept siècles.

Le 2 janvier dernier, 16 ans après les premières plaintes des Guadeloupéens et Martiniquais à l’encontre de l’Etat français pour « empoisonnement » et « mise en danger de la vie d’autrui », le tribunal judiciaire de Paris concluait à un non-lieu : les faits seraient « prescrits »

La contamination des Antilles par un pesticide extrêmement dangereux est symptomatique d’une sorte d’impérialisme chimique. Environ 70 % des volumes de pesticides classés « extrêmement dangereux » sont utilisés, chaque année, dans les pays du Sud. Ils sont à l’origine de plus de 220 000 décès dans le monde, chaque année. Alors que la part de l’UE dans l’utilisation mondiale des pesticides est de 13 %, seuls 5 % des volumes mondiaux de pesticides « extrêmement dangereux » sont vendus en Europe. Autrement dit, les pesticides les plus dangereux sont majoritairement produits en Europe, mais ils sont interdits d’utilisation sur ce même sol.

Le Brésil est le plus important marché des pesticides « extrêmement dangereux » : un tiers des substances vendues dans ce pays ne sont pas autorisées dans l’UE. Selon Wanderlei Pignati, médecin et chercheur à l’Université Fédérale du Mato Grosso : « Les intoxications aiguës aux pesticides surviennent surtout dans les régions qui produisent le plus de soja, de maïs et de coton. Dans ces quatre régions, l’incidence d’intoxications aiguës est trois, quatre ou cinq fois plus élevée que dans les municipalités qui n’utilisent pas de pesticides. Même situation pour les cancers chez les enfants et les jeunes. De même que les malformations congénitales, qui sont quatre, cinq, voire dix fois plus nombreuses dans certaines municipalités ». [6]

« Promesses » et « encouragements »

Les sommets mondiaux et les « engagements » se succèdent, mais les faits persistent. Sur la question des pesticides, on ne compte plus les promesses de « régulation » et de « réduction » – sans suites.

Fin 2007, le gouvernement français proclamait l’objectif de réduire de 50 % l’usage des pesticides à l’horizon 2018. Résultat : leur utilisation a progressé de 12 % entre 2009 et 2016. Cela n’a pas empêché Macron d’annoncer récemment que sa présidence à la tête de l’UE impulserait « une sortie accélérée des pesticides ». Le même promettait une « sortie du glyphosate », qui ne s’est jamais concrétisée.

En 2009, le Parlement européen adoptait une directive sur l’« utilisation durable des pesticides », tout en renonçant à fixer un objectif contraignant de réduction de l’usage des pesticides aux Etats-membres de l’UE, ces derniers étant seulement « encouragés » à recourir à des techniques de substitution aux pesticides. Sans surprise, dix ans après, les encouragements du Parlement européen n’ont pas suffi : à l’exception du Danemark, la consommation de pesticides a augmenté – ou stagné – dans tous les pays de l’UE.

De son côté, la COP15 a débouché sur un « accord » qui, lui aussi, « encourage » les entreprises à évaluer et rendre public l’impact de leurs activités industrielles sur la biodiversité. Or les entreprises en question font d’énormes profits sur le saccage de l’environnement ! Tout le problème est là : si des quantités astronomiques de pesticides circulent librement sur la surface du globe, c’est parce que les multinationales de la chimie ont intérêt à produire toujours plus de pesticides, et que les entreprises agro-industrielles ont intérêt à les utiliser pour accroître leurs rendements agricoles. Le problème, c’est le mode de production capitaliste et sa course effrénée aux profits.

