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Yasser Arafat se trouve à la tête d’un régime chargé,  suivant les accords, de faire régner l’ordre et de protéger la "sécurité"  d’Israël. Ce que demande Sharon, comme Barak avant lui, c’est que, fort  des 50 000 hommes armés et des moyens considérables de répression interne  dont il dispose, Arafat fasse en sorte que les Palestiniens mettent  fin à leur révolte et acceptent paisiblement leur sort funeste. Arafat  voudrait bien obtempérer, mais les bouclages, le blocus économique,  les contraintes et la répression imposés par Israël ont fini par miner  la crédibilité de l’Autorité Palestinienne.

La provocation de Sharon, en septembre 2000, et le  massacre, dès le lendemain, des manifestants palestiniens, a fait éclater  la nouvelle Intifada. Mais ce n’était là que l’étincelle faisant exploser  la poudrière. Les accords se sont succédés au fil des années. Il y a  eu ceux d’Oslo en 1993 et en 1995, du Caire en 1994, de Hébron en 1997,  de Wye River en 1998 et de Charm el-Cheikh en 1999, sans parler des  conférences à Camp David et des nombreuses réunions secrètes entre Arafat  et les chefs israéliens. Et pourtant, durant toutes ces années, la colonisation  s’est poursuivie. Selon l’ONG israélienne Betselem, 78500 nouveaux colons  se sont installés dans les territoires entre 1993 et 2000. Dans le même  temps, 11 190 logements de colons ont été construits. Le nombre de colonies  de plus de 200 000 habitants est passé de 122 à 141. Chez les Palestiniens,  c’est l’inverse qui se produit : des milliers de familles ont été jetées  dans la rue à la suite des "démolitions administratives",  lesquelles impliquent parfois la destruction de villages entiers. En  fin de comte, près de 40 000 hectares de terres palestiniennes ont été  arbitrairement confisqués.

Les accords n’ont pas mis fin à l’occupation militaire  de la région par Israël. Ils ont seulement servi à cacher la réalité  de cette occupation à "l’opinion publique" occidentale. Au  total, les territoires prétendument autonomes ne représentent que 20%  des terres conquises par Israël en juin 1967. Le régime d’Arafat ne  contrôle que 70% de Gaza (une petite bande de territoire de 360 Km²),  13% de la Cisjordanie et pas un seul quartier de Jérusalem. La Cisjordanie  est divisée en parcelles de terrain, chacune étant soumise à l’un de  trois régimes statutaires : celui de territoire sous contrôle palestinien,  celui de territoire palestinien dont la sécurité interne est assurée  par Israël, et enfin celui de territoire sous contrôle israélien.

Quel que soit le statut d’une parcelle donnée de territoire,  sa vie sociale et économique y est régie par l’omniprésence des forces  armées israéliennes, qui font obstruction aux déplacements à pied ou  en voiture, occasionnant des embouteillages énormes et soumettant la  population à des contrôles d’identité aussi humiliants qu’interminables.  Des axes routiers de bonne qualité traversent les terres palestiniennes  pour relier les colonies israéliennes les unes aux autres, ignorant  les localités palestiniennes, qui sont cernées par les postes de contrôle  et les bunkers de l’armée israélienne. Ces localités sont transformées,  de ce fait, en des camps d’internement d’où on ne sort que par un lent  filtrage, après plusieurs heures d’attente et de tracasseries. Ainsi,  les 70 km qui séparent Gaza de Hébron s’avèrent impossible à parcourir  en moins de 24 heures. Les contrôles ne concernent pas que les personnes.  Toute circulation de biens et de marchandises est rigoureusement contrôlée,  y compris celle des médicaments et des convois humanitaires, dont l’immobilisation  donne lieu à des "taxes portuaires" particulièrement pénalisantes.  L’Etat israélien peut ainsi ouvrir et fermer à volonté les innombrables  postes de contrôle situés entre les différentes enclaves palestiniennes,  et possède de ce fait une maîtrise quasi absolue de la vie économique  des territoires que certains osent appeler autonomes.

Au sommet de l’Autorité Palestinienne se trouve une  clique privilégiée, répressive et notoirement corrompue. L’écart entre  leur train de vie et celui du reste de la population est immense. Le  projet défendu par bon nombre d’hommes d’affaires dans l’entourage de  Yasser Arafat, qui vise la création d’une "zone franche",  où les entreprises capitalistes n’auraient à craindre ni législation  sociale, ni syndicalisme, ni fiscalité - sous prétexte que ceci "créerait  des emplois" - signifierait la colonisation du territoire par des  éléments mafieux. Monsieur Salah Abdel Shafi, qui dirige le Centre Palestinien  du Commerce, se vante d’ailleurs ouvertement des profits lucratifs qui  sont à faire dans les territoires : "Notre économie se développe  sous les yeux de la Banque Mondiale et du FMI, disait-il dans Le  Monde du 25 décembre 2000, et nous sommes de loin le plus libéral  des pays arabes".

