Afrique du sud

Le massacre des Palestiniens de Gaza par la puissante machine de guerre de l’Etat israélien provoque dans la jeunesse et la classe ouvrière une vague de profonde répulsion. Beaucoup de gens cherchent un moyen de mettre fin à ce carnage et de pouvoir aider « concrètement » la lutte des Palestiniens. C’est précisément ainsi que la campagne internationale « BDS » (pour « Boycott, Désinvestissement, Sanctions ») est présentée par ses animateurs. D’après eux, cette combinaison d’une campagne massive de boycott des produits israéliens par les consommateurs et d’appels lancés aux entreprises et aux gouvernements d’Occident pour qu’ils mettent fin à toute coopération avec l’Etat sioniste et retirent leurs investissements en Israël, permettrait d’isoler le gouvernement israélien pour le contraindre à arrêter d’opprimer les Palestiniens. Pour justifier cette stratégie, ses militants affirment souvent que c’est une mobilisation similaire, combinant des sanctions et la pression de la communauté internationale, qui aurait fait s’effondrer le régime raciste de l’Apartheid en Afrique du Sud.

Nous sommes solidaires de tous les travailleurs et les jeunes qui sont horrifiés par les souffrances des Palestiniens et veulent à tout prix « faire quelque chose ». Mais si nous voulons appuyer la lutte des Palestiniens, il faut le faire avec des méthodes efficaces, pour ne pas risquer de mener le mouvement dans une impasse. Il vaut donc la peine de s’intéresser à l’exemple de l’Afrique du Sud, pour vérifier si ce sont vraiment bien le boycott et les sanctions qui ont mené à la chute du régime d’Apartheid.

L’Apartheid et l’Occident

L’Apartheid a été mis en place à travers une série de lois adoptées suite à l’arrivée au pouvoir du Parti National en 1948. Ce régime était marqué par une ségrégation raciale extrême et par l’oppression violente de la majorité noire : les mariages et les relations sexuelles entre noirs et blancs étaient interdits. Les Noirs étaient privés de droits politiques, cantonnés à une éducation de second ordre, et cloîtrés la nuit dans des ghettos, les « townships », dont ils ne pouvaient pas sortir sans un passeport spécial. Ils n’étaient d’ailleurs même pas considérés comme des Sud-Africains, mais comme des citoyens des « Bantoustans », des micro-Etats noirs dirigés par des fantoches alliés du régime d’Apartheid. Ce régime a suscité très tôt la résistance d’une partie importante de la population noire, mais aussi des organisations du mouvement ouvrier sud-africain, et notamment du Parti Communiste Sud-Africain. (SACP). Dès les années 1950, le régime a déchaîné une répression féroce et meurtrière.

Il a pourtant fallu attendre plus d’une décennie pour que la « communauté internationale » ne réagisse à l’imposition de l’Apartheid. En 1962, après le massacre de 69 manifestants noirs désarmés par la police sud-africaine, l’Assemblée générale de l’ONU adopta un embargo contre l’Afrique du Sud, qui visait en particulier les ventes d’armes. Mais il s’agissait d’une résolution dite « non-contraignante » qui n’eut donc aucun effet concret. L’Afrique du Sud continua comme avant à acheter des armes à de nombreux pays, dont la France. Paris a été le premier fournisseur d’armes du régime d’Apartheid, avant comme après l’adoption par l’ONU des différentes mesures d’embargo. Les entreprises et le gouvernement français avaient mis au point tout un réseau de sociétés écrans et de couvertures administratives pour pouvoir violer l’embargo en toute discrétion. Cette coopération avec la France permit même à Pretoria de développer un programme nucléaire militaire clandestin !

Pendant la plus grande partie de son histoire, les relations entre l’Occident et le régime de l’Apartheid ont pris la forme d’une « coopération mutuelle », pour citer le Département d’Etat américain. Pour les pays occidentaux comme les Etats-Unis ou la France, le régime raciste sud-africain était un allié crucial dans le cadre de la guerre froide. De 1945 aux années 1980, alors que les révolutions coloniales balayaient le continent africain, de nombreux pays nouvellement indépendants ont adopté une position « non-alignée », tandis que d’autres se sont rangés du côté de l’Union Soviétique. L’Afrique du Sud est au contraire restée un point d’appui solide pour le capitalisme et pour l’impérialisme occidental dans la lutte contre le communisme. Pour les Occidentaux, l’Afrique du Sud était aussi un marché important, ainsi qu’une source de matières premières, comme l’or et le charbon.

Le Congrès National Africain (ANC), le parti qui dirigeait la lutte contre l’Apartheid, était par contre vu par les Occidentaux comme une organisation « terroriste ». Loin de l’icône pacifiste et consensuelle qu’il est devenu ensuite, Nelson Mandela a figuré pendant des décennies sur la « liste des terroristes à surveiller » du Département d’Etat américain. Il n’en a été retiré qu’en 2008 ! Il a d’ailleurs été arrêté par la police sud-africaine en 1962 grâce à des renseignements fournis par la CIA.

L’hypocrisie des sanctions

Ce n’est qu’à la fin de 1985 et surtout en 1986 que des sanctions économiques plus importantes finirent par être adoptées contre le régime d’Apartheid. Mais ce changement d’attitude n’avait rien à voir avec les « Droits de l’homme ». L’ONU n’avait alors pas subitement « découvert » la brutalité de l’Apartheid, qui était bien connue depuis plusieurs décennies. Ces sanctions visaient en fait essentiellement à neutraliser le mouvement révolutionnaire de masse qui se développait en Afrique du Sud et menaçait les fondements mêmes du capitalisme sud-africain. Leur but était de faire pression sur les éléments les plus radicaux du régime de Pretoria pour aboutir à un compromis négocié avec l’ANC et éviter le renversement révolutionnaire du système par les masses. Mais, même au regard de cet objectif, ces sanctions n’ont eu que peu d’effet.

Un grand nombre d’entre elles étaient en effet très limitées. En septembre-octobre 1985, la Communauté Economique Européenne (CEE, l’ancêtre de l’Union européenne) et le Commonwealth adoptèrent un embargo commercial qui interdisait de contracter de nouveaux investissements en Afrique du Sud ou d’en importer du fer, de l’acier et des pièces d’or. Mais cet embargo ne disait rien sur les investissements déjà en cours, ni sur les principales exportations sud-africaines : le charbon, les diamants ou l’or se présentant sous une forme autre que des pièces de monnaie n’étaient pas concernés !

Aux Etats-Unis, la classe dirigeante était profondément divisée à ce sujet : une partie souhaitait utiliser des sanctions limitées pour aboutir à un compromis entre le gouvernement sud-africain et l’ANC, mais une autre soutenait le régime d’Apartheid. En 1986, le président Ronald Reagan a par exemple opposé son veto présidentiel à un programme d’embargo. Le congrès a réussi à contourner ce veto pour faire adopter un embargo, mais la Maison-Blanche a répliqué en fondant le « Conseil des entreprises américaines sur l’Afrique du Sud », qui visait à soutenir ces entreprises qui continuaient à investir en Afrique du Sud. De toute façon, les sanctions adoptées par le congrès étaient si limitées qu’elles n’eurent que peu d’effets. Comme l’embargo de la CEE, les sanctions américaines ne touchèrent par exemple jamais les diamants ou l’or (à part les pièces de monnaie).

