Allemagne

L’Allemagne a été secouée par sa plus grande grève depuis 30 ans. Le 27 mars, pas une roue n’a tourné dans le pays. Popularisée sous le nom de « méga-grève », cette journée de lutte a entièrement paralysé le secteur du transport allemand. C’est un tournant dans le développement de la lutte des classes en Allemagne.

Cette soudaine et puissante offensive de la classe ouvrière allemande n’est pas une surprise. Tous les ingrédients en étaient réunis. Les travailleurs allemands ont été touchés successivement par la pandémie, les conséquences de la guerre en Ukraine et l’inflation croissante. Officiellement, l’inflation a atteint 8,7 % en février. Mais le prix de l’énergie a augmenté de plus de 19 % et celui des denrées alimentaires de près de 22 %.

Les deux syndicats à l’initiative de cette grève, Verdi (deuxième syndicat du pays) et EVG (syndicat des transports), demandent respectivement des hausses de salaire de 10,5 et 12 %. Ces augmentations ne feraient que restaurer l’ancien niveau de vie des travailleurs. De son côté, le patronat du secteur n’a proposé que 5,5 % d’augmentation, ce qui a été considéré comme une provocation par les 155 000 grévistes en lutte, le 27 mars.

Humeur combative

Cette « méga-grève » a été précédée par une série de grèves plus modestes qui ont débouché sur un certain nombre de victoires partielles, mais très significatives. Par exemple, le vote d’une grève illimitée par 86 % des membres du syndicat des postiers lui a permis d’arracher une hausse des salaires de 11,5 % pour les travailleurs de ce secteur.

Dans les manifestations et sur les piquets de la « méga-grève », l’humeur était combative. Les grévistes scandaient des slogans tels que : « nous ne paierons pas votre crise ! ». Fait très significatif, un élan de solidarité avec les grévistes parcourt le pays. Plus de 55 % de la population approuvait la grève des transports, malgré une vaste campagne des grands médias bourgeois contre les grévistes et leurs syndicats.

Cependant, en dépit de l’humeur radicale des travailleurs, les directions syndicales étaient réticentes à organiser cette « méga-grève ». Elles sont effrayées par l’atmosphère explosive qui règne dans le pays et craignent que la situation ne leur échappe. Par exemple, les dirigeants d’EVG ont exclu toute nouvelle action avant Pâques. Cela représente deux semaines à vide pour des milliers de travailleurs galvanisés par leur plus grande grève de ces 30 dernières années.

Les dirigeants syndicaux n’ont pas l’intention de s’appuyer sur le succès de la « méga-grève » pour développer la lutte. Cependant, la classe dirigeante est lucide et ne manque pas de faire des allusions à la situation en France. Même si la grève allemande n’a pas atteint l’ampleur de nos mobilisations contre la réforme des retraites, il est clair que la lutte des travailleurs français a un impact sur la conscience de la classe ouvrière et de la jeunesse en Allemagne.

La faillite de la social-démocratie

Sans surprise, le parti social-démocrate au pouvoir s’est ouvertement opposé à la grève. Cette attitude reflète la subordination de ses dirigeants aux impératifs de la bourgeoisie allemande.

En début d’année, le chancelier Olaf Scholz annonçait un « tournant ». Selon lui, la guerre en Ukraine avait ouvert une nouvelle époque dans laquelle l’Allemagne devait renforcer ses intérêts par une campagne de réarmement. En 2022, le parlement allemand a voté une augmentation du budget de la défense de 100 milliards d’euros. La classe dirigeante allemande est de plus en plus impliquée dans la guerre en Ukraine, sous la forme de livraisons d’armes et de chars. Or cette guerre a eu d’importantes répercussions sur les prix de l’énergie, frappant l’industrie et impactant durement les travailleurs.

L’Allemagne est un pays clé en Europe et sur le marché mondial. L’aggravation de la crise du capitalisme allemand aura d’importantes répercussions sur ses voisins malades. De même, le réveil de la classe ouvrière allemande aura un impact dans toute l’Europe. La grande grève du 27 mars en a révélé le potentiel.

Les revendications légitimes des travailleurs allemands ne pourront être satisfaites que par une intensification de la lutte des classes. A cette fin, le mouvement doit être élargi et les différentes couches de la classe ouvrière unifiées dans une lutte commune contre la bourgeoisie. Le soi-disant « dialogue social » prôné par les dirigeants syndicaux ne peut mener qu’aux défaites et trahisons.

L’Allemagne est au seuil d’une période de luttes colossales. Elles auront besoin d’une direction consciente des tâches qui l’attendent. Les actuels dirigeants du mouvement ouvrier allemand ne sont pas du tout à la hauteur de la situation. Alors que les travailleurs commencent à se mobiliser sous l’impact de la crise du capitalisme, il est urgent de construire, en Allemagne, une puissante organisation marxiste. C’est la tâche que s’est fixée la section allemande de la TMI !

Pendant des décennies, l’Allemagne a été un pilier de stabilité en Europe. Stabilité économique, d’abord : l’économie allemande a bien résisté à la crise de 2008 ; le taux de chômage officiel est tombé à 3,4 %, du jamais vu depuis les années 1970. Stabilité politique, ensuite : Angela Merkel et sa formation de droite (la CDU/CSU) ont réussi à se maintenir au pouvoir depuis 2005.

Sous la surface, cependant, les contradictions sociales n’ont cessé de s’intensifier. Et désormais, le pays bascule dans l’instabilité.

La chute de la maison Merkel

La croissance économique allemande s’est accompagnée d’une offensive générale contre la protection sociale et le droit du travail, notamment sous le gouvernement Schröder (1998-2005). Le travail précaire a explosé. Conséquence : le chômage a baissé, mais la pauvreté a augmenté, frappant plus de 16 % de la population. Et alors qu’il y a plus de pauvres, il y a moins d’aides sociales : 9 % de la population en bénéficiait l’an dernier, contre 11 % en 2006. C’est d’abord cette situation qui explique la crise politique actuelle.

Les élections fédérales de septembre 2017, déjà, avaient marqué le rejet des partis de la « grande coalition » dirigée par Merkel depuis 2013 : la CDU/CSU et le Parti Social-Démocrate (SPD). Ils ont alors réalisé leur plus mauvais résultat depuis 1945. Reconduite malgré la contestation d’une partie des militants du SPD, la grande coalition continue de voir fondre ses résultats électoraux.

En octobre dernier, lors des élections des parlements régionaux de Bavière et de Hesse, les deux partis au pouvoir ont perdu en moyenne 10 points par rapport aux élections précédentes. Merkel a dû annoncer qu’elle ne briguerait plus de mandat à la tête de la CDU et à la Chancellerie. Quant aux résultats électoraux du SPD, ils sont une nouvelle condamnation cinglante de sa politique d’alliance avec la droite. En conséquence, la coalition gouvernementale est au bord de l’éclatement. Tout ce qui la fait encore tenir, c’est la crainte que de nouvelles élections générales soient marquées par une nouvelle poussée de l’Alternative pour l’Allemagne » (AfD – extrême droite).

Polarisation de classe

C’est en effet ce parti raciste et ultra-réactionnaire qui apparaît aujourd’hui comme le principal bénéficiaire de la crise et du rejet du statu quo. L’an dernier, il s’est hissé à la troisième place au Parlement, passant de 4 à 12 %. Il a dépassé le SPD aux élections locales de Bavière. Son succès s’est accompagné de manifestations d’extrême-droite. En août dernier, la ville de Chemnitz, en Saxe, a été le théâtre de deux jours de violences contre les immigrés. Le 27 août, un restaurant juif a été vandalisé par des fascistes. Début octobre, la police a démantelé un groupuscule néonazi qui préparait des attentats contre des migrants.

Comme à chaque fois que ce type d’événements se produit, on a droit aux habituels discours sur l’inexorable « vague brune » qui submergerait l’Europe « démocratique ». Certes, l’AfD est un danger sérieux qu’il faut combattre fermement. Mais sa croissance ne constitue qu’un pôle de la radicalisation politique en Allemagne. Par exemple, 240 000 personnes défilaient à Berlin, le 13 octobre, contre l’AfD, contre le racisme et pour la solidarité avec les migrants. C’est beaucoup plus que les quelques milliers de manifestants que l’extrême-droite a pu rassembler !

En réalité, la raison pour laquelle l’extrême-droite est apparue si puissante, ces deux dernières années, c’est parce qu’il n’y avait pas, à gauche, d’alternative claire exprimant la colère de la population.

C’est dans ce contexte qu’Oskar Lafontaine et Sarah Wagenknecht, de la gauche de Die Linke, ont annoncé la création de Aufstehen (Debout), un mouvement « trans-parti » qui affirme vouloir rompre par la gauche avec l’ordre établi. Cependant, son programme est confus, tout comme les interventions de ses porte-paroles. S’écartant largement du programme officiel d’Aufstehen, Wagenknecht s’est même opposée à l’immigration ouverte au nom de la lutte contre le « dumping social ». C’est une erreur.

Beaucoup plus positif : Lafontaine a appelé à la nationalisation de l’entreprise métallurgique NHG, qui est menacée de fermeture. Cela a eu un impact important dans les syndicats de la métallurgie. Aufstehen a enregistré 150 000 adhésions sur son site internet dans les deux semaines qui ont suivi sa création. Cependant, l’avenir de ce mouvement est toujours incertain. On ne sait pas, notamment, s’il va déboucher sur une véritable organisation – ou s’il va juste servir de point d’appui à ses fondateurs dans leur lutte interne à Die Linke.

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : l’équilibre politique est rompu en Allemagne. Et la classe ouvrière, après de longues années de torpeur et de reculs, aura besoin d’une puissante organisation pour répondre aux attaques, que celles-ci viennent de la CDU-CSU, de l’AfD ou de l’aile droite du SPD.

Il n’y a pas si longtemps, l’Allemagne était vue comme un des rares pays politiquement stables. En surface, avec une forte croissance économique et une position dominante en Europe, tout semblait aller pour le mieux pour la classe dirigeante allemande. Mais cette stabilité est aujourd’hui profondément bouleversée.

Depuis plus de 70 ans, la CDU (Union Chrétienne Démocratique) et la CSU (Union Chrétienne Sociale) forment un bloc uni, la CSU se présentant aux élections bavaroises et la CDU partout ailleurs. La plupart du temps, cette alliance a été bénéfique aux deux partis… jusqu’à ce qu’une dispute sur la question de l’immigration éclate et menace de rompre l’entente.

L’étincelle qui a allumé le conflit a été lancée lorsque Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur et dirigeant de la CSU, devait présenter un plan pour durcir l’approche allemande sur la question des demandeurs d’asile. Le ministre voulait donner à la police le droit de refouler des réfugiés à la frontière s’ils étaient déjà inscrits dans un autre pays de l’Union Européenne. Mais cette proposition a été rejetée par Angela Merkel, qui a ainsi énervé le parti frère de la CDU.

Défiant ouvertement Merkel, Seehofer a menacé de mettre tout de même en œuvre cette politique, qui relève de son portefeuille ministériel. Merkel a répliqué en indiquant que ses plans ne rentreraient pas « automatiquement » en vigueur, une menace à peine voilée de révocation. Cette manœuvre très risquée aurait pu amener la CSU à retirer son soutien à la CDU et à quitter la majorité de la Grande Coalition précipitant ainsi de nouvelles élections. Heureusement pour la classe dirigeante allemande, cette conséquence drastique a été évitée lorsque la CSU a donné à Merkel un délai supplémentaire (jusqu’au sommet européen du 28-29 juin) pour trouver une solution et négocier un certain nombre d’accords bilatéraux.

