Chine

Après des décennies de croissance, l’économie chinoise a commencé à ralentir au milieu des années 2010. En 2020, la pandémie a précipité une crise profonde qui a mis à nu les pires aspects du capitalisme chinois et du régime dictatorial de Xi Jinping. La jeunesse chinoise a été frappée de plein fouet, et aujourd’hui la crise ne lui laisse pas d’autres voies que le désespoir ou la révolte.

Flambée du chômage

En mars dernier, le nom de Kong Yiji a connu un regain de popularité sur le web chinois. Tirée de la littérature chinoise du début du XXe siècle, cette figure d’un lettré pauvre et sans ressources est aujourd’hui utilisée pour décrire la vie de nombreux jeunes diplômés qui ne trouvent aucun emploi décent. La vidéo d’un chanteur amateur qui utilisait ce personnage pour critiquer la situation actuelle et se moquer de l’hypocrisie du régime a été vue des millions de fois sur le réseau social Bilibili – avant d’être censurée par le régime.

Comme à leur habitude, les autorités chinoises ont réagi de façon à la fois autoritaire et paternaliste. Le 16 mars, la chaîne d’Etat CCTV a même publié un article qui appelait les jeunes à « ravaler leur égo » et à « être plus autonomes ». Cet article affirmait aussi que l’époque de Kong Yiji était « depuis longtemps terminée, [car] l’économie est en reprise [et] le marché de l’emploi s’améliore ».

Pourtant, les chiffres brossent un tableau très différent. Le marché de l’immobilier est en crise, la production industrielle est en repli, la croissance du PIB continue de ralentir. Dans ce contexte, le chômage des jeunes augmente sans cesse. D’après les chiffres officiels, il serait passé – dans les villes – de 17 à 21 % au cours du seul premier semestre 2023. Mais ces chiffres officiels sous-estiment énormément la réalité. Par exemple, il suffit de travailler une heure par semaine pour ne plus être considéré comme un « chômeur ». D’après les calculs d’un économiste de l’Université de Pékin, 46,5 % des jeunes auraient été privés d’emploi au mois de mars 2023. C’est peut-être une exagération, mais quand bien même la réalité se situerait entre ce chiffre et celui du gouvernement, la tendance est clairement à la flambée du chômage des jeunes.

Dans le même temps, les licenciements se multiplient. Les trois principales entreprises chinoises du numérique, Baidu, Alibaba et Tencent, ont à elles seules licencié 28 000 travailleurs en 2022. D’autres secteurs sont concernés. Ford a licencié plus de 1300 salariés en mai dernier, et des plans sociaux massifs sont en préparation dans le secteur financier.

Désespoir ou révolte

Les jeunes nés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000 ont grandi dans un contexte où la Chine s’insérait toujours plus dans le marché mondial, après le rétablissement du capitalisme dans ce pays. L’économie chinoise connaissait des rythmes de croissance très élevés. En cristallisant toutes les contradictions du capitalisme chinois, la pandémie de Covid a brisé les illusions optimistes accumulées par des dizaines de millions de jeunes Chinois.

Les jeunes sont aujourd’hui la catégorie d’adultes la plus exposée aux problèmes psychologiques, avec un taux de dépression de près de 24 % parmi les 18-24 ans, contre 12 % parmi les 25-34 ans. Sans surprise, de nombreux jeunes cherchent le salut dans l’émigration. En avril 2022, pendant le confinement de Shanghai, les recherches en ligne sur « comment émigrer au Canada » ont fait un bond de 2846 %.

Des listes de conseils sur la façon de vivre en dépensant le moins d’argent possible sont largement partagées en ligne et soulignent l’impasse dans laquelle est plongée la jeunesse chinoise. Une des listes les plus populaires, les « six commandements », conseille de s’abstenir de fumer, de boire de l’alcool, de commander de la nourriture à emporter, mais aussi de se marier, d’avoir des enfants et même d’avoir des relations amoureuses !

Cependant, ces manifestations de désespoir ne sont qu’un des aspects de l’état d’esprit de la jeunesse chinoise. En novembre dernier, au moins 207 universités situées dans 21 provinces différentes ont connu des mobilisations dans le cadre du mouvement initié par les travailleurs de l’usine Foxconn, qui eux aussi étaient pour la plupart assez jeunes. Ce mouvement massif a contraint le régime à reculer et à abandonner la politique « Zéro Covid ».

Cette mobilisation de masse était une illustration flagrante de la frustration et de la colère qui fermentent dans les profondeurs de la société chinoise. Du fait de la crise, l’exploitation et l’oppression que le régime capitaliste de Xi Jinping fait subir à la population vont devenir de plus en plus évidentes et insupportables. La lutte des classes va s’intensifier, et une partie significative de la jeunesse va rechercher une voie révolutionnaire pour sortir de l’impasse. En Chine comme ailleurs, elle ne manquera pas de s’orienter, tôt ou tard, vers les idées et les méthodes du marxisme révolutionnaire.

Fin novembre, la Chine a été le théâtre de mobilisations inédites contre les mesures de confinement. Même si elles sont restées d’une ampleur limitée, en termes quantitatifs, leur potentiel a effrayé le régime et l’a obligé à renoncer à sa politique de « zéro Covid ». Ceci a immédiatement déclenché une vague de contaminations qui semble importante.

L’impasse du « zéro Covid »

La politique de « zéro Covid » impliquait des mesures draconiennes et souvent ubuesques. Lors de confinements locaux, des ouvriers étaient confinés non dans leurs logements, mais dans les usines, de façon à maintenir la production. Dans d’autres cas, les travailleurs étaient tout simplement licenciés.

Dans certaines circonstances, les tests PCR quotidiens étaient obligatoires, ce qui obligeait les habitants à faire la queue des heures durant, y compris pendant les tornades ! Pour les capitalistes qui produisent les tests, c’est une source d’énormes profits. Mais la gestion désastreuse des laboratoires privés a débouché sur d’innombrables « faux positifs », et donc sur autant de confinements individuels extrêmement sévères et totalement injustifiés.

Cette politique de « zéro Covid » était vouée à l’échec. Tant qu’elle restait limitée à un petit nombre de pays, pendant que le virus circulait dans le reste du monde, de nouveaux foyers ne pouvaient pas manquer d’apparaître en Chine. Si le régime chinois s’est accroché à cette politique très stricte et répressive, c’est essentiellement pour défendre son prestige face aux autres grandes puissances impérialistes. De ce point de vue, c’est un fiasco qui fragilise le régime aux yeux du peuple chinois.

Mobilisations

Fin novembre, des milliers de travailleurs de l’usine Foxconn, à Zhengzhou, se sont révoltés contre le non-paiement d’une prime qui leur avait été promise. Ils ont réussi à repousser les vigiles de l’entreprise, mais aussi la police. Cette mobilisation leur a permis d’arracher quelques concessions. Presque au même moment, une vague de colère faisait suite à l’annonce d’un incendie meurtrier, à Urumqi, au cours duquel les opérations de sauvetage semblent avoir été entravées par les mesures de confinement. Selon le gouvernement, il y aurait eu 10 victimes ; d’autres sources donnent des chiffres bien plus élevés (jusqu’à 44 morts). Ces deux événements ont sonné le signal d’un mouvement à l’échelle de tout le pays.

Des manifestations se sont déroulées dans près de 19 provinces, jusqu’au cœur de Shanghai et de Pékin. La jeunesse et les étudiants y ont joué un rôle central, avec des mobilisations dans quelque 80 universités. Certaines manifestations étaient dirigées à la fois contre le régime et contre le capitalisme. Des cortèges étudiants ont régulièrement chanté L’Internationale, au grand désarroi des journalistes occidentaux.

L’ampleur du mouvement a contraint le régime à reculer. Dans un premier temps, des administrations municipales ont annoncé qu’elles levaient certaines mesures de confinement, et en particulier les tests PCR quotidiens. Puis, le 7 décembre, le gouvernement central annonçait l’adoption de « 10 nouvelles mesures » signant l’abandon, de facto, du « zéro Covid ».

De Charybde en Scylla

Ce tournant de 180 degrés visait à calmer la colère des masses. Mais l’apaisement, dans les rues, ne peut être que provisoire. Si les tests PCR quotidiens ne sont plus obligatoires, ils restent exigés pour accéder à de nombreux services publics (entre autres). Or désormais, ces tests ne sont plus remboursés. Ceci alimentera la colère de travailleurs chinois déjà confrontés aux conséquences du ralentissement économique.

Surtout, le relâchement rapide des mesures de contrôle sanitaire a provoqué une explosion du nombre de nouveaux cas, très au-delà de ce que le système de santé chinois est capable d’absorber. Au plan national, la Chine compte quatre lits de soins intensifs pour 100 000 personnes. C’est très insuffisant pour supporter une puissante vague de contaminations. Au début de la pandémie, le régime pouvait mettre en scène la construction, en 13 jours, de deux hôpitaux à Wuhan. Il ne pourra pas réaliser le même tour de force à l’échelle de tout le pays. Quoi qu’il en soit, les soins de qualité, très coûteux, sont hors de portée de la majorité des travailleurs chinois.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Chine semble confrontée à une vague de contaminations semblable à celles qui ont balayé les grandes puissances occidentales en 2020. Comme ce fut le cas dans ces pays, la vague va mettre à nu toutes les contradictions de classe, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins et la sécurité des conditions de travail.

