Devant le parlement de la Grande-Bretagne, Sarkozy a annoncé sur un ton fanfaron le renforcement de la présence militaire française en Afghanistan. Il s’agirait d’environ mille soldats supplémentaires. Fillon a parlé de « quelques centaines ». Quoiqu’il en soit,  cette augmentation des effectifs devrait s’accompagner d’un redéploiement des troupes françaises actuellement à Kaboul vers les zones de combat les plus dangereuses, notamment dans le sud du pays.

La guerre en Afghanistan fait rage depuis 7 ans. Pour quel résultat ? Après la dispersion des talibans, lors de l’invasion initiale, ceux-ci n’ont cessé de renforcer leur position et leurs capacités militaires, d’une année sur l’autre. Ces derniers mois, de nombreux représentants du haut commandement de la coalition ont reconnu publiquement la possibilité bien réelle d’une défaite militaire en Afghanistan.

Comme l’expliquait le Time Magazine du 31 janvier dernier : « La guerre oubliée en Afghanistan est sous les projecteurs, cette semaine, avec la publication de trois rapports indépendants [sur l’Afghanistan]. Après avoir dépensé 25 milliards de dollars pour tenter de battre les talibans, cette milice islamiste radicale […] est de plus en plus présente dans plusieurs régions du pays. Les attentats sont de plus en plus nombreux […] et les talibans financent leur guerre par les profits générés par le commerce de l’opium. L’année dernière, le pays a produit 93% de la production mondiale d’opium, tandis que l’aggravation de l’insécurité a entraîné une baisse de 50% de l’investissement international.

« Les talibans tuent de plus en plus d’Américains. De 2002 à 2004, ils tuaient, en moyenne, un soldat américain par semaine. Depuis 2007, ce chiffre a plus que doublé. Près de 500 soldats américains ont péri dans cette guerre. […] Une publication récente du Conseil Atlantique déclare : "Que personne ne s’y trompe, l’OTAN n’est pas en train de gagner la guerre en Afghanistan. Si cette réalité n’est pas comprise, et si aucune décision n’est prise en conséquence, l’avenir de l’Afghanistan sera sombre, et aura des répercussions [négatives] à l’échelle régionale et globale." »

Le 6 mars dernier, une dépêche d’Associated Press faisait état d’un rapport sur le moral des soldats américains et sur la multiplication des cas de maladies mentales dans les unités combattantes. L’étude, qui portait sur 900 soldats en service en Afghanistan, s’appuyait sur des informations recueillies auprès de médecins, infirmiers, psychologues et psychiatres travaillant auprès des troupes. Elle constate un taux d’incidence de dépression et d’autres maladies mentales de 30%. Sur l’ensemble des forces américaines, 121 cas de suicide ont été constatés en 2007, soit une hausse de 20% par rapport à 2006. Le nombre de morts au combat ne cesse de croître. 83% des soldats déclarent avoir été la cible de tirs de mortier ou de projectiles explosifs similaires. A peine 11% des soldats interrogés déclarent que le moral de leur unité est « bon » ou « très bon ».

Le général américain James Jones dirigeait les opérations de l’OTAN en Afghanistan, jusqu’à sa récente retraite. Il porte un regard très sévère sur la situation de la coalition. « Nous sommes en perte de vitesse, dit-il. Les secteurs sous le contrôle des insurgés sont aujourd’hui plus nombreux qu’ils ne l’étaient il y a deux ou trois ans. » On pourrait rapporter des dizaines de citations similaires émanant de commandants des forces de la coalition. Il est clair que les Etats-Unis et leurs alliés – dont la France – sont en train de perdre la guerre en Afghanistan.