Pour mettre un terme à l’empoisonnement généralisé du monde, il faudra donc en finir avec le capitalisme lui-même. Grâce aux progrès de l’agronomie, il serait possible de conserver de hauts rendements agricoles sans détruire la biodiversité, provoquer des cancers, piller les sols et contaminer les milieux aquatiques. En octobre 2022, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) expliquait comment la diversification végétale à l’échelle d’une parcelle agricole (mélanges de variétés, cultures associées, agroforesterie) constituait un puissant vecteur pour prévenir les menaces que représentent certains insectes pour des cultures spécifiques. Les scientifiques pointent par ailleurs que « la diversification des paysages en vue de réguler les bioagresseurs devrait impliquer non seulement une diversité́ des assolements, mais de façon tout aussi importante une réduction de la taille des parcelles »[7] Soit tout l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui, où l’agriculture se caractérise avant tout par d’immenses champs de monoculture.

Alors que l’actuelle production agricole permettrait de nourrir 1,5 fois l’humanité, 40 % de la population mondiale vit toujours en situation d’insécurité alimentaire, et la famine frappe des dizaines de millions de personnes chaque année. A cette criminelle absurdité s’ajoutent tous les fléaux que nous venons d’évoquer en détail. Seule une planification socialiste et démocratique de la production, à l’échelle mondiale, permettra d’en finir à la fois avec la faim, les pollutions diverses, l’appauvrissement des sols, la contamination des eaux, l’effondrement de la biodiversité et les catastrophes sanitaires qui en découlent.


[1] C’est une plateforme intergouvernementale et scientifique – semblable au GIEC – qui s’occupe essentiellement de la biodiversité.

[2] Phillips McDougall. Evolution of the Crop Protection Industry since 1960 (2018)

[3] Rapport final d’un projet de recherche financé dans le cadre du plan Ecophyto. Novembre 2019.

[4] Vignes : les pesticides causent des leucémies aiguës chez l’enfant. Reporterre, juillet 2022.

[5] Rapport de Générations Futures sur la potabilité de l’eau. Juin 2020.

[6] Au Brésil, des profits extrêmement toxiques. Public Eye, 2019.

[7] Protéger les cultures en augmentant la diversité́ végétale des espaces agricoles. INRAE, octobre 2022.

Récemment, à Londres, des militants écologistes ont aspergé de soupe un tableau de Van Gogh, et ce pour « protester contre l’extraction pétrolière ». A Potsdam, un tableau de Monet a eu droit à de la purée, cependant qu’à Paris la Joconde était « entartée ». A Lyon et à Paris, des collectifs d’activistes dégonflent les pneus de véhicules très polluants. A Toulouse, un collectif a bouché au ciment les trous d’un parcours de golf.

On peut imaginer bien d’autres « actions directes » de ce genre, qui ont un caractère essentiellement symbolique. Mais que dire de leur efficacité au regard de l’objectif affiché : « sauver la planète » ?

Le mouvement de 2018 et 2019

Il faut d’abord comprendre ce qui pousse un nombre croissant de jeunes à s’engager dans de telles actions, ou tout au moins à les soutenir.

En 2018 et 2019, des millions de jeunes sont descendus dans les rues, à travers le monde, pour protester contre la passivité des gouvernements face à la crise environnementale. D’après la plupart des organisateurs de ces manifestations, elles visaient à faire « prendre conscience » de la gravité de la situation – et à exercer une pression sur « les décideurs » pour qu’ils prennent des mesures radicales.

Cependant, l’inaction des capitalistes n’est pas un problème de conscience ; c’est la conséquence d’un système. Les mécanismes fondamentaux du mode de production capitaliste sont en contradiction directe avec les mesures requises pour lutter efficacement contre la crise climatique. Les capitalistes n’investissent pas pour sauver la planète, mais pour faire un maximum de profits. Dans leur lutte permanente pour des parts de marchés, ils ne peuvent pas se permettre d’investir à perte dans la transition écologique. Certains, d’ailleurs, tirent directement profit de la destruction de l’environnement : c’est le cas notamment des patrons de l’industrie pétrolière.

Non seulement la bourgeoisie est parfaitement consciente des effets du réchauffement climatique, mais elle s’efforce d’en tirer un maximum de profits : le marché « éco-responsable » ne cesse de croitre et génère des fortunes colossales. Chacun le sait et l’observe au quotidien : l’écologie est devenue un élément central du marketing capitaliste, sans le moindre bénéfice pour l’environnement.

