Perspectives mondiales

« C’est une renaissance ! » Ces mots d’Alan Woods, le principal théoricien de la TMI, résument bien l’ambiance de la récente réunion de notre Comité Exécutif International (CEI) qui s’est tenue début février en Italie. Une couche significative de travailleurs et de jeunes cherche à saisir à pleines mains le drapeau du communisme. Nous devons nous tourner résolument vers elle en construisant une Internationale Communiste Révolutionnaire.

Perspectives mondiales : crise et radicalisation

Notre tournant audacieux découle de la situation objective telle que l’a souligné Alan lors de la session introductive du CEI, consacrée aux perspectives mondiales. Les capitalistes titubent de crise en crise à tous les niveaux – politique, économique, social et militaire – tandis que l’inflation rogne les salaires et les conditions de vie des masses.

Dans ce contexte tumultueux, a souligné Alan, il ne faut pas surestimer la rationalité des capitalistes. Comme le disait Lénine, « un homme au bord du gouffre ne raisonne pas ». La classe dirigeante enchaîne les erreurs. En 2022, le président américain Joe Biden, cette créature héritée de la Guerre froide, a poussé l’Ukraine dans une guerre perdue d’avance contre la Russie. L’an dernier, il a apporté son soutien inconditionnel à la guerre génocidaire menée par Israël à Gaza. Et maintenant, les Etats-Unis lancent de nouvelles frappes aériennes au Moyen-Orient et menacent l’Iran. Une guerre généralisée au Moyen-Orient serait un désastre. C’est pourtant dans cette direction que s’orientent les impérialistes.

Comparant leur situation à celle du Titanic, Alan a souligné que, pour sa défense, le capitaine du paquebot naufragé n’avait pas vu l’iceberg approcher, tandis que « Biden et ses conseillers voient l’iceberg à l’horizon et crient : en avant toute ! »

Alors que le monde s’enflamme (au sens propre comme au sens figuré), les masses désespèrent de leurs dirigeants. Dans tous les pays, tous les sondages montrent une haine profonde pour l’ensemble des piliers de l’establishment : des politiciens aux grandes entreprises en passant par la presse. Dans le même temps, le mouvement ouvrier a commencé à sortir de sa torpeur en Grande-Bretagne, en France, aux Etats-Unis – et même dans des pays comme l’Allemagne où il était en sommeil depuis des décennies.

Ce changement majeur dans les consciences fait suite à une période où les courants réformistes de gauche (les mouvements autour de Corbyn et Sanders, SYRIZA, Podemos, etc.) ont été mis à l’épreuve, jusqu’à être détruits. Comme l’a dit Alan, « Ils ont chaque fois soulevé des attentes et des espérances gigantesques… pour mieux les décevoir ».

Le réformisme ­ et même le « socialisme » ­ sont donc vus avec méfiance par les couches les plus radicales des travailleurs et de la jeunesse. Comme le montrent les succès de notre campagne communiste, les nouveaux combattants de la classe ouvrière ne se satisferont de rien de moins que le communisme.

« Dans tous les pays, des milliers, des dizaines des milliers, des centaines de milliers, et probablement des millions de jeunes ont été gagné aux idées du communisme. […] Le véritable communisme est instinctif, c’est un besoin de combattre et de transformer les choses. Les membres de ces couches nouvelles se considèrent comme communistes – ils n’ont pas lu les livres, mais ils sont communistes quand même et n’ont pas besoin d’être convaincus. »

Toucher cette avant-garde de travailleurs et de jeunes a été le leitmotiv de cette réunion du CEI. Comme l’a dit Alan, en gagnant ces communistes instinctifs dans nos rangs, « nous construirons une puissante internationale communiste. Une force sérieuse, non seulement pour observer et commenter les événements, mais pour intervenir dans la lutte des classes qui se développe dans tous les pays. »

L’impérialisme et la Palestine

Les gaffes de Biden coïncident avec le déclin relatif de l’impérialisme américain à l’échelle mondiale. Ce processus ouvre un espace à des rivaux de Washington, comme la Russie et surtout la Chine, pour se tailler leurs propres sphères d’influence. Tout cela a été abordé et discuté en profondeur lors d’une session du CEI consacrée à l’impérialisme.

S’appuyant sur des faits et des données chiffrées, Jorge Martín, membre du Secrétariat International (SI) de la TMI, a montré que, depuis sa transition vers le capitalisme, la Chine s’est développée jusqu’à devenir la deuxième puissance impérialiste mondiale. Elle rivalise désormais avec les Etats-Unis dans des secteurs de haute technologie comme les superordinateurs et les véhicules électriques, gagne de nouveaux marchés, des alliés et des routes commerciales pour exporter ses capitaux, et se confronte à l’Occident sur des questions stratégiques comme la souveraineté de Taïwan. Dans le même temps, la Russie s’est servie de son puissant appareil industriel et de sa considérable force militaire pour déjouer les plans des Occidentaux, en Syrie et maintenant en Ukraine.

La division et la redivision du monde entre les puissances impérialistes sont des facteurs essentiels dans les perspectives, car elles préparent un avenir instable. Il est impératif que les communistes aient une perspective claire sur la question de l’impérialisme, en commençant par l’étude de la situation objective, et qu’ils adoptent l’analyse magistrale de Lénine comme grille de lecture théorique. Un document rédigé en 2016 qui explique notre position a été adopté à une large majorité lors de cette session importante.

Le CEI a aussi discuté de la guerre sanglante menée par Israël à Gaza, qui est devenue un point de cristallisation dans la lutte des classes à l’échelle mondiale. Elle a complètement mis à nu l’hypocrisie des impérialistes occidentaux, qui multiplient les sermons sur « la démocratie et le droit » tout en soutenant et en armant le massacre de milliers de Palestiniens. Cette situation a provoqué une colère de masse partout à travers le monde. Nos camarades ont aussi subi une série d’attaques de la part des Etats bourgeois pour avoir exprimé notre solidarité avec la Palestine et défendu une solution révolutionnaire.

Le CEI a adopté à l’unanimité une déclaration de la TMI, publiée peu après l’attaque du Hamas le 7 octobre, qui affirme clairement que les communistes se tiennent du côté des opprimés, et qui rejette l’hypocrisie répugnante de nos impérialistes. Intifada jusqu’à la victoire, révolution jusqu’à la victoire !

De grandes avancées

Deux sessions ont montré le potentiel pour la croissance des forces du communisme dans tous les pays. Elles traitaient de sections de la TMI dans deux pays où le communisme apparaissait autrefois comme une perspective très lointaine – les Etats-Unis et la Suisse – et où nos camarades ont pourtant fait de grands progrès au cours de la dernière période.

Tom Trottier, membre de la direction de notre section américaine, a exposé les contradictions profondes du capitalisme américain. Malgré les proclamations tapageuses de la classe dirigeante sur la reprise et la stabilité de l’économie, les masses n’en voient pas la couleur, que ce soient dans leurs salaires ou dans leurs conditions de vie.

Alors que la cote de popularité de Biden est la plus basse pour un président dans l’histoire récente, et que Donald Trump écrase tous ses concurrents des primaires républicaines, il semble inévitable que les Etats-Unis aient à repasser par « l’école du trumpisme » après les élections présidentielles de 2024. Contrairement à ce que prétendent les libéraux et les réformistes qui crient au loup, cela ne va pas déboucher sur le « fascisme ». Au contraire. Une victoire de Trump signifiera que la polarisation et la radicalisation de la société américaine seront poussées encore un peu plus loin. Le vide politique à gauche laisse donc le champ libre au communisme pour gagner les esprits des travailleurs et de la jeunesse.

Le camarade Antonio Balmer a donné un aperçu du véritable état d’esprit de millions d’Américains en lisant un message qu’un jeune travailleur a envoyé à notre site américain avant d’adhérer :

« Je hais le capitalisme de tout mon être, je refuse que ce système infâme m’entraîne dans sa chute, ou alors je mourrai en le combattant. […] Pas besoin de me convaincre, je veux seulement qu’on me donne les moyens d’agir et qu’on me forme. »

Voilà, comme le dit Antonio, « le nouveau type d’Américains que l’histoire a produit ! »  Nos camarades américains ont reçu des milliers de messages de ce type, de la part de jeunes communistes en devenir, pleins de colère et d’esprit de sacrifice.

Les camarades ont mis en branle toute leur organisation pour pouvoir rentrer en contact avec cette couche, en luttant contre toute forme de passivité ou de routine. Avec ces méthodes, les camarades américains sont certains d’atteindre les 1000 membres dans l’année.

Que le communisme devienne en vogue aux Etats-Unis semblait autrefois être une perspective très lointaine. Dans la « riche »  et « neutre » Suisse, cela pouvait paraître carrément impossible. Et pourtant, Dersu Eri, un dirigeant de notre section suisse, a décrit les progrès stupéfiants que nos camarades ont réalisés, en grandissant de 60 % en seulement six mois.

Dersu a expliqué que cette croissance reposait sur une couche de camarades recrutés au cours de la campagne communiste dont la « mentalité est celle de soldats attendant d’être mobilisés pour la guerre de classe ». Ces nouveaux combattants sont pénétrés de l’urgence de construire l’organisation, et ils sont immédiatement devenus nos meilleurs recruteurs : ils n’hésitent pas à scander des slogans communistes dans leurs universités, dans la rue – et même dans le tram !

Notre notoriété a également été renforcée par la presse bourgeoise, qui a lancé une féroce campagne de calomnies contre les slogans de nos camarades en faveur de l’intifada et de la révolution au Moyen-Orient. Loin de se laisser intimider, ils sont passés à l’offensive, en organisant des manifestations et des meetings dans tout le pays, notamment à Berne où un rassemblement a regroupé des centaines de personnes.

Cette attitude audacieuse et cet esprit combatif ont été les clés de la réussite de nos camarades, et leur ont permis d’attirer à eux les militants les plus décidés. Notre but est précisément de toucher cette couche, d’en faire des bolcheviks conscients et organisés, et de constituer une force historique décisive. Il nous faut donc les armer avec les bons outils théoriques et leur laisser la plus grande marge de manœuvre possible pour prendre des initiatives et construire l’organisation.

Dans le cadre de ce tournant, les camarades suisses vont fonder le Parti Communiste Révolutionnaire, qui sera le fer de lance de la nouvelle génération de communistes suisses dans la lutte contre le capitalisme.

La fin de notre préhistoire

La dernière partie de cette réunion historique du CEI a commencé par une stimulante discussion sur les finances, dont le clou a été la présentation de notre nouveau siège international à Londres. Ce local est un véritable monument à l’esprit de sacrifice bolchevik de nos camarades, qui nous a permis de nous libérer de la dépendance à l’égard des propriétaires capitalistes.

Hamid Alizadeh du SI a ensuite présenté un rapport organisationnel, qui était très différent de ceux que nous avions l’habitude d’entendre lors de ce genre de réunions. Il est clair que la préhistoire de notre organisation touche à sa fin. Nos anciennes méthodes – basées sur des cercles de discussion dans les universités – ont été rendues obsolètes par la situation objective. Partout dans le monde, nous opérons un tournant audacieux vers l’extérieur : nous cherchons à conquérir toutes les rues, tous les lieux de travail et toutes les salles de classe au communisme.

Notre taux de croissance (de près de 40 % l’an dernier) dépasse tout ce que nous avons connu auparavant. Après avoir atteint à l’échelle mondiale la barre des 5000 membres en octobre 2023, nous avons dépassé les 6000 adhérents, en janvier 2024. Les camarades britanniques ont été les premiers à franchir la barre des 1000, mais au vu de la croissance de plusieurs de nos sections l’an dernier, comme l’Italie (25 % de croissance, 515 camarades), le Canada (70 %, 668 camarades) et les Etats-Unis (85 %, 630 camarades), ils devraient bientôt être rejoints !

Plusieurs groupes plus petits ont connu une croissance explosive, et sont en bonne voie pour devenir de véritables sections. Par exemple, les camarades irlandais ont grandi de plus de 380 % depuis janvier 2023, passant de 7 à 34 militants.

Pendant ce temps, nos sites internet, nos podcasts et nos vidéos cumulent des millions de vues chaque année. Notre maison d’édition, Wellred Books, a connu la meilleure année de son histoire, et s’apprête à battre un nouveau record cette année encore. Les exemplaires d’In Defence of Lenin, une nouvelle biographie de Lénine écrite par Rob Sewell et Alan Woods, se vendent comme des petits pains, dans le cadre de la campagne que nous menons cette année pour commémorer le centenaire de la mort de ce grand révolutionnaire. On peut affirmer sans craindre d’exagérer que nous sommes la première source de théorie, d’actualité et d’analyse communistes au monde.

Vers l’Internationale Communiste Révolutionnaire !

Nous devons bien comprendre le caractère de la période dans laquelle nous sommes entrés. Les partis réformistes de masse sont dominés par leur aile droite. Les staliniens et les sectes sont en crise. Dans de nombreux pays, les réformistes de gauche ont été discrédités par leurs hésitations et leurs trahisons. Il existe une couche de jeunes et de travailleurs radicaux, qui sont prêts à adopter les idées du communisme. Il leur faut un nouveau point de référence.

C’est pourquoi plusieurs de nos sections – en Suisse, comme nous l’avons mentionné, mais aussi en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark, au Canada et en Allemagne – ont pris la décision historique de fonder de nouveaux Partis Communistes Révolutionnaires. Et nombre d’autres sections se préparent à faire de même.

La dialectique nous enseigne qu’à un certain stade, les développements historiques atteignent des tournants. Quand cela se produit, il ne faut pas s’accrocher au passé et aux anciennes méthodes de travail, mais accueillir l’avenir avec enthousiasme. Dans de nombreuses parties du monde, nous sommes en train de devenir un point de référence, et nous devons nous présenter comme tels. « Nous sommes au milieu d’un saut dialectique, d’un changement de qualité », a déclaré Hamid en conclusion du rapport organisationnel : « Nous nous apprêtons à devenir une véritable force, prête à conquérir les couches avancées de la jeunesse et de la classe ouvrière. »

La Tendance Marxiste Internationale doit donc se refonder pour pouvoir faire face à un monde transformé. Nous laissons derrière nous notre vieille bannière pour forger une nouvelle Internationale Communiste Révolutionnaire (ICR). Ce sera le flambeau sous lequel la nouvelle génération de communistes pourra se rassembler.