Pourquoi une rupture maintenant ?

Selon le Financial Times, les flux de migrants ont diminué de 90 % depuis 2015 ; il est donc étrange que cette crise ait lieu maintenant. La raison réelle de cette dispute a plus à voir avec la panique de la CSU face à la montée de l’AfD (Alternative für Deutschland, Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite). Aux élections fédérales de 2017, le vote CSU s’est effondré de 38 % à 10,5 % alors que l’AfD a atteint 12,4 % en Bavière. Les dirigeants de la CSU sont de plus en plus inquiets en vue des élections régionales d’octobre prochain. Le parti a gouverné la région avec une majorité absolue depuis 1962, sauf en 2008 où son score de 43,4 % l’a obligé à former une coalition gouvernementale avec le FDP pendant cinq ans. Perdre la majorité en Bavière serait une grande défaite pour la CSU.

L’Allemagne est la plus forte économie de l’Union Européenne, avec un taux de chômage de 3,4 %, le troisième plus bas de l’UE. L’austérité poursuivie depuis 2008 a été bien moins sévère que dans d’autres pays dans le monde. A quoi est donc dû le rejet des grands partis que nous observons aujourd’hui dans ce pays ?

La classe dirigeante allemande a entamé sa politique d’austérité bien avant le début de la crise financière. Dans une tentative de restauration de la « compétitivité », le gouvernement SPD (Parti Social Démocrate) de Gerhard Schröder a mené une politique de « maîtrise des salaires » entre 1998 et 2005. Cette politique, connue sous le nom d’« Agenda 2010 », consistait en des coupes massives dans les taxes destinées aux plus les riches, couplées à des coupes dans les pensions et les aides aux chômeurs. En 2008, la part du revenu national dédiée aux salaires est descendue à 64,5 %, la plus basse depuis 50 ans. Les inégalités sont à leur plus haut niveau depuis 1913. Cela signifie que le capitalisme allemand a drastiquement comprimé le prix du travail, rendant ainsi les biens produits en Allemagne plus compétitifs au niveau mondial. En outre, la forte diminution du pouvoir d’achat des travailleurs (40 % de la population a aujourd’hui un pouvoir d’achat plus bas qu’il y a 20 ans) implique une baisse des importations. L’Allemagne est donc passée du statut de « canard boiteux » de l’Europe à celui d’une économie forte, fondée sur des bas salaires et de fortes exportations.

Cela veut aussi dire que, sous la surface, la colère et le ressentiment croissent. Comme dans de nombreux autres pays dans le monde, cette colère a mené à l’effondrement du soi-disant centre. Les élections fédérales ont donné à la CSU/CDU et au SPD leur pire résultat depuis les années 1940. Cette tendance s’est même renforcée avec la formation de la « Grande Coalition » : le score des trois partis mis ensemble atteint aujourd’hui moins de 50 %.

La polarisation mine les partis traditionnels

La polarisation qui a eu lieu dans la politique allemande s’est exprimée à droite, en hostilité à Angela Merkel. Ce mouvement a été exacerbé par la décision de la chancelière de former une coalition avec le SPD : de nombreux sympathisants de la CDU se sont sentis « trahis et vendus », selon un député CDU cité par le Financial Times. A gauche, la trahison du SPD a drastiquement réduit son attrait et Die Linke (ancien parti socialiste de RDA, désormais à la gauche du SPD) souffre de son ancienne participation au sein du gouvernement.

Cela a engendré un vide politique en Allemagne, en partie comblé par l’AfD. Alors que le bloc CDU/CSU est traditionnellement le représentant de la grande industrie, l’AfD s’est construit un certain soutien parmi la petite bourgeoisie en plaidant pour des politiques protectionnistes, telles que celles s’opposant au TTIP. En outre, vu l’échec du SPD et de Die Linke à offrir une alternative radicale, l’AfD est également parvenue à attirer des travailleurs de façon démagogique, en soutenant le salaire minimum et la diminution des impôts sur les familles avec enfants. Enfin, comme il n’y a pas d’organisation de masse capable d’expliquer que le niveau de vie a été réduit à cause du système capitaliste, et non pas à cause de l’immigration, il n’y a rien d’étonnant à ce que certaines personnes pensent pouvoir résoudre leurs problèmes en fermant les frontières.

Alors que l’AfD a gagné des voix avec une position eurosceptique et protectionniste, cette approche va à l’encontre des intérêts du capitalisme allemand, largement dépendant de l’Union Européenne. Le capitalisme allemand est fondé sur une économie tournée vers l’exportation (dont dépendent 30 % des emplois), qui est destinée à 65 % à l’Union Européenne. Suite à l’introduction de barrières douanières qui menaceraient les exportations vers les Etats-Unis et augmenteraient potentiellement la compétition avec les produits chinois inondant le marché à bas prix, l’UE – qui permet à l’Allemagne d’agir au sein d’un bloc politique pour concourir à une échelle mondiale – deviendra de plus en plus importante pour le capitalisme allemand.

Il n’est donc pas étonnant que Merkel rejette la proposition de Seehofer qui va à l’encontre d’une solution « pan européenne ». La seule option pour Merkel – qui essaye désespérément de garder l’Union unie – a été de rechercher des accords bilatéraux avec chaque pays. Heureusement pour elle, Alexis Tsipras est venu à la rescousse le 28 juin, en déclarant au Financial Times que la Grèce était prête à aider. Mais ceci pourrait bien être soumis à certaines conditions, comme un allègement de la lourde dette de l’Etat grec. Cela causerait en soi des problèmes politiques, étant donnée la rhétorique immonde de certains à droite au sujet des « Grecs fainéants ».  Dans tous les cas, la Grèce ne permettrait qu’à 50 ou 100 migrants de passer sa frontière nord, ce qui ne changerait pas grand-chose. Après tout, l’Allemagne a accueilli à elle seule 1,4 million de migrants depuis 2015.

Le problème italien

Merkel avait « avant tout besoin d’un accord avec les Italiens » comme l’a déclaré un député de la CDU. Vu sa position géographique en Europe, l’Italie voit de nombreux migrants arriver sur ses côtes.  Si l’on prend Seehofer au mot, il demande donc que la police allemande ait le droit de renvoyer un très grand nombre de migrants et de demandeurs d’asile vers l’Italie. Mais il y a un problème : le gouvernement de coalition italien entre le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue a fait de la réduction de l’immigration un de ses chevaux de bataille. Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue et ministre de l’Intérieur a menacé de « renégocier la contribution de l’Italie à l’UE » si aucun accord n’était trouvé pour réduire le nombre de migrants reçus par l’Italie. Giuseppe Conte a également demandé un « changement radical » des accords de Dublin, qui stipulent que le pays dans lequel un demandeur d’asile arrive pour la première fois est responsable de sa prise en charge. Pour le gouvernement italien, il est injuste que l’Italie doive supporter ce fardeau pour toute l’Union Européenne à cause d’un coup du sort géographique. Il semble qu’il y ait à présent un conflit insoluble entre les souhaits de l’Allemagne et de l’Italie.

Dans une tentative désespérée pour préserver l’unité de l’Union, il se pourrait bien que Merkel propose au gouvernement italien une exemption des règles budgétaires européennes pour que le gouvernement puisse mener certaines des réformes inscrites dans les manifestes des deux partis. Néanmoins, vu le niveau d’endettement massif de l’Italie, cela entraînerait une forte instabilité dans l’Union. De plus, cette option pourrait bien ne pas fonctionner. Un diplomate de l’UE s’est ainsi demandé s’il existait « un chèque assez gros » pour changer les positions de Salvini.

Le manque de solutions disponibles à Merkel est apparu clairement lors du sommet européen du 28 juin. Les dirigeants européens présents se sont mis d’accord pour créer des camps d’hébergement pour les migrants et les demandeurs d’asile jusqu’à ce qu’une décision sur leur acceptation en Europe soit prise. Ces camps seraient situés en Afrique du Nord et dans des pays « volontaires » de l’UE. Un accord est cependant bien loin d’être conclu pour savoir qui accueillera ces migrants. La proposition de partager leur nombre – soutenue par l’Italie – a été catégoriquement refusée par un groupe de pays menés par la Hongrie. Finalement, il a été décidé que des marques de « solidarité » – comme l’hébergement des demandeurs d’asile – se prendraient sur une base « volontaire ». Cela ne résout absolument rien. Avant l’« accord », le problème était que certains Etats refusaient d’accueillir plus de migrants et que le « fardeau » pesait trop lourdement sur les pays en première ligne. Cela restera un problème aujourd’hui.

Sauvée du précipice… pour le moment

Vu le manque d’options, il semble très probable que le partenariat CSU/CDU se termine. Néanmoins, malgré la tension croissante entre les deux camps, l’alliance a été incroyablement bénéfique aux deux partis. Elle a permis à la CSU de gagner des ministères et à la CDU de s’appuyer sur les sièges remportés en Bavière pour soutenir ses performances électorales nationales. Si l’accord était rompu, la CDU pourrait décider de participer aux élections en Bavière et la CSU dans le reste de l’Allemagne. Cela fractionnerait le vote des deux partis et les affaiblirait face à l’AfD. Après tout, le conflit a d’abord émergé par crainte de perdre le pouvoir…  C’est la raison pour laquelle Seehofer a indiqué qu’une rupture serait « irréaliste » ; un député CSU a également parlé d’une « communauté de destin » des deux partis.

Malgré les concessions apparentes de Seehofer, il y a eu une rupture nette au sein de la CSU au sujet de l’accord proposé par Merkel. D’un côté, l’aile pro-européenne semblait contente : le vice-président du groupe CSU, Hans Michelbach, a ainsi décrit l’accord comme « un signal positif que quelque chose est en train de bouger en Europe, dans la bonne direction ». D’un autre côté, Seehofer a rejeté l’accord, le jugeant « inadéquat » et « pas efficace ». Malheureusement pour Seehofer, comme l’a reporté le Financial Times, il n’a pas reçu le soutien de l’exécutif et a donc proposé sa démission.

Néanmoins, Seehofer et Merkel ont organisé une dernière rencontre le lundi 2 juillet, lors de laquelle Seehofer a annoncé qu’ils avaient atteint un « accord après de très intenses négociations ». Cet accord comprend la mise en place de centres de transit à la frontière austro-allemande où les réfugiés pourraient être renvoyés dans les pays où ils sont arrivés, plutôt que d’être refoulés à la frontière. Merkel a souligné qu’ils concluraient « des arrangements administratifs avec les pays concernés » et que cela reflète « le véritable esprit européen ».

Néanmoins, Seehofer et d’autres figures de la CSU se sont lancés dans des promesses odieuses pour résoudre le problème de l’immigration. En Bavière, le mécontentement grandit dans les masses urbaines et rurales quant à la qualité de vie, autour de sujets comme le manque d’hébergement à prix abordable. La CSU ne peut pas y apporter de solution : le Premier ministre de Bavière, Markus Söder, a en effet été responsable de la privatisation des compagnies de logements publics alors qu’il était ministre des Finances. La CSU s’attache donc à attiser le sentiment anti-migrants pour distraire la population. En l’absence d’une alternative de gauche, toute marche arrière de la CSU se verra certainement sanctionnée par un tournant encore plus marqué vers l’AfD.

Une crise irrésolue

Il n’est pas certain que Merkel arrive à convaincre le SPD de soutenir ce qui est en réalité des camps de prisonniers pour réfugiés. Ce deal s’écarte très largement de l’accord de coalition signé il y a une centaine de jours et constitue un tournant très clair vers la droite. Néanmoins, la tête du SPD – qui n’est pas connue pour sa capacité à adopter des positions de principe – sera terrifiée à l’idée de provoquer de nouvelles élections et pourrait docilement accepter les différentes propositions.

