Tunisie

Le samedi 21 septembre, des militants de La Riposteassistaient au débat « Travailleuses et droit syndical. Quels enjeux pour les femmes en Tunisie ? », organisé à la Bourse du travail de Paris par le Comité de soutien aux syndicalistes de Latelec-Fauchana. Ces ouvrières tunisiennes, harcelées et licenciées abusivement, se trouvent en France depuis le 12 septembre pour faire connaître leur lutte et recueillir du soutien en France en organisant débats et réunions publiques. Dans une salle pleine et lors d’un débat animé, les militantes tunisiennes ont ainsi expliqué les développements d’une lutte exemplaire par leur courage et leur détermination. Le débat a aussi été l’occasion d’offrir un éclairage saisissant sur les combats syndicaux dans le contexte révolutionnaire tunisien, et dans celui plus général de la lutte pour l’émancipation des femmes.

Combativité ouvrière et répression patronale

La SEA Latelec est une usine dans la banlieue de Tunis, Fouchana, qui appartient au groupe Latécoère, fabriquant d’équipements et sous-traitant pour Airbus et Dassault. En 2005, Airbus a délocalisé à Fouchana une partie de la production de câblage, dans le but d’exploiter une main d’œuvre qualifiée mais de faible coût.

Le débat à Paris a permis de faire émerger le lien avec le contexte particulier de la Tunisie. Assurément le climat combatif autour de la révolution tunisienne de 2010-2011 a eu également des répercussions dans cette usine : les travailleuses ont alors commencé à se battre pour l’encadrement des heures supplémentaires, l’augmentation des salaires et le respect des normes d’hygiène et de sécurité. Organisées au sein de l’UGTT – la principale centrale syndicale du pays, qui a joué un rôle déterminant dans le renversement de Ben Ali –, elles ont enchainé grèves, débrayages et manifestations, sans jamais baisser la tête devant la répression patronale. La direction de Latécoère a en effet répondu par la force : projet de délocalisation temporaire en France de la production et politique de harcèlement antisyndical systématique.

Des centaines de salariées se sont retrouvées au chômage. 200 postes d’intérimaires ont étés supprimés depuis octobre 2012 et 200 autres suppressions ont été annoncées d’ici fin 2013. Des menaces de mort ont été adressées à certaines travailleuses. Parmi les licenciements, il y a ceux abusifs des trois déléguées syndicales présentes en France pour raconter leur lutte.

Une lutte exemplaire

La lutte de Latelec-Fouchana n’est pas seulement exemplaire de la situation tunisienne, elle l’est en général pour tous les travailleurs qui, du fait de la crise du capitalisme, subissent une dégradation de leurs conditions du travail. La logique concurrentielle au sein de l’industrie aéronautique internationale a poussé les capitalistes du secteur à déclencher une répression féroce contre les travailleurs. L’amélioration des conditions de vie des travailleuses de Fouchana est incompatible avec la logique de rentabilité inhérente au capitalisme. Ainsi la situation à Latelec est bien exemplaire des conséquences de la crise de ce système.

L’exemplarité de ce combat réside aussi dans le fait que 90 % des travailleurs de l’usine de Fouchana sont des femmes. Leurs salaires sont moindres que ceux des hommes et le harcèlement à leur encontre est encore plus féroce. Or c’est par la lutte que ces femmes ont pu revendiquer avec rage leur droit au travail, leur dignité de femme et leur rôle dans la société en général. Les travailleuses de Latelec sont un exemple de courage pour toutes les femmes de la classe ouvrière souhaitant se battre pour leur émancipation.

Révolution, qui a adhéré au comité de soutien, publiera prochainement une interview des déléguées syndicales présentes au débat, dans le but de faire connaître dans le mouvement ouvrier français cette lutte exemplaire qui mérite la solidarité et le soutien actif des travailleurs de France et d’ailleurs.

Suite à l’assassinat le 25 juillet dernier du député nassériste et membre du Front Populaire Mohamed Brahmi, les directions des partis de droite et de gauche ainsi que celles des syndicats patronaux et ouvriers se sont réunies autour d’une initiative appelée « Front de Salut National ». Son objectif est la dissolution de l’Assemblée Nationale Constituante et la mise en place d’un « gouvernement de compétences » chargé de prendre des mesures urgentes pour la sécurité « économique, sociale et politique ». Les signataires réclament la création d’un « comité d’experts » chargés de rédiger une constitution à soumettre à referendum. Scandaleusement, le Front Populaire et l’UGTT ont adhéré à cette initiative, aux côtés de Nidaa Tounès et l’UTICA, qui sont respectivement le parti et le syndicat de la classe capitaliste.

Béji Caïd Essebsi, ancien premier ministre et leader de Nidaa Tounès, se présente à l’opinion comme le principal opposant à Ennahdha, le parti islamiste au pouvoir. Son discours reprend une longue tradition philosophique tunisienne attachée à une forme petite-bourgeoise de l’émancipation des femmes ainsi qu’à l’ouverture culturelle à l’Occident. Ce discours s’oppose fermement à la tradition philosophique concurrente, qui est celle des Frères Musulmans, et adepte d’un retour à une société régie par la loi islamique et débarrassée de l’influence des traditions soufie et occidentale.

Les précédentes élections ont été le théâtre d’affrontements verbaux très violents entre ces deux idéologies. Au point d’occulter la question principale qui est la misère et le sous-développement qui frappent les régions sinistrées du pays. Seule la coalition Alternative Révolutionnaire des communistes et des nasséristes s’est attachée à défendre un programme prioritairement en faveur des classes défavorisées et des jeunes.

Lors de son passage à la tête du gouvernement entre le 27 février et le 24 décembre 2011, Béji Caïd Essebsi a initié sous l’égide des puissances du G8, de la Banque Mondiale et du FMI une politique résolument pro-capitaliste. Surnommée le Partenariat de Deauville, cette politique a donné lieu à des réformes réactionnaires du point de vue des travailleurs tunisiens et de larges couches de la société. Il s’agit de la mise sous tutelle de l’Etat tunisien par le FMI et la Banque Mondiale pour tout ce qui concerne la circulation des capitaux, l’endettement du pays et la réglementation sociale.

Décidée de façon anti-démocratique par un gouvernement non élu, cette politique a perduré sous le gouvernement de la Troïka issu des élections du 23 octobre 2011, et dont Ennahdha est la composante majoritaire. Parmi tous les partis d’opposition, seul le Front Populaire, héritier de la coalition Alternative Révolutionnaire, s’est attaché à dénoncer cette trahison. Quelques jours avant son assassinat, son leader Chokri Belaïd s’était violemment opposé à la mise sous tutelle du pays. Le député Mohamed Brahmi a quant à lui dénoncé les vases communicants existant entre Ennahdha et Nidaa Tounès, et ce quelques jours avant son assassinat. Le 30 juillet, un des responsables d’Ennahdha s’est d’ailleurs dit prêt à la formation d’un gouvernement d’union ou de salut public, comprenant son « ennemi » Nidaa Tounès !