Sous un tonnerre d’applaudissements, la réunion a adopté à l'unanimité une résolution pour approuver cette étape audacieuse et nécessaire. Nous avons décidé de convoquer cet été une conférence mondiale extraordinaire, qui sera ouverte à tous les communistes prêts à nous rejoindre dans la lutte, et lors de laquelle nous fonderons officiellement cette nouvelle Internationale.

Nous appelons tous les camarades de l’Internationale à s’y préparer dès maintenant : discutez-en, répandez la nouvelle, et assimilez le sens de cette nouvelle identité. Nous ne nageons plus à contre-courant : le vent de l’histoire souffle dans notre dos.

« De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

Dans sa conclusion, Alan a remarqué une humeur tout à fait nouvelle au CEI. Comme il l’a souligné, il s’agit pour partie du « reflet objectif du changement de la situation dans son ensemble. » On n’a jamais vu une haine si répandue contre le statu quo, ni une crise si profonde de l’ordre établi. « C’est quelque chose que nous avons prédit dans nos perspectives pendant des décennies [...] Mais désormais, ce n’est plus une perspective. C’est un fait. Un fait tangible que tout le monde peut voir et sentir. »

Mais cela pose par ailleurs la question subjective de l’étape que traverse notre Internationale. Comme l’a expliqué Alan, tous les partis politiques sont des organismes vivants, qui doivent passer à travers une phase embryonnaire. Pour un parti révolutionnaire, cette phase consiste en une période de « petits cercles, qui nourrissent une mentalité de petit cercle, caractérisée par des méthodes informelles. »

Mais de telles méthodes deviennent à un moment un obstacle. « Soit elles seront abandonnées, soit l’organisation sera détruite. Nous avons depuis longtemps dépassé le stade des petits cercles. Toutes nos sections grandissent vite, et cela requiert de nouvelles méthodes et un nouvel état d’esprit. »

Pour illustrer cette nouvelle attitude, Alan a souligné le travail d’un camarade isolé, dans une petite ville du Pays de Galles du nom de Port Talbot, où l’industrie sidérurgique a été presque totalement détruite et où des licenciements massifs sont prévus dans les dernières aciéries encore en activité.

Face aux méthodes routinières des syndicats officiels, ce jeune camarade salarié, aidé par les cellules des environs, a pris l’initiative d’appeler les travailleurs à faire grève et à occuper les aciéries, et a annoncé un rassemblement public. Les camarades se sont lancés dans une lutte acharnée pour défendre la ville tout entière. Indépendamment de l’issue future de cette lutte précise, voilà un exemple de l’état d’esprit dont doit faire preuve chaque camarade dans l’Internationale.

De telles méthodes feront connaître les camarades britanniques du (futur) Parti Communiste Révolutionnaire et seront un exemple du genre d’Internationale Communiste Révolutionnaire que nous devons bâtir.

En conclusion, Alan a exhorté les camarades à adopter l’immortel mot d’ordre de Danton : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! C’est ainsi que nous vaincrons. »

En avant vers l’Internationale Communiste Révolutionnaire !

Le 12 février 2024


Cliquez ici pour vous inscrire à l’Ecole Mondiale du Communisme qui se tiendra en juin prochain, et durant laquelle nous fonderons la nouvelle Internationale Communiste Révolutionnaire. Cet événement est ouvert à tous. Vous pourrez y assister depuis chez vous ou dans un des nombreux visionnages collectifs que nous organiserons à travers le monde.

school of communism

Ce document a été adopté par les délégués du Congrès mondial 2023 de la Tendance Marxiste Internationale (voir compte-rendu).


Nous vivons dans une période spectaculaire de l’histoire mondiale. Celle-ci est unique par de nombreux aspects. Les stratèges du Capital en sont pleinement conscients. Comme d’habitude, les plus intelligents d’entre eux arrivent aux mêmes conclusions que les marxistes, bien qu’avec du retard et sans une compréhension réelle de la nature des problèmes qu’ils décrivent, sans parler des solutions à y apporter.

Larry Summers en est un bon exemple. Cet économiste américain fut le 71e Secrétaire au Trésor des Etats-Unis entre 1999 et 2000. Il décrivait l’état de l’économie mondiale de la façon suivante :

« Je me souviens d’épisodes précédents d’une gravité égale ou supérieure pour l’économie mondiale. Mais je ne me souviens pas de moments où il existait autant de facteurs différents et de courants contraires qu’aujourd’hui. »

« Regardez ce qui se passe dans le monde : une inflation très importante à travers une grande partie de la planète, et en particulier dans une bonne partie du monde développé ; un important raidissement monétaire en cours ; un choc énergétique considérable, en particulier dans l’économie européenne, qui est à la fois un choc réel, bien sûr, et un choc d’inflation ; une inquiétude grandissante à l’égard des politiques de la Chine, de ses performances économiques, ainsi que de ses intentions vis-à-vis de Taïwan ; et enfin, bien sûr, la guerre en cours en Ukraine. » (Financial Times, 6 octobre 2022)

Cet extrait décrit justement la situation actuelle, qui n’a pas changé fondamentalement depuis. On pourrait citer d’autres exemples, à volonté. Ils reflètent fidèlement le sentiment général de pessimisme et de désespoir qui a saisi les stratèges du Capital, qui voient le désastre s’approcher, mais n’ont pas d’idée claire sur comment l’éviter.

Ce serait, en réalité, un exercice vain que de se tourner vers les économistes bourgeois pour trouver une explication. Ils n’ont su prédire ni les récessions ni les booms économiques. Ils n’ont jamais compris le passé, alors comment pourraient-ils comprendre le présent, et à plus forte raison le futur ?

Dans la situation actuelle, on ne peut disposer d’une vision rationnelle qu’avec la méthode de la pensée dialectique : la méthode du marxisme. Cela nous donne un avantage considérable, et nous distingue de toute autre tendance dans la société. C’est ce qui nous rend uniques. En réalité, c’est la seule chose qui nous autorise à exister comme une tendance séparée et distincte au sein du mouvement ouvrier.

 

A propos des tournants

La crise actuelle représente clairement un tournant dans la situation générale. Mais on pourrait aussi dire que 2008 a été un tournant. C’est exact, tout comme 1973 a été un tournant : ce fut la première récession mondiale de l’après-guerre.

En fait, beaucoup de situations peuvent être caractérisées comme des tournants, et il est possible de faire perdre toute signification à ce terme à force de le répéter à tort et à travers.

Et pourtant ce concept est loin d’être insignifiant. Au contraire, il contient une idée très profonde. C’est une façon d’exprimer la notion, conceptualisée par Hegel, de ligne de développement nodal, dans laquelle une série de petits changements (quantitatifs) atteint un point critique, auquel advient un changement qualitatif.

Chaque tournant a des points communs avec le précédent, mais il a aussi ses caractéristiques propres. Il est nécessaire d’identifier ces particularités dans la situation et d’expliquer les changements concrets qui en découlent.

La crise de 2008 a pris les économistes bourgeois désespérés par surprise. Afin d’éviter un krach semblable à celui de 1929, les bourgeois ont dépensé de grandes sommes d’argent public pour renflouer les banques. Ils ont injecté des quantités massives d’argent dans l’économie. Les mesures de panique qu’ils ont prises à l’époque étaient nécessaires pour sauver le système. Mais elles ont entraîné des conséquences imprévues et désastreuses.

Mondialisation Les politiques dites d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing ») ont permis d’assurer des taux d’intérêt extrêmement bas. Mais cette injection massive de capital fictif dans le système a inévitablement créé toute une série de pressions inflationnistes.

Mais cela ne s’est pas manifesté de façon immédiate, en raison de l’effondrement général de la demande, y compris la consommation des ménages, l’investissement des entreprises, et les dépenses gouvernementales. La baisse des salaires et la hausse du chômage ont étranglé la demande, qui ne pouvait plus être soutenue par le crédit comme auparavant, car les gens étaient déjà massivement endettés.

En revanche, les pressions inflationnistes se sont exprimées à travers le boom du marché immobilier et, surtout, dans une explosion incontrôlée de spéculation boursière, qui a été accompagnée de phénomènes comme les cryptomonnaies, les NFT, et autres escroqueries spéculatives.

 

Les limites de la mondialisation

Pour comprendre la situation actuelle, il est nécessaire de se baser sur les fondamentaux. Nous devons toujours garder en tête les deux principaux obstacles entravant le plein développement des forces productives : d’une part, la propriété privée des moyens de production, et de l’autre, les limites étouffantes de l’Etat-nation.

Cependant, le système capitaliste est un organisme vivant, qui peut développer certains mécanismes de défense afin de perpétuer sa propre existence. Marx explique dans le troisième volume du Capital les moyens par lesquels la bourgeoisie peut combattre la tendance à la baisse du taux de profit. L’un de ces principaux moyens est l’approfondissement et l’expansion du marché à travers l’accroissement du commerce mondial.

Il y a plus de 150 ans, le Manifeste du Parti communiste annonçait la domination écrasante du marché mondial. C’est désormais la caractéristique la plus importante de l’époque moderne.

L’avènement de la mondialisation a été une expression du fait que la croissance des forces productives a dépassé les limites étroites de l’Etat-nation. Elle a permis aux capitalistes de surmonter – partiellement, du moins – les limites du marché national pendant une période.

Cette tendance a reçu une puissante impulsion avec l’effondrement de l’URSS et l’entrée de la Chine dans l’arène du marché capitaliste mondial. D’autres pays, non seulement les anciens satellites soviétiques d’Europe de l’Est, mais aussi l’Inde, qui balançait jusqu’alors entre l’Union soviétique et les Etats-Unis, sont aussi rentrés dans le rang.

Ainsi, subitement, des centaines de millions de gens se sont retrouvés pris dans les mailles de l’économie capitaliste mondiale, ce qui a ouvert de nouveaux marchés et de nouveaux champs d’investissement.

Cela (combiné à une expansion sans précédent du crédit) a été l’une des plus importantes forces motrices de l’économie mondiale au cours des dernières décennies. L’expansion spectaculaire du commerce mondial a trouvé son corollaire dans l’expansion du PIB mondial.

Cependant, la mondialisation n’a pas aboli les contradictions du capitalisme. Elle n’a fait que les reproduire à une échelle bien plus grande. Et aujourd’hui, ce processus a clairement atteint ses limites.

La croissance rapide de la production s’est fondée sur une croissance encore plus rapide du commerce mondial. Mais la mondialisation touche aujourd’hui ses limites et tout s’est subitement renversé. Nous faisons face aujourd’hui aux conséquences de ce renversement. Le commerce mondial ne croîtra que de 1 % en 2023, selon l’Organisation Mondiale du Commerce.

Plutôt que la libre circulation des biens et des services, on observe une rapide plongée dans le nationalisme économique. Et c’est là un parallèle alarmant avec les années 1930. Ce sont précisément la hausse des tendances protectionnistes, l’augmentation des droits de douane, les dévaluations compétitives et autres politiques de « chacun pour soi » qui ont été la véritable cause de la Grande Dépression. Il n’est absolument pas exclu qu’une telle situation puisse se reproduire.

 

Les distorsions du marché

Dans une économie capitaliste de marché, en dernière analyse, ce sont les forces du marché qui décident. L’action des gouvernements peut déformer et retarder l’action des forces du marché, mais jamais l’éliminer. La vérité est que les économies capitalistes avancées ne se sont jamais remises de la crise capitaliste mondiale de 2007-2009.

L’investissement des entreprises privées est resté faible et la croissance économique rachitique. Par contre, l’inflation était faible et les banques centrales ont maintenu les taux d’intérêt à des niveaux exceptionnellement bas, étendant l’emprise du capital financier sur la vie économique. Cela fournit la clé de compréhension de la crise actuelle.

A la veille de la pandémie, la Réserve Fédérale américaine, la BCE et la Banque du Japon détenaient un montant ahurissant de 15 000 milliards de dollars d’actifs financiers, contre 3500 milliards en 2008. A cela ont encore été ajoutés durant la pandémie 6000 milliards supplémentaires, pour tenter de maintenir l’économie à flot.

Une grande part de ce montant est composée de dettes gouvernementales que les banques centrales ont achetées pour maintenir les taux d’emprunt des gouvernements à un bas niveau. Le niveau d’endettement – déjà presque insoutenable – a énormément augmenté avec les vastes emprunts contractés par les gouvernements pour financer les mesures de crise.

Ces stimuli publics (plans de sauvetage) sans précédent, ainsi que les confinements, ont temporairement perturbé les habitudes de la demande en biens de consommation, provoquant un chaos dans la chaîne logistique, tout en nourrissant les flammes de l’inflation. Les implications inflationnistes de cet épisode devaient être évidentes même pour le plus aveugle des aveugles. Mais ils les ont ignorées, sur la base du principe :

« Là où l’ignorance est un bonheur, il est insensé d’être sage. »

Comme un toxicomane devient toujours plus dépendant des substances qui lui offrent un sentiment immédiat d’euphorie, les gouvernements, les entreprises et les ménages sont devenus accros à la perspective d’une éternité de taux d’intérêt quasi nuls.

Les distorsions créées par l’intervention des gouvernements n’ont fait qu’exacerber les contradictions, qui finiront par exploser avec une force et une violence redoublées.

C’est ce à quoi nous assistons actuellement. Dans un geste de désespoir, les gouvernements ont essayé de résoudre d’abord la crise de 2008 puis la pandémie de COVID, et maintenant la crise énergétique, en dépensant de vastes sommes d’argent qu’ils ne possédaient pas, contribuant à l’actuelle situation chaotique de l’économie mondiale.

 

Le retour de l’inflation

Cela signifie la chute d’un système financier qui s’était habitué à ce que les taux d’inflation et d’intérêt soient bas. Les effets en sont dramatiques et douloureux. Comme un toxicomane privé des drogues dont il dépendait, les gouvernements sont en état de choc, une fois confrontés au coût vertigineux de l’endettement.

