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Les attentats qui ont eu lieu aux États-Unis le 11 septembre 2001 sont des actes abominables que La Riposte condamne sans réserve. Le terrorisme individuel ne favorise en rien la lutte contre le capitalisme et l’oppression. Bien au contraire, il a toujours favorisé la réaction, et les récents attentats sont l’occasion d’une nouvelle illustration de ce phénomène.

Notre condamnation n’a rien à voir avec les larmes de crocodile versées sur la disparition de "vies innocentes" par la classe dirigeante des États-Unis et des autres puissances impérialistes du monde, y compris, bien sûr, celle de la France. Aux États-Unis et en Europe, jour après jour, les médias insistent hypocritement sur les conséquences dramatiques des attentats, afin de préparer l’opinion publique à une nouvelle guerre.

Par contraste, pendant que d’innombrables hommes, femmes et enfants brûlaient sous les bombes américaines, britanniques et françaises, lors du bombardement de l’Irak en 1991, "l’industrie de l’information" s’est distinguée par sa capacité à dissimuler les faits et à mentir. Depuis la guerre contre l’Irak, selon les enquêteurs des Nations-unies, un million de personnes ont trouvé la mort, le plus souvent par malnutrition ou par des maladies guérissables, en raison de l’embargo infligé par cette honorable institution au peuple irakien.

De toute évidence, les capitalistes ne sont pas opposés à la violence. Leur seul souci est d’en conserver le monopole. Les grandes puissances qui envisagent aujourd’hui de monter une "croisade" contre la terreur, trempent de la tête aux pieds dans le sang et la souffrance de bien des peuples du monde.

Les attentats terroristes perpétrés à New York, loin d’affaiblir l’impérialisme américain, ont servi à le renforcer. Bush et la classe dirigeante américaine ont pu exploiter ces attentats pour se présenter comme les défenseurs de la justice et de la paix dans le monde, et pour justifier de nouvelles interventions militaires, le maintien des sanctions économiques, et, d’une manière générale, un durcissement de la politique étrangère des États-Unis à l’encontre les pays du monde sous-développé. En même temps, les capitalistes américains saisissent l’occasion pour exiger des "sacrifices" aux travailleurs américains en matière de protection sociale, de salaire, de conditions de travail et de financement des services publics, au profit des dépenses militaires et de la prétendue "lutte contre le terrorisme". Bush, ce président faible et "mal élu", a tout mis en œuvre pour profiter de l’attentat afin renforcer sa position [1].

Tout d’un coup, les fondamentalistes islamiques sont devenus l’incarnation des "forces du Mal", pour reprendre l’expression de Bush. Et pourtant, les États-Unis, comme la Grande-Bretagne et la France, ont, dans les années 80, armé et soutenu les armées fondamentalistes contre le régime pro-soviétique en Afghanistan. A l’époque, dans la propagande occidentale, le mojâhed afghan symbolisait le "combattant pour la liberté". Cette propagande faisait briller une telle auréole de noblesse, de courage et de bonté autour de ces obscurantistes réactionnaires, que de nombreux groupements prétendument "trotskistes", tels la LCR, ont milité en leur faveur.

L’implication, dans cette guerre, de Ben Laden, aujourd’hui désigné comme "suspect n° 1" dans l’affaire des attentats du 11 septembre dernier, témoignait de l’engagement de l’Arabie Saoudite aux côtés des États-Unis. Ben Laden a notamment construit le complexe du tunnel de Khost, près de la frontière pakistanaise, avec l’appui financier de la CIA. Ce complexe servait d’arsenal et d’entrepôt de matériel militaire. Les troupes de Ben Laden étaient formées et armées par l’administration américaine, et les écrits de William Casey, ex-directeur de la CIA, ne tarissent pas d’éloges à l’égard du rôle "extrêmement positif" joué par Ben Laden dans la victoire de la contre-révolution en Afghanistan.

