Liban

En octobre 2019, la population libanaise s’est soulevée et a renversé le gouvernement. Il fut remplacé par un gouvernement de « technocrates » (réactionnaires) dirigé par Hassane Diab. Pour les millions de Libanais qui avaient défilé dans les rues (près du tiers de la population), la situation ne s’est pas améliorée, malgré les engagements des nouveaux dirigeants. Dans les mois qui suivirent, le pays s’est enfoncé dans une crise économique terrifiante, face à laquelle le gouvernement Diab étalait son impuissance. Et pour cause : il était soutenu par les mêmes partis qui composaient le gouvernement précédent.

C’est dans ce contexte que, le 4 août, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium – un composé chimique utilisé dans l’agriculture – ont explosé dans le port de Beyrouth, ravageant la ville et faisant plusieurs centaines de victimes. La population libanaise a immédiatement exigé de connaître les responsables de cette catastrophe. C’est simple : les politiciens, bureaucrates et capitalistes corrompus qui savaient, depuis six ans, que des barils d’explosifs fermentaient dans le port de Beyrouth, sont également responsables de tous les autres maux affligeant le Liban.

Explosion de colère

L’explosion du 4 août a ouvert une nouvelle phase du mouvement des masses libanaises. Quelques jours plus tard, 10 000 personnes ont défilé dans Beyrouth, exigeant un changement radical. Malgré la répression féroce de la police et de l’armée, les manifestants ont déferlé dans les rues et pris d’assaut des bâtiments gouvernementaux. Le 8 août, ils ont occupé les ministères de l’Economie, des Affaires étrangères, de l’Energie, ainsi que le siège de l’Association des banques du Liban. Dans les rues, les masses exigeaient « la chute du régime ».

En réaction à l’explosion, mais aussi au mouvement des masses, le gouvernement Diab en a appelé à l’« unité nationale ». Mais ce subterfuge trop usé ne marche plus, tant la classe dirigeante dans son ensemble est discréditée. Les manifestants brandissaient de fausses potences pour y pendre des pantins à l’effigie des chefs des différents partis politiques. Finalement, la mobilisation a contraint le gouvernement Diab à la démission, le 10 août. Mais faute d’une direction au mouvement, c’est le même Diab qui continue de diriger aujourd’hui un gouvernement « de transition », tandis que de longues négociations visant à former un nouveau gouvernement se tiennent au sein de la classe dirigeante, sous l’œil attentif de la bourgeoisie impérialiste.

Le rôle de l’impérialisme français

Comme un vautour plongeant sur un cadavre, Emmanuel Macron est arrivé à Beyrouth moins de 48 heures après l’explosion. Il prétendait venir en aide au peuple libanais, mais il s’agissait en réalité de « proposer » (c’est-à-dire d’imposer) au Liban des « réformes indispensables », celles du FMI, qui visent à renforcer la domination de l’impérialisme sur le pays. D’ailleurs, les impérialistes ne s’en cachent pas : le même jour, Kristalina Gueorguieva, directrice générale du FMI, déclarait à propos du Liban : « Il est essentiel de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les discussions sur l’adoption de réformes fondamentales ». On peut observer dans le monde entier la réalité de ces « réformes structurelles » promues par le FMI : c’est une succession de mesures d’austérité visant à faire payer la crise du capitalisme aux jeunes, aux pauvres et aux travailleurs. Pareillement, la véritable nature de « l’aide française » est mieux représentée par les gaz lacrymogènes « Made in France » tirés par la police libanaise que par les larmes de crocodile d’Emmanuel Macron.

Après l’explosion, Macron a été le premier dirigeant étranger à se rendre à Beyrouth, marque des « relations privilégiées » entre la France et le Liban, que nos dirigeants évoquent avec des trémolos dans la voix. Il y a là un fond de vérité : le système politique libanais, basé sur le sectarisme et les divisions religieuses, a été créé et perfectionné par la France à l’époque coloniale. L’indépendance formelle du Liban a été négociée, après la Deuxième Guerre mondiale, avec comme condition de conserver ce système sectaire, dans le but de maintenir la mainmise de l’impérialisme – et pour permettre à la classe dirigeante libanaise de diviser la population.

Sous le capitalisme, un petit pays comme le Liban ne peut échapper à la domination de l’impérialisme, qui règne en favorisant les divisions sectaires et en s’appuyant sur des dirigeants corrompus. C’est avec cette situation infernale qu’il faut rompre.

Les masses libanaises ont fait chuter deux gouvernements en moins d’un an. Mais cette magnifique énergie ne suffit pas. En août, les travailleurs libanais n’ont manqué ni d’unité, ni de courage. Si Diab a pu se maintenir au pouvoir, c’est que les manifestants n’avaient ni programme, ni gouvernement à mettre à sa place, pour servir leurs intérêts. Pour que le prochain mouvement des travailleurs libanais se conclue autrement que par une nouvelle séance de chaises musicales entre politiciens bourgeois, il faudra un programme et une organisation à la hauteur de l’enjeu.

Article publié le 5 août sur In Defence of Marxism, au lendemain de l'explosion.


Une explosion massive a causé une destruction et un carnage immenses hier, dans la capitale libanaise. Cette tragédie était un désastre prévisible qui provoquera la colère des masses contre la clique corrompue au sommet de la société. Seule la lutte de la classe ouvrière peut mettre un terme à cette situation intolérable, écrit Alan Woods.


Beyrouth s’est levée ce matin pour constater les conséquences sinistres d’une explosion catastrophique qui a dévasté le centre de la capitale libanaise, détruisant des immeubles, renversant des voitures et d’autres véhicules, et faisant voler en éclats des fenêtres sur une large zone.

Au fil des ans, Beyrouth a connu de nombreuses scènes terrifiantes de destruction, mais il s’agit peut-être de l’évènement le plus choquant à avoir frappé la ville.

Des vidéos prises par des gens montraient de denses nuages de fumée, rapidement suivis par une explosion et une onde de choc sur un grand nombre de kilomètres. La première explosion a été suivie par une nouvelle explosion, bien plus grosse, qu’on pouvait entendre jusqu’à Chypre.

Un gigantesque nuage en forme de champignon, qui ressemblait de manière sinistre à ceux qui suivent une explosion nucléaire, s’est élevé dans le ciel au-dessus de la ville. L’explosion a déchaîné les enfers, les immeubles s’effondraient et des tonnes de verre retombaient comme une pluie d’obus sur une foule terrorisée.

Des centaines de personnes désorientées et recouvertes de sang erraient dans les rues à la recherche d’une aide. Mais les hôpitaux de Beyrouth – déjà surpeuplés par la pandémie de coronavirus – étaient pleins à craquer. Et beaucoup de gens doivent encore être enterrés sous les décombres, ce à quoi a été réduit le centre de cette fière ville.

Le nombre exact de morts est encore inconnu, mais il doit être bien plus important que les premiers rapports qui parlaient de « dizaines » de victimes. C’était un moment de la journée où d’habitude les gens se promènent dans les rues, quand les plus fortes chaleurs de la journée sont finies. Et c’est arrivé au port, une zone remplie de bars et de restaurants.

La direction de la Croix-Rouge libanaise dit qu’il y a plus de 4000 blessés, certains dans un état critique, et que le nombre de morts doit atteindre la centaine. Au vu de l’échelle de la dévastation, même ces chiffres paraissent prudents.

Beaucoup de gens sont encore portés disparus. Certaines victimes sont encore piégées sous des immeubles écroulés, alors que les équipes de sauvetage continuent de fouiller les décombres du port, au risque de leur propre vie, dans la mesure où les structures endommagées sont instables et menacent de s’effondrer.

L’explosion a détruit au port des silos à grains essentiels. Le pays dépend de l’importation pour environ 80 % de son approvisionnement en blé. Mais le port de Beyrouth sera hors service pour quelque temps.

C’est une tragédie humaine d’une ampleur véritablement apocalyptique. Et elle aura des conséquences graves pour le Liban.

La crise au Liban

Cette explosion horrible a secoué la société libanaise en profondeur. Elle survient après que le pays a été mis en pièce par des crises économique, sociale, politique.

La crise économique a contraint la majorité de la population à la pauvreté. Les travailleurs libanais sont confrontés à une situation horrible, où le cours de la monnaie s’effondre, les prix montent en flèche, et le chômage est croissant. De plus en plus de travailleurs ne sont plus en capacité de se nourrir.

Les politiciens paniqués, qui craignent la réaction d’une population en colère, redoublent d’efforts dans une tentative désespérée de sauver un tant soit peu leur autorité, qui était déjà réduite à néant avant la calamité actuelle.

Désormais, ils promettent tout : le châtiment des coupables ; la reconstruction des maisons ; la réparation d’un million, ou plus, des fenêtres détruites par l’explosion – le tout payé par le gouvernement.

Le Premier ministre libanais Hassan Diab a promis que les responsables de l’explosion allaient en « payer le prix ». Il a déclaré que la catastrophe d’aujourd’hui a été causée par l’explosion de 2700 tonnes de nitrate d’ammonium, qui peut être utilisé pour fabriquer des engrais et des explosifs.

Mais il serait bien plus facile d’accomplir les miracles promis que de restaurer la mauvaise réputation de la clique dirigeante. Personne ne croit plus à ce gouvernement. Personne ne croit ce qu’il dit. Maintenant, la population exige des explications pour le désastre qui a frappé.

Qui est responsable ?

La première hypothèse qui a surgi, et convaincu beaucoup de gens, a été celle d’une attaque terroriste. Étant donné l’extrême instabilité de la région, et la vulnérabilité particulière du Liban, une telle possibilité ne pouvait pas être écartée. Mais il ne semble pas, à ce jour, que ce soit l’explication la plus probable.

Une autre conjecture était l’intervention d’une puissance étrangère. En effet, le Liban a longtemps été l’objet de diverses ingérences, ce qui rend cette supposition relativement crédible. On pourrait alors facilement suspecter Washington, en raison de l’attitude agressive de Donald Trump vis-à-vis de l’Iran, qui ferait du Liban une cible très probable.

Mais dans cette région explosive, les Américains ont appris dans la douleur qu’il est dangereux de s’impliquer trop ouvertement dans les pays du Moyen-Orient. S’ils avaient voulu s’engager dans de telles activités terroristes, ils auraient eu recours aux services de leurs amis en Israël.

Les relations entre le Liban et Israël se sont fortement tendues ces derniers temps, avec un embrasement croissant des tensions à la frontière entre les deux pays. Il y a peu, une attaque israélienne en Syrie a tué un soldat du Hezbollah libanais, organisation qui a juré de le venger. Peut-on pour autant accuser Israël ?

Le gouvernement israélien a immédiatement démenti toute responsabilité dans l’explosion à Beyrouth. De tels démentis officiels doivent bien sûr être pris avec des pincettes. Mais il se pourrait bien que celui-ci soit correct.