Loin de renouer avec la stabilité, le capitalisme chinois se dirige vers une nouvelle période d’intenses troubles sociaux. La crise sanitaire aggrave l’exaspération provoquée par le ralentissement économique et le caractère dictatorial du régime. Au fur et à mesure que les problèmes s’accumulent, la défiance à l’égard du gouvernement grandit. Tôt ou tard, la jeunesse et les travailleurs chinois descendront à nouveau dans les rues, à une échelle encore plus vaste qu’en novembre et décembre derniers.

Cet article a été écrit le 27 novembre. Depuis, les manifestations ont continué. Les événements se développent vite, et il reste à voir comment le mouvement évoluera dans les prochains jours.


A peine un mois après le spectacle pompeux du XXe congrès du Parti Communiste Chinois, la colère qui fermentait dans les profondeurs de la société chinoise est en train de faire irruption à la surface. Le 23 novembre, l’usine géante de Foxconn située à Zhengzhou dans le Henan a été le théâtre d’un violent affrontement entre la police et des ouvriers qui protestaient contre le détournement de leurs salaires. Dans les jours qui ont suivi, des manifestations massives ont éclaté dans de nombreuses villes, pour protester contre les mesures draconiennes de confinement du régime. Celles-ci cristallisent tout le mécontentement accumulé dans la société chinoise. Comme nous l’avions prédit, la crise profonde du capitalisme chinois a commencé à pousser les masses dans la lutte.

Combat chez Foxconn

Les travailleurs de l’usine Foxconn ont été les premiers à se mettre en mouvement. Cette usine géante compte près de 130 000 ouvriers logés directement dans les locaux. Son propriétaire, l’entreprise taïwanaise Foxconn, assemble près de 70 % des iPhone produits dans le monde.

Cette usine a été gratifiée du titre d’« avant-garde ouvrière » l’année dernière par la fédération syndicale affiliée au régime. Elle est en réalité un enfer d’exploitation pour ses travailleurs. Fin octobre, des dizaines de milliers de travailleurs avaient déjà fui les lieux de peur d’y être confinés après l’apparition d’un foyer de COVID. Pour faire des économies, la direction avait en effet renoncé à faire appliquer des mesures sanitaires, mais s’apprêtait à enfermer les travailleurs dans l’usine. Après ce premier coup de semonce, l’émeute du 23 a été provoquée par le vol pur et simple d’une partie des salaires des ouvriers.

Ceux-ci avaient en effet signé des contrats promettant une prime mensuelle de 30 000 yuans payables dès le premier mois de travail. Ils se sont très vite rendu compte que ces primes ne leur seraient pas versées pour le premier mois. Cela a suscité la colère de nombreux travailleurs, qui comptaient sur ces primes pour les fêtes du Nouvel An lunaire.

Le 22 novembre, des ouvriers se sont rassemblés pour protester contre ce vol pur et simple. Ils ont été la cible d’une violente répression de la part des vigiles de l’entreprise, auxquels ils ont opposé une vaillante résistance. Le personnel de sécurité de Foxconn ayant été débordé, les autorités locales du PCC ont envoyé la police réprimer la mobilisation. Mais celle-ci était d’une telle ampleur que le gouvernement provincial du Henan a dû dépêcher en urgence des renforts de police depuis les villes voisines de Luoyang, Kaifeng, Zhumadian et Xuchang.

Cela n’a pas suffi à écraser la révolte. Les combats de rue entre la police et les ouvriers se sont étendus à l’ensemble de l’usine, malgré l’envoi de nouveaux renforts de police. La direction a finalement dû capituler et a promis de payer 10 000 yuans à tout travailleur qui accepterait de quitter l’usine immédiatement.

Les informations sur cette lutte se sont rapidement diffusées dans le pays. La lutte des travailleurs de Foxconn était une démonstration qu’il était possible de lutter, de s’opposer au régime, et d’obtenir des concessions. Cela a servi d’inspiration à toute une couche des masses chinoises, qui sont descendues dans les rues pour protester contre les mesures draconiennes de confinement.

Soulèvement contre les confinements

Dans un premier temps, les mesures strictes de confinement mises en place par le PCC ont permis de contenir le COVID bien mieux que dans les pays occidentaux. Mais, comme nous l’avons déjà expliqué dans de précédents articles, maintenir une stratégie « Zéro COVID » dans un seul pays n’est pas tenable. La Chine ne peut pas se couper du reste du monde et l’apparition de nouveaux variants du virus rend inévitable l’éclosion de nouveaux foyers.

Les masses chinoises ont dû payer au prix fort les mesures de confinement contre le COVID. Celles-ci ont lourdement perturbé leurs vies quotidiennes et conduit à de nombreuses pertes d’emploi. Le régime a de plus maintenu ces mesures bien plus longtemps que la plupart des autres pays. Il tente aujourd’hui de changer son fusil d’épaule, mais le caractère bureaucratique du régime signifie que ce changement ne peut que faire peser plus de souffrances sur les masses.

Après le XXe congrès du PCC, le régime a réduit les quarantaines appliquées aux étrangers à 5 jours au lieu de 7. Mais il a néanmoins continué à demander aux bureaucrates locaux d’appliquer strictement les règles des politiques « Zéro COVID ».

Au fur et à mesure que les restrictions de déplacement étaient levées, les cas de COVID ont naturellement recommencé à augmenter. Sous pression du pouvoir central, les bureaucrates locaux ont répondu à ces nouveaux foyers par une multiplication frénétique de confinements localisés aux règles particulièrement draconiennes. La bureaucratie espérait que les masses se plieraient à ses diktats sans réagir, mais celles-ci étaient déjà à bout. Quelque chose devait inévitablement casser… et c’est ce qui s’est produit.

A Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang, un incendie dans un immeuble d’habitation a causé au moins 10 morts (certains rapports affirment qu’il y aurait eu en réalité près de 44 victimes). Cette catastrophe a été le catalyseur d’un déferlement de colère. Beaucoup ont en effet pointé du doigt les strictes mesures de confinement imposées dans le quartier, qui auraient lourdement compliqué les opérations de sauvetage et causé de nombreux morts supplémentaires.

C’en était trop pour les masses, qui sont rapidement passées de plaintes sur les réseaux sociaux à des manifestations d’ampleur. Comme lors de nombreuses mobilisations précédentes, les manifestations ont été initiées par quelques individus en colère, qui ont pris un grand risque personnel en défiant les autorités. Leur exemple a entraîné des masses gigantesques. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues, défiant toutes les mesures de confinement, et marchant jusqu’à la mairie d’Urumqi.

Le déferlement de colère sur Internet a pris de telles proportions que le strict système de censure mis en place par le régime a été complètement débordé. Partout, des failles sont apparues et, en quelques jours, des rassemblements de solidarité et des manifestations spontanées se sont répandus dans de nombreuses grandes villes à travers tout le pays : Nanjing, Chongqing, Chengdu, Shanghai, Guangzhou, Wuhan, et Pékin.

La jeunesse a été à la pointe de ces mobilisations. Des mobilisations étudiantes massives ont eu lieu dans 79 universités, situées dans 15 provinces (sur 23). A Nanjing, des rassemblements nocturnes ont été organisés par les élèves de l’Ecole supérieure de journalisme, en violation de toutes les mesures de confinement. Les étudiants ont chanté l’hymne national et l’Internationale. Des rassemblements similaires se seraient aussi produits à Pékin et dans d’autres universités.

En dehors des universités, des citoyens ordinaires ont aussi manifesté. A Pékin, l’Internationale a été chantée par les manifestants durant une bonne partie de la nuit. A Shanghai, une foule s’est rassemblée dans une rue portant le nom de la ville d’Urumqi, avant d’être dispersée par la répression policière. Les arrestations n’ont pas eu l’effet escompté et ce rassemblement illégal s’est reproduit le lendemain.

La situation évolue rapidement, mais cette mobilisation est d’ores et déjà la plus importante qu’ait connue le pays depuis trois décennies.

La rébellion est dans l’air

Les marxistes soutiennent pleinement la lutte des masses contre les mesures draconiennes de confinement. Au final, celles-ci visent avant tout à maintenir le pouvoir dictatorial de la bureaucratie. C’est d’autant plus vrai que Xi Jinping a joué une bonne partie de sa réputation et de son autorité politique sur le succès des mesures de confinement.

Le régime est aussi mis en difficulté par la plus faible efficacité du vaccin « Sinovac » par rapport aux vaccins occidentaux. Cela est dû en grande partie au protectionnisme des puissances occidentales, qui ont refusé de partager la technologie du mRNA, mais le régime a encore aggravé la situation en refusant d’acheter des vaccins efficaces en Occident pour des considérations de prestige.