Si l’économie sud-africaine a connu des difficultés dans les années 1980, elles étaient bien antérieures aux sanctions et étaient avant tout une conséquence de la crise économique mondiale des années 1970. Alors que l’Afrique du Sud était très endettée, nombre de ses créanciers avaient demandé le remboursement de leurs créances pour pouvoir compenser les pertes causées par la récession de 1973-1974. A court de liquidités, le gouvernement de Pretoria avait dû annoncer en août 1985 un moratoire sur le paiement des dettes extérieures à courte échéance. Un grand nombre de banques réagirent en ne renouvelant pas leurs prêts à l’Afrique du Sud ou en quittant le pays – et cela avant que les sanctions soient adoptées. Comme l’expliquait un cadre de la Chase Manhattan Bank : « il n’a jamais été dans nos objectifs de favoriser le changement en Afrique du Sud, la décision [de nous retirer] a été prise uniquement sur la base des intérêts de la Chase et de ses investissements ». D’ailleurs, les capitalistes blancs sud-africains ont parfois profité de ces départs, en rachetant à bas prix les avoirs bradés par les entreprises qui partaient, tandis que de nombreux salariés noirs ont perdu leur emploi.

Enfin, les sanctions ont eu d’autant moins d’effets que nombre d’entreprises les ont contournées, en passant par des pays tiers ou en créant des filiales sud-africaines. Les chiffres de l’économie sud-africaine sont éloquents à ce sujet. Dans les décennies qui ont précédé la crise de 1974, le PIB réel sud-africain avait une croissance de 4,9 % chaque année. De 1974 à 1987, cette moyenne annuelle était tombée à 1,8 %, principalement du fait de la crise mondiale. Dans les années qui ont immédiatement suivi la principale vague de sanctions, la croissance du PIB sud-africain s’est accélérée. Elle est passée de 0,5 % en 1986, à 2,6 % en 1987 puis 3,2 % en 1988 ! Grâce aux mesures mises en place pour contourner l’embargo et les sanctions, les exportations de l’Afrique du Sud ont elles aussi augmenté, de 26 %, entre 1985 et 1989 !

Si les sanctions ont eu effectivement un effet, en poussant certaines entreprises occidentales à quitter l’Afrique du Sud, cela est resté marginal et elles n’ont jamais mis en danger le régime de l’Apartheid. La situation n’a changé que lorsque la classe ouvrière sud-africaine s’est mise en mouvement.

De la réforme à la révolution !

L’Afrique du Sud a connu dans les années 1960 le plus grand boom économique de son histoire, grâce à la flambée des prix des terres mais aussi à l’exploitation abominable de la classe ouvrière noire. A partir du début des années 1970, dans le sillage de la récession mondiale, un long déclin commença. Le chômage a augmenté alors que les salaires étaient minés par l’inflation. Cela provoqua une brusque vague de grèves et de mobilisations des travailleurs, qui mit en difficulté le régime d’Apartheid et le plongea dans une profonde crise. En juin 1976, le soulèvement des écoliers de Soweto eut une telle résonance qu’il ébranla le mythe de la toute puissance du régime. Malgré une répression intense qui fit près d’un millier de morts en 1976-1977, l’Etat sud-africain ne réussit pas à écraser la mobilisation comme il l’avait fait au début des années 1960.

Par ailleurs, les contraintes légales liées à la ségrégation entraient de plus en plus en contradiction avec les besoins de l’économie sud-africaine. Le développement du secteur manufacturier nécessitait par exemple qu’un plus grand nombre d’ouvriers noirs puissent travailler dans les villes, alors que les lois d’Apartheid visaient précisément à les maintenir à l’écart, dans les townships et les Bantoustans. Le développement économique du pays dans les années 1960 a aussi eu pour résultat que l’influence du nationalisme petit-bourgeois afrikaner (les descendants de colons néerlandais et français), qui avait représenté la base sociale du régime à ses débuts, avait décliné au profit de la grande bourgeoisie. Après les soulèvements de Soweto, il devint clair que l’opposition noire ne remettait pas en cause uniquement les lois racistes, mais qu’elle contestait aussi la structure même du système économique sud-africain, qui reposait sur l’exploitation acharnée de la classe ouvrière noire. Ces deux facteurs poussèrent une partie de la grande bourgeoisie à faire pression sur le gouvernement pour qu’il fasse des réformes.

Une nouvelle constitution fut donc adoptée en 1983. Elle prévoyait un système d’assemblée à trois chambres : une pour les Blancs, une pour les Indiens, et une pour les « Coloured », un terme qui désignait sous les lois d’Apartheid toutes les personnes non-blanches, mais qui n’étaient pour autant ni noirs, ni Indiens. Aucune représentation n’était prévue pour les Noirs. Loin de remettre en cause la domination blanche et la ségrégation, ces réformes visaient au contraire à la perpétuer et à diviser la majorité noire en différentes catégories pour tenter de la maintenir sous contrôle. Face à une manœuvre aussi flagrante, toutes les grandes organisations du mouvement ouvrier ainsi que les syndicats noirs appelèrent à boycotter les élections.

Pour une dictature, il est souvent très dangereux d’entamer des réformes et de relâcher son contrôle – ne serait-ce que très peu. Alors que le gouvernement préparait son projet de réforme constitutionnelle, une vague de mobilisation ouvrière déferlait sur le pays et les syndicats connaissaient une croissance rapide, qui culmina avec la création du « Congress of South African Trade Unions » (COSATU) en 1985. Des mobilisations de masse furent organisées contre la nouvelle constitution, qui fut largement boycottée. Seuls 18 % des électeurs indiens et 21 % des « Coloured » prirent part aux premières élections. C’était un échec flagrant pour le régime raciste.

Le 3 septembre 1984, alors même que le nouveau parlement était inauguré en grande pompe par le président Pieter Botha, des mobilisations de masse éclataient dans le « triangle du Vaal », le cœur industriel du pays. Une vague de soulèvements et de manifestations déferla alors sur le pays. Au début de 1985, la plupart des Townships étaient en état d’insurrection, tandis que des grèves éclataient dans des secteurs de plus en plus nombreux : des dockers aux travailleurs de l’industrie automobile.

Une situation de double pouvoir

Au milieu de l’année 1985, la mobilisation avait pris une telle ampleur que le gouvernement fut obligé de proclamer l’état d’urgence dans 36 districts. Loin de calmer le mouvement, cette mesure ne fit que jeter de l’huile sur le feu. Face à l’appareil de l’Etat raciste et capitaliste, un véritable pouvoir alternatif était en train d’émerger du mouvement de masse lui-même. Alister Sparks, un journaliste du London Observer, a apporté un témoignage frappant de cette situation :

« Le Congrès de la Jeunesse de Port Elizabeth (PEYCO) avait en pratique pris le contrôle des townships de la ville et les dirigeait comme ce qui s’approchait le plus de “zones libérées” en Afrique du Sud. Les élus locaux officiels élus sous le système d’Apartheid avaient démissionné ou s’étaient enfuis. Les policiers noirs avaient trouvé refuge dans des camps fortifiés hors des townships, les jeunes noirs avaient déserté les écoles pour protester contre leur “éducation au rabais”, et les comités de rues et de quartiers du PEYCO avaient pris le contrôle de la situation. Ils concédaient des licences et fixaient les prix dans les commerces tenus par des noirs, ils patrouillaient dans les rues et organisaient des “tribunaux populaires” pour juger les criminels et les informateurs de la police, et ils se préparaient à créer des “cours d’éducation populaire” dans les garages et les églises. »

Le mouvement révolutionnaire créait ainsi ses propres structures, qui prenaient la place de l’Etat officiel. A la fin de l’année 1985, ces comités avaient pris le contrôle d’une bonne partie des townships du pays. Malgré une répression extrêmement féroce et meurtrière, le gouvernement était incapable de reprendre la situation en main. Au contraire, la violence des forces répressives ne faisait que pousser la mobilisation en avant. Dans le Township d’Alexandra, 20 personnes furent tuées par la police en février 1986 mais leurs funérailles se transformèrent en un meeting rassemblant près de 40 000 personnes ! Quelque temps après, les habitants de ce township prenaient la décision de constituer des « forces d’auto-défense » pour se protéger de la police.