De plus, un tel démenti est contraire aux méthodes diplomatiques habituelles d’Israël. En effet, ses dirigeants répondent généralement à de telles accusations par une attitude ambigüe : ni démenti ni revendication. Un tel changement de stratégie est tout à fait insolite, ce qui devrait nous encourager à les croire – du moins pour cette fois-ci.

La réaction du gouvernement libanais est bien plus intéressante. Le chef de la sécurité intérieure a affirmé que l’explosion avait eu lieu dans une zone de stockage de matériaux explosifs. C’est possible, mais cette explication n’explique pas grand-chose.

Bien que la cause exacte de l’explosion ne soit pas encore claire, il est certain qu’une telle horreur n’aurait pas pu arriver sans la corruption omniprésente qui caractérise l’élite capitaliste au pouvoir, qui pille et exploite le Liban depuis des années.

Ce n’est qu’aujourd’hui, après une terrible catastrophe, que la plupart des Libanais ont appris que 2750 tonnes du très dangereux nitrate d’ammonium étaient stockées dans un hangar du port de la ville, et y sont restées pendant six ans.

Pourtant, les archives publiques et des documents publiés en ligne montrent que de hauts fonctionnaires libanais étaient, eux, déjà au courant de la présence du nitrate d’ammonium dans le hangar 12 du port de Beyrouth. Ils étaient tout à fait conscients du danger représenté par cette situation.

Un désastre prévisible

Al Jazeera a retracé le parcours de cette marchandise mortelle :

« Le chargement de nitrate d’ammonium est arrivé au Liban en septembre 2013, à bord d’un navire marchand russe battant pavillon moldave. Le Rhosus, selon les informations du site de suivi maritime Fleetmon, se dirigeait de la Géorgie vers le Mozambique.

Le bateau a été forcé d’amarrer à Beyrouth après avoir rencontré des problèmes techniques en mer, selon (PDF) les avocats représentant son équipage. Mais les fonctionnaires libanais ont empêché le navire d’accoster, et il a finalement été abandonné par ses propriétaires et son équipage, comme le confirme partiellement Fleetmon.

La dangereuse cargaison du cargo a ensuite été déchargée et placée dans le hangar 12 du port de Beyrouth, une grande structure grise attenante à l’autoroute nord-sud, premier axe routier du pays, à l’entrée de la capitale.

Des mois plus tard, le 27 juin 2014, le directeur des douanes libanaises de l’époque, Shafik Merhi, a envoyé une lettre adressée à un anonyme “juge des affaires urgentes”, demandant l’évacuation du stock menaçant, selon des documents diffusés en ligne.

Les douaniers ont envoyé au moins cinq autres lettres au cours des trois années suivantes – le 5 décembre 2014, le 6 mai 2015, le 20 mai 2016, le 13 octobre 2016 et le 27 octobre 2017 – pour demander des conseils. Ils ont proposé trois options : exporter le nitrate d’ammonium, le remettre à l’armée libanaise, ou le vendre à la compagnie libanaise (privée) des explosifs.

Une lettre envoyée en 2016 déplorait l’absence de réponse des juges aux requêtes précédentes.

Les auteurs imploraient :

“Au vu du danger sévère que représentent ces biens entreposés dans le hangar, dans des conditions climatiques inappropriées, nous réaffirmons notre demande : que l’agence marine soit contactée pour ré-exporter immédiatement les marchandises, pour préserver la sécurité du port et de ses travailleurs, ou qu’il soit envisagé de les vendre à la compagnie libanaise des explosifs.

Une fois encore, ils n’ont obtenu aucune réponse.

Un an plus tard, Badri Daher, le nouveau directeur de l’administration libanaise des douanes, a de nouveau écrit à un juge.

Dans sa lettre du 23 octobre 2017, Daher poussait le juge à prendre une décision à ce sujet, au vu du ‘danger [...] à laisser ces marchandises au lieu où elles sont, et pour ceux qui travaillent à cet endroit.”

Près de trois ans plus tard, le nitrate d’ammonium était toujours dans le hangar. »

Un régime capitaliste corrompu

Des journalistes et observateurs étrangers, dont on ne sait s’il faut plaindre la bêtise ou la naïveté, se demandent comment il est possible que de si grandes quantités de matériaux hautement explosifs aient pu être stockées si longtemps (depuis 2014, apparemment) au milieu d’un quartier fortement peuplé, en plein cœur de la capitale du pays.

Ils doivent trouver cela surprenant. Et le plus étonnant, c’est que personne n’a jamais posé de questions au sujet de cette incroyable situation. Aucune inspection n’a jamais été menée – ou, du moins, aucun signalement n’en est jamais ressorti – personne n’a jamais été inquiété, et cette énorme poudrière a été laissée sans surveillance jusqu’à ce qu’elle fasse exploser le port de Beyrouth.

Mais personne ne s’en étonne et ne pose de telles questions au Liban, et pour cause. Les habitants connaissent la réponse depuis bien longtemps : c’est ainsi que les affaires publiques sont menées dans le pays. Il en a toujours été ainsi et il en sera toujours de même tant que le régime pourri sera en place.

Les Libanais savent pertinemment que le problème vient de la gestion calamiteuse d’un État rongé par la corruption de la classe capitaliste. Le port de Beyrouth est surnommé localement « la caverne d’Ali Baba et des 40 voleurs », tant y abondent le détournement et le blanchiment d’argent public, et les pots-de-vin versés pour éviter les droits de douane.

Les politiciens et les bureaucrates s’en sortent ainsi depuis des décennies, mais la patience des masses libanaises semble avoir atteint ses limites. L’explosion du 4 août est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Cité par Al Jazeera, le sociologue et militant politique libanais Rima Majed disait ainsi :

« Beyrouth n’est plus, et ceux qui ont dirigé ce pays lors des dernières décennies ne s’en sortiront pas comme ça. Ce sont des criminels, et ceci est à ce jour le plus grand de leurs (trop nombreux) crimes. »

Un effondrement économique

Cette bande de voleurs corrompus jusqu’à la moelle qui dirige le pays était au pouvoir lors d’un effondrement économique sans précédent. Une chute impressionnante de la livre libanaise (la lira) lui a fait perdre une part importante de sa valeur.

Mais, tandis que le taux de change officiel était d’un dollar américain pour 1500 livres, on pouvait troquer sur le marché noir 4300 livres contre un dollar. Les riches ont ainsi pu spéculer sur les devises et en tirer de remarquables profits. Ils se sont encore enrichis, alors que l’hyperinflation détruisait les conditions de vie des pauvres et liquidait l’épargne de la classe moyenne.

Une poignée de capitalistes richissimes s’est alors constitué une incroyable fortune à force d’arnaques, de vols et de corruption. Ils ont pillé les finances publiques, s’enrichissant en creusant le déficit public, jusqu’à forcer le gouvernement libanais à faire défaut au mois de mars. Ils ont littéralement réduit leur pays à la banqueroute.

Le gouvernement tourne désormais ses espoirs vers une aide du FMI, et des emprunts internationaux. Mais les bourgeois étrangers n’ont pas été séduits par l’idée de renflouer – à grands frais – les escrocs corrompus de Beyrouth.

Ce n’est pas tant l’aspect moral de la corruption qui les a ainsi inquiétés, mais plutôt le risque (très probable) que ces messieurs de Beyrouth empochent l’argent et accumulent de nouvelles dettes, qu’ils ne seraient pas davantage capables de rembourser.

Aussi ne se sont-ils pas précipités pour aider le Liban, jusque là. Maintenant, cependant, face à l’effroyable tragédie humaine, ils seront forcés de donner au moins quelque chose. Pas tant pour des raisons humanitaires, encore une fois, mais par peur des conséquences d’un effondrement complet du pays, qui pourrait déstabiliser la région.

La prétendue solidarité internationale ne résoudra pas pour autant les problèmes du Liban : empiler de nouvelles dettes ne sera jamais une solution pérenne. Aucun problème ne sera résolu et ce sera finalement au peuple libanais de payer la facture.

De plus, l’épidémie de COVID-19, qui a particulièrement touché le Liban, a ajouté à la misère générale. Les travailleurs se sont trouvés devant une cruelle alternative : mourir de faim chez eux ou sortir et risquer d’être contaminés par le virus mortel.

Chassez-les tous !

Tant que la vie au Liban sera contrôlée par une poignée de milliardaires cupides et par leurs marionnettes politiques corrompues, rien ne changera fondamentalement.

Le Hezbollah, qui prétend se tenir aux côtés des plus démunis, a dirigé un gouvernement d’unité nationale depuis les élections de 2018. Mais qu’a-t-il fait pour les pauvres et la classe ouvrière ? Plutôt que de les aider, il a mené des politiques d’austérité, qui vont complètement à l’encontre de leurs intérêts.

Le nouveau gouvernement libanais, dirigé par Hassan Diab, a complètement échoué à résoudre les problèmes du pays. Personne ne devrait s’en étonner, et d’ailleurs, personne ne s’en étonne. En effet, le gouvernement est soutenu par le Hezbollah, le Mouvement Hamal, et le Mouvement Patriotique Libre.

Or, ces mêmes partis et politiciens composaient déjà le gouvernement précédent, qui a dirigé le pays pendant plus de deux ans. Ce n’est donc pas un gouvernement de changement, mais une nouvelle incarnation du statu quo qui a mené le Liban dans l’impasse qu’il connaît aujourd’hui.

Aucune confiance ne peut plus être placée dans les demi-mesures des politiciens au pouvoir. Ils doivent tous être remplacés. Les masses ne peuvent compter que sur leurs propres forces.

Des changements fondamentaux nécessaires

L’an dernier, le pays a été agité par des manifestations de masse, unissant les différentes sections de la classe exploitée contre le gouvernement, par-delà les divisions sectaires et religieuses.

Dans un petit pays de six millions d’habitants, près de deux millions de manifestants sont descendus dans les rues pour demander la chute du gouvernement. Ce mouvement a fortement inspiré les travailleurs et les jeunes, dans tout le Moyen-Orient - et même tout autour du monde.

Même la pandémie de coronavirus n’a pas pu arrêter la révolution. Le 28 avril, les travailleurs sont redescendus dans les rues du Liban, décidés à affronter le gouvernement, dans un rapport de force assumé.

Travailleurs et jeunes du Liban !

Le temps est venu de mettre fin à cette situation intolérable.

Ce qu’il faut accomplir, ce n’est pas telle ou telle réforme, mais un changement fondamental, radical : une révolution.

Vous détenez entre vos mains un immense pouvoir. Pas une ampoule ne brille, pas une roue ne tourne, pas un téléphone ne sonne sans la permission de la classe ouvrière.

Il est nécessaire de mobiliser cette force pour renverser le régime féroce, corrompu et injuste qui a conduit votre pays dans cette lamentable impasse.

N’écoutez pas ceux qui essaient de vous persuader de quitter les rues, d’attendre des temps meilleurs, de croire que les mêmes qui vous ont réduit à la ruine feront désormais des miracles pour vous servir.