Cependant, après la retraite de l’Armée Rouge et la chute de Najibullah, en 1992, les différentes fractions de l’armée contre-révolutionnaire ont commencé à se faire la guerre entre elles. L’instabilité de la situation inquiétait au plus haut point les grandes puissances, et tout particulièrement les États-Unis. D’où la création une nouvelle armée intégriste, en 1994-1995, à partir des bases d’entraînement financées et dirigées directement par les services secrets pakistanais (ISI), eux-mêmes une création de la CIA. Cette nouvelle armée, celle des soi-disant Talibans, était considérée comme un garant plus fiable des intérêts occidentaux dans la région. La corporation américaine UNOCAL a largement contribué au financement de l’armée talibane, qui a été présentée à l’opinion publique internationale comme étant composée de guerriers austères et honnêtes, implacablement opposés au trafic de drogue et aux pratiques corrompues des "seigneurs de la guerre" qui s’entretuaient à l’intérieur du pays. Les Taliban ont pris Kaboul en 1996.

La terreur intégriste mise en place par les nouveaux maîtres de Kaboul ne dérangeait ni les autorités américaines, ni les autorités françaises. Il ne faut surtout pas, à cet égard, accorder de l’importance à telle ou telle déclaration au sujet des "droits de l’homme" que peuvent émettre les gouvernements occidentaux de temps en temps. Elles font partie intégrante d’une phraséologie diplomatique servant à dissimuler la vraie nature des rapports qui se tissent entre les différents régimes au pouvoir. Cette année, par exemple, la France a reçu à au moins deux reprises des délégations officielles du régime des Talibans pour parler affaires. Les compagnies pétrolières françaises rivalisent avec celles des États-Unis pour l’exploitation des oléoducs en projet qui partiraient de Turkménistan et traverseraient l’ouest et le sud du territoire afghan, débouchant sur la mer en passant par le Pakistan. Naturellement, la presse n’a pas fait grand cas de ces rencontres.

Le commandant Massoud, un intégriste réactionnaire récemment assassiné, offrait ses services à la France. Il s’engageait à veiller aux intérêts des compagnies pétrolières françaises en échange d’armements et de soutien diplomatique. Cependant, Massoud, d’origine tadjike, ne pouvait intéresser la France outre-mesure, car il ne pouvait en aucun cas s’imposer à la majorité pachtoune de la population afghane. Si les autorités françaises ont accepté de le recevoir, ce n’est qu’afin de se donner une carte diplomatique supplémentaire à jouer dans leurs négociations avec le régime installé à Kaboul.

La même hypocrisie présidait aux relations établies entre Ben Laden et les gouvernements occidentaux. Même après l’implication supposée de Ben Laden dans l’attentat de 1993 contre le World Trade Center, aucune action sérieuse n’a été entreprise à l’égard des comptes bancaires, des entreprises et des réseaux de Ben Laden. La CIA et les autres services de renseignements occidentaux pensaient en effet que Ben Laden pouvait encore leur être "utile" dans le contexte particulièrement instable de l’Asie centrale et du Moyen-Orient [2]. Au lendemain de la destruction du World Trade Center, Orrin Hatch, sénateur républicain et membre de la commission sénatoriale du renseignement [3], a déclaré à Robert Windram, de l’Institut des Études Politiques [4], qu’il serait prêt à renouveler sa collaboration avec Ben Laden si la situation l’exigeait. "Cela se justifiait à l’époque", a-t-il précisé, "puisqu’il s’agissait d’enjeux importants et cruciaux qui ont largement contribué à la chute de l’Union soviétique. Si c’était à refaire, je le referais. "

La France, quant à elle, constitue le principal soutien du régime intégriste au Soudan, dont les liens avec les réseaux de Ben Laden ne sont un secret pour personne. La France fournit des armes, des financements et des renseignements militaires à la dictature en place, en guerre contre les armées "sudistes" appuyées par les États-Unis. Les champs pétroliers de la région centrale du pays sont l’enjeu de ce conflit particulièrement meurtrier.