Le fait est que la soi-disant opposition entre religieux et laïcs est un mythe savamment entretenu par les deux parties. Si d’un côté il est évident que l’application de la charia ne peut qu’être une catastrophe pour toutes les femmes du pays, le féminisme petit-bourgeois des modernistes ne sera profitable qu’à une partie des femmes tunisiennes. Il s’agit des femmes à la tête d’entreprises capitalistes, de celles qui ont des postes élevés dans l’administration et de toutes les femmes de la classe moyenne aisée bénéficiant d’un certain niveau de vie. Mais le reste des femmes du pays, les femmes opprimées des usines textiles, les femmes exploitées depuis leur plus jeune âge par des familles bourgeoises et subissant toutes les formes de harcèlement, les jeunes diplômées des régions défavorisées enfin qui se cherchent désespérément un avenir, bref la majorité des femmes n’y trouveront pas leur compte. Seule une libération de l’ensemble de la classe ouvrière tunisienne permettra l’émancipation sociale et politique de toutes les femmes tunisiennes.

Aveuglés par la précipitation des événements, l’UGTT et le Front Populaire ne font pas cas des mobilisations de masse qui surviennent dans des régions entières du pays. Les travailleurs et les chômeurs ont pris d’assaut les gouvernorats et les municipalités de régions entières à l’intérieur du pays, et ont décidé de marcher sur Tunis. Face à l’idée d’un gouvernement de salut national, l’alternative est une assemblée révolutionnaire, basée sur des comités révolutionnaires sur les lieux de travail et les quartiers, dans les villes et les régions, élisant une authentique assemblée constituante révolutionnaire pour prendre en main la direction du pays. Les révolutionnaires tunisiens attendent désespérément un relai politique à leur mobilisation sur le terrain. Au lieu de participer au « Front de Salut National », cette dernière incarnation de la collaboration de classe, le Front Populaire et l’UGTT doivent faire confiance en leur base sociale et marcher vers la conquête du pouvoir donnant ainsi le coup d’envoi à la révolution socialiste arabe et mondiale.

Cet article a été écrit le 26 juillet.


Le jeudi 25 juillet au matin, le nassériste de gauche et membre de l’Assemblée Nationale Constituante Mohamed Brahmi a été assassiné devant sa résidence à Tunis. Le syndicat UGTT a appelé à une manifestation sous la forme de grève générale, pendant que le Front Populaire appelait à une désobéissance civile de masse pour faire tomber le gouvernement et dissoudre l’Assemblée Nationale Constituante.

L’assassinat de Brahmi, membre dirigeant du Mouvement du Peuple, a été réalisé de la même manière que celui de Chokri Belaïd le 6 février dernier. Deux hommes sur une motocyclette ont l’attendu à l’extérieur de sa résidence et ont tiré 14 balles. Il n’y a aucun doute sur le caractère politique de l’assassinat. La famille de Brahmi et ses camarades ont accusé le parti islamiste Ennahdha de l’avoir commis. La même accusation a été lancée lors de l’assassinat de Belaïd, dont les assassins n’ont jamais eu à rendre compte à la justice. L’assassinat a été précédé par des déclarations des dirigeants d’Ennahdha annonçant qu’ils défendraient leur légitimité jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Ceci est une incitation claire à la violence à la suite du renversement de Morsi.

Des manifestations de masses en colère se sont rapidement propagées à travers le pays. D’abord des centaines puis des milliers de personnes, en majorité des jeunes en colère, se sont réunies sur l’Avenue Habib Bourguiba, lieu des manifestations immenses qui avaient fait tomber le régime de Ben Ali en 2011. Ils ont été brutalement réprimés par la police au moyen de gaz lacrymogènes. Ceci n’a pas réussi à arrêter les manifestants qui sont restés dans les rues jusqu’à vendredi tôt le matin, quelques-uns continuant leur marche vers l’Assemblée Nationale Constituante. Les manifestants criaient « dégage », le slogan de la révolution tunisienne.

Il y a aussi eu des manifestations et des combats contre la police à Bizerte, Gafsa (où l’armée a ouvert le feu à balles réelles), Redeyef, Siliana, Sfax, Djerba, Béja, Kasserine et dans plusieurs autres villes et villages. A Sidi Bouzid, lieu de naissance de Brahmi, où la révolution a commencé en décembre 2010, les masses ont incendié les bureaux d’Ennahdha et le gouvernorat régional. Il y a aussi des témoignages selon lesquels les autorités de la région ont été remplacées par des « comités citoyens ».

Les jeunes militants qui participent aux manifestations dans la capitale, Tunis, ont annoncé que des groupes de jeunes révolutionnaires venus de Gafsa, Sidi Bouzid et Sfax se déplacent déjà vers la capitale. « On ne s’en ira que lorsque Ghannouchi partira à jamais », a déclaré le jeune activiste Mohamed Maaroufi, en référence au dirigeant du parti Ennahdha au pouvoir.

L’humeur qui se développe est clairement insurrectionnelle. Les récents événements révolutionnaires en Égypte, qui ont renversé Morsi, ont capté l’imagination des masses tunisiennes qui font face à des conditions similaires. Un mouvement « Tamarrod » (rébellion) tunisien a été créé et a déjà recueilli 850 000 signatures en seulement quelques jours pour une pétition demandant le renversement du gouvernement et de l’Assemblée Nationale Constituante.

La source de l’accumulation de cette colère est le fait qu’aucune des revendications de la révolution (« pain, emplois et justice ») n’a été réalisée et que la situation actuelle s’est détériorée. Le chômage chez les jeunes a augmenté et ils ont vu une détérioration générale de la situation économique avec une hausse de l’inflation. Il n’y a eu aucune justice pour les martyrs de la révolution et l’Assemblée Nationale Constituante n’a pas produit de constitution deux ans après son élection, alors qu’elle s’était fixée la limite d’un an.

Le gouvernement de la Troika, une alliance des islamistes d’Ennahdha avec les bourgeois modernistes du CPR et le « social-démocrate » Ettakatol n’a pas du tout été capable de résoudre la crise profonde de l’économie et s’est retrouvé paralysé.

C’est ce mécontentement qui a fait surface régulièrement dans les deux dernières années. Une vague de grèves générales régionales et des soulèvements ont éclaté en novembre et en décembre 2012. Ce n’était pas seulement des grèves normales. Dans plusieurs cas, elles ont acquis des proportions insurrectionnelles, avec les travailleurs et des jeunes bloquant les rues principales ou tout simplement prenant le pouvoir pour une période donnée dans différentes régions. Au-delà des revendications sociales et économiques, les manifestants étaient furieux à cause des provocations constantes des groupes fascistes islamistes contre la gauche et le mouvement ouvrier, y compris une attaque contre le quartier général de l’UGTT. Ces attaques ont été effectuées par les soi-disant « Ligues de Protection de la Révolution » (LPR) liées au parti Ennahdha.

En fin de compte, ce mouvement a forcé l’UGTT à appeler à une grève générale nationale. Mais les dirigeants nationaux de l’UGTT craignaient qu’une grève nationale pose la question : « qui doit gouverner le pays ? » Ces dirigeants sont donc parvenus à un accord avec le gouvernement et ont annulé la grève générale à la toute dernière minute. L’accord devait inclure une enquête complète sur les activités des gangs de la LPR, mais celle-ci n’a jamais eu lieu.

Puis l’assassinat de Chokri Belaïd, le chef du Parti Unifié des Patriotes Démocrates, le 6 février, provoqua une nouvelle explosion révolutionnaire. Une grève générale a été déclarée et des manifestations ainsi que des affrontements avec la police ont eu lieu partout. Le jour de son enterrement, une foule immense de plus d’un million de personnes a rendu hommage à ce leader de la gauche et ont crié des slogans contre la Troïka au pouvoir et en particulier contre les islamistes d’Ennahdha. Dans certaines villes, les masses ont pris des mesures directes pour démanteler les gangs des LPR, fermer leurs bureaux, et ont aussi brûlé des bureaux d’Ennahdha. L’ambiance était clairement insurrectionnelle.

