Economie
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- Guillaume E.
Chaque minute, dans le monde, cinq personnes meurent par manque d’eau potable. Les catastrophes liées au réchauffement climatique dégradent les ressources en eau et menacent la vie de millions d’individus. La planète affronte des périodes de sécheresse extrême suivies par des pluies diluviennes.
Ces désastres détruisent ou contaminent les sources d’eau potable, ce qui expose les populations à de nombreuses maladies : déshydratation, dysenterie, choléra… Plus de 700 enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour à cause de maladies diarrhéiques.
Selon l’UNICEF, 2,2 milliards de personnes sont privées d’accès à l’eau courante dans leur foyer, tandis que la moitié de la planète se trouve dépourvue d’un système d’assainissement de bonne qualité. La gestion rationnelle de cette ressource est une urgence vitale. Cependant, l’eau est aussi une marchandise très lucrative, et la classe dirigeante réalise des profits colossaux sur « l’or bleu » du XXIe sècle.
La création d’un marché
En 1989, Margaret Thatcher est la première à privatiser cette ressource en bradant la totalité du secteur au Royaume-Uni. Des fonds d’investissement flairent la bonne affaire et se disputent les parts de marché comme des rapaces.
Par exemple, en 2006, le fonds d’investissement de la banque Australienne Macquarie s’empare de Thames Water, une entreprise de gestion et d’assainissement de l’eau londonienne. Ce fonds d’investissement est dit « vautour » : il rachète des dettes émises par une entreprise en difficulté, avec le droit d’intervenir sur sa stratégie. Il verse le maximum de dividendes à ses actionnaires – puis s’en va, laissant une dette dépassant de loin celle de départ. Cette stratégie de privatisation de l’accès à l’eau sera reprise par de nombreux parasites à l’échelle mondiale.
Aujourd’hui, Thames Water est endettée à hauteur de 14 milliards de livres sterling. Les infrastructures n’ont jamais été sérieusement rénovées et fuient de toute part. En 2017, l’entreprise a été condamnée par la justice britannique pour avoir déversé des millions de litres d’eau polluée dans des cours d’eau naturels. Aux dégâts environnementaux s’ajoutent les tarifs élevés que payent les consommateurs, pour éponger la dette accumulée.
Justification bourgeoise
Pour justifier l’injustifiable, les économistes bourgeois et le grand patronat redoublent d’hypocrisie et de mauvaise foi. Ils l’expliquent sans sourciller : faire payer l’eau, c’est la solution idéale contre les pénuries ! Peter Brabeck, PDG de Nestlé, déclarait en 2005 : « La question est de savoir s’il faut privatiser l’alimentation en eau. Deux points de vue s’affrontent à ce sujet. Le premier, que je qualifie d’extrême, est représenté par les ONG pour qui l’accès à l’eau devrait être nationalisé. Autrement dit, tout être humain doit avoir accès à l’eau. C’est une solution extrême. Et l’autre qui dit que l’eau est une denrée alimentaire, et que, comme toute denrée, elle a une valeur marchande. Il est préférable, selon moi, de donner une valeur à une denrée afin que nous soyons tous conscients qu’elle a un coût ».
En 2007, les autorités australiennes tenaient le même discours lors de la promulgation de leur « Water act ». Sous couvert de rationaliser la consommation en eau, le gouvernement australien fixe le volume d’extraction autorisé, puis les entreprises s’échangent les droits d’accès sur le marché.
C’est en Californie – frappée par des sécheresses à répétition – que s’est développée la dernière étape de la spéculation sur l’eau, en 2018. Un indice sur son prix a été créé, le « Nasdaq Veles California Water Index ». L’indice augmente en période de sécheresse. En 2020, la ressource entre à la bourse de Chicago, où des contrats à terme peuvent être échangés. Les banques californiennes spéculent sur « le cours de l’eau » et tirent profit des pénuries liées au réchauffement climatique.
Impérialisme et agro-industrie
Au début des années 1990, le FMI et la banque mondiale imposaient à de nombreux pays « en voie de développement » de mener des politiques « d’ajustement structurel », c’est-à-dire des coupes budgétaires et des privatisations massives. Dans les années 2000, les groupes français Vivendi et Suez, ainsi que Thames Water, étendaient leur emprise sur 130 pays dans le monde, concentrant plus de 70 % des parts de marché de l’eau.
Ces privatisations provoquèrent une flambée des prix. A Nairobi, la capitale du Kenya, le tarif de l’eau a bondi de 40 % à l’arrivée de Véolia, dans un contexte où la population était déjà frappée d’une pauvreté extrême et de pénuries mortelles.
En 1994, la signature de l’ALENA, un traité de libre-échange entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, facilitait l’implantation agressive de Coca-Cola au Mexique. L’entreprise a construit 27 concessions de pompage pour capter l’eau nécessaire à la production de sodas. Dans le Chiapas, la compagnie a l’autorisation de pomper plus de 500 millions de litres d’eau par an, ce qui assèche la nappe phréatique concernée et prive les habitants d’un bon accès à l’eau. Coca-Cola nous livre un exemple éloquent des aberrations qui peuvent découler de la production capitaliste : au Mexique, une bouteille de Coca peut coûter moins cher qu’une bouteille d’eau potable !
Dans la majorité des pays soumis à l’impérialisme, l’agriculture est un secteur d’activité fondamental. Mais il y a un gouffre entre les paysans pauvres et les grandes firmes agricoles. Les ouvrages de stockage de l’eau se multiplient, sous forme de lacs artificiels et de méga-bassines. Les droits d’accès à l’eau sont principalement réservés aux gros agriculteurs. Les conséquences sont terribles pour la masse des paysans pauvres, qui perdent leur seul moyen de subsistance.
Par exemple, en 2006, une sécheresse dévastatrice frappait la Syrie et poussait les paysans pauvres à l’exode rural. Ce fut l’un des éléments qui a préparé l’explosion révolutionnaire de 2011. Régulièrement, dans de nombreuses régions du monde, des « manifestations de la soif » éclatent, sur fond de pénurie d’eau et de révolte contre l’impérialisme.
La France : avant-garde de la régression
« L’eau est un bien commun », déclarait Emmanuel Macron le 30 mars dernier. Il dévoilait alors son « plan eau », censé lutter contre les épisodes de sécheresse. « Il faut garantir à tous les Français une eau potable de qualité », poursuivait-il, avant de terminer par la traditionnelle fausse solution des capitalistes : « une tarification progressive et responsable sera généralisée à toute la France ». En bref, la lutte du gouvernement Macron contre la sécheresse consiste à taxer les familles nombreuses et les jardiniers du dimanche.
Selon le Bureau de recherches géologiques et minières, 32 milliards de mètres cubes d’eau sont pompés chaque année, en France. Entre 30 et 50 % (selon les sources) sert à refroidir les centrales nucléaires ; la part des usages domestiques, celle que vise le gouvernement, est minime : 5,4 milliards. Le reste est principalement consommé par l’irrigation et l’industrie.
En France, l’eau est loin d’être « un bien commun », comme l’affirme Emmanuel Macron. Les infrastructures hydriques sont privatisées à plus de 60 %. Les effets de l’agro-industrie et du manque d’investissements accentuent la pollution chronique des eaux. Les monopoles ont tout le loisir de contourner le principe « pollueur-payeur », pourtant inscrit dans la loi. Lorsque des usines de dépollution de l’eau sont construites, la facture n’est pas payée par les grandes firmes agricoles qui remplissent les eaux de nitrates et pesticides – mais par les usagers, via une hausse drastique des tarifs à la consommation.
La privatisation ne se limite pas aux systèmes de distribution et d’assainissement. Le géant Nestlé pompe intensément la nappe phréatique de Vittel, dans les Vosges, et Danone fait de même dans les sous-sols volcaniques de Volvic, dans le Puy-de-Dôme. Les habitants de ces territoires en souffrent directement. Les bouteilles d’eau minérale sont ensuite vendues entre 100 et 300 fois plus chères que l’eau courante.
Enfin, les territoires d’outre-mer subissent de plein fouet la gestion capitaliste de l’eau. Avant de se retirer de la Guadeloupe en 2015, Véolia a participé à l’empoisonnement de milliers de Guadeloupéens au chlordécone, faute d’investissements dans les infrastructures de dépollution. A l’heure où nous écrivons ces lignes, Mayotte subit une crise de l’eau sans précédent. Ses habitants sont privés d’eau potable deux jours sur trois. Les établissements scolaires ferment et « des manifestations de la soif » éclatent.
Quel programme ?
En 2021, une commission d’enquête parlementaire trans-partisane impulsée par Mathilde Panot (FI) a prouvé, faits et chiffres à l’appui, que la privatisation de l’eau a de lourdes conséquences sur la santé et l’environnement. La France insoumise propose d’inscrire dans la Constitution française « l’eau comme bien commun et la protection de l’ensemble de son cycle, y compris les nappes phréatiques ». Elle propose aussi la création d’une régie publique de l’eau. Comme le résume Olivier Serva (LIOT), rapporteur de l’enquête parlementaire : « L’érection de ce principe ne revient pas à nationaliser les eaux, mais à rendre obligatoire leur gestion en commun ». Or c’est justement là que le bât blesse.
Véolia et les autres multinationales de l’eau n’abandonneront pas gracieusement leur mainmise sur cette ressource. On peut bien inscrire tout ce qu’on voudra dans la Constitution, cela n’aura aucun effet concret tant que les infrastructures hydriques resteront la propriété d’une petite minorité de gros capitalistes.
Le mouvement ouvrier doit se doter d’un programme concret et offensif sur la gestion de l’eau et des ressources naturelles en général. Il faut exproprier les grandes multinationales de l’eau et de l’agro-industrie, comme Véolia, Danone ou Lactalis. Il faut lutter pour la nationalisation du BTP, ce qui permettra d’engager un grand plan de rénovation des infrastructures hydriques. Il faut défendre la création d’un service public de l’eau géré démocratiquement par les travailleurs et les consommateurs. Enfin, la nationalisation des banques permettra de financer la recherche scientifique pour lutter contre la sécheresse et mettre en œuvre une gestion rationnelle des terres agricoles et des ressources naturelles.
Des conflits entre plusieurs pays éclatent déjà pour le contrôle de fleuves, comme celui qui oppose l’Egypte à l’Ethiopie sur les eaux du Nil. Ces conflits se multiplieront et s’amplifieront à mesure que le réchauffement climatique s’accentuera. La division du monde en Etats-nations est incompatible avec une gestion rationnelle de l’eau, qui est une ressource inégalement répartie sur la planète. Seule une révolution socialiste jettera les bases d’une société qui permettra de fournir une eau potable et de qualité à l’ensemble de la population mondiale.
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- Guillaume E.
Le 24 avril dernier, le géant français LVMH – champion mondial du luxe – a franchi la barre des 500 milliards de dollars de capitalisation boursière. C’est un record historique pour une entreprise européenne. Son PDG et actionnaire principal, Bernard Arnault, est désormais l’homme le plus riche du monde. Sa fortune personnelle oscille autour des 200 milliards de dollars, soit un peu moins que le PIB de la Grèce.
Si le déficit de la balance commerciale de la France ne cesse d’augmenter depuis de nombreuses années, la faute n’en revient pas à l’industrie française du luxe, car ses exportations se portent merveilleusement bien. Elles ont même explosé depuis la levée des restrictions sanitaires, et les actionnaires de ce secteur se gavent plus que jamais. Parmi les dix marques françaises les plus valorisées en bourse, huit appartiennent au secteur du luxe et de la beauté.
Historiquement, la bourgeoisie française s’est souvent drapée d’une image de raffinement et d’élégance. Cette « classe à la française » repose sur un savoir-faire très poussé en matière d’exploitation brutale de la classe ouvrière.
Une vieille histoire
Dès la Renaissance, la noblesse féodale baigne dans le luxe. Elle raffole des miroirs d’Italie, des tapisseries de Flandre et des parfums d’Orient. En 1661, Jean-Baptiste Colbert, nommé contrôleur général des finances par Louis XIV, est confronté – déjà ! – au déficit de la balance commerciale du pays. Il en impute la faute aux nobles qui dépensent des sommes colossales en produits de luxe étrangers. La solution coule de source : il faut développer l’industrie française du luxe. Cela tombe bien, le « Roi-Soleil » exige que son pouvoir rayonne d’opulence.
Le régime commence donc à subventionner l’implantation de manufactures de luxe sur tout le territoire. Dorénavant, les nobles pourront s’offrir les miroirs de Saint-Gobain, les faïences de Marseille et la soie de Lyon. Soit dit en passant, les recettes tombent dans les poches de la bourgeoisie, qui s’en trouve puissamment renforcée.
En 1789-94, la Grande Révolution française balaye l’ordre féodal et lève les restrictions diverses que l’Ancien Régime imposait à la bourgeoisie en pleine ascension. En juillet 1830, une autre révolution renforce l’assise de la bourgeoisie comme classe dirigeante et accélère le développement du capitalisme en France.
Sous la monarchie de Juillet (1830-1848), l’exploitation de la classe ouvrière s’intensifie et se généralise. Les bourgeois s’enrichissent et souhaitent, comme les anciens nobles, s’orner de produits de luxe en tout genre. En 1837, Thierry Hermès fonde sa maroquinerie pour l’équitation. En 1847, Louis-François Cartier ouvre sa fabrique de bijoux et de montres. En 1854, sous le Second Empire, Louis Vuitton fonde sa marque de malles pour le voyage. La production du luxe s’amplifie et se standardise afin de répondre à la demande croissante des plus riches.
Monopoles
Cependant, c’est lors des Trente glorieuses, après la Deuxième Guerre mondiale, que le marché et l’industrie du luxe connaissent leur croissance la plus rapide. Cette phase d’expansion inédite du capitalisme mondial stimule l’accumulation des richesses comme jamais auparavant. En conséquence, la demande pour les produits de luxe explose. En 1954, les grandes marques hexagonales créent un lobby, le Comité Colbert, dans l’objectif de protéger les intérêts des capitalistes français de ce secteur. Ce Comité s’associe officiellement à des institutions publiques telles que l’Opéra de Paris, la Douane Française et Air France.