C’est un mensonge, un mensonge flagrant et scandaleux – comme tous les autres mensonges dont on vous a gavé pendant si longtemps.

Vous ne pouvez avoir aucune confiance dans le gouvernement, et dans aucun des partis et des dirigeants qui le soutiennent – directement ou indirectement.

Ceux qui tentent de vous diviser sur des bases sectaires ou religieuses sont des ennemis dangereux et contre-révolutionnaires. La seule force de la classe ouvrière est dans son unité et nous devons combattre sans relâche tous ceux qui cherchent à l’ébranler.

Chrétiens et musulmans, sunnites et chiites, hommes et femmes, jeunes et vieux : tous les opprimés et les exploités doivent s’unir contre l’ennemi commun. L’union fait la force ! Que ce slogan soit le mot d’ordre de la révolution socialiste libanaise !

Les masses ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Une fois mobilisées pour changer la société, aucun pouvoir sur terre ne pourra les arrêter !

Nous publions une lettre qui nous a été envoyée par un camarade de la Tendance Marxiste Internationale qui visite actuellement Beyrouth et est témoin des événements révolutionnaires se déroulant au Liban.


Lorsque je suis arrivé à Beyrouth il y a dix jours, en congés, j’ai immédiatement essayé d’avoir une idée de la situation politique et de l’état d’esprit des habitants d’ici. J’ai demandé aux deux colocataires avec lesquels je réside ce qu’ils pensaient de la perspective d’une révolution libanaise : « Impossible, cela ne se produira jamais ici » ont-ils répondu en riant, dans une posture nihiliste qui cache leur désespoir. « Tout est foutu, mais personne ne fait rien. » A leur scepticisme, j’ai répondu : « Il y aura toujours un point de rupture qui déclenchera un mouvement révolutionnaire. » Bien que tous deux participent encore activement à des manifestations, ils ont perdu espoir suite aux actions de protestation en 2015, lors de la crise des déchets. « Il y aurait dû y avoir un point de rupture », m’ont-ils déclaré.

Dans une boutique d’objets artistiques, j’ai interrogé à ce sujet un commerçant communiste, la nuit précédant l’explosion des protestations ; les réponses ont été similaires. S’exclamant « tovarich » [« camarade » en russe, NDT] avec enthousiasme, il était plus excité par l’idée de rencontrer un camarade que par celle d’une révolution libanaise.

Lors de la première nuit des manifestations, tandis que nous nous tenions tous deux à l’arrière, nous protégeant des gaz lacrymogènes, j’ai parlé avec un homme qui regardait les milliers de Beyrouthins prenant courageusement les rues pour exiger le renversement du gouvernement. « Que pensez-vous qu’il arrivera ? » ai-je demandé. « Rien, rien ne changera ».

La révolte a explosé spontanément la nuit de jeudi, après l’annonce d’une taxe sur Whatsapp [une application mobile de messagerie instantanée, NDE], parmi d’autres nouvelles mesures d’austérité. Les politiciens et capitalistes libanais essayent d’imposer toujours plus d’austérité alors que les travailleurs continuent de souffrir. Le taux de chômage du pays atteint les 30 %, la dette publique s’élève à 150 % du PIB et le salaire minimum est de 450 dollars, tandis que le coût de la vie explose et que la monnaie est dévaluée. C’est le point de rupture : après des années de rage latente et d’attaques sur le niveau de vie, les masses du Liban sont en mouvement. Mes colocataires restaient toujours sceptiques : « Est-ce réel ? »

Les deux premières nuits ont été marquées par des barricades et des incendies, avec une foule de manifestants bloquant le tunnel menant à l’aéroport afin que les politiciens ne puissent pas fuir le pays. Les deux nuits se sont terminées violemment, sous l’action de la police et de l’armée, avec quelques émeutes et bris de vitrines par des manifestants frustrés.

Au cours des jours suivants, le nombre de manifestants a grossi. Samedi, ils étaient environ 300 000 rien qu’à Beyrouth et 1,2 million à travers le pays (sur une population de 6 millions). Malgré la répression brutale de l’Etat – à grand renfort de canons à eau, de gaz et de tabassage –, les gens sont descendus dans la rue pour la quatrième journée consécutive.

Alors que j’écris ces lignes, il semble qu’il y ait encore plus de manifestants [Selon les informations, plus de deux millions de personnes ont pris part aux manifestations de samedi, NDE]. Les masses libanaises font preuve d’une détermination et d’un courage incroyables dans leur effort pour renverser le gouvernement. Les gens en ont marre et sont furieux. Ils veulent du changement et dénoncent les responsables de leur situation. Il est évident que de nombreux manifestants sont dans les rues pour la première fois et ont atteint leurs limites.

Quelques exemples de slogans :

« Le peuple veut la chute du régime »
« Voleurs »
« Révolution »
« On emmerde les politiciens ! »

Et surtout :

« Tous, ça veut dire tous ! Nasrallah est l’un d’entre eux ! »

Ce slogan a émergé après l’allocution de Nasrallah, dirigeant du Hezbollah (qui fut un jour populaire). C’est un signe extrêmement positif du dépassement des partis politiques sectaires par les masses. Ce sentiment d’unité de la foule est perceptible depuis la première nuit. Dans un pays fracturé selon de profondes lignes sectaires, avec des gens normalement très loyaux envers leur famille politique, l’absence de drapeaux de partis politiques est très significative. Les Libanais commencent clairement à dénoncer le système dans son ensemble, ainsi que tous les politiciens qui ont mené le pays à la crise ; ils se battent ensemble, sur une base de classe.

Mes colocataires soutenaient que les scènes du samedi ressemblaient plus à un carnaval qu’aux deux premières nuits. Julia, une de mes colocataires, journaliste, a parlé à des enseignants, à des pêcheurs, des chômeurs, des étudiants, des jeunes et des familles. L’atmosphère était festive, avec beaucoup de musique et des drapeaux. Les manifestants ont repris des espaces publics et de vieux bâtiments abandonnés, les transformant en skate parks et en lieux de discussions.

Dans ses interviews, Julia a recueilli des réponses très cohérentes. Elle a ainsi demandé à Dima, une femme de 33 ans, pourquoi elle participait à la journée.

« Nous sommes ici comme tous les autres, parce que nous voulons vivre, rien de plus.
- Quelle est la solution ?
- Il n’y a pas d’autre solution que de faire ce que nous sommes en train de faire. Le gouvernement doit démissionner.
- Quelle sera l’étape suivante ? Y a-t-il d’autres politiciens qui pourraient prendre le pouvoir ?
- Non. Aucun n’est bon. »

Kemal, manifestant de 29 ans avec un master en comptabilité, n’a pas pu trouver d’emploi dans son domaine depuis qu’il a terminé ses études, il y a six ans.

« Nous voulons nos droits élémentaires. De la nourriture, de l’électricité, de l’eau ; ce sont les choses les plus importantes pour un être humain et le gouvernement n’est pas capable de les fournir.
- Quelle peut être la solution ?
- Donner aux gens ce qu’ils veulent.
- D’où venez-vous ?
- Ici, maintenant, au Liban, mon origine n’a aucune importance. Nous sommes ici pour obtenir les droits les plus basiques dont tout être humain devrait jouir. »

La première nuit des manifestations, des événements ont eu lieu près de notre appartement, dans un quartier périurbain du sud de Beyrouth, généralement calme, loin de l’agitation de la ville. Julia est descendue pour parler aux manifestants, tous de jeunes hommes dans la vingtaine d’années ; le plus jeune avait 14 ans.

Ali, 21 ans, toujours à la recherche d’un emploi, a affirmé : « Nous ne manifestons par contre la taxe Whatsapp, mais pour de l’électricité, de l’eau, du pain. » D’autres criaient : « Ce pays est complètement foutu ! », « nous voulons vivre, nous voulons la justice ! »

Le plus jeune d’entre eux est intervenu soudainement : « Ils nous tuent chaque jour ! La pollution est partout, il n’y a plus de nature ! » Il est possible qu’il ait fait référence aux violents feux de forêt qui ont ravagé le Liban, et auxquels le gouvernement a apporté une réponse totalement inefficace.

Les manifestations se sont étendues à tout le pays et notamment aux villes de Tripoli, Sidon, Tyr, Nabatiye, Baalbek, Ghazir et Beqaa, dans une impressionnante vague de colère contre l’establishment politique, balayant les lignes sectaires. La portée géographique de ces manifestations témoigne d’un développement massif et significatif de la conscience.

Les masses dépassent les divisions religieuses et se soulèvent contre la corruption, la pauvreté et l’élite. Certains appellent à une nouvelle constitution démocratique et laïque, sans les éléments sectaires et religieux. Nous soutenons vivement cette revendication !

Saad HaririMais ce n’est pas suffisant. Le Premier ministre Saad Hariri a une fortune estimée à 1,5 milliard de dollars. Avec une poignée d’autres super riches, lui et ses acolytes dominent l’ensemble de la société aux dépens de millions de travailleurs et de pauvres. Ils devraient être expropriés de leurs richesses, au bénéfice de l’ensemble de la société ! Les travailleurs ne doivent pas payer pour une crise dans laquelle ces voleurs les ont emmenés.

Ce gouvernement est hautement impopulaire et semble sincèrement effrayé par un mouvement qui menace l’ensemble de l’establishment politique. Quatre ministres ont déjà démissionné.

Cependant, personne ne semble montrer la voie à suivre. Il est honteux qu’aucune organisation de travailleurs, qu’aucun syndicat n’aient montré ni direction ni la moindre foi en la classe ouvrière, pas même le Parti Communiste Libanais.

Comme le disait Trotsky, la situation politique mondiale dans son ensemble est caractérisée par la crise historique de la direction du prolétariat : la crise de la direction révolutionnaire. C’est exactement pour cette raison qu’il faut construire une organisation révolutionnaire.

Ces événements marquent le début d’une révolution au Liban. Ils doivent être renforcés par une grève générale nationale qui renversera le gouvernement une fois pour toutes. Aucune roue ne tourne, aucune ampoule ne brille sans la permission des travailleurs. La classe ouvrière ne peut compter que sur ses propres forces pour avancer. Si le gouvernement ne sert pas le peuple, le peuple doit gouverner !

Thawra hatta al-nasr ! Révolution jusqu’à la victoire !