Ni les dirigeants du Fatah, ni ceux du Hamas, n’ont  voulu de l’Intifada. Le soulèvement est parti d’en bas, se nourrissant  du courage et de l’élan révolutionnaire de la jeunesse palestinienne,  en réaction directe à la réalité des accords que l’Autorité cherchait  à faire appliquer. Une main tendue vers Bush et l’autre main vers le  régime despotique d’Arabie Saoudite, Arafat veut sans cesse "négocier"  avec les bourreaux de son peuple qui sont à la tête de l’Etat israélien.  En pleine guerre, il envoie régulièrement ses émissaires rencontrer  les services secrets israéliens - l’infâme Mossad - pour traiter des  "questions de sécurité". Une de ces rencontres a eu lieu le  16 novembre dernier, au moment même où les roquettes et les obus de  l’aviation israélienne pleuvaient sur Gaza. Sans doute faut-il mettre  à l’actif de ces rencontres les frappes israéliennes particulièrement  bien ciblées qui éliminent périodiquement les adversaires palestiniens  du "chef historique" Arafat.

Les Palestiniens se trouvent en face d’une superpuissance  régionale disposant d’une écrasante supériorité militaire et technique.  Par conséquent, d’un point de vue strictement militaire, aucune issue  favorable aux Palestiniens n’est envisageable. Cependant, ceci ne signifie  nullement que la cause de l’Intifada soit perdue d’avance. Bien au contraire.  La grande force du soulèvement réside, d’une part, dans la détermination  et l’énergie révolutionnaire de la jeunesse palestinienne et, d’autre  part, dans l’immense réserve de soutien dont ils disposent dans le monde  arabo-musulman. Pour les régimes corrompus et despotiques d’Arabie Saoudite,  de Jordanie, d’Algérie, du Maroc et d’ailleurs, la cause palestinienne  n’a d’intérêt que comme monnaie d’échange diplomatique et pour duper  les peuples qu’ils oppriment et exploitent dans leurs pays respectifs.  Mais ce sont ces peuples qui sont les vrais alliés des Palestiniens  de la diaspora, de Gaza et de Cisjordanie, et les aspirations qui impulsent  l’Intifada rejoignent leur propres aspirations à une vie meilleure,  libérée de l’oppression et de l’exploitation. Dès lors, si l’Etat israélien  constitue l’ennemi le plus immédiat et le plus directement responsable  de l’oppression terrible qui s’abat sur les Palestiniens, la lutte pour  leur émancipation n’en est pas moins inextricablement liée à celle qui  débarrassera l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient de leurs régimes répressifs  et réactionnaires.

En Jordanie, le roi Hussein a perpétré le massacre  du "septembre noir" en 1970 par crainte que l’esprit révolutionnaire  des combattants palestiniens ne finisse par gagner le reste de la population.  La discrimination et les restrictions en vigueur à l’encontre des réfugiés  palestiniens et de leur famille en Jordanie, au Liban, en Syrie et ailleurs,  traduisent la méfiance des régimes en place envers les victimes de la  répression israélienne. Aucun de ces régimes ne peut se vanter d’une  réelle stabilité. Avec Israël, ils ont intérêt à ce que la question  palestinienne soit "contenue". Ceci explique leur soutien  aux "accords" bâclés qui ont infligé tant de misère et de  souffrances aux habitants des territoires occupés. Ceci explique, aussi,  l’alignement lâche et perfide des régimes arabes sur les objectifs stratégiques  des Etats-Unis au Moyen-Orient et en Asie Centrale. L’écrasante puissance  militaire de l’Oncle Sam n’est-elle pas, en fin de compte, le meilleur  garant possible contre des bouleversements sociaux et politiques qui  menaceraient leur pouvoir et leurs privilèges ?