Cependant, encore une fois, personne ne donnait à ce mouvement une perspective claire. Les dirigeants du Front populaire ont parlé de la nécessité de renverser le gouvernement de la Troïka, mais aucune indication claire n’a été donnée sur la façon dont cela devait être fait. Les manifestants, à cause du manque d’une direction et d’une perspective claire, sont au final rentrés chez eux lorsque le mouvement a commencé à s’essouffler. Il aurait dû y avoir un appel à la grève générale illimitée dans tout le pays et à la formation de comités révolutionnaires à tous les niveaux, arrachant le pouvoir au gouvernement. Ces comités auraient dû être rassemblés au sein d’une assemblée nationale révolutionnaire afin de prendre le pouvoir.

En raison de l’absence de direction chez les révolutionnaires, la Troïka, qui est entrée en crise à la suite du mouvement, a réussi à se maintenir au pouvoir par défaut. Ils sont allés de l’avant et ont formé un nouveau gouvernement, qui était essentiellement le même que le précédent. Rien n’a changé.

Les dirigeants de l’UGTT ont été contraints d’appeler à une grève générale pour le vendredi 26 juillet. Le problème, cependant, c’est que les principaux dirigeants de l’UGTT n’ont aucune perspective de prise du pouvoir ni de formation d’un gouvernement révolutionnaire des travailleurs. Ils se sont mis à la tête de la grève générale, qui aurait eu lieu de toute façon, afin de minimiser son impact et de garder les foules sous contrôle. Le matin de la grève générale, les manifestants se sont rassemblés devant le siège de l’UGTT où le secrétaire général Abbassi est sorti pour s’adresser à eux. Il a condamné l’assassinat de Brahmi mais n’a pas réussi à donner une issue claire pour les manifestants et n’a même pas indiqué le lieu et l’heure pour une nouvelle manifestation. Un militant présent sur les lieux a expliqué que « la foule pouvait sentir la trahison ».

Le Front Populaire a publié une déclaration dans laquelle il va plus loin que ce qu’il a fait en février en montrant la voie à suivre pour le mouvement. En plus de l’appel à la grève générale pour le jour de l’enterrement de Brahmi et le lendemain, il a appelé à la désobéissance civile de masse « pour imposer la dissolution de l’Assemblée Nationale Constituante. » Il a appelé de plus à des sit-in devant les sièges de toutes les autorités municipales, régionales et nationales. Ceci est une mesure correcte qui peut constituer une bonne base pour remplacer les institutions de l’Etat capitaliste, qui est fondamentalement le même qu’au temps du régime de Ben Ali, par des institutions révolutionnaires à tous les niveaux.

Une grève générale de deux jours est aussi un slogan correct, mais il a laissé ouverte la question de savoir ce qui se serait passé à partir de dimanche au cas où le gouvernement n’était pas renversé. Ce qui devrait être soulevé maintenant est une grève générale illimitée pour accompagner et renforcer les sit-in, afin de faire tomber le régime.

Il faut ajouter que, dans les circonstances actuelles, les comités révolutionnaires doivent organiser l’autodéfense armée, démanteler les gangs fascistes de la LPR ainsi que faire un appel dans les rangs de l’armée, les soldats ordinaires pouvant aussi former des comités révolutionnaires en tissant des liens avec les ouvriers révolutionnaires et les jeunes.

Cependant, quelle est l’alternative offerte par les dirigeants du Front Populaire ? Quelles sont les revendications des masses et pour lesquelles elles sont prêtes à se battre ? C’est là que les problèmes commencent. Pour citer leur déclaration, ils demandent « la création de la Commission nationale suprême pour le salut national par les représentants des partis politiques et les composantes de la société civile qui, avec l’aide d’experts en droit constitutionnel, complèteront la rédaction de la constitution ». Ainsi que « la formation d’un gouvernement de salut national »... « dirigé par une figure nationale indépendante » qui peut « prendre des mesures d’urgence de sécurité économique, sociale, politique et préparer des élections démocratiques, justes et transparentes ».

Ceci révèle deux choses. Le premier est le fait que les dirigeants des organisations du Front populaire sont imprégnés d’illusions profondes sur la constitutionnalité bourgeoise. lls exigent une constitution rédigée par les représentants des « partis politiques et les composantes de la société civile ». Mais qui les éliraient ? Les différentes forces de la société, les partis politiques, les syndicats, les organisations de patrons représentent les intérêts contradictoires des différentes classes sociales de la société. Comment peuvent-ils s’entendre sur une constitution qui répond aux exigences de chacun d’eux ? Ceci sème des illusions très dangereuses dans le constitutionnalisme bourgeois et la démocratie bourgeoise.

Quand ce qui est requis pour les ouvriers révolutionnaires et la jeunesse c’est de prendre le pouvoir — politique et économique —, les dirigeants du Front populaire réclament un gouvernement technocratique dirigé par une personnalité nationale indépendante ! Indépendante de qui ? La Tunisie est un pays capitaliste en crise. Un pays divisé en classes. Les intérêts des travailleurs, des pauvres, de la jeunesse révolutionnaire, des paysans, ne sont manifestement pas les mêmes que les intérêts des capitalistes, des copains de Ben Ali, des capitalistes d’Ennahdha et des bourgeois modernistes. Les intérêts de ces groupes sont directement opposés les uns aux autres. Comment pouvez-vous trouver un dirigeant « indépendant » qui satisfasse les intérêts des travailleurs et des capitalistes en même temps ?

L’autre chose révélée par cette déclaration, c’est le fait que les dirigeants du Front Populaire sont toujours fermement ancrés dans une stratégie en deux étapes pour la révolution. Ils pensent que la tâche immédiate de la révolution tunisienne est d’établir la « démocratie » et que seulement plus tard la question du socialisme peut être soulevée. Le problème est que les besoins urgents du peuple révolutionnaire tunisien ne peuvent être satisfaits dans les limites de la « démocratie », qui est en réalité est une démocratiebourgeoise. Quel est le problème des deux dernières années et demie et qui a créé une opposition sous la surface ? Était-ce le fait que le gouvernement de la Troïka était « incompétent » ? La vérité est que quels que soient les insuffisances du gouvernement et le comportement absurde de l’Assemblée Nationale Constituante, le facteur principal a été la crise profonde du capitalisme en Tunisie, qui est aggravée par la crise du capitalisme en Europe et dans le monde.

Les masses ne se battaient pas pour une démocratie abstraite. Elles se sont battues contre le régime de Ben Ali afin qu’elles puissent acheter du pain et avoir un emploi. Du point de vue des travailleurs et des pauvres, une démocratie ne fonctionne que si elle peut donner du pain et de l’emploi. La « démocratie » capitaliste est totalement incapable de le faire dans les conditions actuelles en Tunisie.

La stratégie révolutionnaire qui est nécessaire dans la Tunisie d’aujourd’hui est celle qui combine les exigences économiques, sociales et démocratiques, et lient leur réalisation à la prise du pouvoir par les travailleurs à travers des comités révolutionnaires démocratiques.

Ce serait la meilleure façon d’honorer la mémoire des martyrs Brahmi et Belaïd, ainsi que la mémoire des centaines de travailleurs et de jeunes qui ont été martyrisés durant la révolution.