Nombre de politiciens bourgeois ont accueilli les manifestations de 2018 et 2019 avec une hypocrite bienveillance. La main sur le cœur, ils juraient qu’ils allaient prendre le problème à bras le corps. Macron, par exemple, a salué les manifestants – avant de poursuivre sa désastreuse politique environnementale. C’est précisément ce constat qui pousse de jeunes militants vers l’« action directe ». Les militants du collectif « Tyre Extinguishers » (« Extincteurs de pneus »), qui dégonflent des SUV dans plusieurs villes, l’affirment clairement : ils « passent à l’action parce que les gouvernements et les politiciens n’ont pas réussi » à agir et que les « demandes polies et les manifestations ont échoué ».

Le problème, c’est le capitalisme !

Ces méthodes peuvent paraître plus radicales que des manifestations de masse. Cependant, leur efficacité concrète est nulle. La production globale de SUV ne va pas baisser parce qu’un certain nombre de ces véhicules sont dégonflés. De même, aucun projet d’extraction pétrolière ne sera interrompu par la projection de soupe, de purée ou de tarte à la crème sur des chefs-d’œuvre picturaux.

Mais surtout, ce type d’actions marque un recul par rapport aux manifestations de 2018 et 2019. En effet, ces manifestations étaient très positives dans la mesure où elles marquaient le début d’une mobilisation collective de la jeunesse. Or seule une mobilisation collective des jeunes et des travailleurs permettra d’en finir avec la cause fondamentale de la crise climatique : le système capitaliste lui-même. A l’inverse, les actions « coups de poing » sont le fait d’individus ou de petits groupes d’individus isolés, qui prétendent – consciemment ou non, peu importe – se substituer à l’action de masse, qui seule peut faire avancer notre cause. Du point de vue de la classe dirigeante, cela ne représente aucun danger. C’est ce qui explique, par exemple, que le très bourgeois Libération ait récemment publié un reportage très positif sur les « dégonfleurs » parisiens.

Il est vrai que de simples manifestations ne suffiront pas à régler le problème : il faudra une révolution socialiste. Mais justement, cela suppose une mobilisation massive et déterminée de l’ensemble des exploités et des opprimés, qui d’ailleurs ne se mobiliseront pas seulement pour le climat, mais plus généralement pour défendre leurs conditions de vie et de travail, c’est-à-dire pour en finir avec les injustices, la misère et les humiliations que le capitalisme leur inflige chaque jour.

Les deux grandes leçons qu’il faut tirer des manifestations de 2018 et 2019 sont donc les suivantes : 1) le mouvement doit défendre un programme de rupture avec le système capitaliste ; 2) la jeunesse en lutte pour le climat doit chercher à mobiliser la seule force sociale capable de renverser le capitalisme : la classe ouvrière.

Cet été, pour la première fois, l’état de sécheresse a été proclamé dans l’ensemble des départements métropolitains. Au début du mois de septembre, 93 départements sur 96 étaient toujours concernés par des mesures de restrictions de l’usage de l’eau dans le cadre d’une « alerte sécheresse ». Parmi eux, 79 se déclaraient en état de crise.

Cercle vicieux

Comme chaque année, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a été particulièrement touchée par des épisodes de sécheresse à répétition. Un indicateur couramment utilisé pour mesurer la sécheresse est le « déficit hydrique », qui désigne une situation de décalage entre la baisse naturelle des réserves d’eau (du fait de l’évaporation, par exemple) et leur remplissage naturel par les précipitations.