Malheureusement pour les stratèges de l’impérialisme américain, une fois installés au pouvoir, les Talibans ont pris leurs distances avec leur "grand frère" américain. La CIA, par le biais de l’ISI, avait été le principal bailleur de fonds des armées et des organisations terroristes agissant au nom du fondamentalisme. Cependant, après l’effondrement de l’Union soviétique, et surtout après la prise de pouvoir des Talibans, les opérations de ces groupes n’étaient plus parmi les priorités de la CIA. La fraction des Talibans la plus proche des États-Unis a alors perdu du terrain. En même temps, la guerre de l’OTAN contre l’Irak et l’installation permanente des bases militaires américaines sur la "terre sainte" de l’Arabie Saoudite - ce sacrilège intolérable pour des millions de musulmans - conjuguées avec le soutien accordé à Israël dans la répression de l’Intifada en Palestine, ont provoqué de profondes crises et dissensions dans les pays musulmans et dans les organisations intégristes établies au Soudan, au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Les chefs les plus étroitement associés aux services secrets occidentaux, qui, de toute façon, ne payaient plus, ont été progressivement éliminés. Ce processus a été de moindre ampleur en Algérie, où les différents réseaux de terroristes intégristes continuaient de bénéficier d’une aide directe de part de la CIA, qui espérait, et qui espère peut-être encore, se servir de la déstabilisation et de la menace du renversement du régime militaire en Algérie pour obtenir des contrats pétroliers actuellement détenus par la France.

Ces événements se sont déroulés dans un contexte de profonde crise sociale et économique à travers le monde arabo-musulman. Le "phénomène" Ben Laden - un milliardaire terroriste ! - ne peut se comprendre en dehors de ce contexte. Malgré les immenses ressources pétrolières de l’Arabie Saoudite, la monarchie et la classe dirigeante du pays l’ont réduit à la ruine. Des richesses colossales ont été gâchées et détournées à la faveur d’une infime minorité de la population, tandis que la vaste majorité des saoudiens subit les conséquences de l’endettement massif du pays et le déclin de l’infrastructure économique. Ben Laden est issu d’une des plus puissantes familles saoudiennes. La crise révolutionnaire mûrissante a provoqué une division dans la classe dirigeante, division qui se manifeste au sein même de la famille royale. Ben Laden est l’une des conséquences du désarroi d’une classe dominante menacée d’extinction. Il a dénoncé l’incapacité du régime saoudien à diriger le pays et, en particulier, sa collaboration avec le militarisme américain, d’où sa popularité auprès d’une partie des couches les plus opprimées des peuples musulmans, auprès d’une fraction des intellectuels et de certains capitalistes. L’ascétisme soufi de Ben Laden, qui est réputé pour vivre simplement malgré l’immensité de sa fortune personnelle, ne fait qu’augmenter son prestige auprès de ses adeptes.

Une nouvelle guerre, avec son train de massacres et de souffrances, avec ses cortèges interminables de réfugiés, paraît désormais inévitable. Ainsi va l’ère de "paix et de prospérité" propre au Nouvel Ordre Mondial annoncé par Bush senior lors de la chute du mur de Berlin. A l’heure où ces lignes sont écrites, les navires de guerre de la marine américaine se dirigent vers l’Océan indien, et les bases américaines sont en alerte maximum à travers le monde. La logistique de l’opération "Justice Sans Limite" - un drôle de nom pour une expédition punitive de la part du pays le plus riche et puissant du monde contre l’un des plus pauvres et arriérés - se met en place. L’Afghanistan est - pour l’instant - la cible toute désignée. L’Irak, sans doute, ne sera pas épargné.

Sur une population afghane de 23 millions de personnes, 5 millions d’entre elles sont cantonnées, dans des conditions innommables, dans des camps de réfugiés en Iran et au Pakistan. Le nombre de réfugiés grandira massivement au cours du conflit à venir. Le taux d’alphabétisation est en chute, et se situerait aujourd’hui en dessous de 25%, l’accès des filles à l’éducation étant bloqué. Tandis que les membres de l’élite talibane se pressent de se mettre à l’abri, envoyant leurs familles à l’étranger, la population de Kaboul et des autres villes afghanes, déjà réduite à la misère par des années de guerre, de sécheresse et de famine, sera frappée de plein fouet par cette nouvelle agression. La guerre touchera surtout - comme toujours - les catégories les plus misérables de la population.

Cependant, une guerre contre l’Afghanistan ne sera pas une mince affaire. L’issue de tels conflits ne se décide pas au vue des seuls moyens militaires mis en œuvre. Le terrain est particulièrement difficile pour des armées conventionnelles et le fait qu’il n’y ait pas d’accès par la mer ni de point d’accès terrestre convenable n’arrange rien du point de vue du déploiement des forces américaines.