A bas la Troïka ! A bas l’Assemblée Constituante !
Exproprier toutes les compagnies multinationales ! Exproprier les biens de la famille Ben Ali et de ses proches ! Exproprier les moyens de production !
Comités révolutionnaires partout ! Tout les pouvoir à l’assemblée révolutionnaire composée de délégués travailleurs, paysans et soldats élus !
Grève générale illimitée pour renverser le régime !
Honorer les martyres – Compléter la révolution !

En Tunisie, le 23 octobre dernier, ont eu lieu les élections pour désigner l’assemblée constituante. Cette assemblée aura la responsabilité de rédiger une nouvelle constitution et de nommer un nouveau président de la République, qui formera le gouvernement.

Depuis la chute de Ben Ali, le climat en Tunisie, et donc celui de la campagne politique pour ces élections, est loin d’être revenu à la « normale »  : retour de la police politique, un Premier Ministre très contesté, des menaces de coup d’Etat (de l’armée et du parti islamiste Ennahda), de nombreuses grèves, de nouvelles occupations de la place de la Kasbah, le report des élections... Finalement, pas moins de 1519 listes se présentaient dans 27 circonscriptions (830 de partis, 655 indépendantes et 34 de coalitions), avec un scrutin à la proportionnelle.

La victoire d’Ennahda

Ennahda, le parti islamiste, a remporté les élections avec 41,47 % des voix. Le Congrès pour la République (gauche nationaliste) est arrivé en deuxième position, avec 13,83 %.

Sans surprise, les médias occidentaux ont crié à la menace islamiste, aux femmes voilées, « après le printemps arabe, l’hiver islamique »... Dans ces articles, on pouvait entendre le « on vous l’avait dit, la démocratie, ce n’est pas pour les pays arabes ». C’est en fait mal comprendre la situation.

Pour éviter tout malentendu, Ennahda est un parti réactionnaire, xénophobe, composé en grande partie de personnes voulant l’instauration de la charia. Il n’a joué aucun rôle dans la révolution tunisienne – et le reconnaît ouvertement. C’est un parti contre-révolutionnaire.

Faut-il comprendre par ces résultats que les Tunisiens veulent l’instauration d’une dictature fondamentaliste ? La participation a été de 75 % des personnes inscrites sur les listes électorales, ce qui représente 56 % de la population en âge de voter. Ce qui relativise déjà les 40 % d’Ennahda. Ensuite, Ennahda était dans l’opposition à Ben Ali, interdit et fortement réprimé. Il sort de cette période avec une image de victime issue de l’opposition à l’ancien régime. Il est rentré en campagne très tôt et très massivement grâce aux fonds de ses alliés du Qatar et d’Arabie Saoudite. Il a énormément lissé son programme et s’est présenté comme un parti du centre droit progressiste. Il a de nombreuses fois répété qu’il ne remettrait pas en cause le statut des femmes et qu’il ne mettrait pas en place la charia. De nombreux doutes commencent aussi à surgir sur de probables achats de voix. Quoi qu’il en soit, à part les partis « officiels d’opposition » sous Ben Ali, Ennahda était clairement le parti le plus connu.

L’autre raison de la victoire d’Ennahda est la division des partis de gauche et le fait que quelques grands partis de gauche sont perçus en Tunisie comme les représentants de l’élite intellectuelle de Tunis et non du peuple dans son ensemble – image que leurs campagnes électorales n’ont fait que renforcer.

En dernière analyse, la « victoire » d’Ennahda est le résultat de 20 ans de dictature de Ben Ali qui, à la demande des capitalistes européens, a persécuté l’islam politique et défendu un soi-disant « modèle occidental ». La réaction contre la domination qu’exerce l’occident sur la Tunisie a contribué à son succès.

Et maintenant...

Ennahda est très loin d’avoir les pleins pouvoirs. Avec 90 sièges sur 217, il n’a pas la majorité absolue. Les négociations ont déjà commencé avec les deux grands partis de « gauche » pour former un gouvernement d’union nationale. Deuxièmement, le peuple tunisien a déjà montré qu’il ne se laisserait pas voler facilement sa révolution, et ne permettra pas un retour rétrograde sur les femmes ou sur les droits démocratiques, par exemple.

En commentant les résultats de ces élections, les médias capitalistes occidentaux jouent aux vierges offusquées et aux patriarches moralisateurs. Mais le parti islamiste, avant même les résultats définitifs, a vite cherché à rassurer les «  partenaires économiques  » du pays. «  Nous espérons très rapidement revenir à la stabilité et à des conditions favorables à l’investissement  », a déclaré à la presse Abdelhamid Jlassi, directeur du bureau exécutif du parti islamiste [1].

Le vrai combat, qui doit continuer, n’est pas entre islamistes et laïques. Cette diversion a permis de ne pas parler des questions économiques et sociales les plus importantes. La lutte qui importe est celle qui oppose révolutionnaires et contre-révolutionnaires, la lutte du peuple tunisien contre les capitalistes de Tunisie et d’ailleurs.

Les causes de la révolution tunisienne – le chômage, la pauvreté, l’exploitation – ne pourront pas être éliminées dans le système capitaliste. Trotsky développait l’idée de la révolution permanente où il expliquait que dans les pays colonisés (ou anciennement colonisés), la révolution « démocratique » ne peut aboutir que par la prise du pouvoir de la classe ouvrière et la mise en place d’une société socialiste.

La révolution tunisienne a été le coup d’envoi du « printemps arabe ». Elle doit continuer jusqu’à l’expropriation des véritables ennemis du peuple, dont Ennahda n’est qu’un représentant, à savoir la classe capitaliste.


[1Jeune Afrique. 25/10/2011

Le mouvement révolutionnaire en Tunisie est en train de passer à un stade supérieur. Après le départ de Ben Ali, le gouvernement d’« union nationale » – d’union entre les anciens dictateurs et des « opposants » complices – pourrait être renversé, à son tour. Il multiplie désespérément les concessions. Il légalise tous les partis, libère les prisonniers politiques, promet de lutter contre la corruption, arrête des proches de Ben Ali, s’engage à récupérer l’argent et les biens de ce dernier. L’instance de direction du RCD a été dissoute. Certains ministres annoncent avoir quitté le RCD, qui va changer de nom. Mais rien n’y fait. Ce sont autant de leurres et de subterfuges pour masquer la véritable nature de ce gouvernement et des intérêts réactionnaires qui le soutiennent. Et le peuple tunisien n’est pas dupe.

A peine formé, le « nouveau » gouvernement a commencé à se désintégrer. Trois ministres issus du syndicat UGTT ont dû démissionner en moins de 24 heures. Sous Ben Ali, les dirigeants de l’UGTT étaient, en substance, des agents au service de la dictature. Ils n’ont jamais levé le petit doigt pour la contester. Avec le départ forcé de Ben Ali, ils étaient tout naturellement volontaires pour apporter une caution « syndicale » à la mascarade de « l’union nationale ». Mais les mobilisations dans la rue et la pression de la base du syndicat les ont poussés à la démission. Pour se justifier, les intéressés prétendent avoir découvert, après coup, que les postes clés du gouvernement avaient été attribués à des proches de Ben Ali ! Cette « explication » ne manque pas d’audace, mais elle ne convaincra personne.