Puisqu’ils ne comprennent absolument rien à la véritable théorie économique, les bourgeois cherchent désespérément quelqu’un à blâmer pour leur situation dramatique, et ont trouvé un bouc émissaire commode avec Vladimir Poutine. Mais la guerre en Ukraine n’a pas été la cause de la catastrophe inflationniste. Elle n’a fait qu’ajouter encore plus d’huile sur le feu.

Dialectiquement, la cause devient l’effet et l’effet, à son tour, devient la cause. Bien que la guerre n’ait pas causé la crise, il n’en est pas moins vrai qu’elle a énormément exacerbé le problème de l’inflation et désorganisé le commerce mondial. Stagflation

Selon la célèbre formule de Clausewitz, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. Mais l’impérialisme américain a introduit une légère modification à cette définition profondément correcte. Il a fait du commerce une arme, punissant délibérément chaque pays qui ne se plie pas à sa volonté.

Aux temps lointains où Britannia régnait sur les mers, l’impérialisme britannique réglait ses problèmes en envoyant une canonnière. De nos jours, Washington envoie une lettre du Département du Commerce. Ainsi, dans les conditions modernes, le commerce est devenu la continuation de la guerre par d’autres moyens.

La Russie, l’un des plus grands exportateurs de combustibles fossiles, a été sciemment écartée de ses marchés en Occident par les sanctions imposées par l’impérialisme américain et approuvées par l’UE. Cela a immédiatement provoqué une crise énergétique, qui a donné un nouvel élan à la hausse des prix.

Comme on peut le voir, les sanctions imposées par l’impérialisme américain ont démonstrativement échoué dans leur objectif, qui était de paralyser l’économie russe et de saper ses opérations militaires en Ukraine. Mais elles ont donné un nouvel et puissant élan à la spirale inflationniste qui sévit tout autour du monde. Et, ironiquement, comme un boomerang hors de contrôle, cela a également frappé violemment les Etats-Unis, bouleversant tous les calculs de Biden, tandis que Poutine empochait tranquillement les profits générés par les prix hauts et croissants du pétrole et du gaz.

 

Tous les chemins mènent à la ruine

Les banques centrales sont confrontées à un dilemme aigu. Elles ont augmenté les taux d’intérêt pour freiner la demande et ainsi (espèrent-elles) réduire l’inflation. Telle est la théorie qui a conduit la Réserve Fédérale américaine à augmenter les taux, forçant la plupart des autorités monétaires à faire de même.

De telles mesures, en et par elles-mêmes, ne peuvent pas garantir une rémission certaine de la syphilis inflationniste, mais elles sont assurées de rendre une récession inévitable. Cela signifie des faillites d’entreprises, entraînant des fermetures d’usines, des pertes d’emplois, et des coupes sauvages dans les conditions de vie.

C’est la recette finie pour une intensification de la lutte des classes et un contrecoup politique féroce. Cela revient à tomber de Charybde en Scylla.

De plus, une fois l’économie commence à ralentir, il devient difficile de mettre fin à l’enchaînement qui conduit à une dépression profonde, dont ils trouveront très difficile de se sortir.

Le monde entier sera alors confronté à une période prolongée de stagnation économique et de chute des conditions de vie, avec des conséquences sociales et politiques explosives. En d’autres termes, sous le système capitaliste, tous les chemins mènent à la ruine.

 

De l’huile sur le feu

Il est impossible d’être précis quant au rythme des événements. Il y a trop d’éléments accidentels dans cette équation. Mais il y a néanmoins un certain nombre de choses que nous pouvons affirmer avec certitude. En particulier, le fait que tous ces éléments auront inévitablement un impact sur les consciences.

C’est le cas, avant tout, de la crise du coût de la vie. Pour beaucoup de gens, c’est une question de vie ou de mort, en particulier en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Mais les effets de cette crise ne sont en aucun cas limités aux pays arriérés. Ils se font de plus en plus sentir dans les pays capitalistes avancés d’Europe et d’Amérique du Nord.

Les masses européennes en particulier se trouvent soudainement confrontées au véritable cauchemar que représente l’effondrement de leur niveau de vie : les salaires, qui étaient déjà maintenus à des niveaux très faibles, ont été rabaissés à des niveaux exceptionnellement bas par l’inflation galopante. Les retraites et l’épargne ont été rapidement dévaluées. Les familles ont dû faire face au douloureux dilemme qui consiste à choisir entre chauffer leurs maisons et nourrir leurs enfants.

Les personnes âgées, les malades et les plus vulnérables sont maintenant mis en danger de mort, tandis que les gouvernements sabrent dans les dépenses sociales. Et pour la première fois depuis de nombreuses décennies, les classes moyennes sont menacées de ruine.

Les petites entreprises sont poussées à la faillite par un mélange mortel d’inflation et de hausses des taux d’intérêt, des loyers et des remboursements hypothécaires. A mesure que la récession s’installera, les fermetures d’usines vont entraîner une hausse brusque du chômage et un effondrement de la demande, ce qui conduira à de nouvelles faillites.

Les capitalistes font face à une crise trop profonde, à des contradictions trop importantes pour pouvoir être résolues sur des bases capitalistes. Ils ne peuvent pas répéter les politiques monétaires de la période précédente.

Ils ont épuisé toutes leurs munitions en essayant de résoudre la crise précédente. De plus, ces tactiques sont précisément la source de l’immense montagne de dettes qui surplombe le monde et le menace d’une avalanche.

Ils sont désormais condamnés à vaciller d’une crise à l’autre, sans disposer des outils nécessaires pour les résoudre. D’une façon ou d’une autre, tôt ou tard, les dettes doivent être payées. Et la facture sera présentée à ceux qui sont le moins en mesure de la payer.

Mais cela, à son tour, verse de l’huile sur le feu de la lutte des classes. Après une longue période de baisse du niveau de vie, la patience dont a fait preuve la population vis-à-vis de l’austérité a atteint ses limites, et les tentatives d’imposer de nouvelles mesures austéritaires rencontreront une résistance féroce.

Tout cela dresse un tableau alarmant pour la classe dirigeante. Une effervescence se répand, et une remise en cause générale de l’ordre établi a déjà commencé. Le potentiel existe, non seulement pour une riposte de la classe ouvrière, partout, mais aussi, dans de larges couches de la société, pour une réaction massive contre le marché, le système capitaliste et tous ses rouages.

 

L’économie mondiale

Depuis des mois, les pages de la presse financière sont pleines de pronostics extrêmement pessimistes. On a de plus en plus l’impression que l’ordre du monde a été renversé, alors que la mondialisation se change en son contraire, et que l’ancienne stabilité est rompue par la guerre en Ukraine et par le chaos qu’elle provoque sur le marché de l’énergie.

Georgieva Davos  Les craintes des stratèges du capital se reflétaient dans un discours prononcé à l’université de Georgetown par Kristalina Georgieva, actuelle directrice générale du FMI :

« L’ordre ancien, caractérisé par l’adhésion à des règles mondiales, des taux d’intérêt bas et une inflation modérée, laisse la place à un nouveau, dans lequel "n’importe quel pays peut se retrouver plus facilement et plus souvent à la dérive." »

« Nous vivons une transformation fondamentale de l’économie mondiale, d’un monde relativement prévisible […] à un monde plus fragile - une plus grande incertitude, une plus grande volatilité économique, des confrontations géopolitiques et des catastrophes naturelles plus fréquentes et plus dévastatrices.”

Les marchés financiers mondiaux donnent une indication claire de la profondeur de la crise. Selon The Economist : 

« L’agitation sur les marchés est d’une ampleur jamais vue depuis une génération. L’inflation mondiale est à deux chiffres pour la première fois depuis près de 40 ans. Après avoir été lente à réagir, la Réserve fédérale augmente maintenant les taux d’intérêt à un rythme inédit depuis les années 1980, alors que le dollar est à son plus fort depuis deux décennies, ce qui sème le chaos en dehors des Etats-Unis. Si vous possédez des actions ou dépendez d’un fonds de pension, cette année a été épouvantable. Les titres financiers mondiaux se sont effondrés de 25 % en dollars, la pire année depuis au moins la décennie 1980, et les obligations d’Etat devraient avoir vécu leur pire année depuis 1949. Parallèlement à des pertes de près de 40 000 milliards de dollars, il y a une nausée et l’impression que l’ordre du monde est bouleversé, alors que la mondialisation bat en retraite et que le système énergétique est fracturé après l’invasion russe de l’Ukraine. »

Cette nervosité sur les marchés est un baromètre fidèle de l’effondrement de la confiance des investisseurs, qui voient de noirs nuages d’orage s’accumuler rapidement au-dessus de l’économie mondiale.

 

L’irrésistible hausse du dollar

Une grande partie du problème tient à l’irrésistible hausse du dollar. Plutôt que l’expression d’une confiance dans la force de l’économie américaine, c’est une indication de la profondeur de la panique qui saisit les marchés.

Le billet vert a fortement augmenté, en partie parce que la Réserve Fédérale américaine (la Fed) augmente les taux, mais aussi parce que les investisseurs reculent devant les risques. Les investisseurs nerveux cherchent un refuge pour leur argent et s’imaginent l’avoir trouvé dans le tout-puissant dollar.

Mais la hausse du dollar est elle-même un facteur dans la crise des marchés monétaires du monde, écrasant toutes les autres devises dans son étreinte de fer. C’est en dehors des Etats-Unis que les effets financiers du resserrement monétaire de la Fed ont les effets les plus sévères et les plus nuisibles. Comme le soulignait le Financial Times (12 octobre 2022) :

« Quelle que soit la façon dont on l’appelle, les victimes du dollar fort ont un coupable en tête – la Réserve fédérale. »

En effet, jusqu’au dernier moment, la Réserve fédérale a fait preuve d’une indifférence tranquille – il faudrait même plutôt parler d’indolence – face à l’inflation, qui, selon la norme reconnue, avait été prétendument vaincue.

Mais quand le voyant rouge a commencé à clignoter frénétiquement, la Fed a été soudainement prise de panique, multipliant les hausses des taux d’intérêt, même si cela revenait à écraser les freins.

Les augmentations de taux de la Fed poussaient l’économie américaine vers la récession. C’était précisément son intention. Tous les signaux sont au rouge. Les prix de l’immobilier s’effondrent, les banques licencient leur personnel, et FedEx et Ford, deux entreprises servant de baromètre de l’économie, ont publié des avertissements sur leurs résultats à venir. Ce n’est qu’une question de temps avant que le taux de chômage ne commence à augmenter.

La hausse irrésistible du dollar américain devient aussitôt un facteur majeur de déstabilisation. Les investisseurs internationaux sont alarmés par la perspective qu’une hausse aussi agressive des taux d’intérêt de la Réserve fédérale des Etats-Unis fasse basculer la plus grande économie du monde dans la récession. Cela exacerberait la récession qui frappe déjà les autres grandes économies, et entraînera le reste du monde dans l’abîme.

Leurs craintes sont fondées. Partout dans le monde, la hausse du dollar augmente le prix des importations et du remboursement des emprunts pour les gouvernements, les entreprises et les ménages ayant contracté des dettes en dollars. Tous les autres pays se trouvent forcés de s’aligner sur le pas de la Réserve Fédérale américaine, en augmentant leurs taux d’intérêt aux niveaux qu’elle a dictés.

A travers l’Asie, les gouvernements ont été forcés d’augmenter les taux d’intérêt et de liquider leurs réserves pour résister à la dépréciation de leurs monnaies. L’Inde, la Thaïlande et Singapour sont intervenues sur les marchés financiers pour soutenir leurs devises respectives. Si on laisse la Chine de côté, les réserves monétaires des marchés émergents se sont effondrées de 200 milliards de dollars l’an passé, selon la banque JPMorgan Chase. C’est la chute la plus rapide des deux dernières décennies.

Cela a de sérieuses conséquences économiques, mais aussi politiques. La Chine y a répondu en proposant sa propre monnaie comme un moyen d’échange alternatif, notamment pour le pétrole.

 

Des dettes gouvernementales massives

Les économies endettées de la zone euro ont été poussées sans pitié au bord du gouffre de la banqueroute. Elles se trouvent désormais dans une situation encore pire que lors de la crise des dettes souveraines d’il y a dix ans.

Josep Borrell, le chef de la politique étrangère de l’UE, a prévenu que la Fed était en train d’exporter la récession de la même manière que la crise de l’euro avait été imposée par les diktats de l’Allemagne après 2008.

« Une grande partie du monde risque maintenant de devenir la Grèce », s’est-il plaint.

En Europe, la situation a été encore aggravée quand la Grande-Bretagne a jeté de l’huile sur le feu en adoptant une politique fiscale complètement inconsciente, qui a semé la panique sur les marchés financiers.

La nécessité s’est révélée à travers un accident. La crise en Grande-Bretagne et les mesures de réduction fiscale de l’éphémère gouvernement Truss en octobre 2022 ont agi comme un catalyseur, et ont plongé les marchés financiers dans un état d’affolement qui aurait pu s’étendre à l’ensemble du système monétaire mondial.

Les marchés financiers y ont réagi avec un mélange de colère, d’incrédulité, et d’inquiétude. En pratique, c’était comme si Liz Truss avait jeté une grenade sur un baril de TNT déjà prêt à exploser à la moindre étincelle.

Le FMI a lancé une violente attaque contre le plan britannique de réduire les impôts de 42 milliards de livres en s’endettant d’avantage. Cette attaque a produit ses effets. Le gouvernement Truss a été contraint à un repli humiliant. Le chancelier de l’échiquier (ministre de l’Économie) Kwasi Karteng a été renvoyé, et son budget entièrement rejeté. Peu après, Truss elle-même a été éjectée et les marchés se sont temporairement stabilisés. Mais le mal était fait.

La crédibilité financière est plutôt difficile à retrouver une fois qu’on l’a perdue. La réputation de la Grande-Bretagne comme puissance mondiale est tombée dans le caniveau. Le Royaume-Uni, qui jouissait auparavant d’une cote de crédit exemplaire, a été rétrogradé et est désormais perçu de la même façon que l’Italie, criblée de dettes et ravagée par les crises.