L’Alliance du Nord, dont les médias vantent les vertus en ce moment, a été soutenue par la Russie, l’Ouzbékistan, Tadjikistan, l’Iran et l’Inde. Cependant, cherchant à profiter de la guerre prochaine pour revenir aux affaires, les successeurs de Massoud ont proposé leurs services aux États-Unis. Ceci évitera à Washington d’engager un nombre trop important de soldats américains sur le terrain. Les missions terrestres les plus coûteuses en vies seront généreusement confiées aux guerriers de l’Alliance. Le projet de restaurer la monarchie, renversée en 1973, vise à rallier une partie de la population pachtoune et à isoler davantage le régime des Talibans, qui ne pourrait en aucun cas survivre à la guerre. Les forces armées talibanes seront contraintes, sous peine d’anéantissement, de quitter les villes, et retrouveront les montagnes et les zones rurales.

Aucun socialiste ou communiste ne pleurera la chute des Talibans. Mais le retour des assassins mercenaires de l’Alliance du Nord, transformés en pions de la CIA, ne serait guère mieux. L’ascension des Talibans n’a été possible que grâce aux pillages, viols, trafics et carnages perpétrés par leurs prédécesseurs.

Les pays dont l’Afghanistan est entouré sont plus instables les uns que les autres. Si le Pakistan, officiellement un pays "allié" des États-Unis, pouvait être considéré comme stable, sans doute que des opérations militaires contre l’Afghanistan auraient déjà commencé. Mais ceci n’est pas le cas. Officiellement, les chefs militaires pakistanais au pouvoir ont proclamé leur solidarité et leur volonté de "coopérer pleinement" avec les États-Unis. Cependant, l’armée est traversée par des rivalités et des intérêts contradictoires. De nombreux généraux et officiers pakistanais se sont énormément enrichis par le biais de leurs liens avec les Talibans et comptent bien continuer ainsi. Toute tentative de se servir du Pakistan comme d’une base opérationnelle contre un pays voisin musulman, après toutes les souffrances infligées au peuple pakistanais par les dictats du FMI, reviendrait à suspendre une épée de Damoclès au-dessus de la tête du régime en place. Le niveau de vie de la population ne cesse de se dégrader. Dans ce contexte, on comprend pourquoi le régime en place craint les conséquences d’une intervention en Afghanistan au moins autant que les Talibans eux-mêmes. Si la guerre devait durer - et l’on peut difficilement imaginer le contraire - le Pakistan serait complètement déstabilisé et les États-Unis risqueraient fort de perdre leur emprise sur un pays qui constitue un maillon vital dans la "chaîne stratégique" de la principale puissance impérialiste du monde. L’impérialisme américain ne pourrait jamais se résigner à un tel développement. Le général Moucharraf a déjà obtenu un rééchelonnement de la dette pakistanaise. D’autres mesures seront décidées pour tenter de consolider l’emprise des Etats-Unis sur le Pakistan. En Arabie Saoudite, une intervention militaire placerait le régime dans une situation extrêmement dangereuse. La guerre qui se prépare menace de déstabiliser l’ensemble de l’Asie centrale et du Moyen-Orient.

Publiquement destinée à contrecarrer le terrorisme, cette guerre aura immanquablement l’effet contraire. Ce n’est pas pour rien que les ambassades américaines sont en cours d’évacuation à travers tout le monde musulman. D’autres attentats auront certainement lieu aux États-Unis. L’ensemble de ces éléments indique le caractère particulièrement hasardeux de la guerre du point de vue des intérêts de l’impérialisme américain.

Aux conséquences politiques et sociales s’ajouteront les répercussions du conflit sur l’économie mondiale, qui se font sentir dores et déjà, avant même que les hostilités ne commencent. Dès avant la guerre, l’économie des États-Unis - et celle de l’Europe, de l’Amérique latine - sombrait progressivement dans une récession. La guerre qui se prépare donnera un coup d’accélérateur à ce processus et en aggravera considérablement l’ampleur, ce qui ne peut qu’attiser les tensions internationales et inaugurer une période de grande instabilité sociale dans toutes les régions du monde, y compris en Europe et aux États-Unis. Des centaines de milliers de suppressions d’emploi ont été annoncées aux États-Unis dès la première semaine après les attentats. L’économie française sera plongée dans une grave récession, et les capitalistes, soucieux de sauvegarder leurs profits, feront payer les conséquences de celle-ci aux salariés et à leur famille.