Incapable d’écraser la mobilisation, le régime tenta de l’amadouer : l’état d’urgence fut levé, et les lois qui restreignaient les déplacements de noirs furent abrogées. Ces concessions ne firent qu’encourager la mobilisation. Le premier mai 1986 fut marqué par la plus grande grève générale de l’histoire du pays. Une telle situation était une menace mortelle pour le gouvernement, mais aussi pour les fondements mêmes du capitalisme sud-africain.

De la révolution à la trahison

Face à cette situation, la classe dirigeante commença à se diviser profondément. Sa couche la plus intelligente réalisait que, si elle n’accordait pas des réformes et ne commençait pas à négocier avec les dirigeants de l’ANC, c’est tout son système qui risquait d’être balayé. C’est à ce moment-là que les puissances impérialistes imposèrent des sanctions contre l’Afrique du Sud. Il ne s’agissait pas d’aider le mouvement de masse des travailleurs à renverser l’Apartheid, mais d’isoler la fraction la plus extrémiste du régime d’Apartheid et de le pousser à négocier avec l’ANC. Mais même de ce point de vue, ces sanctions eurent moins d’effets que le mouvement des masses.

Le 26 juillet 1989, les organisations de lutte contre l’apartheid appelèrent à une campagne nationale de protestation. La réponse des masses fut inédite. Il y eut des mobilisations partout dans le pays, et des manifestants prirent même d’assaut des bâtiments officiels, tandis que des organisations illégales proclamaient elles-mêmes leur « légalisation ». Encore une fois, la répression de l’appareil d’Etat fut incapable d’écraser la mobilisation. Discrédité, le président Botha, qui incarnait l’aile dure du régime, fut remplacé par Frederik De Klerk. Celui-ci commença à libérer certains prisonniers, dont Nelson Mandela lui-même, et entama des négociations avec les dirigeants en exil de l’ANC. Ces négociations incluaient le gouvernement, les dirigeants de l’ANC, mais aussi des représentants du patronat et des milieux d’affaires. Pour autant, le régime d’Apartheid restait encore en vigueur. C’est à nouveau une mobilisation de masses qui acheva de le renverser.

Le 10 avril 1993, Chris Hani, un dirigeant très populaire du Parti Communiste Sud-Africain était assassiné par un anti-communiste d’origine polonaise. Cette provocation déclencha un mouvement de masse et une grève générale qui paralysa tout le pays. Cette mobilisation aurait pu balayer le régime tout entier et placer les masses sud-africaines au pouvoir, si les dirigeants de l’ANC l’avaient voulu. Mais, au lieu de cela, Nelson Mandela apparut à la télévision, pour appeler au calme :

« Ce soir, je tends la main à tout Sud-Africain, noir comme blanc, depuis mon for intérieur. Un blanc, plein de préjudices et de haine, est venu chez nous et a commis un fait si ignoble que toute notre nation vacille au bord du désastre. Une blanche, d’origine afrikaner, a risqué sa vie pour que nous puissions connaître l’assassin et l’amener en justice. Le meurtre de sang-froid de Chris Hani a envoyé des ondes de choc à travers notre pays et le monde. Il est maintenant temps pour les Sud-Africains de s’unir contre ceux qui, de toutes parts, veulent détruire ce pour quoi Chris Hani a donné sa vie : notre liberté à nous tous. »

Nelson Mandela utilisa toute son autorité politique pour contenir le mouvement et continuer les négociations avec le régime. Une autorité « de transition » fut alors nommée pour remplacer le gouvernement d’Apartheid et diriger le pays jusqu’aux premières élections libres, qui eurent lieu en avril 1994 et apportèrent une majorité absolue à l’ANC.

Alors que le capitalisme aurait pu être renversé en même temps que l’Apartheid, la classe dirigeante blanche a conservé le contrôle de la plus grande partie de l’économie, tandis que le pouvoir d’Etat a été transféré à une nouvelle élite dirigeante issue de l’ANC. La majorité des masses noires est restée aussi misérable qu’avant et elle continue à subir une exploitation brutale.

Que faire ?

Il y a de nombreuses leçons à tirer de l’histoire de la lutte contre l’Apartheid. La vérité est que ce régime haï ne fut pas mis à bas par des campagnes de boycott ou des sanctions. Celles-ci n’ont eu qu’un impact marginal et ne visaient qu’à pousser le gouvernement Botha à négocier avec l’ANC pour éviter une révolution. Le coup décisif fut porté au régime d’Apartheid par un mouvement révolutionnaire de masse mené par la classe ouvrière sud-africaine.

Par ailleurs, le régime qui a succédé à l’Apartheid est resté capitaliste. L’ANC est devenu le principal représentant des intérêts de la bourgeoisie sud-africaine et n’a rien fait pour améliorer le sort de la population noire « libérée ». C’est là une leçon importante pour la lutte de libération des Palestiniens. Dans une Palestine « libre », mais capitaliste, les travailleurs palestiniens seraient toujours exploités par les capitalistes de la région et par les impérialistes étrangers, tandis que les nouvelles élites palestiniennes s’enrichiraient en ramassant les miettes tombées de la table de leurs maîtres impérialistes.

Les communistes apportent un soutien inconditionnel à la lutte pour la libération des Palestiniens, mais une véritable libération ne peut être obtenue qu’à travers une lutte révolutionnaire pour le socialisme, menée en coopération avec les travailleurs et les jeunes de tout le Moyen-Orient. Une telle lutte n’obtiendra jamais le soutien de la « communauté internationale » des puissances impérialistes, car elle mettrait en danger les fondements mêmes du capitalisme dans la région.

Il ne s’agit pas pour autant d’affirmer que les Palestiniens doivent combattre seuls. A tous les travailleurs et les jeunes d’Occident, nous disons : ne placez aucun espoir dans l’ONU, qui est un jouet des impérialistes, pas plus que dans votre propre gouvernement, qui soutient le régime sioniste. Plutôt que de faire appel à la bonne volonté de la classe dirigeante, le mouvement ouvrier doit utiliser toute sa force collective et ses propres méthodes de lutte pour paralyser la machine de guerre de l’Etat israélien par des grèves et des boycotts. Pas un écrou ne doit par exemple pouvoir transiter dans les ports occidentaux s’il est destiné à des armes qui seront tournées contre les Palestiniens.

Enfin, en renversant notre classe dirigeante et en instaurant le socialisme dans notre propre pays, nous pourrons mettre en place un régime qui pourra effectivement soutenir les Palestiniens et tous les peuples opprimés du monde. C’est pourquoi nous disons aussi : rejoignez les communistes, et luttez à nos côtés pour mettre fin au système qui perpétue l’oppression de la Palestine. Intifada jusqu’à la victoire ! Révolution jusqu’à la victoire !

Depuis la démission du président Jacob Zuma, mi-février, l’Afrique du Sud est entrée dans une profonde crise politique. Le remplacement de Zuma par Cyril Ramaphosa est le produit des luttes internes au sein de leur parti, l’ANC. Depuis la fin de l’ancien régime, en 1994, le parti de la lutte contre l’Apartheid est devenu le principal parti du capitalisme sud-africain. Il joue un rôle de relais entre les bureaucraties syndicales et politiques, la nouvelle bourgeoisie enrichie par le pillage de l’Etat et la grande bourgeoisie traditionnelle.

Corruption et guerre de fractions

Ces dernières années, la corruption de la clique de Zuma avait atteint un tel niveau qu’elle discréditait l’ensemble du régime et alimentait la radicalisation politique des travailleurs. Après des années de politiques d’austérité, plusieurs syndicats (dont la puissante fédération des mineurs) ont rompu avec l’ANC – tandis qu’un parti de gauche radicale, les Economic Freedom Fighters (EFF), réclame l’instauration d’un « socialisme africain » et progresse sans cesse depuis sa création en 2013. Il devenait donc urgent, pour la bourgeoisie, de se débarrasser de Zuma.