Le potentiel révolutionnaire qui existe dans le monde  arabo-musulman a été clairement mis en évidence par ce qui s’est récemment  passé en Algérie. Le mouvement de la jeunesse algérienne, qui a fait  éruption au printemps de l’année dernière, préfigure un mouvement à  venir encore plus puissant dans ce pays. Le régime algérien est absolument  incapable de résoudre les problèmes auxquels la population se trouve  confrontée. Bien au contraire, ces problèmes s’aggravent d’année en  année. Il ne s’agit pas, comme nous l’avons expliqué dans notre texte  Le début de la nouvelle révolution algérienne, d’une mobilisation "kabyle",  mais de l’ensemble de la jeunesse algérienne. Tôt ou tard, ce mouvement  gagnera les travailleurs du pétrole et des autres secteurs clés de l’économie  nationale. A ce moment-là, la question d’une transition vers une société  socialiste sera posée. Il incombe au peuple algérien de renouer avec  ses grandes traditions révolutionnaires et de mener à bien ce changement.  La possibilité d’une issue victorieuse de ce mouvement dépendra avant  tout de la qualité des dirigeants qu’il se donnera au cours de sa lutte.  En tout état de cause, une victoire du socialisme en Algérie, ou encore,  par exemple, au Maroc ou en Egypte, transformerait radicalement le rapport  de forces en Palestine. La difficulté de la position des Palestiniens  des territoires occupés réside dans le fait qu’ils se trouvent nez à  nez avec la pleine puissance militaire du capitalisme israélien, et  dans le fait qu’ils sont encore relativement isolés.

Ce qui inquiète au plus haut point les stratèges du  Pentagone et des puissances européennes, c’est la possibilité que d’autres  "foyers" de contestation et de révolte viennent se rajouter  à l’Intifada palestinienne. Les grandes puissances considèrent la révolte  en Cisjordanie et à Gaza, aussi longtemps qu’elle n’aura pas été étouffée,  comme une grave incitation à un tel embrasement. Dans le contexte de  la récession économique mondiale qui s’installe actuellement, et dont  les conséquences seront particulièrement sévères dans les pays arabo-musulmans,  cette perspective n’a rien de fantaisiste. L’occupation partielle de  l’Arabie Saoudite par les Etats-Unis, officiellement destinée à la protéger  d’une attaque irakienne, vise en réalité à sauvegarder les intérêts  pétroliers et stratégiques des Etats-Unis en cas de déstabilisation  interne du royaume. De même, Washington et les capitales européennes  réfléchissent à la possibilité d’envoyer au Proche-Orient, sous prétexte  d’opération de "maintien de la paix", une force militaire  afin d’y préserver les intérêts occidentaux. Dans cette éventualité,  derrière une façade de "neutralité", les casques bleus s’efforceraient  de créer les conditions d’un renforcement de l’Autorité Palestinienne  et d’une stabilisation de la situation au profit de leur seul allié  fiable dans toute la région, à savoir l’Etat israélien. Yasser Arafat  estime, quant à lui, qu’une force d’intervention composée de 20 000  soldats devrait suffire à mettre de l’ordre dans ses affaires.

A ce jour, les Etats-Unis et les puissances européennes  ont pu éviter un engagement militaire direct. Ils espèrent encore pouvoir  étouffer l’Intifada, en misant sur l’épuisement du mouvement, tout en  s’efforçant d’augmenter le prestige d’Arafat. La France, la Grande-Bretagne  et les Etats-Unis continuent de livrer des quantités considérables d’armes,  de dispositifs de surveillance et de matériel "anti-émeute"  à Israël. La NSA américaine (National Security Agency) et les services  secrets européens, dont ceux de la France, travaillent en étroite collaboration  avec le Mossad dans son combat pour contenir et mettre fin à l’Intifada.  Il va de soi, dans le cas d’une intervention militaire directe, que  les troupes occidentales n’auraient d’autre mission que d’œuvrer dans  le même sens que les méthodes moins directes employées jusqu’à présent.  Prétendre qu’une intervention militaire de la part des grandes puissances  occidentales serait avantageuse aux Palestiniens relève, au mieux, d’une  naïveté époustouflante, au pire, du charlatanisme politique.

Nous laisserons à nos lecteurs le soin de décider dans  laquelle de ces deux catégories se placent les dirigeants politiques  qui, en France, s’efforcent de préparer l’opinion publique à une éventuelle  expédition militaire au Proche-Orient sous prétexte de "protéger"  les Palestiniens. En décembre 2001, le bureau national du PS a voté  une résolution dans laquelle il "souhaite que le gouvernement  saisisse l’Union européenne et en appelle aux Etats-Unis pour poser  de toute urgence, avant qu’il ne soit trop tard, la question au conseil  de sécurité de l’ONU afin de décider l’envoi d’une force internationale  d’interposition chargée de mettre fin à la guerre". Sur le  même registre, le PCF, les Verts, la LCR, le MRAP et l’association France-Palestine  exigent une intervention militaire dans les plus brefs délais. Ce serait  un moyen, selon eux, de prouver la "sincérité" de Bush. D’après  un communiqué publié au nom de ces organisations : "Il est temps  que les puissances occidentales pèsent de tout leur poids pour l’envoi  d’une force internationale, sous l’égide de l’ONU, pour protéger le  peuple palestinien. Après un long silence, le Président Bush affirme  être pour un Etat palestinien. La sincérité d’une telle affirmation  se mesurera à la volonté américaine d’user de sa puissance pour mettre  fin au terrorisme de l’Etat d’Israël".