Mais il ne s’agit là que du résultat le moins important de cette affaire. Ses implications ont des répercussions bien au-delà des côtes britanniques.

 

Un parallèle alarmant avec les années 1930

Le Brexit a été le signal le plus clair des conséquences du nationalisme économique. Et la conduite du gouvernement britannique dans cette affaire a servi d’avertissement quant aux dangereuses conséquences de ce phénomène.

Le mandat bref et ruineux de Liz Truss en Grande-Bretagne a démontré qu’emprunter beaucoup d’argent en temps d’inflation et de hausse des taux d’intérêt n’était pas une option. Mais quelle est l’alternative ?

Larry Summers, dont les craintes à propos de la situation actuelle ont déjà été évoquées, a été cité dans le Financial Times : Truss Liz

« La déstabilisation provoquée par les erreurs britanniques ne se limitera pas à la Grande-Bretagne. »

Et c’est exact. Le cours des obligations dans des pays aussi différents que les Etats-Unis et l’Italie a viré violemment en réponse à chacun des rebondissements de la tumultueuse histoire en provenance de Londres.

Ce n’est pas accidentel. Un krach boursier à Londres – qui, malgré le déclin de la Grande-Bretagne, demeure un des plus importants centres financiers de la planète – aurait le même effet que la crise de 1931, mais à une bien plus grande échelle.

Même si c’est généralement oublié aujourd’hui, la Grande Dépression en Europe a été déclenchée par l’effondrement de la banque Creditanstalt de Vienne en mai 1931, qui a entamé un effet domino, se répandant rapidement à travers les marchés financiers d’Europe et au-delà.

Ce fut le détonateur de la grande spirale déflationniste européenne entre 1931 et 1933. Et l’histoire peut aisément se répéter, d’autant plus l’économie mondiale est bien plus intégrée et interdépendante qu’elle ne l’était alors.

 

Le facteur ukrainien

La guerre en Ukraine est maintenant devenue un élément important des perspectives mondiales. Néanmoins, pour avoir une idée claire des questions en jeu et de la façon dont elles pourraient évoluer, il faut concentrer notre attention sur les processus fondamentaux et ne pas nous laisser distraire par le vacarme de la propagande de guerre ou par les inévitables péripéties du champ de bataille.

Les médias dominants ont répété sans cesse que la Russie était vaincue. Mais cela ne correspond pas aux faits que nous pouvons observer.

Le point le plus important est qu’il s’agit d’une guerre par procuration entre la Russie et l’impérialisme américain. La Russie ne combat pas une armée ukrainienne, mais une armée de l’OTAN – c’est-à-dire, l’armée d’un Etat qui n’est pas formellement membre de l’Alliance, mais qui est financée, armée, entraînée et équipée par l’OTAN, qui lui procure aussi un soutien logistique et des informations cruciales.

 

« La politique par d’autres moyens »

Comme nous l’avons noté, la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. La guerre actuelle s’arrêtera lorsque les dirigeants politiques des acteurs principaux seront satisfaits ou lorsque l’une des parties ou les deux parties seront épuisées et auront perdu la motivation de continuer la lutte.

Quels sont donc les objectifs des belligérants ? Zelensky ne fait pas mystère des siens. Il affirme qu’il ne satisfera de rien de moins que l’expulsion de l’armée russe de toutes les terres ukrainiennes - la Crimée y compris.

Cette position a été soutenue avec enthousiasme par les Faucons de la coalition occidentale : les Polonais, les Suédois et les dirigeants des Etats baltes – qui ont leurs propres intérêts en tête - et, bien sûr, les chauvinistes et les va-t-en-guerre acharnés de Londres, qui s’imaginent que la Grande-Bretagne, dans sa situation actuelle de faillite économique, politique et morale, est encore une puissance mondiale majeure.

Ces maniaques ont incité les Ukrainiens à aller encore plus loin – plus loin que les Américains ne le voudraient. Leur vœu le plus cher serait que l’armée ukrainienne chasse les Russes, pas seulement du Donbass, mais aussi de la Crimée, jusqu’à provoquer le renversement de Poutine et le démembrement complet de la Fédération de Russie (bien qu’ils n’en parlent pas souvent en public).

Bien qu’ils fassent beaucoup de bruit, aucune personne sérieuse n’accorde la moindre importance aux gesticulations des politiciens de Londres, Varsovie et Vilnius. En tant que dirigeants d’Etat de seconde zone qui sont dénués de tout poids réel dans la politique internationale, ils restent des acteurs mineurs qui ne peuvent jouer plus qu’un second rôle dans cette grande pièce.

Ce sont les Etats-Unis qui paient les factures et dictent ce qui va réellement arriver. Et au moins les plus raisonnables des stratèges de l’impérialisme américain savent-ils que tout ce délire ne représente que de l’air. Dans certaines conditions, de plus petits Etats impérialistes peuvent jouer un certain rôle dans le développement des événements, mais en dernière analyse, c’est Washington qui décide.

Malgré toutes les bravades, les stratèges militaires sérieux ont compris qu’il était impossible pour l’Ukraine de vaincre la Russie. Le général Mark A. Milley est le vingtième titulaire du poste de président du comité des chefs d’Etat-major, c’est-à-dire l’officier militaire le plus important des Etats-Unis. Son avis doit donc être pris au sérieux lorsqu’il affirme :

« En termes de probabilité, la perspective d’une victoire ukrainienne consistant en l’expulsion des Russes de toute l’Ukraine comme ils la définissent, c’est-à-dire y compris la Crimée… la probabilité que cela se produise bientôt n’est pas très importante, d’un point de vue militaire. »

Le point le plus important à saisir est que les buts de guerre de Washington ne coïncident pas avec ceux des dirigeants de Kiev, qui ont abandonné depuis longtemps leur soi-disant souveraineté nationale à leurs maîtres d’outre-Atlantique, et ne décident plus rien sans lui en référer.

L’objectif de l’impérialisme américain n’est pas – et n’a jamais été – de défendre un seul pouce du territoire ukrainien ou d’aider les Ukrainiens, qu’il s’agisse de gagner la guerre ou de quoi que ce soit d’autre.

Son but véritable est très simple : il s’agit d’affaiblir la Russie militairement et économiquement, de la saigner à blanc et de lui porter des coups, de tuer ses soldats et de ruiner son économie, pour qu’elle ne puisse plus résister à la domination américaine sur l’Europe et le monde.

C’est cet objectif qui l’a poussé à inciter les Ukrainiens à se lancer dans une confrontation complètement inutile avec la Russie sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Ayant réussi à provoquer ce conflit, les impérialistes américains ont ensuite tranquillement observé les deux belligérants s’écharper mutuellement, tout en restant à une distance de sécurité de plusieurs milliers de kilomètres.

Indépendamment de ce qu’ils peuvent raconter en public, les hypocrites impérialistes sont complètement indifférents aux souffrances du peuple ukrainien, qui n’est pour eux qu’un pion sur l’échiquier de leur confrontation avec la Russie.

Il faut d’ailleurs noter que, jusqu’à maintenant, l’Ukraine n’a été admise ni dans l’UE, ni dans l’OTAN, alors que cela était censé être précisément le nœud de toute cette affaire. Cela est tout à fait normal.

Le conflit actuel convient de bien des façons aux intérêts des Etats-Unis. Il facilite leurs plans visant à introduire un coin entre la Russie et l’Europe, pour renforcer sa domination sur cette dernière. De ce point de vue, la guerre a d’ores et déjà produit des résultats. Les liens économiques entre l’UE et la Russie, en particulier en ce qui concerne l’énergie, ont été sévèrement fragilisés, ce qui a un impact significatif sur la première économie de l’UE, l’Allemagne. Le commerce de gaz à travers la Mer baltique a été rendu impossible par la destruction des gazoducs Nord Stream suite à un sabotage orchestré par une agence gouvernementale. Les prix de l’énergie plus élevés ont permis aux Etats-Unis d’accroître encore la pression sur l’industrie européenne, et plus particulièrement sur l’industrie allemande. Les Américains ont aussi le luxe d’attirer leur ennemi dans une guerre sans que leurs propres soldats aient à y participer (au moins officiellement), et dans laquelle les combats et les morts sont assumés par d’autres.

Si l’Ukraine était membre de l’OTAN, cela signifierait que des soldats américains seraient engagés dans une guerre en Europe, contre l’armée russe. Dans le même temps, les principaux pays de l’UE n’ont ni intérêt, ni les moyens d’admettre l’Ukraine dans l’UE. Cela signifierait l’effondrement de l’équilibre politique et économique de l’Union, qui est déjà extrêmement précaire. Non, mieux vaut que les choses restent en l’état.

Lorsque Zelensky se plaint que ses alliés occidentaux ne lui envoient pas toutes les armes dont il a besoin pour gagner la guerre, il n’a pas tort. Les Américains lui envoient juste ce qu’il faut pour que la guerre puisse continuer, mais pas assez pour qu’il puisse remporter une victoire décisive. C’est parfaitement logique au regard des véritables buts de guerre de Washington.

 

Les sanctions ont échoué

Les sanctions imposées à la Russie après son invasion de l’Ukraine ont été un échec spectaculaire. En fait, la valeur des exportations russes a augmenté depuis le début de la guerre.

Bien que le volume des importations russes ait chuté à la suite des sanctions, un certain nombre de pays (la Chine, l’Inde, la Turquie, mais aussi certains pays de l’UE, comme la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas) ont augmenté leurs échanges avec la Russie. En outre, les prix élevés du pétrole et du gaz ont compensé les revenus que la Russie a perdus à cause des sanctions. L’Inde et la Chine ont acheté beaucoup plus de pétrole brut russe, bien qu’à un prix réduit.

Ainsi, la perte de revenus résultant des sanctions a été compensée par la hausse des prix du pétrole et du gaz sur les marchés mondiaux. Vladimir Poutine continue de financer ses armées grâce à ces recettes, tandis que l’Occident est confronté à la perspective d’une instabilité énergétique, à la flambée des factures d’énergie et à la colère croissante de la population.

 

Un soutien qui faiblit

La question est la suivante : quel camp se lassera-t-il en premier de la guerre ? Il est clair que le temps ne joue pas en faveur de l’Ukraine, que ce soit militairement ou politiquement. Et en dernière analyse, c’est le point de vue politique qui pèsera le plus lourd dans la balance.

L’hiver, au cours duquel l’Europe a été frappée par une grave pénurie de gaz et d’électricité, a affaibli le soutien de l’opinion publique à la guerre en Ukraine. Le redoux n’apportera pas de répit, puisque l’attention se portera alors sur la nécessité de refaire des réserves de gaz avant l’année prochaine, sans pouvoir accéder aux approvisionnements russes. Chaque mois où les sanctions sont prolongées, l’inquiétude pour l’hiver prochain grandit. Le soutien américain ne peut pas non plus être tenu pour acquis. En public, les Américains entretiennent l’idée de leur soutien inébranlable à l’Ukraine, mais en privé, ils ne sont pas du tout convaincus du résultat. En coulisses, Washington fait pression sur Zelensky pour qu’il négocie avec Poutine.

En pratique, cependant, l’offensive ukrainienne réussie de septembre 2022 et le retrait russe de Kherson ont compliqué la situation sur l’échiquier diplomatique.

D’une part, Zelensky et les forces fascistes et nationalistes enragées dans l’appareil d’Etat ont été gonflés à bloc par leurs gains inattendus et souhaitaient aller beaucoup plus loin. D’autre part, les revers militaires ont constitué une humiliation pour Poutine, qui en a tiré la conclusion qu’il devait intensifier son « opération militaire spéciale ». Ainsi, aucune des deux parties n’est d’humeur à négocier quoi que ce soit de significatif pour le moment. Mais cela va changer.

Zelensky répète sans cesse que les Ukrainiens ne céderont jamais un pouce de leur terre. Sa démagogie est clairement destinée à faire pression sur l’OTAN et sur l’impérialisme américain ; il insiste sur le fait que les Ukrainiens se battront jusqu’au bout, mais toujours à condition que l’Occident continue d’expédier d’énormes quantités d’argent et d’armes.

Biden aimerait prolonger le conflit actuel afin d’affaiblir et de miner la Russie, mais pas à n’importe quel prix, et certainement pas si cela implique un affrontement militaire direct avec la Russie. Pendant ce temps, sondage après sondage, l’opinion publique occidentale favorable à la guerre en Ukraine décline lentement.

 

Une guerre nucléaire ?

L’allusion de Poutine à la possibilité de recourir à des armes nucléaires était presque certainement un bluff, mais elle a alarmé la Maison-Blanche. S’exprimant lors d’une collecte de fonds à New York, Biden a déclaré que le président russe « ne plaisantait pas » au sujet de « l’utilisation éventuelle d’armes nucléaires tactiques ou d’armes biologiques ou chimiques en raison des piètres performances, si l’on peut dire, de son armée ».

En raison de cette menace nucléaire, des négociations secrètes ont commencé entre Washington et Moscou. C’était là le baiser de la mort pour l’Ukraine, de plus en plus désespérée et cherchant n’importe quelle excuse pour mettre en scène une provocation dont elle espère qu’elle entraînerait enfin l’OTAN dans une participation directe à la guerre.

Voilà qui souligne les dangers que la poursuite de la guerre implique. Trop d’éléments incontrôlables sont en jeu ; leur engrenage pourrait conduire à une véritable guerre entre l’OTAN et la Russie.

Ce danger a été mis en lumière en novembre 2022, lorsque le monde a été choqué d’entendre le président polonais déclarer que son pays avait été frappé par des missiles de fabrication russe, et que les médias occidentaux ont affirmé que la Russie était derrière tout cela.

Ce mensonge a été rapidement démenti lorsqu’il a été révélé par le Pentagone lui-même que le missile frappant une installation céréalière polonaise dans une ferme près du village de Przewodow, à proximité de la frontière avec l’Ukraine, avait été tiré par l’armée ukrainienne.

