« Barcelone a vu davantage de barricades que toute autre ville au monde », écrivait Engels en 1873. Hier, mardi 15 octobre, Barcelone a confirmé cette réputation. Différentes organisations républicaines et démocratiques ont appelé à des veillées pacifiques à travers la Catalogne, pour protester contre les peines infligées aux prisonniers politiques par la Cour Suprême espagnole. A Barcelone comme dans d’autres villes, les manifestants – y compris des familles, des personnes âgées et des enfants – ont été brutalement attaqués par les polices anti-émeutes espagnoles et catalanes, à coup de matraques, de flash-ball et de gaz.

En réaction aux charges policières, des dizaines de barricades ont été érigées. Les Gilets jaunes sont une source d’inspiration, mais aussi les mouvements à Hong-Kong et en Equateur. L’érection de barricades ne fut pas l’initiative de petits groupes isolés, mais de milliers de jeunes en colère. Lundi, comme hier, c’est la jeunesse qui était au premier rang de la lutte.

De nouvelles mobilisations sont prévues dans les prochains jours. Un appel à la grève générale a été lancé pour vendredi. Hier, les dockers de Barcelone ont voté pour cette grève. Bien qu’elle soit organisée par des syndicats minoritaires, elle marquera sans doute une mobilisation massive de la classe ouvrière. Hier, il y a eu des bagarres entre la police et les pompiers, ces derniers ayant été appelés pour éteindre les barricades en feu. N’oublions pas que les dockers et les pompiers ont joué un rôle de premier plan lors des événements d’octobre 2017.

Dans ce contexte, la conscience des jeunes et des travailleurs avance à grands pas. Les peines de prison prononcées lundi ont aggravé le discrédit du régime aux yeux des masses de Catalogne – et même du reste de l’Espagne. Surtout, ces événements contribuent à clarifier la situation politique dans le camp républicain. Il y a une contradiction flagrante entre la nature de cette lutte pour l’auto-détermination du peuple catalan (qui est une tâche révolutionnaire) et le caractère des principaux dirigeants républicains – c’est-à-dire, des nationalistes petits-bourgeois, frileux et modérés, de l’ERC et du PDeCAT.

La police catalane, qui a mené l’essentiel de la répression, est sous les ordres du gouvernement catalan (coalition de l’ERC et du PDeCAT). Les dirigeants de ces deux partis sont dans une situation impossible : d’un côté, ils font mine de protester contre les peines de prison et de soutenir le mouvement ; de l’autre, ils lancent la police catalane contre le même mouvement, au nom de « la loi » et de « l’ordre ». Ils cherchent à éviter une confrontation avec l’Etat espagnol, qui s’appuie sur les dirigeants catalans pour contrôler la situation. Le gouvernement de Madrid menace de suspendre l’autonomie de la Catalogne (partiellement ou complètement) si les autorités régionales ne parviennent pas à contenir les manifestations.

Aujourd’hui, le Premier ministre Pedro Sanchez (PSOE) rencontre Pablo Casado (PP, droite), Albert Rivera (Ciudadanos, « centre-droit ») et, scandaleusement, Pablo Iglesias (Unidos Podemos), pour discuter les différentes manières de renforcer la main de l’Etat central en Catalogne – c’est-à-dire, la répression. Alors que des élections législatives se tiendront le 10 novembre prochain, tous les grands partis jouent la carte du nationalisme espagnol. Cela pourrait pousser Sanchez à aggraver la répression du mouvement, mais ne ferait que jeter davantage d’huile sur le feu.

L’heure est venue, pour la CUP (l’extrême gauche du mouvement républicain), de rompre avec l’ERC et le PDeCAT, en expliquant qu’une nouvelle direction du mouvement – une direction révolutionnaire – est nécessaire. Malheureusement, les dirigeants de la CUP n’en font rien. Ils ont simplement proposé à l’ERC et au PDeCAT de signer un communiqué commun et officiel contre les peines de prison. Mais ces derniers redoutant les conséquences juridiques d’un tel communiqué, il n’a pas vu le jour. 

Les masses font preuve d’une énergie et d’un courage extraordinaires. Mais il y a une limite à l’action spontanée. Faute d’une stratégie claire, le mouvement risque de s’essouffler. La tâche pratique immédiate est de contribuer à la formation d’Assemblées et de Comités de lutte dans chaque quartier, chaque entreprise et chaque université, de les centraliser et les coordonner, de façon à en faire les bastions révolutionnaires dont le mouvement a désespérément besoin.

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