Mais celui-ci ne voulait pas abandonner le pouvoir, par crainte des poursuites judiciaires – et pour ne pas lâcher le gâteau des finances publiques. Ce qui aurait pu n’être qu’un changement politique en douceur s’est transformé en une guerre de clan, ponctuée par des affrontements violents et des assassinats politiques. Cela a jeté un profond discrédit sur l’ANC dans son ensemble.

La question de la terre

Malgré tout, l’arrivée au pouvoir de Ramaphosa a suscité l’espoir qu’il réglerait enfin les problèmes les plus criants des masses, notamment sur la question de la terre. La répartition de la propriété terrienne reste largement la même que sous l’Apartheid. Suite au pillage colonial, 72 % des terres y sont encore aux mains des blancs, qui ne forment pourtant que 10 % de la population. La réforme agraire adoptée après la chute du régime raciste fut ridiculement prudente. Elle reposait sur la vente volontaire des terres aux prix du marché. Seuls 8 % des terres ont changé de mains depuis 1994, alors que le gouvernement de Mandela s’était fixé comme objectif de parvenir à 30 % en 1999 !

Quelques jours après la chute de Zuma, le 27 février, l’Assemblée nationale a adopté, à la surprise générale, une motion sur l’expropriation des terres, déposée par les EFF, mais soutenue par la majorité des partis, y compris l’ANC. Cela a provoqué un débat national sur la question de la terre. Aux hurlements de haine du lobby des fermiers blancs ont répondu les cris d’espoir de millions de paysans noirs pauvres ou sans terres.

Pour comprendre l’origine de cette situation, il faut revenir à la lutte interne à l’ANC. En décembre, alors que Zuma sentait sa chute approcher, il a essayé de jouer la carte populiste et a multiplié les promesses (creuses) d’égalité sociale. Certains de ses partisans sont allés jusqu’à proposer l’expropriation des terres blanches, sans compensation. Pour éviter la scission du parti, les partisans de Ramaphosa ont dû accepter cette proposition – après y avoir ajouté quelques amendements qui en rendaient l’application peu probable.

Le problème pour l’ANC est que les députés des EFF ont pris cette motion au mot et l’ont soumise en leur nom au vote du parlement. Impossible, pour l’ANC, de s’opposer à un texte issu d’une de ses propres conférences. L’ANC a néanmoins largement modifié et amendé la résolution proposée par les EFF avant de la soutenir, supprimant par exemple la demande de la nationalisation intégrale de la terre et la dénonciation de la propriété privée.

Mobilisation paysanne et opposition réactionnaire

Malgré tout, les masses ont interprété ce vote comme un encouragement. Une vague d’occupation des terres s’est déclenchée, soutenue par les EFF et semant l’effroi parmi la bourgeoisie et ses soutiens étrangers. La presse bourgeoise internationale s’est ruée au secours des « pauvres » fermiers blancs menacés de « génocide ». En Afrique du Sud, la bourgeoisie a mobilisé tous les foyers de réaction, des groupuscules boers aux chefs « traditionnels » noirs issus de l’Apartheid et qui avaient été laissés en place lors de la « démocratisation ». Goodwill Zwelithini kaBhekuzulu, roi zoulou millionnaire aux 27 épouses, a ainsi dénoncé la résolution sur l’expropriation des terres, car elle menace les millions qu’il tire de la vente, à des entreprises privées, de concessions d’exploitation sur ses terres « ancestrales » (offertes par le régime d’Apartheid en 1977).

La direction de l’ANC a mis en mouvement des forces qu’elle ne contrôle pas. Le régime de Ramaphosa ne peut que décevoir les espoirs que les travailleurs pauvres ont placés en lui, car il est lié aux intérêts capitalistes et impérialistes. Mais maintenant que les masses ont été mises en mouvement, il sera très difficile de les arrêter.

Depuis début avril, des manifestations réclament le départ du président sud-africain Jacob Zuma. De nombreuses voix s’élèvent dans ce sens. Certains patrons ont même donné des jours de congé payé à leurs salariés – à condition qu’ils aillent manifester. L’African National Congress (ANC), le parti de Zuma, est au cœur de cette crise politique sans précédent. La moitié de sa direction restreinte, dont le vice-président Cyril Ramaphosa, demande la démission de Zuma. Le prétexte de cette explosion de colère a été le limogeage, par Zuma, du ministre des Finances Pravin Gordhan, le 30 mars dernier.

Capitalisme et corruption

Pour comprendre cette crise politique, il faut remonter aux années de la chute de l’Apartheid, en 1993-94. La direction de l’ANC renonçait au renversement du capitalisme (qui faisait jusque-là partie de son programme) en échange de l’intégration à la classe dirigeante d’une bourgeoisie noire (souvent directement issue de la direction de l’ANC) aux côtés de l’ancienne bourgeoisie blanche. Pendant les années 90 et 2000, ces deux composantes de la classe dirigeante ont pu se partager les immenses profits générés par la croissance rapide de l’économie sud-africaine. Les privatisations et la mise en coupe réglée de l’Etat par la bureaucratie de l’ANC ont aggravé la corruption touchant aujourd’hui tout l’appareil d’Etat et jusqu’au président, qui a fait rénover sa luxueuse résidence privée avec des fonds publics.

Avec l’éclatement de la crise économique de 2008 et le ralentissement de l’économie, la concurrence entre les deux ailes rivales de la bourgeoisie sud-africaine s’est accentuée. Elles s’affrontent pour le contrôle des finances publiques. Le ministre limogé, Gordhan, était soutenu par l’ancienne bourgeoisie blanche et par les investisseurs étrangers, alors que son remplaçant – nommé par Zuma – est un proche de la famille Gupta, qui s’est enrichie par le pillage de l’Etat et des marchés publics dans les années 1990.

Lutte des classes

Parallèlement, la lutte des classes a connu une accélération soudaine au début des années 2010. La grève de Marikana en 2012, pendant laquelle 41 mineurs ont été abattus par la police, a symbolisé cette résurgence des luttes en même temps que la volonté du gouvernement de défendre le capitalisme à tout prix. Cette radicalisation a débouché sur des divisions et une polarisation au sein du mouvement ouvrier. Par exemple, l’ANC, qui depuis 1994 est un parti fourre-tout (d’anciens partisans de l’Apartheid y côtoient le Parti Communiste), a connu une scission de gauche avec le départ d’un grand nombre de jeunes militants opposés à la politique pro-capitaliste de Jacob Zuma. Rassemblés au sein des Economic Freedom Fighters (EFF) et dirigés par Julius Malema, ils exercent depuis une importante pression sur l’ANC.

Cette situation est grosse de risques pour la bourgeoisie. La corruption du gouvernement Zuma et de l’ANC discrédite le régime. C’est l’une des raisons qui poussent la bourgeoisie traditionnelle à attaquer Zuma et ses soutiens pour tenter de reprendre le contrôle des finances et redonner un peu de légitimité à l’Etat bourgeois. Mais ce faisant, ils aggravent une crise politique qui pourrait les emporter en même temps que Zuma. En mettant sa lutte de clans sur la place publique et en appelant les travailleurs à y participer, la bourgeoisie sud-africaine prend le risque que ces derniers y participent sous leurs propres mots d’ordre.

Remplacer un clan capitaliste par un autre ?

Pour la classe ouvrière d’Afrique du Sud, le remplacement de Zuma par le vice-président Ramaphosa ne marquerait pas un progrès. Un gouvernement plus directement soumis aux investisseurs étrangers et à la grande bourgeoisie ne déboucherait que sur davantage d’austérité. Quant à Zuma, malgré tous ses discours sur le besoin de « plus de justice économique », il représente une clique de pillards et de bureaucrates enrichis par la corruption et l’affairisme. Les deux ailes de la bourgeoisie ne se battent que pour savoir laquelle pourra davantage se remplir les poches sur le dos des travailleurs.