Derrière l’écran de fumée de la « guerre contre le terrorisme », la guerre en Afghanistan est une guerre impérialiste, tout comme la guerre en Irak. Elle fait partie de la stratégie globale de l’impérialisme américain pour le contrôle des ressources pétrolières et de leur acheminement à travers cette région de très haute importance stratégique. En 2001, Jacques Chirac, avec l’appui du gouvernement PS-PCF de l’époque, avait décidé de participer à la guerre en Afghanistan, et ce bien que l’impérialisme français n’avait pas grand chose à y gagner. Dans notre texte Les Etats-Unis dans le bourbier afghan, publié en octobre 2001, nous écrivions : « Lorsque Jospin dit : "à côté des Etats-Unis, oui, derrière les Etats-Unis, non", il ignore, ou feint d’ignorer, que la place qu’occupera la France "à côté" des Etats-Unis sera délimitée à Washington et non à Paris – et que, dans la mesure où la France est présente, elle le sera plus que jamais "derrière" les objectifs américains, puisqu’elle ne pèse pas assez pour imposer quoi que ce soit à son puissant "allié". Bush et Powell, dans un élan de générosité, proclament qu’ils auront sans doute davantage besoin de la France "plus tard", c’est-à-dire lorsqu’il s’agira de mettre en place des forces d’occupation sur le terrain. A ce moment-là, la France "solidaire" sera invitée à participer à une mission dangereuse, coûteuse et de longue durée, pendant que les Etats-Unis récolteront les avantages stratégiques et économiques de leur victoire. Cependant, ces calculs présument de la victoire des Etats-Unis, laquelle est pourtant loin, très loin, d’être acquise. »

Jusqu’à présent, en dehors  des opérations de police et de formation militaire, dans le calme relatif de la capitale, la participation de la France à la guerre a essentiellement consisté en bombardements aériens appuyant les troupes américaines au sol. Mais face à l’enlisement des soldats américains et à l’effondrement de leur moral, le gouvernement des Etats-Unis a fait lourdement pression pour une « meilleure répartition » des engagements au sol entre les pays membres de la coalition.

L’arrivée de troupes françaises supplémentaires n’aura absolument aucun effet sur l’évolution de la situation militaire, sur le terrain. La seule chose qui changera sera le nombre de soldats français qui seront tués, blessés et mutilés au cours des combats. Ce sont eux qui paieront – au prix fort – la note de cette opération.

L’implication plus importante de la France dans la guerre en Afghanistan n’a rien à voir avec les « droits de l’homme » ou la « démocratie ». A l’abri des regards, des contreparties ont forcément été négociées avec l’administration américaine. Par exemple, la décision de Sarkozy n’est peut-être pas sans rapport avec l’autorisation accordée à Total de participer à la prospection et l’exploitation de ressources pétrolières en Irak, notamment à Majnoun.

La politique de Sarkozy vis-à-vis de l’Afghanistan place les partis de gauche devant leurs responsabilités. L’attitude de la direction du Parti Socialiste, dont les préoccupations principales portent sur des formalités parlementaires, est totalement insuffisante. Le « débat parlementaire » tant réclamé n’aura absolument aucune conséquence pratique – comme la quasi-totalité des débats de ce genre. Même s’il y avait eu un vote, on sait pertinemment que la majorité de l’Assemblée est pour Sarkozy. Les interventions à l’Assemblée Nationale ne servent à rien si elles n’appellent pas à la mobilisation des jeunes et des travailleurs pour s’opposer à cette guerre.

L’attitude ambiguë des dirigeants et parlementaires du PCF ne vaut guère mieux. Ils s’opposent au renforcement du contingent français, mais ne réclament pas le retrait des troupes et du dispositif aérien français actuellement engagés dans cette guerre impérialiste. Les militants communistes se souviendront que le texte d’orientation présenté par la direction du parti, lors du dernier congrès, exigeait le retrait des troupes américaines d’Irak, mais passait la guerre en Afghanistan sous silence. Ce mutisme prolonge la position scandaleuse de Robert Hue et de la direction du parti en 2001. Robert Hue avait soutenu l’invasion de l’Afghanistan et l’adhésion de la France à la coalition impérialiste. Cette faute doit être franchement et ouvertement reconnue. Le PCF devrait exiger haut et fort le retrait pur et simple des troupes françaises en Afghanistan.