La défaite de l’invasion israélienne du Liban, en 2006, a eu des conséquences sociales et politiques majeures en Israël, mais aussi et surtout au Liban, comme en témoignent les événements récents. Dans la foulée de la guerre, les puissances impérialistes qui avaient soutenu l’invasion – dont la France – réclamaient le désarmement du Hezbollah. Chirac avait même envoyé un contingent militaire, sur place, dans l’objectif officiel d’accomplir cette mission. C’était pourtant absolument exclu. Comme nous l’écrivions au lendemain de la guerre :

« L’armée française et les autres contingents de la FINUL ne pourront pas désarmer le Hezbollah. La FINUL ne pourra pas faire ce dont l’armée israélienne s’est montrée incapable. Et ce ne sont pas quelques chars Leclerc qui y changeront quoi que ce soit. Les chars tout aussi puissants – et bien plus nombreux – de l’armée israélienne se sont révélés complètement impuissants face à la résistance libanaise. La moindre tentative de désarmer le Hezbollah, de la part de la France ou des autres pays participant à la force multinationale, déclencherait immédiatement une nouvelle guerre. […]

« En ce qui concerne le Hezbollah, ses capacités militaires sont de toute évidence intactes. Les dégâts infligés par l’offensive israélienne seront très rapidement surmontés. Si les dirigeants du Hezbollah décidaient de lancer à nouveau des roquettes sur Israël, qui les en empêcherait ? Pour le moment, loin d’être désarmée, la milice du Hezbollah est en train de se réarmer pour pouvoir riposter non seulement aux éventuelles incursions ou frappes épisodiques venant d’Israël, mais aussi contre toute tentative, de la part des forces armées françaises ou italiennes, de réduire ses capacités militaires. La France ne maintient pas la paix au Liban. La « paix » au Liban – sur fond de destructions massives – repose non sur la présence française ou italienne, mais simplement sur la déroute de l’armée israélienne. »

Les événements récents démontrent que notre évaluation du rapport de forces au Liban était correcte. Ils ont servi à démontrer l’extrême faiblesse de l’Etat libanais. Après avoir misé sur une victoire israélienne en 2006, la classe dirigeante libanaise cherche désespérément à rétablir son autorité, au détriment du Hezbollah.

Le gouvernement a annoncé sa décision de démanteler le réseau téléphonique dont dispose le Hezbollah et de révoquer un officier responsable de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, considéré comme un sympathisant du Hezbollah. Le Hezbollah a immédiatement réagi en déclenchant un mouvement insurrectionnel. En l’espace de 48 heures, la moitié de la capitale et l’aéroport étaient sous son contrôle. Le commandement de l’armée a fini par recommander au gouvernement l’abandon pur et simple des mesures à l’origine du conflit.

Le résultat de cette épreuve de force constitue un nouveau revers pour les impérialistes américains, français et israéliens. Les médias capitalistes évoquent la possibilité d’une nouvelle guerre civile au Liban. Cette perspective n’a malheureusement rien de fantaisiste. Marx et Engels expliquaient qu’en dernière analyse, l’Etat se réduit aux forces armées. De ce point de vue, deux « Etats » coexistent actuellement au Liban : celui qui repose sur l’armée libanaise – dont l’impuissance vient de s’étaler aux yeux de tous – et celui que constitue la milice du Hezbollah.

Les médias capitalistes utilisent la perspective d’une guerre civile comme un argument pour le désarmement du Hezbollah. Mais les masses chiites voient le problème autrement. Et pour cause. Plus que toutes les autres catégories de la population, ce sont les chiites qui subissent la misère et l’oppression. Surtout, ils étaient les premiers frappés par les conséquences catastrophiques de l’occupation israélienne du Sud-Liban, entre 1978 et 2000. Pour eux – et ils ne se trompent pas, sur ce point –, le désarmement du Hezbollah signifierait une nouvelle invasion israélienne. Pour cette raison, les négociations présidées par la Ligue Arabe ne peuvent rien résoudre. Malgré le compromis qui a été trouvé sur la question de la présidence, les appels au désarmement du Hezbollah resteront lettre morte.

Le moment choisi pour la provocation du gouvernement met en relief une autre dimension de la situation libanaise, que les médias préfèrent ignorer. Les organisations syndicales libanaises avaient préparé une grève générale pour l’augmentation du salaire minimum. Face à cette menace de grève, le gouvernement avait accepté de porter ce minimum de 150 euros à 225 euros. Mais compte tenu de l’augmentation générale des prix, dont surtout ceux de la nourriture et de l’essence, les syndicats ont maintenu leur mot d’ordre de grève en réclamant 400 euros par mois. De nombreuses grèves et manifestations des travailleurs ont eu lieu, au cours de la dernière période. La misère et le chômage se généralisent, et la spirale inflationniste ronge le niveau de vie de tous les travailleurs, indépendamment de leur appartenance religieuse ou communautaire. Des manifestations ont eu lieu, à Beyrouth comme à Damas, en solidarité avec les travailleurs égyptiens qui s’insurgent contre la vie chère, malgré la répression brutale de leur mouvement par le gouvernement Moubarrak.

La provocation d’un conflit avec le Hezbollah avait pour objectif de contrecarrer le mouvement de grève. Cette manœuvre a réussi – temporairement. Le fracas des armes a rendu les revendications syndicales inaudibles. Mais la lutte des classes au Liban ne s’arrêtera pas pour autant. A travers l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique, les travailleurs entrent en action contre la hausse des prix. Les médias qualifient ces mouvements d’« émeutes de la faim ». Des émeutes, il y en a eu – au Kenya et à Haïti, par exemple. Mais les grèves et les manifestations en Egypte sont d’une toute autre nature. Il s’agit d’une mobilisation de la classe ouvrière égyptienne, chose que les médias internationaux n’ont pas envie de porter à la connaissance des travailleurs du reste du monde !

Quels sont les objectifs des chefs du Hezbollah, au Liban ? Il ne s’agit nullement de renverser l’ordre établi, ni même de contester la politique pro-capitaliste du gouvernement. Au contraire, ils soutiennent publiquement la politique économique de Hariri. La prise de contrôle de Beyrouth-Ouest et de l’accès à l’aéroport visait avant tout à leur donner plus de poids dans la lutte pour le « partage du gâteau » libanais.

Le rôle déterminant du Hezbollah dans l’échec de l’invasion israélienne, en 2006, n’enlève rien au caractère réactionnaire et pro-capitaliste de ce mouvement. Les chefs du Hezbollah exploitent le mécontentement, l’oppression et les souffrances de la population chiite. Ils détournent la colère populaire à leurs propres fins politiques, mais n’ont aucun programme susceptible d’y remédier. Du fait de son caractère religieux et de ses rapports avec le régime réactionnaire d’Iran, le Hezbollah ne pourra jamais gagner le soutien des populations non-chiites.

Le Parti Communiste libanais reste la seule organisation politique disposant d’une base significative dans le mouvement ouvrier et de la capacité d’attirer sous sa bannière les couches exploitées de toutes les communautés religieuses. Mais cela implique l’abandon de sa politique actuelle, qui oscille entre la soumission à la direction du Hezbollah et des appels soporifiques au « dialogue » entre partis politiques. L’avenir du Liban, quel qu’il soit, ne ressemblera pas à un « dialogue ». Il sera fait d’affrontements violents. Malgré la défaite de 2006, les impérialistes américains, français et israéliens n’hésiteront pas à intervenir pour défendre leurs intérêts et ceux de la classe dirigeante libanaise. Les régimes au pouvoir en Iran et en Syrie ont, eux aussi, des intérêts à défendre au Liban. A terme, seul le socialisme pourra empêcher le Liban de sombrer dans une nouvelle guerre civile et d’être démembré sur des bases communautaires et religieuses.

Le Parti Communiste libanais a besoin d’une politique indépendante, d’une politique de classe. Ceci n’exclut pas des alliances épisodiques avec d’autres forces de masse – dont le Hezbollah, sur des questions précises, comme par exemple la résistance à une nouvelle invasion israélienne. Cependant, il faut expliquer patiemment – mais clairement – aux travailleurs et aux jeunes chiites que le sectarisme des chefs du Hezbollah les mène dans une impasse. Le PC doit avoir sa propre politique, qui explique les intérêts de classe qui animent les dirigeants du Hezbollah. Son programme doit lier la lutte sur les salaires et d’autres revendications sociales à la nécessité d’un Liban socialiste et d’une fédération socialiste du Moyen-Orient. C’est la seule la façon de mettre un terme définitif à toutes les discriminations à l’encontre des différentes composantes nationales et religieuses.

L’échec de l’agression israélienne contre le Liban constitue un revers important non seulement pour l’Etat israélien, mais aussi pour toutes les puissances occidentales – et notamment les Etats-Unis et la France. Elle aggrave encore plus les difficultés dans lesquelles s’enlise l’impérialisme américain au Moyen-Orient. L’intervention de l’armée française au Liban a eu lieu dans des conditions bien différentes de ce qu’avaient imaginé Bush et Chirac avant la guerre.

Depuis le retrait de l’armée syrienne du Liban, en avril 2005, l’impérialisme israélien et les stratèges du Pentagone pensaient pouvoir porter un coup décisif aux milices du Hezbollah dans le Sud-Liban, et affaiblir par la même occasion la position de la Syrie et de l’Iran dans la région. Dans ce domaine, les intérêts de l’impérialisme français coïncidaient largement avec ceux d’Israël et des Etats-Unis. Il avait tout à gagner d’un affaiblissement de la Syrie et de l’Iran et d’un « rééquilibrage » des pouvoirs au profit des capitalistes libanais pro-occidentaux qui, dans le passé, formaient la base sociale et politique de l’influence de l’impérialisme français dans ce pays.

En même temps, la France et les Etats-Unis sont des puissances rivales. La réticence initiale de l’Elysée au sujet de l’invasion israélienne n’était pas motivée par un penchant « traditionnel » pour le « dialogue au lieu de la guerre », comme le prétend Chirac. Historiquement, le capitalisme français a construit sa position mondiale dans le sang de peuples colonisés par la force. Il n’a rien à envier à l’impérialisme américain en matière de massacres et de destructions dans la poursuite de ses intérêts, comme on l’a vu ces dernières années en Afrique noire, par exemple. Lors du déclenchement de l’agression israélienne, la ligne plus « modérée » de l’impérialisme français, par rapport à la Maison Blanche ou Tel-Aviv, avait essentiellement la même origine que son opposition à l’invasion américaine de l’Irak, à savoir sa propre faiblesse par rapport aux Etats-Unis, et la crainte de voir s’effacer davantage le peu d’influence qui lui reste dans les affaires de la région.

Objectifs impérialistes

La politique étrangère de la France est une question très importante pour nous, communistes, comme pour l’ensemble du mouvement ouvrier. Trop souvent, les dirigeants du PCF, tout en contestant la politique de la droite sur le plan intérieur, cautionnent sa politique étrangère. Ce fut le cas au sujet de la guerre en Irak et c’est le cas, aujourd’hui, pour l’intervention française au Liban. Or, politiques intérieure et extérieure sont indissociables. Elles poursuivent nécessairement les mêmes buts. Aux attaques incessantes contre les droits et les conquêtes sociales des travailleurs, en France, correspond la politique tout aussi réactionnaire de l’impérialisme français à l’étranger. Le rôle du PCF ne devrait pas être de s’aligner aveuglement derrière « la position française », et cela vaut aussi bien pour l’opposition de l’impérialisme français à la guerre en Irak que pour l’intervention militaire de la France au Liban, cette fois-ci avec la bénédiction de l’impérialisme américain. Le PCF devrait exiger le retrait des troupes françaises du Liban, tout comme il exige le retrait des troupes américaines en Irak. Nous avons le devoir de démasquer systématiquement les mensonges « pacifistes » et « humanitaires » de tous les impérialismes – à commencer par l’impérialisme français – derrière lesquels ils dissimulent les véritables objectifs de leurs opérations.