L’OTAN et les Polonais se sont empressés d’expliquer qu’il ne s’agissait que d’un « regrettable accident ». Mais, alors même que le missile était un projectile anti-aérien S-300 dont la portée est très limitée et qui n’aurait donc pas pu être tiré depuis la Russie, Zelensky a menti éhontément et a affirmé qu’il s’agissait d’une attaque délibérée de la part de la Russie. Il espérait que cela lui donnerait un prétexte pour demander plus d’armes et d’argent. Et dans le meilleur des cas (de son point de vue), cela aurait pu pousser l’OTAN à prendre des mesures de rétorsion contre la Russie, avec des conséquences intéressantes.

Si cet incident avait eu pour conséquence de pousser l’OTAN à agir contre la Russie, cela aurait pu déclencher une chaîne d’événements irrésistible qui aurait pu conduire à une guerre totale. Il ne fait aucun doute que cela arrangerait beaucoup Zelensky de voir l’OTAN entrer en guerre afin qu’il puisse ainsi tirer les marrons du feu.

Une conflagration européenne généralisée aurait été un cauchemar pour des millions de personnes. Mais elle aurait exaucé toutes les prières de Zelensky et de sa clique. Il aurait naturellement été impossible aux Américains de rester à l’écart à se chauffer les mains sur la braise.

Il aurait fallu des troupes américaines sur le front. Excellente nouvelle du point de vue du régime de Kiev, mais pas du tout de celui de la Maison-Blanche et du Pentagone. Ça ne devait pas faire partie du plan !

Les Américains n’ont aucune raison de laisser les choses aller aussi loin. Une confrontation directe entre l’OTAN et la Russie, avec ses implications nucléaires, sera évitée à tout prix. C’est précisément pour cette raison que les Américains ont gardé ouverts plusieurs canaux, afin d’écarter tout risque d’une telle évolution incontrôlée. En fait, ils s’efforcent de circonscrire la guerre actuelle dans certaines limites, et d’ouvrir la voie aux négociations.

 

Les Etats-Unis appellent à des pourparlers

La réalité de la situation n’échappe pas aux stratèges militaires sérieux de Washington. Le général Mark Milley, président des chefs d’état-major, a demandé à Zelensky d’entamer des pourparlers avec la Russie.

Milley a déclaré qu’une chance de négocier une fin de conflit pourrait se présenter pendant l’hiver si les lignes de front devaient se stabiliser :

« Quand il y aura une occasion de négocier et que la paix pourra être obtenue, saisissez-la », a déclaré Milley. « Saisissez l’occasion. »

Mais si les négociations ne se concrétisent pas ou échouent, Milley affirme que les États-Unis continueront à armer l’Ukraine, même si une victoire militaire pure et simple de l’une ou l’autre des parties semble de plus en plus improbable.

« Il faut bien qu’il y ait une reconnaissance mutuelle du fait que la victoire militaire n’est probablement pas, au sens propre du terme, réalisable par des moyens militaires, et qu’il faut donc se tourner vers d’autres moyens », a-t-il déclaré.

C’est là la véritable voix de l’impérialisme américain. Et c’est cela, et non les déclarations rhétoriques de Zelensky, qui détermine en fin de compte le sort de l’Ukraine.

Washington a toujours été réticent à fournir les armements sophistiqués que Kiev demande. L’objectif est de faire comprendre à Moscou que les États-Unis ne sont pas disposés à fournir des armes susceptibles d’aggraver le conflit et de créer le risque d’un affrontement militaire direct entre la Russie et l’OTAN.

C’est aussi un avertissement à Zelensky pour lui signifier qu’il y a des limites nettes à la volonté des États-Unis de continuer à payer la facture d’une guerre coûteuse, sans perspective d’en finir.

 

La lassitude vis-à-vis de l’Ukraine

Au cours du premier mois de la guerre, les Ukrainiens étaient disposés à négocier avec la Russie. Depuis lors, M. Zelensky a rejeté toute idée de négociations. Il a répété à plusieurs reprises que l’Ukraine n’est prête à entamer des négociations avec la Russie que si ses troupes quittent toute l’Ukraine, y compris la Crimée et les zones orientales du Donbass, qui sont de facto contrôlées par la Russie depuis 2014, et si les Russes qui ont commis des crimes en Ukraine sont jugés.

Zelensky a aussi indiqué clairement qu’il ne négocierait pas avec les dirigeants russes actuels. Il a même signé un décret stipulant que l’Ukraine ne négocierait qu’avec un président russe qui aurait succédé à Vladimir Poutine.

Ces déclarations provocatrices ont causé une vive irritation à Washington. Le Washington Post a révélé que des responsables américains avaient averti le gouvernement ukrainien en privé que la « lassitude à l’égard de l’Ukraine » chez les alliés pourrait s’aggraver si Kiev continuait à ne pas négocier avec Poutine.

Des responsables ont déclaré au journal que la position de l’Ukraine sur les négociations avec la Russie était en train d’épuiser son crédit parmi ses alliés, qui s’inquiètent des effets économiques d’une guerre prolongée.

À l’heure où ces lignes sont écrites, les États-Unis ont accordé à l’Ukraine une aide de 65 milliards de dollars et sont prêts à en donner davantage, affirmant qu’ils soutiendront l’Ukraine « aussi longtemps qu’il le faudra ». Cependant, leurs alliés dans certaines régions d’Europe, sans parler de l’Afrique et de l’Amérique latine, sont préoccupés par la pression que la guerre exerce sur les prix de l’énergie et des denrées alimentaires ainsi que sur les chaînes d’approvisionnement. « La lassitude à l’égard de l’Ukraine est réelle pour certains de nos partenaires », a déclaré un responsable américain.

Naturellement, les Américains ne peuvent pas admettre publiquement qu’ils font pression sur Zelensky. Au contraire, ils maintiennent une apparence de ferme solidarité avec Kiev. Mais en réalité, de sérieuses fissures se font jour.

Pour les dirigeants ukrainiens, l’acceptation des demandes américaines signifierait un recul humiliant après tant de mois de discours belliqueux sur la nécessité d’une victoire militaire décisive contre la Russie afin d’assurer la sécurité de l’Ukraine à long terme.

La succession de victoires sur le champ de bataille, d’abord dans le nord-est de la région de Kharkiv, puis avec la prise de Kherson, a encouragé Zelensky à croire en la possibilité d’une « victoire finale ». Mais les Américains appréhendent mieux la réalité et ils savent très bien que le temps n’est pas forcément du côté de l’Ukraine.

 

Poutine risque-t-il d’être renversé ?

La machine de propagande occidentale répète sans cesse que Poutine sera bientôt renversé par le peuple russe qui en a assez de la guerre. Mais c’est prendre son désir pour la réalité. Cette idée repose sur une erreur fondamentale. En fait, Poutine a réussi à se servir de la guerre pour contourner l’intensification de la lutte des classes et de l’insatisfaction des masses. Combiné à une intensification de la répression, cela a assuré un répit temporaire au régime. À l’heure actuelle, Poutine dispose toujours d’une base de soutien assez large, qui a atteint de nouveaux sommets ces derniers mois. Il n’est pas en danger immédiat d’être renversé.

Il n’y a pas de mouvement anti-guerre significatif en Russie et le peu qui en existe est dirigé par des éléments bourgeois-libéraux. C’est précisément sa principale faiblesse. Les travailleurs jettent un coup d’œil sur les positions pro-occidentales de ces éléments et leur tournent le dos en les insultant.

La guerre a le soutien de la majorité, même si certains ont des doutes. L’imposition de sanctions et le flux constant de propagande anti-russe en Occident, ainsi que le fait que l’OTAN et les Américains fournissent des armes modernes à l’Ukraine, confirment le soupçon que la Russie est assiégée par ses ennemis. Le régime s’en sert pour rassembler la population derrière lui.

Dans sa propagande de guerre, Vladimir Poutine tente d’invoquer la mémoire de la lutte de l’Union soviétique contre l’Allemagne nazie et la vieille haine du peuple russe à l’égard de l’impérialisme occidental, qu’il mêle à un nationalisme réactionnaire grand-russe. Il présente la guerre en Ukraine comme une guerre contre l’impérialisme occidental, pour la dénazification du régime de Kiev, et pour la défense de la minorité russophone en Ukraine. Tout cela relève, bien sûr, de la pure démagogie.

Il n’y a absolument rien de progressiste dans le régime de Poutine. Il n’est ni anti-impérialiste, ni antifasciste, ni un ami des travailleurs. Il est par exemple notoire que des unités aux sympathies clairement néo-nazies et d’extrême-droite opèrent ouvertement au sein des forces militaires russes, en particulier dans le groupe Wagner.

Alors que le Parti communiste russe adopte une position traîtresse, nationaliste et patriotique, et offre une couverture de gauche au nationalisme grand-russien de Poutine, les travailleurs russes ne trouvent pas d’alternative politique pour représenter leurs intérêts en opposition au régime et à sa guerre.

La seule pression exercée sur Poutine vient, non pas d’un quelconque mouvement anti-guerre, mais au contraire des nationalistes russes et d’autres qui veulent que la guerre soit poursuivie avec plus de force et de détermination. Cependant, si la guerre s’éternise sans preuve significative d’un succès militaire russe, cela peut changer.

Début novembre, plus de 100 conscrits de la République de Tchouvachie de Russie ont organisé une manifestation dans l’Oblast d’Oulianov parce qu’ils n’avaient pas reçu les paiements promis par Poutine.

Un petit symptôme, sans doute. Mais si le conflit actuel se prolonge, il pourrait se multiplier à une échelle bien plus grande, constituant une menace, non seulement pour la poursuite de la guerre, mais pour le régime lui-même.

Un symptôme encore plus significatif est à trouver dans les protestations des mères des soldats tués en Ukraine. Ces manifestations sont encore peu nombreuses et se concentrent principalement dans des Républiques orientales comme le Daghestan, où le taux de chômage élevé a incité un grand nombre de jeunes hommes à s’engager dans l’armée.

Si la guerre se poursuit et que le nombre de morts augmente, on pourrait assister à des manifestations de mères de famille à Moscou et à Saint-Pétersbourg, que Poutine ne pourrait pas ignorer et qu’il serait incapable de réprimer. Cela marquerait sans aucun doute un changement de toute la situation. Mais cela ne s’est pas – encore – produit.

 

Les réserves de la Russie

En s’opposant à la guerre dès son éclatement, les marxistes russes ont pris une position de principe dans des conditions extrêmement difficiles, malgré la répression et un déluge de propagande d’Etat. Leur tâche est avant tout de dénoncer la démagogie de Poutine, qui n’est qu’une couverture pour les intérêts réactionnaires des oligarques capitalistes – l’ennemi principal des travailleurs et des pauvres de Russie.

Dans le même temps, ils doivent s’opposer à l’impérialisme occidental, ainsi qu’aux expatriés libéraux pro-Kiev et aux médias soi-disant indépendants qui lui servent de porte-parole en Russie. Nager à contre-courant et maintenir une position de classe indépendante mettra les marxistes russes en position de faire d’immenses pas en avant lorsque le vent commencera à tourner.

Si la révolution n’est pas immédiatement à l’ordre du jour, il ne fait aucun doute que la guerre est en train de remuer les choses en profondeur, au sein du prolétariat, et prépare d’énormes convulsions sociales à l’avenir.

L’objectif déclaré de la Russie était « d’empêcher l’adhésion à l’OTAN et de démilitariser et dénazifier l’Ukraine », et Poutine voulait également un gouvernement neutre ou pro-russe à Kiev. Cela signifierait en pratique l’élimination de l’Ukraine en tant qu’Etat national indépendant.

Mais Poutine a clairement fait un mauvais calcul et les Russes ne disposaient pas de forces suffisantes pour atteindre ces objectifs. Même la tâche de conserver leurs gains dans le Donbass s’est révélée difficile, un fait qui a été clairement mis en lumière par l’offensive ukrainienne au début du mois de septembre.

Les échecs au front ont eu l’effet d’un stimulus nécessaire pour réajuster les efforts russes. Les Russes ont pris des mesures pour mobiliser les forces nécessaires pour atteindre leurs objectifs.

La Russie a effectué une mobilisation de masse. L’envoi sur le front de 300 000 hommes supplémentaires va changer radicalement l’équilibre des forces.

L’argument fréquemment répété selon lequel les Russes sont à court de munitions est entièrement faux. La Russie possède une grande et puissante industrie d’armement. Elle dispose de stocks très importants d’armes et de munitions.

Il est vrai que leurs stocks de missiles d’une grande précision les plus modernes sont limités et vont s’épuiser. Mais il n’y a pas de pénurie pour les autres missiles, qui sont parfaitement suffisants pour les opérations de combat ordinaires.

Pendant ce temps, les Russes continuent de pulvériser impunément des cibles dans toute l’Ukraine avec leur artillerie, leurs drones, et leurs missiles, détruisant les centres de commandement militaire, les nœuds de transport et les infrastructures, ce qui entravera sérieusement l’acheminement des troupes et des armes vers le front.

 

Et maintenant ?

La phrase de Napoléon selon laquelle la guerre est la plus complexe de toutes les équations conserve toute sa force. La guerre est une situation mouvante avec de nombreuses variantes imprévisibles et de nombreux scénarios possibles.

La variante qui a été avancée avec confiance par la machine de propagande occidentale depuis le début des hostilités a semblé être validée par le succès de l’offensive ukrainienne en septembre 2022 et, plus tard, par le retrait russe de la partie occidentale de Kherson.

Il faut cependant se garder des conclusions impressionnistes tirées d’un nombre limité d’événements. L’issue des guerres est rarement décidée par une seule bataille – ou même par plusieurs batailles.

La question est la suivante : cette victoire, ou cette avancée, a-t-elle modifié de manière significative l’équilibre des forces, qui seul peut déterminer le résultat final ? Ces questions fondamentales doivent encore être déterminées. Différentes issues sont possibles, en fonction de l’évolution des conditions en Russie d’une part et en Ukraine et chez ses maîtres occidentaux d’autre part.