Il n’est pas non plus certain que Merkel arrive à convaincre les gouvernements de reprendre des migrants qui ont été enregistrés dans d’autres pays. Il importe bien peu au gouvernement italien que des migrants soient renvoyés en Italie directement depuis la frontière ou bien à la « gentille » façon « européenne », après un séjour dans des camps-prisons.

Indépendamment de la résolution de ce conflit particulier, il apparaît qu’en Allemagne, comme dans de nombreux autres pays à travers le monde, la classe dirigeante est de moins en moins capable de régner à l’ancienne. Lénine a expliqué que des divisions au sommet de l’Etat sont une des conditions nécessaires à l’émergence d’une situation révolutionnaire. Il semble que l’Allemagne ait rejoint la liste des pays où les fractures deviennent apparentes.

Depuis les années 1990, en Europe, les capitalistes, la Commission Européenne et les gouvernements poussent impatiemment à la privatisation des services publics. Pour le Capital, cela ouvre des possibilités d’investissements aux risques limités : Transports, Poste, Hôpitaux ou Télécommunications sont indispensables et donc « sûrs » d’un point de vue financier. D’énormes profits sont en jeux. Les compagnies nationales de chemin de fer ont été particulièrement visées – en Grande-Bretagne, en France, mais aussi en Allemagne.

En 1994, les chemins de fer nationaux de l’ancienne RDA (Reichsbahn) et de l’Allemagne de l’Ouest (Bundesbahn) ont été fusionnés et transformés en une société anonyme de droit privé, la Deutsche Bahn (DB). Trois ans plus tard, elle a été divisée en cinq filiales (fret, transport de voyageurs à longue distance, transport local, infrastructure, gestion des gares). Cette division était la première d’une longue série. Aujourd’hui la DB compte près de 300 filiales, véritables mines d’or pour les capitalistes, mais sources de chaos en termes d’organisation et de gestion. Dans le même temps, DB s’est développée au niveau international en rachetant des entreprises de Transport. Elle est ainsi en concurrence avec des entreprises étrangères comme la SNCF ou Trenitalia.

Attirer les investisseurs privés

A partir de 2000, le patron de la DB, Hartmut Mehdorn, a commencé le travail préparatoire à sa privatisation et à son introduction en bourse. Concrètement, cela s’est traduit par une baisse massive des investissements et la recherche d’économies à tout prix, pour apparaître plus attirant aux investisseurs privés potentiels. Les conséquences désastreuses s’en font encore sentir aujourd’hui : réduction drastique du personnel et restructurations permanentes. Les salariés sont donc soumis à une pression intense, tandis que l’état du réseau se détériore.

D’un point de vue écologique, les conséquences sont catastrophiques : peu rentable, le fret ferroviaire a été délaissé au profit du transport routier, pourtant bien plus polluant. Par contre, les projets d’infrastructures démesurés et inutiles se multiplient, au profit des grandes entreprises de la construction et des spéculateurs immobiliers...

L’ouverture du capital et l’introduction en bourse avaient été prévues pour octobre 2008 par le gouvernement de la grande coalition SPD/CDU-CSU. La crise mondiale de 2008 a reporté ce projet ; la DB est restée « publique » jusqu’à ce jour, bien qu’elle soit déjà gérée comme une entreprise privée. Mais cela pourrait changer : la pression pour une privatisation complète s’accentue.

Seule une renationalisation complète, sous le contrôle démocratique des travailleurs et des usagers, pourrait résoudre les problèmes immenses du rail allemand !

Les résultats des élections législatives du 24 septembre dernier, en Allemagne, constituent un sérieux revers pour les « partis de gouvernement ». Le SPD (social-démocrate) se réfugie dans l'opposition pour ne pas risquer la simple disparition, pendant que la CDU/CSU (droite) va devoir s'appuyer, pour gouverner, sur une coalition des plus fragiles. La chancelière Angela Merkel n'a pas été battue, certes, mais elle est sensiblement affaiblie. La stabilité politique et économique de l'Allemagne en a pris un sérieux coup.

Avec 33 % des voix, la CDU/CSU réalise son plus mauvais score depuis la création de la RFA, en 1949 – tout comme le SPD, avec 20,5 % des voix. Les « libéraux » du FDP (centre-droit), qui s'étaient heurtés en 2013 à la barre de 5 %, manquant ainsi leur maintien au Parlement, réalisent cette fois-ci 10,7 %. L’extrême droite, incarnée par l'AfD, se place en troisième position avec 12,6 %. Die Linke (« La Gauche », qui est à gauche du SPD) obtient 9,2 % des voix. La participation électorale, sur 61,6 millions d'inscrits, est de 76,2 % – contre 71,5 % en 2013.

Plus de 25 ans après l'« adhésion » de la RDA à la RFA, on constate que la « réunification » allemande est loin d'être totale. Il existe une grande différence entre les résultats électoraux à l'Est et à l'Ouest, de même qu'entre les zones urbaines et les zones rurales. Dans les années 1990, les traditionnels partis « de gauche » pouvaient encore compter sur le vote d'une bonne partie de la classe ouvrière. Aujourd'hui, dans le Land de la Saxe, par exemple, en additionnant toutes les voix de droite et d’extrême droite, on parvient au chiffre de 63,2 %, soit deux fois et demie le score cumulé du SPD et Die Linke. Avec 21,5 % des voix sur l'ensemble de l'ex-RDA, l'AfD y dépasse même la droite traditionnelle.

La fin du statu quo

L’Allemagne fait partie des nations industrialisées les plus riches du monde. Elle est en Europe l’acteur dominant, économiquement et politiquement. Mais ce leadership s’est construit aux dépens de la classe ouvrière, tant en Allemagne que dans le reste de l’Europe. Les contre-réformes les plus dures y ont été imposées plus tôt que sur le reste du continent. « Nous avons réalisé le meilleur secteur de bas salaires qui soit en Europe », se vantait en 2005 le chancelier fédéral de l’époque Gerhard Schröder (SPD), au sujet de « l’Agenda 2010 », programme réactionnaire qu’Angela Merkel a poursuivi jusqu'à ce jour. En conséquence, les banques et les multinationales allemandes ont mieux résisté à la crise de 2008 – pour le moment.

Alors que les profiteurs ne tarissent pas d’éloges sur Merkel et « l’espace économique allemand », la réalité quotidienne de millions de personnes y est très dure. Plus de 4,6 millions de salariés ne parviennent à s’en sortir qu’en multipliant les petits boulots. 1,6 million d'entre eux sont contraints de façon durable aux temps partiels. Selon une étude du Bureau fédéral d’aide au logement, le nombre de sans-abris devrait s’élever en 2018 à 530 000, soit une augmentation de 60 % par rapport à 2015. Or l'Allemagne compte plus de 200 000 logements vides. Voilà le bilan de la droite et de ses alliés sociaux-démocrates.

Les milliards de profits du capitalisme allemand sont le résultat de bas salaires et de sur-travail impayé. D’après une enquête récente de l’institut d’opinion Infratest-dimap, 79 % de la population allemande pense que les richesses ne sont pas réparties de façon équitable, dans le pays, et 88 % de la population pense que le gouvernement fédéral n’a entrepris aucun effort réel pour y remédier.

Die Linke

Les scores de Die Linke (la gauche dite « radicale ») se sont légèrement améliorés à l'occasion de ce scrutin, passant de 3,7 millions de voix (8,6 %) en 2013 à 4,3 millions de voix (9,2 %). Ses bastions se situent toujours à l’Est du pays. Mais sa participation aux divers gouvernements régionaux se résume dans le meilleur des cas à un rôle de « social-démocratie de gauche ». Du fait de son soutien à des politiques de privatisation et d'austérité, dans certains cas, ce parti a connu des défections électorales massives, en particulier en Thuringe, où le chef de l’exécutif régional est membre de Die Linke.

En revanche, ce parti progresse d'une façon notable dans les Länder occidentaux, où il a critiqué de façon plus claire les politiques d'austérité. Il y a progressé dans d'anciens bastions du SPD. Mais cette tendance demeure limitée : au total, Die Linke a peu profité de la chute du SPD.

Au cours des quatre dernières années, le SPD a participé au gouvernement et participe toujours à la majorité des exécutifs régionaux, où il mène des politiques anti-sociales. Or Die Linke est de fait impliqué dans la « gestion » de trois Länder, à l’Est. C'est ce qui a donné à l’AfD la possibilité de se présenter comme un parti « anti-système », ce qu'il n'est évidemment pas.

La responsabilité de la montée de l’extrême droite est donc à rechercher en premier lieu dans la Grande Coalition (Droite + SPD), mais sans minorer la responsabilité propre de Die Linke. Dans les régions de l’ex-RDA frappées par un fort taux de chômage, l’AfD a réussi à s’établir comme parti de masse, électoralement.

Si la direction de Die Linke s’était positionnée clairement en opposition au système économique et politique, plutôt que de s'allier au SPD et aux Verts dans des exécutifs régionaux, elle aurait pu envoyer un signal clair et créer ainsi un meilleur rapport de forces au profit de la classe ouvrière. Elle doit présenter de véritables alternatives radicales au capitalisme en crise.

Le SPD

Dans tous les pays d’Europe, les partis sociaux-démocrates luttent pour leur survie. Le SPD vient de réaliser son pire score depuis 1945. La social-démocratie est déchirée entre son ancienne base ouvrière et son soutien sans faille au capitalisme allemand. Cette contradiction, mariage de « la carpe et du lapin », brise lentement la nuque de tous les partis sociaux-démocrates en Europe. Cette tendance s’est fait jour d’abord en Grèce, puis en Espagne, en France, en Belgique – et va se poursuivre dans d’autres pays.

Il y a peu, on pouvait penser qu'une nouvelle Grande Coalition serait au pouvoir en Allemagne. Au soir des résultats, on a assisté à un virage de 180° de la part de la direction du SPD. Quelques dirigeants plaident maintenant pour une réorientation programmatique, un changement de personnes et une attitude plus oppositionnelle. Ce n’est pas la conséquence d’une soudaine prise de conscience de gauche, mais plutôt l’expression d’une bureaucratie luttant pour sa survie.

Lutte des classes

La marge de manœuvre du réformisme, en Allemagne, continue de se rétrécir, car la crise économique mondiale touche maintenant le cœur du capitalisme européen. L’affaiblissement de Die Linke à l’Est, comme la chute du SPD dans toute l’Allemagne, ont profité à l’extrême droite. Pourquoi les travailleurs et les jeunes devraient-ils encore apporter leurs voix à des partis « de gauche » qui leur proposent des politiques d'austérité plutôt que des avancées sociales ? Voilà le cœur du problème.

Pour autant, la montée de l’AfD n'est pas l'élément central de ces résultats électoraux. Ce qui est plus remarquable et significatif, c'est la défaite massive des « partis de gouvernement » et l’ébranlement de la stabilité gouvernementale allemande. La poussée de l’AfD ne constitue qu’un symptôme de cette réalité pathologique.

Die Linke doit enfin prendre une orientation radicale. Il doit s'armer d’un véritable programme socialiste. En particulier, il doit répondre aux attentes de la jeunesse radicale, qui serait prête à s'engager avec enthousiasme dans un parti de gauche massif et vraiment radical. Une telle approche permettrait également à Die Linke de gagner de nombreux anciens électeurs du SPD.

