Le 19 mars 2003, les impérialistes britanniques et américains déclenchaient leur offensive meurtrière pour « libérer le peuple irakien ». Vingt ans plus tard, l’Irak est toujours déchiré par la guerre et plus d’un million de personnes sont mortes, victimes des aventures criminelles de l’impérialisme occidental.

Depuis leur piteux retrait de l’Irak en 2011, les impérialistes américains se comportent comme s’ils n’avaient rien à voir avec les conséquences catastrophiques de leur invasion de 2003. Ils donnent même des leçons de « souveraineté » à la Russie à propos de son invasion de l’Ukraine. L’hypocrisie de l’impérialisme américain – qui est la force la plus réactionnaire au monde – est sans limite.

Le « nouvel ordre mondial »

Après l’effondrement de l’URSS en 1991, les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance mondiale. La classe dirigeante américaine s’est alors imaginée qu’elle pouvait s’appuyer sur son écrasante supériorité militaire et économique pour imposer sa domination aux quatre coins du globe. C’est ce que le président George W. Bush (1988-1992) a appelé le « nouvel ordre mondial ».

Alors que la Russie s’enfonçait dans le chaos, les Etats-Unis ont commencé à intervenir dans les anciennes sphères d’influence de l’Union Soviétique. Dans la plupart des cas, cela pouvait s’accomplir par les méthodes impérialistes « normales » du commerce et de la diplomatie. Mais dès qu’un gouvernement refusait de se plier aux intérêts de Washington, il lui était toujours possible de mobiliser sa colossale machine de guerre afin de « convaincre » le récalcitrant.

Au premier rang de ces Etats rétifs se trouvait l’Irak dirigé par Saddam Hussein, dont le régime avait survécu in extremis à la première guerre du Golfe (1990-1991) – elle aussi dirigée par les Etats-Unis. Ces derniers voulaient notamment garantir la sécurité de la monarchie saoudienne, qui était leur principale alliée dans le golfe Persique. En 1998, une campagne de bombardements fut menée contre l’Irak par le gouvernement de Bill Clinton, et une loi américaine (l’Iraq Liberation Act) faisait du renversement de Saddam Hussein un objectif officiel de la politique étrangère de Washington.

Avec l’arrivée au pouvoir, en 2000, du président George W. Bush Junior et des Républicains, les préparatifs de guerre s’intensifièrent. Au-delà des intérêts stratégiques et économiques de l’impérialisme américain, il faut souligner que plusieurs membres du gouvernement Bush avaient personnellement intérêt à une invasion de l’Irak. Le sous-sol de ce pays recelait la cinquième réserve mondiale de pétrole. Or Bush avait, comme son père, des liens étroits avec l’industrie pétrolière. Sa conseillère à la sécurité nationale et future secrétaire d’Etat Condoleezza Rice siégeait au conseil d’administration de l’entreprise pétrolière Chevron. Enfin, le vice-président Dick Cheney était l’ancien PDG de l’entreprise de construction Halliburton, spécialisée dans les infrastructures pétrolières. Par un heureux « hasard », c’est précisément cette entreprise qui remporta les marchés de la « reconstruction » de l’Irak, après l’invasion du pays.

Propagande mensongère

Tout ce qui manquait au gouvernement Bush, pour envahir l’Irak, c’était un « bon » prétexte. Il leur fut offert par les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Dans un premier temps, ils permirent de justifier l’invasion de l’Afghanistan, en octobre, pour renverser les Talibans et installer un régime pro-américain. Cette « victoire » remportée en quelques semaines n’était en réalité que le début d’une guerre de vingt ans, qui s’est achevée en débâcle pour Washington.

Gonflés à bloc par leur « victoire » en Afghanistan, Bush et sa clique tournèrent leur attention vers leur principal objectif : l’invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein. Le déclenchement de la guerre fut précédé d’une campagne de propagande inouïe pour tenter de justifier cette agression.

La soi-disant « guerre contre le terrorisme » semblait constituer le parfait prétexte pour tenter de rallier l’opinion publique. Dans un premier temps, Washington inventa une connexion entre Saddam Hussein, Al-Qaïda et les attentats du 11 septembre, avant de se rabattre sur la fable des « armes de destruction massive » irakiennes et de la «menace imminente» qu’elles faisaient peser sur le « monde libre ». Le fait qu’aucune inspection n’ait pu apporter la moindre preuve de l’existence de telles armes, en Irak, était un détail sans importance qui fut balayé d’un revers de main. Pour faire bonne mesure, les dirigeants américains ajoutaient que leur objectif était aussi d’installer en Irak une démocratie florissante – et d’apporter la paix et la stabilité à toute la région.

Pour donner l’illusion que l’invasion de l’Irak était le fait de la « communauté internationale », Washington constitua une coalition hétéroclite de puissances de second ou de troisième rangs disposées à satisfaire leur maître américain – dont la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Espagne, l’Estonie, et même l’Ukraine ! Ces Etats, aujourd’hui, poussent de hauts cris lorsque la Russie soumet l’Ukraine au traitement qu’ils ont alors réservé à l’Irak.

