Corée

En octobre dernier, la Corée du Sud a plongé dans l’une des plus profondes crises politiques de son histoire. Des manifestations se sont tenues toutes les semaines, rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes dans les rues de Séoul (un million à la mi-décembre), pour demander le départ de la présidente Park Geun-hye. Il s’agit des plus importantes manifestations dans ce pays depuis la fin des années 1980, lorsque la mobilisation des travailleurs et des étudiants avait renversé la dictature militaire en place depuis 1961.

La présidente est accusée d’avoir été sous l’influence de Choi Soon-il, dirigeante de la secte de l’Eglise de la Vie éternelle. Park Geun-hye a d’abord tenté d’enrayer le scandale en limogeant son Premier ministre et deux ministres proches de Choi. Mais elle a fini par être lâchée par une frange de son propre parti, le Saenuri (« Parti de la Nouvelle Frontière »). Le 9 décembre, plusieurs de ses députés ont voté une motion de destitution, qui a été adoptée par 234 députés sur 300. Le vote s’est tenu alors que l’Assemblée était encerclée par des milliers de manifestants.

L’enquête a révélé l’influence immense de la « chamane » Choi sur la présidente, qui lui permettait d’écrire ses discours ou de déterminer sa politique extérieure. Leur proximité remonterait aux années de la dictature militaire dirigée par le père de Park Geun-hye, Park Chung-hee, au pouvoir de 1961 à 1979. Le père de Choi Soon-il était alors le médium auquel Park Chung-hee avait recours pour « communiquer » avec sa défunte femme. L’enquête a aussi mis à jour la corruption des « Chaebols », ces conglomérats de grosses entreprises familiales. Les deux plus importants, Samsung et Hyundai, sont accusés d’avoir versé près de 61 millions d’euros de pots-de-vin à Choi, par l’entremise de Park.

Baisse des exportations

Cette crise de régime prolonge la crise du capitalisme sud-coréen. L’économie du pays dépend largement des exportations (41 % du PIB). Or les débouchés se contractent, notamment en Chine, qui absorbait récemment près du cinquième des exportations sud-coréennes. Alors, la bourgeoisie coréenne a entrepris de faire payer le prix de la crise aux travailleurs, en attaquant la plupart des conquêtes sociales.

Confronté à une résistance acharnée du mouvement ouvrier, le gouvernement de Park a lancé une grande vague de répression. Un parti d’opposition et un syndicat d’enseignants ont été interdits, au nom de la « loi de Sécurité nationale » héritée de la dictature. Mais c’est la principale confédération syndicale (la KCTU) qui a encaissé la plupart des coups. Ses manifestations ont été interdites et violemment attaquées par la police. Plusieurs de ses dirigeants ont été arrêtés à de nombreuses reprises. Son président, Hang Sang-gyun, a été condamné cet été à cinq ans de prison pour avoir organisé une manifestation. Dans le même temps, Park a lancé une campagne de réhabilitation du régime militaire, notamment en imposant un manuel scolaire qui en fait l’apologie.

Dans ce contexte, le scandale lié à Choi, la « Raspoutine sud-coréenne », a cristallisé tous les mécontentements. C’est la KCTU qui a organisé la plupart des manifestations, dans un pays privé de véritable opposition politique de gauche.

La mobilisation contre Park terrifie la bourgeoisie, qui a lâché la présidente dans l’espoir de faire cesser le mouvement. Mais celle-ci n’est pas décidée à se laisser faire. Sa destitution ne sera définitive que si elle est confirmée par la Cour constitutionnelle, dont tous les membres doivent leur nomination au parti de Park. En théorie, cette Cour a 180 jours pour rendre sa décision. Mais à l’heure où nous bouclons ce journal, les manifestations massives se succèdent pour exiger une accélération du processus.

Le 6 août dernier, les travailleurs et les patrons de l’usine automobile Ssangyong, en Corée du Sud, ont signé un accord entérinant le licenciement de 52 % de travailleurs et la mise au chômage technique, sans indemnité, des 48 % restant. C’est sur cette défaite que s’est achevée une grève avec occupation de 77 jours. Aussitôt l’accord signé, le dirigeant syndical Lee Changguen et une centaine de travailleurs ont été arrêtés par la police. A ce jour, 68 travailleurs sont encore incarcérés.

L’un des travailleurs licenciés a tenté de se suicider, après une fouille policière particulièrement brutale, le 20 août. Pendant la grève, six travailleurs ou membres de leur famille sont morts.

Cynisme du gouvernement

A l’origine de cette grève, il y a une manœuvre cynique du gouvernement coréen. Le trust automobile de Shanghai, en Chine, avait pris possession de Ssangyong, il y a plusieurs années. La maison mère, Daewoo, avait fait faillite et voulait le vendre. Le gouvernement coréen et les banques créditrices ont vendu l’usine aux spéculateurs les plus offrants. C’était leur unique critère.