Les quatre prochaines années seront caractérisées par une offensive renforcée contre la classe ouvrière en Allemagne et dans toute l'Europe. Il faut expliquer très clairement cette vérité. L’Allemagne ne tardera pas à connaître une radicalisation sur la gauche et une accélération de la lutte des classes. Les mêmes processus qui se sont développés en France (France insoumise), en Espagne (Podemos) et en Grande-Bretagne (Corbyn) se développeront aussi en Allemagne. La responsabilité d'accélérer et d'incarner ce processus revient à la direction de Die Linke.

Plus de 1000 plaintes [dont 450 pour agressions sexuelles, NDLR] ont été enregistrées par la police de Cologne dans le cadre des agressions du réveillon du Nouvel An. Ce qui s'est alors réellement produit reste flou. Il est peu probable que nous n’ayons jamais une vision claire de ces événements, étant donné la façon dont ils ont été amalgamés par la propagande raciste.

Qu'il y ait eu des agressions sexuelles au réveillon du Nouvel An à Cologne est indéniable. Nous les condamnons comme nous condamnons toutes les agressions sexuelles. Celles-ci ne sont pas des cas isolés, mais bien une composante permanente de la vie quotidienne dans l'Europe actuelle.

Néanmoins, les agressions de Cologne ne sont devenues un sujet médiatique que parce que des réfugiés ou des immigrants ont été désignés comme coupables. Par conséquent, toute possibilité de débat sur les violences contre les femmes a été noyée dans un océan de propagande raciste. La droite utilise cyniquement la douleur et les souffrances des victimes pour tenter de diviser la classe ouvrière. Leur totale hypocrisie est manifeste dans le fait que les viols et les agressions sexuelles sont généralement passés sous silence quand ils n'impliquent pas des migrants.

Ceux qui bénéficient de cette histoire sont les couches les plus réactionnaires de la société : les organisations d'extrême droite comme Pegida et le parti populiste allemand AfD, et la classe dirigeante allemande et européenne. Dans le même temps, les islamistes pourront attirer de nouvelles recrues parmi les jeunes musulmans, victimes d'une énième vague de propagande raciste dirigée contre eux.

A Calais, à Lesbos et à la frontière hongroise, des gens sont entassés dans des conditions inhumaines. Dans les villes européennes, des musulmans sont agressés dans les rues tandis que la police fait preuve d'un racisme sans bornes. En traitant des humains comme des animaux, le système les transforme en brutes et crée les conditions d’où émergent de telles actions indignes d'êtres humains. Il n'y a pas de doute que de telles histoires de crimes commis par des réfugiés continueront à faire surface aussi longtemps que ces conditions existeront. Cela force la gauche à avancer des perspectives de classe dirigées à la fois contre le racisme et le sexisme.

Rejeter la démagogie de la droite

Les agressions de Cologne ont été une bénédiction pour une frange des capitalistes d'Europe qui tentent de détourner l'attention de la classe ouvrière de la crise et des mesures d'austérité en utilisant les réfugiés comme boucs émissaires. Ils utilisent des histoires comme celle de Cologne pour justifier leur politique brutale contre les réfugiés et la fermeture des frontières. Les médias se sont jetés sur l'affaire sans hésitation. La droite a immédiatement réclamé une augmentation des attaques contre les réfugiés. Le fait que des femmes avaient été agressées a été complètement submergé par une vague d’hystérie anti-immigrants et réduit à un élément marginal.

La gauche a été incapable de parler clairement de ce qui s'était passé à Cologne en adoptant une perspective de classe, car elle est paralysée par le féminisme petit-bourgeois. Cela l'amène à complètement ignorer les questions de classes et à reproduire l'idée réactionnaire d'un « choc de cultures ». Les hommes venant du Moyen-Orient sont ainsi décrits comme des sexistes culturellement arriérés. Ce qui revient à dire que les réfugiés tentant de venir chez nous seraient dangereux.

Au Danemark, une section de la gauche s'est jointe aux voix de la droite pour réclamer des mesures plus fermes contre les demandeurs d'asile. Une autre partie, notamment l'Alliance Rouge et Verte, a suggéré que les réfugiés devraient être éduqués – par le gouvernement danois (!) – aux valeurs de la « culture danoise » : « l'ouverture d'esprit et l'égalité ». Ces deux courants de la gauche jouent en fait un rôle de coursiers pour la droite.

Les travailleuses d'Europe ne bénéficient pas de « l'ouverture d'esprit et de l'égalité ». Même sans aborder la question des inégalités de salaires, des lois sur le congé parental, etc., le sexisme reste un problème majeur. Le harcèlement sexuel et les agressions au travail et à la maison sont un élément de la vie quotidienne des femmes et restent tabous.

Un exemple illustre très bien ce problème toujours prégnant : peu après le Nouvel An, quelques jours avant que n’émerge l'histoire des viols de Cologne, la chaîne danoise DR a diffusé le documentaire J'ai été violée. Celui-ci parle d'une femme de vingt-cinq ans, qui raconte comment elle a été violée par trois hommes dans une voiture après une fête de Noël. Les trois hommes ont été acquittés car il n'y avait pas d'autres preuves que son témoignage et que tous trois affirmaient qu'elle était consentante. L'histoire n'a pas fait beaucoup de bruit dans les médias. Puisque l'origine des agresseurs n'était pas précisée, on peut en conclure qu'ils étaient sans doute danois.

En lien avec ce documentaire, il a été rapporté qu'on estime à près de 4 000 les cas de viols ou de tentatives de viols qui se produisent chaque année au Danemark. Seuls 400 d'entre eux environ sont rapportés à la police, selon les chiffres officiels. Ces chiffres sont par ailleurs encore trop bas, car d'après le ministre de la Justice, beaucoup de cas sont mal enregistrés par la police.

Il faut rappeler aussi les innombrables récits sur la façon dont les femmes qui déposent plainte pour viol sont traitées par la police. Seuls 145 des 400 cas rapportés débouchent sur une mise en examen. Parmi elles, une cinquantaine se conclut par une condamnation, c'est-à-dire à peine 1,25 % du total des viols estimés. Cette histoire-là ne fait pas gros titres.

Il est évident que les conditions de vie des femmes sont meilleures au Danemark et en Europe que dans des pays comme le Pakistan, l'Inde ou l'Arabie Saoudite. Le pourcentage de femmes qui se déclarent victimes de violences est le plus haut en Afrique (45,6 %), suivie de l'Asie du Sud-Est (40,2 %) et le plus bas en Europe (27,2 %). A l'échelle mondiale, plus d'un tiers – 35,6 % – des femmes de plus de 15 ans ont été victimes de violences physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint ou d'une autre personne, selon un rapport de l'OMS datant de 2013. A cela s'ajoutent bien sûr tous les cas non répertoriés.

Le féminisme

Au cours de ces dernières années, nous avons observé une renaissance du mouvement féministe. Beaucoup de ceux et celles qui se considèrent féministes militent pour que l’égalité règne dans le monde : un but que nous partageons aussi. Mais les événements qui sont survenus à Cologne nous montrent, encore une fois, que le problème du féminisme petit-bourgeois est qu'il se tient à l’écart des luttes de classe, il se retrouve par conséquent instrumentalisé à des fins réactionnaires. Il aborde des questions culturelles et morales et non les problèmes de conditions sociales et du mouvement ouvrier.

Le féminisme a été utilisé par les dirigeants des mouvements de droite comme excuse pour envahir l’Irak et l’Afghanistan. Aujourd’hui, c’est le même schéma qui se reproduit : le féminisme est exploité par la droite dans le but de diaboliser les réfugiés et les immigrants.

L’oppression des femmes n’est pas une caractéristique de l’homme moyen-oriental. Marx et Engels ont cité le socialiste utopique français Charles Fourier qui disait que « le progrès humain peut toujours être mesuré par le progrès des femmes vers la liberté. » L’oppression des femmes existe depuis que l’oppression et les classes sociales existent. Si la situation des femmes reste toujours aussi horrible et arriérée dans certaines parties du monde, c’est à cause de l’oppression capitaliste et impérialiste, plus particulièrement là où des révolutions sociales ratées ont débouché sur des dictatures réactionnaires et des conditions sociales misérables.

En Afghanistan, les conditions barbares que subissent les femmes sont le résultat direct de l’intervention de l’impérialisme occidental pour faire échouer la révolution de Saur, soutenant pour cela par des groupes islamistes comme les moudjahidin.

La révolution de Saur de 1978 a, parmi d’autres choses, introduit le « décret n°7 » pour « assurer des droits égaux aux femmes et aux hommes dans le domaine civil et pour éliminer les relations féodales patriarcales et injustes entre femmes et maris. » La révolution a interdit les mariages des filles en échange d’argent et de biens, ainsi que les mariages forcés. L’âge légal pour les fiançailles et le mariage a été fixé à 16 ans pour les filles, et à 18 pour les garçons, interdisant de fait les mariages d’enfants.

Tout cela nous montre que l’oppression des femmes n’est pas un trait de la « culture » afghane. La situation barbare et réactionnaire qui a lieu actuellement en Afghanistan est la résultante directe de l’intervention occidentale pour renverser le régime mis en place par la révolution de Saur, et pour le remplacer par le régime barbare des talibans.

En Égypte, le printemps arabe a réuni hommes et femmes dans la lutte contre Moubarak. La barrière séparant les sexes s’est inclinée face à la lutte commune dans un pays où plus de quatre femmes sur cinq ont été agressées sexuellement au cours de leur vie. 

« Sur la place [Tahrir], il y avait des personnes de différentes classes, femmes et hommes mélangés, qui parlaient et débattaient. Ils [les hommes] voyaient que les femmes étaient fortes, qu’elles pouvaient prendre soin d’elles-mêmes. Ils voyaient des femmes travailler dur pour la révolution, menant des manifestations, et leur réponse [ne pas les tripoter] était une façon de leur dire "je vous respecte" » explique M. Hassan, directeur du Centre d’Études Féministes de Nasra au Caire. Cette situation a de nouveau changé lorsque la réaction a organisé des attaques contre les femmes et les minorités religieuses, sous le credo « diviser pour mieux régner ». 

Le racisme et le sexisme sont des outils de la classe dirigeante pour diviser la classe ouvrière. La gauche doit se battre contre ces divisions de genre et de race, mais cela implique également une lutte contre les idées réactionnaires sur le « choc des civilisations ». La lutte contre le système qui crée et maintien l’oppression, le racisme et le sexisme, est une lutte pour le salariat à travers le monde, sans distinction de nationalité ou de religion.

Le révolutionnaire russe Léon Trotsky décrivait dans la citation ci-dessous ce qui distingue les révolutionnaires bolcheviques des « humanistes » libéraux « bien intentionnés ». Ces derniers restent sur la ligne de touche de la lutte des classes à parler des droits et des devoirs des opprimés, tandis que les bolcheviques font tout ce qu’ils peuvent pour organiser la classe ouvrière au-delà des frontières et des différences culturelles dans une lutte implacable contre le système lui-même.

« Ce qui caractérise le bolchevisme dans la question nationale, c'est qu'il traite les nations opprimées, même les plus arriérées, non seulement comme des objets, mais aussi comme des sujets politiques. Le bolchevisme ne se borne pas à leur reconnaître "le droit" à l'autodétermination et à protester au parlement contre la violation de ce droit. Le bolchevisme pénètre dans les nations opprimées, les dresse contre leurs oppresseurs, lie leur lutte à celle du prolétariat des pays capitalistes, enseigne aux opprimés, chinois, hindous ou arabes l'art du soulèvement, et il assume la pleine responsabilité de ce travail à la face des bourreaux civilisés. C'est là seulement que commence le bolchevisme, c'est-à-dire le marxisme révolutionnaire agissant. Tout ce qui reste en deçà de cette limite est du centrisme. » (Trotsky, La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne – Problèmes vitaux du prolétariat allemand, 1932)

Ce n’est pas la culture qui crée l’oppression des femmes et les agressions sexuelles : ce sont les conditions sociales. Un monde où la plus grande partie de l’humanité est traitée de manière inhumaine implique nécessairement le racisme et le sexisme. La lutte contre l’oppression et pour l’émancipation des femmes ne peut pas se mener sous la bannière du féminisme, qui sépare l’oppression et les maltraitances des luttes de classes sociales.