Sur fond de rachats et de fusions d’entreprises, de grands monopoles se développent et s’imposent. Le géant Kering, de François Pinault, possède 15 marques ; la famille Bettancourt (groupe L’Oréal) en détient 34. Fondé en 1987 par la fusion de Louis Vuitton (maroquinerie) et Moët Hennessy (vins et spiritueux), LVMH possède 75 marques, auxquelles il faut ajouter des médias, dont Le Parisien et Les Echos. Entre 2007 et 2022, le chiffre d’affaires annuel de LVMH bondit de 16 à 79 milliards de dollars.
Les principaux marchés des grands groupes français du luxe sont à l’étranger – et d’abord en Chine et aux Etats-Unis, où l’énorme accroissement des inégalités stimule fortement ce secteur. Cependant, cette dépendance du luxe français aux exportations est aussi son talon d’Achille, comme l’a montré la chute des actions de ce secteur sur les marchés boursiers, le 23 mai dernier. En cause : les inquiétudes liées au dérapage incontrôlé de la dette publique américaine. En une seule journée, la fortune de Bernard Arnault a fondu de 11 milliards de dollars. C’était un sérieux avertissement. L’envol spectaculaire du luxe français, ces dernières décennies, pourrait être brutalement interrompu par les profondes crises qui menacent les économies américaine et chinoise.
La théorie de la valeur
Les marchandises de luxe déroutent nombre d’économistes bourgeois. Certains voient dans leurs prix exorbitants une preuve que leur valeur serait totalement subjective. Selon Stéphane Truchi, directeur de l’institut de sondage IFOP, « le luxe échappe aux lois rationnelles de la consommation. Il n’y a pas forcément de relation entre la valeur de l’objet et le prix de vente ; l’inaccessible fait partie du rêve et construit le désir ».
Ainsi, les prix de ces marchandises seraient uniquement déterminés par le « rêve » et le « désir » qu’un sac Dior ou Louis Vuitton, par exemple, suscitent chez des consommateurs assoiffés de prestige… En réalité, tout ce charabia vise à masquer l’origine réelle de la valeur de ces marchandises. Karl Marx expliquait que le prix des marchandises – de la boite d’allumettes comme du collier de diamants purs – n’est que l’expression monétaire de sa valeur, laquelle est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. « Socialement nécessaire » signifie : compte tenu du niveau de productivité moyen atteint par la société. Ainsi, le prix d’une marchandise oscille autour de sa valeur réelle – et cette oscillation est elle-même déterminée par les pressions de l’offre et de la demande.
Prenons l’exemple d’un sac Hermès. Un ouvrier très qualifié travaille plus de 18 heures pour assembler un seul sac. Mais avant l’assemblage, il aura fallu plus de 40 étapes de transformation apportées au cuir. Si ce sac contient des pierres précieuses, il faut y ajouter le temps d’extraction de celles-ci, et ainsi de suite. Le temps de travail socialement nécessaire à la production d’un sac Hermès est donc considérablement plus élevé que le temps de travail socialement nécessaire à la production d’un sac-à-dos Décathlon, par exemple. Telle est la raison fondamentale de la différence de prix entre les deux. En outre, la situation de monopole des grands groupes du luxe leur permet de gonfler les prix de leurs marchandises, c’est-à-dire de le porter très au-dessus de leur valeur réelle. Faute de concurrence, pourquoi se gêner, si la demande est forte ?
Exploitation et sous-traitance
Dans le « Code de conduite » officiel de LVMH, nous pouvons lire : « LVMH veille à ce que ses activités soient menées dans le respect des droits des personnes et encourage l’amélioration continue des conditions sociales, sociétales et sanitaires ». Ce serait risible si les conséquences de ces « activités » n’étaient pas aussi dramatiques.
Une grande partie de la production du « luxe français » est externalisée et délocalisée en Asie, en Europe de l’Est et en Italie. Dans un rapport intitulé « La brutale histoire du cuir », plusieurs ONG ont rendu compte, dans le détail, des méthodes de production employées à Santa Croce, en Toscane. A elle seule, cette ville compte plus de 400 fabriques de cuir.
Entre 2011 et 2014, des contrôles réalisés dans 181 entreprises de ce secteur ont établi que 88 d’entre elles avaient recours à des méthodes illégales. Sur 999 travailleurs, 208 étaient victimes de contrats de travail illégaux. Les entreprises de Toscane exploitent brutalement des travailleurs immigrés, souvent sénégalais, qui sont extrêmement mal payés. Ils sont promenés d’une entreprise à l’autre avec des contrats d’intérim d’une journée, voire d’une demi-journée. Ils triment parfois plus de 13 heures par jour. Soumis à des cadences de travail infernales, ils sont deux fois plus victimes d’accidents du travail que les ouvriers italiens.
La Commission européenne, qui avait initialement financé cette enquête, a préféré renier le rapport – sous la pression de « Cotance », le lobby européen du cuir.
La sous-traitance généralisée ne se limite évidemment pas à la tannerie. En France, des dizaines d’entreprises spécialisées dans diverses activités servent les grandes maisons du luxe. Ici aussi, les cadences et l’exploitation s’intensifient pour répondre à la demande croissante des donneurs d’ordre.
Dans ce contexte, des grèves éclatent, logiquement. En 2014, les maroquinières de l’entreprise Thomas ont bloqué leur usine pendant cinq jours. En 2016, les 300 salariés de la Manufacture de maroquinerie du Dauphiné ont fait grève pendant une semaine et arraché 45 euros d’augmentation de salaire. L’année dernière, les 550 couturières de l’usine Arco ont obtenu 100 euros de hausse de salaire mensuel et des améliorations substantielles de leurs conditions de travail. Toutes ces entreprises sous-traitantes travaillent pour LVMH.
Luxe et socialisme
Face aux profits colossaux que dégage ce secteur, il faut le nationaliser – sous-traitance comprise – et le placer sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes. Il va sans dire qu’aucun dédommagement ne doit être versé aux Bernard Arnault, François Pinault et autres parasites milliardaires.
Une fois expropriée dans le cadre d’une planification démocratique de l’économie, cette industrie contribuera aux secteurs publics de l’hygiène, des cosmétiques et du textile. Elle sera directement liée aux secteurs de la santé. Naturellement, il faudra aussi nationaliser les banques, de façon à financer massivement la recherche scientifique dans ces domaines, comme dans tous les autres.
Sous le capitalisme, les clients réguliers de l’industrie du luxe ne forment qu’une toute petite minorité de la population. Sous le socialisme, cette industrie sera tournée vers la satisfaction des besoins de tous. Précisément pour cette raison, il ne s’agira pas de fournir des colliers d’émeraudes à tout un chacun, mais d’améliorer sans cesse la qualité des produits de consommation courante, à commencer par les biens de première nécessité.
Le luxe bourgeois – si souvent futile et tape-à-l’œil – cèdera la place à une élévation générale et indéfinie de la qualité de l’ensemble des produits consommés par la population, mais aussi du confort dont elle bénéficiera dans tous les aspects de la vie : logement, transports, loisirs, etc. Le luxe perdra son caractère privé, égoïste, au profit d’un mouvement général d’élévation de la culture humaine.
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- La rédaction
Après l’effondrement de quatre banques aux Etats-Unis et en Suisse, mi-mars, les marchés financiers cherchent avec inquiétude quel pourrait être le prochain maillon faible. Le 24 mars, c’est la Deutsche Bank qui a contemplé l’abîme : ses actions ont chuté de 13 %.
Cette situation est une nouvelle illustration du fait qu’aucun des problèmes fondamentaux de l’économie mondiale n’a été réglé depuis la grande crise de 2008. De fait, tout concourt à préparer une crise encore plus profonde qu’en 2008.
Quand plus rien n’est « sûr »
Mi-mars, une banque régionale américaine, la Silicon Valley Bank (SVB), s’est effondrée après que ses clients – des entreprises, pour l’essentiel – en ont massivement retiré leurs fonds. Ce faisant, ils ont eux-mêmes précipité la faillite qu’ils redoutaient. Tel fut le point de départ d’une réaction en chaîne qui a poussé deux autres banques au bord du gouffre : la Signature Bank et la First Republic. Pour tenter d’éteindre l’incendie, la Banque centrale américaine (la « Réserve fédérale ») a été contrainte de « garantir » les avoirs de tous les clients.
Ces faillites ont été précipitées par le changement récent de la politique monétaire de la Réserve fédérale. Après la crise de 2008, les banques centrales – aux Etats-Unis comme ailleurs – ont injecté des quantités inédites d’argent sur les marchés, notamment en rachetant de grandes quantités de titres de dettes publiques (les obligations d’Etat), ce qui avait pour effet de garantir de faibles taux d’intérêt sur ces titres.
Jusqu’à récemment, les obligations d’Etat représentaient un investissement « sûr », pour les banques, précisément parce que ces obligations étaient garanties par la politique de rachat des banques centrales. La plupart des banques ont donc acheté de grandes quantités d’obligations. Ce processus était d’ailleurs encouragé par les réglementations introduites après la crise de 2008, qui visaient à imposer aux banques de disposer d’une certaine proportion d’actifs « sûrs ». Le problème est que ces obligations, autrefois « sûres », ne le sont plus autant aujourd’hui.
En arrosant les marchés de liquidités, les banques centrales ont évité un effondrement de l’économie mondiale, mais elles ont aussi puissamment contribué à l’inflation galopante qui s’est manifestée dès l’automne 2021. En réaction à la crise inflationniste, les banques centrales ont dû opérer un virage brutal. Alors que leurs taux d’intérêt étaient longtemps restés très bas, elles les ont augmentés à un rythme inédit depuis le début des années 1980. Par exemple, le taux directeur de la Réserve fédérale américaine était de 0 % en mars 2022 ; il frôle aujourd’hui les 5 %.
L’objectif des banques centrales était d’enrayer la hausse de l’inflation en mettant les marchés au régime sec. Mais le risque, évidemment, était de déstabiliser un système financier drogué aux liquidités gratuites.
Comme beaucoup d’autres banques, la SVB disposait d’une importante réserve d’obligations d’Etat accumulées au fil des années, lorsque les taux d’intérêt étaient très bas. Le problème s’est posé lorsque la banque a voulu vendre ces obligations pour couvrir les retraits opérés par ses clients. En effet, qui voudra acheter une obligation d’Etat ne rapportant que 1 % d’intérêt, alors que le gouvernement américain en vend désormais à des taux d’intérêt proches de 4 % ? En conséquence, la SVB a dû vendre ces obligations à perte, ce qui a renforcé les inquiétudes sur sa solvabilité et a donc poussé davantage ses clients à retirer leurs fonds. La banque a plongé dans un cercle vicieux qui l’a très rapidement propulsée vers une faillite pure et simple. Le même scénario s’est répété pour la Signature Bank et la First Republic. Il a fallu l’intervention de la Réserve fédérale américaine pour sauver ces banques, c’est-à-dire les renflouer et garantir les dépôts de leurs clients.
La même semaine, le Credit Suisse – un géant bancaire helvétique – s’est effondré à son tour au terme d’un processus globalement similaire à celui que nous venons de décrire. Là encore, l’Etat suisse est intervenu. Pour éviter un « effet domino » sur les marchés, le gouvernement suisse a obligé la banque UBS, principale rivale du Credit Suisse, à racheter ce dernier, fut-ce à perte. Et tant pis pour la « main invisible » du marché !
Entreprises « zombies »
Contrairement aux banques américaines en faillite, le Credit Suisse est l’une des 30 plus grandes banques au monde. Sa faillite effective, sans « sauvetage », aurait eu un gros impact à l’échelle mondiale.
Un élément qui pousse les banques centrales à intervenir consiste précisément dans le développement de la concentration bancaire depuis trois décennies. En 1992, les trois plus importantes banques américaines contrôlaient environ 10 % de ce secteur. Aujourd’hui, ce chiffre est monté à 40 %. La concentration est encore plus importante dans le reste du monde. Dans la plupart des pays, les trois premières banques contrôlent entre 60 et 80 % du secteur bancaire. De ce fait, l’impact de la faillite d’une seule de ces banques ne peut pas manquer d’entraîner une réaction en chaîne. Les gouvernements doivent donc – encore et toujours – renflouer les banques en difficulté pour éviter une crise générale.
Les banques citées ci-dessus se sont révélées être des maillons faibles, mais elles sont loin d’être les seules candidates à la faillite. Dans un article du Financial Times du 21 mars, l’économiste britannique Martin Wolf affirmait que la plupart des banques du monde souffrent du même problème : si elles devaient vendre leurs actifs, ceux-ci perdraient une grande part de leur valeur, au point de rendre ces banques de facto insolvables. Chaque banque placée dans cette situation serait donc inexorablement entraînée vers la faillite. Pour éviter un effet domino sur les marchés, les banques centrales seraient donc amenées à garantir les dépôts de ces banques, comme l’a fait la Réserve fédérale américaine.
Cette politique de renflouement systématique a des conséquences très concrètes. Elle maintient en vie des banques qui devraient faire faillite, normalement. D’après la logique absurde et anarchique du marché capitaliste, les crises et les faillites sont censées jouer un rôle de « sélection naturelle » entre les différentes entreprises. Or ce processus ne fonctionne plus, car pour éviter une crise générale, les gouvernements et les banques centrales sont constamment en train de renflouer des entreprises en difficulté. Ce faisant, elles créent des entreprises « zombies » qui perdent continuellement de l’argent, mais sont maintenues artificiellement en vie grâce au crédit et aux aides publiques. Loin de garantir la solidité du marché, cette politique multiplie les bombes à retardement boursières.
La hausse des taux d’intérêt des 18 derniers mois devait justement mettre un terme à cette situation. Mais dès que la perspective d’une crise générale est apparue – avec toutes ses conséquences politiques et sociales – les banques centrales et les Etats ont renoncé au fameux « laissez faire » du « libre marché ».
Tout ceci, bien sûr, ne règle aucun des problèmes fondamentaux – et les aggrave même. En garantissant ainsi les dépôts, les banques centrales se lient à des entreprises en crise et se mettent donc elles-mêmes en danger. Elles risquent de transformer la crise du système bancaire privé en une crise des banques centrales – autrement dit, en une crise financière générale du système capitaliste.