L’opposition de l’impérialisme français

Les Américains et leurs alliés espéraient qu’une résolution de l’ONU viendrait parachever leurs efforts de propagande et couvrir leur invasion du vernis du « droit international ». Mais ils se heurtèrent à l’opposition de plusieurs pays du Conseil de sécurité, et en particulier de la France.

Contrairement aux grands discours entonnés à l’époque par le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, cette opposition n’avait strictement rien à voir avec de grands « principes » démocratiques ou moraux. Elle reflétait les intérêts des grandes entreprises capitalistes françaises. Par exemple, Total venait de négocier avec Bagdad les droits d’exploitation de plusieurs gisements pétroliers. Une invasion américaine risquait de faire capoter ces juteux projets.

Les grands principes brandis par De Villepin n’avaient pas empêché l’impérialisme français de participer à l’invasion de la Yougoslavie en 1999 ou de l’Afghanistan en 2001, pas plus qu’ils n’empêchèrent l’armée française de mener une offensive meurtrière contre la Côte d’Ivoire en 2004.

L’ONU est contrôlée par les brigands impérialistes. Son rôle n’est pas de défendre la paix dans le monde ou le « droit international », mais de négocier des compromis entre les impérialismes rivaux. La plupart du temps, comme dans le cas de l’Irak, leur rivalité dans la lutte pour des marchés et des sphères d’influence est trop aiguë pour qu’ils parviennent à s’entendre. L’ONU est donc condamnée à ne « résoudre » que des questions secondaires.

« Mission accomplie ! »

L’invasion de l’Irak débuta le 19 mars 2003, par une campagne massive de bombardements aériens qui décimèrent les forces armées irakiennes. Le 9 avril, les forces américaines entraient à Bagdad ; le 30 avril, l’invasion du pays était achevée. Le lendemain, George Bush proclamait que la « mission [était] accomplie ». Les opérations de combat étaient censées être terminées.

Le gouvernement américain mit sur pied une « Autorité Provisoire de la Coalition », c’est-à-dire une administration coloniale appuyée sur les troupes d’occupation. Cette Autorité ouvrit le pays aux investissements américains, notamment en privatisant les immenses réserves pétrolières. Elle s’efforça également d’établir une façade de « démocratie » en Irak, mais en utilisant la tactique traditionnelle de l’impérialisme : « diviser pour mieux régner ». La nouvelle « démocratie irakienne » reposait sur la division de la population suivant des lignes sectaires ou nationales : Chiites contre Sunnites, Kurdes contre Arabes, etc.

Les impérialistes américains s’attelèrent aussi à démanteler ce qui restait de l’appareil d’Etat irakien. Ils dissolurent l’armée irakienne et interdirent à tous les anciens membres du parti de Saddam Hussein, le « Ba’th », d’occuper un poste dans la fonction publique. Des dizaines de milliers de fonctionnaires furent licenciés du jour au lendemain.

Barbarie et guerre civile

L’Etat fantoche mis en place par les Américains n’ayant aucune base solide dans la population, il fut très rapidement confronté à une situation de guérilla généralisée. La destruction de l’appareil d’Etat de Saddam Hussein avait privé d’emploi près de 100 000 soldats irakiens, qui vinrent nourrir les rangs de milices rivales – mais toutes plus ou moins hostiles aux forces d’occupation.

Les soldats américains durent alors faire face à la multiplication de petites attaques-surprises dont les auteurs pouvaient facilement se dissimuler dans la population. La réponse de la coalition fut comparable à celle d’un homme tentant de combattre une nuée de guêpes à coup de canon. La population civile en fut la première victime. Les bombardements massifs, la généralisation de la torture et les meurtres de civils dévastèrent le pays et créèrent un terreau fertile pour la réaction islamiste.

Les divisions ethniques et religieuses entretenues par la coalition pour se maintenir au pouvoir finirent par déboucher, en 2006, sur une guerre civile ouverte. Dans le même temps, l’élimination de l’armée irakienne par les Etats-Unis avait profondément bouleversé l’équilibre politique et militaire de la région. L’influence de l’Iran s’accrut. Pour la contenir, les Etats du Golfe et l’Arabie Saoudite commencèrent à financer les milices islamistes sunnites irakiennes.

Lorsque les Etats-Unis ont jeté l’éponge et retiré leurs troupes en 2011, l’Irak n’était plus qu’un champ de bataille sur lequel s’affrontaient différentes milices réactionnaires soutenues par les puissances rivales de la région. Par ailleurs, alors qu’Al-Qaïda n’avait aucune présence organisée en Irak sous Saddam Hussein, elle prospéra sur les ruines laissées par l’invasion américaine et finit par donner naissance au monstrueux Califat de l’Etat Islamique.