En réalité, les Palestiniens, tout comme les jeunes  et les travailleurs d’Algérie, du Maroc ou de l’Egypte, n’ont rien à  espérer d’une intervention militaire des grandes puissances. Ils ne  peuvent compter que sur leur propre force. L’Intifada doit vaincre ses  ennemis, et se doter, pour ce faire, d’une stratégie susceptible de  rompre son isolement. Ceci passe par un appel à l’action en direction  des travailleurs et de la jeunesse des pays arabo-musulmans, qui sont  les alliés potentiels les plus importants de l’Intifada. Il faut inscrire  sur le drapeau de l’insurrection palestinienne la revendication d’une  fédération socialiste et démocratique des peuples du Moyen-Orient et  de l’Afrique du Nord. Porté et expliqué par la jeunesse des territoires  occupés, ce mot d’ordre aurait un impact colossal sur la conscience  de leurs frères et sœurs dans les autres pays du monde arabe, et même  au-delà. Les cliques richissimes et corrompues qui assistent passivement  à ce qui se passe dans les territoires doivent être renversées, tout  comme le système capitaliste, qui a concentré la richesse entre les  mains de minorités puissantes au détriment des peuples.

Concernant Israël, le programme et la stratégie de  l’Intifada doivent distinguer nettement entre le gouvernement, les chefs  militaires et les capitalistes, d’une part, et les citoyens ordinaires  de l’autre, même si une fraction significative de ceux-ci parait s’aligner  derrière des gangsters comme Sharon et Barak. En particulier, il est  nécessaire d’imposer l’arrêt définitif des attentats perpétrés contre  des civils israéliens, qui ne font pas avancer d’un seul pouce la cause  palestinienne et qui sont même totalement contre-productifs. Le terrorisme  individuel pratiqué par le Hamas et d’autres groupes est une véritable  aubaine pour le camp de Sharon et les éléments les plus haineux, racistes  et réactionnaires de la société israélienne. Il permet de souder la  population autour de la politique répressive du gouvernement et d’isoler  et démoraliser les opposants israéliens à cette politique. Notre position  sur cette question n’a rien à voir avec le pacifisme. Les Palestiniens  ont le droit de se défendre, les armes à la main, face à la brutalité  de l’Etat-major israélien. Mais le terrorisme individuel, qui fait exploser  un bus rempli d’enfants ou qui tue des jeunes dans un bar, n’est d’aucune  efficacité militaire et ne fait que renforcer politiquement ceux que  l’on est censé affaiblir et vaincre.

La politique de l’Intifada envers la population israélienne  doit chercher à exploiter les clivages sociaux qui existent dans ce  pays comme dans tout autre. En Israël, le capitalisme a plongé des millions  de travailleurs et de jeunes dans une impasse sociale et économique.  Les capitalistes israéliens s’efforcent de faire peser les conséquences  de la crise sur la population. Le taux de chômage officiel avoisine  les 10%. Le secteur du tourisme est complètement sinistré. Dans le dernier  semestre de 2001, 50 000 des les 200 000 emplois de ce secteur ont été  supprimés. De nombreuses grèves ont éclaté pour combattre cette politique.  Chez les israéliens d’origine palestinienne, soit 18% de la population  active, il y a, bien sûr, une réserve importante de soutien et de solidarité  envers l’Intifada. Mais les autres travailleurs, qui entrent en lutte  contre les restrictions budgétaires, contre le chômage, et contre toutes  les inégalités sociales flagrantes qui traversent la société israélienne,  ont besoin d’entendre eux aussi une voix solidaire et fraternelle émanant  des acteurs de l’Intifada, et ce en dépit du fait que l’histoire ensanglantée  des relations israélo-palestiniennes les a chargé de préjugés à l’encontre  des Palestiniens. Ce n’est que de cette façon qu’il sera possible de  détruire ces préjugés et de jeter les bases d’un mouvement, de part  de d’autre des frontières, contre l’adversaire commun, à savoir l’Etat  capitaliste israélien.