Résultat : 4 ans après le rachat de l’usine, Shanghai a licencié environ 2000 travailleurs, sans concevoir une seule nouvelle automobile. Les nouveaux patrons ne s’intéressaient pas à rétablir un fonctionnement normal, à Ssangyong. Ils voulaient seulement s’emparer des savoir-faire techniques. Finalement, Shanghai a refusé d’administrer Ssangyong, en janvier 2009. Et la mise sous tutelle juridique de Ssangyong a suivi, en février.

Les dirigeants de Ssangyong ont publié un plan de restructuration qui envisageait le licenciement de 2646 travailleurs (soit 37% des effectifs), le 8 avril 2009. Le syndicat des travailleurs de Ssangyong a exigé que l’emploi de tous soit garanti par la division du travail, la conception d’un nouveau véhicule et une aide financière exceptionnelle de la Banque pour le Développement Coréen. Mais ces propositions n’ont même pas été prises en considération. Lorsque Shanghai a abandonné l’administration de l’usine, les travailleurs ont cessé de toucher leur salaire – pendant 5 mois, jusqu’en mai.

Violences policières et provocateurs

Le 8 mai, les dirigeants de Ssangyong ont annoncé, sans consultation, un nouveau plan de licenciement, qui prévoyait le départ de 2405 travailleurs. Le 21 mai, les salariés de l’usine se sont mis en grève. Le syndicat exigeait que le gouvernement coréen prenne le contrôle de l’usine et y injecte des fonds publics. Mais le gouvernement rejeta tout net cette proposition.

Les travailleurs ont alors occupé leur usine et se sont enfermés à l’intérieur. Au bout d’un mois, les dirigeants de Ssangyong ont coupé l’eau, le gaz et l’électricité aux travailleurs. A partir du 20 juin, ils ont même bloqué l’accès au site à toute équipe médicale.

La violence policière a atteint des sommets. Des policiers anti-émeute ont effectué des tirs de TASER sur le visage de travailleurs. Des liquides lacrymogènes ont été déversés par hélicoptère sur les travailleurs. De nombreux travailleurs ont été blessés. Le pied d’un diabétique a subi un début de gangrène, l’équipe médicale et les médicaments ne pouvaient pas entrer dans l’usine.

La majorité des médias ont uniquement mis l’accent sur les scènes de travailleurs résistant à la police à l’aide de lance-pierres et de cocktails molotov. Par contre, ils ont passé sous silence le fait que les patrons ont mobilisé des provocateurs à leur solde. Et personne, parmi les policiers ou les provocateurs, n’a été jugé.

Les travailleurs font face à la plus grande vague d’arrestations depuis le grand mouvement social de 1997. En outre, la police a été jusqu’à poursuivre en justice les travailleurs pour leur faire payer des dommages et intérêts, à hauteur de 307 000 euros.

La répression des travailleurs de Ssangyong doit être condamnée par le mouvement ouvrier de tous les pays. Ils ont mené une lutte héroïque pour sauvegarder leurs emplois et l’outil industriel. Leur défaite doit nous servir d’avertissement : dans sa soif de profits, la classe dirigeante est prête à recourir à la violence et au meurtre. Mais nous vengerons nos camarades !

A Séoul, en Corée du Sud, la politique de reconstruction urbaine expulse des habitants de leurs logements, magasins – et va jusqu’au meurtre. Un événement tragique a en effet eu lieu, dans un quartier en reconstruction du district Yongsan, à Séoul. Tôt le matin, le 20 janvier 2009, six hommes sont morts et plus de vingt ont été blessés lors d’une violente intervention de la police.

Cinq des six victimes sont des gens qui devaient être expulsés de leur logement, en vertu de la politique urbaine de reconstruction. Le sixième mort est un membre du commando policier envoyé sur place par les autorités. Cet accident est survenu après un jour d’enfermement volontaire des expulsés.

Le chef de la police de Séoul, Kim Seokgi, a reconnu avoir envoyé un commando policier. D’habitude, ces unités spéciales sont utilisées dans la lutte antiterroriste. Lors de l’intervention, les expulsés ont répliqué par un cocktail molotov. Les policiers étaient avertis du risque d’incendie, mais ils ont étés contraints par leur hiérarchie à mener tout de même l’opération. Les victimes ont péri dans les flammes lors de l’incendie qui s’est déclenché.

Les expulsés exigeaient une compensation décente, pour déménager. Mais l’administration de Séoul et l’entreprise de construction ont refusé. En réponse à l’avis d’expulsion forcée, les habitants concernés ont entamé un sit-in.