D’une crise à l’autre
Il est remarquable que les gouvernements américain et suisse ont tous deux lourdement insisté sur le fait que les banques et les actionnaires allaient devoir contribuer au sauvetage de la SVB, de First Republic ou encore du Credit Suisse. Ces gouvernements sont bien conscients de l’impact, sur la conscience des travailleurs, qu’aurait le spectacle de nouveaux chèques en blanc donnés aux banquiers, après plus d’une décennie d’orgie boursière et de dividendes records.
Après la crise des obligations d’Etat en 2011, la crise économique provoquée par le Covid et l’effondrement des emprunts britanniques, en septembre dernier, nous assistons aux prémisses de la quatrième importante crise financière depuis 2008. Malgré cette succession de crises, de nombreuses entreprises se portent très bien en termes de profits. L’année dernière, les entreprises du CAC 40 ont engrangé des profits records. Total Energies a réalisé les plus gros profits de son histoire. LVMH, Vinci, L’Oréal et BNP Paribas ont annoncé des résultats impressionnants. Problème : ces profits exceptionnels et les milliards d’euros de dividendes versés aux actionnaires sont une véritable insulte aux travailleurs qui peinent à joindre les deux bouts à cause de l’inflation et de la crise énergétique, après quinze ans de contre-réformes et de politiques d’austérité.
Voilà ce qui explique les discours de « fermeté » des gouvernements, qui font mine de menacer les actionnaires de pertes sèches. C’est surtout de la communication à l’attention des masses. Le nœud du problème, c’est que les investisseurs vendent parce qu’ils craignent de perdre de l’argent. Et ce n’est pas en les menaçant de pertes sèches que les gouvernements vont les rassurer ! Au contraire : cela pourrait multiplier les risques d’une panique et d’une contagion de faillites.
Bien sûr, si le problème se limitait à quelques banques, il serait tout à fait possible de mettre les capitalistes à contribution sans menacer l’équilibre des marchés. Mais c’est l’ensemble du système bancaire qui est sous pression. Une autre banque ne tardera pas à connaître les mêmes déboires que la SVB et le Credit Suisse. Et au final, c’est bien à la classe ouvrière que les gouvernements demanderont de payer le prix des sauvetages bancaires – du moins jusqu’à ce que les travailleurs y mettent un terme en prenant le pouvoir et en nationalisant l’ensemble de ce secteur.
Dans l’immédiat, les principales banques centrales s’efforcent de lutter contre l’inflation en élevant leurs taux d’intérêt directeurs – au risque d’aggraver sans cesse les tensions sur le marché bancaire. Il n’y a pas de solution paisible à ce problème. Une crise comparable à celle de 2008 ne peut pas être exclue à court terme ; elle est inévitable à plus long terme.
Après de nombreuses années de politiques d’austérité et de contre-réformes, l’impact politique et social d’une nouvelle crise majeure serait bien plus rapide qu’après la crise de 2008. Face à des fermetures d’entreprises, des licenciements, l’augmentation du chômage, de nouvelles hausses d’impôts et de nouvelles coupes budgétaires, les travailleurs ne resteront pas longtemps passifs. Ils lutteront massivement pour défendre leurs salaires, leurs emplois et leurs conditions de vie.
Ces mobilisations ne pourront pas toujours être contenues par les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier. L’année dernière, l’inflation a été la cause directe d’un soulèvement révolutionnaire au Sri Lanka. Où éclatera le suivant ? Il est impossible de le prédire, mais il est clair que les prémisses de telles explosions révolutionnaires mûrissent dans tous les pays du monde.
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- Jérôme Métellus
A la fin de l’année 2022, l’inflation atteignait 6,2 % en France. Elle s’élevait à 7,1 % aux Etats-Unis, à 10,7 % en Grande-Bretagne, à 10 % en Allemagne et à 10,1 % dans la zone euro. Dans un certain nombre de pays, elle atteignait des niveaux vertigineux : 142 % au Liban, 61 % au Sri Lanka, 92 % en Argentine, 103 % au Soudan et 84 % en Turquie.
Après plusieurs décennies de relative stabilité des prix, au moins dans les grandes puissances capitalistes, quelles sont les causes de cette flambée inflationniste ? Par ailleurs, quels sont ses effets sur la lutte des classes ? Et comment le mouvement ouvrier doit-il riposter ?
La faillite des économistes bourgeois
Pour comprendre les causes de l’inflation, les économistes bourgeois ne nous sont pas d’un grand secours. De manière générale, ils se distinguent surtout par leur incapacité à anticiper les crises économiques. L’écrasante majorité d’entre eux n’avait pas anticipé la récession mondiale de 2008-2009. Ils n’ont pas davantage anticipé la crise inflationniste qui a démarré à l’automne 2021.
A l’inverse, les marxistes avaient anticipé ces deux crises. Bien sûr, nous n’avions pas prévu quand elles éclateraient : ce type de prédiction est impossible. Mais nous expliquions pourquoi ces crises étaient inévitables à plus ou moins court terme.
Lorsque la poussée inflationniste s’est manifestée aux quatre coins du monde, les économistes et les politiciens bourgeois se montraient rassurants : « cela ne durera pas ». Confiants dans la sagesse et l’efficience des marchés, ils voyaient dans l’augmentation des prix une oscillation passagère liée à une flambée de la demande, sur fond de reprise économique « post-Covid ». La « main invisible » du marché ne tarderait pas à régler ce problème : l’offre s’ajusterait à la demande, ce qui réduirait l’inflation – et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes.
A l’inverse, nous écrivions en novembre 2021 : « L’inflation s’infiltre dans un nombre croissant de secteurs. Elle se manifeste et se répercute mécaniquement tout le long de la chaîne productive, depuis les matières premières jusqu’aux produits finis. Plusieurs facteurs concourent à inscrire cette tendance inflationniste dans la durée : la reprise économique (marquée par un rebond de la demande), la pénurie de composants et de matières premières, le chaos qui règne dans les circuits d’approvisionnement internationaux, mais aussi les gigantesques quantités de liquidités dont les Etats et les Banques Centrales ont inondé l’économie mondiale depuis la crise de 2008. » [1]
Salaires, prix et profits
Par définition, l’inflation signifie une augmentation des prix : la même quantité d’argent permet d’acheter moins de biens et de services qu’auparavant. Comme la nuit suit le jour, la baisse du pouvoir d’achat stimule la lutte gréviste pour des augmentations de salaire. S’ils veulent défendre leur maigre pitance, les travailleurs n’ont pas le choix : ils doivent lutter.
Face à eux, ils trouvent l’avarice du patron, la poigne de l’Etat – et les raisonnements superficiels des économistes bourgeois, qui pointent un doigt accusateur vers les syndicats : « vos revendications salariales menacent d’aggraver l’inflation ! » C’est ce qu’ils appellent une « boucle prix-salaires » : les augmentations de salaire feraient augmenter les prix, qui à leur tour susciteraient de nouvelles revendications salariales, et ainsi de suite.
Cette théorie a été réfutée de longue date par Karl Marx dans Le Capital et dans Salaire, prix et profit. Résumons ses arguments.
Le prix d’une marchandise est l’expression monétaire de sa valeur, laquelle est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production. « Socialement nécessaire » signifie : compte tenu du niveau de productivité moyen atteint par la société.
Certes, le prix d’une marchandise oscille en fonction de l’offre et de la demande. Mais sous la pression de la concurrence, son prix tourne autour d’un niveau moyen qui est déterminé par la valeur de la marchandise – c’est-à-dire, encore une fois, par le temps de travail socialement nécessaire à sa production.
La force de travail des salariés est aussi une marchandise, dont la valeur est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à sa production, c’est-à-dire par la quantité de travail socialement nécessaire à la production de toutes les marchandises dont les travailleurs ont besoin pour vivre : nourriture, vêtements, logement, etc.
Dès lors, la source du profit capitaliste, c’est la différence entre la valeur totale créée par le travailleur pendant ses huit heures de travail quotidien (par exemple) et la valeur de sa force de travail (le salaire). Celle-ci doit être inférieure à la valeur totale produite pour qu’il y ait un profit. Sur le marché, ces valeurs prennent une forme monétaire, et leur prix est soumis aux variations de l’offre et de la demande. Mais il n’empêche : une augmentation de salaire n’augmente pas la valeur de la marchandise créée par le travailleur. Par contre, elle diminue de façon directe et immédiate le profit du capitaliste. C’est pour cette raison que la classe dirigeante s’y oppose de toutes ses forces.
99 fois sur 100, loin d’être une cause de l’inflation, la lutte pour des augmentations de salaire vise simplement à restaurer l’ancienne valeur de la force de travail, car l’inflation a pour effet de réduire cette valeur en minant le pouvoir d’achat des salaires. Pour le dire très simplement : lorsque les salariés sont confrontés à une inflation de 10 %, par exemple, ils ne peuvent maintenir la valeur de leur force de travail qu’en arrachant une augmentation de salaire de 10 %. Tous les travailleurs comprennent cela, car ils en ressentent les douloureux effets à la fin de chaque mois, une fois payés le loyer, les courses et les factures.
La formation des prix
Les « théoriciens » de la « boucle prix-salaires » veulent bien reconnaître, en général, que les augmentations de salaire ne se répercutent pas directement sur les prix. Mais ils sont formels : les augmentations de salaire se répercutent indirectement – et fatalement ! – sur les prix, car elles augmentent les frais de production, ce qui pousse les capitalistes à augmenter leurs prix pour défendre leurs marges de profit.
Nul doute que les capitalistes chérissent leurs marges de profit plus que tout au monde. Nombre d’entre eux tueraient père et mère pour défendre ces marges. Seulement voilà : comme l’expliquait Marx, le capitaliste individuel ne peut pas librement fixer le prix des marchandises qu’il jette sur le marché. En effet, au-dessus d’un certain prix, une marchandise est certes rentable, sur le papier, mais elle n’est plus compétitive, la concurrence étant moins chère. Inversement, le capitaliste individuel ne peut pas baisser arbitrairement les prix : en dessous d’un certain prix, la marchandise est certes compétitive, mais elle n’est plus rentable. Dans les deux cas, le capitaliste court à la faillite.
Dans Le Capital, Marx analyse en profondeur ces différents facteurs et démontre ceci : le prix d’une marchandise oscille autour de sa valeur réelle. Mieux encore : il tend vers cette valeur réelle, laquelle est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire qui y est incorporée. Si la plupart des économistes bourgeois ne comprennent rien à cette loi dégagée par Marx, c’est parce qu’ils ont renoncé à toute approche scientifique (par exemple, la plupart ne distinguent plus le prix de la valeur). Et s’ils ont renoncé à toute approche scientifique, c’est parce que leur véritable mission est d’un autre ordre. Elle consiste à défendre, à coup de raisonnements fallacieux, les marges de profit des capitalistes – et l’ordre établi en général.
Marx Vs Weston
Prenons la question sous un autre angle. Dans l’absolu, est-ce qu’une augmentation des salaires peut, en augmentant la demande, faire augmenter le prix des marchandises ? Oui, mais Marx démontre que toutes choses égales par ailleurs, il s’agirait d’un phénomène temporaire, d’une oscillation, et non d’une « boucle » infernale. En effet, l’augmentation des prix de telles marchandises augmente les taux de profit dans les secteurs économiques correspondants, ce qui a pour effet d’y attirer de nouveaux capitaux, lesquels augmentent l’offre de ces marchandises – et donc exercent une pression à la baisse sur leurs prix.
Marx résume cette idée dans Salaire, prix et profit, où il polémique contre un certain Weston, qui était justement un adversaire des augmentations de salaire. Marx souligne d’abord qu’une augmentation des salaires, en baissant les profits, fait baisser d’autant la demande qui vient des capitalistes. Puis il explique : « ou bien l’accroissement du salaire entraîne une dépense répartie également sur tous les objets de consommation – et dans ce cas, l’augmentation de la demande de la part de la classe ouvrière sera compensée par la baisse de la demande du côté de la classe capitaliste ; ou bien l’accroissement du salaire n’est dépensé que pour quelques objets dont les prix du marché vont monter temporairement. Alors, la hausse du taux de profit qui s’ensuivra dans quelques branches d’industrie et la baisse du taux de profit dans d’autres branches provoqueront un changement dans la distribution du capital et du travail, jusqu’à ce que l’offre se soit adaptée à la demande accrue dans une branche d’industrie et à la demande diminuée dans les autres branches.
« Dans une des hypothèses, il ne se produira pas de changement dans les prix des marchandises ; dans l’autre, les valeurs d’échange des marchandises, après quelques fluctuations des prix du marché, reviendront à leur niveau antérieur. Dans les deux hypothèses, la hausse générale du taux des salaires n’entraînera finalement rien d’autre qu’une baisse générale du taux de profit. » [2]
Marx explore les deux hypothèses pour les besoins de la polémique. Dans le monde réel, les augmentations de salaire des travailleurs n’ont pas d’effet significatif sur leur consommation de Rolex, de voitures de luxe ou de machines industrielles. Mais surtout, Marx analyse les mécanismes fondamentaux à l’œuvre dans l’économie capitaliste, c’est-à-dire les lois qui opèrent toutes choses égales par ailleurs. Or toutes les choses ne sont pas toujours égales par ailleurs, et surtout pas en ce moment, car les distorsions de l’économie mondiale sont colossales.
Concrètement, dans la situation actuelle, les augmentations de salaire arrachées par la grève ne sont pas du tout la cause de l’inflation. C’est l’inverse : la lutte pour des augmentations de salaire est provoquée par l’inflation, dont les causes sont multiples et toutes liées, au fond, à la crise organique du capitalisme, comme nous allons le voir. Encore une fois, les luttes actuelles pour les augmentations de salaire visent à restaurer le pouvoir d’achat des salaires, c’est-à-dire la valeur de la force de travail des salariés.