Rappelons que dans la période qui a précédé la guerre en Irak, les compagnies pétrolières françaises avaient signé des pré-accords leur donnant un accès prioritaire aux champs pétroliers irakiens, dans la perspective d’une levée de l’embargo. Lors de la première guerre du Golfe, la France avait soutenu la mise en place de l’embargo, dont on connaît les conséquences désastreuses pour la population irakienne. Mais par la suite, elle a proposé de faire pression pour y mettre fin, en échange de contrats lucratifs. Chirac savait que l’invasion américaine et le renversement de Saddam Hussein allait réduire ce projet à néant. Même si la France avait participé à l’invasion, les compagnies américaines auraient nécessairement eu la priorité, étant donnés la faiblesse de la France par rapport aux Etats-Unis et les moyens militaires dérisoires qu’elle pouvait apporter à l’opération. Chirac était persuadé que l’invasion américaine signifierait une mise à l’écart de la France. Il n’avait pas tort. L’invasion a complètement annihilé l’influence de l’impérialisme français en Irak. La « position française » défendue par Chirac n’avait donc rien de progressiste ou de pacifiste, et le devoir des communistes était de dire les choses telles qu’elles étaient, en exposant les intérêts de classe qui se cachaient derrière la posture « pacifiste » de l’impérialisme français.

Au Liban, tout en partageant les objectifs stratégiques des Etats-Unis, Chirac a cherché – et encore une fois, en vain – à éviter une attaque israélienne qui, en cas de succès, aurait avant tout conforté les positions d’Israël et des Etats-Unis, au détriment des ambitions de la France. Ceci explique pourquoi la diplomatie française voulait à tout prix faire partie d’une force multinationale qui s’installerait au Liban après le succès attendu de l’attaque israélienne. La présence de l’armée française, dans ces conditions, aurait été un atout pour l’impérialisme français. L’administration Bush, pour sa part, n’ayant pas de troupes disponibles en raison de son enlisement en Irak et en Afghanistan, et confiante de la possibilité de conserver une influence déterminante au Liban par le biais d’Israël, voulait bien accorder une certaine place à la France. Qui plus est, des soldats américains auraient été une cible privilégiée pour les miliciens libanais. D’où la résolution « franco-américaine » 1701 de l’ONU.

Force de « maintien de la paix » ?

Cependant, l’échec de l’agression israélienne a créé une situation radicalement différente de ce qu’attendaient Washington et Paris. Au lieu de récolter les fruits d’une victoire, l’intervention militaire française allait désormais avoir lieu dans un territoire plus que jamais sous le contrôle de la résistance libanaise. Tout d’un coup, la diplomatie française a manifesté beaucoup moins d’enthousiasme dans la mise en application de la résolution de l’ONU. Sa mission libanaise lui est apparue « mal définie » et « inacceptable en l’état ». Chirac ne pouvait pas se rétracter complètement sans perdre la face, mais il voulait limiter la participation des l’armée française à seulement 200 soldats. En fin de compte, sous la pression des Etats-Unis, le contingent français s’élèvera à quelques 2000 hommes, ce qui reste tout de même une force modeste au regard du contexte d’instabilité sociale, politique et militaire qui existe sur place.

L’armée française et les autres contingents de la FINUL ne pourront pas désarmer le Hezbollah. La FINUL ne pourra pas faire ce dont l’armée israélienne s’est montrée incapable. Et ce ne sont pas quelques chars Leclerc qui y changeront quoi que ce soit. Les chars tout aussi puissants – et bien plus nombreux – de l’armée israélienne se sont revélés complètement impuissants face à la résistance libanaise. La moindre tentative de désarmer le Hezbollah, de la part de la France ou des autres pays participant à la force multinationale, déclencherait immédiatement une nouvelle guerre, et la FINUL se trouverait dans une situation semblable à ce que connaissent les Etats-Unis en Irak. C’est précisément pour éviter cela à son armée qu’Israël excluait d’avance toute nouvelle occupation du Liban, même dans l’hypothèse d’un succès de son offensive. L’armée libanaise, elle aussi, est complètement incapable de désarmer la résistance. Si elle était lancée contre la résistance, elle se briserait aussitôt.

Il est complètement ridicule de prétendre que la France et l’Italie sont en train de « maintenir la paix ». Si l’Etat israélien ne lance pas une nouvelle attaque contre le Liban, c’est parce qu’il en est incapable. Il vient d’essuyer un échec cinglant, qui a précipité dans une crise profonde du gouvernement, des chefs militaires et l’ensemble de la classe dirigeante. Dans ces conditions, une nouvelle opération israélienne contre le Liban déboucherait sur une débâcle encore plus grave. Tels sont les seuls et uniques facteurs qui « maintiennent la paix », actuellement.

En ce qui concerne le Hezbollah, ses capacités militaires sont de toute évidence intactes. Les dégâts infligés par l’offensive seront très rapidement surmontés. Si les dirigeants du Hezbollah décidaient de lancer à nouveau des roquettes sur Israël, qui les en empêcherait ? Pour le moment, loin d’être désarmée, la milice du Hezbollah est en train de se réarmer pour pouvoir riposter non seulement aux éventuelles incursions ou frappes épisodiques venant d’Israël, mais aussi contre toute tentative, de la part des forces armées françaises ou italiennes, de réduire ses capacités militaires. La France ne maintient pas la paix au Liban. La « paix » au Liban – sur fond de destructions massives – repose non sur la présence française ou italienne, mais simplement sur la déroute de l’armée israélienne.

L’équilibre actuel est très précaire, et ne durera pas indéfiniment. En Israël, et au surtout au Liban, les conséquences sociales et économiques de la guerre sont très graves. Des deux côtés de la frontière, les capitalistes, les spéculateurs et tous les nantis sauront prendre leurs dispositions – fuite de capitaux, délocalisations, restructurations, opérations boursières, etc. – cependant que les travailleurs, les jeunes, les chômeurs et les pauvres seront frappés de plein fouet par les répercussions économiques du conflit.

Les répercussions du fiasco militaire en Israël

Depuis des décennies, les capitalistes israéliens ont cherché – avec plus ou moins de succès, selon les circonstances – à embrigader la population du pays derrière leurs desseins impérialistes et militaristes, en se présentant comme les gardiens d’une forteresse assiégée. Cette stratégie a été confortée par le caractère nationaliste et réactionnaire des régimes au pouvoir, dans les pays alentours. Si les travailleurs israéliens avaient fait l’objet d’un appel fraternel, socialiste et internationaliste venant d’au-delà des frontières d’Israël, ils auraient pu s’émanciper plus facilement du nationalisme israélien. En l’absence d’une telle approche internationaliste, la classe dirigeante israélienne n’a eu aucun mal à présenter le nationalisme arabe et « anti-juif » comme une menace mortelle et permanente à l’égard d’Israël. Cette menace, dont la réalité a été maintes fois accréditée, dans la conscience populaire, par les attentats terroristes perpétrés contre des civils, servait de justification à la politique d’annexion et de répression contre les Palestiniens.

Faute d’un changement socialiste et révolutionnaire dans le monde arabo-musulman, la classe dirigeante israélienne pouvait se poser en protecteur de toute la nation, et un certain équilibre s’établissait entre les classes. Vue de l’extérieur, surtout, la société israélienne s’apparentait à un bloc de toutes les classes face à la menace extérieure, et ce malgré les inégalités flagrantes, la régression sociale et l’exploitation de plus en plus impitoyable qui s’abattaient sur les travailleurs, sur les jeunes et les couches sociales les plus défavorisées. Mais comme nous l’avions maintenu contre tous ceux, notamment dans l’extrême gauche française, qui mettait tous les Israéliens dans le même sac, ce « bloc » ne correspondait pas à la réalité. Aujourd’hui, sous le choc de la défaite au Liban, le caractère de classe de la société israélienne a éclaté au grand jour. La société israélienne a été ébranlée de fond en comble. Les généraux, qui s’adonnaient à des manipulations boursières et des frasques sexuelles pendant que les soldats mouraient sous le feu de la résistance libanaise, sont discrédités. Des millions d’Israéliens peuvent se rendre compte que les « protecteurs » militaristes ne protègent en fait que leurs propres intérêts. Les capitalistes israéliens feront porter aux travailleurs et à la jeunesse le poids des conséquences économiques de la guerre, ce qui ne fera qu’accentuer les tensions entre les classes. L’équilibre précaire du rapport entre les classes est en train de se rompre. Les répercussions économiques, sociales et politiques de la débâcle militaire jetteront leur ombre sur toute l’histoire ultérieure du pays.

Perspective de guerre civile au Liban

Au Liban, l’offensive israélienne a transformé le pays en un véritable champ de ruines. Des quartiers de grandes villes et des villages entiers ont été rayés de la carte. La baisse du niveau d’activité économique et l’aggravation du chômage, conjuguées avec la destruction des infrastructures du pays, la maladie et la pauvreté, créent une situation sociale potentiellement explosive, surtout dans la population chiite, qui fut la cible prioritaire des envahisseurs.

Malgré la présence de la FINUL et de quelques détachements de l’armée libanaise, le sud du pays est toujours sous le contrôle du Hezbollah. Cependant, le Hezbollah ne pourra pas résoudre les problèmes sociaux et économiques qui existent. Il n’offre aucune alternative au système capitaliste. Lié aux régimes répressifs d’Iran et de Syrie, il ne pourra jamais étendre son influence vers les populations sunnites, druzes, maronites et chrétiennes. Les chiites ne constituent qu’environ 30% de la population libanaise. Aucune amélioration de leurs conditions de vie n’est envisageable sur la base du capitalisme. Pour tous les travailleurs et les pauvres du Liban, les fruits de la « victoire » risquent d’être particulièrement amers.