La lutte contre les violences sexuelles, comme celles qui ont lieu à Cologne, ne peut pas être séparée de la lutte contre le capitalisme. Tous les discours sur la culture et sur « l’ouverture d’esprit » des Occidentaux contribuent à légitimer le capitalisme sous sa forme « occidentale ».

Il est nécessaire de montrer que les gouvernements capitalistes occidentaux responsables de ce système et de ces politiques sont à l’origine de conditions de vie inhumaines et barbares à travers le monde. Le capitalisme mène à l’impasse. Le fait que le nombre de personnes qui sont obligées de fuir leur foyer dans des conditions inhumaines soit actuellement le plus haut qu'on ait connu depuis la Deuxième Guerre mondiale en est un symptôme clair.

Les réfugiés et les immigrants, les hommes et les femmes du Moyen-Orient ne sont ni des ennemis, ni des victimes. Ce sont nos camarades dans la lutte contre le capitalisme. Quant à la classe ouvrière des pays capitalistes développés, elle doit lutter contre ses propres forces réactionnaires, en commençant par sa propre bourgeoisie.

La lutte doit viser toutes les forces réactionnaires qui soutiennent des politiques menant à l'oppression des femmes et qui forcent des gens à fuir leurs foyers. Cela inclut aussi le féminisme, quand il se fait le complice de la réaction. Le sexisme et les agressions sexuelles doivent être combattues bec et ongles, pas en soutenant le système qui les produit, mais en le combattant sans relâche.

Le scandale déclenché par les révélations sur les manipulations des niveaux de gaz polluants sur plus de 11 millions de véhicules diesel a profondément ébranlé la multinationale Volkswagen.

Au-delà de la démission éclair du directeur Martin Winterkorn et de la dégringolade brutale du cours des actions Volkswagen (VW), les dédommagements attendus – d’un montant de plusieurs dizaines de milliards d’euros - devraient être lourds de conséquences. Ce scandale a sapé une grande partie de la confiance à la fois dans l’Europe et le monde des grands constructeurs automobiles ainsi que dans l’industrie automobile allemande. Les baisses de chiffre d’affaire qui s’annonçaient déjà cet été devraient devenir réalité. Les employés de VW tremblent pour leur emploi. La municipalité de Wolfsburg, siège de la multinationale tentaculaire, redoute une forte baisse de la taxe professionnelle et a déjà annoncé des restrictions budgétaires ainsi qu’un arrêt des embauches. Même la mairie de Braunschweig, un des centres de VW, s’inquiète.

Pour les camarades observateurs et critiques, ce scandale n’a rien de surprenant. Selon Karl-Heinz Bäumle, ingénieur chimiste et sympathisant de Der Funke, le sous-dimensionnement du système catalytique présent dans les moteurs diesel de VW - permettant la réduction sélective des gaz nitreux(par exemple l’oxyde d’azote) en composés inoffensifs comme l’azote et l’eau par ajout d’une solution d’urée - « a dû être fait de manière délibérée » pour limiter les coûts. Il n’y a pas, en Europe, d’infrastructure permettant de remplir avec l’urée nécessaire les catalyseurs du parc des voitures individuelles. « C’est incroyable que le TÜV [ndt : organisme de certification allemand, entre les mains duquel étaient passées les prothèses mammaires PIP qui avaient, elles aussi, fait scandale] et les autorités allemandes ne l’aient pas remarqué. VW a simplement vendu au gouvernement ce qu’il voulait entendre, rien de plus. »

La partie émergée de l’iceberg

Depuis des années, les associations environnementales et les experts en transport soulignent que l’ensemble de l’industrie automobile mesure les émissions de gaz d’échappement en laboratoire, conditions qui n’ont rien à voir avec celles de la circulation routière réelle. Et aussi que les prétentions écologistes, de même que le culte du véhicule électrique, ne sont qu’un gag publicitaire permettant d’apaiser une clientèle et une opinion publique soucieuses de l’environnement, tandis que, pendant ce temps, la production des gouffres à essence continue allègrement (voir le rapport de Der Funke sur le salon de l’automobile 2009 sur www.derfunke.de).

Qu’on mente et trompe de manière systématique sous le dictat des profits privés, et pas seulement à la centrale de Wolfsburg, n’a rien de nouveau. VW n’est que la partie émergée de l’iceberg. Ce n’est ainsi pas non plus un hasard si les révélations sur ce scandale proviennent d’autorités américaines et arrivent juste à temps pour perturber la foire automobile internationale de Francfort qui se tient tous les deux ans. Cela indique qu’une guerre commerciale est en cours, faisant suite à une mauvaise conjoncture du secteur automobile et à des surcapacités mondiales massives : tous les coups sont maintenant permis. Même les gros constructeurs automobiles américains, qui ne sont pas vraiment portés sur la protection de l’environnement, luttent pour leur position sur les marchés et entreprennent tout ce qui pourrait nuire à leurs concurrents européens.

Pas de victimes salariales

Contrairement à ce que certains cercles essayent maintenant de faire avaler aux employés de VW, il n’y a aucune raison de s’allier avec les patrons et de se mettre en première ligne pour les protéger, notamment avec des coupes salariales. Martin Winterkorn, qui a déclaré n’avoir absolument rien su et qui a fait stipuler au conseil d’administration de VW qu’il n’avait eu « aucune connaissance de manipulation des niveaux de gaz d’échappement », retombe bien sur ses pieds. Il touchera encore son salaire annuel de plus d’un million d’euros. Avec une pension de plus de 28 millions d’euros et de possibles dédommagements de plusieurs dizaines de millions, il n’a pas de souci à se faire pour son avenir, contrairement à la masse des travailleurs et surtout aux intérimaires de Volkswagen.

Il n’est pas question que les travailleurs plient face au chantage leur demandant de participer au sauvetage de Volkswagen en sacrifiant une partie de leur salaire. Au cours des huit dernières années, la multinationale a versé environ 60 milliards d’euros à ses actionnaires, en particulier à des ultra-riches tels que le clan Porsche-Piëch et l’émirat du Qatar. C’est à eux qu’on doit maintenant demander de passer à la caisse, pas aux employés de VW, ni au Land de Basse-Saxe, ni aux villes qui hébergent des usines VW.

Il est temps pour une révolution dans le monde de l’automobile allemande, et au-delà. Jour après jour, des millions de personnes gâchent de précieux moments de leur vie sur des routes embouteillées. Sous la pression du lobby automobile, l’Allemagne est le seul pays européen sans limitation de vitesse sur autoroute. Le transport motorisé individuel ainsi que le transport routier de biens, en augmentation constante, nuisent à l’humanité et à l’environnement et entraînent des coûts massifs pour la société, que nous devons tous chèrement payer. Il faut un changement radical, vers des transports qui ne soient pas subordonnés aux entreprises automobiles privées, aux lobbies de la route et du pétrole, dont la course aux profits entrave systématiquement tout progrès écologique. Volkswagen  et tous les autres constructeurs automobiles doivent être nationalisés, sous le contrôle démocratique de leurs employés. Débarrassé de la tutelle du capital et de la peur de l’avenir de ses salariés, grâce au savoir de tous ses ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs et chercheurs, l’immense capacité productive de cette industrie pourrait être utilisée bien différemment, pour bâtir un système de transports écologique et social, et fabriquer nombre d’autres biens utiles à l’ensemble la société.

Depuis le mois d’août, les marchés voient s’accumuler les mauvaises nouvelles en provenance d’Allemagne. Son PIB s’est contracté de 0,2 % au deuxième trimestre 2014. Son industrie recule : de 5,7 % pour les commandes et de 4 % pour la production. La Fédération Allemande des Industriels a dû baisser ses prévisions de croissance à deux reprises en octobre. Ces annonces et les prévisions de la Bundesbank, qui envisage une récession, ont fait souffler un vent de panique dans le monde des affaires. « Moteur de la croissance » en Europe, l’Allemagne était censée aider les autres économies de l’UE à se redresser. Il n’en sera rien.

Ce marasme économique s’explique par plusieurs facteurs. La consommation intérieure stagne, grevée – comme en France et dans la plupart des pays de l’UE – par le chômage et les mesures d’austérité, notamment le gel des salaires décidé par le gouvernement Merkel. Par ailleurs, l’économie allemande est très dépendante de ses exportations vers les pays de l’UE, où la crise et l’austérité ont réduit la capacité à absorber la production de la RFA. Les exportations allemandes ont aussi été victimes de la crise en Ukraine. Les exportations de l’Allemagne en Russie ont baissé entre 20 et 25 % depuis le début de l’année. Or, la Russie est l’un des principaux partenaires économiques de l’Allemagne. D’où les réticences de Merkel vis-à-vis des sanctions contre la Russie. La poursuite des mesures d’austérité en Europe et la récession en Ukraine – un autre client important de l’Allemagne – ne peuvent que miner davantage les exportations allemandes.

Face à cette situation, les capitalistes d’Allemagne et d’Europe n’ont que peu d’options. L’« assouplissement quantitatif » – c’est-à-dire le recours à la planche à billets – rencontre l’hostilité des capitalistes allemands, qui craignent ses conséquences inflationnistes. Mais la Banque Centrale Européenne semble s’orienter vers cette voie et il est probable que la bourgeoisie allemande finira par s’y résoudre. Mais cela n’apportera aucune solution durable au capitalisme européen. Cela pourrait, au mieux, ralentir la crise dans un premier temps, mais au prix de préparer une crise encore plus sévère.

Il n’y a pas d’autre solution, pour les capitalistes, que de réduire la production pour la ramener à un niveau que les marchés peuvent absorber. Autrement dit, ils sont poussés à détruire des forces productives. L’impasse du système et le cynisme de la bourgeoisie sont bien résumés par l’économiste bourgeois Wolfgang Munchau, qui a déclaré que de toutes les solutions envisageables pour relancer l’économie européenne, « la plus sûre » serait des bombardements aériens massifs. De nombreux analystes bourgeois envisagent une solution moins militaire, mais non moins douloureuse : des décennies d’austérité.

Le gouvernement de Merkel sera sans doute gravement affaibli par ce ralentissement économique, et ce, alors que le SPD de Thuringe vient d’accepter de participer à un gouvernement régional en coalition avec les Verts et Die Linke, ouvrant la voie à une possible alliance contre Merkel aux élections fédérales de 2017. Même si la défaite de Merkel représenterait un progrès et un encouragement pour la classe ouvrière allemande, les solutions proposées par Die Linke et le SPD ne seraient pas plus efficaces. Le SPD participe au gouvernement Merkel et approuve en grande partie sa politique économique, tandis que Die Linke ne propose que des mesures de relance keynésienne. Par exemple, une augmentation importante des salaires ne pourrait que diminuer les profits, donc l’investissement – et, in fine, limiter la croissance. Si Die Linke ne se résout pas à affronter la bourgeoisie et à adopter un programme socialiste, il ne pourra pas espérer résoudre les problèmes de la crise du capitalisme.