Mais le prestige et l’autorité du régime se disloquent. Les gens ont subi autant qu’ils le pouvaient sans que le COVID ne soit éliminé. Alors que les grandes entreprises ont bénéficié de nombreuses réductions fiscales et de subventions massives, les gens ordinaires n’arrivent plus à acheter de la viande et ont parfois du mal à trouver à manger durant les confinements.

Même si le régime se prétend « communiste », il n’y a pas trace de communisme en Chine. Les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs entreprises, ni sur la société en général. Cette absence de contrôle de la base a mené à une accumulation de contradictions et de maladresses de la part de la bureaucratie et, en conséquence, à des souffrances supplémentaires pour les masses.

S’il existait en Chine une véritable démocratie ouvrière, la lutte contre la pandémie aurait bénéficié de l’investissement direct des masses. Cela aurait permis de minimiser les contaminations et de vacciner massivement tout en garantissant les emplois, les salaires et l’accès aux produits de première nécessité. Les gens ordinaires auraient eu accès à toutes les informations nécessaires et auraient été associés à l’effort collectif de défense de la santé publique. Au lieu de cela, on a assisté à une avalanche frénétique de mesures coûteuses et hasardeuses imposées à la population par la bureaucratie.

Aucune confiance dans les libéraux !

Arrivé à ce point, nous voudrions formuler un avertissement pour le mouvement. Pour l’instant, il ne semble pas que des éléments libéraux-bourgeois tentent d’intervenir dans le mouvement, mais cela peut changer. Le mouvement doit les rejeter avec vigueur, ainsi que tous ceux qui proposent d’appeler les puissances occidentales à l’aide. C’est précisément cette erreur qui a mené le mouvement de 2019 à Hong-Kong à la défaite. Il est probable que les gouvernements occidentaux apportent une « solidarité » hypocrite à ce mouvement « pour la démocratie », mais ces tentatives d’approche doivent être repoussées énergétiquement. L’impérialisme occidental n’est pas du côté des travailleurs chinois. Il ne cherche qu’à affaiblir la Chine, principal concurrent des Etats-Unis sur la scène mondiale, pour défendre ses propres intérêts impérialistes.

Nous devons aussi ne nourrir aucune illusion dans la capacité du PCC à se réformer. Le régime peut être contraint à des concessions, mais cela ne sera pour lui qu’une manœuvre visant à gagner du temps et à désarmer le mouvement, pour pouvoir ensuite réprimer tous ceux qui auront été à la pointe des mobilisations. L’idée qu’une évolution vers un véritable socialisme puisse être possible dans le cadre du régime doit être absolument exclue.

Pour l’instant, la majorité des rassemblements avancent des mots d’ordre qui se concentrent sur la fin des confinements, ou sur leur « humanisation ». Les appels à la chute du régime ou de Xi Jinping, ou les revendications libérales sur la liberté de la presse par exemple, restent très minoritaires. Si le régime choisit de réprimer férocement ces mobilisations, toute une génération de jeunes et de travailleurs sera forcée d’en tirer des leçons.

La répression tout comme le recours à des concessions sont des solutions risquées pour le régime. S’il est contraint d’offrir des concessions, cela serait une preuve qu’il n’est pas aussi tout-puissant qu’il le prétend et cela pourrait donner confiance aux masses pour réclamer plus. La répression, quant à elle, pourrait rajouter de l’huile sur le feu et provoquer de nouvelles couches de la population à passer à l’action.

Quelle que soit la façon dont évolue le mouvement, les couches les plus avancées de la jeunesse et de la classe ouvrière en tireront la leçon que des réformes démocratiques ne suffiront pas à régler les problèmes auxquels elles font face. La seule voie possible se trouve dans le renversement du régime du PCC et l’établissement d’une véritable démocratie ouvrière socialiste.

Le mouvement ne peut pas espérer que le régime reconnaisse sa défaite. Xi Jinping a concentré tous les pouvoirs et entend bien les garder. Il finira forcément par riposter aux mobilisations. Des arrestations et même parfois de véritables rafles de militants sont d’ores et déjà signalées dans certaines villes.

Ce mouvement n’en a pas moins relâché à l’air libre une somme de colère accumulée dans la masse des travailleurs et des jeunes. L’appareil de répression et de censure permettait au régime de projeter une image de stabilité et de solidité… jusqu’à ce que tout rejaillisse à la surface. L’instabilité apparaît clairement et une différenciation de classe se développe, sur la base des inégalités nourries par des décennies de développement capitaliste.

Tant que la transition capitaliste semblait fonctionner – et créer des emplois, développer la société et les forces productives – les masses pouvaient sentir que, malgré les inégalités croissantes, la situation s’améliorait, que l’on vivait mieux qu’avant et elles pensaient que cela allait continuer. Mais ce processus a atteint ses limites.

La croissance à deux chiffres appartient au passé. Toutes les contradictions du capitalisme poussent aujourd’hui les masses sur la voie de la lutte des classes. Mais les 40 dernières années de transition et de développement du capitalisme ont produit la plus grande classe ouvrière de la planète, forte de centaines de millions de travailleurs. Cette force gigantesque commence à s’éveiller. Les bureaucrates du PCC, tout comme les capitalistes chinois ou étrangers, ont de bonnes raisons de trembler.

Début août, la visite à Taïwan de la porte-parole de la Chambre des représentants américains, Nancy Pelosi, a provoqué un regain de tension en mer de Chine. Aux yeux du gouvernement chinois, Taïwan est une province « sécessionniste » ; il considère donc les démonstrations de soutien de Washington à Taipei comme des provocations (ce qu’elles sont effectivement).

En amont de cette visite, après une succession d’avertissements et de menaces toujours plus explicites, le gouvernement chinois a organisé des exercices militaires autour de l’île. En vain. Accompagnée d’une Task Force de la marine américaine, Pelosi a fini par atterrir à Taïwan pour une visite symbolique de moins de 24 heures. Cette provocation visait à humilier Pékin, mais aussi à rassurer les alliés des Etats-Unis dans la région en leur envoyant un message clair : l’impérialisme américain y est encore bien présent, et ne se laissera pas marcher sur les pieds.

En réaction, la Chine a annoncé de nouveaux exercices militaires autour de Taïwan et s’est retirée de plusieurs programmes de coopération diplomatique avec Washington, notamment sur la question de l’armement nucléaire nord-coréen. Cette nouvelle poussée de fièvre est le dernier épisode de la confrontation croissante entre les Etats-Unis et la Chine. Cela fait des décennies que la situation diplomatique et militaire n’a pas été aussi tendue, dans le Pacifique.

Le déclin de l’impérialisme américain

Cette confrontation est la conséquence de l’évolution de ces deux grandes puissances au cours de la dernière période. Les Etats-Unis restent la première puissance impérialiste au monde, mais elle subit un déclin relatif. De son côté, la Chine est devenue la deuxième puissance économique et militaire au monde. Elle concurrence de plus en plus les Etats-Unis dans le Pacifique, qui était auparavant l’un des prés carrés de Washington.

Dans les années 1960, les Etats-Unis représentaient près de 40 % du PIB mondial. Ce chiffre est tombé aux alentours de 30 % en 2000 – et aujourd’hui à 24 %. A l’inverse, la croissance chinoise a été vertigineuse. L’économie chinoise ne pesait que 1,3 % du PIB mondial en 1980, contre 15 % aujourd’hui.

Fatalement, cette dynamique s’est reflétée dans la politique extérieure des deux puissances. Dans les années 1990 et 2000, après la chute de l’Union soviétique, les Etats-Unis sont intervenus dans toute une série de pays, du Panama à l’Irak en passant par l’Afghanistan, la Yougoslavie ou Haïti, sans que rien ne semble pouvoir leur résister. Désormais, la situation est différente : les fiascos sanglants et coûteux des aventures militaires en Irak et en Afghanistan ou l’impuissance américaine en Syrie, notamment, ont montré que la puissance militaire des Etats-Unis n’était pas infaillible. Tout cela a aussi rendu l’opinion publique américaine très hostile à la perspective de nouvelles aventures militaires.

Si les Etats-Unis restent la première puissance impérialiste au monde, ils n’ont plus les moyens d’intervenir partout où ils le souhaitent pour y imposer leur volonté, que ce soit par la force des armes ou par la pression du dollar.

L’ascension de l’impérialisme chinois

Depuis la crise de 2008, la Chine s’est lancée dans une politique étrangère expansive qui vise à gagner des sphères d’influence économique et diplomatique, ainsi que des points d’appui militaires et politiques. C’est la conséquence « naturelle », pour ainsi dire, de son développement capitaliste. Ses capacités productives ont très fortement augmenté, en particulier au cours de la dernière décennie. La Chine produit aujourd’hui près de 56 % de l’acier mondial et davantage de voitures que les Etats-Unis et le Japon combinés. Or, le marché intérieur chinois est très insuffisant pour absorber cette production. Pour éviter de sombrer dans une crise de surproduction massive, le capitalisme chinois doit donc mener une politique impérialiste agressive, de façon à garantir des débouchés à ses marchandises et ses investissements.