La participation de la France dans la guerre n’a pas encore été décidée à ce jour (le 20 septembre 2001). De toute évidence, certains généraux et spécialistes militaires américains sont favorables à ce que les États-Unis assument seuls la responsabilité du conflit, tout en voulant y associer la Grande-Bretagne et - dans la mesure du possible - des pays musulmans. N’empêche que les États-Unis pourraient bien adresser une demande formelle de participation à la France et aux autres pays européens dans le cadre de l’OTAN. Dans ce cas, Chirac donnera son accord. Cependant, si les États-Unis prennent des risques énormes en se lançant dans une "croisade" contre l’Afghanistan, le capitalisme français payera aussi très cher son engagement dans le conflit, d’autant plus qu’elle n’en tirera aucun bénéfice significatif. Après la guerre du Golfe, en 1991, les entreprises françaises n’ont obtenu que 2% du "marché de la reconstruction", et il s’agissait, essentiellement, d’opérations de déminage ! Après la guerre contre la Serbie, les États-Unis ont raflé l’essentiel des contrats et avantages que constituait le "butin" de ce conflit. Les pays européens se sont partagés les restes, la France, en l’occurrence, arrivant loin derrière l’Allemagne.

Le risque de se trouver, à l’autre bout du monde et pour le compte des États-Unis, enlisés militairement dans un conflit aux contours incertains, inquiète au plus haut point les stratèges les plus censés de l’impérialisme français. Cette inquiétude se reflète dans l’extrême prudence affichée par Chirac, par Jospin, et par la "classe politique" dans son ensemble. Elle traduit la crainte de voir voler en éclats les bonnes relations que le capitalisme français cherche à développer avec les dictatures dans les pays arabes, y compris avec l’Irak. Néanmoins, les responsables du Parti Socialiste - y compris, soit dit en passant, les députés socialistes membres d’ATTAC - se préparent à donner leur approbation, si nécessaire, à la participation de la France dans cette nouvelle guerre impérialiste [5].

Le comportement de Robert Hue et de la direction du Parti Communiste ne se distingue guère de celui de la direction du PS. Le jour même des attentats, Hue écrivait à Jacques Chirac pour signifier son "soutien sans réserve" aux déclarations de ce dernier et pour lui exprimer son espoir que la France agira auprès de "la communauté internationale [donc forcément avec les États-Unis] avec la fermeté, le sang-froid et l’esprit de responsabilité que la situation exige". Cette lettre, adressée directement au "Chef des Armées" en personne, ne peut avoir qu’une signification : dans le cas d’une guerre dans laquelle le Président de la République engagerait la puissance militaire de la France, il pourrait compter sur le soutien de la direction du PCF, tout comme il a pu compter sur elle lors du bombardement de la Serbie. Pour le reste, le flot d’articles et de déclarations ambiguës dans L’Humanité, mettant en garde contre le risque "d’escalade militaire", contre les "dangers" et les "dérapages" qui guettent la guerre, ou s’opposant à toute intervention "unilatérale", ne sont que de la poudre aux yeux destinée à donner l’impression aux militants communistes d’une opposition à la guerre, tout en laissant la porte ouverte à la possibilité de la soutenir si nécessaire, c’est-à-dire dès qu’elle sera déclarée [6].

Le "double langage" de la direction du PCF explique pourquoi, dans l’abondante littérature et les nombreux discours prononcés par les dirigeants communistes sur cette question depuis le 11 septembre, on ne trouve absolument nulle part la moindre réponse à la question suivante : que sera l’action militante et politique du PCF pour s’opposer concrètement à l’éventuelle participation de la France à cette guerre ? Des phrases pieuses et des lamentations sur le "drame" de la guerre ne servent à rien. Une démarche véritablement communiste consisterait à organiser des manifestations massives contre la guerre à travers le pays. Elle impliquerait que des consignes claires et précises soient données à toutes les instances du parti ainsi qu’à l’ensemble du mouvement syndical, avant même le commencement des hostilités, sur les actions à mener pour nuire à l’effort de guerre. Les dockers seraient sommés de ne charger ni décharger aucun matériel susceptible de contribuer à l’agression. Les travailleurs des transports seraient invités à se mobiliser et agir dans le même sens, et le parti s’adresserait directement aux personnels des forces armées en leur demandant de refuser toute participation à cette guerre réactionnaire.