Pendant que les travailleurs s’efforcent de rattraper le terrain perdu, les gros capitalistes de certains secteurs se gavent encore plus que d’habitude. Par exemple, la flambée des prix de l’énergie – qui découle non d’une flambée des prix de production, mais d’un déséquilibre entre l’offre et la demande – signifie que les multinationales des secteurs gazier et pétrolier réalisent de gigantesques surprofits, pendant que des dizaines de millions de foyers, en Europe, renoncent à chauffer leur logement.
Soit dit en passant, cette situation scandaleuse signifie qu’une vaste campagne de la gauche et du mouvement syndical pour la nationalisation de ces multinationales trouverait un écho très favorable dans la masse de la population. Il ne suffit pas d’exiger qu’elles payent davantage d’impôts ; il faut lutter pour arracher le secteur de l’énergie aux griffes du « libre marché ».
Capitaux fictifs
Venons-en aux causes de la crise inflationniste qui sévit depuis plus d’un an. Trois facteurs, au moins, sont impliqués : 1) l’énorme quantité de « capitaux fictifs » injectés dans l’économie mondiale au cours des dernières décennies ; 2) un « choc de l’offre » de marchandises fondamentales ; 3) une augmentation des frais de production liée à l’augmentation de la valeur de certaines marchandises, c’est-à-dire du temps de travail socialement nécessaire à leur production.
Sous le nom de « capital fictif », Marx désigne la masse monétaire qui est jetée dans la circulation (comme capital) sans bases matérielles en termes de valeurs produites (marchandises). Cela peut prendre différentes formes : dettes publiques, actions, produits financiers complexes (tels les célèbres subprimes), dépenses publiques dans des projets improductifs (dont les armements).
Alors que le capital réel, productif, vise l’extraction de plus-value à travers une production effective de marchandises, le capital fictif est une revendication hasardeuse, sans fondements dans la production, de profits qui n’existent pas encore. Marx explique que les capitaux fictifs « ne représentent pas autre chose que l’accumulation de droits, de titres juridiques sur une production à venir, dont la valeur-argent ou la valeur-capital tantôt ne représente pas de capital du tout, comme c’est le cas des titres de la dette publique, tantôt est régie par des lois indépendantes de la valeur du capital réel qu’ils représentent. » [3]
La crise de 2008-2009 avait révélé au grand jour le rôle de ces capitaux fictifs dans la formation d’énormes bulles spéculatives. Mais depuis, ces bulles ont été regonflées au moyen d’une injection de quantités inédites de liquidités dans l’économie, au risque d’aggraver ses déséquilibres internes et de préparer une crise encore plus sévère.
De ce point de vue, la réponse des classes dirigeantes à la crise sanitaire, à partir de mars 2021, a joué un rôle important dans la crise inflationniste. Depuis le début de la pandémie, plus de 16 000 milliards de dollars ont été injectés dans l’économie mondiale sous forme de diverses subventions et dépenses publiques. Les Banques Centrales ont ajouté 10 000 milliards de dollars supplémentaires.
Aux Etats-Unis, les différentes mesures de « relance » se chiffraient, au total, à 25 % du PIB du pays. Résultat : alors qu’en 2008 la Banque Centrale américaine (la FED) détenait 7 % des bons du trésor américain, elle en détient désormais 40 %. De même, les actifs de la Banque Centrale européenne s’élèvent désormais à 60 % du PIB de la zone euro, contre 20 % en 2008.
Ceci, combiné à la reprise de la consommation après la levée des restrictions sanitaires, a débouché sur une augmentation massive de la monnaie circulant dans l’économie, dans un contexte où la production ne parvenait pas à suivre le rythme, du fait de nombreuses ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement.
En d’autres termes, une moindre circulation de valeurs (marchandises) est représentée par une plus grande circulation d’argent, ce qui provoque une augmentation générale des prix.
C’était prévisible et fut prévu par les marxistes. En janvier 2021, par exemple, nous écrivions : « Même parmi [les économistes bourgeois] les plus orthodoxes, on entend résonner des appels au laxisme monétaire le plus débridé. On les dirait fascinés par le retour d’un vieux fantasme : “l’argent magique”, l’argent qu’il suffirait de créer et de distribuer abondamment (surtout aux riches), sans que cela ait de conséquences fâcheuses (inflation, bulles spéculatives, etc.). (…) [Or] un tel argent, bien sûr, n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais. L’économie ne peut pas se soutenir indéfiniment de pure création monétaire, sans production équivalente de richesses. La création monétaire – que la FED et la BCE pratiquent à des échelles inédites – ne peut pas suppléer la production de biens et de services ». [4]
Crise de l’offre
La crise inflationniste découle d’une combinaison complexe de plusieurs facteurs. Après la récession de 2008-2009, l’injection massive de capitaux fictifs n’a pas immédiatement provoqué une augmentation des prix. Au contraire, l’inflation était faible, car elle était contenue par le phénomène de surproduction et par les politiques d’austérité drastiques, qui poussaient les prix vers le bas. Par ailleurs, les liquidités injectées dans l’économie n’alimentaient pas la demande effective, pour l’essentiel, mais la sphère spéculative. Les multinationales et les entreprises du secteur financier étaient assises sur d’énormes quantités d’argent qui n’étaient pas investies dans la production.
Mais à un certain stade, dialectiquement, les choses se transforment en leur contraire. La pandémie mondiale – et le chaos qu’elle a engendré sur les chaînes de production et d’approvisionnement – a marqué une rupture qualitative dans le développement de la crise organique du capitalisme.
La pandémie a précipité une « crise de l’offre » : l’économie mondiale a été minée – et reste minée, à ce jour – par toutes sortes de goulots d’étranglement, de pénuries de matières premières et de ruptures dans les chaînes de production et d’approvisionnement. L’offre ne suit pas la demande, moyennant quoi les prix augmentent.
C’est particulièrement le cas dans des secteurs décisifs tels que l’énergie et les transports, mais ce phénomène se répercute ensuite, graduellement, sur les prix de toutes les marchandises, à des rythmes et des degrés divers.
Dans la plupart des pays capitalistes avancés, c’est l’augmentation des prix de l’énergie qui est responsable d’une large fraction de l’inflation (plus de la moitié). Dans la zone euro, l’énergie et la nourriture constituent les trois-quarts de la poussée inflationniste.
Soit dit en passant, la guerre en Ukraine n’a pas déclenché la crise inflationniste, comme on l’entend trop souvent. Mais elle l’a indiscutablement aggravée en obligeant de nombreux pays à se fournir en marchandises plus chères, du fait d’une offre réduite.
Enfin, pendant des décennies, la concurrence a poussé les capitalistes à mettre en œuvre des méthodes de production « en flux tendus » : réduction des stocks au minimum, ajustement de la production à la demande immédiate, etc. C’est une source de profitabilité accrue lorsque « tout va bien » (pour les capitalistes), mais c’est une source de graves problèmes en cas de pénuries et de ruptures dans les chaînes d’approvisionnement et de production. En d’autres termes, la course aux profits a énormément fragilisé les capacités de l’économie à faire face à de brusques modifications de l’offre et de la demande. Cela révèle la faillite de l’économie de marché, une fois de plus, et souligne la nécessité d’une planification socialiste et démocratique de la production.
Dislocation du marché mondial
Outre les capitaux fictifs et la crise de l’offre, un troisième facteur est à l’œuvre dans la crise inflationniste : une augmentation réelle des frais de production (en valeur). Alors que les deux premiers facteurs relèvent de la pression des forces du marché sur les prix (déséquilibres entre l’offre et la demande), ce troisième facteur relève d’une augmentation relative de la valeur de certaines marchandises, c’est-à-dire de la quantité de travail socialement nécessaire à leur production.
Aujourd’hui, c’est surtout lié à l’amorce d’une dislocation du marché mondial. Pendant les dernières décennies, la mondialisation a joué un rôle important dans la pression à la baisse sur les prix. D’une part, en intégrant le marché mondial, la Chine, la Russie et l’Europe de l’Est lui ont apporté de nouvelles ressources et une vaste réserve de main d’œuvre bon marché. D’autre part, le développement des transports et de la communication, ainsi que la concentration de la production entre les mains de multinationales géantes ont généré d’importantes « économies d’échelle ». Cette augmentation de la productivité exerçait une pression à la baisse sur les prix.
Mais désormais, cette tendance commence à s’inverser. Les nationalismes économiques relèvent la tête. Le protectionnisme et la balkanisation du capitalisme aggravent les ruptures dans les chaînes mondiales d’approvisionnement, ce qui entraîne des baisses de la productivité et donc une augmentation des prix – relativement aux salaires – causée par une augmentation de la quantité de travail socialement nécessaire à la production des marchandises concernées.
« Stagflation » et lutte des classes
En réaction à la crise inflationniste, la plupart des classes dirigeantes des grandes puissances resserrent nettement leurs politiques monétaires. Les taux d’intérêt des Banques Centrales sont relevés à la hâte dans l’espoir de faire baisser la demande, et donc les prix. L’objectif est de provoquer une récession « limitée et contrôlée ». Mais les contradictions de l’économie mondiale sont trop profondes – et les dettes accumulées trop gigantesques – pour qu’un resserrement brutal des politiques monétaires se solde par un atterrissage en douceur. Dans un contexte où la dette globale, au niveau mondial, s’élève à 360 % du PIB, le renchérissement du crédit pourrait précipiter une profonde récession.
Ceci étant dit, il est possible que l’inflation ralentisse un peu au cours des prochains mois. Mais elle pourrait se maintenir à un niveau assez élevé, moyennant quoi l’économie mondiale s’engagerait dans un scénario cauchemardesque : la « stagflation », c’est-à-dire une combinaison de stagnation (ou de faible croissance) et d’inflation élevée.
Une chose est sûre : quels que soient le rythme et l’intensité de la crise, l’addition sera présentée à la classe ouvrière sous la forme de politiques d’austérité – éventuellement combinées à une inflation élevée.
Face à la chute du pouvoir d’achat engendré par la hausse des prix, le mouvement ouvrier doit lutter pour l’indexation des salaires sur l’inflation. Lorsqu’ils entendent ce mot d’ordre, les économistes bourgeois lèvent les bras au ciel et prophétisent une spirale infernale « prix-salaires ». Mais nous avons vu que cette prophétie n’a aucune base scientifique ; elle vise uniquement à défendre les marges de profit des capitalistes.
Ceci étant dit, la gauche et le mouvement syndical doivent prendre toute la mesure de la catastrophe économique actuelle et à venir. En dernière analyse, la crise inflationniste actuelle est un symptôme de l’anarchie et du déclin du système capitaliste, qui constitue désormais un monstrueux obstacle sur la voie du progrès social. Pour en finir avec les crises économiques et les souffrances inouïes qu’elles imposent à des milliards d’individus, il faudra en finir avec le capitalisme lui-même. Il faudra renverser ce système à l’échelle mondiale et le remplacer par une planification rationnelle et démocratique de la production, sur la base d’une collectivisation des grands leviers de l’économie.
Il faudra une révolution socialiste mondiale. Marx ne pensait pas à autre chose lorsqu’il affirmait, dans Salaire, prix et profit, qu’en luttant pour des augmentations de salaire, « [les travailleurs] ne doivent pas oublier qu’ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu’ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction, qu’ils n’appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal. Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par les escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché. Il faut qu’ils comprennent que le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la transformation économique de la société. » [5]
Les « conditions matérielles » auxquels Marx fait référence, ce sont les gigantesques moyens de production développés par la classe ouvrière dans le cadre du capitalisme. Grâce à ces moyens de production, il serait possible d’en finir avec toutes les formes de misère, d’exploitation et d’oppression.
Quant aux « formes sociales » dont parle Marx, il s’agit de la classe ouvrière elle-même, que le capitalisme a puissamment développé et sans laquelle pas une roue ne tourne et pas une lumière ne brille. C’est à cette classe, la seule classe révolutionnaire de la société moderne, que revient la tâche de prendre le pouvoir et d’engager la transformation socialiste de la société. L’avenir de l’humanité dépendra de la victoire ou de la défaite de notre classe dans sa lutte pour le pouvoir – et de rien d’autre.
[1] Face à l’inflation : mobilisation ! Editorial de Révolution, n° 56.
[2] Karl Marx. Salaire, prix et profit, pages 16 et 17. Editions sociales (1966).
[3] Karl Marx. Le Capital, livre III, tome II, chapitre 29, page 131. Editions sociales (1970).
[4] Au bord du gouffre. Editorial de Révolution, n° 48.
[5] Karl Marx. Salaire, prix et profit, pages 73 et 74.
- Détails
- Gabriel Vergne
Le 22 avril dernier, le journal La Croix publiait une enquête intitulée « Vivre à l’euro près, les classes moyennes sur le fil ». Y étaient présentés un couple de retraités endettés, une mère célibataire employée dans un hypermarché, une enseignante en collège et, enfin, une famille pour qui il n’est « pas question de se plaindre » puisque les salaires cumulés des deux parents s’élèvent à 4000 euros nets par mois, bien que l’inflation mine leur pouvoir d’achat et les force à adopter « un budget au cordeau ».
Ainsi, La Croix range dans « les classes moyennes » des ménages qui, de toute évidence, n’en relèvent pas. Ce faisant, le journal catholique reprend une vieille combine de la propagande bourgeoise : il s’agit de convaincre les travailleurs qu’ils sont, au fond, relativement privilégiés par rapport aux couches les plus miséreuses de la population.
En réalité, les individus et ménages cités par La Croix appartiennent à la classe ouvrière, une catégorie sociologique dont le marxisme a donné une définition scientifique précise.
Qu’est-ce que la classe ouvrière ?
La classe ouvrière – les travailleurs, ou le « salariat », ou encore le « prolétariat » – ne se définit pas en fonction du niveau de richesse d’un individu : ni de sa richesse absolue (nombre de travailleurs qualifiés gagnent deux à trois fois le SMIC), ni de sa richesse relative (ce ne sont pas les 20 %, ou les 30 %, ou les 40 %, etc., les plus pauvres de la population). Ce n’est pas non plus une question de mode de vie ou de secteur d’activité. On a longtemps associé le mot « ouvrier » aux travailleurs des usines ou des mines parce que ces secteurs prédominaient dans le salariat. Mais dès le XIXe siècle, Marx expliquait qu’un artiste employé par un capitaliste était un ouvrier, tandis qu’Engels parlait des « ouvriers du commerce ».