Avant même le début de l’été, le déficit hydrique moyen des Bouches-du-Rhône dépassait les 48 %. Il atteignait 78 % aux alentours de Marignane. La plupart des nappes phréatiques, des lacs et des cours d’eau de la région sont menacés. C’est particulièrement le cas du lac du Broc, dans les Alpes-Maritimes, dont le niveau a baissé de six centimètres entre février 2021 et février 2022. C’est aussi le cas de l’étang du Pourra (près de l’étang de Berre), qui n’occupe désormais plus qu’un tiers de son lit.

Les conséquences de cette situation sont désastreuses. La chute des réserves d’eau potable a un impact direct sur la faune locale, mais aussi sur l’agriculture ou la production électrique, deux secteurs qui consomment beaucoup d’eau. Par ailleurs, l’assèchement de la végétation facilite les départs de feux, qui deviennent plus fréquents – et aggravent, en retour, le processus de désertification.

La sécheresse dégrade aussi les sols. Moins irrigués, ceux-ci deviennent plus vulnérables aux inondations et aux glissements de terrain lorsque la pluie finit, enfin, par arriver. Or des pluies diluviennes sont fréquentes dans le Midi, lors des « épisodes cévenols » ou des « tempêtes hivernales » qui s’intensifient depuis quelques années, du fait du réchauffement climatique. Les sécheresses à répétition multiplient donc les risques de crues catastrophiques, comme celles qui ont touché la vallée de la Vésubie en octobre 2020. En arrachant la végétation et en fragilisant encore davantage les sols, ces crues les rendent plus vulnérables à la sécheresse. C’est un cercle vicieux.

Comme si cela ne suffisait pas, la diminution du niveau de l’eau et, dès lors, l’augmentation de la température aquatique, peuvent entraîner la prolifération de plusieurs variétés d’algues dont les rejets sont toxiques. Cela peut rendre impropre à la consommation des réserves d’eaux autrefois potables. Outre le risque évident pour les populations et la faune, cela signifie aussi une augmentation notable des coûts de traitement de l’eau. Tous ces problèmes sont encore accentués par la pollution des eaux causées par l’industrie touristique et celle du fret maritime, notamment.

Gabegie capitaliste

Les conséquences de la désertification et de l’assèchement d’une région aussi peuplée que PACA dépassent largement ses limites géographiques. C’est aussi un problème qu’il est impossible de résoudre sans déployer d’immenses moyens économiques – et sans une coordination et une planification cohérente de cet effort. Il faudrait notamment développer et étendre les infrastructures d’irrigation et d’alimentation en eau potable, mais aussi suspendre l’exploitation des quelques réserves d’eau naturelle de la région PACA, de façon à ce qu’elles puissent se reconstituer. Il serait aussi nécessaire d’embaucher massivement du personnel chargé de prévenir et contenir les incendies et les crues. Par ailleurs, de véritables politiques de lutte contre la pollution devraient être mises en place. Cependant, l’application d’un tel programme nécessiterait un niveau de planification et d’investissements publics que le capitalisme est incapable de fournir.

La politique du gouvernement Macron, dans ce domaine, se résume à des demi-mesures telles que l’interdiction du remplissage des piscines des particuliers et la distribution d’argent public aux entreprises privées, sous couvert de lutte contre la sécheresse. 100 millions d’euros ont déjà été octroyés aux entreprises du secteur de l’eau, par l’intermédiaire de l’augmentation du budget des agences régionales. Et une couche supplémentaire de 140 millions d’euros, sous la forme d’un plan de financement des filières agricoles et des gestionnaires privés des canaux, a été annoncée par Elizabeth Borne, en mai dernier.

Cette politique est dans la droite ligne de toutes celles adoptées depuis des décennies par les gouvernements capitalistes. Les milliards d’euros « investis » depuis des décennies dans le secteur privé pour « lutter » contre la sécheresse ou contre le réchauffement climatique n’ont eu pratiquement aucun impact. Les sécheresses et les crues catastrophiques se succèdent et sont à chaque fois le prétexte à de nouveaux « plans de financement » qui contribuent surtout à remplir les comptes en banque des actionnaires et des patrons des entreprises du secteur privé. Seule une planification socialiste et démocratique de l’économie permettra de lutter efficacement contre tous les désastres environnementaux que le système capitaliste engendre.