C’est ce qui explique les plans massifs d’investissements à l’étranger du régime chinois, dont les fameuses « Nouvelles routes de la Soie ». En Afrique, les entreprises chinoises sont venues concurrencer – et parfois même déloger – leurs rivales françaises dans le secteur minier, dans le secteur pétrolier et dans les infrastructures. En Asie centrale, dans l’océan Indien et dans le Pacifique, les investissements chinois concurrencent de plus en plus ceux provenant des Etats-Unis. Pour sécuriser les voies commerciales par lesquelles les entreprises chinoises exportent leurs produits vers l’Europe ou l’Amérique, des ports ont été achetés par Pékin. Ce fut le cas par exemple en Grèce et au Sri-Lanka.

Cette expansion économique s’est accompagnée d’une offensive diplomatique. Des alliés traditionnels des Etats-Unis, comme le Pakistan ou les Philippines, ont commencé à se rapprocher de Pékin. Par ailleurs, la marine chinoise cherche à se doter de points d’appui pour garantir ses capacités d’intervention dans l’océan Indien et le Pacifique. Une base navale chinoise a d’ores et déjà été installée à Djibouti ; une autre serait en construction au Cambodge. Au printemps dernier, la Chine a signé un traité de sécurité mutuelle avec les îles Salomon, ce qui pourrait lui permettre d’installer une nouvelle base militaire dans cette région hautement stratégique, à proximité de l’Australie.

La Chine a aussi massivement renforcé ses capacités militaires. Il y a douze ans, sa marine ne comptait aucun porte-avion. Elle pourra bientôt en aligner trois et a dépassé la marine américaine en ce qui concerne le tonnage de sa flotte de surface. Son aviation a été modernisée : de nouveaux modèles de chasseurs sont entrés en service pour remplacer les vieux avions hérités de la guerre froide. Un nouveau bombardier furtif ultra-moderne devrait entrer en service en 2025. En théorie, il serait capable de frapper toutes les bases américaines du Pacifique.

L’armée chinoise multiplie les démonstrations de force. Sa marine envoie aujourd’hui des navires patrouiller dans l’océan Indien ou dans l’Atlantique, tandis que de vastes exercices militaires sont régulièrement organisés, notamment autour de Taïwan.

Confrontation impérialiste

A la fin des années 2000, la montée en puissance de la Chine a poussé l’administration Obama – dans laquelle Joe Biden jouait déjà un rôle central – à opérer un « pivot » de la politique étrangère américaine depuis le Moyen-Orient et l’Europe vers l’Asie orientale et le Pacifique. Il s’agissait de concentrer les forces de l’impérialisme américain face à son principal rival : le nouvel impérialisme chinois. Washington s’est donc attelé à renforcer ses alliances dans la région, mais aussi à mettre ses alliés en ordre de bataille face à Pékin, au risque de froisser d’autres alliés. Ainsi, c’est la conclusion d’une alliance avec l’Australie et le Royaume-Uni qui a sonné le glas d’un contrat de vente de sous-marins français à l’Etat australien.

La « menace chinoise » est devenue un thème récurrent de la diplomatie américaine. Cette année, l’OTAN l’a même officiellement placée parmi ses premières préoccupations. Par ailleurs, pour tenter de contenir l’expansion de l’économie chinoise, une série de mesures protectionnistes ont été mises en place dès la première présidence Obama. Donald Trump a accentué cette politique en multipliant les barrières douanières visant les marchandises et les investissements chinois.

Pour les classes dirigeantes américaine et chinoise, cette confrontation est aussi l’occasion de distraire l’attention de leur opinion publique, dans un contexte où les deux pays sont frappés par une profonde crise économique, sociale et politique. La crise économique mondiale et la pandémie ont lourdement affecté leurs économies. L’économie chinoise ralentit nettement, et elle est criblée de dettes colossales, à l’image de la gigantesque entreprise immobilière, Evergrande, qui se retrouve au bord de la faillite tous les trois mois, c’est-à-dire à chaque échéance de ses créanciers.

Du fait de la croissance vertigineuse des inégalités sociales en Chine, le gouvernement de Xi Jinping est confronté à une contestation croissante. Avant la pandémie de 2020, le nombre de grèves augmentait chaque année depuis la fin des années 2000. Par ailleurs, la crise met aussi à nu les multiples contradictions qui traversent le pays, notamment sur la question nationale, comme on a pu le voir dans le Xinjiang ou en Mongolie-Intérieure.

Aux Etats-Unis, la crise économique a provoqué le début d’un réveil de la classe ouvrière. Les douze derniers mois ont été marqués par une vague de grèves durant l’automne 2021 (le « Striketober ») et par un mouvement de syndicalisation très significatif. Sur le plan politique, le Parti républicain est complètement divisé, Biden est déjà très impopulaire et un nombre croissant d’Américains déclarent ne pas se sentir représentés par le système politique. Pékin, comme Washington, ont donc intérêt à agiter la menace de « l’ennemi extérieur » et à flatter le nationalisme pour détourner l’attention des masses. Par exemple, la visite de Pelosi à Taïwan n’était pas sans rapport avec les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre prochain, aux Etats-Unis.

Une nouvelle guerre mondiale ?

Taïwan occupe une place centrale dans cette confrontation. Pour le régime chinois, il s’agit d’une question de prestige national, mais aussi d’un impératif stratégique. Le contrôle de Taïwan permet à la Chine de véritablement contrôler les mers qui bordent ses côtes. Pour les Etats-Unis, l’île est un symbole qui leur permet de se poser en « défenseurs de la liberté et de la démocratie » contre la dictature chinoise. Taïwan occupe aussi une place économique cruciale du fait de sa position dominante dans la production de semi-conducteurs. Dès lors, il est tout à fait possible qu’une guerre finisse par éclater autour de cette question. En accumulant les provocations ou en poussant Taïwan à déclarer formellement son indépendance, Washington pourrait finir par placer le régime chinois dans une situation où celui-ci ne verrait pas d’autre issue que d’envahir l’île. C’est exactement ce qui s’est passé avec la Russie dans le cas ukrainien.

Cette situation amène beaucoup de personnes à craindre que n’éclate un affrontement direct, et potentiellement nucléaire, entre les Etats-Unis et la Chine. Après tout, en 1914 et en 1939, c’était l’ascension de l’impérialisme allemand – au détriment de ses rivaux anglais et français – qui a mené à l’éclatement de guerres mondiales. Un tel enchaînement pourrait-il se reproduire à court terme ? C’est très improbable, notamment du fait de l’existence de l’arme nucléaire. Une confrontation directe entre Washington et Pékin ferait courir le risque d’une annihilation mutuelle, ce qui ne serait dans l’intérêt d’aucune des deux classes dirigeantes.

Dans le cas d’une invasion de Taïwan par l’armée chinoise, les Etats-Unis se limiteront très probablement à des sanctions massives, sans prendre le risque d’envoyer directement des troupes sur le terrain. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Ukraine. Pour autant, même sans arme nucléaire, les retombées économiques d’un tel développement seraient catastrophiques pour la classe ouvrière internationale, qui devrait payer le prix des aventures guerrières des puissances impérialistes.

Comme le disait déjà Lénine il y a plus d’un siècle, le capitalisme est une « horreur sans fin ». Il est absurde d’espérer mettre fin aux guerres impérialistes sans renverser ce système criminel. La classe ouvrière en a le pouvoir, aussi bien en Chine, à Taïwan, aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde. Sans elle, pas une roue ne tourne, pas une ampoule ne brille et pas un porte-avion ne navigue. Dans le contexte d’aggravation de ses conditions de vie, elle ne manquera pas de se mobiliser massivement contre les classes dirigeantes et leurs menées impérialistes.

Article publié le 3 août 2022 sur marxist.com.


Après des jours de spéculations et de tergiversations, la présidente de la Chambre des représentants américains, Nancy Pelosi, a atterri le 2 août à Taïwan dans un avion de l’US Air Force. Cette visite de la troisième personnalité la plus importante de l’appareil d’Etat américain est une provocation vis-à-vis de la Chine, qui considère l’île comme partie intégrante de son territoire. Cela pourrait semer le chaos dans toute la région.

Que venait faire Pelosi à Taïwan ?

Malgré tous ses grands discours sur le soutien à la « démocratie » taïwanaise, Pelosi défend en réalité les intérêts égoïstes de l’impérialisme américain et, au passage, les intérêts encore plus égoïstes du parti démocrate. Celui-ci est paniqué par l’approche des élections américaines de novembre prochain, qui promettent d’être désastreuses pour les démocrates. Comme Joe Biden, Pelosi est profondément impopulaire et, comme lui, elle veut « jouer les durs » sur la scène internationale pour distraire l’attention de la situation économique calamiteuse des Etats-Unis. C’est pour cela qu’elle s’est lancée dans cette visite à Taïwan, qui est une véritable humiliation pour la Chine.