La classe ouvrière allemande va être confrontée à de nouvelles attaques contre ses conditions de vie et de travail. Face à cette perspective, il ne reste pas d’autre choix que la lutte. La seule solution pour les travailleurs d’Allemagne est de renverser le système capitaliste. Celui-ci ne peut plus produire que de la pauvreté et de l’austérité. Seul le socialisme, dans lequel la production n’a pas pour but le profit, mais la satisfaction des besoins de la population, peut apporter aux peuples d’Europe et du monde la garantie d’une vie décente !

La chancelière allemande Angela Merkel et son parti, l’alliance chrétienne-démocrate (CDU/CSU) ont célébré une victoire éclatante lors des élections fédérales qui ont eu lieu le dimanche 22 septembre. La CDU/CSU a bénéficié d’une augmentation de 7,8 % des suffrages par rapport à la dernière élection fédérale, ce qui lui a permis de réunir 18 millions de votes, soit 41,5 % des suffrages exprimés. Il s’agit du meilleur résultat du parti dans une élection nationale depuis 20 ans. Du fait que le système allemand pratique la représentation proportionnelle, cette victoire franche n’est pas suffisante pour assurer une majorité de sièges pour la CDU/CSU au sein du nouveau Bundestag, le parlement fédéral installé dans le vieux bâtiment du Reichstag à Berlin.

Le manque d’une majorité absolue de sièges pour les partis bourgeois traditionnels est essentiellement dû au fait que le FDP (le parti libéral), qui était dans la coalition du gouvernement de Merkel pendant les quatre dernières années, a subi une humiliante défaite, passant de 14,6 % à tout juste 4,8 % des suffrages exprimés. Le FDP a ainsi perdu la totalité de sa base parlementaire. En effet, en Allemagne, un parti a besoin de réunir au moins 5 % des suffrages dans les élections nationales ou régionales pour recevoir des sièges. Le score de 4,8 % représente une défaite historique pour le FDP, un parti bourgeois qui a servi de porte-voix direct pour les grands capitalistes et les 1 % de la classe dirigeante pendant des dizaines d’années.

D’un autre côté, le SPD — qui s’enorgueillissait il y a quelques mois de ses traditions ancrées dans le mouvement ouvrier lors de la célébration de ses 150 ans — ne s’est pas réellement remis de sa défaite historique de 2009, lorsqu’il était tombé à 23 %. Les 25,7 % de cette fois-ci représentent encore le deuxième score historiquement le plus bas pour le parti dans une élection nationale depuis la Deuxième Guerre mondiale. Au niveau électoral, le parti est en fait retourné 100 ans en arrière. Voilà tout le résultat du réformisme sans réformes, ou plutôt du réformisme avec des contre-réformes, mené par le gouvernement de coalition du SPD et des Verts dirigés par l’ex-chancelier Gerhard Schröder (SPD) entre 1998 et 2005. Avec leurs « réformes » du marché du travail, le SPD et les Verts ont provoqué une précarisation massive du travail en Allemagne et des attaques contre les chômeurs. Actuellement, un quart de la force de travail dépend d’emplois précaires, la plupart des travailleurs concernés ont des salaires proches du seuil de pauvreté officiel. Ils ont besoin de cumuler plusieurs emplois pour survivre ou doivent compter sur des allocations complémentaires payées par la sécurité sociale. Voilà au passage la principale explication du « miracle allemand » sur le marché du travail. L’écart se creuse entre les travailleurs et employés dans des postes relativement protégés et le nombre croissant des travailleurs précaires. Les centres de la version allemande des restos du cœur (les « Tafeln »), où des institutions de bienfaisance et des bénévoles distribuent de la nourriture gratuite aux chômeurs et aux travailleurs pauvres, poussent comme des champignons partout à travers le pays. En même temps le fossé entre les classes, entre les riches et les pauvres, est plus large que jamais.

Quand Schröder a perdu sa majorité en 2005, les dirigeants du SPD ont cherché refuge dans une coalition avec la CDU/CSU, qui s’est engagée dans des « réformes » telles que l’augmentation de l’âge de la retraite jusqu’à 67 ans et l’augmentation de la TVA de 16 à 19 %. Il est vrai que le programme du SPD pour l’élection de 2013 promettait de « corriger » certains des pires aspects de leurs précédents passages au gouvernement, ainsi que certaines lois antisociales. Le SPD a fait campagne pour un salaire minimum de 8,50 euros et contre les « excès » du dumping social. Mais Peer Steinbrück, le candidat du SPD à la chancellerie, représente la vieille aile droite des partisans de Schröder et des admirateurs de Tony Blair au sein du SPD. Il n’a donc pas été attirant pour des millions de travailleurs qui soutenaient le SPD par le passé et ont depuis dispersé leurs votes dans différentes directions. Alors que le SPD avait reconquis la direction du gouvernement en 1998, avec le soutien de 20 millions d’électeurs principalement issus de la classe ouvrière et de la jeunesse, il n’a réuni que 11,2 millions de suffrages le 22 septembre. Les Verts, eux aussi, qui auraient bien voulu revenir dans une coalition avec le SPD cette fois-ci, ont subi des pertes sévères et restent très loin des scores mirobolants atteints surtout en 2011, lorsque les questions environnementales étaient au centre de l’attention publique suite à la catastrophe de Fukushima au Japon.

L’émergence de DIE LINKE en tant que troisième force politique

Si Merkel réussit à former une coalition avec le SPD dans les prochaines semaines, DIE LINKE va devenir la plus importante force d’opposition parlementaire au niveau national. Avec 8,6 %, DIE LINKE a dépassé les Verts. Après une série de défaites humiliantes dans les élections régionales depuis 2011, le parti a réussi, le 22 septembre, à stabiliser sa base électorale à l’ouest avec des scores supérieurs à 5 % dans tous les états fédéraux à l’exception de ceux du Sud, la Bavière et le Bade-Wurttemberg, qui représentent des bastions de la CDU/CSU. Toutefois, alors que les militants ont fêté ces 8,6 % dans l’enthousiasme, il convient de ne pas oublier que DIE LINKE a aussi subi des pertes depuis 2009. Sa base électorale s’est réduit pendant les quatre dernières années de 5,2 millions de voix à tout juste 3,8 millions de voix le 22 septembre (voir le tableau ci-dessous).

Alors qu’il y aurait une majorité possible en combinant les sièges du SPD, des Verts et de Die LINKE dans le nouveau parlement, il est peu vraisemblable à ce stade qu’une telle coalition « rouge-rouge-verte » se forme. Les dirigeants du SPD et des Verts ont répété encore et encore que DIE LINKE « n’était pas prête pour des responsabilités gouvernementales » du fait des positions « utopistes » qui figurent dans son programme, en particulier sur les questions de politique extérieure et de politique militaire.

DIE LINKE demande un retrait de toutes les troupes allemandes à l’étranger, une interdiction de la production et des exportations d’armes, ainsi qu’une dissolution de l’OTAN. Le parti s’oppose strictement au programme néolibéral poursuivi par la commission européenne, et refuse tous les « programmes de sauvetage » qui ont rejeté la Grèce des générations en arrière. Toutefois, des représentants de l’aile droite de DIE LINKE, tels que Stefan Liebich, un parlementaire berlinois qui vient d’être réélu dans sa circonscription, voudraient bien adoucir la ligne du parti sur les questions de politique étrangère et sur les questions militaires. Ils évoquent ainsi la possibilité d’interventions militaires « pour des motifs humanitaires », afin de tenter de rendre le parti compatible avec une possible participation future à un gouvernement fédéral. Toutefois, Liebich et ses semblables représentent pour l’instant une minorité au sein du parti.

Gregor Gysi, le dirigeant du groupe parlementaire de DIE LINKE, qui est un personnage éloquent et a été mis en avant comme la principale personnalité pendant la campagne, continue à demander que le SPD « revienne à une politique social-démocrate » afin de poser les bases d’une future coopération au niveau national. Alors qu’il y a un malaise croissant parmi les militants de base dans le SPD, au sujet des perspectives pour le parti en tant que partenaire minoritaire dans une coalition avec Merkel, il est vraisemblable que les dirigeants du SPD de la nouvelle génération, tels que le président du parti Sigmar Gabriel et le secrétaire général Andrea Nahles, vont manifester leur désir d’obtenir des portefeuilles ministériels dans un cabinet dirigé par Merkel et tenter d’obtenir des accords programmatiques et des concessions de pure forme de la part de Merkel pour justifier leur attitude.

Mais l’économie allemande repose sur des fondations fragiles. De plus en plus dépendante des exportations, elle est menacée par la crise européenne et par le ralentissement des performances économiques des pays du BRIC. Il est vraisemblable que le réveil de la classe ouvrière allemande sera brutal face à la réalité du capitalisme allemand. Merkel ne pourra pas continuer indéfiniment à conserver son sourire maternel et va devoir montrer son vrai visage, en menant une attaque en règle contre les conditions de vie de millions de travailleurs allemands.

DIE LINKE se trouve de ce fait face à un immense défi. Le rôle des socialistes n’est pas de se préparer à entrer au gouvernement en 2017, ou de demander aux dirigeants sociaux-démocrates de mener une politique de capitalisme à visage humain. Leur rôle est d’offrir une alternative clairement à gauche, c’est à dire socialiste, et de s’ancrer fermement dans la classe ouvrière, en se préparant pour les grandes luttes à venir.

Pourquoi Merkel a-t-elle gagné ?

Certains à gauche, nationalement comme internationalement, ont vu cette élection de dimanche dernier comme un « virage à droite » majeur. La réalité est beaucoup plus complexe que cela. Au sein de la base électorale des partis bourgeois classique, il y a eu une défection du FDP (Parti des libéraux), vu comme le représentant d’un monde de la finance décomplexé, variante la plus fanatique de la politique bourgeoise et du néo-libéralisme. Merkel fut donc présentée comme « la Maman amicale et bienveillante » de la nation, en bons termes avec tout le monde, évitant les déclarations qui l’engagent et la polarisation, et aveuglant les composantes les moins politisées de la classe ouvrière et des retraités avec son nouveau-parler.

Alors que Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble, un vieux cheval de guerre de la CDU, sont les politiques les plus haïs dans des pays comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, ils ont adroitement évité de mener chez eux les attaques contre la classe ouvrière qu’ils imposent aux gouvernements méditerranéens. La principale ligne politique de la classe dominante allemande et de ses représentants dans l’Administration à Berlin est toujours d’empêcher une confrontation directe avec les syndicats.

Les attaques contre le droit du travail comme le minage de la protection de l’emploi ou des droits des syndicats et de leurs représentants dans les comités d’entreprise – opérées actuellement dans tous les pays européens – ne sont toujours pas à l’ordre du jour en Allemagne. Au récent salon de l’automobile de Francfort (IAA), les plus grands industriels de la puissante industrie automobile allemande firent l’éloge du syndicat de l’automobile IG Metall pour sa « modération » sur le front des salaires et mirent en lumière les bienfaits du système allemand de participation et de cogestion (« Mitbestimmung »). La ligne majoritaire de la classe capitaliste est évidente : plutôt que d’affronter les leaders des grands syndicats (comme le firent Thatcher, Murdoch et la direction de FIAT), il est plus « sage » de les utiliser et de les intégrer au « club » pour tirer d’eux des concessions autour de la table des négociations.

