Le soulèvement de janvier dernier fut l’événement le plus important de l’histoire récente du Kazakhstan. Il a été déclenché par l’annonce d’une hausse soudaine et brutale des prix du Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL), qui est souvent utilisé pour le chauffage. Des manifestations et une grève massive des travailleurs de l’industrie ont éclaté dans la région de Janaozen, avant de s’étendre à la plus grande partie du pays et de faire vaciller le régime. Réprimé férocement, ce mouvement a laissé des traces. Après des décennies de « stabilité » capitaliste, une nouvelle période de luttes s’est ouverte au Kazakhstan.

Un régime pétrolier

Le régime de Nazarbaïev et Tokaïev n’était pas différent des autres ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale. A la chute de l’URSS, une couche de bureaucrates staliniens convertis au nationalisme et au capitalisme y a privatisé l’économie au profit des grandes entreprises étrangères (et d’elle-même). Depuis, l’économie du Kazakhstan s’est appuyée quasi-exclusivement sur ses immenses ressources minérales, et en particulier sur ses réserves pétrolières, qui sont exploitées par des entreprises américaines et européennes. Toutes les autres branches de l’économie kazakhe se sont progressivement atrophiées.

Les entreprises étrangères ont pu compter sur Nazarbaïev pour réprimer le mouvement ouvrier. La plupart des syndicats et des partis d’opposition ont été interdits. Les revendications des travailleurs se sont souvent heurtées à une répression féroce. En 2011, une longue grève des travailleurs du pétrole de Janaozen a été réprimée dans le sang par la police (14 morts et 86 blessés, officiellement).

Bien sûr, pour se maintenir pendant trois décennies, le régime ne s’est pas uniquement appuyé sur la police et l’armée. Même si les richesses extraites du sous-sol kazakh se sont principalement dirigées vers les coffres des entreprises étrangères et les poches des dirigeants kazakhs, une petite partie a contribué à améliorer sensiblement le niveau de vie de la population – et donc à assurer la stabilité du régime.

Cependant, cette situation était subordonnée aux cours du pétrole, qui ont fortement fluctué dans les années 2010. En conséquence, alors que le revenu moyen annuel était passé de 500 dollars à 4 500 dollars entre 2000 et 2014, il est retombé à un peu plus de 3 500 dollars en 2019. Dans le même temps, les prix à la consommation n’ont pas cessé de grimper. Le niveau de vie de la population a donc connu une baisse quasiment continue depuis le milieu des années 2010.

Dans certaines régions, cette pression économique s’ajoute à un chômage endémique causé à la fois par le sous-développement et par la législation kazakhe. La loi est taillée spécifiquement pour satisfaire les besoins des entreprises étrangères ; elle leur permet de licencier massivement avec une grande facilité. Ainsi, l’entreprise Tengizchevroil (une filiale de Chevron) avait prévu de licencier 40 000 personnes dans la seule région d’Atyraou, en 2022.

Perspectives

Dans ce contexte général, l’annonce de la hausse du prix du GPL a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la colère populaire. Les grèves et les manifestations ont semé la panique dans l’appareil d’Etat. Le président Tokaïev a dû faire des concessions (notamment d’importantes augmentations de salaire) et écarter l’ancien président, Nazarbaïev, des cercles du pouvoir, après l’avoir désigné comme bouc émissaire des problèmes du pays. Dans le même temps, il a réprimé les manifestations et s’est servi du soutien démonstratif de la Russie – mais aussi des grandes puissances impérialistes, qui veulent « stabiliser » le Kazakhstan pour protéger leurs investissements. L’intervention russe servait donc aussi les intérêts de Washington et de Pékin.

Le régime n’en reste pas moins extrêmement fragile. Les augmentations de salaire vont être minées par l’inflation et par les conséquences de la crise économique mondiale, qui frappe durement le Kazakhstan. De nouvelles attaques contre le niveau de vie des travailleurs ne tarderont pas. Tokaïev a ordonné que les forces de répression soient renforcées, mais elles ne pourront pas éternellement étouffer la colère des masses. Comme le disait Talleyrand : « On peut construire un trône avec des baïonnettes, mais il est difficile de s’asseoir dessus ».

Pour que les grandes mobilisations à venir soient victorieuses, il faudra tirer les leçons du soulèvement de janvier dernier. Un des éléments clés qui expliquent la survie du régime est qu’aucune organisation n’a été capable d’unifier le mouvement. Les syndicats se sont trop souvent cantonnés à des revendications économiques ; ils ont abandonné les questions politiques et démocratiques à l’« opposition » bourgeoise libérale, qui était aussi terrifiée du mouvement que le régime.

Il a manqué une organisation capable d’avancer une perspective de classe permettant d’unir les revendications économiques et démocratiques – et de diriger l’énergie des masses vers une lutte ouverte contre le régime et l’impérialisme. C’est à la construction d’une telle organisation que doit s’atteler aujourd’hui la classe ouvrière du Kazakhstan.