Lorsque le voyage de Pelosi en Asie a été annoncé et que des rumeurs ont commencé à courir sur une possible étape à Taïwan, le gouvernement chinois a multiplié les avertissements et les menaces. La classe dirigeante chinoise n’a pas laissé passer cette occasion de mettre en avant « l’ennemi américain » pour, eux aussi, détourner l’attention de la crise sociale grandissante. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian a affirmé que « l’Armée Populaire de Libération [APL – le nom officiel de l’armée chinoise] ne restera pas passive. La Chine prendra des mesures fortes et résolues pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. » Dans les six jours qui ont précédé l’arrivée de Pelosi à Taipei, trois ministères chinois différents ont publié pas moins de neuf avertissements pour condamner son éventuelle visite. Pelosi les a tous ignorés.

Cette visite s’explique aussi par la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’impérialisme américain. Son déclin relatif a été récemment mis en lumière par plusieurs défaites humiliantes qui ont ébranlé son prestige international. Après une défaite et la fin chaotique d’une guerre longue de deux décennies en Afghanistan, les Etats-Unis voient planer sur eux le spectre d’un autre échec, cette fois dans la guerre par procuration qu’ils mènent en Ukraine contre la Russie.

Si les Etats-Unis restent la plus puissante force impérialiste au monde, ils ne peuvent plus imposer leur volonté au reste de la planète comme c’était le cas dans les années 90 et 2000. Leurs rivaux se sont renforcés et commencent à étendre leurs propres zones d’influence. C’est particulièrement le cas de la Chine, la deuxième puissance économique et militaire au monde. Pékin a ainsi étendu son influence commerciale et politique aux dépens des Etats-Unis, particulièrement dans leur ancien « pré carré » de l’Océan Pacifique.

La visite de Pelosi faisait partie d’une tournée de visites aux principaux alliés des Etats-Unis en Asie Orientale et en Asie du Sud-Est. Dans ce cadre, l’ajout de la brève escale à Taïwan était une provocation pour la Chine. Il s’agissait de signifier à la Chine que les Etats-Unis restent l’acteur dominant de la politique mondiale et ne sont pas décidés à reculer devant un jeune rival aux dents longues. Pour que cela soit encore plus évident, la marine américaine a positionné à proximité de Taïwan une flotte complète, avec même un porte-avion, pendant la visite de Pelosi.

Cette démonstration de force a été néanmoins fragilisée par les désaccords qui ont été ouvertement exprimés par d’autres ailes de l’appareil d’Etat américain. Le cabinet de Joe Biden tout comme le Pentagone se sont en effet opposés au voyage de Pelosi à Taïwan, car ils craignaient que cela ne débouche sur une confrontation avec une puissance nucléaire, et ce, alors qu’ils sont toujours pris dans le bourbier ukrainien. Après les premières annonces de sa possible visite à Taïwan, Pelosi ne pouvait plus renoncer, car cela serait apparu comme un recul face à la Chine – et aurait été exploité à fond par les républicains dans leur campagne électorale.

Taïwan et l’impérialisme américain

La visite de Pelosi a été aussi l’occasion pour les politiciens bourgeois taïwanais de proclamer leur loyauté vis-à-vis des Etats-Unis, qui se présentent comme les « défenseurs de la démocratie taïwanaise ». De telles affirmations de la part de Washington sont complètement ridicules quand on pense au soutien sans faille qu’apportent les Etats-Unis à la dictature saoudienne et à ses innombrables crimes, ou encore à l’abandon des Kurdes face aux persécutions d’Erdogan. Même à Taïwan, la féroce dictature de Chiang Kai-shek et de ses successeurs a été soutenue à bout de bras par Washington pendant des décennies. Ce n’est que dans les années 1970, lorsque leurs intérêts les ont poussés à un rapprochement avec Pékin contre l’Union soviétique, que les politiciens américains en sont arrivés à la situation étrangement ambiguë qui prévaut aujourd’hui : ils ne reconnaissent pas officiellement Taïwan comme un Etat indépendant, mais le soutiennent néanmoins face à la Chine.

Taïwan a pris une importance particulière ces dernières années, du fait de la crise économique, du chaos qui règne sur les marchés ainsi que de l’avalanche récente de mesures protectionnistes. Pékin comme Washington veulent assurer leur approvisionnement du fait de l’explosion de la demande en appareils électroniques durant la pandémie. Or, Taïwan produit la majeure partie des microprocesseurs de la planète et est le second producteur de semi-conducteurs au monde (après la Chine et devant la Corée du Sud).

Les Etats-Unis ont massivement investi dans le développement de leur propre industrie de puces semi-conductrices pour réduire leur dépendance vis-à-vis de Taïwan, mais une telle politique est longue et coûteuse. Washington a aussi contraint l’entreprise taïwanaise TSMC à réduire ses exportations vers la Chine et à implanter des usines aux Etats-Unis – ce qui revient à transférer aux américains toutes leurs technologies de production de semi-conducteurs. Pour Pelosi et ses semblables, la « défense de la démocratie » n’est en fait qu’un prétexte pour justifier la soumission des masses taïwanaises à la volonté de l’impérialisme américain.

La réaction de la Chine

A l’annonce de la possible visite de Pelosi, les dirigeants du Parti Communiste Chinois se sont retrouvés sous pression : soit ils mettaient à exécution leurs menaces, soit ils prenaient le risque de fragiliser leur propre prestige. C’est d’autant plus vrai que pour distraire l’attention de la crise et du COVID, ils ont ces dernières années développé une intense propagande militariste et nationaliste, notamment à propos de Taïwan.

Le fait que Pelosi ait maintenu sa visite malgré les menaces de Pékin a été une humiliation pour le régime chinois. Celui-ci a été obligé de réagir pour tenter de sauver la face. Après l’annonce de restrictions sur l’importation de milliers de produits taïwanais, le régime chinois a organisé d’importants exercices militaires autour de Taïwan, dans ce qui apparaît comme une préparation à un blocus de l’île, tandis que de nombreux appareils de l’APL pénétraient l’espace d’identification aérien taïwanais.

Comme l’a montré la guerre en Ukraine, dans le contexte actuel d’intensification des conflits entre puissances impérialistes, les événements peuvent prendre leur propre logique. Nous ne pouvons pas nous reposer sur le caractère « raisonnable » des classes dirigeantes, de quelque bord que ce soit. La visite de Pelosi était par exemple une provocation insensée qui met en danger les habitants de deux rives du Détroit de Taïwan, et cela en grande partie au nom des intérêts purement électoraux du parti démocrate américain.

Il est tout à fait envisageable que la Chine aille plus loin qu’elle ne l’a déjà fait dans ses mesures de rétorsion contre Taïwan, même s’il est impossible de dire quelle forme exacte de telles mesures pourraient prendre. Pékin pourrait par exemple imposer un blocus naval de l’île, et lancer ainsi un défi aux marines américaines et japonaises.

Dans leur déclin, l’impérialisme américain et le capitalisme mondial ne font que plonger d’une crise à l’autre, plaçant à chaque fois d’innombrables vies au bord du gouffre. La classe ouvrière d’Asie, des Etats-Unis et du monde entier ne pourront espérer sortir de ce chaos sans fin qu’en renversant leurs classes dirigeantes respectives.

Depuis la fin du mois d’août, les protestations se multiplient dans la région autonome de Mongolie-Intérieure, en Chine. Cela fait suite à l’annonce d’une réforme brutale des programmes scolaires, qui réduit drastiquement la proportion d’enseignement en mongol, au profit du mandarin.

Mi-septembre, plus de 300 000 élèves mongols refusaient de se rendre en classe. Les autorités chinoises ont alors posé un ultimatum aux élèves : le 17 septembre, tous ceux qui ne seraient pas retournés à l’école seraient renvoyés et ne pourraient pas passer l’examen national d’entrée à l’université. En outre, leurs parents seraient interdits de prêt bancaire pendant 5 ans. A l’heure où nous écrivons ces lignes (24 septembre), nous ignorons si le régime a mis ses menaces à exécution.

Historiquement, plusieurs provinces habitées par des minorités ethniques, en Chine, se sont vues accorder le statut de « région autonome ». Elles bénéficient d’une relative indépendance administrative et financière. Le pouvoir politique y reste aux mains de Pékin et du Parti communiste chinois (PCC) [1], mais les droits fondamentaux des minorités y sont relativement respectés, d’habitude, et notamment le droit à une éducation dans leur propre langue.

Le contenu de la réforme

En Mongolie-Intérieure, la minorité mongole représente 4,2 millions de personnes, soit environ 17 % de la population. Jusqu’alors, le programme scolaire permettait aux élèves concernés de faire l’ensemble de leur apprentissage en mongol, tandis que le mandarin était introduit plus tard, comme sujet d’étude distinct. La nouvelle politique éducative remet tout cela en cause. D’ici 2022, elle prévoit d’imposer le mandarin pour l’apprentissage de l’histoire, de la politique et de la littérature. Concernant l’étude du mandarin lui-même, les manuels bilingues (mandarin/mongol) seront remplacés, dès cet automne, par des manuels rédigés uniquement en mandarin.