Les tensions sociales s’accroissent à l’intérieur du pays. L’impérialisme américain, dont les agents sont très actifs au Liban, s’emploie à exacerber ces tensions, à dresser les communautés les unes contre les autres. L’Etat israélien est aussi à l’œuvre sur le territoire libanais, fournissant armements et moyens financiers aux phalangistes. Après l’échec de l’invasion, il redoublera d’efforts pour déstabiliser le pays de l’intérieur. L’extrême droite mène une vigoureuse agitation pour imputer aux chiites la responsabilité de la guerre, et donc de ses terribles conséquences sociales et économiques. Dans le même temps, l’impérialisme français, qui a besoin de trouver un contre-poids au Hezbollah et autres pro-syriens, renforce ses contacts et sa collaboration avec les éléments les plus réactionnaires, tels que Samir Geagea – accueilli en France, dès juillet 2005, avec la bénédiction de l’Elysée –, qui est l’ancien chef des Forces Libanaises ayant perpétré les massacres de Sabra et Chatila, en 1982. La Syrie a également ses intérêts stratégiques et économiques à défendre au Liban, et pourrait bien décider de réinvestir le terrain pour les sauvegarder. Cette rivalité entre les Etats-Unis, la France, Israël, la Syrie et l’Iran, conjuguée à l’aggravation dramatique des conditions de vie de la population, est en train de préparer les éléments d’une nouvelle guerre civile au Liban.

Socialisme et internationalisme

Le seul moyen de contrecarrer la perspective d’un nouveau bain de sang serait l’émergence d’un mouvement révolutionnaire capable de réunir les travailleurs et la jeunesse de toutes les communautés autour d’un programme visant à mettre fin au capitalisme au Liban et – sur la base d’un appel internationaliste envers tous les travailleurs et exploités des pays alentours, y compris en Israël – la création d’une fédération socialiste dans la région. Sur la base de ce programme, le Parti Communiste du Liban pourrait développer une assise de masse parmi tous les travailleurs du pays, indépendamment de leur religion. Les médias internationaux fixent notre attention sur le Hezbollah, mais il n’était pas la seule composante de la résistance à l’invasion israélienne. Le Parti Communiste a participé activement à la résistance, tout en conservant son indépendance politique et organisationnelle par rapport aux dirigeants du Hezbollah. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour aider les communistes libanais dans leur combat contre l’impérialisme étranger et le capitalisme libanais, et nouer un dialogue avec eux pour clarifier nos idées quant à la situation sociale, économique et politique dans le pays.

L’impérialisme américain et israélien, comme les puissances européennes et les régimes despotiques au pouvoir en Syrie et en Iran, n’offrent aucun avenir aux peuples de la région. Que ce soit en Israël, en Jordanie, en Cisjordanie, au Liban, en Syrie ou en Iran, le capitalisme n’offre d’autre perspective aux travailleurs et à la jeunesse qu’une instabilité permanente, des guerres fratricides, le déclin économique, la pauvreté et la répression.

Cette réalité dramatique pose un défi historique à la classe ouvrière de tous ces pays. La pression des idées nationalistes, la haine raciale engendrée par des décennies de conflits et de sang, le stalinisme, le réformisme, la manipulation des sentiments religieux – tous ces éléments ont créé une confusion considérable. Mais malgré ces difficultés, nous avons la certitude que parmi les représentants les plus conscients de la jeunesse et des travailleurs se trouveront les forces vives qui hisseront enfin le drapeau de l’internationalisme socialiste, du marxisme, du programme et de l’action révolutionnaires. Car c’est sur cette voie, et sur cette voie seulement, qu’il sera possible d’en finir avec l’oppression et la guerre.

L’agression israélienne contre le Liban s’est soldée par un échec. Aucun des objectifs fixés par le gouvernement israélien n’a été atteint. La classe dirigeante israélienne en ressort affaiblie sur les plans intérieur et extérieur. L’issue du conflit est aussi un revers pour l’impérialisme américain - comme pour l’impérialisme français - et conforte la position du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie.

Dès avant le début de la guerre, les divergences sur la viabilité de cette opération se sont manifestées au sommet de l’Etat israélien. Aujourd’hui, après la débâcle, les membres du gouvernement et l’Etat-major d’Israël se livrent ouvertement à des récriminations mutuelles. Comme nous l’avons expliqué dans L’agression israélienne contre le Liban (22 juillet 2006), le problème de fond qui sous-tend ces désaccords, c’est qu’au-delà du prétexte des deux soldats israéliens capturés, l’objectif qu’Israël s’est fixé - la neutralisation des capacités militaires du Hezbollah - ne pouvaient pas être réalisé. Certes, Israël est une superpuissance régionale, mais de même que la puissance militaire des Etats-Unis a montré ses limites en Irak et en Afghanistan, celle d’Israël vient de montrer les siennes dans la guerre contre le Liban.

L’impérialisme israélien voulait éviter une nouvelle occupation du Sud Liban. Il craignait, à juste titre, de faire face à contexte similaire à celui qui existe en Irak. Les forces d’occupation auraient été la cible d’attaques incessantes de la part de la milice chiite qui, en raison de la dernière occupation israélienne, bénéficient d’un soutien massif dans la population libanaise. Le Hezbollah est par ailleurs beaucoup plus structuré et mieux armé que par le passé.

Il y a en outre le problème de la Syrie. Une offensive militaire qui s’arrêtait à la frontière syrienne ne pourrait jamais venir à bout du Hezbollah. Or, là encore, Israël ne pouvait pas se permettre de se trouver enlisé dans une guerre contre les insurgés au Liban, tout en menant des opérations contre la Syrie.

En conséquence, les généraux israéliens ont opté pour une offensive qu’ils voulaient rapide et puissante. Leur idée était de balayer tout ce qui se trouvait sur leur chemin, de mener des opérations de « nettoyage » - puis de se retirer. Pour faciliter l’offensive terrestre, ils ont imposé au Liban un blocus maritime et aérien, pendant que l’aviation bombardait les ponts et les routes pour isoler l’ennemi, semant la mort et la destruction dans les villes et villages du Sud Liban et dévastant des quartiers entiers de la capitale.

Mais Tel-Aviv a sous-estimé son adversaire. La campagne aérienne a massacré plusieurs centaines de civils libanais, dont notamment des enfants, des femmes, des personnes âgées et des infirmes. Mais elle n’a pas entamé sérieusement les capacités opérationnelles du Hezbollah. Non seulement les tirs de roquettes sur Israël se sont poursuivis, mais ils ont gagné en intensité, jusqu’au dernier jour. De surcroît, les incursions terrestres des unités israéliennes ont rencontré une résistance d’une férocité et d’une efficacité inattendues. Elles ont subi de lourdes pertes.

A aucun moment, pendant toute la durée de son offensive, Israël ne pouvait prétendre avoir « sécurisé » une partie significative du territoire libanais, même dans cette bande de territoire qui sépare le fleuve Litani de la frontière israélo-libanaise. Vacillants, les chefs militaires et le gouvernement israélien se demandaient : faut-il prolonger encore la campagne aérienne et les incursions limitées, au risque d’essuyer de nouvelles pertes, ou tout miser sur une offensive terrestre de plus grande envergure ? S’ils hésitaient, c’est parce que faute d’investir la vallée de Bekaa - où la résistance du Hezbollah serait bien plus meurtrière que dans la zone frontalière - et monter jusqu’à Beyrouth, l’invasion n’allait aboutir à rien, sans parler du risque d’une confrontation avec la Syrie.

La « grande » offensive terrestre fut finalement ordonnée. Mais, plus qu’à une véritable invasion, elle ressembla davantage à un dernier raid punitif, pour sauver la face. Sa portée et sa durée furent sévèrement circonscrites. Elle ne visait pas plus que quelques points le long du Litani, et - fait tout à fait extraordinaire, dans l’histoire militaire - son lancement s’est accompagné de l’annonce d’un cessez-le-feu dans les 48 heures !

Les conditions du cessez-le-feu, vaguement définies dans la résolution 1701 de l’ONU, prévoient l’occupation du Sud Liban par l’armée libanaise, avec le concours de la FINUL (Force Intermédiaire des Nations Unies au Liban). Mais lorsque cette résolution a été concoctée par les Etats-Unis et la France, ni Bush ni Chirac n’envisageaient pas l’échec de l’offensive israélienne. Bush s’attendait à ce que les forces armées israéliennes emportent une victoire relativement facile au Liban - ce qui indique à quel point il a intégré les leçons de ce qui se passe en Irak. Il voyait le déploiement d’une force internationale comme un moyen d’aider Israël, au lendemain de sa victoire, à contenir le Hezbollah et à réduire ainsi le poids de l’Iran et de la Syrie dans la région. Chirac, à la différence de Bush, aurait préféré éviter une intervention israélienne. Comme nous l’avons noté dans notre précédent article, il avait courtoisement invité le gouvernement libanais à lancer son armée contre le Hezbollah, dans l’espoir que ceci dissuaderait le gouvernement israélien de lancer une offensive terrestre. Mais dès qu’il fut clair que rien n’arrêterait Israël, Chirac espérait, lui aussi, que l’opération se solderait au détriment du Hezbollah. S’il a d’abord proposé un renforcement de la présence française dans le cadre de la FINUL, c’était dans le but de renforcer la position de la France dans un Liban « rééquilibré », ainsi qu’au Proche-Orient en général.

Depuis plusieurs décennies, l’impérialisme français perd du terrain sur l’arène internationale, que ce soit en Asie, en Afrique centrale ou dans les pays du Maghreb. L’invasion de l’Irak par les Etats-unis a contribué à la marginalisation de la France au Moyen-Orient. Le retrait de l’armée syrienne du Liban, en 2005, semblait lui offrir un moyen de retrouver un rôle au Proche-Orient.

Chirac avait envisagé un cessez-le-feu dans des conditions bien différentes de ce qui existe actuellement. Il a déclaré qu’il ne croyait pas à une « solution militaire », mais s’attendait clairement à ce que le Hezbollah soit sensiblement affaibli par l’intervention israélienne. Dans une interview publiée par Le Monde, le 27 juillet dernier, il disait qu’à ses yeux, le cessez-le-feu devait « comporter deux exigences. D’une part, la sécurité d’Israël, qui doit être assurée, et, d’autre part, l’application réelle, sur le terrain, de la résolution 1559 de l’ONU. » La résolution 1559 stipulait, entre autres, que le Hezbollah devait être désarmé.

D’après Chirac, le mandat de la force internationale devait contribuer au « recouvrement par le gouvernement libanais légal de la totalité de sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire » et « donner la possibilité aux forces libanaises, restructurées et aidées, de se déployer sur l’ensemble du Liban ». L’issue du conflit a réduit ce projet en miettes. La FINUL sera impuissante, et son déploiement se fera dans des conditions extrêmement difficiles, du point de vue des intérêts des Etats-Unis, d’Israël et de la France.

Tout ceci explique que l’Elysée et Matignon se demandent, à présent, si l’envoi d’une force multinationale était vraiment une bonne idée. L’impérialisme français voudrait bien se faire une plus grande place dans un Liban débarrassé du Hezbollah, mais il n’a absolument aucun envie de se retrouver dans la position qu’Israël voulait éviter, à savoir celle d’une armée d’occupation étrangère entourée d’une population hostile dans une zone encore sous le contrôle effectif des milices chiites. D’où les complaintes au sujet de la mission « mal définie » de la force multinationale. D’où, aussi, l’intégration à la FINUL d’un nombre ridicule de militaires français. Le contingent français y passerait de 200 à 400 hommes.