Fin mai, la Deutsche Bank, qui est la première banque privée d’Allemagne et la neuvième mondiale, a été perquisitionnée par la police. Une semaine plus tard, c’était Goldmann-Sachs (troisième banque des Etats-Unis et douzième banque mondiale) qui voyait les policiers américains débarquer dans ses locaux. Ces deux banques sont en effet soupçonnées d’avoir fraudé sur la véritable nature des investissements labellisés « Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance » (ESG) qu’elles proposaient sur les marchés boursiers. Le label « ESG » est censé évaluer la bonne qualité environnementale ou sociale d’une entreprise, pour proposer des investissements « responsables ». Les institutions de régulation boursière allemande et américaine soupçonnent la Deutsche Bank et Goldmann-Sachs d’avoir mis en place un véritable « greenwashing boursier », en glissant sous le label « ESG » des actions d’entreprises qui sont en réalité très polluantes.

Une bulle spéculative « éco-responsable » ?

Contrairement à ce que prétendent les journaux réformistes qui affirment que ces enquêtes des régulateurs boursiers visent à défendre l’environnement contre les spéculateurs, l’objectif est tout autre. Il s’agit de protéger les marchés contre le développement d’une bulle spéculative. Dans le contexte de la crise climatique, nombre de capitalistes souhaitent améliorer leur image en investissant dans des entreprises « vertes » à travers ces fonds « ESG ». Les investissements dans la lutte contre le dérèglement climatique ont donc atteint des sommets : ce marché devrait atteindre les 3 000 milliards de dollars cet été. Cela fait craindre à de nombreux économistes que cette course aux investissements « éco-responsable » ne finisse par dégénérer en une bulle spéculative dont l’éclatement pourrait être catastrophique (le récent krach de la bulle des crypto-monnaies n’est pas pour les rassurer). Comme le résume la Banque Centrale Européenne, « le greenwashing pose un risque pour la stabilité financière ».

Les différents gendarmes économiques aux Etats-Unis et en Europe préparent donc une nouvelle réglementation de ces marchés, pour tenter de limiter ce risque. Là encore, rien de vraiment « éco-responsable ». Ces nouvelles règles devraient par exemple permettre à des entreprises spéculant sur les énergies fossiles d’être classées sous ce fameux label « ESG ». La France et l’Allemagne ont même essayé de faire classer le gaz et le nucléaire comme « énergies vertes » par le Parlement européen. Ces nouvelles réglementations ne lutteront donc pas contre le « greenwashing boursier », elles se contenteront de l’encadrer pour tenter de garantir la « stabilité » des profits qu’il génère. Le capitalisme est incapable de lutter contre la crise climatique. Alors que la catastrophe menace, ils n’y voient qu’une occasion de spéculer au Casino de la bourse.

En avril dernier, le « Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat » (GIEC) publiait son rapport annuel. Le bilan est alarmant : la quantité de gaz à effet de serre (GES) rejetée dans l’atmosphère continue d’augmenter, et nous assistons à une intensification des événements climatiques extrêmes. Le rapport pointe l’inaction des gouvernements et souligne que nous sommes encore très loin de pouvoir respecter l’objectif fixé par la COP21 (2015) : limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Pour y parvenir, les émissions de GES devraient commencer à décroître d’ici 2025. Or, ce n’est pas du tout la tendance actuelle.

Les gouvernements bourgeois qui se succèdent promettent tous de prendre le problème « à bras le corps ». Mais en réalité, ils ne font rien pour combattre sérieusement le réchauffement climatique. Et pour cause : ils défendent le système capitaliste, qui est le véritable responsable de la crise environnementale.