Une fois de plus, les grandes puissances capitalistes s’apprêtent à précipiter le monde dans la guerre. Ce n’est pas une guerre pour défendre le Bien contre le Mal, comme le prétend Bush, ni une guerre pour la liberté, pour la démocratie, ou pour éradiquer le terrorisme. Cette agression n’a d’autre objectif que de consolider l’emprise des grandes puissances - les États-Unis en tête - sur les régions d’importance stratégique pour mieux assurer leur domination. L’attaque contre l’Afghanistan, comme celles qui se poursuivent contre l’lrak, est un message adressé à tous les pays du monde ex-colonial, visant à les forcer à accepter les dictats impérialistes.

Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone sont un "retour de flamme" des ravages que l’impérialisme américain provoque partout dans le monde, qui a cependant frappé avant tout les travailleurs new-yorkais [7]. La France ne dispose pas des mêmes moyens que les États-Unis, mais sa politique étrangère, son appareil militaire et ses grands groupes industriels et financiers poursuivent les mêmes objectifs. Le capitalisme français, comme celui des États-Unis, comme celui de la Grande-Bretagne ou de l’Allemagne, s’emploie à piller les ressources naturelles et productives de toutes les zones du monde qui tombent sous sa coupe. Il appuie, arme et finance des dictatures rapaces, en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs. Ce sont les travailleurs, les pauvres et les plus opprimés qui font les frais de cette situation. Aussi, la France - surtout si Chirac et Jospin s’engagent militairement à côté des États-Unis - sera sans aucun doute le cible d’attentats terroristes dans les mois à venir.

Cette spirale inouïe de violence, de guerre, de catastrophes humanitaires et d’oppression, dont l’impérialisme est responsable, pose un défi incontournable aux travailleurs et à la jeunesse de la France et du monde entier. Le comportement des dirigeants de la gauche, en se pliant honteusement au bellicisme de nos adversaires, ne fait que confirmer l’immense écart entre leurs orientations propres et les intérêts de ceux qu’ils sont censés défendre. Il est urgent, impératif, de construire un puissant mouvement autour d’un programme socialiste et internationaliste. Il ne s’agit pas, bien sûr, de proclamer l’existence d’une secte politique de plus, se dressant prétentieusement en "alternatif" vis-à-vis des puissantes organisations déjà existantes, mais de défendre les idées du socialisme authentiques au sein même de ces organisations, à savoir les confédérations syndicales, les syndicats étudiants, le Parti Socialiste et le Parti Communiste.

C’est pour contribuer à cette lutte que nous avons créé La Riposte. Nous invitons tous ceux qui se reconnaissent dans nos idées à nous rejoindre. Le mouvement syndical, socialiste et communiste représente une force puissante. Nous pouvons, nous devons doter ce mouvement d’un programme réellement socialiste et internationaliste. Il faut en finir avec la guerre, l’oppression et la pauvreté. Il faut rompre avec un système qui ne profite qu’à une infime minorité de capitalistes. Le socialisme signifie l’abolition de l’emprise de cette minorité sur l’économie, qui doit faire l’objet d’une gestion saine et démocratique dans l’intérêt de la société toute entière, ouvrant la voie à la transformation socialiste de société.


 [1] Un exemple de l’exploitation politique des attentats est relaté dans la lettre suivante, envoyée par un jeune citoyen américain au site internet newyouth.com, signée "Danny"et datée du 14 septembre 2001 : " Je voulais faire une remarque au sujet de tout ce patriotisme et à quel point cela me rend malade. Je vis à Las Vegas et il devait y avoir une veillée à chandelles mercredi dernier, le soir. Il y avait des annonces à la radio disant que la veillée se ferait en présence des élus, dont, j’imaginais, le gouverneur et le maire. Des antennes de radio et la Croix Rouge allaient être présentes, disait-on. La Croix Rouge devait faire une collecte de fonds pour les victimes des attentats. Moi, je voulais donner du sang, mais j’y voyais aussi une occasion de discuter de ce qui s’est passé à New York. Cependant, quand je suis arrivé sur place, il n’y avait pas moyen de faire un don de sang, on diffusait tout simplement des tracts. Aucun élu n’était présent. Des individus montaient à la tribune pour dire qu’ils aimaient les États-Unis, Las Vegas ... et Georges Bush. Mes amis et moi trouvions ça dégoûtant. Ne croyez-vous pas que cette tragédie ne devrait pas devenir un simple prétexte pour organiser des assemblées qui applaudissent le gouvernement ?"