La classe ouvrière sud-africaine doit avant tout défendre ses propres intérêts de classe. Elle n’a intérêt à soutenir ni Zuma, ni Ramaphosa. C’est en entrant dans la lutte contre la corruption et l’austérité sous son propre drapeau, sur la base d’un programme révolutionnaire, que le mouvement ouvrier d’Afrique du Sud pourra balayer tous les pillards et les exploiteurs.

En Afrique du Sud, les universités sont devenues le bastion de la résistance contre la politique menée par le parti au pouvoir, l’ANC (Congrès National Africain). Dans cet article, Paul Ziermann explique en quoi ces luttes ont depuis longtemps dépassé la simple question des frais de scolarité.


Le mouvement de protestation contre les frais de scolarité a éclaté au mois d’octobre de l’année dernière, dans une université. Il est devenu entre-temps le plus grand mouvement révolutionnaire de la jeunesse sud-africaine depuis la fin de l’apartheid. Le parallèle est souvent fait avec les violentes grèves étudiantes de Soweto, en 1976, alors que de nombreux jeunes Sud-africains manifestaient contre la politique raciste de l’apartheid.

La contestation dure déjà depuis plus d’un an. L’élément déclencheur en fut la volonté du gouvernement d’augmenter les frais d’inscription. A l’époque, les étudiants occupèrent le parlement à Cape Town et le siège principal de l’ANC à Johannesburg. Le président Jacob Zuma fut obligé de suspendre cette mesure. Mais il avait fait une erreur de calcul : le mouvement n’a pas baissé en intensité, et s’est poursuivi, malgré les concessions du gouvernement. Il ne se positionne désormais plus seulement contre l’augmentation des frais de scolarité, toujours considérés comme nécessaires par le gouvernement Zuma, mais se bat maintenant pour un système d’éducation gratuit.

Et ce pour une bonne raison : la crise économique frappe l’Afrique du Sud depuis longtemps, pesant sur les épaules des plus pauvres, des travailleurs et de la jeunesse. Elle est également la véritable cause de l’augmentation des coûts liés aux études : + 80% depuis 2008. En dehors de cette question matérielle, une nouvelle montée des discriminations racistes a également mis le feu aux poudres dans les universités. 61 % des Sud-africains estiment que le racisme est aujourd’hui pire qu’à la fin de l’apartheid. A l’université, en plus de coûts exorbitants pour les étudiants et d’un système de bourse défaillant, ce racisme pousse de plus en plus fréquemment les personnes appartenant aux couches les plus pauvres de la société à devoir arrêter leurs études.

C’est dans ce contexte que le mouvement « Fees must fall ! » (Les frais de scolarité doivent chuter) a vu le jour il y a un an. Ce qui est particulièrement notable dans ce mouvement, principalement porté par des étudiants, ce n’est pas seulement sa longévité, malgré une énorme pression de la classe dirigeante, mais surtout la façon dont il mène son combat. Les étudiants se sont entre-temps liés avec les travailleurs et luttent désormais ensemble pour une politique favorable aux masses salariées. Ceci a commencé par une solidarité du mouvement étudiant avec le personnel non académique et précaire de l’université, exposé à une externalisation croissante. Ces travailleurs sont engagés via des entreprises privées, ce qui est non seulement synonyme de diminution des salaires, mais également de détérioration massive de leurs conditions de travail. Entre-temps, d’autres travailleurs ont également pris position aux côtés des étudiants. Le syndicat métallo NUMSA a exprimé sa solidarité avec le mouvement et appelle ses membres à participer aux manifestations. Le combat contre les mauvaises conditions d’études a ainsi franchi un seuil.

Répression

La classe dominante est bien consciente de l’explosivité de la situation. Nombre de tentatives ont eu lieu de la part de l’ANC et également du parti bourgeois d’opposition le plus puissant, l’Alliance démocratique, pour augmenter leur emprise politique sur le mouvement et lui ôter sa radicalité. Les étudiants ont cependant fait preuve d’une grande maturité politique et ont repoussé les partis établis. Ces derniers temps, l’appareil d’Etat a recours à une violence brutale contre les étudiants en grève. Flashballs, canons à eau, grenades assourdissantes : l’Etat essaye de démoraliser le mouvement. La police et les services privés de sécurité sont même allés jusqu’à envahir violemment des logements étudiants pour déstabiliser des sympathisants du mouvement. Plusieurs leaders du mouvement étudiant ont été emprisonnés sous haute surveillance, en isolement. Ces méthodes rappellent la répression brutale des grèves des mineurs de Marikana en 2012.

Dans cette répression du mouvement social, le gouvernement de l’ANC ne recule même pas devant l’utilisation de lois datant de l’apartheid. Julius Malema, meneur du parti d’opposition de gauche EFF (Economic Freedom Fighters), une scission révolutionnaire de l’ANC qui participe de manière active aux manifestations, a été conduit devant les tribunaux grâce à deux lois des années 1950, car il exigeait une redistribution des terres inhabitées aux pauvres.

Les causes de la crise de l’ANC

L’ANC est arrivé en 1994 au pouvoir, comme expression d’un mouvement de masse. Il promettait une amélioration du système de santé, ainsi que de meilleures conditions de logement et de travail, une réforme agraire au profit des pauvres, et un accès libre à l’éducation, pour tous. Ce qui se passe en Afrique du Sud donne un bon exemple de ce qui arrive quand une gauche accepte la logique du capitalisme : elle doit alors abandonner pas à pas son programme. C’est également la raison de la perte de confiance en l’ANC au sein de la population, comme l’ont montré les élections régionales d’août dernier. Au niveau national, le soutien à l’ANC a diminué en moyenne de 10 % ; la participation est tombée en dessous de 60 %. Moins de la moitié des moins de 40 ans est allée voter.

Cela ne veut absolument pas dire que la population, et surtout les jeunes, est tombée dans une apathie politique. Les combats actuels au sein des universités, mais aussi la forte affluence aux événements organisés par l’EEF, montrent tout le contraire. La majorité de la population n’a plus confiance dans l’élite dirigeante, dans les politiciens corrompus de l’ANC, et, plus généralement, dans le système capitaliste.

Le combat continue !

Le combat des étudiants continue malgré la violente répression actuelle. Le mouvement a clairement montré qu’il ne se laisserait pas diviser par le racisme, le sexisme ou d’autres mécanismes de clivage. Les travailleurs luttent main dans la main avec les étudiants. Le mouvement lui-même a pris la bonne voie ; alors qu’au début il s’appelait encore « Fees must fall ! », les protestations ont de plus en plus un caractère anticapitaliste. Mais le mouvement doit également rester sur ses gardes et ne pas se laisser entraîner dans les jeux de pouvoir des bourgeois. Pour cela, il a besoin d’une direction révolutionnaire indépendante et authentiquement marxiste. Les camarades de la TMI en Afrique du Sud mettent toute leur énergie dans cette tâche d’une importance capitale.

Le nom de Nelson Mandela sera à jamais associé à la lutte contre l’oppression des Noirs et contre le système inique de l’apartheid – c’est-à-dire contre le régime de ségrégation et d’oppression raciales imposé par le capitalisme sud-africain jusqu’au début des années 1990. Mandela est devenu président de l’Afrique du Sud à la suite des premières élections multiraciales, en 1994.

Sa mort a donné lieu à des hommages dans le monde entier ; hommages sincères de la part des travailleurs d’Afrique du Sud et d’ailleurs, mais hommages hypocrites de la part de nombreux gouvernements et politiciens réactionnaires. Beaucoup de militants noirs ont été torturés et massacrés dans les prisons et dans les commissariats du régime. Les policiers sud-africains n’avaient rien à envier aux nazis, dans ce domaine. Mandela lui-même a passé 27 ans en prison pour son opposition à l’apartheid. Aucun gouvernement de droite n’a levé ne serait-ce qu’un petit doigt pour s’opposer à la torture ou pour obtenir la libération de Mandela et de ses camarades.