Les gaz à effet de serre

Le rapport du GIEC montre qu’entre 2010 et 2019, les émissions anthropiques (liées à l’activité humaine) de GES étaient supérieures à celles de toutes les décennies précédentes. Pourtant, la croissance économique était inférieure à celle de la décennie 2000-2009. La « transition écologique » promise par les dirigeants du monde entier n’a pas avancé d’un pouce.

Dans la lutte contre les émissions de GES, le secteur de la production énergétique est central. Si nous exploitons jusqu’à leur fin de vie les infrastructures actuelles à charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons sans nul doute les 1,5 °C. Sur le papier, il serait possible de remplacer une grande partie des énergies fossiles par des alternatives moins polluantes. Cependant, les subventions publiques attribuées aux énergies renouvelables ont paralysé le marché mondial de l’électricité. L’arrivée de grandes quantités d’électricité verte et à bas coût a tiré les prix vers le bas, menaçant la rentabilité des centrales à gaz et à charbon. En réaction, les nouvelles aides gouvernementales se sont concentrées sur le soutien aux grandes multinationales de l’énergie. L’investissement privé dans les nouvelles énergies s’est effondré. Conclusion : le marché ne peut pas résoudre le problème, car il est le problème.

Evénements climatiques extrêmes

Les conséquences de ce terrible constat ne se font pas attendre. Récemment, la sixième limite planétaire [1], le cycle de l’eau douce, a été franchie. Cela se traduit par une augmentation et une aggravation des épisodes de sécheresse, des pénuries d’eau, des tempêtes et des inondations. Si cette trajectoire se confirme, les pays méditerranéens et d’Amérique centrale deviendront plus secs, tandis que les moussons deviendront plus intenses dans le Sud-Est asiatique. Cette perturbation du cycle de l’eau pourrait également avoir commencé à accélérer la fonte des glaces dans les régions polaires.

En mars, aux Etats-Unis, les feux se sont multipliés dans l’Etat du Colorado, alors que la saison y est habituellement propice à la neige. En avril, l’Inde et le Pakistan ont été confrontés à une vague de chaleur historique (avec des pics à 50 °C) et des pénuries d’eau. Le bilan humain est de plusieurs dizaines de morts. Dans la Corne de l’Afrique (Somalie, Ethiopie, Kenya), la sécheresse menace de famine 20 millions de personnes.

Conséquences économiques

Les conséquences du réchauffement climatique sont aussi économiques. Par exemple, la vague de chaleur en Inde a perturbé la production mondiale de blé, déjà fortement impactée par la guerre en Ukraine. En conséquence, le prix du blé a augmenté d’un tiers, ce qui aura des répercussions sur le prix d’autres denrées alimentaires, car les consommateurs se tourneront vers le riz et les pommes de terre, notamment. L’actuelle pénurie de moutarde est la conséquence de la sécheresse historique qu’a connue le Canada, l’année dernière.

Le réchauffement climatique est non seulement responsable de 300 000 morts par an, mais il coûte aussi 125 milliards de dollars chaque année, en moyenne, dont la moitié est supportée par les pays pauvres.

Un seul responsable : le capitalisme

Les chiffres sont désormais bien établis. 100 multinationales sont responsables de plus de 70 % des émissions de GES – et seulement 20 sont responsables du tiers de tout le CO2 émis depuis 1965. La propagande sur la « responsabilité individuelle » de chacun est un leurre réactionnaire. Les véritables responsables sont bien identifiés : ce sont les grandes multinationales qui saccagent l’environnement. Si elles étaient nationalisées, dans le cadre d’une planification démocratique de la production, elles pourraient employer les technologies propres les plus modernes pour réduire drastiquement la pollution et garantir à chacun un niveau de vie décent. Sur la base du socialisme, la classe ouvrière et la jeunesse pourraient inverser le cours des choses et mettre fin à la crise climatique. Mais pour cela, plus que jamais, il faut une révolution !


[1] Au nombre de neuf, ce sont les limites physiques que l’humanité doit respecter pour ne pas compromettre les conditions de sa propre existence.