Les séquelles de l’invasion de l’Irak

Le bilan de l’invasion de l’Irak est sans appel. Elle a coûté aux Etats-Unis 1900 milliards de dollars et les vies de 4614 soldats américains. Plus d’un million d’Irakiens furent tués ; neuf millions furent déplacés. En Irak, le taux de pauvreté a grimpé à 25 %, le taux de chômage à près de 14 %, et de très nombreuses infrastructures sont détruites. L’Irak est aujourd’hui dirigé par un gouvernement fantoche qui vend ses services à la fois aux Etats-Unis et à l’Iran.

Tacite, le célèbre historien de la Rome antique, écrivait : « Où ils ont fait un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix ». En Irak, les Etats-Unis ont créé un désert – et disent qu’ils ont installé la démocratie. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant qu’une partie de la population soit nostalgique du régime dictatorial et sanguinaire de Saddam Hussein.

En tentant d’écraser un régime rétif et de faire la démonstration de leur puissance, les Etats-Unis ont ouvert une boîte de Pandore et se sont piégés eux-mêmes.

Cette monstrueuse guerre impérialiste a eu des conséquences politiques profondes. Lorsque la guerre civile a commencé en Syrie, l’impérialisme américain n’était plus en état d’y intervenir militairement, comme il aurait souhaité le faire. Les milliers de soldats américains tués en Irak, sur fond de révélation des mensonges de Bush et consorts, ont rendu l’opinion publique américaine très hostile aux aventures militaires à l’étranger.

Le fiasco des guerres en Irak et en Afghanistan a révélé les limites de l’hégémonie américaine. Même si ce colosse impérialiste reste sans égal sur la scène mondiale, il n’est pas omnipotent. Partout dans le monde, comme aujourd’hui face à la Russie en Ukraine, Washington est confronté à des puissances régionales qui tentent de se faire une place dans un « nouvel ordre mondial » ravagé par la crise du capitalisme.

Mouvements de masse

Avant comme après l’invasion de l’Irak, la classe ouvrière mondiale n’est pas restée passive face aux crimes des impérialistes. La période qui précéda immédiatement la guerre a vu se dérouler l’une des plus importantes mobilisations de l’histoire : près de 55 millions de personnes ont manifesté contre la guerre à l’échelle mondiale.

Malheureusement, ce mouvement était sérieusement limité par son caractère hétéroclite et par la vacuité de ses mots d’ordre réformistes. Le mot d’ordre exigeant « la paix » – sans toucher au capitalisme – était parfaitement creux. La paix est impossible sur la base du capitalisme. La bourgeoisie tire un profit direct de toutes les guerres qu’elle mène pour défendre ses intérêts. Tant qu’un mouvement de masse de la classe ouvrière n’aura pas arraché le pouvoir à la classe dirigeante, les impérialistes ignoreront toutes les mobilisations pacifistes, quelle que soit leur ampleur, et continueront leurs pillages comme si de rien n’était.

Plusieurs années après l’invasion de l’Irak, la vague des « Printemps arabes » de 2011 a donné un bon aperçu de la puissance révolutionnaire des masses du Moyen-Orient. Ce mouvement révolutionnaire a dépassé toutes les divisions religieuses et ethniques, s’est répandu à travers tout le monde arabe (et même au-delà) et a renversé plusieurs dictateurs. Même l’Irak fut alors le théâtre de manifestations de masse.

Mais en l’absence d’un parti révolutionnaire capable de proposer aux masses un programme socialiste, ces soulèvements ont finalement échoué. Les impérialistes sont intervenus pour appuyer les éléments les plus réactionnaires. En Egypte, ils ont soutenu le coup d’Etat contre-révolutionnaire du maréchal Sissi. En Syrie, ils ont apporté un soutien sans faille aux islamistes et les ont aidés à transformer la révolution en une guerre civile sanglante.

Par la suite, ces mêmes islamistes ont fini par se retourner contre leurs parrains impérialistes et par donner naissance à l’Etat Islamique. Ils ont même tenté de renverser le régime fantoche installé par les Américains à Bagdad. Les Etats-Unis furent donc contraints d’intervenir à nouveau en Irak entre 2014 et 2020 pour tenter de contenir les conséquences de leur propre politique. Au passage, ils ont fait des dizaines de milliers de victimes supplémentaires.

L’échec des Printemps arabes n’a pas mis un terme au développement de la lutte des classes au Moyen-Orient. Ces dernières années, des mobilisations de masse contre les dictatures, la crise économique et la corruption ont de nouveau éclaté au Liban, en Iran et en Irak. De nouveaux mouvements révolutionnaires sont inévitables, sur fond d’intensification de la crise du capitalisme et de ses effroyables conséquences sociales.

La guerre contre l’Irak restera, dans l’histoire, comme une cruelle leçon sur l’hypocrisie et le cynisme des impérialistes. Pour bâtir une paix durable, il faudra arracher le pouvoir des mains de ces parasites. En lieu et place de l’enfer créé par le capitalisme, la révolution socialiste ouvrira la voie à une société enfin débarrassée des guerres, de l’exploitation et de toutes les formes d’oppression.


Chronologie

Janvier 2002. Bush déclare que l’Irak fait partie de l’« Axe du Mal ».