La Russie a augmenté ses forces à l’Est, en renforçant sa présence militaire en Biélorussie et en intensifiant ses bombardements aériens sur des cibles militaires et sur les infrastructures ukrainiennes déjà affaiblies.

Cette dégradation des infrastructures a atteint un point tel qu’il est même question d’évacuer les grandes villes – dont Kiev – qui deviennent inhabitables en raison de l’interruption de l’approvisionnement en énergie et en eau.

Il est difficile de déterminer à quel moment ces destructions commenceront à saper la volonté de résistance. L’expérience historique indique que les bombardements aériens ne peuvent jamais à eux seuls gagner les guerres.

En effet, à court terme, ils auront l’effet inverse, en renforçant la haine de l’ennemi et en augmentant l’esprit de résistance. Mais toute chose a ses limites. Au-delà d’un certain point, un sentiment général de lassitude de la guerre s’installe et la volonté de continuer à se battre s’affaiblit.

Jusqu’à présent, les Ukrainiens ont fait preuve d’une remarquable résilience. Mais on ne sait pas combien de temps le moral de la population civile et des soldats au front pourra être maintenu.

Mais dès qu’il commencera à être question de paix, de graves scissions se produiront au sein de la couche dirigeante de Kiev entre les nationalistes de droite, qui souhaitent se battre jusqu’au bout, et les éléments plus pragmatiques, qui voient que toute résistance supplémentaire ne pourra conduire qu’à la destruction totale de l’Ukraine et qu’une sorte de règlement négocié est la seule issue possible.

Quel que soit le résultat, il ne peut être question d’un retour au statu quo en Europe. Une nouvelle période d’extrême instabilité, de guerres, de guerres civiles, de révolutions et de contre-révolutions s’est ouverte.

 

Les relations internationales

Le monde subit des changements qui ressemblent aux déplacements spectaculaires des plaques tectoniques en géologie. De tels déplacements sont toujours accompagnés de tremblements de terre.

Ces changements politiques et diplomatiques ont le même effet. Même avant la guerre, le recul de la mondialisation et la montée significative du nationalisme économique avaient conduit à aiguiser les conflits entre les différentes puissances.

Mais le conflit ukrainien a considérablement exacerbé toutes les tensions et approfondi toutes les contradictions. De ce fait, nous assistons à un profond changement dans les relations mondiales.

Le signe le plus évident de cette évolution est le fait que la Chine s’est beaucoup rapprochée de la Russie, car toutes deux sont en concurrence avec l’impérialisme américain. La Chine a mis en scène son rôle dans la guerre en Ukraine comme celui de partisan d’une « paix négociée ». Pour la classe dirigeante chinoise, cette guerre représente une regrettable perturbation des relations commerciales avantageuses qu’elle a construites au cours des 30 dernières années, puisqu’elle ne se sent pas encore prête à affronter son rival américain de façon frontale.

Derrière ce pacifisme de façade, il y a cependant une nette ligne rouge : il est intolérable que la Fédération de Russie soit déstabilisée suite à une défaite militaire. Une telle défaite étendrait l’influence de l’impérialisme américain et priverait la Chine d’un partenaire précieux dans son conflit stratégique avec les Etats-Unis et leurs alliés. Il est clair que sans l’aide de la Chine pour contourner les sanctions occidentales, la Russie serait dans une bien moins bonne position en ce qui concerne la conduite de la guerre.

 

La Russie

La Russie est une puissance impérialiste régionale. Mais le fait qu’elle possède d’énormes réserves de pétrole, de gaz et d’autres matières premières, sa forte base industrielle et son complexe militaro-industriel avancé, ainsi que sa puissante armée et son arsenal d’armes nucléaires, se combinent pour lui donner une dimension mondiale qui l’amène à entrer en collision avec l’impérialisme américain.

Historiquement, l’Ukraine était entièrement intégrée à l’économie de l’Union soviétique. Après la restauration capitaliste, ces liens économiques se sont maintenus, faisant de l’Ukraine un atout économique crucial pour le capitalisme russe. Il y a également des liens culturels et géographiques, qui font partie intégrante de l’idéologie réactionnaire du chauvinisme grand-russien. Les oligarques russes voient le contrôle des Occidentaux sur le régime de Kyiv comme une menace économique, politique et militaire directe. Derrière la propagande de l’Etat russe, la clique du Kremlin masque ses intérêts égoïstes, qui consistent à reprendre le contrôle de l’Ukraine et à l’assujettir pour ses propres fins.

Washington considère la Russie comme une menace pour ses intérêts mondiaux, notamment en Europe. La vieille haine et la suspicion envers l’Union soviétique n’ont pas disparu avec l’effondrement de l’URSS. Joe Biden est un exemple parfait de cette génération de russophobes hérités de la guerre froide.

Après l’effondrement de l’URSS, les Américains ont profité du chaos des années Eltsine pour affirmer leur domination à l’échelle mondiale. Ils sont intervenus dans des zones autrefois dominées par la Russie, ce qu’ils n’auraient jamais osé faire à l’époque soviétique.

Ils sont d’abord intervenus dans les Balkans, accélérant l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Les invasions criminelles de l’Irak et de l’Afghanistan ont été suivies par une intervention infructueuse dans la guerre civile syrienne, qui les a fait entrer en collision avec la Russie.

Pendant tout ce temps, ils ont continué à étendre leur emprise sur l’Europe de l’Est, en élargissant l’OTAN en incluant d’anciens satellites soviétiques comme la Pologne et les États baltes. Il s’agissait d’une violation directe des promesses faites à maintes reprises par l’Occident selon lesquelles l’OTAN ne s’étendrait pas « d’un pouce » vers l’Est.

Cela a amené une alliance militaire hostile aux frontières mêmes de la Fédération de Russie. Mais en tentant d’attirer la Géorgie dans l’orbite de l’OTAN, ils ont franchi une ligne rouge. La classe dirigeante de Russie s’est sentie humiliée et menacée et a utilisé la force militaire pour faire rentrer les Géorgiens dans le rang.

L’invasion de l’Ukraine visait pour la Russie à faire une démonstration de force aux Américains et à repousser l’impérialisme américain et l’OTAN.

 

Les Etats-Unis et l’Europe

Les Etats-Unis utilisent le conflit en Ukraine pour atteindre leur objectif de forcer les Européens à couper leurs liens avec la Russie, et ainsi renforcer l’étau de l’impérialisme américain sur l’ensemble de l’Europe.

Auparavant, la classe dirigeante allemande utilisait ses liens avec la Russie comme un levier pour s’assurer au minimum une indépendance partielle vis-à-vis des Etats-Unis.

Son autre levier principal était sa domination de facto sur l’Union européenne, qu’elle espérait développer comme un bloc alternatif, capable de suivre ses propres buts et intérêts à l’échelle mondiale.

Les relations entre les Etats-Unis et l’Europe connaissent des tensions croissantes, que la guerre en Ukraine a en réalité exacerbées et qui ne pouvait que temporairement les masquer. Ces tensions ont refait surface récemment à propos de la récente loi protectionniste de protection des infrastructures adoptée par les Etats-Unis et qui met une pression supplémentaire sur la production industrielle dans l’UE.

Les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe ne sont pas nouvelles. Elles ont fait surface durant la guerre en Irak, et plus récemment à propos des relations avec l’Iran. Les dirigeants français et allemands ont toujours été méfiants à l’égard des étroites relations entre l’Amérique et la Grande-Bretagne, qu’ils considéraient à juste titre comme un Cheval de Troie américain au sein du camp européen.

Les Français, qui n’ont jamais dissimulé leurs propres ambitions de dominer l’Europe, étaient traditionnellement les plus bruyants dans leur rhétorique antiaméricaine. Les Allemands, qui étaient en fait les véritables maîtres de l’Europe, étaient plus circonspects, préférant la réalité du pouvoir aux vaines fanfaronnades.

Les Américains ne s’y sont pas laissés tromper. Ils voyaient l’Allemagne, et non la France, comme leur rival principal. Trump, en particulier, n’a fait aucun mystère quant à sa méfiance et son hostilité extrêmes vis-à-vis de Berlin.

Afin d’assurer leur indépendance vis-à-vis de Washington, les capitalistes allemands ont noué une étroite relation avec Moscou. Cela a enragé leurs « alliés » d’outre-Atlantique, mais leur a procuré de considérables bénéfices sous la forme d’un approvisionnement abondant et bon marché de pétrole et de gaz.

Être privés de ces approvisionnements est un gros prix à payer pour faire plaisir aux Américains. Sous Angela Merkel, l’Allemagne défendait jalousement son rôle indépendant. Il aura fallu une guerre en Ukraine pour faire rentrer l’Allemagne dans le rang – au moins pour l’instant.

Les bourgeois Verts se sont révélés être les défenseurs les plus fervents de l’impérialisme américain.

Mais derrière la façade de « l’unité face à l’agression russe », les différences demeurent. Une caricature représentant deux femmes – l’une Américaine et l’autre Européenne a exprimé clairement cette situation. La seconde proclame fièrement à la première : « Je serai heureuse de mourir de froid pour aider l’Ukraine », ce à quoi l’Américaine répond en souriant : « Et je serai heureuse de te voir mourir de froid, moi aussi ! »

En réalité, les Etats-Unis utilisent la guerre comme prétexte pour resserrer leur emprise sur l’Europe. Pour le moment, ils y réussissent. Mais il est difficile de savoir combien de temps durera la patience des Allemands et des autres Européens. Les contradictions ainsi générées ne deviendront claires qu’une fois l’affaire ukrainienne réglée.

 

Les Etats-Unis et la Chine

Dans les années 1920, dans une brillante prédiction, Trotsky avait expliqué que le centre de l’histoire mondiale était passé de la Méditerranée à l’Atlantique, et qu’il était destiné à passer de l’Atlantique au Pacifique. Cette prédiction est désormais en train de se réaliser sous nos yeux.

Le conflit entre les Etats-Unis et la Russie se déroule principalement (bien que pas uniquement) en Europe. Mais le conflit entre la Chine et l’Amérique se joue surtout autour du Pacifique. A long terme, cette région sera amenée à jouer un rôle bien plus décisif dans l’histoire mondiale que les Etats européens de seconde zone, qui sont entrés dans une période de déclin historique à long terme.

Les événements sur le champ de bataille du Pacifique auront indubitablement d’importantes répercussions mondiales à l’avenir. Les tensions entre les deux pays s’accroissent chaque jour. Les Démocrates aussi bien que les Républicains ne cachent pas le fait qu’ils considèrent la Chine comme leur principal et plus dangereux adversaire.

L’Amérique est entrée dans une voie menant à une guerre commerciale avec la Chine. Elle a encore durci ses restrictions à l’exportation de technologie vers la Chine.

Les stratèges bourgeois spéculent sur une séparation de la Chine d’avec la Russie. Mais ce n’est qu’un vœu pieux. Dans les conditions actuelles, il est inenvisageable que la Chine s’éloigne de la Russie, ou l’inverse, car elles ont besoin l’une de l’autre pour faire face à la puissance de l’impérialisme américain.

A l’heure actuelle, le conflit entre les Etats-Unis et la Chine est axé sur la question de Taïwan. La guerre en Ukraine a eu pour effet immédiat de placer la question de Taïwan à l’ordre du jour de la politique internationale. Cela fait longtemps que Pékin affirme, en des termes sans ambiguïté, qu’elle considère Taïwan comme un morceau inaliénable de la Chine.

Mais en stimulant les forces nationalistes taïwanaises, en musclant l’aide militaire et en entravant l’accès de la Chine au marché taïwanais, les Américains sont en train d’accroître les tensions autour de l’île. Dans le même temps, cependant, les Etats-Unis maintiennent leur politique d’« ambiguïté stratégique » qui consiste à soutenir le statu quo à Taïwan, car ils savent qu’une rupture avec cette position pourrait entraîner une confrontation militaire désastreuse.

La visite non officielle de Nancy Pelosi sur l’île était un acte insensé, une provocation absurde qui a consterné les représentants les plus sérieux de l’impérialisme américain ainsi que les alliés des Etats-Unis en Asie, qui ne souhaitent pas être forcés de choisir un camp dans une guerre commerciale, sans même parler d’une vraie guerre.

Même Joe Biden, qui n’est pourtant pas réputé pour sa finesse intellectuelle, a compris que cela entraînerait une réaction immédiate de la Chine. Et elle l’a fait. Pékin a augmenté la pression en ordonnant des exercices de sa marine et de ses forces aériennes autour de l’île. La guerre de mots entre les deux pays s’est de plus en plus échauffée.

Mais en réalité, aucun des camps n’est pressé d’en venir à une véritable confrontation militaire. Une intervention armée des Etats-Unis serait confrontée à d’énormes difficultés logistiques, et Xi Jinping est plus soucieux de maintenir la stabilité interne dans son pays que de s’engager dans des aventures militaires. Après avoir assuré sa réélection au XXe congrès du PCC, Xi a adopté un ton plus conciliant à propos de Taïwan et des Etats-Unis.

Seule une crise grave en Chine, qui menacerait de faire tomber le régime, ou une déclaration d’indépendance de Taïwan soutenue par les Etats-Unis, pourrait faire pencher la balance en faveur d’une telle aventure. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour dans l’immédiat.

Ainsi, l’équilibre instable actuel entre la Chine, l’Amérique et Taïwan sera maintenu pour la période à venir, avec ses inévitables hauts et bas. Mais la lutte titanesque pour la suprématie entre les Etats-Unis et la Chine va grandir jusqu’à inclure toute l’Asie, entraînant de profondes conséquences pour toute la planète.

 

Les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et la Russie

La guerre en Ukraine a aussi ouvert des conflits entre les Etats-Unis et des pays auparavant considérés comme ses proches alliés. Les Etats-Unis sont courroucés par la poursuite des échanges commerciaux de nombreux pays avec la Russie, qui sape les sanctions américaines. La Chine défie ouvertement la volonté américaine, et il n’y a pas grand-chose à faire pour l’arrêter.