Les travailleurs et les jeunes se mobilisent pour qu’il n’y ait aucun représentant de l’ancien régime au sein du gouvernement. Dans de nombreuses villes, les locaux du RCD ont été pris d’assaut et occupés. Ghannouchi et ses semblables sont des ennemis du peuple. Si la rue n’avait pas chassé Ben Ali, ils seraient encore à ses côtés en train de poursuivre la même politique de répression et de pillage économique. Aujourd’hui encore, les manifestations sont dispersées à coups de matraque et de gaz lacrymogène par la police de ces « démocrates » de la dernière heure.

Ben Ali et ses amis capitalistes contrôlaient pratiquement tous les aspects de la vie politique, sociale et économique du pays, si bien que la décomposition du régime laisse un immense vide. C’est l’action révolutionnaire d’en bas qui, jour après jour, est en train de combler ce vide. Pour l’heure, ce processus n’en est encore qu’à ses débuts. Mais dans certains endroits, en plus des manifestations quotidiennes, les contours d’un pouvoir révolutionnaire alternatif pourraient commencer à prendre forme. D’une part, les « comités de quartier » se multiplient. Ils prennent en charge la protection des quartiers contre les agressions et tentatives de déstabilisation des agents de l’ancien régime. Par ailleurs, le 16 janvier, à Sidi Bou Ali, la population s’est réunie pour déterminer sa position à l’égard du gouvernement d’union nationale. La décision a été prise de ne pas reconnaître le gouvernement et de mettre en place des organes de pouvoir populaire. Voici le texte de la déclaration adoptée par la population locale :

« Suite à la décision de confier à Mohamed Ghannouchi la formation d’un nouveau gouvernement chargé de surveiller les nouvelles élections présidentielles ; et compte tenu du vide administratif dans les villes de Sidi Bou Ali, province de Sousse, nous, les citoyens de la ville de Sidi Bou Ali, rassemblés dans la Place du Peuple de la ville, déclarons ce qui suit :

Nous rejetons cette décision puisqu’elle est basée sur une constitution non démocratique, non populaire et qui ne garantit pas les droits de toutes les sensibilités nationales dans le pays.

Nous refusons la domination du parti au pouvoir sur la vie politique du pays, représentée par tous ses symboles dans le gouvernement actuel – et ses laquais.

[Nous procédons à] l’élection publique d’un Conseil local intérimaire chargé d’assurer la gestion des affaires de la ville et d’agir localement, et en coordination au niveau régional et national, pour maintenir l’ordre de la vie civile, économique, culturelle et politique dans le pays, jusqu’à l’élaboration d’une nouvelle constitution démocratique et populaire qui va ouvrir la voie à des élections qui assureront une alternance pacifique et sans monopole du pouvoir. Et qui veillera à ce que tous les partis nationaux soient représentés.

Les fonctions de ce Conseil seront :

Former des comités pour protéger les quartiers, et coordonner ces comités

Garantir la restauration de la vie économique quotidienne et les nécessités de la vie des citoyens.

Garantir l’ouverture des institutions civiles (banques, hôpitaux, municipalités, écoles, instituts, poste, bureau d’impôts...)

Assurer la propreté de la ville.

La Coordination avec les Conseils locaux et régionaux.

Communiquer et assurer la liaison avec l’armée nationale, la seule force existante dans le pays.

Nous avons décidé de former les comités suivants :

Comité sur la publicité et l’information

Comité de communication avec l’Armée nationale

Comité de surveillance pour la protection des quartiers

Comité de la propreté de la ville

Comité d’approvisionnement des nécessités de base

Comité de la sensibilisation, de l’orientation et de la culture »

Ce genre d’initiatives est une indication de ce qui pourrait se produire. Il ne s’agit plus seulement de manifestations. La généralisation d’un tel phénomène signifierait que le peuple commence à prendre le pouvoir. C’est exactement ce type de développements que les capitalistes – en Tunisie, en France et partout ailleurs – voudraient éviter. Dans de nombreuses entreprises, les employeurs associés à l’ancien régime et détestés pour leur comportement à l’égard des travailleurs, ont été éjectés. Pour les masses tunisiennes, c’est la seule façon d’ouvrir la perspective d’une éradication totale de la dictature, de l’exploitation et de l’oppression – et d’instaurer une démocratie digne de ce nom, à la place de la « démocratie » factice de Ghannouchi et ses amis.

Encore une fois, le mouvement révolutionnaire, en Tunisie, n’en est qu’à ses débuts. Il est en train d’avancer et d’apprendre. L’une des questions brûlantes qui se pose est celle des forces armées. Dans un article pour marxist.com, notre camarade Jorge Martin fait des observations très importantes sur la déclaration de Sidi Bou Ali :

« La déclaration parle de travailler en liaison avec l’armée, de communiquer avec elle. Il est clair qu’à ce stade, le peuple a beaucoup de respect pour l’armée. Il y a eu beaucoup de cas de fraternisation entre l’armée et les manifestants, lors du soulèvement de la semaine dernière. C’est la police et la garde nationale – plus que l’armée – qui ont joué un rôle clé dans la répression brutale du peuple, faisant entre 100 à 200 morts. Ces derniers jours, l’armée a livré des combats aux éléments loyalistes des forces de police de Ben Ali. Cela explique l’attitude du peuple à l’égard de l’armée.

« Ceci dit, il ne faut pas confondre les soldats de rangs et les quelques officiers qui peuvent être gagnés à la révolution, d’une part – et d’autre par l’armée comme institution, et en particulier son haut commandement. L’armée fait partie de l’appareil d’Etat capitaliste de la dictature de Ben Ali. Si le mouvement révolutionnaire du peuple menace le système capitaliste, l’armée se rangera du côté de la classe dirigeante – ou se scindera en deux.

« Il est nécessaire de tisser des liens avec les soldats de rang et les officiers les plus proches du peuple. Ils devraient être encouragés à établir leurs propres comités et à envoyer des représentants aux comités révolutionnaires locaux. Les comités de soldats doivent dénoncer les officiers réactionnaires, ceux qui étaient directement impliqués dans la répression, ceux qui ont des liens personnels, économiques ou autres avec la classe dirigeante et le régime de Ben Ali – pour qu’ils soient arrêtés et jugés.

« La liaison des comités de soldats et des comités révolutionnaires des travailleurs et des jeunes serait la garantie que personne n’aurait le pouvoir ou la force de s’en prendre à la volonté du peuple.

« Par ailleurs, la déclaration du peuple révolutionnaire de Sidi Bou Ali parle d’une nouvelle constitution, d’élections démocratiques et de la représentation de tous les partis (à l’exception, évidemment, du RCD). Nous pensons que cela peut être accompli à travers une Assemblée Constituante. Mais qui la convoquerait ? Pour le moment, aucun pouvoir n’a la légitimité de le faire. Le "nouveau" gouvernement d’unité nationale n’est que le prolongement de l’ancien régime. Mais si les comités révolutionnaires se développaient et se liaient entre eux aux niveaux régional et national, ils auraient la légitimité pour convoquer une telle Assemblée Constituante, dont la tâche serait d’engager une profonde réorganisation du pays ».

La mobilisation massive des jeunes et des travailleurs tunisiens a arraché une première victoire. Ben Ali et sa famille, qui ont pillé le pays pendant des décennies, sont partis. Les réactionnaires au pouvoir en Algérie, au Maroc, en Libye, en Egypte, en Jordanie et en Arabie Saoudite ont suivi avec terreur les événements en Tunisie. Ils ont de bonnes raisons de trembler. A travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, la même oppression et la même pauvreté existent. La colère monte partout, au point qu’il pourrait suffire d’un incident pour mettre le feu aux poudres, comme ce fut le cas en Tunisie avec le suicide de jeunes poussés à bout par la misère et l’injustice. Tôt ou tard, dans tous ces pays, les mêmes causes produiront les mêmes effets.