Au Royaume-Uni, la Federation of Conservative Students, l’organisation étudiante du Parti Conservateur (actuellement au pouvoir), collait des affiches « Hang Mandela ! » (« Pendez Mandela ! »). Elle organisait des réunions publiques réclamant la pendaison de l’ensemble des militants de l’ANC ! Aujourd’hui Premier Ministre conservateur du Royaume-Uni, David Cameron était un membre dirigeant de cette fédération, à l’époque. Il a fait partie d’une délégation pro-apartheid envoyée en Afrique du Sud et militait activement pour défendre le régime raciste au pouvoir. Ce qui ne l’a pas empêché de déclarer récemment que Mandela avait été « une inspiration » pour lui, dans sa jeunesse !

Le programme de l’ANC

Mandela défendait un programme révolutionnaire qui ne se limitait pas à l’abolition de l’apartheid. Dans le domaine économique et social, il réclamait la nationalisation des grandes entreprises et des banques, ainsi qu’une réforme agraire de grande envergure. Dans la propagande de l’ANC, la lutte contre l’apartheid était associée à la nécessité d’une révolution sociale qui devait réaliser le transfert du pouvoir politique et économique à la classe ouvrière sud-africaine. C’est ce programme qui a tant inspiré les travailleurs noirs et la jeunesse – et pour lequel nombre d’entre eux ont donné leur vie.

A la fin des années 80, la mobilisation massive de la classe ouvrière noire prenait des proportions telles qu’il était devenu évident, pour une fraction significative de la classe capitaliste, qu’il ne serait pas possible de contenir le mouvement très longtemps. Face à la révolution montante, la classe dirigeante était divisée. Certains capitalistes et politiciens, autour de P.W. Botha, pensaient que des concessions ne feraient qu’encourager la révolution et prônaient, en conséquence, une intensification de la répression. D’autres, autour de F.W. De Klerk, voyaient dans la fin de l’apartheid – ou, du moins, dans son « assouplissement » – la seule garantie de sauvegarder le système capitaliste.

Mais dans cette dernière perspective, tout dépendait de l’attitude de la direction l’ANC. Des négociations ont été engagées et l’ANC a accepté, en substance, de renoncer à tous les éléments de son programme qui menaçaient la propriété capitaliste, en échange de l’abolition de l’apartheid. Juste après sa libération, Mandela avait pourtant déclaré : « La nationalisation des mines, des banques et des grands groupes industriels, c’est la politique de l’ANC. Tout changement ou modification de notre point de vue à cet égard est inconcevable ». Cependant, le changement a bien eu lieu. A vrai dire, les bases théoriques de ce renoncement étaient déjà implicitement présentes dans la politique de l’ANC et du PC sud-africain de la période précédente. Tout en défendant dans les textes un programme visant à remplacer le capitalisme par le socialisme, les dirigeants de l’ANC et du PC présentaient ce programme selon le schéma de la « théorie des étapes » qui caractérisait les programmes de pratiquement tous les mouvements sous influence politique de L’URSS. Dans la pratique, cela signifiait l’insertion artificielle d’une « étape » intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme, reportant ainsi la révolution socialiste à une hypothétique « étape » ultérieure… qui n’arrivait jamais.

Tensions croissantes

Ainsi, le capitalisme sud-africain est resté debout et l’exploitation brutale des travailleurs a continué. La répression aussi, comme en témoigne le massacre de 34 mineurs et la torture subie par des dizaines d’autres, lors de la grève des mineurs de l’été 2013. Les vives tensions au sein des composantes de « l’Alliance tripartite » qui regroupe l’ANC, la COSATU et le Parti Communiste, reflètent la différenciation politique entre les éléments procapitalistes des directions et la pression de la base militante.

Le Congrès National extraordinaire du Syndicat National des Travailleurs de la Métallurgie (NUMSA), qui organise 339 000 travailleurs de ce secteur, a souligné la catastrophe sociale et économique engendrée par le capitalisme, avec la destruction de plusieurs millions d’emplois depuis 2008. Le congrès s’est montré extrêmement critique à l’égard des dérives procapitalistes des directions de l’ANC, de la COSATU et du PC sud-africain. Walther Theledi, qui dirige un autre syndicat important, celui des travailleurs municipaux (SAMWU), a déclaré que « le congrès extraordinaire [de la NUMSA] se déroule à un moment où notre confédération syndicale, la COSATU, se trouve divisée et dans une crise paralysante. Nous croyons que cette crise résulte de la lutte entre des forces contraires et trouve sa plus haute expression dans l’opposition entre ceux qui voient la COSATU comme un champion indépendant et déterminé de la classe ouvrière et des pauvres, et ceux qui veulent la transformer en une simple officine du travail ».

Un texte d’orientation de la NUMSA (Réflexions idéologiques et réponses à certaines attaques récentes) résume bien le problème qui se pose. Il explique que « la classe ouvrière est assiégée par le capitalisme. Ces forces sont à l’œuvre à l’intérieur comme à l’extérieur de notre mouvement. A l’intérieur, des forces capitalistes appuient l’adoption de politiques néolibérales. […] Il y a une impatience croissante face à la domination du capitalisme [et] le mouvement de libération nationale n’a pas réussi à effectuer un transfert de richesses vers le peuple… »

L’abolition de l’apartheid était incontestablement un grand pas en avant, mais les travailleurs ont payé au prix fort la tentative de compromis avec le capitalisme. Il faut maintenant réorienter le mouvement ouvrier sud-africain vers la réalisation de ses objectifs historiques, pour le renversement du capitalisme et l’instauration d’une société socialiste. Ce n’est que de cette façon que l’émancipation sociale et politique des travailleurs – qu’ils soient noirs ou blancs – pourra enfin devenir une réalité.

Le jour de l’hommage national à Nelson Mandela a tourné au désastre pour la bourgeoisie, l’ANC et le Président Jacob Zuma, quand les masses ont tout chamboulé et pris leur place au cœur de l’évènement. Environ 90 chefs d’Etat, présidents, premiers ministres, rois, magnats des affaires et dignitaires étrangers des quatre coins du globe sont venus assister au service funéraire de l’ancien président Nelson Mandela. Mais ces « gens respectables » se sont retrouvés face à une foule composée de 60 000 personnes ordinaires émues, défiantes et bruyantes au FNB Stadium de Soweto. Le résultat fut un énorme embarras pour ces « gens respectables » et en particulier pour le Président Zuma, conspué par la foule au milieu d’un déferlement d’émotions brutes.

La commémoration de Nelson Mandela était supposée être un évènement prestigieux pour Zuma et son gouvernement. Elle était censée réunir des gens de tous horizons dans un esprit d’unité pour dire adieu à Nelson Mandela devant le monde entier. Chacun devait mettre de côté ses différences et montrer que l’Afrique du Sud est toujours la « Nation arc-en-ciel ». Au lieu de cela, les masses ont fait savoir aux riches et aux puissants quels étaient exactement leurs vrais sentiments. Le Président Zuma fut la première personne à recevoir leurs foudres.

Dès qu’il entra dans le stade, la foule massive le hua et se moqua bruyamment. Ces huées et moqueries s’estompaient seulement entre deux apparitions de Zuma sur l’écran géant. Cela incita les organisateurs à stopper la diffusion de l’image du Président sur le grand écran, et même à éteindre l’écran temporairement. Mais cela ne pouvait pas durer et, après que le Président américain Barack Obama eut parlé, le vice-président de l’ANC Cyril Ramaphosa a dû appeler la foule à la « discipline » en invoquant l’héritage de Nelson Mandela. Alors même qu’il plaidait devant la foule, le volume des huées et sifflements augmenta comme un acte de défiance.