Cet accident n’est pas isolé. Dans le cadre du « Plan pour une Ville Nouvelle » qui a suivi l’élection du président Lee Myeongbak, des expulsions du même genre sont monnaie courante.

Riches contre pauvres

Cette affaire illustre la lutte des classes qui se déroule en Corée du Sud. En effet, le Plan pour une Ville Nouvelle n’est qu’un plan pour les riches et les entrepreneurs immobiliers. De grandes entreprises de construction ont besoin de place pour lancer de nouveaux chantiers qui génèrent d’énormes profits. Et les politiciens reçoivent toujours de grosses sommes d’argent, de la part de ces entreprises du bâtiment. Les capitalistes et les politiciens souhaitent expulser les pauvres avec le minimum de compensations.

Mais le problème ne s’arrête pas là. Nommés par l’autorité publique, les policiers pratiquent une violence physique débridée à l’égard des pauvres et des faibles. Cette fois-ci, les autorités ont même mobilisé une unité commando.

Dans la foulée du 20 janvier, plus de 2 000 personnes ont manifesté, à Séoul, contre ces violences policières et pour rendre hommage aux victimes. Mais la police les a dispersées avec des canons à eau. Et comme si cela ne suffisait pas, les policiers ont pratiqué des autopsies sur les victimes, sans demander le consentement des familles.

Le gouvernement de Lee Myeongbak est uniquement au service des riches et des capitalistes. Il a déclaré la guerre aux pauvres et aux travailleurs, qu’il expulse de leurs logements. Nous ne le lui pardonnerons jamais !

Le test nucléaire nord-coréen, en octobre dernier, a provoqué un énorme tollé dans la « communauté internationale », et en particulier aux Etats-Unis.

Immédiatement, les marchés boursiers ont été secoués et le prix du pétrole a cessé de baisser. L’ONU vient de voter un embargo contre l’exportation de matériel nucléaire à destination de la Corée du Nord. Mais George Bush voudrait aller plus loin et durcir les sanctions économiques contre ce pays, qui est déjà au bord de la faillite.

Le test nucléaire coréen est essentiellement un moyen, pour la caste bureaucratique qui dirige la Corée du Nord, d’exercer une pression diplomatique sur l’Occident et le Japon. Surtout, le but est d’écarter toute possibilité d’agression militaire américaine. Après tout, quelle conclusion les dirigeants nord-coréens sont-ils supposés tirer de l’invasion de l’Irak ? Malgré les mensonges et la propagande de Bush, l’Irak a été bombardé et envahi précisément parce qu’il n’avait pas d’armes de destruction massive. Par conséquent, l’un des moyens d’échapper au sort que l’impérialisme a réservé à l’Irak, c’est d’avoir de telles armes. Telle est la conclusion logique à laquelle sont parvenus les dirigeants nord-coréens — mais aussi iraniens.

Un Etat ouvrier déformé

Les marxistes n’ont jamais considéré la Corée du Nord comme un authentique régime socialiste. Dès la naissance de ce régime, à la fin des années 40, il s’agissait d’une horrible caricature de socialisme, à l’instar des dictatures staliniennes que furent l’URSS et la Chine de Mao. Pour reprendre la formule qu’utilisait Trotsky pour caractériser l’Union Soviétique, la Corée du Nord est apparue sur la scène de l’histoire comme un « Etat ouvrier déformé » : les moyens de production y ont été nationalisés, mais l’Etat et l’économie échappaient complètement au contrôle de la classe ouvrière et de la paysannerie. Tout le pouvoir était concentré entre les mains d’une bureaucratie totalitaire et privilégiée.

La guerre de Corée

En 1945, l’armée d’occupation japonaise a été boutée hors de Corée, que le Japon avait annexée en 1910. Après le départ des troupes japonaises, la péninsule fut partagée par les deux grandes puissances mondiales qui ont émergé de la seconde guerre mondiale : l’Union Soviétique a occupé le nord du pays et les Etats-Unis le sud. En 1946, Kim Il-Sung, le père de Kim Jong-Il, fut placé par les Soviétiques à la tête de la Corée du Nord, qui deviendra en 1948 la République Populaire Démocratique de Corée.

Kim Il-Sung tenta de réunifier la Corée en se basant sur les mouvements révolutionnaires dans le Sud. Mais après l’échec de l’insurrection d’octobre 1948, dans le Sud, le gouvernement pro-américain de Syngman Rhee réussit à stabiliser la situation. Les Etats-Unis commencèrent alors à retirer la plupart de leurs forces. Cependant, le statu quo ne dura pas longtemps. En 1950, le Nord attaqua le Sud et l’armée d’anciens résistants de Kim vint facilement à bout des forces du Sud, prenant le contrôle de la capitale, Séoul. En réaction, les Etats-Unis, sous le couvert de l’ONU, contre-attaquèrent massivement et réussirent à repousser les forces « communistes ». Cette percée des impérialistes poussa le régime de Mao à envahir la Corée, en octobre 1951. Les Américains et leurs alliés subirent une série de défaites écrasantes. La guerre de Corée s’acheva, en 1953, avec l’établissement de la frontière actuelle entre les deux Corée.