Mais l’Inde, qui est censée être une amie de l’Amérique, achète également de grandes quantités de pétrole russe à prix cassés et les revend en Europe avec une jolie marge. Joe Biden fulmine et Modi se contente de hausser les épaules. Après tout, le pétrole russe est si bon marché…

Il est peut-être bon marché pour l’Inde et la Chine, mais la pénurie mondiale de pétrole a fait grimper les prix du marché, ce qui bénéficie à la Russie, comme nous l’avons expliqué.

Par conséquent, des tensions ont grandi entre l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial de pétrole brut, et les Etats-Unis, plus grand consommateur. Ignorant les demandes de Biden d’augmenter la production de pétrole pour en faire baisser le prix à l’échelle mondiale, Riyad a conclu un accord avec Moscou pour diminuer la production, afin d’enrayer la baisse des prix.

La coopération de l’Arabie Saoudite avec Moscou est une source d’exaspération et d’indignation pour la Maison-Blanche. Sa porte-parole Karine Jean-Pierre a déclaré aux journalistes qu’il était « clair » que l’OPEP+ « s’alignait avec la Russie ».

La querelle entre les Saoudiens et les Etats-Unis est symptomatique du désir croissant, parmi les gouvernements d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, de tirer avantage du conflit mondial entre la Russie, la Chine et les Etats-Unis pour faire valoir leurs propres intérêts, en se tenant en équilibre entre les deux camps. L’attitude d’Erdogan en Turquie en est un autre exemple.

 

Un monde multipolaire ?

Les rééquilibrages auxquels nous avons fait référence ont donné lieu à de nombreuses spéculations à propos d’un monde « multipolaire ». Il est estimé que l’ascension de la Chine comme puissance économique et militaire va remettre en cause la position dominante de l’impérialisme américain.

Le déclin relatif des Etats-Unis par rapport à la Chine est un sujet de discussion depuis des décennies. Il faut néanmoins souligner qu’il s’agit d’un déclin relatif. En termes absolus, les Etats-Unis demeurent le pays le plus riche et la plus grande puissance militaire de la planète.

Dans les années 1970, il y avait des spéculations du même ordre à propos de la croissance du Japon, dont certains prédisaient qu’il allait dépasser l’économie américaine en quelques décennies. Mais cela ne s’est jamais concrétisé.

La croissance explosive de l’économie japonaise a atteint ses limites et le Japon est entré dans une période prolongée de stagnation économique. Aujourd’hui, certains signes indiquent que la Chine pourrait être en train d’approcher une situation similaire.

Les limites du soi-disant modèle chinois se manifestent dans un ralentissement aigu de la croissance économique. Pour ce que nous pouvons en prévoir, les Etats-Unis conserveront leur statut de principale puissance impérialiste. Mais cela ne sera pas sans susciter des problèmes.

Au XIXe siècle, l’impérialisme britannique dominait une part immense du globe terrestre. Sa flotte dominait les mers, bien qu’elle fût concurrencée de façon croissante par la puissance émergente de l’Allemagne, et l’impérialisme américain n’en était qu’aux premiers stades de son développement.

A cette époque, la Grande-Bretagne parvenait à s’enrichir aux dépens de ses colonies et grâce à son rôle dominant dans le commerce mondial. Son pouvoir a été affaibli par deux guerres mondiales, et les Etats-Unis ont hérité de son rôle de gendarme du monde. Mais cette position a été gagnée dans une période de déclin impérialiste. Et le rôle de gendarme du monde s’avère très onéreux.

Malgré le caractère colossal de leur richesse et de leur puissance militaire, les Etats-Unis ont subi leur première défaite militaire dans les jungles du Vietnam. Leur précédente guerre, en Corée, avait été arrêtée sans vainqueur, et reste encore sans solution. Les aventures militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie se sont toutes conclues par des humiliations et par la perte de milliards de dollars.

Maintenant, la guerre en Ukraine – dont ils ne sont pas supposés partie prenante bien qu’en pratique ils le soient – est devenue une nouvelle saignée colossale sur leurs ressources. En réaction, il existe une puissante réaction de l’opinion publique américaine contre les aventures militaires extérieures. Le potentiel pour le déclenchement d’une guerre est limité par cet important facteur.

Les défaites humiliantes subies en Irak et en Afghanistan sont gravées dans la conscience du peuple des Etats-Unis. Les Américains sont dégoûtés des interventions extérieures et des guerres, ce qui limite fortement la marge de manœuvre de Biden comme du Pentagone.

D’autre part, l’aile trumpiste du Parti Républicain affiche une forte préférence pour l’isolationnisme, qui a traditionnellement été un facteur puissant dans la politique américaine.

L’instabilité mondiale généralisée menace constamment d’enflammer la poudrière politique dans la société américaine. C’est ce que Trotsky voulait dire quand il prévoyait que les Etats-Unis allaient émerger de la Seconde Guerre mondiale comme la puissance dominante au niveau mondial, mais qu’ils auraient de la dynamite intégrée dans leurs fondations.

 

Guerre et paix

La période dans laquelle nous sommes entrés sera caractérisée par une croissance de l’instabilité et des frictions entre les différents blocs et puissances. Les réformistes de droite ont adopté l’entièreté du programme et de la rhétorique de la bourgeoisie impérialiste (« il faut défendre la démocratie »). Les réformistes de « gauche » chantent constamment des hymnes touchants sur la Paix et la Fraternité humaine, qu’ils croient protégées par la Charte des Nations-Unies.

Et pourtant, en près de 80 ans d’existence, l’Organisation des Nations (soi-disant) Unies n’a jamais empêché aucune guerre. Entre 1946 et 2020, il y a eu environ 570 guerres, qui ont entraîné au moins 10 477 718 morts de civils et de militaires. L’ONU n’est qu’un club de discussion qui donne l’impression de pouvoir résoudre des problèmes.

En réalité, dans le meilleur des cas, elle peut parfois régler des questions mineures, qui n’affectent pas les intérêts fondamentaux des grandes puissances. Dans le pire des cas, comme dans la guerre de Corée dans les années 1950, au Congo dans les années 1960, et dans la première guerre d’Irak en 1991, elle sert de feuille de vigne bien pratique pour masquer des projets impérialistes.

Par le passé, les tensions actuelles auraient d’ores et déjà conduit à une guerre d’ampleur entre les grandes puissances. Mais les conditions ayant changé, cette question n’est plus à l’ordre du jour – du moins à l’heure actuelle. Depuis sept décennies, il n’y a pas eu de guerre mondiale, bien qu’il y ait eu, comme nous l’avons montré, une grande quantité de petites guerres.

Les capitalistes ne font pas la guerre par patriotisme, pour la démocratie, ni pour quelque autre principe grandiloquent. Ils font la guerre pour le profit, pour s’emparer de marchés étrangers, de sources de matières premières (comme le pétrole), et pour étendre leurs sphères d’influence.

Une guerre nucléaire ne leur apporterait aucune de ces choses, mais entraînerait la destruction mutuelle des deux camps. Ils ont même inventé une formule pour cela : la destruction mutuelle garantie. Une telle guerre ne serait pas dans l’intérêt des banquiers et des capitalistes.

Un autre facteur décisif – déjà évoqué ci-dessus – est l’opposition massive à la guerre, en particulier (mais pas exclusivement) aux Etats-Unis d’Amérique. Selon un sondage d’opinion, seuls 25 % de la population américaine serait favorable à une intervention militaire directe en Ukraine, ce qui signifie que l’écrasante majorité y serait opposée.

C’est cela, et pas l’amour de la paix, et certainement pas le respect pour les Nations (dés) Unies, qui a empêché les Etats-Unis d’envoyer des troupes dans une confrontation directe avec l’armée russe en Ukraine.

Bien sûr, on ne manque pas de généraux américains stupides ou même déséquilibrés, qui pensent qu’une guerre contre la Russie ou la Chine, ou mieux encore contre les deux à la fois, serait une bonne idée, et que si cela signifiait l’annihilation nucléaire de la planète, ce serait un prix nécessaire à payer.

Mais ces gens sont tenus sous surveillance, comme un homme qui garde un chien méchant pour défendre sa propriété s’assure qu’il est bien enchaîné. Et à moins de la perspective de l’arrivée au pouvoir d’un Hitler américain, personne ne sera tenté de signer une lettre de suicide collectif au nom du peuple des Etats-Unis.

Si qu’une guerre mondiale soit exclue dans les conditions actuelles, il y aura néanmoins beaucoup de « petites » guerres et de guerres par procuration comme celle qui se déroule en Ukraine. Elles ajouteront à l’instabilité générale et mettront de l’huile sur le feu du désordre mondial.

 

Les Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la stabilité du statu quo se fondait sur la division du pouvoir entre deux partis bourgeois, les Républicains et les Démocrates. Pendant plus de cent ans, ces deux géants politiques ont alterné au pouvoir avec une régularité digne du pendule d’une vieille horloge.

Tout semblait fonctionner sans encombre. Mais la régularité d’autrefois a aujourd’hui laissé place à la plus violente des turbulences.

Les années Trump ont été caractérisées par une imprévisibilité extrême. Son refus d’accepter la passation de pouvoir, et même d’admettre qu’il pouvait perdre une élection, a créé les conditions de l’assaut du Congrès par une foule de ses partisans enragés, le 6 janvier 2021. Ces événements annonçaient une nouvelle période de bouleversements violents dans la société américaine.

Tous les commentateurs économiques sérieux prévoient que les Etats-Unis entreront en récession en 2023. Le taux d’inflation annuel aux Etats-Unis dépasse désormais les 8 %, au plus haut depuis quarante ans. Comme nous l’avons indiqué, la Réserve fédérale a augmenté graduellement les taux d’intérêt, portant le taux d’emprunt à un niveau qui n’avait pas été atteint depuis quinze ans, près de 7 %, contre à peine 3 % en 2021.

Dans le même temps, la dette nationale américaine a dépassé la barre des 31 000 milliards de dollars. Avec des taux d’intérêt en augmentation rapide, une grande pression va s’exercer sur les finances publiques des Etats-Unis. La création d’emplois a également ralenti, et le chômage commence à monter.

Tout cela se produit dans un contexte de déclin relatif de long terme, qui a vu les conditions de vie de millions d’Américains stagner ou décliner. Les salaires réels n’ont pas augmenté depuis les années 1970. Des millions d’emplois bien payés dans le secteur industriel ont été détruits au cours des décennies.

Cela explique la baisse de popularité des Démocrates, qui étaient vus autrefois comme « favorables aux travailleurs », et pourquoi un personnage comme Trump a pu profiter de la colère d’une couche de la classe ouvrière à l’égard de l’establishment.

Cependant, les élections intermédiaires de 2022 n’ont pas conduit à la victoire trumpiste que beaucoup anticipaient, malgré la faible popularité de Biden. Beaucoup des candidats soutenus par Trump ont été battus. Une des principales raisons a été la réaction à l’annulation par la Cour suprême de la jurisprudence « Roe vs Wade », qui protégeait jusque-là le droit à l’avortement.

Reste à voir si Trump gagnera l’investiture présidentielle du Parti Républicain, ou s’il sera poussé de côté par quelqu’un comme Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, qui se présente comme le candidat du « trumpisme sans Trump ». Les conditions pourraient être réunies pour une scission au sein du Parti Républicain, si Trump n’obtient pas ce qu’il veut.

 

Un profond mécontentement

Il existe un mécontentement profond et généralisé, qui s’exprime de sondage d’opinion en sondage d’opinion.

D’après, selon un sondage de 2022 de l’Université de Californie, plus de la moitié des Américains croient que « dans les prochaines années, il y aura une guerre civile aux Etats-Unis ».

D’après un autre sondage, 85 % des Américains croient que le pays est sur la « mauvaise voie ». 58 % des électeurs américains « croient que leur système de gouvernement ne fonctionne pas… », et ainsi de suite.

Cette humeur profonde de mécontentement a trouvé son expression la plus frappante dans le mouvement Black Lives Matter en 2021, qui était soutenu par 75 % de la population. Mais cette radicalisation a été partiellement désorientée par les soi-disant politiques d’identité.

Ce qui est présenté comme une « guerre culturelle » est utilisé de façon systématique aussi bien par les politiciens d’extrême droite que par les libéraux pour galvaniser leurs partisans. C’est un poison qui ne peut être combattu que par une politique de classe.

 

La question de classe

La réémergence de la question de classe s’exprime à travers la vague de campagnes de syndicalisation dans des lieux de travail comme Amazon et Starbucks, mais aussi dans les vagues de grèves qui ont touché les Etats-Unis, comme le « Striketober » de 2021. Et le nombre de grèves continue de grandir.

Les dernières études révèlent que 71 % des Américains sont en faveur des syndicats – le plus haut niveau de soutien depuis les années 1960. Et ce chiffre est encore plus élevé dans la jeunesse. Même parmi les partisans de Trump âgés de 18 à 34 ans, 71 % ont de la sympathie pour les campagnes de syndicalisation à Amazon.

Le mouvement de syndicalisation des travailleurs précaires, principalement des jeunes, est le premier véritable signe d’une résurgence de la lutte des classes. Ces campagnes de syndicalisations sont menées par des travailleurs de base, jeunes et radicaux, peu connectés au mouvement syndical traditionnel. Ceux-ci font partie d’une nouvelle génération de militants de classe combatifs qui se forme de part et d’autre des Etats-Unis, et se déplacent rapidement vers la gauche.

Cependant, les partis existants souffrent d’une défiance profonde et croissante, en particulier les Démocrates. C’est cette situation qui explique la crise de la présidence Biden. Il est perçu comme incapable de résoudre les problèmes urgents que rencontrent la classe ouvrière et la jeunesse, de l’inflation à la guerre en Ukraine, et de l’impact grandissant et dévastateur du changement climatique à la pénurie de logements abordables.

C’est ce sentiment général de malaise qui explique la défiance généralisée vis-à-vis de Biden et des Démocrates, dans une large couche de la population. L’évolution ultérieure de la lutte des classes ouvrira la voie, à un certain point, à l’émergence d’un troisième parti, basé sur la classe ouvrière. Cela représentera un changement fondamental dans l’ensemble de la situation.