Certains dans la foule accompagnaient les huées de gestes, pouce vers le bas ou geste rotatif des mains, comme pour demander un remplacement durant un match de football. Le Président fut complètement abasourdi par cela.

La complète ironie est que ceux qui huaient Zuma étaient clairement partisans de l’ANC et chantaient des chansons de luttes de l’ANC. Ils sont la classe ouvrière qui forme la base de masse de l’ANC. Actuellement, le président est impliqué dans une série de scandales personnels, et il est un fervent partisan des politiques capitalistes comme le Plan National de Développement.

L’un de ces scandales est qu’il s’est octroyé plus de 16 millions d’euros de l’argent des contribuables pour rénover sa résidence privée, pendant que le pays souffre de pénuries chroniques de logements pour des millions de pauvres. Juste au cours de ces trois derniers mois, pour apaiser la bourgeoisie, il a ratifié des lois comme le projet d’amendement sur les Transports et Questions Connexes, ou le projet de loi de subventions salariales pour la Jeunesse, etc., lois qui vont à l’encontre des souhaits exprimés par les masses. Mardi, devant le monde entier, les masses laborieuses lui ont fait savoir ce qu’elles ressentaient.

Au début, les défenseurs du Président dénoncèrent ces huées comme un « évènement orchestré ». Certains ont même été accusés d’être membres des Combattants pour la Liberté Economique (« Economic Freedom Fighters »), nouveau parti issu d’anciens membres des Jeunesses de l’ANC expulsés. Mais cet argument lui est vite revenu à la figure quand il devint évident que la foule protestataire était des partisans de l’ANC.

L’ANC a plus tard condamné le comportement des personnes qui avaient hué pendant le service commémoratif. Porte-parole de L’ANC, Jackson Mtembu a déclaré : « Certains au milieu des pleurs ont affiché un comportement méprisable et indigne par le chahut à plusieurs reprises de notre Camarade Président Jacob Zuma. Il s’agit d’une période de deuil. Aucun d’entre nous ne devrait utiliser ce moment solennel pour manquer de respect à qui que ce soit parmi nous, quelles que soient ses opinions personnelles et ses griefs ».

Le point de vue de Mtembu est à l’opposé de celui des travailleurs dans la foule. Terror Moloi, travailleur dans une blanchisserie de Soweto interviewé au stade, déclare : « Il (Zuma) ne favorise que ses propres amis, il ne suit pas le chemin de Mandela, il a abandonné les valeurs de Mandela ».

Un autre travailleur, Funeka Gingcara-Sithole, exprime le même sentiment : « Mandela a eu une vision, Mandela vivait cette vision. Mais ce que Zuma dit, il ne le vit pas. Il devrait faire amende honorable et démissionner ». Ce sont les voix authentiques de la classe ouvrière en Afrique du Sud.

La foule ne limite pas son mépris au Président. Il y eut de nombreuses fois où elle entonna des chants de liberté tandis que les différents dirigeants du monde s’adressaient à eux. Cela démontre la quantité de mépris accumulée par les masses vis-à-vis de leurs « dirigeants ». Ces gens étaient tellement déconnectés de la foule qu’ils se tenaient là, l’air penaud, ne sachant comment parler à une foule de travailleurs.

Mais quoi que Jackson Mtembu et ses semblables disent, la vérité est que cela est le fruit de deux décennies de frustration, de colère et de désespoir, et le manque d’amélioration du niveau de vie s’est mêlé puissamment à la douleur du décès de Nelson Mandela. Certains, comme l’archevêque Desmond Tutu, disent que ce n’est pas ce que Mandela aurait voulu. Ils ont tort. Ils se référent à la caricature de Mandela que les médias ont soigneusement cultivée durant ces vingt dernières années. En 1994, lors d’un congrès de la puissante fédération syndicale Cosatu, Mandela déclarait : « Si l’ANC vous fait ce que l’Apartheid vous faisait, alors vous devez faire à l’ANC ce que vous avez fait à l’Apartheid ». Tels sont les mots du militant Mandela.

Au moment de la mort de Mandela, nous écrivions : « Il n’y a aucun doute que la bourgeoisie invoquera l’héritage de Nelson Mandela de la "réconciliation nationale" et "d’unité nationale" au moment de son décès. L’objectif est clair : contenir les masses et bloquer leur chemin vers la véritable émancipation. Toutefois, cela ne sera pas facile et ne peut être que de courte durée ». Ces mots ont été écrits seulement quatre jours avant les événements de mardi !

Les masses sont le cœur et l’âme de la cérémonie commémorative. Les politiciens, les impérialistes et la bourgeoisie firent face aux masses laborieuses, et ils détestèrent ce qu’ils y virent. Nous avons souvent souligné à quel point la classe ouvrière sud-africaine est franche et militante. Mardi, les classes dirigeantes de toute la planète l’ont vu de leurs propres yeux.

Les marxistes ne rejoindront pas les hypocrites qui condamnent les masses pour « leur comportement méprisable et indigne ». Nous saluons les masses laborieuses présentes au FNB Stadium pour s’être défendues et faire savoir à leurs dirigeants ce qu’elles ressentent exactement. Ce qui est odieux, c’est le comportement et la complète hypocrisie de dirigeants de pays comme les Etats-Unis, qui maintiennent dans la servitude capitaliste des millions de personnes, tout en enrichissant toujours plus les dirigeants, qui viennent faire l’éloge de Nelson Mandela.

Dès 1998, Ted Grants et Alan Woods ont écrit à propos de ce processus en cours. Dans un document intitulé Marxisme et impérialisme : le Tiers-Monde dans la crise, ils écrivaient :
« Nous ne devrions pas sous-estimer l’effet de la concession de certains droits démocratiques à la population noire. Inévitablement au début, il y eut quelques désillusions. La concession de chose comme l’électricité et l’eau potable dans les townships, en particulier, sera vue par les Noirs comme une avancée majeure. Mais les espoirs placés dans les dirigeants de l’ANC par les masses vont bien au-delà de ces concessions. Les travailleurs noirs, et en particulier la jeunesse, voient leur colère croître vis-à-vis de la conduite des leaders de l’ANC. Après des générations de ce qui équivalait à de l’esclavage, la masse des Sud-Africains noirs espère l’égalité réelle et des conditions d’existence civilisées. Pour les masses, la question de la démocratie est toujours une question concrète, liée à l’emploi, aux salaires, au logement. Le gouvernement dirigé par l’ANC introduit par le mal nommé Plan de Croissance, d’Emploi et de Redistribution des attaques contre les droits syndicaux, la privatisation de services publics, etc.

Nous pouvons voir ce qui se passe déjà. Il y a un mécontentement croissant au sein des rangs de l’ANC et des syndicats au sujet de ce gouvernement et de la façon dont une élite noire a rejoint la bourgeoisie blanche abandonnant la majorité de la population noire qui vit dans la pauvreté. »

Ces mots auraient pu être écrits aujourd’hui. La tâche désormais est d’apporter les véritables idées du marxisme à ces organisations de masses.

La fusillade de la mine de Marikana le 16 août dernier, près de Johannesburg, où 34 mineurs ont péri, a suscité une immense vague d’indignation. Le groupe de grévistes abattu froidement par la police nous renvoie à l’époque de l’apartheid, du massacre de Sharpeville, des émeutes de Soweto et des luttes des années 1980.

Avant ce massacre, dix autres personnes avaient été tuées. 234 ont été arrêtées. Malgré plusieurs mois de grève, la direction de la mine refusait de négocier, attisant la frustration des travailleurs. Des centaines de policiers lourdement armés ont encerclé la mine. Ils effectuaient des patrouilles dans des petits convois de véhicules et maintenaient une surveillance aérienne par hélicoptère.