La classe ouvrière regroupe la fraction de la population qui, ne possédant pas de moyens de production ou d’échange (entreprise, usine, commerce, etc.) est obligée de vendre sa force de travail – contre un salaire – pour gagner sa vie. On y trouve donc aussi bien des ouvriers d’usine que des caissiers, des informaticiens, des fonctionnaires, des agents d’entretien ou des comptables. Ainsi définie, la classe ouvrière représente aujourd’hui la vaste majorité de la population active : plus de 90 % en France, 70 % à l’échelle mondiale.
La classe ouvrière constitue l’un des deux pôles fondamentaux du mode de production capitaliste. D’un côté, ceux qui tirent leur subsistance de la vente de leur force de travail (manuelle ou intellectuelle) font partie de la classe ouvrière, la classe des travailleurs salariés. De l’autre, ceux qui tirent leurs principaux revenus des profits d’une entreprise dont ils possèdent tout ou partie – et grâce à laquelle ils exploitent les forces de travail des salariés – appartiennent à la bourgeoisie, c’est-à-dire à la classe capitaliste.
Une multiplicité de situations intermédiaires
Même lorsqu’il est formellement « salarié », un PDG reste un patron, le « capital personnifié » (selon la formule de Marx), dont les intérêts personnels se confondent avec ceux de son entreprise, et qui tire profit de l’exploitation des travailleurs. A l’inverse, un coursier à vélo travaillant pour Deliveroo, même s’il est déclaré autoentrepreneur aux yeux de la loi, est exploité par la plateforme qui lui « donne » du travail : il fait partie de la classe ouvrière. En obligeant leurs employés à se constituer en « travailleurs indépendants », les diverses plateformes cherchent surtout à contourner le Code du travail et autres obligations légales.
Bien sûr, il existe une multiplicité de situations intermédiaires. Et si on cherche des « classes moyennes », c’est ici qu’on les trouvera. D’abord, il y a la petite bourgeoisie, qui est constituée des petits patrons (propriétaire d’une boulangerie, d’une petite exploitation agricole, etc.) et les professions libérales (médecin, avocat, etc.). Politiquement, cette classe oscille constamment entre la bourgeoisie et la classe ouvrière. Ses membres sont d’ailleurs parfois plus pauvres que certaines couches du salariat. On peut également ranger dans la classe moyenne la couche la plus riche du salariat, car bien que ne possédant aucun moyen de production, elle a tendance à identifier ses intérêts à ceux du patron. Cette illusion est renforcée lorsqu’elle possède des actions.
Certaines entreprises, comme celles qui ont été privatisées sous le gouvernement de Jospin (1997-2022), ont pu donner ou vendre des actions à leurs salariés, pour en faire de prétendus « salariés actionnaires ». Cependant, la bourgeoisie s’assure que les petits actionnaires ne puissent jamais prendre le contrôle d’une entreprise. Dans les faits, ces actions représentent une part du salaire des employés plutôt qu’une véritable accession à la propriété capitaliste. Or cette part du salaire varie en fonction des profits de l’entreprise, c’est-à-dire en fonction du taux d’exploitation… des salariés eux-mêmes. L’« actionnariat salarié » est aussi un bon prétexte pour geler les salaires nets de ces travailleurs.
Classe ouvrière et industrie
Selon l’INSEE, le nombre de travailleurs industriels est passé de 5,6 à 3,9 millions, en France, entre 1970 et 2011. Les propagandistes de la bourgeoisie mettent en avant cette diminution pour démontrer une prétendue « disparition » de la classe ouvrière, qui n’aurait plus le poids social et le pouvoir économique des ouvriers de Mai 68. Ce raisonnement est faux à plusieurs égards.
S’il y a bien eu un transfert d’usines des pays capitalistes avancés vers des pays où la main d’œuvre coûte moins cher, cela n’a pas empêché le monde de s’industrialiser. En 2010, le secteur manufacturier employait 330 millions de personnes à l’échelle de la planète : plus que jamais auparavant.
En ce qui concerne le pouvoir économique des ouvriers d’industrie, même en France, il est resté intact. Alors que la part de l’emploi industriel a été divisée par deux, la productivité dans le secteur a quadruplé entre 1995 et 2015, ce qui signifie qu’un plus petit nombre de travailleurs produit deux fois plus que vingt ans plus tôt – et peut donc bloquer l’économie à plus grande échelle. Ceux qui parlent d’une disparition de la classe ouvrière n’ont manifestement jamais vu l’impact que peut avoir une grève illimitée des éboueurs ou des travailleurs du pétrole.
La « désindustrialisation » dans les pays capitalistes avancés est aussi à relativiser, en raison de la définition très restreinte que les observateurs économiques donnent de l’industrie. Comme l’explique l’économiste Pierre Veltz, si on agrège à l’industrie les secteurs des transports, de l’énergie ou des télécommunications (classés comme « services »), la part de ce secteur dans le PIB français est restée constante entre 1975 et 2011, autour de 30 % . [1]
Enfin, encore une fois, la classe ouvrière au sens marxiste du terme ne se réduit pas à sa seule composante industrielle. Elle comprend l’ensemble des travailleurs exploités par la classe capitaliste, quel que soit le nom que leur donnent l’INSEE, les universitaires et les médias. Or, parallèlement aux mutations de l’industrie au cours des dernières décennies, on a observé un processus de concentration du capital : une part de plus en plus importante des moyens de production se concentre entre les mains d’un groupe de plus en plus restreint d’individus. Les petits propriétaires font faillite à cause de la concurrence, et viennent progressivement grossir les rangs de la classe ouvrière. Ce processus a particulièrement touché la paysannerie, qui représentait 46 % de l’emploi mondial en 1980, contre seulement 30 % en 2010. Avec le déclin de la petite propriété, l’antagonisme social se simplifie : la bourgeoisie se resserre et le salariat s’étend.
Prolétarisation des cadres
On objecte parfois à ce raisonnement que l’expansion du salariat serait avant tout une augmentation du nombre de « cadres ». Selon l’INSEE, en France, le nombre de cadres est passé de 7,5 % des emplois en 1982 à plus de 20 % en 2020, dépassant les ouvriers d’industrie (19,2 %). Or les cadres forment la couche supérieure du salariat. Si tous ne sont pas réellement chargés de missions d’encadrement, ils sont en moyenne mieux payés et mieux considérés que le reste des travailleurs.
Cependant, une autre évolution est à noter : entre 1979 et 2022, l’écart des salaires entre cadres et ouvriers d’industrie a été quasiment divisé par deux. L’inégalité s’étant réduite, on observe une homogénéisation au sein du salariat français. Il ne s’agit pas d’une montée en grade des ouvriers d’industrie, mais d’un déclin du statut privilégié des cadres, dont les revenus et les conditions de travail se sont largement dégradés. Entre autres facteurs expliquant ce déclin, on peut citer le développement des outils numériques et de l’intelligence artificielle, qui menacent les cadres de voir leurs tâches automatisées. S’ils pouvaient autrefois se sentir étrangers à la classe ouvrière, car irremplaçables et épargnés par l’exigence de productivité, les cadres sont aujourd’hui frappés par une prolétarisation de leur condition.
Conséquences politiques
Cette chute des couches intermédiaires dans la masse du salariat a d’importantes conséquences politiques. En 1917, les adversaires des bolcheviks recrutaient largement parmi les paysans, la petite-bourgeoisie urbaine et les employés les plus riches. A l’époque, les cheminots et les employés de la fonction publique (secrétaires, postiers, dactylos) comptaient parmi les couches « privilégiées » de la population active, et ils ont participé au sabotage du gouvernement révolutionnaire. On imagine mal un tel scénario se reproduire aujourd’hui.
L’expansion de la classe ouvrière représente un progrès à la fois quantitatif, puisque nos forces se sont accrues, et qualitatif, puisque le niveau d’instruction et de compétence du travailleur moyen est très supérieur à ce qu’il était au début du XXe siècle, et à plus forte raison dans la Russie arriérée et semi-féodale de 1917. Or, c’est sur ce terreau d’arriération, d’ignorance et de faiblesse numérique de la classe ouvrière russe qu’avait pu s’établir la dictature de la bureaucratie stalinienne. Il en va tout autrement aujourd’hui, où les bases matérielles d’une véritable démocratie ouvrière sont beaucoup plus développées.
Autant de salariés et si peu de capitalistes, c’est aussi un gage d’affaiblissement de la bourgeoisie lors d’une mobilisation révolutionnaire. Elle ne peut plus désormais s’appuyer sur ces masses de paysans et de petits commerçants qui formaient la base sociale du fascisme dans les années 1920 et 1930. En conséquence, la révolution socialiste, aujourd’hui, peut être un processus relativement pacifique, reposant avant tout sur la menace et la puissance du nombre.
Cependant, ce nombre doit être organisé s’il veut jouer un rôle actif dans l’histoire. Aujourd’hui, une fraction significative de la classe ouvrière ignore qu’elle en fait partie : comme La Croix, elle se range spontanément dans la « classe moyenne ». Sur fond de crise du capitalisme, le développement de la lutte des classes se chargera de lui donner une conscience de classe. Mais il faudra aussi orienter cette conscience vers la conquête du pouvoir, c’est-à-dire vers la révolution socialiste. Si la classe ouvrière est plus puissante que jamais, objectivement, son émancipation définitive requiert toujours un facteur subjectif : le parti révolutionnaire.
[1] La Société hyper-industrielle, Pierre Veltz, Seuil, 2017
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- Andréas C.
Les théories de John Meynard Keynes, un économiste libéral anglais, ont connu un regain d’intérêt depuis la crise économique mondiale de 2008, et plus encore depuis l’éclatement de la crise sanitaire. Des économistes bourgeois qui, jusqu’alors, vouaient leur vie à la lutte contre les déficits budgétaires se félicitent désormais bruyamment des « plans de soutien » adoptés par les gouvernements des grandes puissances économiques, Etats-Unis en tête.
Depuis le début de la pandémie, des sommes faramineuses ont été injectées dans l’économie mondiale : plus de 16 500 milliards de dollars, à ce jour. Aux Etats-Unis, Joe Biden réclame au Congrès 4500 milliards de dollars de dépenses supplémentaires. Cette somme s’ajouterait au plan de relance de 1900 milliards de dollars déjà adopté en mars dernier – et aux milliers de milliards distribués par l’administration Trump.
Ces « plans de soutien », aussi impressionnants soient-ils, n’ont rien de progressistes. Ils visent à sauver les profits des riches actionnaires, et non à garantir une vie digne aux travailleurs. Toujours est-il qu’ils font penser à la déclaration qu’on prête au président américain Richard Nixon, en 1971 : « A présent, nous sommes tous keynésiens ! »
Qui était John Meynard Keynes ? Et pourquoi le mouvement ouvrier doit-il rejeter fermement ses idées ?
Un ennemi de classe
Né en 1883 dans une famille d’universitaires, Keynes fut un pur produit de son temps et de sa condition sociale. Il fit ses études à Eton et au King’s College, à Cambridge, établissements réservés à l’élite bourgeoise et aristocratique de l’époque. Plus tard, il travailla dans une commission gouvernementale en Inde, où il servit loyalement les intérêts de l’impérialisme britannique. Pendant la Première Guerre mondiale, il fut embauché par le ministère des Finances. Tout au long de sa vie, il fut très lié au Parti libéral – le parti dominant de la bourgeoisie anglaise, à l’époque – et fut très proche de Lloyd George. Ce dernier, Premier ministre de Grande-Bretagne entre 1916 et 1922, est notamment connu pour avoir organisé une intervention militaire contre la jeune République soviétique. Le « pacifiste » Keynes soutenait pleinement tous ces projets réactionnaires.
Il est facile de trouver des citations de Keynes illustrant son implacable hostilité au marxisme et au socialisme. Il considérait le communisme comme « une insulte à notre intelligence ». En 1925, dans un essai intitulé Suis-je un libéral ?, il affirmait catégoriquement son opposition au Parti travailliste : « Pour commencer, c’est un parti de classe, et sa classe n’est pas ma classe […]. Je peux être influencé par ce qui me parait être la justice et le bon sens ; mais la guerre de classes me trouvera du côté de la bourgeoisie éduquée ».
Ce n’était pas une phrase en l’air : toute la vie de Keynes confirme ce propos. Les réformistes de gauche qui, aujourd’hui, se réclament de Keynes, seraient bien avisés d’y réfléchir.
Utopie et libéralisme
Keynes regrettait désespérément « l’âge d’or » du capitalisme au XIXe siècle, une époque où les gentlemen « civilisés », comme lui, menaient une existence paisible – sur le dos, bien sûr, de la classe ouvrière et des masses coloniales. Il voulait faire tourner à l’envers la roue de l’histoire, ramener le capitalisme britannique à une époque définitivement révolue.
Dans les années 1920, le Parti libéral décline au profit des Travaillistes et des Conservateurs. De manière générale, le capitalisme britannique est en crise : il y a une disproportion croissante entre sa base économique et son immense empire colonial. A l’inverse, l’impérialisme américain sort énormément renforcé de la guerre.
C’est dans ce contexte que les Conservateurs prennent le pouvoir et, à l’initiative de Churchill, décident de lier, à nouveau, la livre sterling à l’or (« étalon-or »), et ce au taux d’avant-guerre. Keynes s’oppose catégoriquement à cette mesure, car elle impose une monnaie largement surévaluée et ne peut que miner la compétitivité des exportations britanniques. Il en redoute aussi les conséquences sociales – non parce qu’il se soucie du niveau de vie des travailleurs, mais parce qu’il a peur de leur réaction. De fait, en mai 1926, une puissante grève générale paralyse le pays pendant neuf jours.
Si les perspectives de Keynes se sont révélées justes, ses suggestions ont été rejetées par la classe dirigeante britannique. D’autres de ses suggestions le seront aussi, par la suite. Keynes n’a cessé de faire appel à la « raison » pour convaincre la classe dirigeante, alors que les décisions de celle-ci sont déterminées par toute une série d’autres facteurs, notamment politiques et de prestige.