Le gouvernement français se dit prêt à « soutenir » l’armée libanaise - tout en précisant que c’est à cette dernière que revient la tâche du désarmement du Hezbollah. Or, en réalité, le gouvernement français sait pertinemment que c’est impossible. L’armée libanaise est une petite force. Elle est officiellement dotée de 70 000 hommes, mais seuls 20 000 peuvent être qualifiés d’opérationnels. Cette faiblesse en effectifs rend l’armée libanaise absolument incapable d’encadrer le sud du pays, sans parler d’y mener des opérations conséquentes contre le Hezbollah. De plus, une fraction importante des soldats, dont beaucoup sont d’origine chiite et sympathisent avec le Hezbollah, refuserait de participer à de telles opérations. Le Liban vient de subir une agression dévastatrice de la part d’Israël. Ses villes ont été bombardées, ses routes et infrastructures détruites. Actuellement, les familles qui reviennent dans leurs quartiers dévastés y trouvent, sous les décombres, les cadavres de leurs parents, amis et voisins. Or, depuis le début, l’armée libanaise n’a pas tiré une seule cartouche contre l’envahisseur. Ses commandants ont laissé faire, sans offrir la moindre résistance. Cette passivité complice, de la part de l’Etat-major libanais, est certainement perçue par une partie significative de la population comme une trahison. Et maintenant, Chirac feint de croire - et cet imbécile de Bush croit peut-être réellement - que cette même armée va réussir là où l’armée israélienne a échoué, en désarmant la seule force qui a résisté à l’envahisseur, et laisser ainsi le pays complètement sans défense face à l’impérialisme israélien.

Dans la pratique, aucune force ne peut désarmer le Hezbollah, aujourd’hui. La milice chiite sort de cette guerre avec le prestige énorme d’un « vainqueur », qui a démontré au monde entier - et surtout aux masses opprimées du monde musulman - qu’Israël n’est pas invincible. Toute tentative d’utiliser l’armée libanaise contre les Hezbollah reviendrait à déclencher une guerre civile au terme de laquelle, dans les conditions actuelles, l’armée se désintégrerait et le gouvernement actuel du Liban serait renversé.

Au demeurant, le cessez-le-feu ne tiendra pas. L’armée israélienne mènera des opérations ponctuelles en territoire libanais, et la capacité de nuisance du Hezbollah est intacte. Les pertes de miliciens et de munitions qu’il a subies pendant l’offensive seront rapidement surmontées. On peut s’attendre à ce que le Hezbollah ne se prive pas de la possibilité de montrer qu’il conserve l’essentiel de ses moyens d’action par de nouveaux tirs de roquette sur Israël, et les troupes de l’ONU ne pourront pas l’en empêcher.

L’échec de l’offensive israélienne aura des conséquences importantes au sein même d’Israël. Comme le disait Clausewitz, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. Ce n’est pas pour rien que des guerres impérialistes portent en elles les germes de révolutions. La classe dirigeante ne va pas sur les champs de bataille. Pour mobiliser les travailleurs et les jeunes dans la poursuite de ses objectifs impérialistes, elle doit nécessairement présenter l’enjeu de la guerre comme celui de la « nation » toute entière. Mais le caractère de classe de la guerre finit par pénétrer les consciences, surtout en cas de défaite. Aujourd’hui, en Israël, la réalité macabre de l’offensive est révélée au grand jour. Dans la presse et par voie de pétitions, des travailleurs et des jeunes envoyés au Liban pointent un doigt accusateur contre les généraux et le gouvernement. Les soldats imputent le nombre important de morts et de blessés à l’incompétence et à l’indécision du gouvernement et du commandement militaire. Alors que les soldats israéliens, sur le terrain, manquaient souvent d’eau, de nourriture, d’équipement et de munitions, ils ont récemment appris que le chef d’Etat-major de l’armée, le richissime général Dan Halutz, a vendu des actions boursières le matin même du déclenchement des hostilités, pour protéger sa fortune des effets économiques d’une éventuelle déroute militaire. Cette vente a provoqué une chute de 8% de la bourse de Tel-Aviv au cours des premiers jours de l’offensive.

Cette guerre marquera un tournant dans l’histoire politique et sociale du pays. La société israélienne est une société de classe, avec ses capitalistes et exploiteurs d’un côté, et ses travailleurs, ses chômeurs et ses pauvres de l’autre. Mais en brandissant constamment la « menace extérieure », la classe dirigeante israélienne a pu souder autour d’elle une partie importante de la population. Le nationalisme, le sentiment d’être dans une « forteresse assiégée », ont longtemps servi à atténuer la lutte des classes. Face aux inégalités, au chômage et à la régression sociale, la colère des travailleurs et de la jeunesse était détournée vers l’extérieur. Il faut dire que les attentats insensés, perpétrés par des kamikazes palestiniens contre des civils israéliens, ont grandement facilité la tâche des capitalistes israéliens. Tout en enfermant les Palestiniens dans ces cages de misère et d’oppression que sont les « territoires » morcelés, sans aucune viabilité économique et constamment sous la menace de bombardements et d’incursions militaires, le capitalisme israélien a montré son incapacité à répondre aux besoins de la vaste majorité de la population israélienne. Sous l’impact de cette défaite militaire, l’équilibre interne de la société israélienne est en train de se briser.

{simpleyoutube}Z_3a_4OphmM{/simpleyoutube}

{simpleyoutube}djdKVnTBWrU{/simpleyoutube}

Cet article a tout d’abord été publié en anglais, le 19 juilllet, sur www.marxist.com.

Les frappes aériennes contre le Liban ouvrent la perspective d’une nouvelle conflagration majeure au Proche-Orient. Des ponts, des routes, des aéroports et installations portuaires sont pris pour cibles par les forces armées israéliennes, ainsi que des quartiers populaires de plusieurs villes. La nature de ces objectifs - et en particulier la tentative de couper toute retraite possible vers la Syrie - indique qu’il ne s’agit pas de simples frappes punitives en réponse aux tirs de roquettes du Hezbollah contre Israël. Elle n’a pas de rapport, non plus, avec la libération des otages détenus par celles-ci. De toute évidence, l’importance du dispositif militaire qu’Israël est en train de mettre en place, à la frontière libanaise, préfigure le lancement d’une grande offensive terrestre.

S’il n’est toujours pas absolument certain que cette invasion ait lieu, le gouvernement et les principaux responsables militaires s’y préparent sérieusement. Tandis que les médias se focalisent sur l’évacuation des ressortissants étrangers et sur les prétendues « options diplomatiques », une quantité considérable de soldats, de chars et de canons prennent position à la frontière. L’invasion du Liban pourrait bien être imminente.

Les généraux israéliens expliquent que l’offensive sera puissante, mais de courte durée, et qu’elle ne débouchera pas nécessairement sur une nouvelle occupation. Cependant, l’objectif principal qu’ils se sont fixés - le désarmement et la « neutralisation » du Hezbollah - pourrait difficilement être accomplis autrement. Ainsi, dans la mesure où nous pouvons en juger, il semble qu’il y ait des divergences, au sein du gouvernement et parmi les responsables militaires, sur la viabilité de cette stratégie.

Au demeurant, les frappes aériennes contre le Liban continuent, ainsi que les tirs de roquettes contre Israël. La première responsable de l’effusion de sang et des souffrances humaines de ce nouveau conflit, c’est la classe dirigeante israélienne, dont la brutalité rapace lui a attiré la haine de dizaines de millions de travailleurs et de jeunes à travers le monde arabe, en Iran et ailleurs.

L’armée israélienne a occupé le sud du Liban de 1978 à 2000, mais s’est avérée incapable de vaincre la résistance libanaise. Cet échec, conjugué avec l’opposition croissante à l’occupation au sein même d’Israël, l’a finalement obligée à se retirer. L’occupation et les atrocités qu’elle avait inévitablement occasionnées n’ont réussi qu’à enraciner dans l’esprit de la majorité des Libanais - et surtout des couches les plus pauvres et majoritairement chiites - une haine profonde envers Israël, tout en assurant aux organisations du Hezbollah un soutien de masse, non seulement dans le sud du pays, mais également dans les quartiers pauvres de pratiquement toutes les villes, y compris Beyrouth.

En conséquence, toute nouvelle tentative d’envahir le Liban se ferait dans des conditions bien plus difficiles que la dernière fois. Les milices du Hezbollah sont plus nombreuses, mieux armées, mieux formées et mieux équipées que par le passé. Surtout, elles jouissent d’un soutien de masse de la part des Chiites et d’autres sections de la population libanaise. Se tenant à côté d’un immeuble en ruines, un homme a hurlé dans la micro d’un journaliste : « Où sont les miliciens du Hezbollah ? Ils n’habitent pas ce quartier. Ils se trouvent de l’autre côté de la ville. Ici, c’est un quartier chrétien. Mais je vais vous dire une chose : à partir d’aujourd’hui, nous sommes tous du Hezbollah ! »

Et pourtant, à moins qu’il n’y ait un changement de dernière minute, la classe dirigeante israélienne envisage une nouvelle invasion du Liban. Dans les commentaires des journalistes de la presse écrite et de la télévision, on détecte un certain étonnement face à cette stratégie. Les représentants les plus intelligents de l’impérialisme américain - à la différence de G. W. Bush - envisagent avec les plus graves appréhensions la perspective d’une nouvelle guerre au Proche-Orient. Il en va de même pour la plupart des gouvernements européens. Quant à Bush, il est tout à fait favorable à une attaque contre le Liban, qu’il considère comme un excellent moyen de fragiliser la position de la Syrie et de l’Iran.

Une invasion aurait des conséquences majeures au Proche-Orient et au-delà. Elle déstabiliserait les économies de tous les pays aux alentours - y compris celle d’Israël - et provoquerait des bouleversements profonds dans la psychologie des masses à travers la région. Cela aggraverait l’instabilité sociale et politique créée par l’occupation de l’Irak et par le sort dramatique réservé aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza.

Instabilité permanente au Proche-Orient

Sur la base du capitalisme, malgré sa position économiquement dominante, Israël n’est pas plus viable que tous les autres petits Etats de la région qui y ont été établis par l’impérialisme au cours du XXe siècle. Le découpage de la région en une série de petits Etats rivaux - découpage qui ne pourra être surmonté que par le socialisme - agit comme une entrave sur le développement économique de tous les pays concernés, et constitue une source permanente de tensions et de conflits. La politique israélienne à l’égard de ses voisins est faite d’intimidation et de menaces de guerre - quand elle ne met pas ses menaces à exécution.

