Cet article a été publié le 18 juin 2018 par Rivoluzione, le journal de la section italienne de la Tendance Marxiste Internationale.


La vie des 629 hommes, femmes et enfants, transportés par le navire Aquarius, a été au cœur d’une campagne raciste du nouveau ministre de l’Intérieur et chef de la Ligue, Matteo Salvini. L’œuvre du gouvernement « jaune-vert » [les couleurs respectives des deux partis à l’origine du nouveau gouvernement italien, le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et la Ligue – ndt] est une attaque contre les droits des réfugiés qu’il faut rejeter sans condition.

Il s’agit d’une campagne totalement instrumentale : le débarquement de l’Aquarius a été refusé par la Marine italienne ; mais la veille, la même Marine a pourtant ouvert les ports italiens à un navire d’une autre ONG, la Sea Watch, avec 223 réfugiés à bord. Le 14 juin, plus de 900 personnes débarquaient à Catane du navire « Diciotti » de la Garde côtière italienne.

Le gouvernement jaune-vert n’a pas réellement l’intention de fermer tous les ports de manière permanente. Il compte utiliser des cas comme l’Aquarius comme un écran de fumée pour sa base électorale. Il s’agit dans le même temps de donner plus de force à l’Italie dans les négociations au sein de l’Union européenne.

Hypocrisie

Nous combattons la xénophobie de Salvini et ses associés. Mais nous refusons de nous joindre aux chœurs des défenseurs de l’Union Européenne et de ses soi-disant « valeurs ». L’Union Européenne est tout sauf un modèle d’accueil. 3017 personnes ont perdu la vie dans en Méditerranée en 2017, et déjà 638 au cours des cinq premiers mois de 2018. Et encore, il ne s’agit que des chiffres officiels. Dans les palais de Bruxelles, Paris, Berlin ou Madrid, personne n’a versé de larmes pour ces morts.

Un conflit entre les bourgeoisies européennes se joue sur la peau des immigrés. L’attitude du gouvernement Macron est répugnante, lui qui a rejeté vers l’Italie plus de 10 000 migrants aux frontières de Bardonnèche et de Vintimille rien que cette année. La solidarité du nouveau gouvernement espagnol, du socialiste Sanchez, n’est pas moins hypocrite : il accueille l’Aquarius à Valence, mais il maintient les murs – ou plutôt des barbelés – de 12 mètres de haut dans ses enclaves de Ceuta et Melilla sur le sol africain, pour empêcher l’entrée de tant de désespérés.

Nous ne partageons aucune valeur avec cette Europe si démocratique et solidaire qui délègue à la Turquie le soin de retenir les réfugiés syriens loin de ses frontières. L’accord a été renouvelé en avril dernier ; le coût total de l’opération s’élève à six milliards d’euros. Le président turc Erdogan a expliqué, avec la même arrogance qu’un criminel confirmé, qu’il va utiliser ces fonds pour installer les réfugiés dans les zones conquises aux YPG, la milice populaire kurde au nord de la Syrie.

Cette même Europe a non seulement réitéré le principe de l’inviolabilité de la « forteresse Europe », mais d’après le journal Il Sole 24 Ore, elle a aussi « éliminé l’obligation de transférer les migrants secourus en Italie », au moyen d’une nouvelle opération sécuritaire en Méditerranée de Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) appelée Themis. Celle-ci, qui a remplacé depuis le 1er février l’ancienne opération Triton lancée en 2014, a donc fourni un soutien juridique à la position de Salvini à l’égard de la question de l’Aquarius.

Le chef de la Ligue n’a aucune originalité, y compris sur la proposition de fermer les ports italiens. Cette idée a été avancée l’été dernier par Minniti, son prédécesseur au ministère de l’Intérieur. Son parti, le Parti Démocrate (PD) [représentant la « gauche » officielle au Parlement, et qui était au pouvoir depuis 2013 – ndt] se présente aujourd’hui comme un champion de la solidarité. Mais hier, au gouvernement, il était l’auteur de l’accord avec la Libye pour la construction de 34 centres « d’accueil » sur le sol du pays africain, financé par l’Italie. Il s’agit en réalité de centres de détention, de véritables camps de concentration, condamnés par l’ONU pour torture, viol et toutes sortes d’abus sur des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Ils avaient pourtant assuré à Minniti l’acclamation bipartisane de toutes les principales forces politiques.