Les années 30, le New Deal et Bretton Woods
Keynes développe sa théorie dans le contexte de la grande dépression des années 1930. En 1936, il publie son ouvrage principal : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Le chômage atteint alors des niveaux inédits. Keynes identifie correctement le cercle vicieux observé lors d’une crise : les travailleurs sans emploi n’ont pas de salaire pour acheter des marchandises ; les capitalistes n’investissent pas s’ils ne peuvent pas vendre leurs marchandises ; faute d’investissements productifs, le chômage augmente – et ainsi de suite. Keynes en conclut que pour briser ce cercle vicieux, l’Etat doit intervenir, non dans le but de soulager les souffrances des masses, mais dans le but de sauver le capitalisme. L’économiste insiste : en temps de crise, les gouvernements ont le devoir d’intervenir, d’emprunter et de dépenser, pour « stimuler la demande ».
Si, comme Marx, Keynes comprend le caractère organiquement instable du capitalisme, tous ses efforts se concentrent sur l’objectif – illusoire, à terme – d’atténuer les contradictions du système. Il s’agit de relancer la pompe à profit par l’intervention de l’Etat sur le soi-disant « libre » marché.
Boudées en Grande-Bretagne, ces idées trouvent un terrain plus favorable aux Etats-Unis à l’époque du New Deal, le programme de travaux publics visant à sortir l’économie américaine de la Grande Dépression. Mais en fin de compte, cette politique – la plus vaste mise en pratique des idées de Keynes – se solde par un échec. C’est seulement lorsque Roosevelt mobilise les travailleurs américains dans l’armée et l’industrie militaire que le chômage diminue vraiment, aux Etats-Unis. L’idée d’un capitalisme administré par l’Etat ne peut être mise en œuvre avec succès qu’en temps de guerre, et ce fait n’échappe pas à Keynes, qui écrit : « il semble qu’il soit politiquement impossible, pour une démocratie capitaliste, d’organiser ses dépenses à l’échelle nécessaire pour faire les grandes expériences qui prouveraient mes thèses – sauf dans des conditions de guerre ».
Malgré ses problèmes de santé, Keynes se rend à la conférence de Bretton Woods, aux Etats-Unis, en 1944, comme principal représentant et négociateur du Royaume-Uni. Son objectif : promouvoir la création d’institutions commerciales et monétaires permettant d’éviter tout déséquilibre, et donc toute tension, entre grandes puissances. Mais ce « plan » ne survit pas à sa traversée de l’Atlantique. D’emblée, le FMI et la Banque mondiale – ces deux créations de Bretton Woods – sont subordonnés aux intérêts fondamentaux de la puissance impérialiste dominante : les Etats-Unis.
Le keynésianisme après Keynes
Après la mort de Keynes, en 1946, les destructions de la Seconde Guerre mondiale, le développement du commerce international et une série d’autres facteurs ont créé les conditions d’une phase d’expansion sans précédent du capitalisme : les Trente Glorieuses. Et de nos jours, c’est surtout à cette période que sont associées les idées de Keynes, ce qui ne manque pas d’être paradoxal, car le « keynésianisme », à l’origine, était un programme de sortie de crise.
Le fait est, pourtant, que les classes dirigeantes des deux côtés de l’Atlantique ont eu largement recours, pendant les Trente Glorieuses, à certaines des préconisations de Keynes, notamment à l’endettement public systématique et à la flexibilité en matière de politique monétaire. Non seulement les classes dirigeantes en avaient les moyens, sur fond de croissance vigoureuse, mais elles y avaient aussi politiquement intérêt, compte tenu des fortes pressions du mouvement ouvrier.
Ceci a créé l’illusion que la dynamique économique des Trente Glorieuses était essentiellement fondée sur les vertus des politiques keynésiennes. Il n’en est rien, comme l’a montrée la récession mondiale de 1973-74, qui fut suivie d’un abandon des politiques « keynésiennes » et d’une offensive générale contre la classe ouvrière. Pendant les Trente Glorieuses, les contradictions fondamentales du capitalisme n’ont pas été éliminées par les politiques keynésiennes. Ces dernières n’ont fait, tout au plus, que retarder la crise – au prix d’en aggraver l’ampleur, le moment venu.
Contre Keynes, pour Marx !
Ironie de l’histoire : c’est désormais dans les sommets du mouvement ouvrier que l’on trouve les partisans les plus enthousiastes des idées de Keynes, ce grand bourgeois résolument hostile au socialisme et à toutes les organisations des travailleurs. Alors que pour les classes dirigeantes, les politiques de relance et les politiques d’austérité sont deux leviers d’une même défense de leur système et de leurs privilèges, les dirigeants réformistes s’accrochent désespérément au levier de la relance, comme si cela pouvait définitivement résoudre les problèmes fondamentaux des travailleurs.
Cette situation est une conséquence de l’abandon, par les réformistes de gauche, des idées révolutionnaires du marxisme, et donc de la perspective de rompre avec le capitalisme. Le keynésianisme offre une justification théorique à ces renoncements et aux limites réformistes des programmes de Mélenchon, Martinez et Roussel (entre autres). Leur argumentation est d’une magistrale simplicité : « en augmentant les salaires et le pouvoir d’achat des masses en général, on stimulera la demande, donc les investissements, donc les embauches, et ainsi de suite » – amen.
Cependant, Marx a démontré – et le cours de l’histoire, depuis, a confirmé – que les choses ne sont pas aussi simples. Il va sans dire que le mouvement ouvrier doit lutter pour de meilleurs salaires et pour une amélioration du niveau de vie de toutes les couches exploitées de la population. Mais même lorsque ces luttes sont victorieuses, cela n’élimine pas les lois et les contradictions fondamentales du système capitaliste, contradictions qui débouchent fatalement, tôt ou tard, sur une nouvelle crise générale – et donc sur une nouvelle phase d’appauvrissement des masses. C’est précisément pour cette raison que Marx soulignait la nécessité de lier étroitement la lutte pour des réformes à la lutte pour le renversement du capitalisme et la réorganisation de l’économie sur des bases socialistes.
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- Jérôme Métellus
Cet article est la transcription partielle d’un exposé oral dont l’intégralité est disponible sur notre chaîne YouTube : Révolution TMI. Réalisé dans le cadre d’une Ecole nationale de Révolution, l’exposé portait sur les idées de Bernard Friot et Frédéric Lordon.
Les idées de Bernard Friot ont un certain succès dans la gauche française, en particulier dans la jeunesse. Comment l’expliquer ? C’est très clair : ces idées s’annoncent comme une critique radicale du capitalisme et comme un projet de rupture avec ce système. De fait, Friot se déclare partisan du communisme. Cela change de tous ces intellectuels réformistes qui, ces 30 dernières années, ont théorisé la possibilité d’un capitalisme « social », « solidaire », « écologique », etc. C’est cette radicalité affichée par Friot qui trouve une large audience, parce qu’un nombre croissant de jeunes et de travailleurs cherchent une alternative au capitalisme.
Cependant, nous allons tenter de montrer que les idées de Friot ne sont pas à la hauteur de cette ambition.
« Salaire à vie » et communisme
Partons de la revendication la plus connue de Friot : le « salaire à vie ». Il s’agit de lutter pour qu’un salaire à vie soit versé à toute personne dès l’âge de 18 ans, quelle que soit son activité. A l’âge de 18 ans, ce salaire serait le même pour tous : 1500 euros. Puis, tout au long de la vie, chacun pourrait voir son salaire augmenter pour atteindre un maximum de 6000 euros. Ces augmentations de salaire seraient liées à différents niveaux de qualification, et ce sont des jurys spéciaux, des « jurys de qualification », qui décideraient si vous avez atteint le niveau de qualification vous permettant de bénéficier d’une augmentation de salaire.
Ici, il nous faut déjà faire une première remarque critique. Dans ses écrits, jamais Friot ne présente ces mesures – le salaire à vie et les niveaux de qualification – comme le début d’une phase transitoire du capitalisme vers le communisme. Non : il présente ces mesures comme compatibles avec le communisme, et même comme fondatrices du communisme. Ainsi, dans le « communisme » de Friot, une partie de la société sera quatre fois plus riche qu’une autre, puisque les salaires iront de 1500 à 6000 euros. Au passage, les plus pauvres seront les plus jeunes, puisqu’ils devront acquérir des qualifications, donc de l’expérience, avant de pouvoir prétendre à une première augmentation de salaire.
On a là un premier désaccord – et pas des moindres – avec Friot. D’un point de vue marxiste, ce qu’il propose est tout ce qu’on voudra, mais pas du communisme. Le communisme, tel que Marx le concevait et tel que nous le concevons toujours, c’est une société d’abondance, une société dans laquelle le très haut niveau de développement des forces productives permettra à tous les individus de contribuer librement à la richesse sociale – mais aussi de puiser librement dans cette richesse sociale pour leur consommation personnelle. Autrement dit, la consommation individuelle ne sera plus limitée par le fait d’avoir un salaire plus ou moins important. La possibilité même de pouvoirs d’achat inégaux aura perdu toute base matérielle.
Bien sûr, les marxistes ne prétendent pas qu’on puisse arriver du jour au lendemain à une telle société ; j’y reviendrai plus loin. Mais ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas qualifier de communiste, au sens marxiste du terme, une société dans laquelle une partie de la population est quatre fois plus riche qu’une autre. Par ailleurs, de telles inégalités donneraient un énorme pouvoir aux « jurys de qualification », et avec ce pouvoir viendraient, fatalement, le bureaucratisme et la corruption.
Généralisation de la cotisation sociale
Mais revenons aux mesures que propose Friot. Comment les « salaires à vie » seront-ils financés ? Réponse de Friot : ces salaires seront financés par une « caisse des salaires », qui sera alimentée par une cotisation prélevée sur la valeur ajoutée de toutes les entreprises. Ce ne sont plus les entreprises qui payeront directement les salariés. Tous les salaires seront payés par la caisse des salaires.
Par ailleurs, une deuxième cotisation ponctionnera tout ce qui reste de la valeur ajoutée pour alimenter une deuxième caisse : une « caisse d’investissements », qui financera les investissements de toutes les entreprises. Ainsi, non seulement les entreprises ne verseront plus directement les salaires, mais elles n’investiront plus directement elles-mêmes. Les salaires et les investissements, ça sera l’affaire de la caisse des salaires et de la caisse d’investissements.
Ce que propose Friot, c’est une généralisation maximale du système de cotisation sociale – au point que les entreprises cessent, de facto, d’être la propriété privée de capitalistes. D’ailleurs les capitalistes ne peuvent plus se verser de dividendes, puisque toute la valeur ajoutée part en cotisations. A la limite, le patron – s’il en reste un – sera payé par la caisse des salaires, soit un maximum de 6000 euros. Mais en fait, il n’y aura plus vraiment de patrons, car non seulement il n’y aura plus de dividendes, mais Friot précise que le patron n’aura pas plus de pouvoir, dans l’entreprise, que chacun des salariés. Au passage, il n’y aura plus de banques privées, puisqu’elles seront remplacées par la caisse d’investissements.
Château de cartes
Par contre, l’économie que propose Friot sera toujours une économie de marché. Chaque entreprise devra vendre sa production sur le marché, en concurrence avec d’autres entreprises. Or cela aura toutes sortes de conséquences fâcheuses – que Friot ignore superbement.
Par exemple, que se passera-t-il lorsqu’une entreprise perdra des parts de marchés au profit d’autres entreprises ? Son chiffre d’affaires baissera, et avec lui la quantité de cotisations sociales qu’elle pourra verser à la caisse d’investissements. Mais alors, forcément, les gestionnaires de cette caisse se demanderont si c’est bien la peine de continuer à financer une entreprise déclinante, car à quoi bon maintenir artificiellement des niveaux de production que le marché ne peut pas absorber ? Au passage, cette position d’arbitre de la caisse d’investissements, son énorme pouvoir, l’exposera au bureaucratisme et à la corruption, elle aussi.
Par ailleurs, comment s’y prendra une entreprise pour défendre sa compétitivité sur le marché ? Elle ne paye pas les salaires, donc elle ne va pas les diminuer. Il lui restera deux options : allonger le temps de travail des salariés ou augmenter leur productivité. Nous voilà revenus à des mécanismes qu’on connait bien dans notre bon vieux système capitaliste !
Bref, dès qu’on analyse un peu les conséquences du système de Friot, il commence à s’effondrer comme un château de cartes. C’est qu’on a affaire à un système utopique, au sens d’une construction artificielle, arbitraire, que Friot a élaboré à la façon dont les socialistes utopiques, avant Marx, construisaient leurs phalanstères et leurs communautés utopiques. Marx, justement, a permis de dépasser ce socialisme utopique et de fonder un socialisme scientifique, dont le programme est élaboré en s’appuyant sur une analyse scientifique de la réalité économique et sociale.
La « valeur communiste »
Maintenant, imaginons qu’un parti défendant le programme de Friot arrive au pouvoir. Cela ne plairait pas du tout au grand patronat, qui lutterait de toutes ses forces contre la mise en œuvre d’un tel programme.
Qu’est-ce que Friot prévoit pour briser la résistance de la bourgeoisie ? Rien de précis. Ou plutôt, il ne pose pas la question dans ces termes. En effet, selon lui, le communisme a déjà commencé à se développer à l’intérieur du capitalisme, et même à côté du capitalisme et en concurrence directe avec lui. Il suffirait donc de poursuivre ce développement, graduellement, jusqu’à ce qu’on parvienne, un jour, à la socialisation intégrale de la valeur ajoutée des entreprises. Friot n’est pas pressé, d’ailleurs. Dans son dernier livre, Un désir de communisme, il nous dit : « la bourgeoisie a mis plusieurs siècles pour en finir avec l’aristocratie. N’espérons pas mettre beaucoup moins pour en finir avec la bourgeoisie… » C’est tout de même très long, plusieurs siècles, surtout face à la crise climatique ! Mais cela ne pose pas de problème à Friot. L’important, c’est qu’on développe les éléments de communisme qui, selon lui, se sont implantés et développés au cours du XXe siècle.