La multinationale Lonmin, propriétaire de la mine, est le 3e producteur mondial de platine. Lorsque les 3 000 mineurs ont commencé leur grève, la direction de Lonmin a menacé de les licencier s’ils ne reprenaient pas immédiatement le travail. Malgré cet ultimatum, les trois quarts des mineurs ont poursuivi la grève. Ils exigeaient (et exigent toujours) une augmentation salariale – de 4 000 rands (377 euros) à 12 500 rands par mois.

Suite au massacre, le gréviste Kaizer Madiba explique  : «  Des gens sont morts, donc nous n’avons plus rien à perdre. Nous allons continuer à nous battre pour ce que nous estimons être un combat légitime : des salaires décents. Nous préférons mourir, comme nos camarades, plutôt que de reprendre le travail ».

Mécontentement croissant

Derrière la grève se livre une bataille entre les deux syndicats de mineurs : la modérée Union Nationale des Mineurs (UNM) et son rival plus militant, l’AMCU, créé par des membres exclus de l’UNM. L’AMCU accuse les dirigeants de l’UNM de s’occuper davantage de leur carrière politique et de leur enrichissement personnel que des mineurs. Et en effet, l’UNM a déjà fourni toute une série de dirigeants à l’ANC, le parti au pouvoir. Par exemple, Cyril Ramaphosa, ancien dirigeant de l’UNM et de l’ANC, est désormais un homme d’affaires richissime qui siège au conseil d’administration de... Lonmin.

A l’heure où ces lignes sont écrites, les familles de mineurs enterrent leurs morts et la grève se poursuit. Elle va certainement porter un coup sévère à l’ANC et à ses alliés. Elle souligne les inégalités persistantes dans la plus importante économie d’Afrique. La fin de l’apartheid et les gouvernements successifs de l’ANC n’ont pas résolu les problèmes des masses. A ce jour, 40 % de la population vit avec moins de 2,5 dollars par jour.

Julius Malema, un jeune dirigeant récemment exclu de l’ANC, est devenu un symbole de l’opposition de gauche au gouvernement. Il a été acclamé par les mineurs lors d’un meeting, à Marikana, où il expliquait que le président Zuma préfère protéger les patrons de la mine que les mineurs. Malema a été exclu de l’ANC lorsqu’il dirigeait son organisation de jeunesse et accusait le président Zuma de complaisance à l’égard des grands capitalistes blancs.

« Le président Zuma a demandé à la police d’agir de la façon la plus ferme à l’égard des grévistes », explique Julius Malema. « Il est responsable du meurtre de nos frères et donc il doit démissionner. Même sous l’apartheid, aucun gouvernement n’a tué autant de gens. A partir d’aujourd’hui, si on vous demande qui est votre président, vous devez répondre : je n’ai pas de président ».

Le mécontentement ne cesse de croître, dans le pays, et les déclarations de Malema en faveur de la nationalisation des mines ont gagné du terrain, surtout depuis le massacre de Marikana. Scandaleusement, les dirigeants du syndicat COSATU et du Parti Communiste Sud-Africain n’ont pas condamné la violence de l’Etat – mais plutôt le comportement du syndicat « scissionniste » AMCU. Le Parti Communiste est même allé jusqu’à réclamer l’arrestation de ses membres !

Nous devons condamner sans réserve cette attaque brutale et meurtrière de l’Etat Sud-Africain contre les mineurs en grève. Nous devons aussi leur apporter notre soutien dans leur lutte pour un salaire décent et pour la nationalisation des mines, premier pas vers la nationalisation des grands leviers de l’économie. C’était d’ailleurs la politique de la « Charte de Liberté » de l’ANC. Il est grand temps que l’ANC et ses dirigeants mettent en pratique cette Charte – au lieu de plier le genou devant les grandes multinationales.

Cet article date d’avril 2010.

A moins de deux mois du début de la première Coupe du monde de football sur le sol africain, l’assassinat du leader néo-nazi Eugène Terre’Blanche (photo), le 3 avril dernier, confirme la persistance de vives tensions raciales, dans le pays.

Terre’Blanche était la figure pro-apartheid la plus médiatique, depuis la transformation du régime amorcée au début des années 1990. En 1973, il fonde le Mouvement de Résistance Afrikaner (AWB), qui prône la supériorité de la race blanche. Directement inspiré du mouvement nazi – drapeaux rappelant la croix gammée, défilés paramilitaires, milice armée – l’AWB a organisé de nombreux attentats meurtriers. A titre personnel, Terre’Blanche fut à maintes reprises condamné par la justice pour des agressions très violentes sur des personnes de couleur.

Le 3 avril, deux ouvriers agricoles noirs qui avaient travaillé sur la ferme de Terre’Blanche, et qu’il n’avait pas payés, l’ont battu à mort. Le salaire colossal qu’ils lui réclamaient était d’un peu moins de 30 euros, soit bien moins que le minimum légal. En outre, l’un des ouvriers, âgé d’à peine 15 ans, était illégalement exploité par Terre’Blanche. Compte tenu de son curriculum vitae, nous ne verserons pas de larmes sur sa disparition.

Inégalités sociales

La stratégie de « réconciliation nationale » prônée par l’ANC (Congrès National Africain), depuis qu’il est au pouvoir, révèle au grand jour sa fragilité. L’histoire de l’ANC nous offre un nouvel exemple de dérive bureaucratique d’un parti originellement révolutionnaire.

En 1990, sous la menace imminente d’un mouvement de masse des travailleurs noirs, le gouvernement pro-capitaliste de De Klerk annonce sa volonté de transmettre les pouvoirs politiques à l’ANC. Le leader de l’ANC, Nelson Mandela, est libéré de prison, où il a passé trente ans. A l’époque, dans ses discours, Terre’Blanche assimilait la fin de l’apartheid à une capitulation devant le communisme. Mais si le pouvoir politique a pu ainsi changer de mains assez paisiblement, c’est parce que l’ANC et le régime de l’époque ont passé un accord. En échange du pouvoir politique, les Blancs conservaient le pouvoir économique – et les dirigeants de l’ANC s’engageaient à protéger les intérêts des capitalistes sud-africains. Autrement dit, l’ANC devait renoncer à tout objectif socialiste et révolutionnaire.

En contradiction directe avec les aspirations des masses, les dirigeants de l’ANC ont jusqu’alors parfaitement rempli leur mission, comme ils l’ont démontré dès leur arrivée au pouvoir. Ils ont massivement privatisé : la santé, l’éducation, les services sociaux… Cette politique pro-capitaliste a mis à la porte des dizaines de milliers de travailleurs.

L’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Alors qu’il dispose d’un sous-sol riche en minerais et en métaux précieux, 50 % de la population n’a pas accès à l’eau courante et 30 % n’a pas d’électricité. Le chômage tourne autour de 40 %. Cette pauvreté généralisée, au sein de la communauté noire, est le facteur principal qui engendre une criminalité endémique. Dans ce domaine, le pays est sur le podium mondial.

La répartition des terres agricoles est une autre preuve que, malgré le changement de régime, la même minorité de capitalistes a conservé tous ses biens. 82 % des terres arables du pays sont aux mains de la communauté blanche, alors qu’elle ne représente que 10 % de la population.

Le mouvement ouvrier fait pression, par l’intermédiaire des luttes syndicales, pour défendre les intérêts des travailleurs et infléchir la politique du gouvernement dans le sens d’une vraie politique socialiste. Sur les chantiers des infrastructures destinées à accueillir la Coupe du monde de football, une série de grèves a éclaté. Il incombe au mouvement ouvrier de présenter un programme capable de surmonter les divisions raciales, et d’avancer vers la construction d’une société socialiste, capable de répondre aux besoins urgents de la masse de la population. Il s’agit là de l’unique voie de salut pour les travailleurs sud-africains.