De fait, les centres libyens ont contribué à rassurer l’opinion publique et bloqué les débarquements : les arrivées depuis la Libye ont diminué de 78 % en 2016. La gestion de l’urgence humanitaire a été « sous-traitée » aux seigneurs de guerre libyens. Or si la Libye est aujourd’hui un « no man’s land », c’est la conséquence de la guerre impérialiste de 2011, qui a conduit à la chute puis à la mort de Kadhafi. Cette intervention fut approuvée par le gouvernement Berlusconi, dans lequel siégeait la Ligue – « du Nord », comme elle s’appelait encore à l’époque.

Le terrain propice au développement de la propagande raciste a bien été préparé par les gouvernements du Parti Démocrate, à coups de proclamations d’état d’urgences sécuritaires et autres lois liberticides comme les « Daspo » [ensemble de décrets dirigés à l’origine contre le phénomène « ultra » dans les stades, dont l’utilisation a été étendue afin d’empêcher de nombreux rassemblements en ville – ndt]. Notre antiracisme n’a rien à voir avec la piété charitable de salon, manifestée par le quotidien Repubblica et les autres soutiens médiatiques du PD.

Antiracisme et anticapitalisme

En Italie, en réalité, il n’y a aucune « crise des migrants ». Il y a une crise du manque de travail, une crise des salaires de morts de faim, une crise des retraites à 70 ans, une crise du logement... Et encore n’en mentionnons-nous là que quelques-unes.

Face à une situation insoutenable, des millions de travailleurs et de jeunes ont fait confiance au M5S (et dans une moindre mesure à la Ligue) pour qu’un changement arrive. Or le nouveau gouvernement jaune-vert est né sur la base du chantage du président de la République Mattarella et des marchés [voir notre article sur la difficile naissance du nouveau gouvernement italien – ndt]. Salvini et Di Maio savent qu’ils ne pourront pas tenir les promesses faites aux travailleurs et aux retraités. Ils utilisent alors une arme de diversion massive comme le racisme. En période de crise économique et sociale comme celles que nous vivons en Italie, cela trouve un écho, du moins temporairement, en l’absence de toute alternative du mouvement ouvrier et surtout de sa direction.

En réalité, Salvini sait pertinemment que le capitalisme a besoin d’immigrés. Il a besoin de quelqu’un qui ramasse des tomates à deux euros de l’heure, il a besoin de désespérés prêts à travailler à tout prix afin de servir de levier pour diminuer les salaires et les droits de tous les travailleurs, italiens et immigrés. Ce n’est pas un hasard si Salvini propose d’assouplir la loi contre le caporalato [« l’embrigadement » : le recrutement illégal de main-d’œuvre étrangère dans le travail agricole au Sud, géré par les mafias]. Selon le ministre, cette loi « compliquerait les choses [pour les patrons] au lieu de les simplifier ».

La crise des réfugiés est une aubaine pour de nombreuses entreprises. Sur les 5 milliards d’euros alloués à leur accueil par l’Etat, bien peu vont réellement aux demandeurs d’asile. L’écrasante majorité est empochée par des affairistes (de n’importe quel bord politique) dont la seule morale est le profit.

En bref, le racisme est utile au capitalisme, et pas seulement du point de vue de la propagande.

Par conséquent, afin de lutter contre le racisme et la xénophobie, le travail de contre-information ne suffit pas, même s’il est absolument juste. Il est nécessaire de faire une séparation claire entre les drapeaux du mouvement antiraciste et ceux de la bourgeoisie libérale comme le Parti Démocrate. Il faut se doter d’un programme qui vise à promouvoir l’unité de classe entre travailleurs italiens et immigrés.

Ce programme doit prévoir l’abolition de toutes les lois qui discriminent les immigrés (du décret Minniti à la loi Bossi-Fini), l’abolition du délit d’immigration clandestine et de la logique des flux, et l’obtention de la citoyenneté italienne après trois ans de résidence pour ceux qui le demandent et pour tous ceux qui sont nés en Italie. L’antiracisme est un anticapitalisme !

Unité de classe de tous les travailleurs !