Les enseignants jouent un rôle clé dans l’actuel mouvement de protestation. Nombre d’entre eux subissent, en représailles, le harcèlement quotidien des autorités. En plus d’être préoccupés par la préservation de leur langue, ces enseignants s’inquiètent pour leur emploi, car beaucoup ne sont pas qualifiés pour enseigner leur discipline en mandarin.

Cette réforme est une attaque évidente contre les droits de la minorité nationale mongole, dans le contexte d’une recrudescence du nationalisme Han, l’ethnie majoritaire en Chine. Bien qu’il n’y ait pas de mouvement nationaliste d’ampleur parmi les Mongols de Chine, ils sont farouchement attachés à leur langue et à sa préservation. Tant que l’Etat chinois respectait la langue et la culture mongoles, cette minorité nationale soutenait – fût-ce passivement – les autorités centrales. Ce n’est plus le cas.

La question nationale

Les protestataires se défendent d’être séparatistes : ils ne remettent pas en cause le pouvoir central du PCC, mais critiquent une réforme qui s’attaque brutalement aux droits des minorités nationales.

Par le passé, la Mongolie-Intérieure était considérée comme une « région autonome modèle ». Le régime du PCC n’y rencontrait presque aucune résistance ; la bureaucratie locale du parti parvenait à calmer les dissidences en obtenant des concessions de l’Etat. Il s’agissait d’une période où les compromis étaient encore possibles.

Cependant, comme nous le voyons dans le monde entier, la crise du capitalisme accentue les divisions sociales et les contradictions de classe. Pour maintenir la stabilité du pouvoir, la classe dirigeante chinoise et le PCC s’appuient de plus en plus sur le chauvinisme Han. Les politiques nationalistes se succèdent et renforcent le contrôle du gouvernement central – au détriment des intérêts régionaux et des minorités nationales.

Le professeur Hu Angang, de l’université de Tsinghua, a été le premier – en 2011 – à développer l’idée d’une « seconde génération de politique ethnique ». Il considère que la Chine devrait supprimer l’ensemble du système d’autonomies nationales, afin de « libérer la croissance du marché » et de « renforcer la cohésion nationale ». Ses idées réactionnaires sont en vogue dans la direction du PCC depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

Les exemples récents se multiplient. Par exemple, le projet de construction des « nouvelles routes de la soie », qui vise à faire du Xinjiang une route commerciale de premier ordre, s’est accompagné d’une répression massive des populations Ouïghour. A Hong-Kong, la volonté de mettre fin à l’accord « un pays, deux systèmes », a remis en cause les droits démocratiques dont jouissaient les Hongkongais. Dans ces conflits, les médias d’Etat insistent sur l’importance de « l’intégration ». En amplifiant ainsi les antagonismes ethniques, le régime de Xi joue avec le feu, car il suscite de nouvelles oppositions à l’intérieur de ses frontières.

Il est urgent de lier ces luttes à celles du reste des travailleurs et des pauvres dans les régions autonomes comme dans le reste de la Chine. Il faut passer par-dessus les divisions nationales entretenues par le PCC, pour construire un mouvement basé sur la solidarité de classe et capable de lutter contre l’ennemi commun : le capitalisme chinois.


[1] Malgré le nom du parti au pouvoir, le régime chinois est capitaliste. A ce sujet, lire nos articles sur marxiste.org (rubrique « International/Asie/Chine »)

Le coronavirus continue de se propager en Chine, mettant le régime sous pression. Le 25 février, les autorités chinoises déclaraient plus de 77 000 cas d’infection, et plus de 2 500 décès – pour près de 2 500 contaminés hors de Chine.

Le soi-disant Parti Communiste Chinois (PCC) a appliqué des mesures drastiques de confinement dans l’épicentre de l’épidémie : la province du Hubei et son chef-lieu, Wuhan. Le confinement s’est ensuite étendu à six autres provinces. Le 20 février, il touchait 27 villes et plus de 50 millions de personnes.

Le contrôle des déplacements est renforcé à travers le pays, perturbant la vie quotidienne de millions de personnes et impactant fortement l’économie nationale. Cette crise menace la stabilité sociale et économique du pays ; elle exacerbe les profondes contradictions du régime.

Censure et répression

Aux tout premiers stades de l’épidémie, le Dr Li Wenliang avait alerté ses proches, via un réseau social, sur le risque de propagation du coronavirus. Alors qu’il n’avait jamais été associé à une quelconque activité politique, il a été accusé de vouloir nuire au régime en propageant des rumeurs. Il a été contraint au silence par la police de Wuhan. Il a ensuite été contaminé par le virus ; il est décédé le 6 février.

La censure s’est fréquemment appuyée sur les mesures exceptionnelles de confinement. La diffusion d’informations contredisant la version officielle a valu à de nombreuses personnes d’être placées « en quarantaine », alors qu’elles n’étaient pas malades.

Le verrouillage de l’information par l’Etat a eu pour effet de favoriser la propagation du virus dans sa première phase. Puis, l’épidémie se propageant, le gouvernement central a brusquement changé de discours : il a attribué la responsabilité des « erreurs passées » à des bureaucrates locaux, qui ont été prestement limogés. Ces atermoiements, comme le caractère brutal de la répression, ont eu un effet contraire à celui qu’espérait le régime. Loin de s’atténuer, la contestation s’est accrue. Les protestations contre la censure imposée par le régime se sont multipliées, notamment via internet.

Crise économique

La répression est un outil indispensable au maintien du régime chinois. La restauration du capitalisme en Chine par la bureaucratie maoïste a créé une situation sociale potentiellement explosive. En niant les droits démocratiques les plus élémentaires, le régime espère limiter le développement de la conscience de classe et de la solidarité ouvrière face à l’exploitation brutale dont sont victimes les travailleurs chinois.

Pendant des décennies, le régime a justifié son autoritarisme par la nécessité de développer l’économie du pays. Or l’économie chinoise ralentit depuis plusieurs années – et la crise sanitaire actuelle accélère cette tendance. La crise économique à venir, qui est inévitable, démontrera l’incapacité de la bureaucratie du PCC à fournir à la population des emplois et des conditions de vie décentes. Dès lors, le régime de Xi Jinping se trouvera confronté à toute la colère qui fermente au plus profond de la société chinoise.

Le puissant mouvement de protestation à Hong Kong entame un deuxième mois. Malgré une pression croissante de Pékin et du gouvernement de Carrie Lam, le mouvement continue de se radicaliser. Il passe des méthodes libérales bourgeoises aux méthodes de la lutte de classe. À bien des égards, quand Carrie Lam est sortie de l’ombre pour réagir à la grève générale, elle a eu raison de dire que le mouvement allait droit vers un « point de non-retour ».

Les masses hongkongaises tentent avec ardeur de surmonter les fortes contradictions sociales créées par le système capitaliste, malgré la myriade de confusions introduite par toute sorte d’éléments néfastes. Cependant, sans une perspective de lutte de classe et un programme socialiste, les entraves réactionnaires introduites par les dirigeants libéraux bourgeois et réformistes deviendront un obstacle absolu à la promotion des intérêts de classe des masses hongkongaises dans leur ensemble.

Le lundi 5 août, les masses hongkongaises se sont efforcées de faire l’histoire en tentant une grève générale. La dernière grève générale pleinement réalisée dans la ville a eu lieu en 1925 contre le talon de fer de l’impérialisme anglais.

Les développements historiques et les conditions matérielles, combinées avec les trahisons staliniennes et réformistes, ont longtemps privé la classe ouvrière de Hong Kong d’une expérience de lutte et d’organisation. À ce stade précoce de recherche d’une méthode et d’une stratégie, le mouvement actuel s’est malheureusement retrouvé désorienté à cause de la convergence dangereuse avec les slogans, les perspectives et les intérêts de personnalités pro-occidentales.

À ce stade, le développement de la lutte met en évidence l’urgente nécessité d’une nette différenciation de classe.

Les circonstances historiques qui entourent la grève générale du 5 août

Le rythme de développement historique des puissances impérialistes occidentales donnait à leurs classes dirigeantes le temps, la vitalité et la clairvoyance nécessaires à la mise en place d’une dictature bourgeoise qui leur donnait un large éventail d’outils pour préserver leur statut. Au final, ces outils aux nombreuses nuances, accumulés dans le système de démocratie bourgeoise, assurent tous le caractère sacré de la propriété privée, de l’État-nation et de « l’État de droit » dans le but de maintenir le libre marché et l’accumulation capitaliste fondés sur l’exploitation de la classe ouvrière.