De ce point de vue, l’événement majeur, ce serait la création du régime général de la Sécurité sociale, en 1946. Ceci marquerait l’avènement, en France, d’un mode de production communiste coexistant avec le mode de production capitaliste. En effet, selon Friot, les pensions des retraités, qui sont financées par les cotisations sociales, doivent être considérées comme un salaire qui rémunère l’activité productive des retraités. Friot nous dit que les retraités travaillent, que leurs pensions de retraite sont, en réalité, un salaire qui rémunère ce travail, et que l’activité des retraités doit être considérée comme productrice d’une valeur économique nouvelle, d’une valeur non capitaliste – et il dit même : d’une « valeur communiste ». Voilà la grande invention de Friot : la « valeur communiste ».
Il n’y a pas que les retraités qui créeraient de la « valeur communiste ». Il y a aussi les fonctionnaires, les chômeurs, les parents au foyer – et en fait, quiconque perçoit des revenus issus des cotisations sociales. C’est la partie la plus absurde de la théorie de Friot. Par une décision totalement arbitraire, il décrète l’existence d’une « valeur communiste » – ce qui, d’un point de vue marxiste, est une aberration théorique, sans lien avec la réalité.
La théorie marxiste de la valeur
Pour le comprendre, rappelons brièvement la théorie marxiste de la valeur. Toute marchandise a deux types de valeurs : une valeur d’usage et une valeur d’échange. La deuxième, la valeur d’échange, est déterminée par la quantité de travail socialement nécessaire à la production de la marchandise.
« Socialement nécessaire », ça veut dire que ce qui est déterminant, ce n’est pas la quantité de travail qu’il a fallu à un producteur donné pour produire une marchandise donnée. Ce qui est déterminant, c’est le temps de travail moyen qui est requis, dans la société, pour produire cette marchandise, compte tenu du niveau de développement de la technique à ce moment-là. Si un fabricant de chaussures met deux fois plus de temps, pour produire telles chaussures, que la moyenne de tous les producteurs des mêmes chaussures, il ne pourra pas les vendre deux fois plus cher que les autres producteurs, parce que la moitié du temps qu’il aura dépensé n’aura pas été socialement nécessaire.
Comment se vérifie la valeur d’échange des marchandises ? Elle se vérifie sur le marché lui-même, dans l’échange des marchandises.
C’est le système capitaliste qui a généralisé la production marchande. Sous le capitalisme, la plupart des choses produites le sont pour le marché, en vue d’être échangées sur le marché. Or, quand tout se passe bien pour les capitalistes, une fraction de la valeur d’échange de chaque marchandise consiste en plus-value, c’est-à-dire en profits. Cette plus-value vient de ce que le capitaliste a acheté une marchandise très particulière, la force de travail du salarié, dont la consommation, c’est-à-dire le travail, a créé davantage de valeur qu’elle n’en a coûté au capitaliste, davantage de valeur que le salaire versé au travailleur. A la fin de sa journée de travail, un salarié a créé plus de valeur qu’il n’en reçoit sous forme de salaire. Et la différence entre les deux, c’est le profit.
Voilà, très résumé, ce que Marx explique. De ce point de vue, les cotisations patronales sont des ponctions réalisées sur la plus-value – ponctions qui, en même temps que d’autres impôts, financent les retraites, les allocations chômage, la Fonction publique, etc.
Si les capitalistes n’aiment pas les cotisations sociales, c’est précisément parce que ce sont des ponctions sur la plus-value, et non parce que les cotisations sociales créeraient de la « valeur communiste », qui n’existe que dans la tête de Friot.
Bien sûr, les marxistes n’en concluent pas que les fonctionnaires, les retraités ou les chômeurs ne produisent aucune richesse ou ne rendent aucun service. La plupart des fonctionnaires, par exemple, sont très utiles (je dis « la plupart », car l’utilité sociale des CRS est très contestable). Mais les retraités, les chômeurs et les fonctionnaires ne produisent pas de marchandises, ne produisent pas pour le marché – et donc ne créent ni « valeur d’échange », ni a fortiori de soi-disant « valeur communiste ».
Réformes et révolution
Ces erreurs théoriques de Friot ont de sérieuses conséquences pratiques. Par exemple, Friot est contre la lutte pour baisser le temps de travail et l’âge du départ à la retraite, contre la lutte pour augmenter les salaires, les pensions et les minimas sociaux, parce que ce sont des luttes pour le « partage de la valeur capitaliste ». Or selon lui, la vraie lutte des classes, la bonne lutte des classes, c’est la lutte pour l’extension de la production de « valeur communiste » – au détriment de la production de valeur capitaliste. Bref, la seule lutte des classes qui vaille, c’est la lutte pour le salaire à vie et l’augmentation du taux de cotisations sociales. Tout le reste, c’est du temps perdu. Pire : ça renforce le système capitaliste, parce que ça légitime la « valeur capitaliste ». Voilà ce que Friot écrit noir sur blanc. Et c’est franchement absurde.
Dans le monde réel, la lutte des classes se développe nécessairement comme une lutte pour le partage de la valeur, c’est-à-dire pour le partage des richesses créées par les travailleurs. Certes, ce sont des luttes pour des réformes dans le cadre du capitalisme. Et bien sûr, les marxistes doivent critiquer les dirigeants réformistes qui limitent la lutte des classes à la lutte pour des réformes. Il n’empêche : c’est forcément à travers ce type de luttes que le mouvement ouvrier s’organise, se développe, prend conscience de sa force et en vient finalement à lutter pour le pouvoir, pour le renversement du capitalisme.
Sans la lutte quotidienne des travailleurs pour améliorer leurs conditions de vie et de travail sous le capitalisme, la révolution socialiste serait impossible. C’est pourquoi les marxistes doivent lier étroitement la lutte pour des réformes à la lutte pour la conquête du pouvoir par les travailleurs. C’est l’ABC du marxisme. Mais Friot n’en veut rien savoir et rejette tout ce qui n’entre pas dans le cadre de son programme rigide. Là encore, c’est caractéristique du socialisme utopique.
Du capitalisme au communisme
On nous dira : « mais Friot, au moins, défend l’idée du communisme » ! Même pas. Je l’ai déjà souligné : une société dans laquelle une partie de la population gagne quatre fois plus qu’une autre n’est pas une société communiste. Par ailleurs, dans le véritable communisme, la production marchande aura cédé la place à une planification consciente et démocratique de la production. En conséquence, l’allocation de ressources et de travail ne sera plus soumise aux aléas d’un marché. Elle sera consciemment déterminée par la collectivité.
Sous le communisme, le très haut niveau de développement des forces productives libèrera les individus du besoin de justifier leur droit à la consommation des richesses par la quantité de travail qu’ils ont fourni. C’est la formule de Marx : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Chacun produit selon ses capacités, chacun consomme selon ses besoins.
En même temps que le marché, c’est l’argent qui disparaitra, et donc les salaires. Au passage, l’Etat aussi aura disparu, en même temps que les inégalités sociales et les conflits que ces inégalités provoquent.
Dans le « communisme » de Friot, par contre, il n’y a pas de planification de l’économie. On a la concurrence entre des entreprises co-gérées par les travailleurs, certes, mais soumises aux aléas du marché. Dans son communisme, on a les inégalités, les salaires, l’argent, le marché, les faillites, la surproduction – et bien sûr l’Etat, ce produit des inégalités sociales.
Manifestement, Friot ne comprend pas la théorie marxiste de la transition du capitalisme au communisme. Marx a pourtant expliqué ça très clairement. Je résume.
La conquête du pouvoir par la classe ouvrière place entre ses mains les grands leviers de l’économie. Mais elle ne transforme pas du jour au lendemain la société capitaliste en société communiste. Entre le capitalisme et le communisme, il y a une phase de transition, dans laquelle la société porte encore les stigmates du capitalisme, et c’est cette phase qu’on appelle le socialisme.
La loi de la valeur, par exemple, y est toujours active, parce que la société n’est pas assez riche pour que s’y applique la formule de Marx : « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Il y a donc encore de l’argent, des salaires et un marché, même si la nationalisation des moyens de production et la planification de l’économie transforment, d’emblée, le rôle de l’argent et du marché. Il y a aussi un Etat, mais un Etat ouvrier, qui est qualitativement différent de l’Etat capitaliste, parce que l’Etat ouvrier défend le pouvoir de la majorité – et non plus d’une minorité d’exploiteurs.
Cependant, au fur et à mesure que les anciennes classes dirigeantes sont absorbées, que les forces productives se développent, que le temps de travail hebdomadaire baisse, que le niveau de vie et le niveau culturel des masses s’élèvent, tous les stigmates du capitalisme disparaissent graduellement, pour laisser place, finalement, à une société communiste.
Faute de comprendre cela, Friot nous propose un communisme accablé de la plupart des tares du capitalisme, à la façon des socialistes utopiques du début du XIXe siècle. Pour être juste avec ces derniers, cependant, il faut préciser qu’ils ont joué un rôle positif, à leur époque. Ils ont contribué aux premiers pas du mouvement socialiste. Ils ont beaucoup influencé Marx et Engels. Deux siècles plus tard, le socialisme utopique de Friot marque une régression par rapport au marxisme. Il n’est pas et ne peut pas être une alternative au réformisme.
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- Jorge Martin
Article publié le 28 janvier 2021 sur In Defence of Marxism.
Depuis le début de l’année, un groupe de traders amateurs organisés sur Reddit joue en bourse contre de grands fonds spéculatifs, qui avaient notamment vendu à découvert des actions de Gamestop, une chaîne de distribution de jeux vidéos basée aux Etats-Unis. En conséquence, les prix des actions Gamestop se sont envolés, et un fonds spéculatif valant plusieurs milliards de dollars a dû être renfloué de quelque 2,75 milliards de dollars.
Cet événement fait apparaître Wall Street comme un vulgaire repaire de parieurs, mais révèle également que le système capitaliste est miné par la crise, obnubilé par la spéculation à court terme au détriment d’un développement productif conséquent.
Le short squeeze de Gamestop
La vente à découvert (ou short selling) fonctionne de la façon suivante : un fonds spéculatif parie sur la baisse des actions d’une entreprise donnée puis les vend à découvert. Pour cela, ils empruntent des actions de l’entreprise puis les vendent sans délai, disons à 20 dollars par action. Le fonds spéculatif prévoit une baisse du prix des actions, ce qui lui permettra de racheter les actions précédemment vendues, à moindre prix (mettons ici pour 10 dollars), avant de rendre les actions à la fin du prêt. Ce petit manège permettra au fond de réaliser un profit de 10 dollars par action.
Autrement dit, les gérants de fonds spéculatifs jouent les actions comme au casino, et leur démarche peut avoir un réel impact négatif sur le destin des entreprises, impact que ces entreprises répercutent sur les travailleurs sous la forme de plans de licenciement. Dans le sillage de la crise de 2008, on a pu observer un véritable foisonnement des ventes à découvert lorsque les vautours de la finance se ruaient pour nettoyer les carcasses d’entreprises en voie de faillite.
Au début de l’année, le bruit a commencé à courir que beaucoup de paris à la baisse étaient faits contre Gamestop. On voit rarement des positions courtes de plus de 50 %, ce qui signifie que plus de la moitié des actions négociables de l’entreprise ont été vendues à découvert. Dans le cas de Gamestop, l’intérêt à court terme [NDT Soit la proportion d’actions vendues à découvert par rapport à la quantité d’actions émises] était de près de 140 % ! La majorité de ces actions étaient détenues par le fonds d’investissement Melvin Capital.
Par la suite, des traders amateurs rassemblés sur le subreddit r/WallStreetBets ont organisé une liquidation forcée des positions courtes, un short squeeze, en achetant des actions Gamestop dans le but de faire s’envoler leur prix. Et ils ont réussi : les actions Gamestop ont vu leur prix passer de 17 à 340 dollars.
Mais qu’est-ce qui motivait ces intrépides traders ? Naturellement, ils cherchaient à jouer contre le marché et à réaliser un profit, et un bon nombre d’entre eux y sont parvenus : certains se vantent d’avoir atteint des sommes à 7 chiffres avec leur portefeuille d’action.
Mais à lire leurs publications, on peut constater le développement d’un sentiment de défiance parmi ces traders, qui s’est rapidement mué en une volonté de couler les gérants des fonds spéculatifs, et leurs méthodes immorales avec.
A mesure que la situation gagnait en ampleur, les traders du subreddit r/WallStreetBets se sont montrés de plus en plus déterminés à se cramponner à leurs parts afin de faire autant de dégâts que possible aux vautours de Wall Street. Le forum Reddit est rempli de messages du genre de « ne vendez pas, ensemble nous pouvons gagner ! »
Un système pourri exposé au grand jour
Évidemment, ces traders amateurs n’étaient pas les seuls à participer à cette action. Dès que les prix des actions ont commencé à s’envoler, de plus gros poissons ont eu vite fait de repérer une opportunité et de commencer à investir des sommes bien plus importantes. C’est devenu une bulle spéculative comme une autre, et qui finira comme les autres. Les prix des actions Gamestop vont continuer à augmenter, car beaucoup achètent en ce moment, et beaucoup continueront à acheter, car les prix augmentent, et ce jusqu’au moment où certains commenceront à vendre pour réaliser leurs profits. Ils seront suivis par d’autres qui vendront également leurs actions, poussant le prix de l’action à baisser et poussant plus d’actionnaires à vendre, à cause de la chute des prix. La bulle explosera, et beaucoup de gens y perdront beaucoup d’argent.
Mais pour l’instant, le groupe de traders amateurs a vaincu Melvin Capital, qui a été forcé à arrêter de jouer sur les actions Gamestop, perdant de grosses sommes dans la foulée. Le fonds a dû racheter des parts à des prix très hauts, dans le but de rendre les parts empruntées pour presque rien, en perdant au passage 3,75 milliards de dollars. Les vendeurs à découvert qui pariaient contre Gamestop ont à présent perdu un total de 5,05 milliards de dollars, et on ressent un peu de satisfaction à voir ces parasites recevoir une leçon d’humilité.