Le départ en toute hâte de Ben Ali a donné lieu à des scènes de liesse. Mais la fête sera de courte durée. Car la vérité, c’est qu’aucun des problèmes fondamentaux n’est vraiment résolu. Actuellement, ceux qui faisaient partie du régime aux côtés de Ben Ali, dont les chefs de l’armée et de la police, sont engagés dans des manœuvres visant à conserver le pouvoir et faire en sorte que le peuple – qu’ils craignent plus que tout – reste bien à la place que lui attribuaient le régime de Ben Ali et le système capitaliste dont il n’était que le couronnement.

Lorsque le soulèvement se répandait à travers le pays, Ben Ali pensait pouvoir s’en sortir par une combinaison de promesses creuses et de répression sanglante. Mais les chefs militaires sentaient le sol se dérober sous leurs pieds. Des scènes de fraternisation entre les soldats et les manifestants se multipliaient. Ici et là, les soldats protégeaient les manifestants de la police. Pour l’Etat-major, il est apparu que la seule façon de conserver le contrôle des forces armées était de pousser Ben Ali à l’exil. Lâché par les chefs militaires, ce dernier n’avait d’autre choix que de fuir.

Mohamed Ghannouchi, le Premier ministre, avait annoncé que l’absence de Ben Ali serait « temporaire ». Le croyait-il vraiment ? Peu importe. Dans les conditions actuelles, le retour de Ben Ali provoquerait une insurrection de masse. Il n’empêche que le régime qu’il dirigeait est toujours au pouvoir et n’a aucune intention d’y renoncer. Les opérations militaires en cours n’ont rien à voir avec une « transition » vers la démocratie. Le régime tente de stabiliser la situation en sa faveur. Il veut neutraliser les fanatiques qui nourrissent encore l’espoir de ramener Ben Ali au pouvoir, tout en maintenant la législation répressive dirigée contre le peuple. L’Etat d’urgence est maintenu, tout comme le couvre-feu et l’interdiction des rassemblements et des manifestations. En participant au « gouvernement d’union nationale », les partis et personnalités de l’« opposition légale » – c’est-à-dire de l’opposition loyale – ont redoré la façade de la même machine gouvernementale qui, avec ou sans Ben Ali, restera au service des mêmes intérêts capitalistes, avec essentiellement les mêmes méthodes dictatoriales.

Ces « opposants » n’étaient tolérés, sous Ben Ali, que parce qu’ils ne représentaient aucune menace pour le régime en place. C’était une opposition de façade, un faire-valoir « démocratique » de la dictature. Le gouvernement d’union nationale concrétise la collaboration de cette pseudo-opposition avec tous ceux qui ont le sang du peuple sur les mains. Ghannouchi conserve son poste de Premier ministre, de même que les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Finances et des Affaires étrangères. Trois anciens « opposants » intègrent le gouvernement : Najib Chebbi, qui dirige Parti Démocratique Progressiste (ministre du Développement régional), Moustapha Ben Jaafar (Forum démocratique pour le travail et la liberté) et Ahmed Ibrahim (Ettajdid).

Sarkozy et les gouvernements occidentaux accompagnent cette mascarade. Au passage, ils atteignent les sommets de l’hypocrisie et de la perfidie. Sarkozy, comme Chirac avant lui, a toujours accordé un soutien inconditionnel au régime de Ben Ali. Ce dernier avait aussi de fervents adeptes au sein de la « gauche », comme par exemple Strauss-Kahn – entre autres. L’attitude de la droite a été bien résumée par Alliot-Marie, qui, par réflexe, a publiquement proposé d’aider Ben Ali à réprimer les manifestations. Depuis toujours, la France a massivement contribué à l’arsenal répressif du régime. Les capitalistes français profitaient directement des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et de l’absence de droits démocratiques en Tunisie. La préoccupation du gouvernement Sarkozy est la même que celui du nouveau gouvernement tunisien. Derrière quelques changements de façade, il lui importe avant tout que les intérêts des capitalistes qui ont profité de la dictature pendant des décennies soient pleinement protégés. Il s’agit de rétablir l’ordre ancien sous une couverture « démocratique ».

Seule une intervention massive et énergique des travailleurs tunisiens pourrait déjouer cette manœuvre réactionnaire. Il faut une grève générale pour mettre fin à l’Etat d’urgence, pour le droit de rassemblement, le droit de se syndiquer, la liberté d’expression pleine et entière et la levée de l’interdiction du Parti Communiste. Les soldats et les policiers qui n’épousent pas la cause de la révolution doivent être désarmés. Les travailleurs et les jeunes devraient se doter des moyens de se défendre contre toute tentative de commettre de nouveaux massacres. Les tortionnaires doivent être arrêtés.Retour ligne automatique
Les travailleurs devraient prendre le contrôle et la direction de l’UGTT. Les dirigeants de ce syndicat étaient notoirement complices du régime de Ben Ali. Il faut les remplacer par des militants éprouvés et entièrement dévoués à la cause des travailleurs. Pour préparer la grève générale et lui donner un cadre organisationnel à la hauteur des circonstances, il faut former des comités de coordination aux niveaux local, régional et national. Pour effectuer un véritable changement démocratique, il faut mobiliser la masse de la population, désarmer la réaction et frapper un coup décisif contre les intérêts économiques des exploiteurs capitalistes qui ont soutenu la dictature. Tous les échelons de l’administration publique et tous les piliers de l’économie nationale, les ressources naturelles de la Tunisie, ses banques et son industrie devraient être arrachés du contrôle des capitalistes et placés fermement sous le contrôle démocratique du peuple. La Tunisie ne sera véritablement libre que lorsqu’elle sera socialiste. Dans le contexte international actuel, une Tunisie socialiste ne resterait pas seule. Pour les pays du Maghreb, et bien au-delà, y compris pour les travailleurs de France, elle serait un exemple, une inspiration, un encouragement à la résistance et à la révolution contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression.

Ben Ali a quitté le pouvoir. Face à l’ampleur de la révolte des jeunes et des travailleurs du pays, il n’avait d’autre choix que de s’enfuir. C’est une grande victoire qui ouvre la perspective du renversement définitif de la dictature. Car les problèmes en Tunisie ne se réduisent pas à Ben Ali. Son régime représentait tout un système. Il était inextricablement lié aux capitalistes en Tunisie, en France et ailleurs, pour qui ce pays est une source d’immenses richesses. Incapables de développer l’économie, ces parasites ont voulu transformer les Tunisiens en un peuple d’esclaves au service de leurs intérêts égoïstes, de l’industrie touristique et de la sous-traitance. Ce sont les capitalistes qui profitent directement des salaires de misère et des conditions de travail indignes. Le chômage de masse sert leurs intérêts en intimidant les travailleurs qui ont la « chance » d’avoir un emploi. La corruption gangrène les échelons supérieurs de l’administration.

Ben Ali couronnait tout ce système. Avec ses policiers, ses mouchards, ses prisons, sa presse et ses médias aux ordres, il voulait interdire toute contestation et toute possibilité de révolte. Mais l’aggravation des conditions de vie a fini par provoquer une explosion, dont les suicides de jeunes, poussés au désespoir par la misère et l’injustice, ont fourni l’étincelle. Ben Ali est parti. Mais tant que ses complices restent au pouvoir, et tant que les richesses du pays se trouvent entre les mains des capitalistes, aucun des problèmes fondamentaux qui écrasent le peuple ne sera résolu.