[2] Suivant un cynisme analogue, le terroriste Georges Habash, dont l’organisation avait été à l’origine des attentats commis à Paris dans les années 80, a néanmoins été accueilli et soigné dans les hôpitaux militaires de la France, tout en étant officiellement "recherché" par la justice française. Enfin, concernant la France, il ne faut pas aller plus loin qu’en Corse pour se rendre compte que la "lutte contre le terrorisme" officiellement affichée par les représentants de l’Etat cache bien souvent des rapports autrement plus complexes.

[3] Senate Intelligence Committee.

[4] Institute of Political Studies.

[5] Le 13 septembre, Robert Hue a déclaré sa solidarité avec "les dirigeants que se sont donnés [les Américains]", c’est-à-dire avec l’administration de Georgers Bush. Intérrogé sur France-Inter, le 17 septembre 2001, il a déclaré, à propos de l’exigence de "fermeté et de sang-froid" formulée dans sa lettre du 11 septembre à Chirac : "La position des autorités françaises confirme cette démarche. J’y souscris. Elle est essentielle pour la France, pour l’Europe". (Cité dans l’Humanité du 18 septembre 2001).

[6] Nous avons reçu deux lettres de la part de syndicalistes américains à ce propos. Le 11 septembre, jour des attentats, Tony P. nous écrivait : "J’ai travaillé avec 300 collègues tout en haut du World Trade Center. Je voudrais dédier cette lettre à ceux d’entre eux qui ont pu périr. Pendant l’année où j’étais le délégué syndical de ces 300 personnes qui passaient leur journée à couper des salades, à préparer des tartes, à braiser du saumon, à faire la plonge, à servir à table et à organiser des banquets aux deux derniers étages du World Trade Center, elles étaient mes camarades et mes amis dans une lutte pour faire un monde meilleur. Les travailleurs de Windows on the World venaient de Bangladesh, de la Syrie, de l’Iran, de Puerto Rico, de Saint-Domingue, d’Haïti, du Mexique, de Cuba, de l’Algérie, de la Côte d’Ivoire et d’autres pays encore. Je suppose que beaucoup d’entre eux étaient au travail ce matin. Quand je travaillais la nuit, je les voyais arriver à partir de 7 heures du matin. Ces gens-là m’ont appris ce que cela veut dire que d’écouter, de se soucier d’autrui, et de lutter. Je n’oublierai jamais un "plongeur" qui s’appelait Robert Williams qui m’a serré dans ses bras en me disant : "On l’a fait, on a gagné !" après une mobilisation de 120 de ses collègues qui a empêché son licenciement et mis fin au harcèlement d’un contre-maître de mauvaise foi. A mes frères et sœurs de chez Windows je voudrais dire merci de m’avoir appris tant de choses concernant moi-même, concernant la lutte et à propos du monde dans lequel nous vivions."

[7] D’une lettre de John Fisher, datée du 12 septembre : "Notre classe, celle qui a construit ces tours gigantesques, est aussi celle qui a souffert de ce terrorisme. La classe dirigeante n’a pratiquement pas été touchée. En haut des ces deux tours se trouvaient des milliers de nos collègues, et des centaines d’autres ont péri dans les tentatives de sauvetage. [...] Je ne pouvais pas m’empêcher de pleurer quand j’ai vu les tours s’effondrer. Je savais que c’étaient des gens qui sont allés travailler pour nourrir leur famille qui sont morts. Tout le travail, le sang et la sueur des travailleurs du bâtiment qui ont construit les tours, tout cela a été réduit à néant. Et pourquoi ? A cause de la domination du capital dans le monde et de la brutalité des puissances occidentales. Une fois de plus, les capitalistes se sont servis de nous comme de gilets pare-balles."