Les institutions de la démocratie bourgeoise fournissent à la classe dirigeante un baromètre de l’humeur des masses leur permettant de mesurer leur marge de manœuvre. Comme Engels l’expliquait dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État :

« Tant que la classe opprimée, c’est-à-dire, en l’occurrence, le prolétariat, ne sera pas encore assez mûr pour se libérer lui-même, il considérera dans sa majorité le régime social existant comme le seul possible et formera, politiquement parlant, la queue de la classe capitaliste, son aile gauche extrême. Mais, dans la mesure où il devient plus capable de s’émanciper lui-même, il se constitue en parti distinct, élit ses propres représentants et non ceux des capitalistes. Le suffrage universel est donc l’index qui permet de mesurer la maturité de la classe ouvrière. »

Hong Kong Manif

Les droits démocratiques sont exactement ce que le régime de Pékin a décidé d’éviter. Le régime essaye désespérément de freiner toute tentative d’organisation indépendante de la classe ouvrière. La bureaucratie du parti communiste chinois (PCC) dans son ensemble, afin d’éviter une révolution de la classe ouvrière, ou sa propre éviscération par les forces impérialistes occidentales antagonistes, ne peut assurer sa survie qu’en instituant la contre-révolution selon ses propres modalités, sans donner aucun droit bourgeois démocratique à la classe ouvrière.

Ceci est non seulement la base du régime du PCC sur Hong Kong, mais aussi, plus important, celle de la classe capitaliste locale. Cette dernière joue un rôle significatif dans l’ensemble de l’économie capitaliste chinoise et a fourni la première injection de capital en Chine qui a conduit au démantèlement de l’économie planifiée et à la restauration du capitalisme en Chine. Le régime « Un pays, deux systèmes » à Hong Kong est principalement motivé par le maintien de la dictature de la classe capitaliste de Hong Kong sur la ville et de l’accès du marché chinois au capital financier occidental. Pour la bureaucratie de Pékin, faire plus de concessions démocratiques aux masses de Hong Kong n’a jamais été à l’ordre du jour, car cela nuirait à sa nécessaire dictature sur la classe ouvrière chinoise dans son ensemble.

Comprendre ces perspectives est d’une importance vitale pour la classe ouvrière de Hong Kong s’engageant dans toute forme de lutte. Toute lutte pour des gains véritablement démocratiques et économiques soulève la nécessité de méthodes de classe, et propagation de la lutte en Chine continentale.

La route sinueuse vers la grève du 5 août

Les personnalités libérales du mouvement ne comprennent pas cela, mais jouissent d’une grande attention et couverture dans les médias bourgeois. Encore pire, les dirigeants syndicaux réformistes, prétendument « anti-establishment » (à Hong Kong cela signifie « anti-Pékin ») ont cherché à négocier une tactique qui respecte à la fois les lois de Pékin et les intérêts de l’impérialisme occidental. Ils reflètent le fait que les bourgeois de Hong Kong ont des intérêts communs avec les bourgeois chinois dans le maintien de l’exploitation impitoyable des travailleurs de Hong Kong et du continent.

Lors de l’éruption initiale du mouvement actuel début juin, qui avait nécessairement un caractère spontané, l’appel à la grève générale était déjà présent. Il a grandi en influence suite au refus catégorique de Carrie Lam de reculer face aux manifestations pacifiques de plusieurs millions de personnes en juin. À ce jour, et même avant les grèves du 5 août, les masses de Hong Kong ont déjà porté des coups évidents aux patrons. Selon le Financial Times, les activités du secteur privé de la ville sont déjà à leur plus bas niveau depuis la crise financière mondiale.

Face à une telle demande pour la lutte de classe, au lieu d’organiser sérieusement une grève générale, le libéral Front civil des droits de l’homme a soutenu deux fois l’appel à la grève avant de le retirer. La Confédération des syndicats de Hong Kong (CSHK), sous la direction de Carol Ng, se présentant fièrement comme « la véritable direction syndicale » contre la Fédération des syndicats de Hong Kong (FSHK) contrôlée par Pékin, a choisi à plusieurs reprises de qualifier la grève générale de « journée de congé de masse », ce qui signifie que les travailleurs avaient besoin de l’autorisation de leurs employeurs pour faire la grève. C’est la même explication que la CSHK a donnée à la classe ouvrière avant la grève générale du 5 août.

À la fin de la grève du 5 août, Carol Ng a déclaré que 35 000 travailleurs avaient rejoint la grève qui, selon elle, comptait un tiers de ses membres. Pourtant la CSHK aurait 140 000 membres en 2017. Sans être négligeable, la CSHK n’a pas réussi à mobiliser la grande majorité de ses forces. Pour changer cela, il faut non seulement convaincre plus de travailleurs syndiqués et non syndiqués de rejoindre la grève, mais également former un parti de masse de la classe ouvrière avec un programme socialiste combatif, clairement opposé au capitalisme et aux patrons, et désireux de lutter en dehors des limites du droit fixé par le PCC et les capitalistes de Hong Kong.

Les perspectives suicidaires des libéraux

Les personnalités étudiantes les plus libérales et petites bourgeoises, telles que Joshua Wong – le co-fondateur le plus connu du parti Demosisto –, ont joué un rôle encore plus délétère en appelant à plusieurs reprises à une intervention américaine, européenne et japonaise. Ceci en dépit du fait que Trump qualifie ouvertement le mouvement hongkongais d’« émeutes » susceptibles de calmer momentanément la Chine dans la guerre commerciale actuelle. Wong a en outre remercié ouvertement la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, pour sa déclaration approuvant la « loi sur les droits de l’homme et la démocratie à Hong Kong », parrainée par le républicain Chris Smith, un réactionnaire impérialiste anti-avortement et anti-LGBT.

En juin, lors de l’envahissement du bâtiment du Conseil législatif, où le drapeau colonial britannique avait été brandi, Wong a déclaré que c’était une mesure désespérée, car « nous avons tout essayé ». Personne ne sait en quoi brandir le drapeau colonial pourrait aider. S’attendaient-ils à ce que les impérialistes britanniques envoient la marine pour protéger les droits démocratiques à Hong Kong ? Comme le montre la déclaration de Trump, les droits du peuple de Hong Kong ne constituent qu’un changement mineur dans la lutte entre les puissances impérialistes. De plus, ils n’avaient pas « tout essayé ». Ils n’avaient pas tenté sérieusement de mobiliser la classe ouvrière. C’était avant même que la grève générale ne soit tentée.

L’expérience de la grève du 5 août

Hong Kong airportLa grève générale du 5 août s’est finalement réalisée à travers le prisme déformé des dirigeants libéraux. Les efforts les plus vaillants devraient être attribués aux travailleurs de l’aéroport. 3 000 agents de bord, employés logistiques terrestres et autres se sont mis en arrêt maladie pour paralyser l’aéroport international de Hong Kong. C’est la réalisation la plus importante de la journée, et devrait être encouragée à aller bien au-delà d’un jour de congé maladie. Elle devrait se transformer en une grève active qui va à l’encontre des intérêts des employeurs, avec une occupation des travailleurs et le contrôle des installations.

On a tenté de fermer les métros, mais avec un résultat mitigé. Il est vrai que plusieurs employés du métro ont fermé les stations dans lesquelles ils travaillaient et qu’il y avait aussi des manifestants ne travaillant pas dans les stations qui ont empêché la fermeture des trains pour les bloquer. Au crédit de ces manifestants, des heures de travail de propagande préparatoire ont eu lieu dans les stations, mais ils n’ont pas réussi à gagner la majorité des travailleurs du métro. Cela était nécessaire pour fermer complètement le métro et donner à la grève la légitimité nécessaire aux yeux des travailleurs qui utilisent le métro pour aller au travail et rentrer chez eux. L’échec retombe sur l’absence d’effort des dirigeants syndicaux pour discuter et préparer un vote pour la grève sur le lieu de travail.

L’incapacité des dirigeants syndicaux à organiser des actions de classe, conscientes, militantes et organisées signifie que le rôle de l’action militante revient aux jeunes, qui ne connaissent pas bien les méthodes et les mots d’ordre de la classe ouvrière. Face à une répression policière brutale, aux balles en caoutchouc et aux gaz lacrymogènes, le slogan « reprendre Hong Kong, la révolution de notre époque » est devenu populaire. Ce slogan ambigu a néanmoins une histoire. Il a été utilisé par le « localiste » d’extrême droite et anti-chinois Edward Leung lors de sa candidature pour un siège au Conseil législatif en 2016. L’utilisation de ce slogan a fourni des munitions au régime du PCC. Lors de la seconde conférence de presse tenue par le bureau des Affaires du Conseil d’État de Hong Kong et de Macao, le porte-parole Yang Guang a profité de cette ambiguïté pour demander « qui sont ces personnes qui veulent “récupérer” Hong Kong ? » Il sous-entendait que le mouvement cherchait à soumettre une nouvelle fois Hong Kong à l’impérialisme occidental. Ceci, ainsi que certains individus proférant des propos haineux tels que « chinetoques » ou « sauterelles », n’a fait qu’approfondir le sentiment de la classe ouvrière chinoise que ce mouvement est contre le peuple chinois dans son ensemble, faisant le jeu de Pékin.