Cependant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de lutte des classes qui s’installe en Allemagne. Toutes les semaines voient leur lot de provocations patronales, grèves et conflits en tout genre. Les employés de boutiques se battent pour défendre les accords collectifs et les niveaux de revenus et de concessions acquis alors que les supermarchés et les grands magasins visent à faire baisser considérablement les salaires. Des scandales sur des conditions de travail, digne de l’esclavage, de travailleurs immigrés du sud et de l’est de l’Europe, de travailleurs temporaires dans les abattoirs allemands, dans les sociétés de ventes par correspondance et même chez des fabricants de voitures de luxe comme BMW ou Mercedes, ont trouvé un énorme écho auprès du public ces derniers mois. Mais toujours pas de grève généralisée ou de mouvements de protestation, qui aurait pu imprimer le tempo de la campagne, et Merkel jusqu’ici a été suffisamment intelligente pour calmer une partie de l’inquiétude sociale et promettre une certaine amélioration. Elle a fait de son mieux pour présenter le côté « vie en rose en Allemagne » (surtout en comparaison avec la crise qui paralyse la plupart des autres pays européens) et pour s’assurer que les mauvaises nouvelles ne seraient annoncées qu’après les élections.

Puisqu’aucune autre réelle alternative n’est proposée que d’accepter Merkel comme un « bouclier » contre une crise encore pire et la tactique minutieuse de ne pas provoquer une confrontation avec les travailleurs allemands avant les élections, il n’est pas surprenant que sa position ait été renforcée, bien que le rassemblement CDU/CSU n’ait soulevé aucun enthousiasme. Sa propagande électorale donna l’impression que l’Allemagne s’en était relativement bien sortie dans le contexte de crise européenne, et que les « bonnes mains » devaient continuer à conserver les rênes du pays, évitant ainsi toute autre « expérience ».

Tandis que le parti NPD, d’extrême droite et ouvertement néo-fasciste, a fait de piètres résultats aux élections nationales, il est intéressant de remarquer qu’en raison de l’abstention et d’un vote accru pour les petits partis, plus de 40 % de la population n’est pas représentée par les partis parlementaires. Cependant, la plus grosse surprise est l’émergence du nouveau parti « Alternative pour l’Allemagne » (AfD), un parti bourgeois réactionnaire avec une ligne anti-Euro, formé il y a seulement 6 mois. L’AfD se compose principalement d’anciens conservateurs du CDU et est dirigé par des think tanks néo-libéraux et des économistes qui prônent la sortie des pays du sud de l’Europe de la zone euro. En quelques mois, le parti a réussi à amasser plus de 2 millions de voix chez des travailleurs désorientés et dans toutes les sections de la classe moyenne mal à l’aise face à la crise économique à venir et craignant de perdre leur épargne en raison de l’inflation et d’un éventuel effondrement du système financier. Bien que l’AfD ait échoué à atteindre le seuil des 5 %, un résultat de 4,7 % est un remarquable score pour un parti si soudainement apparu.

Pendant que les sections décisives de la classe dirigeante et de l’industrie soutiennent toujours la ligne dominante de Merkel pour maintenir unie la zone euro, et ainsi préserver des marchés d’exportations pour l’industrie allemande, certains économistes bourgeois influant commencent à dessiner des solutions alternatives à  la présente zone euro. L’un des partisans les plus en vue de l’AfD est Hans-Olaf Henkel, ex-président de la BDI, fédération des industriels allemands. Les dirigeants de l’AfD pourront à l’avenir se baser sur des franges de la classe dirigeante et devenir « un second choix » pour attirer les votes des électeurs désenchantés. Il est probable qu’ils vont maintenant se préparer pour une nouvelle bataille lors des élections pour le Parlement Européens au printemps prochain et viser un résultat bien meilleur.

Quel avenir ?

Le fait que l’AfD semble même avoir attiré les votes d’anciens partisans de DIE LINKE devrait être un signal d’alarme. Cela souligne le besoin de mettre plus en avant que jamais dans le programme du parti l’appel à la nationalisation du secteur bancaire sous contrôle démocratique. DIE LINKE est le seul parti à s’opposer aux coupures dans l’Etat providence et aux privatisations. Pourtant, le programme est fondamentalement réformiste, loin de présenter une société socialiste alternative ou un audacieux programme de transition. Lors de la conférence du parti en juin dernier, une intense lutte eut lieu entre l’aile droite et l’aile gauche sur la question de la demande de renationalisation de la Poste (Deutsche Post) et de Deutsche Telekom, finalement adoptée à une courte majorité.

Il est probable que la crise générale du capitalisme européen et la tendance à la surproduction affecteront l’Allemagne beaucoup plus dans les années à venir et viendront ébranler les fondations de toutes les illusions, qui existent à l’heure actuelle, d’une vie décente sous le capitalisme. Il ne faut pas se laisser aveugler par le succès électoral temporaire de la CDU/CSU, car la tendance générale est l’affaiblissement de la loyauté, jusqu’ici très ancrée, envers les partis politiques traditionnels et les humeurs peuvent changer très rapidement. Le FDP, les Verts et le Parti Pirate ont eu leur moment de gloire et ont ensuite vu leur soutien fondre en un court laps de temps. L’instabilité dominera l’avenir sur les plans économiques, sociaux et politiques. La lutte des classes est loin d’être morte et va devenir une question centrale dans la vie quotidienne allemande.

Allemagne - Der Funke

L’année 2009 est riche en anniversaires : l’assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, la création de l’Internationale Communiste et la Commune des Asturies. Aucun de ces anniversaires n’a trouvé d’écho dans la presse capitaliste. Mais il y a un qu’ils n’oublient pas : le 9 novembre 1989, la frontière séparant l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est était ouverte.

La chute du mur de Berlin est entrée dans l’histoire officielle comme le symbole de la fin du « Communisme ». Au cours des vingt dernières années, on a assisté à une offensive idéologique sans précédent contre les idées du marxisme, à l’échelle mondiale. La preuve était faite que le communisme, le socialisme et le marxisme étaient morts. Il n’y a pas si longtemps, certains parlaient même de la « fin de l’Histoire ».

Et pourtant, la roue de l’Histoire a tourné. A présent, l’idée que le capitalisme est le seul système possible est sérieusement remise en question. Vingt ans à peine après l’effondrement du Stalinisme, le capitalisme traverse sa plus grave crise depuis la Grande Dépression des années 30. Des millions de personnes sont menacées par le chômage, la pauvreté et « l’austérité ».

Dans ce contexte, la campagne anticommuniste s’intensifie. La raison en est évidente. La crise mondiale du capitalisme génère une remise en cause générale de l’« économie de marché ». Il y a un intérêt croissant pour les idées du marxisme, ce qui inquiète les capitalistes. L’actuelle campagne contre le « communisme » est un reflet de cette peur.

Caricature de socialisme

Ce qui a échoué en Russie et en Europe de l’Est n’était pas le communisme ou le socialisme tel que le comprenaient Marx et Lénine, mais une caricature bureaucratique et totalitaire de socialisme. Lénine expliquait que le mouvement vers le socialisme exige le contrôle de l’industrie, de la société et de l’Etat par la classe ouvrière. Le véritable socialisme n’est pas compatible avec le pouvoir d’une élite bureaucratique privilégiée – laquelle génère inévitablement de la corruption, du népotisme, du gaspillage et du chaos, dans des proportions colossales.

Les économies nationalisées et planifiées, en URSS et en Europe de l’Est, ont permis de grands accomplissements dans les domaines de l’industrie, de la science, de la santé et de l’éducation. Mais comme Trotski l’avait anticipé dès 1936, le régime bureaucratique a fini par miner l’économie planifiée, préparant le terrain à son effondrement et à la restauration du capitalisme.

Dans les années 80, l’URSS avait davantage de scientifiques que les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne et l’Allemagne réunis. Pourtant, l’URSS ne parvenait pas aux mêmes résultats que ces pays. Dans les domaines vitaux de la productivité et du niveau de vie, l’URSS était à la traîne. La raison principale était l’énorme fardeau de la bureaucratie qui pesait sur l’économie soviétique – ces millions d’officiels corrompus qui gouvernaient l’URSS sans le moindre contrôle par la classe ouvrière.

La dictature suffocante de la bureaucratie a fini par provoquer une chute sévère du taux de croissance de l’économie soviétique. Par ailleurs, les très fortes dépenses dans l’armement et dans le contrôle de l’Europe de l’Est pesaient lourdement sur l’économie.

L’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, en 1985, marqua un tournant majeur dans la situation. Gorbatchev représentait l’aile de la bureaucratie soviétique qui voulait réformer d’en haut dans le but de sauver l’ensemble du régime. Cependant, la situation ne cessait de se détériorer. La crise était inévitable, et elle a eu un effet immédiat sur l’Europe de l’Est, où la crise du Stalinisme était exacerbée par la question nationale.

Fermentation en Europe de l’Est

En 1989, une vague de révolte passa d’une capitale à l’autre et balaya les régimes staliniens, un par un. En Roumanie, Ceausescu était renversé par un soulèvement populaire et fusillé. La crise de l’URSS était un facteur clé dans la victoire de ces soulèvements. Par le passé, Moscou avait envoyé l’Armée Rouge pour écraser des soulèvements en Allemagne de l’Est (1953), en Hongrie (1956) et en Tchécoslovaquie (1968). Mais Gorbatchev comprenait que cette option n’était plus possible.

Les grèves de masse du début des années 80, en Pologne, étaient une première expression de l’impasse du régime. Si ce magnifique mouvement avait été dirigé par des marxistes, il aurait pu ouvrir la voie à une révolution politique, non seulement en Pologne, mais dans toute l’Europe de l’Est. Cependant, en l’absence d’une telle direction, le mouvement a été détourné par des éléments contre-révolutionnaires tels que Lech Walesa, dirigeant du syndicat Solidarnosc (Solidarité).

Dans un premier temps, les Staliniens polonais tentèrent de réprimer le mouvement. En vain. Solidarnosc a dû être légalisé et autorisé à participer aux élections parlementaires du 4 juin 1989. Il s’ensuivit un séisme politique. Solidarnosc remporta tous les sièges qu’il était autorisé à briguer. Cela eut un énorme impact sur les pays voisins.

En Hongrie, le régime avait tenté de prendre les devants. En 1988, Janos Kadar avait été démis de son poste de Secrétaire Général du Parti Communiste, et le régime avait adopté un « paquet démocratique », y compris des élections. La Tchécoslovaquie fut très rapidement affectée, elle aussi, et le 20 novembre 1989, un demi-million de personnes manifestaient contre le régime, à Prague. Une grève générale de deux heures fut organisée, le 27 novembre.

Ces événements spectaculaires marquaient un tournant majeur dans l’histoire. Pendant près d’un demi-siècle, les Staliniens avaient dirigé l’Europe de l’Est d’une main de fer. Il s’agissait de monstrueux Etats monopartistes appuyés par de puissants appareils répressifs : l’armée, la police, la police secrète et des « informateurs » dans chaque immeuble, école et usine. Il semblait que des soulèvements populaires étaient condamnés à se briser contre ces Etats totalitaires et leurs polices secrètes. Mais au moment de vérité, ces régimes apparemment invincibles se révélèrent des géants aux pieds d’argile.

L’Allemagne de l’Est

La République Démocratique d’Allemagne (RDA) était le plus avancé de tous les pays d’Europe de l’Est, sur les plans technologique et industriel. Le niveau de vie y était élevé – bien qu’inférieur à celui de l’Allemagne de l’Ouest. Il y avait le plein emploi, et tout le monde avait accès à un logement bon marché. L’éducation et la santé étaient gratuites et de qualité.

Cependant, les sources de mécontentement ne manquaient pas : l’Etat totalitaire et sa police secrète omniprésente (la fameuse Stasi), son armée d’« informateurs », la corruption et les privilèges de ses officiels, etc. Avant la construction du Mur de Berlin, en 1961, environ 2,5 millions d’Allemands de l’Est avaient émigré en Allemagne de l’Ouest – dont un grand nombre via la frontière entre Berlin Est et Ouest. Le Mur de Berlin était destiné à stopper cette hémorragie.