Ghannouchi tente désespérément de sauver l’édifice du régime. Il semble chercher à impliquer certains opposants dans la mise en place d’un gouvernement d’« union nationale », c’est-à-dire d’un gouvernement de façade qui protégerait les intérêts essentiels du capitalisme tunisien et les complices de Ben Ali. Ghannouchi, lui aussi, a le sang du peuple sur ses mains. En annonçant un départ « temporaire » de Ben Ali, il a prouvé qu’il n’a pas l’intention d’engager les profondes transformations nécessaires. En conséquence, le mouvement ne peut et ne doit pas s’arrêter là. Il faut chasser tous les éléments associés à l’ancien régime, y compris les chefs de l’armée et des forces de police. Aucune « transition démocratique » digne de ce nom ne pourra avoir lieu tant que les tous les piliers de la dictature resteront en place. Il faut commencer par désarmer la police. Le peuple doit se donner les moyens de se défendre contre la répression.

Ce n’est pas tout. Pour régler tous les problèmes brûlants qui frappent la masse des Tunisiens, il faut arracher le pouvoir économique des mains de la petite poignée de capitalistes tunisiens et étrangers qui pillent les ressources du pays depuis trop longtemps. Cela vaut pour la Tunisie comme pour l’ensemble du Maghreb. Seule une Fédération socialiste des pays du Maghreb permettra de poser les bases d’une authentique émancipation sociale et politique du peuple.

Les événements en Tunisie ouvrent la perspective du renversement du régime dictatorial de Ben Ali et sa clique mafieuse. Les jeunes protestent contre le chômage et la vie chère. Le gouvernement répond par la répression. Les promesses de Ben Ali ne valent rien. Il dit avoir les moyens de créer 300 000 emplois. Mais dans ce cas, pourquoi avait-il laissé dans la misère 300 000 chômeurs qui avaient besoin de ces emplois ? Les engagements de Ben Ali sont illusoires, mais la violence des forces de l’ordre et les dizaines de manifestant abattus sont, eux, bien réels – comme l’est l’arrestation du dirigeant du Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens, Hamma Hammami.

Si le mouvement actuel se généralise, et surtout si les travailleurs l’appuient par un puissant mouvement de grève, ce gouvernement d’assassins finira par tomber. Mais Ben Ali n’est pas le seul problème à régler. Le régime en place est inextricablement lié aux capitalistes en Tunisie, en France et ailleurs, pour qui la Tunisie est une source d’immenses richesses. Incapables de développer l’économie, ce sont des parasites qui profitent directement des salaires de misère et des conditions de travail indignes. A l’exception de la classe dirigeante, les Tunisiens ont été transformés en un peuple d’esclaves au service de l’industrie touristique et de la sous-traitance. La corruption gangrène les échelons supérieurs de l’administration. Le chômage de masse sert les intérêts des capitalistes en intimidant les travailleurs qui ont la « chance » d’avoir un emploi.

Ben Ali couronne tout ce système. Il le protège et le pérennise. Avec ses policiers, ses mouchards, ses prisons, sa presse muselée et ses médias aux ordres, il voulait interdire toute contestation et toute possibilité de révolte. Mais l’aggravation des conditions de vie de ces dernières années a fini par provoquer une explosion. Les suicides de jeunes, poussés au désespoir par la misère et l’injustice, en ont fourni l’étincelle. Ben Ali traite les jeunes manifestants de « terroristes » et évoque l’implication d’Al Qaida. C’est tout simplement ridicule. La révolte actuelle plonge ses racines dans le sort que subissent les travailleurs et la jeunesse tunisienne, depuis des décennies.

La réaction du gouvernement français ne devrait surprendre personne. Face à la mobilisation populaire des Tunisiens, Michelle Alliot-Marie n’a pas hésité à proposer d’aider la dictature à « rétablir l’ordre » au plus vite ! Le capitalisme français a des intérêts considérables – et très profitables – en Tunisie, et ne voudrait pour rien au monde que ce soulèvement vienne troubler ses affaires.

Le gouvernement Sarkozy et les capitalistes français sont en train de détruire l’économie nationale. Les services publics sont saccagés, le chômage et l’emploi précaire se généralisent et s’aggravent. La production chute, tout comme les exportations et les importations, qui ont enregistré une baisse de 17 %, en 2010. Cette situation n’existe pas qu’en France. Le capitalisme a plongé toute l’Europe dans une crise économique extrêmement grave, qui a eu des répercussions désastreuses dans tous les pays du Maghreb. Le capitalisme a ruiné les Etats. A force de verser des milliards pour « stimuler » la rentabilité et remettre à flot les banques que des opérations spéculatives menaçaient de couler, les Etats ont, à leur tour, accumulé des dettes colossales. En conséquence, l’Europe et la France ne pourront pas connaître une reprise économique significative dans les années à venir. Cette situation aggravera la misère des jeunes et des travailleurs de Tunisie, du Maroc et d’Algérie.

Il est impossible de savoir à l’avance si la révolte actuelle se transformera en une révolution, à court terme. Cette possibilité est inhérente à la situation. Mais le facteur décisif est celui de l’entrée en action des travailleurs tunisiens – qui, à la différence des jeunes chômeurs, ont le pouvoir de paralyser toute l’économie et toute l’administration du pays. Sous la pression du mouvement, la direction nationale de l’UGTT a appelé à deux heures de grève générale pour demain, vendredi 14 janvier. Une solide grève générale laisserait suspendus en l’air, non seulement Ben Ali, mais aussi tous les grands capitalistes exploiteurs qui soutiennent son régime. L’armée et la police ne suffiraient plus pour protéger le régime.

Beaucoup de soldats sont issus du peuple et sont solidaires des manifestants. Mais ils se demandent combien de temps ce mouvement va durer et à quoi il va aboutir. S’ils défiaient les chefs militaires et si le mouvement s’essoufflait, ils en payeraient les conséquences, eux et leurs familles. La vengeance du régime serait terrible. Mais si le mouvement prend véritablement une ampleur de masse, notamment par le biais d’une grève générale, une fraction importante des forces armées pourrait se rallier à la cause du peuple. C’est alors que s’ouvrirait une période de révolution et la possibilité d’en finir avec le capitalisme en Tunisie – et, par contagion, dans l’ensemble du Maghreb. En France et à travers l’Europe, une telle évolution donnerait une puissante impulsion à la lutte des travailleurs contre le capitalisme.

SOLIDARITE AVEC LE PEUPLE TUNISIEN !
Manifestation samedi 15 janvier, à Paris, place de la République, à 14h.
Manifestation samedi 15 janvier, à Toulouse, place Jeanne d’Arc, à 11h

Nous, communistes de l’agglomération de Moulins (Allier), membres du PCF, apportons notre soutien aux étudiants, travailleurs et familles de la région minière de Gafsa (Tunisie) dans leurs revendications pour des conditions de vie dignes et le droit au travail.

Nous sommes indignés par la répression dont sont victimes les manifestants. Nous réclamons la libération de tous les étudiants, travailleurs ou chômeurs (comme Nejib Znaïda, Jihed Ben Ali, Houcine Ben Soltane, Abib Tababi, Ismail Hlaimi et Atef Ben Salehn) arrêtés lors des manifestations.