Si ce sentiment perdure et que les personnalités réactionnaires sont sans cesse autorisées à parler au nom du mouvement, alors les leçons organisationnelles et les expériences précieuses acquises par les masses hongkongaises dans leur lutte quotidienne contre le pouvoir d’État (comment gérer les gaz lacrymogène, échapper à la reconnaissance faciale à l’aide de lasers, etc.) ne vont pas s’étendre au-delà des frontières de la ville et bénéficier à la classe ouvrière mondiale dans ses luttes futures. Elles vont tout simplement se perdre.

C’est précisément à cause de ces développements que Pékin a pu commencer à interdire les reportages concernant Hong Kong sur le continent. Cela sert à renforcer la propagande selon laquelle le mouvement de Hong Kong est un mouvement haïssant la Chine et parrainé par l’impérialisme occidental, totalement opposé aux intérêts de la classe ouvrière chinoise.

Un chemin vers la victoire, ou une route vers la défaite

Pour l’instant, le gouvernement chinois tente d’éviter l’intervention directe de l’armée. Cela risquerait d’étendre le mouvement au continent, ce que Pékin essaye précisément d’éviter. Pourtant, il est peu probable que Pékin choisisse d’accorder des concessions au mouvement, qu’elles soient économiques ou politiques. Lors de la seconde conférence de presse du bureau des affaires de Hong Kong et de Macao, un porte-parole d’Etat du PCC a attribué la présence massive de jeunes dans les manifestations de Hong Kong, non à de terribles contradictions économiques, mais à une « mauvaise éducation patriotique » et au « manque d’interaction des jeunes de Hong Kong avec le reste de la Chine et du monde ». C’est nécessaire, car l’illusion que le régime « Un pays, deux systèmes » a apporté la prospérité aux masses de Hong Kong doit être maintenue. La Chine ne peut également pas se permettre de faire des concessions sociales et démocratiques importantes à Hong Kong alors que le capitalisme plonge également le reste du pays dans les mêmes contradictions sociales qu’à Hong Kong.

Hong Kong policeLa police de Hong Kong sera certainement utilisée pour réprimer le mouvement lorsqu’il montrera un signe de déclin. Le gouvernement de Hong Kong a déjà acheté des camions anti-émeutes à la France, équipés de canons à eau. La police de Hong Kong, co-dirigée par le surintendant en chef Rupert Dover – de souche britannique –, présente sur sa page Facebook officielle une technologie de coloration pour avertir que tout manifestant serait marqué d’encre afin d’aider la police à l’identifier plusieurs jours après.

Ainsi, Pékin et le gouvernement de Hong Kong attendront leur heure, augmentant constamment la pression exercée par la police de Hong Kong et comptant sur les personnalités libérales et l’absence de direction révolutionnaire pour mener le mouvement à la confusion et à la démoralisation. Après quoi, une répression politique féroce sera lancée.

Le seul moyen d’éviter ce scénario est d’élargir le mouvement à la Chine continentale. Les marxistes se félicitent des appels en faveur de plus de grèves et de la volonté des masses de poursuivre le combat, mais la lutte doit non seulement s’élever à un niveau organisationnel supérieur, avec la formation d’un comité de grève composé de représentants élus par tous les travailleurs et les jeunes de Hong Kong qui participent à la lutte, mais aussi élargir activement la lutte au-delà de Hong Kong.

Tous les démocrates conséquents, jeunes et socialistes honnêtes de Hong Kong doivent immédiatement commencer la propagande en direction des masses chinoises afin de contrer les calomnies du gouvernement en mandarin, et inclure clairement les besoins économiques quotidiens des Chinois continentaux dans leur programme et leurs revendications. Ils doivent aussi ouvertement critiquer et marginaliser leurs dirigeants réformistes et libéraux actuels, afin de mener le mouvement dans une lutte de classe conséquente avec un programme socialiste offrant une solution au logement, aux revenus et à toutes les crises économiques qui frappent les travailleurs en Asie de l’Est. Tout sentiment anti-chinois, anti-communiste ou impérialiste pro-occidental doit être immédiatement répudié et abandonné, car ils ne feront que mener le mouvement à sa destruction.

« Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera » : cette prédiction de Napoléon a été confirmée par l’Histoire. Au cours des vingt dernières années, la Chine est devenue une superpuissance qui menace, objectivement, la domination des Etats-Unis.

Cependant, la Chine est un colosse aux pieds d’argile. Elle ne sera pas capable, cette fois-ci, de limiter l’ampleur d’une nouvelle récession mondiale. Elle pourrait même en être le déclencheur. La question n’est plus : « comment la Chine va entrer dans la prochaine récession ? », mais : « comment va-t-elle en sortir ? »

La guerre commerciale sino-américaine a eu un impact considérable sur l’économie chinoise. En décembre dernier, les exportations de produits chinois aux Etats-Unis ont chuté de 63 %. En novembre, les investissements directs étrangers en Chine ont chuté de 26 %. La dette globale chinoise (publique et privée) a explosé, atteignant 23 000 milliards de dollars.

La croissance économique chinoise est tombée de 10,6 % en 2010 à 6,6 % en 2018. Elle devrait se situer autour de 6 % en 2020. Une croissance aussi faible accentue les contradictions sociales dans le pays : l’économie n’est plus capable d’absorber les dizaines de millions de Chinois qui migrent chaque année des campagnes vers les villes. En conséquence, le chômage augmente et les salaires stagnent.

Vers un « Mai 68 » chinois ?

Les contradictions économiques attisent la lutte des classes en Chine. Les grèves y sont plus nombreuses et massives. La crise et les traditions révolutionnaires chinoises poussent de nombreux jeunes vers le marxisme et vers la classe ouvrière. L’été dernier, 50 étudiants ont lutté aux côtés des travailleurs de l’usine JASIC, pour la création d’un syndicat indépendant (du PCC). Les luttes communes d’étudiants et d’ouvriers se développent. Les organisations d’étudiants marxistes se multiplient, malgré la répression des autorités : des dizaines d’étudiants ont été emprisonnés, d’autres sont portés disparus.

La bourgeoisie chinoise redoute l’union des étudiants et des ouvriers, façon « Mai 68 ». Ses inquiétudes sont d’autant plus fondées qu’il n’existe pas, en Chine, de grandes organisations réformistes capables de canaliser le fleuve révolutionnaire (comme c’était le cas en France). Le PCC ne peut évidemment pas jouer ce rôle, car il incarne le pouvoir.

La jeunesse – étudiante et ouvrière – jouera un rôle décisif dans le développement de la lutte des classes en Chine. De grands événements se préparent. La tempête approche. Et quand la classe ouvrière chinoise s’éveillera, oui, le vieux monde tremblera !

Début juin, les ouvriers de l’usine de postes à souder « JASIC Technologies », à Shenzen, ont tenté de créer un syndicat pour se défendre contre les abus de leur direction. S'en est suivie une confrontation directe avec l’Etat chinois.

Répression

Au début, les travailleurs de JASIC voulaient se conformer à la loi. Ils avaient obtenu l’autorisation de s’affilier à la Fédération nationale des syndicats de Chine (FNSC), la seule confédération syndicale légale. Mais la direction de l’entreprise a réagi en créant un syndicat « jaune », lui aussi affilié à la FNSC. Face à cette manœuvre, puis à des licenciements et à la répression policière, les militants syndicaux ont décidé de retirer leur demande d’affiliation. De ce fait, leur syndicat devenait illégal.

Leur lutte a attiré l’attention de nombreux militants de gauche. Une pétition de soutien a été lancée. Un groupe d’étudiants maoïstes s’est rendu sur place, en solidarité : un geste très apprécié des travailleurs… mais beaucoup moins des autorités. Fin août, la police a arrêté tous les étudiants et a convoqué leurs parents pour les « convaincre » de faire pression sur leurs enfants.

Radicalisation

Cette mobilisation n’est pas un cas isolé. Dans de nombreuses universités chinoises, des groupes de gauche se sont formés, ces dernières années, qui remettent en cause le capitalisme chinois. Certains ont même défrayé la chronique en arrêtant leurs études pour aller travailler à l'usine, dans l'intention d'aider la classe ouvrière à s'organiser. Pour la bourgeoisie chinoise, cette convergence entre étudiants et travailleurs est une sérieuse menace. D’où la vague de répression, symbolisée par l’interdiction des Cercles d’études marxistes de l’Université de Pékin. Yue Xin, l'une des étudiantes arrêtées en août à Shenzen, est même accusée de soutenir l’indépendance de Taïwan ! En réalité, elle est visée parce qu’elle avait mené en 2015 un mouvement de protestation après le viol d’une étudiante par un enseignant.

Avec le ralentissement de l’économie chinoise, la classe dirigeante essaie de faire porter aux travailleurs le poids de sa crise, ce qui les pousse à l’action. Cette année, il y a eu la grève des grutiers le 1er mai, les grèves des livreurs de Meituan et Dee-Dee et, sans doute, des dizaines d’autres grèves qui ne sont pas signalées dans la presse. Le réveil de la classe ouvrière chinoise, la plus nombreuse du monde, sera brutal pour la bourgeoisie de ce pays.