Le Mur et les autres fortifications, le long des 1380 kilomètres de frontière entre l’Est et l’Ouest de l’Allemagne, parvinrent à enrayer l’exode. Cela a sans doute permis de stimuler la croissance économique de la RDA. Mais cela a plongé de nombreuses familles divisées dans la détresse. Et c’était un cadeau pour les propagandistes de l’Ouest, qui dénoncèrent le Mur comme un nouvel exemple de la « tyrannie communiste ».

A la fin des années 80, la situation en RDA était explosive. Le vieux Stalinien Erich Honecker était implacablement opposé aux réformes. Son régime a même interdit la circulation de publications « subversives » en provenance d’URSS. Les 6 et 7 octobre 1989, Gorbatchev fit une visite officielle en Allemagne de l’Est, à l’occasion du 40e anniversaire de la RDA. Il fit pression sur la direction du régime pour qu’elle s’engage sur la voie des réformes. Il aurait notamment déclaré : « Wer zu spät kommt, den bestraft das Leben » (La vie punit celui qui arrive en retard).

A ce stade, le peuple d’Allemagne de l’Est était dans un état de rébellion ouverte. Les mouvements d’opposition poussaient comme des champignons – dont Neues Forum (Nouveau Forum), Demokratischer Aufbruch (Réveil Democratique) et Demokratie Jetzt (Démocratie Maintenant). Le mouvement d’opposition le plus large fut créé à travers l’église protestante Saint-Nicolas, à Leipzig, où tous les lundis, après le service, les gens se réunissaient à l’extérieur pour demander des changements en RDA. Cependant, ces mouvements étaient confus et politiquement naïfs.

Particulièrement forte à Leipzig, la vague de protestation déferlait sur toutes les villes du pays. Des centaines de milliers de personnes participaient aux manifestations. La crise du régime provoqua la destitution d’Erich Honecker et la démission de l’ensemble du conseil des ministres. Sous la pression du mouvement de masse, le nouveau dirigeant du Parti, Egon Krenz, organisa des élections démocratiques. Mais les réformes proposées par le régime étaient trop modestes et trop tardives.

Les dirigeants « communistes » songèrent un moment à recourir à la répression, mais ils changèrent d’avis (notamment sous la pression de Gorbatchev). Les événements échappaient à tout contrôle. Les jours suivants, la situation était anarchique : les magasins ouvraient à toute heure, les passeports de la RDA servaient de carte d’accès aux transports publics, etc. Comme l’a rapporté un observateur de l’époque : « il y avait beaucoup plus d’exceptions que de règles, ces jours-là. » Le pouvoir était dans la rue, mais il n’y avait personne pour s’en saisir.

Confronté à une révolte de masse, cet Etat apparemment tout-puissant s’effondra comme un château de cartes. Le 9 novembre 1989, après plusieurs semaines de mobilisations massives, le gouvernement annonça que les citoyens de la RDA pouvaient entrer en Allemagne de l’Ouest. Ce fut le signal pour une nouvelle éruption des masses. Spontanément, une immense foule d’Allemands de l’Est passa de l’autre côté du Mur.

Contre-révolution

Le Mur de Berlin était un symbole et un point focal de tout ce que le peuple détestait, en RDA. La démolition du Mur commença assez spontanément. Au cours des premières semaines, il était dépecé par morceaux. Plus tard, des machines industrielles furent utilisées pour l’abattre presque complètement. Il régnait une ambiance de célébration, une véritable euphorie qui faisait davantage penser à un carnaval qu’à une révolution. Mais c’est vrai de toute révolution à ses débuts, y compris la grande révolution de 1789.

En novembre 1989, la population de la RDA était submergée par ses émotions – par un sentiment de libération et d’exaltation. C’était comme si toute une nation était en état d’ébriété, et donc ouverte aux suggestions et impulsions soudaines. Le renversement du vieux régime se révélait beaucoup plus facile que se l’étaient imaginé ceux qui avaient osé y songer. Mais une fois renversé, que fallait-il mettre à sa place ? Les masses qui avaient renversé le vieux régime savaient très bien ce qu’elles ne voulaient pas, mais n’avaient pas d’idées très claires sur ce qu’elles voulaient. Et personne ne leur montrait la voie.

Toutes les conditions d’une révolution politique étaient réunies. La grande majorité de la population ne voulait pas la restauration du capitalisme. Elle voulait le socialisme, mais avec des droits démocratiques, sans la Stasi, sans les bureaucrates corrompus et sans un Etat dictatorial et monopartiste. S’il avait existé une authentique direction marxiste, ces événements auraient pu déboucher sur une révolution politique et l’établissement d’une authentique démocratie ouvrière.

Cependant, la chute du Mur de Berlin n’a pas débouché sur une révolution politique. Elle a débouché, à l’inverse, sur une contre-révolution – sous la forme de l’unification avec l’Allemagne de l’Ouest. Cette revendication n’occupait pas une position dominante, au début du mouvement. Mais en l’absence d’un programme clair et d’une direction adéquate, le mot d’ordre de réunification est graduellement monté en puissance, jusqu’à devenir central.

La plupart des dirigeants de l’opposition n’avaient pas de programme, de politique et de perspectives clairs – mis à part une vague aspiration à des droits civiques et à la démocratie. Or, tout comme la nature, la politique a horreur du vide. L’Allemagne capitaliste de l’Ouest a joué un rôle déterminant pour combler ce vide.

Le Chancelier d’Allemagne de l’Ouest, Helmut Kohl, était un représentant agressif de l’impérialisme. Il a eu recours à la corruption la plus éhontée pour convaincre le peuple d’Allemagne de l’Est d’accepter la réunification. Il leur a offert d’échanger leurs Ostmarks contre des Deutschemarks sur une base de 1 pour 1. Mais ce que Kohl a omis de leur dire, c’est que l’unification ne signifierait pas que les Allemands de l’Est allaient avoir le même niveau de vie qu’à l’Ouest.

En juillet 1990, le dernier obstacle à l’unification de l’Allemagne fut levé lorsque Gorbatchev renonça à ses objections à ce processus – contre une aide économique substantielle de l’Allemagne à l’URSS. La réunification fut formellement scellée le 3 octobre 1990.

Les masses trompées

Les travailleurs de la RDA ont été trompés. On ne leur avait pas dit que le retour à l’économie de marché signifierait le chômage de masse, les fermetures d’entreprises, la destruction d’une grande partie des bases industrielles de la RDA, une forte inflation, la démoralisation d’une section de la jeunesse. On ne leur avait pas dit qu’ils seraient considérés comme des citoyens de seconde classe, dans leur propre pays. On ne leur avait pas dit tout cela, mais ils en ont fait l’amère expérience.

La réunification a précipité un effondrement catastrophique du PIB de l’Allemagne de l’Est : -15,6 % en 1990, puis - 22,7 % en 1991. Des millions d’emplois ont été détruits. De nombreuses entreprises d’Allemagne de l’Est ont été achetées par des capitalistes de l’Ouest, puis fermées. A partir de 1992, il y a eu quatre ans de reprise économique, puis une période de stagnation. Vingt ans après la réunification, le chômage est toujours deux fois plus important qu’à l’Ouest, et les salaires nettement plus faibles.

En RDA, il n’y avait pratiquement pas de chômage. Or, entre 1989 et 1992, quelque 3,3 millions d’emplois ont été supprimés. Le PIB de l’Allemagne de l’Est s’établit à peine au-dessus de son niveau de 1989, et le taux d’emploi se situe à 60 % de son niveau de la même année. Aujourd’hui, le taux de chômage officiel, pour toute l’Allemagne, est de 8 %, mais il est de 12,3 % en Allemagne de l’Est. En fait, certaines sources officieuses l’estiment à 20 %.

Les femmes, qui avaient conquis un haut degré d’égalité en RDA, comme dans les autres pays d’Europe de l’Est, ont été particulièrement frappées. Selon les statistiques officielles, 15 % d’entre elles sont au chômage, contre 10 % chez les hommes.

Entre 1991 et 1995, le PIB par habitant de l’Allemagne de l’Est est passé de 49 % à 66 % de celui de l’Allemagne de l’Ouest. Mais depuis, l’écart a cessé de se réduire. La croissance économique n’a pas créé d’emplois. En conséquence, l’Allemagne de l’Est se vide de ses habitants. Depuis la réunification, 1,4 million de personnes sont parties à l’Ouest, dont beaucoup de jeunes diplômés. Ajouté à une baisse sérieuse de la natalité, ce phénomène a provoqué un déclin de la population d’Allemagne de l’Est – et ce chaque année depuis la réunification.

Suprême ironie de l’histoire, vingt ans après la réunification, les gens quittent l’Est non pour fuir la Stasi, mais le chômage. Bien sûr, quelques-uns s’en sont bien sortis. Comme le rapporte un journaliste de la BBC, « de grandes maisons bourgeoises, qui jusqu’en 1989 étaient encore marquées par les balles de la seconde guerre mondiales, ont été restaurées dans leur vieille gloire ». Mais pour la masse de la population, l’avenir est sombre.

Le retour du marxisme

Hans-Juergen Schneider, un ingénieur de 49 ans, est sans emplois depuis janvier 2004. Il a répondu à 286 annonces – sans succès. « L’économie de marché ne peut pas résoudre nos problèmes », dit-il. « Les grosses entreprises prennent tous les profits sans assumer la moindre responsabilité ». Il n’est pas seul à penser ainsi. D’après un sondage publié par Der Spiegel, 73 % des Allemands de l’Est pensent que la critique marxiste du capitalisme est toujours valide.

D’après un autre sondage, publié en octobre 2008 dans Super Illus, 52 % des Allemands de l’Est pensent que l’économie de marché est « en déroute ». 43 % se disent favorables à un système économique socialiste, car « cela protège les plus faibles des crises financières et d’autres injustices. » 55 % des sondés rejettent les « plans de sauvetage » des banques par l’Etat.

En 2008, plus de 1500 exemplaires du Capital de Marx ont été vendus par les éditions Karl-Dietz-Verlag. C’est trois fois plus qu’en 2007, et beaucoup plus encore qu’au début des années 90. Joern Schuetrumpf, qui dirige cette maison d’édition, raconte : « Même des banquiers et des managers nous achètent Le Capital. Ils veulent comprendre ce qu’ils nous ont fait. Marx est clairement "in", ces temps-ci. »

La crise du capitalisme a convaincu de nombreux Allemands, à l’Est comme à l’Ouest, que le système capitaliste a échoué. « Je pensais que le communisme était mauvais, mais le capitalisme est encore pire », dit Hermann Haibel, un ancien forgeron de 76 ans. « J’avais une vie assez bonne avant la chute du Mur. Personne ne se souciait trop de l’argent, car cela ne comptait pas vraiment. On avait tous un emploi. L’idée communiste n’était pas si mauvaise ».

« Je ne pense pas que le capitalisme soit le bon système pour nous », dit Monika Weber, une employée municipale de 46 ans. « La répartition des richesses est injuste. On le voit, désormais. Les petites gens comme moi devront payer, par des impôts, pour le chaos financier provoqué par des banquiers avides. »

Le résultat des récentes élections, en Allemagne, est encore plus significatif que les sondages d’opinion. Le parti Die Linke y a fait une nette percée. Il a recueilli près de 30 % des voix en Allemagne de l’Est, où les partis bourgeois n’ont pas de majorité. Les travailleurs d’Allemagne de l’Est ne veulent pas le capitalisme. Ils veulent le socialisme – pas la caricature bureaucratique et totalitaire d’avant 1989, mais l’authentique socialisme démocratique de Marx, Engels, Liebknecht et Luxemburg.