Nous dénonçons les agressions militaires et policières ayant entraîné la mort par balle d’un jeune de 18 ans, Hafnaoui Ben Ridha Belhafnaoui, et qui ont fait au moins 25 blessés.

Ce mouvement social, démarré au début de l’année, ne peut que nous appeler à la solidarité internationale. Les communistes de l’agglomération moulinoise y prendront toute leur part en faisant connaître aux travailleurs français cette lutte occultée par les médias.

Motion adoptée en bureau de section à l’unanimité, à Moulins, le 10 juin 2008

Depuis le début de l’année, le bassin minier de Gafsa, en Tunisie, est en état d’ébullition sociale. Dans cette région d’exploitation du phosphate, la Compagnie des Phosphates de Gafsa règne en maître absolu. Elle est appuyée par le régime despotique et corrompu de Ben Ali. Outre la pollution liée aux activités d’extraction et de traitement, la pauvreté et le chômage de masse ont déclenché un vaste mouvement de protestation.

Les travailleurs et les jeunes du bassin minier se mobilisent pour leur dignité, pour des emplois, pour de meilleures conditions de logement, de santé et d’éducation. Ils dénoncent un régime de spoliation, de pillage économique et social. Les grèves se sont multipliées. Les enseignants, certaines branches de la fonction publique et même des petits commerçants se sont mobilisés.

Le mouvement prend diverses formes. Par exemple, dans plusieurs villes du bassin, de jeunes chômeurs et des veuves de travailleurs victimes d’accidents du travail à la Compagnie des Phosphates organisent des « sit-in », sous des tentes, devant des bâtiments officiels. Le régime de Ben Ali a violemment réprimé ce mouvement, de peur que Redeyef ne devienne le symbole de la colère des jeunes et des travailleurs à travers tout le pays, et que le mouvement ne fasse tache d’huile. Des centaines d’interpellations ont eu lieu depuis le début de l’année. Les forces de l’ordre harcèlent et brutalisent quotidiennement la population mobilisée. La ville est pratiquement en état de siège. Ainsi vont les choses dans le pays où, selon Sarkozy, « l’espace des libertés progresse » !

La région de Gafsa est connue pour ses traditions militantes et révolutionnaires. Cette année marque le trentième anniversaire de la grève qui, du temps de Bourguiba, a commencé dans le bassin minier de Redeyef, s’est étendue aux travailleurs et à la jeunesse de toute la région de Gafsa, pour finalement déboucher sur une grève générale d’ampleur nationale. A l’époque, la répression brutale de ce mouvement a fait des centaines de morts. Des milliers de travailleurs et syndicalistes ont été condamnés à de lourdes peines de prison.

Le soi-disant « miracle économique »

Le régime de Ben Ali se vante du « miracle économique » en Tunisie. Mais à qui profite cette croissance qui repose essentiellement sur le tourisme de masse ? Aux capitalistes qui dominent l’industrie touristique et en accaparent tous les bénéfices. D’immenses fortunes s’accumulent grâce à la spéculation immobilière, pendant que la masse de la population languit dans le chômage et la misère. Alors que les entreprises françaises, espagnoles et allemandes se délocalisent vers la Tunisie pour profiter d’une main d’œuvre sous-payée et surexploitée, d’autres entreprises jettent leurs salariés à la rue et quittent la Tunisie pour trouver ailleurs des ouvriers encore moins chers. Autre conséquence du « miracle » Ben Ali : des centaines de jeunes tentent de fuir le pays par la mer, sur des embarquements de fortune. Beaucoup finissent par se noyer.

Le 7 mai, Redeyef, une ville de 30 000 habitants, était encerclée par la police. Selon des témoins, plusieurs centaines d’habitants – hommes, femmes et enfants – munis du strict nécessaire ont tenté de quitter la ville avec l’intention de l’abandonner aux forces de l’ordre. Ils en ont été dissuadés par les animateurs du comité de grève, et ont finalement décidé de rester sur place et poursuivre la lutte. Effectivement, une « évacuation en masse » de ce genre n’aurait pas été un moyen de lutte efficace. Quoi qu’il en soit, cet épisode illustre l’énorme gouffre qui s’est ouvert entre le peuple et les autorités. Il témoigne aussi de l’exaspération d’une population face au comportement des dirigeants syndicaux « officiels », notoirement corrompus et complètement à la solde du régime. Main dans la main avec ce dernier, ces « dirigeants » syndicaux se sont efforcés d’isoler et de démoraliser les grévistes et la population en révolte.

GafsaDeux jours plus tard, le 9 mai, Taher Saidi, 44 ans, a été grièvement blessé lors d’une intervention des forces de l’ordre dans la ville de Om Larais (35 000 habitants). Il est décédé le 19 mai à l’hôpital régional de Gafsa.

L’incident qui a provoqué les événements du 7 mai est la mort d’un jeune chômeur qui, la veille, avait été électrocuté à l’intérieur d’un local électrique, suite à une intervention particulièrement brutale des forces de l’ordre contre une manifestation de jeunes chômeurs. Ils protestaient contre les résultats pour le moins opaques – entachés de clientélisme – du concours d’entrée à la Compagnie des Phosphates de Gafsa, laquelle s’était engagée à recruter des jeunes chômeurs de la région, en janvier. Un groupe a décidé d’occuper le générateur électrique – hors tension – alimentant les ateliers de l’entreprise. Une brigade de police armée de gaz lacrymogènes a entrepris de faire évacuer le générateur. Le courant a été rétabli et plusieurs jeunes manifestants ont été électrocutés. Les secours ne sont intervenus que plusieurs heures après l’accident. Le jeune qui a trouvé la mort avait 26 ans. Il s’appelait Hichem Ben Jeddou El Aleimi. Un autre, Ahmed Ben Salah Fajraoui, 21 ans, a été grièvement blessé.

Par ailleurs, le régime de Ben Ali a procédé à l’arrestation de plusieurs militants, dont les étudiants Nejib Znaïdia et Jihed Ben Ali, mais aussi les chômeurs Houcine Ben Soltane, Abid Tababi, Ismail Hlaimi et Atef Ben Salehn. Ils attendent d’être jugés au tribunal le 29 mai.

Les étudiants et les chômeurs incarcérés, comme l’ensemble des habitants du bassin minier de Gafsa, ont besoin de notre solidarité. Cependant, de simples déclarations de solidarité ne suffisent pas. Face au mur de silence médiatique qui entoure les événements du bassin minier de Gafsa, La Riposte demande à toutes les organisations syndicales et aux partis de gauche de faire ce qu’ils peuvent pour porter cette lutte à la connaissance des travailleurs, en France et à l’échelle internationale. Les syndicats, dans les secteurs de la presse écrite et de l’industrie audiovisuelle, ont un rôle important à jouer dans ce domaine. Les syndicats des personnels des aéroports et de l’industrie du tourisme devraient également se mobiliser pour dénoncer la répression. Il faut lancer des actions de grève et de boycott syndical qui frappent directement les intérêts capitalistes en Tunisie. La solidarité passe aussi par la collecte et l’envoi de fonds pour soutenir la lutte.

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Nous avons rédigé cet article en étroite collaboration avec des participants directs de la lutte dans la région de Gafsa. Ceci nous a permis de ne pas dépendre des récits des événements dans la presse européenne. Nous les remercions chaleureusement pour leur aide précieuse.