L’abolition du capitalisme

Dès sa naissance, la Corée du Nord prit pour modèle la Russie stalinienne. Le pouvoir était concentré entre les mains du Parti des Travailleurs Coréens, qui était en réalité le parti de la bureaucratie. Une économie planifiée fut mise en place — ce qui fut un développement indiscutablement progressiste. En 1946, 70 % de l’industrie nord-coréenne fut nationalisée, puis 90 % en 1949. Les grands propriétaires terriens furent expropriés et la terre fut distribuée aux paysans pauvres, avant d’être intégralement collectivisée. Grâce à des investissements massifs dans l’industrie et l’introduction de machines agricoles modernes, l’économie nord-coréenne bénéficia de taux de croissance impressionnants au cours des années 50 et 60, et ce malgré les dévastations de la guerre et les gaspillages énormes engendrés par la gestion bureaucratique.

Cependant, à partir des années 70, le poids de la bureaucratie, l’absence de participation démocratique dans la planification et l’impossibilité de construire « le socialisme dans un seul pays », commencèrent à peser sur l’économie nord-coréenne. Elle entra dans une phase de déclin lent mais régulier, et qui continue à ce jour. En particulier, la politique réactionnaire de « l’autarcie » eut des conséquences désastreuses. Comment la petite Corée du Nord aurait-elle pu s’extraire de l’économie mondiale, quand l’histoire a montré que la Chine et la Russie ne le pouvaient pas ?

La tentation chinoise

Les masses nord-coréennes souffrent terriblement. Cela fait longtemps, désormais, que la bureaucratie n’est plus capable de développer les forces productives. A cela s’ajoute les pressions de l’impérialisme. Dans ce contexte, le développement prodigieux du capitalisme chinois exerce une puissante attraction sur de nombreux dirigeants nord-coréens. Il est clair que la bureaucratie nord-coréenne — uniquement préoccupée par le maintien de ses privilèges — s’oriente dans la même direction : la restauration « graduelle » et « pacifique » du capitalisme. Tout comme leurs homologues chinois, les dirigeants nord-coréens ont tiré les leçons de l’effondrement brutal des régimes en URSS et dans le bloc de l’Est. Kim Jong-Il ne veut pas finir comme le dictateur Roumain Ceausescu — jugé et exécuté par ses propres officiers.

Bien que le processus n’en soit qu’à ses débuts, des mesures ont déjà été prises. En 2002, le gouvernement a crée une « zone franche » à Sinuiju, à la frontière avec la Chine. En juillet de la même année, le système de rationnement et de distribution qui fournissait de électricité et de la nourriture gratuite aux travailleurs a été supprimé. Dans le même temps, le contrôle des prix a été « libéralisé », les entreprises privées ont obtenu une plus grande marge de manœuvre, et les propriétaires terriens ont été encouragés à « faire des profits ». Par mille canaux, lentement mais sûrement, le secteur privé s’infiltre dans l’économie nord-coréenne. Bien plus que le récent test nucléaire, cette évolution marque une étape importante dans l’histoire du pays.

La perspective socialiste

Malgré le caractère monstrueusement bureaucratique du régime nord-coréen, les marxistes sont fermement opposés au démantèlement de l’économie planifiée. Nous ne savons pas si le régime parviendra à contrôler le développement de ses réformes capitalistes « à la chinoise ». Mais une chose est sûre : l’amélioration des conditions de vie des masses nord-coréennes n’est pas au programme. En Chine, la restauration du capitalisme s’est accompagnée d’un extraordinaire développement des inégalités et de l’exploitation. Il n’y a pas d’autre issue, pour le peuple nord-coréen, que le renversement de la bureaucratie et l’instauration d’un régime de démocratie ouvrière, dans lequel l’économie et l’Etat seront sous le contrôle direct des travailleurs.

Nous sommes pour une réunification des deux Corée. Mais pour nous, la question des bases économiques de cette réunification n’est pas secondaire. Les marxistes sont pour une réunification du pays sur la base d’une économie socialiste, ce qui passe à la fois par le maintien de l’économie nationalisée dans le nord et le renversement du capitalisme dans le sud. C’est le seule façon acceptable, d’un point de vue communiste, de mettre fin à la division tragique de la péninsule coréenne.