L’Etat d’Israël ne peut se maintenir, en tant que puissance impérialiste régionale, qu’en exerçant une pression économique et militaire constante sur les Etats et les territoires voisins, et en dressant une section de leurs populations contre une autre à chaque fois que c’est possible, même au risque de provoquer des guerres civiles. Sans cela, Israël perdrait rapidement son propre équilibre interne, puisque le capitalisme israélien s’est avéré totalement incapable de répondre aux besoins de la vaste majorité des citoyens israéliens, sur le plan intérieur. Dans ces conditions, il ne pourra jamais y avoir de « paix » ou de « stabilité ». La pauvreté et le désespoir des Palestiniens, emprisonnés dans une mosaïque d’enclaves séparées par des murs, des postes de contrôle et des barbelés, ont généré une haine colossale à l’égard d’Israël, tout comme l’occupation du Liban a engendré une hostilité implacable, envers les autorités israéliennes, chez les populations misérables qui ont subi les atrocités perpétrées par l’armée israélienne et ses alliés phalangistes.

Les gouvernements et commentateurs professionnels, en Occident, ne cessent de se lamenter sur l’existence de la violence, du terrorisme et des milices islamiques en Palestine et au Liban. Mais pouvaient-ils vraiment s’attendre à autre chose ? Demander la paix au milieu de cet enfer, c’est demander de se soumettre paisiblement à l’exploitation, à la faim, à la pauvreté et à l’humiliation. C’est complètement utopiste. En Palestine, la tentative d’utiliser Arafat pour désarmer les Palestiniens et contenir leur révolte s’est soldée par un échec total. Elle s’est retournée contre l’Israël : en minant la crédibilité d’Arafat et de l’Autorité Palestinienne, elle a ouvert la voie à l’émergence du Hamas en tant que force armée. Aujourd’hui, Israël a plus que jamais perdu le contrôle politique des territoires palestiniens.

D’une façon analogue, l’oppression israélienne au Liban a créé les conditions de l’émergence du Hezbollah comme force de masse. Le Hezbollah est devenu un facteur de la plus haute importance, dans la situation. Dans ces conditions, l’invasion du Liban se heurtera à de sérieuses complications pour l’armée israélienne. Le Hezbollah dispose d’une force armée « permanente » de quelques 6 000 hommes. Mais derrière cette force se tient une vaste réserve de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes libanais pour qui ce sera un honneur de se battre et de mourir dans la lutte contre l’envahisseur israélien. La population - surtout les chiites - offrira gîte, nourriture et soutien pratique aux milices. Une telle force ne peut pas être vaincue, pour les mêmes raisons que la résistance irakienne ne peut pas être vaincue. Comme les Palestiniens, ces gens ne craignent pas la mort. Un grand nombre de livres et d’articles ont été consacrés à ce phénomène psychologique prétendument « complexe ». Mais les combattants et ceux qui les soutiennent l’expliquent sans difficulté, et en très peu de mots. Ils disent qu’ils ne peuvent plus vivre dans une telle oppression et une telle humiliation. Ils disent qu’ils préfèrent mourir plutôt que de vivre ainsi. Certes, cette révolte est souvent exprimée en termes religieux, et les idées des insurgés sont parfois mélangées à toutes sortes d’idées réactionnaires. Mais il faut comprendre que, chez des gens opprimés et écrasés, la ferveur religieuse est le plus souvent l’expression d’un désir de libération, d’une vie meilleure - soit dans le monde matériel, soit, comme ils le conçoivent, dans l’au-delà.

Les conséquences possibles de l’invasion

Ce serait commettre une grave erreur que de sous-estimer l’efficacité meurtrière des forces armées israéliennes. Néanmoins, comme nous l’avons vu en Irak, c’est une chose de lancer une armée puissante en terrain ennemi, et c’en est une autre de contrôler ensuite le territoire « conquis ». Les forces armées israéliennes se trouveraient très rapidement dans une situation analogue à celle des armées qui occupent actuellement l’Irak. La propagande militaire au sujet de la destruction des « bases » du Hezbollah ne peut pas être prise au sérieux. Où sont les « bases » du Hezbollah, au juste ? Ces bases sont dans la société elle-même - y compris à Beyrouth. Toute tentative sérieuse de détruire les « bases » du Hezbollah impliquerait la destruction pure et simple d’une bonne partie de la capitale libanaise.

Il y a d’autres bases du Hezbollah - de l’autre côté de la frontière syrienne. L’Etat d’Israël ne veut pas impliquer la Syrie dans ce conflit, par crainte de devoir se battre simultanément sur plusieurs fronts. Le régime syrien ne veut pas non plus s’engager directement dans le conflit. Cependant, des campagnes militaires se déroulent suivant une logique qui ne correspond que rarement aux intentions initiales des généraux et stratèges. Dans les faits, une offensive terrestre contre les milices du Hezbollah qui n’irait pas jusqu’aux arrière-bases du mouvement, c’est-à-dire en Syrie, serait vouée à l’échec. Il faut ajouter que malgré les réticences de Damas devant la perspective d’une confrontation directe avec Israël, la Syrie ne pourrait pas assister passivement à l’occupation du sud du Liban, pour la simple raison que celle-ci faciliterait de futures attaques israéliennes contre elle. C’est pour cette raison que la Syrie, tout en appelant à un cessez-le-feu, a déclaré qu’elle soutiendrait la résistance libanaise face à l’invasion qui se prépare.

Une guerre ouverte contre le Liban pourrait avoir de nombreuses répercussions inattendues. Elle affaiblirait davantage les monarchies corrompues et pro-occidentales de Jordanie et d’Arabie Saoudite. Elle mettrait en mouvement des millions de travailleurs et de jeunes à travers le monde arabe. Des manifestations massives ont déjà eu lieu au Caire, à Damas, en Palestine et ailleurs. Elle attiserait les tensions avec l’Iran. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux commentateurs, à Tel Aviv, se posent la question de l’opportunité de cette nouvelle aventure militaire. La puissance militaire des Etats-Unis a montré ses limites en Irak et en Afghanistan, où leurs forces armées se trouvent dans une impasse. La puissance militaire d’Israël a, elle aussi, ses limites, comme l’ont démontré la perte du Sinaï en 1979, et, plus récemment, son retrait du Liban.

Désormais que le conflit a été déclenché, Tel-Aviv doit procéder au lancement d’une offensive terrestre - ou alors y renoncer et trouver une alternative pour sauver la face. Nous pensons que la première option est de loin la plus probable. Les frappes aériennes contre des cibles libanaises ne résoudront rien. On ne peut pas désarmer le Hezbollah à partir du ciel. Dans les circonstances présentes, les frappes aériennes n’ont de signification militaire que dans la mesure où elles faciliteraient une mobilisation terrestre. Les représentants de la classe dirigeante israélienne et les diplomates occidentaux qui craignent les conséquences d’une invasion terrestre n’ont trouvé aucune alternative crédible à proposer.

Les options « diplomatiques »

Aujourd’hui réduite au rang d’acteur quasi-insignifiant dans le « grand jeu » moyen-oriental, l’impérialisme français voyait dans le retrait syrien, en 2005, une opportunité de renouer avec sa position « historique » dans la région. Les missiles qui pleuvent sur la capitale libanaise portent un coup terrible aux ambitions françaises. Chirac comprend bien qu’une invasion israélienne et l’implication possible de la Syrie aggraveraient considérablement la situation, du point de vue du capitalisme français. C’est pour cette raison qu’il s’est permis de faire une « suggestion amicale » au gouvernement libanais. Il lui a conseillé de s’appuyer sur l’armée libanaise pour désarmer le Hezbollah et, de cette façon, éviter une intervention israélienne.

Ceci revient à inviter le gouvernement libanais à déclencher une guerre civile. L’armée libanaise s’est à peine reconstituée, depuis le retrait des Syriens. Elle dispose d’environ 70 000 soldats, dont une part importante est chiite. Si le gouvernement libanais tentait de s’appuyer sur cette force pour désarmer le Hezbollah - c’est-à-dire la seule force qui bloque la route vers la capitale - ce serait considéré par la majorité de la population libanaise, et sans doute par une majorité des soldats de l’armée régulière, comme un acte de trahison. Il s’en suivrait une guerre civile que l’actuel gouvernement libanais ne pourrait que perdre.

Enfin, il y a l’idée d’envoyer une force multinationale de « maintien de la paix », de façon à créer une zone tampon entre la frontière israélienne et le Hezbollah. Mais comment ceci pourrait-il empêcher le Hezbollah de tirer ses roquettes sur les villes israéliennes, à moins que ladite force de « paix » n’affronte le Hezbollah pour le compte de l’Etat israélien ? Si une telle zone tampon était établie, les miliciens du Hezbollah se déplaceraient de quelques kilomètres vers le nord - voilà tout. Par ailleurs, sur le plan militaire et stratégique, l’envoi d’une force multinationale réduirait la marge de manœuvre des forces armées israéliennes plus qu’il ne créerait de difficultés pour le Hezbollah. Ainsi, les options « diplomatiques » ne sont pas moins chargées d’incertitudes et de dangers qu’une invasion israélienne, du point de vue des puissances impérialistes.

Il y a aussi d’importantes raisons internes qui incitent la classe dirigeante israélienne, malgré l’inquiétude exprimée dans certains milieux conservateurs, à opter pour l’invasion. Une nouvelle guerre entraînerait un décalage du pouvoir politique au profit des éléments les plus réactionnaires de la classe dirigeante. Les chefs militaires occuperaient l’avant-scène de la vie politique et médiatique du pays. De l’argent coulerait dans leurs coffres, ainsi que dans ceux des capitalistes qui s’enrichissent du militarisme et de la guerre. La vague de chauvinisme et de racisme qui accompagne ce genre de campagne « punitive » servira à intimider et marginaliser tous les éléments de la société israélienne qui s’opposent à cette folie meurtrière, et la guerre fournira un prétexte pour imposer de nouveaux sacrifices aux travailleurs et réduire les dépenses sur l’éducation, la santé et les services publics. La politique extérieure d’Israël est étroitement liée à sa situation intérieure, où les capitalistes mènent une offensive implacable contre les intérêts des travailleurs israéliens. La politique étrangère d’un pays n’est jamais que l’extension de sa politique intérieure.

Il est difficile de dire avec certitude ce qui se passera dans les prochains jours et les prochaines semaines. Au vu de la situation explosive qui existe au Proche-Orient, les orientations prises par Israël et les grandes puissances impérialistes, quelles qu’elles soient, peuvent avoir des répercussions imprévisibles. La région tout entière est tellement instable que ce qui a été conçu comme une campagne courte et efficace pourrait bien devenir une conflagration majeure et durable, impliquant plusieurs pays. Il est clair qu’aucune réponse aux problèmes de la pauvreté, de l’exploitation, de l’oppression nationale et religieuse, comme à l’interminable cortège de tensions, de conflits et de guerres ne sera trouvée sur la base du capitalisme. La seule voie de salut réside dans le socialisme et l’internationalisme, c’est-à-dire dans l’éradication du capitalisme et l’établissement d’une association libre et démocratique des peuples et des nations dans le cadre d’une fédération socialiste du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour aider les travailleurs et la jeunesse de la région à trouver cette voie.