Les traders de Reddit se sont ensuite attaqués à d’autres actions, forçant de grands investisseurs qui vendaient à découvert des parts d’autres entreprises à se retirer pour stopper leurs pertes. Tout ceci a mené à une comédie ironique de gérants de fonds spéculatifs et de grands investisseurs qui, après avoir engrangé des milliards à grand renfort de spéculation hasardeuse et bénéficié pendant des années d’une quasi-absence de régulation, se plaignent de la « manipulation du marché » et demandent une intervention gouvernementale ! L’administration Biden a d’ailleurs confirmé qu’elle surveillait cette situation.
Ces événements pourraient effectivement avoir de sérieuses répercussions sur le système financier. Les fonds spéculatifs sont soutenus par les banques et les institutions financières ; si l’un des plus importants vient à couler à la suite de ventes à découvert ratées, il faut s’attendre à des répercussions sur les banques.
Il est utile de rappeler que les flambeurs de Wall Street parient sur la faillite des entreprises et que parfois, ils font en même temps des paris longs et courts pour couvrir toutes les issues possibles, dans le seul et unique but de faire de l’argent facile. Tout ça n’est qu’un immense jeu de roulette : les conséquences réelles pour les vrais travailleurs ne leur importent pas du tout.
Abolissons ce système malade !
Comment expliquer cet incident ? Que peut-il nous apprendre sur Wall Street, et plus largement sur le système capitaliste ?
Ce rassemblement de petits traders amateurs a été facilité par l’émergence d’applications de trading en ligne, à l’image de RobinHood, qui facilitent l’accès des non-initiés au marché boursier. RobinHood est évidemment une entreprise destinée à générer des profits, et s’enrichit considérablement dans l’opération.
Notons également que le nombre de personnes cherchant des astuces pour investir en bourse sur Reddit a augmenté durant la pandémie et la crise qui a suivi. Nombre d’entre eux sont en congé sans solde, ou ont perdu leur travail. Ils ont du temps et, dans certains cas, de maigres aides de l’Etat en poche. Ces gens ont besoin d’argent rapidement, et il n’y a pas de travail en vue.
Plus généralement, la stagnation à long terme des salaires, qui règne aux Etats-Unis depuis près de 50 ans, a poussé certains à chercher un meilleur retour sur leurs faibles investissements grâce à la spéculation financière. Même avant cet incident, il y avait déjà une frénésie spéculatrice sur le marché, avec l’indice FTSE 100 qui est passé de 5100 en avril à 6800 début 2021, et ce malgré la contraction de l’économie américaine.
Voilà qui reflète la gangrène généralisée du système capitaliste : au moment où des millions de personnes perdent leur travail et où des dizaines de milliers d’entreprises sont paralysées, les cours de la bourse, qui sont censés refléter la santé globale de ces entreprises, ne font qu’augmenter. En réalité, les cours de la bourse sont depuis longtemps déconnectés de l’évolution de la production des biens et des services. Et évidemment, à un moment ou à un autre, quelqu’un doit payer l’addition.
La fluctuation des prix des actions reflète à quel point ce système est pourri. A une époque où les taux d’intérêt sont historiquement bas (de zéro, voire même négatifs), l’économie est inondée de liquidités. Une quantité non négligeable de l’argent distribué par les gouvernements aux entreprises, pour surmonter la récession amenée par la crise, s’est retrouvée sur le marché de la spéculation. Ce qui explique également la récente bulle du Bitcoin, qui a vu la cryptomonnaie s’élever d’une valeur de 6800 dollars en avril 2020 à un pic stratosphérique de 40 000 dollars la semaine dernière.
Au lieu d’investir dans la production (dans le développement de la technologie, ce qui permettrait d’améliorer la productivité du travail), les capitalistes jouent cet argent dans une économie de casino, où les retours sont plus rapides et plus importants. Ce n’est qu’un indice de plus de la nature parasitaire du capitalisme au stade terminal de son déclin.
Tout cet argent, gaspillé dans une spéculation déconnectée de la production réelle des biens et des services, pourrait être utilisé pour satisfaire les besoins urgents de dizaines de millions de personnes, en termes de travail, de logement, d’éducation et de soins médicaux. Combien de doses de vaccin contre le COVID-19 pourraient être produites avec les 3,5 milliards de dollars dilapidés par Melvin Capital au cours des deux dernières semaines ? Combien de lits de soins intensifs, de ventilateurs, ou d’équipements de protection pourraient être fournis grâce à une telle somme ?
Wall Street est une preuve vivante du pourrissement total d’un système capitaliste qu’il faut abolir : le plus tôt sera le mieux.
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- Jules Legendre
La crise économique mondiale déclenchée par la pandémie est d’une ampleur inédite en temps de paix. Pourtant, dès que le « déconfinement » a commencé, les propagandistes de la bourgeoisie ont commencé à parler de « reprise économique ». Puisque la crise n’était, selon eux, qu’une conséquence de la pandémie (et rien d’autre), elle devait naturellement s’achever avec elle. Début août, la Banque de France traçait même la perspective d’une reprise « très progressive », avant un « retour à la normale ».
Une crise « accidentelle » ?
La réalité sera toute autre, même en laissant de côté l’hypothèse d’une deuxième vague de l’épidémie. De quelle « normalité » pourrait-il s’agir lorsque des centaines de milliers d’emplois ont été supprimés depuis le mois de mars, en France, et que des centaines de milliers d’autres sont menacés à court terme ? Les capitalistes se bercent d’illusions ou, plus souvent, espèrent endormir les travailleurs avec des promesses d’un avenir radieux (les fameux « jours heureux » de Macron).
Cette crise est bien plus profonde que la plupart des analystes bourgeois ne le disent. Comme nous l’avons déjà expliqué à maintes reprises, le Covid-19 n’en a été que l’élément déclencheur. Rien n’avait été réglé depuis la crise de 2008. Au contraire, tous les éléments d’une nouvelle récession majeure s’étaient accumulés : la dette mondiale a augmenté au point qu’elle représentait – avant la crise sanitaire – près de 240 % du PIB de la planète ; la spéculation a atteint des sommets, multipliant les « bulles », notamment dans l’immobilier ; les mesures protectionnistes se sont multipliées. Il ne manquait qu’une étincelle pour transformer cette montagne de matériaux inflammables en un brasier – et c’est le rôle qu’a joué la crise sanitaire.
Qui va payer la dette ?
Comme en 2008, la bourgeoisie a répondu à la crise par une dépense massive d’argent public. La Réserve fédérale américaine a injecté près de 12 000 milliards de dollars dans son économie. En France, le gouvernement a immédiatement dépensé des dizaines de milliards d’euros (auxquels vont s’ajouter les 100 milliards du « plan de relance »). Ce faisant, il a évité un effondrement complet de l’économie, mais au prix de faire s’envoler la dette publique à des niveaux inédits et insoutenables.
Cette dette ne peut pas grandir indéfiniment. Tôt ou tard, quelqu’un devra la payer et, partout, les gouvernements bourgeois se préparent donc à présenter l’addition aux travailleurs, aux jeunes, aux retraités et aux classes moyennes. Au lieu de « jours heureux », c’est l’austérité généralisée qui attend la masse de la population. Le nouveau gouvernement Castex a été très clair : les réformes des retraites et de l’assurance-chômage ne sont repoussées que temporairement ; elles vont s’appliquer dès l’année prochaine.
Dans le même temps, les entreprises lâchent du lest en espérant amortir le choc de la crise. On voit s’accumuler les annonces de licenciements massifs. Aux Etats-Unis, le taux de chômage a été multiplié par trois depuis le mois de mars. En France, les procédures de « plan social » annoncées, à ce jour, prévoient un total de 30 000 licenciements. D’autres vont être annoncés dans les prochaines semaines. A cela s’ajoutent les centaines de « petites » procédures de licenciements collectifs – et les centaines de milliers d’intérimaires qui ont vu leurs missions s’arrêter.
Tensions internationales
A l’échelle internationale, la récession va provoquer une accélération des crises diplomatiques et militaires, sur fonds de lutte acharnée des classes dirigeantes nationales pour des parts de marché – et pour « exporter le chômage » (protectionnisme). En août, Donald Trump a annoncé une nouvelle vague de mesures protectionnistes. Il a déclaré la guerre au réseau social chinois TikTok. Cela a provoqué la riposte immédiate du gouvernement chinois, avec des mesures visant l’entreprise américaine Apple.
Les guerres ne seront pas seulement commerciales. On observe déjà une flambée des tensions militaires, par exemple autour de la délimitation des eaux territoriales (et donc des zones commerciales exclusives) en Méditerranée orientale. Même si un affrontement militaire direct entre grandes puissances est exclu à court terme, pour des raisons que nous avons expliquées ailleurs [1], les affrontements « par procuration » entre les puissances impérialistes ne peuvent que se multiplier.
Ainsi, la « normalité » que nous promet la Banque de France sera différente de celle d’avant la crise. Ce sera une nouvelle normalité, faite d’une augmentation brutale du chômage et de la précarité, sur fond de guerre générale contre les pauvres, en France comme ailleurs. En conséquence, la jeunesse et la classe ouvrière de tous les pays n’auront pas d’autre choix que reprendre le chemin des luttes massives. Mais elles le feront en tenant compte de l’expérience accumulée depuis 2008, expérience marquée par toute une série d’explosion de la lutte des classes. Celle-ci va donc se développer à un niveau supérieur. Dans ce domaine aussi, il n’y aura pas de « retour à la normale ».
[1] Dans nos Perspectives mondiales 2018.
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- Révolution
Il y a plus de dix ans, au plus fort de la crise de 2008, la Chine a sauvé le capitalisme mondial, notamment grâce à un plan de relance de plus de 500 milliards d’euros. Sans ce « stimulant », et sans l’énorme demande en matières premières et de marchandises importées qu’il a suscité en Chine, la crise aurait basculé dans la Dépression.
L’histoire, cette fois-ci, ne se répètera pas. Alors que le monde bascule dans une nouvelle crise, bien plus profonde que celle de 2008, la Chine n’est plus en état de sauver l’économie mondiale.
Le confinement de l’économie et les dettes de 2008
L’économie chinoise est complètement assommée par le COVID-19. Le confinement de régions entières et l’arrêt d’innombrables entreprises ont eu un impact colossal. Le taux de chômage officiel a bondi à près de 6,2 % en février, un record historique. Mi-mars, près de 40 % des grandes entreprises industrielles étaient encore à l’arrêt. Les exportations se sont effondrées, faute de marchandises à exporter. Et cette situation est partie pour durer. Même si l’économie chinoise revenait bientôt « à la normale », elle aurait besoin d’acheteurs pour leur vendre ses marchandises. Or c’est aujourd’hui le reste du monde – et particulièrement les Etats-Unis et l’Europe – qui se ferme du fait de la pandémie, laquelle s’ajoute aux vives tensions protectionnistes des deux dernières années. Les exportations chinoises font face à des portes fermées.
Le gouvernement chinois tente d’intervenir, mais il devient évident que son action en 2008 n’a fait que « préparer une crise plus générale et plus formidable et [...] diminuer les moyens de la prévenir », pour reprendre les mots du Manifeste du Parti communiste. Les dettes monstrueuses contractées en 2008 et 2009 pèsent lourdement, aujourd’hui, sur les efforts du gouvernement chinois.
Pékin vient d’annoncer un nouveau plan d’investissements publics, d’une envergure comparable à celui de 2008. Mais à la différence de 2008, la Chine est déjà très lourdement endettée. Sa dette totale – publique et privée – s’élève à 310 % du PIB du pays. Elle a pratiquement doublé depuis 2008. En conséquence, le gouvernement chinois ne peut renouveler son effort de 2008 et 2009 qu’au prix d’un accroissement insoutenable de cette dette.
Un château de cartes
Le « stimulant » de 2008 a maintenu artificiellement la croissance de l’économie, mais au prix de préparer la crise actuelle. A l’époque, les banques d’Etat chinoises ont multiplié les prêts à des gouvernements régionaux ou locaux, pour qu’ils investissent massivement dans des projets d’infrastructures. Après une phase de stimulation initiale, le résultat a surtout été l’accroissement des « créances douteuses » (des dettes qui ne seront très probablement pas remboursées). En 2019, l’agence Reuters rapportait que le total de ces créances « s’élève officiellement à 1500 milliards de yuans (à peu près 200 milliards d’euros), mais certains analystes estiment que le chiffre réel serait quatorze fois plus élevé ». En imaginant qu’elle soit possible, une autre vague d’investissement public massif ne ferait qu’approfondir le marais de dettes dans lequel est plongé le système financier chinois.
Autre facteur d’inquiétude : pour rembourser leurs dettes auprès des banques, les gouvernements régionaux ont vendu de très nombreux terrains publics – souvent après en avoir exproprié illégalement les habitants. En 2018, près de 40 % des revenus des gouvernements régionaux et locaux chinois provenaient des ventes de terres. Ils sont devenus complètement dépendants du marché foncier et du marché de l’immobilier.
Or l’immobilier et le bâtiment sont en crise en Chine. D’après l’index Beige Book, « le marché de l’immobilier a été dévasté au premier trimestre de cette année ; tous les indicateurs ont été négatifs, aussi bien dans la vente que dans la construction. » (Financial Times, 24 mars). Au-delà de l’actuelle crise sanitaire, cette situation s’explique par le simple fait que l’immobilier chinois commence à atteindre ses limites : près de 90 % des foyers chinois sont déjà propriétaires.
Lorsque la bulle de l’immobilier explosera, les gouvernements locaux seront incapables de payer leurs dettes, et ils entraineront les banques chinoises dans leur chute, sans que Pékin puisse y faire quoi que ce soit.
Comme nous l’avons souvent expliqué, aucune des contradictions profondes qui ont mené à la crise de 2008 n’a été résolue : les marchés sont saturés et le niveau d’endettement est bien plus haut qu’il ne l’était en 2008. Sauf que cette fois-ci, aucun sauveur ne viendra à la rescousse de l’économie capitaliste en détresse. A nous de mettre fin aux convulsions de ce système, qui ne peut que se traîner de crise en crise.