 

La Chine

La Chine était jusqu’ici une des principales forces motrices de l’économie mondiale. Mais cela a atteint ses limites et se transforme maintenant en son contraire. Les économistes bourgeois observent les développements en Chine avec une inquiétude croissante.

Dans les marchés libres d’Occident, les crises financières peuvent éclater soudainement, prenant les gouvernements et les investisseurs par surprise. Mais en Chine, où l’Etat joue encore un rôle important dans l’économie, le gouvernement peut déployer son capital politique et financier à un niveau bien plus important, afin de limiter ou de repousser une crise.

Cela donne les apparences de la stabilité, mais ce n’est qu’une illusion. Depuis que la Chine a choisi de prendre le chemin du capitalisme, et s’est désormais complètement intégrée dans le marché capitaliste mondial, elle est sujette elle aussi aux lois de l’économie capitaliste de marché.

Un des facteurs clés pour sauver les économies chinoise et mondiale d’une crise majeure après le krach de 2008 a été l’injection de quantités massives d’argent dans l’économie par l’Etat chinois.

Cela s’est chiffré en centaines de milliards de dollars, dont la majeure partie a été investie dans les infrastructures et dans des projets de développement. On observe aujourd’hui la fin de ce modèle. L’économie chinoise ralentit. Les maigres 2,8 % de croissance en 2022 étaient son plus bas niveau depuis 1990. En 2021, la croissance du PIB a été de 8,1 %.

Une grande part de cet investissement a pris la forme de « plateformes de financement des collectivités territoriales » (PFCT), qui ont accumulé une immense montagne de dettes de 78 000 milliards de dollars, qui menace la stabilité de l’économie chinoise tout entière. Une grande quantité de ces dettes sont dissimulées, au sein du secteur bancaire parallèle semi-légal, avec lequel les entreprises et les banques publiques sont très liées.

Cette dette équivaut à près de la moitié du PIB total de la Chine en 2021, ou environ au double de l’économie allemande. Avec la baisse des revenus des gouvernements locaux, une réaction en chaine dévastatrice de défauts de paiements semble de plus en plus probable.

L’intervention de l’Etat ne peut que perturber les mécanismes du marché, mais pas supprimer ses contradictions fondamentales. Elle peut repousser la crise, mais quand celle-ci arrive finalement – ce qui doit advenir tôt ou tard – elle n’en prend qu’un caractère plus explosif, destructeur et incontrôlable.

Un krach financier en Chine aurait un impact dévastateur sur l’ensemble de l’économie mondiale. Il créerait aussi une situation très explosive à l’intérieur de la Chine.

Il a toujours été considéré que la Chine avait besoin d’un taux de croissance annuel d’au moins 8 % pour maintenir sa stabilité sociale. Un taux de croissance de 2,8 % est donc tout à fait insuffisant. Et une crise économique majeure, déclenchée par un effondrement du marché immobilier, préparerait le terrain pour une agitation sociale de grande ampleur.

 

La Chine fait face à une explosion sociale

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser le congrès de 2022 du Parti « Communiste » chinois, durant lequel Xi Jinping a renforcé son emprise sur le pouvoir. Selon les vieilles règles du Parti, Xi aurait dû se démettre de ses fonctions de dirigeant lors de ce congrès, mais il vise au contraire à être leader à vie.

Le fait que Xi ait concentré tout le pouvoir entre ses mains n’est pas accidentel. La Chine est un Etat totalitaire qui combine l’économie de marché capitaliste avec des éléments de contrôle étatique, hérités de l’ancien Etat ouvrier déformé.

Dans un Etat totalitaire, où toutes les sources d’information sont strictement contrôlées et toute forme d’opposition brutalement réprimée, il est extrêmement difficile de savoir ce qui se passe sous la surface, jusqu’à ce que tout explose soudainement.

On a pu observer cela dans la lutte des travailleurs de la méga-usine Foxconn à Zhengzhou et dans les manifestations nationales contre les confinements en novembre 2022. Emergeant en apparence de nulle part, ces mouvements ont pris une forme explosive et, pour ce qui est des manifestations anti-confinement, se sont répandus en quelques heures dans des centaines de lieux, à l’échelle nationale. Ces événements annoncent le début d’une rupture de l’équilibre social en Chine.

L’élite dirigeante en est néanmoins bien consciente. Elle dispose d’un puissant appareil de répression et d’un important réseau d’espions et d’informateurs, présents dans chaque usine, bureau, immeuble, école et université.

La Chine dépense désormais davantage chaque année pour sa sécurité intérieure que pour sa défense nationale, et elle augmente les deux budgets. Xi et sa clique sont bien conscients des énormes risques de troubles sociaux et prennent des mesures pour l’anticiper. Néanmoins, leur énorme appareil de censure en ligne a été incapable d’empêcher la circulation des informations durant les récentes manifestations, alors même que celles-ci ne mobilisaient que quelques centaines de personnes dans chaque ville touchée. Un mouvement massif de la classe ouvrière déborderait totalement cet appareil.

Cela explique en grande partie l’écrasement du mouvement de masse de 2019 à Hong Kong. S’il n’avait pas été réprimé, il se serait rapidement propagé sur le continent.

L’immense étendue de ce mouvement – avant qu’il soit détourné et mené dans une impasse par l’élite libérale pro-occidentale – donne une petite idée de ce à quoi une révolution prolétarienne en Chine ressemblera, à la seule exception qu’elle se développera à une échelle bien plus grande.

Napoléon Bonaparte est supposé avoir dit : « la Chine est un dragon endormi. Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera le monde entier tremblera. » Il y a beaucoup de vérité dans cette maxime. Mais il faudrait y introduire une petite modification.

Le prolétariat chinois est le plus grand et potentiellement le plus puissant du monde. Il est effectivement comme un dragon endormi sur le point de se réveiller. Et quand cela adviendra, c’est effectivement le monde entier qui tremblera.

Une immense explosion sociale se prépare en Chine, bien qu’il soit impossible de dire quand elle adviendra. Mais une chose peut être prédite avec une certitude absolue. C’est qu’elle adviendra quand on s’y attendra le moins.

Et une fois qu’elle commencera, rien ne pourra l’arrêter. La répression et l’intimidation seront insuffisantes. Comme le fleuve Yangtzé lorsqu’il quitte son lit, cette explosion sociale emportera tout sur son passage.

 

Europe : des tendances centrifuges

L’unité de l’UE pouvait être considérée comme acquise tant que durait la croissance économique. Mais ces conditions favorables ont disparu. Et l’arrivée d’une tourmente économique et financière conduira à davantage de protectionnisme et de nationalisme économique.

Le tissu fragile de l’unité européenne sera soumis à rude épreuve, jusqu’à se rompre dans les conditions d’une profonde contraction économique. Les tendances centrifuges qui en résulteront accéléreront le mouvement opposé à la mondialisation, et vers une plus grande fragmentation de l’Europe et de l’économie mondiale.

L’Europe du Sud est le maillon le plus faible de la chaîne. Elle est mûre pour d’importants bouleversements politiques et une grande instabilité. La faiblesse financière permanente de la Grèce et de l’Italie pourrait tout à fait provoquer l’effondrement de l’union monétaire européenne. Mais même les nations les plus fortes sont en train d’être fragilisées. Ces tendances se renforceront inévitablement, faisant peser une immense pression sur l’édifice fragile de l’unité européenne.

 

Divisions en Europe

La crise a mis à nu les profondes fissures qui existent entre les différents Etats membres de l’UE. Avant même la guerre en Ukraine et la pandémie, l’économie européenne ralentissait et les tensions entre pays membres de l’UE étaient croissantes. Le signe le plus évident en a été le départ de la Grande-Bretagne, qui a laissé de nombreux problèmes irrésolus. Mais les relations avec la Grande-Bretagne ne sont pas la seule source de friction dans l’UE.

En conséquence de la guerre en Ukraine et des menaces sur la fourniture de gaz russe en Europe, l’UE est au bord d’une catastrophe économique. Les capitalistes de tous les Etats européens se débattent pour prendre des mesures dans leur propre intérêt.

La solidarité européenne n’a pas de place dans cette équation. C’est un cas évident de « chacun pour soi ».

La guerre en Ukraine a ouvert de sévères failles dans l’UE. Comme indiqué précédemment, la Pologne et les Etats baltes sont les plus fervents partisans de la guerre. Mais le dirigeant hongrois Victor Orban a ouvertement critiqué les sanctions occidentales contre la Russie, et la Hongrie jouit d’excellentes relations avec le Kremlin. Par conséquent, la Hongrie dispose désormais des tarifs de gaz les plus bas d’Europe.

Orban a commenté avec beaucoup d’ironie : « En matière d’énergie, nous sommes des nains et les Russes sont des géants. Un nain punit un géant et nous sommes tous étonnés quand le nain meurt. » Ses remarques ont scandalisé les dirigeants de l’UE. Mais elles étaient loin d’être fausses.

Les aides économiques allemandes aux compagnies énergétiques ont suscité des critiques sévères de nombreuses nations de l’UE, qui réclament une réponse commune de l’UE à la crise énergétique. Le Premier ministre hongrois a prévenu que le plan d’aide allemand était équivalent à du « cannibalisme », menaçant l’unité de l’UE à un moment où les Etats membres sont sous un stress économique sévère en raison de la guerre en Ukraine.

Un conseiller économique de la Première ministre italienne Giorgia Meloni a dit qu’il s’agissait « d’un acte précis, délibéré, réalisé sans accord, sans partage, sans communication, qui sape les raisons de l’union ». Emmanuel Macron a été plus diplomate, mais est allé droit au but en disant : « Nous ne pouvons pas nous en tenir à des politiques nationales, car cela crée des distorsions au sein du continent européen ».

Le ministre des finances allemand, Robert Habeck, a toutefois défendu le plan de soutien de son pays, et a répliqué par un avertissement strict : « Si l’Allemagne devait connaître une récession vraiment profonde, celle-ci entraînerait toute l’Europe avec elle ».

Ce conflit revient essentiellement à savoir qui va payer, l’Allemagne et les pays capitalistes plus riches du nord de l’Europe n’étant pas prêts à payer l’addition pour les économies capitalistes plus pauvres du Sud et de l’Est.

Cependant, il y a des signes de mécontentement croissant vis-à-vis de cette approche générale. Le Financial Times a publié un article titrant « Les Allemands ordinaires payent : les protestations contre la guerre s’étendent à travers l’Europe centrale ». Il relate une croissance alarmante des manifestations antiguerre et pro-russes en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe orientale.

A ce stade, ces manifestants se comptent surtout en centaines. Mais, à mesure que les températures continueront de baisser, la colère de beaucoup de gens va monter. Les tensions sociales qui en résulteront menaceront le fragile tissu politique de l’Allemagne.

En République tchèque, le 2 septembre 2022, entre 70 000 et 100 000 personnes ont aussi manifesté sur la place Wenceslas à Prague, appelant à la démission du gouvernement de coalition de droite pro-OTAN du Premier ministre Petr Fiala. Entre autres revendications, les manifestants ont avancé des slogans contre la crise du coût de la vie et contre la participation de la Tchéquie à la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie.

Le soutien italien à la guerre ne peut pas non plus être tenu pour acquis. Si Meloni a immédiatement pris une position « responsable », pro-occidentale, vis-à-vis de la guerre, ses partenaires de coalition Salvini et Berlusconi chantent une autre chanson : Salvini appelle à la fin des sanctions contre la Russie tandis que Berlusconi affiche ouvertement son amitié avec Vladimir Poutine.

 

L’Allemagne

La crise mondiale du capitalisme est en train de rattraper l’Allemagne. La guerre en Ukraine a brutalement ouvert les yeux de la classe dirigeante allemande sur la fragilité réelle de l’impérialisme allemand.

L’Allemagne a été pendant des décennies la locomotive industrielle de l’Europe. Sous la houlette d’Angela Merkel, chancelière pendant quinze ans, le capitalisme allemand a réussi à se sortir de la crise de 2008 en exportant massivement.

Sa compétitivité a été boostée aux dépens de la classe ouvrière par les contre-réformes Hartz IV. En 2004, durant le mandat du gouvernement social-démocrate de Gerhard Schroeder, ces contre-réformes ont attaqué le Code du travail et précarisé les emplois.

La classe dirigeante allemande a également tiré profit de la restauration du capitalisme en Europe orientale pour étendre son influence à l’est, et accéder à un vivier de travail qualifié à bas prix.

Tout cela, combiné à un accès facile et illimité à des fournitures de gaz et de pétrole russes bon marché, a donné aux capitalistes allemands un avantage compétitif supplémentaire par rapport à leurs rivaux. Le résultat a été une envolée des exportations vers le reste de l’UE, les Etats-Unis et la Chine au cours de la décennie suivante, ce qui a permis à l’Allemagne de renforcer sa position comme superpuissance commerciale mondiale.

Un niveau relativement bas d’endettement public, un contrôle sur l’Euro, et une position de proéminence dans les institutions de l’UE ont donné à la classe dirigeante allemande les marges de manœuvre pour préserver la stabilité sociale intérieure, aux dépens du reste de l’Europe.

Cependant, toutes les forces du « modèle allemand » sont en train de se changer en leur contraire. La dégradation du commerce mondial en 2019, exacerbée par l’impact de la pandémie et la dislocation subséquente des chaînes d’offre de matières premières, de composants, de puces électroniques, ainsi que l’augmentation des prix d’expédition, a miné la production et l’exportation de voitures, machines et produits chimiques allemands.

L’impact de la guerre en Ukraine a mis en lumière le fait que l’Allemagne ne dispose pas d’une puissance économique et militaire suffisante pour défendre ses propres intérêts stratégiques, dès lors qu’elle est confrontée à de plus grandes puissances économiques et militaires.

Les 100 milliards d’euros de dépenses militaires supplémentaires annoncés par le chancelier allemand Olaf Scholz étaient une reconnaissance de cette réalité, mais elle ne servira qu’à accroitre les profits du complexe militaro-industriel.

La pression sans relâche exercée par les Etats-Unis a forcé les capitalistes allemands à abandonner le réseau commercial russo-allemand, les partenariats et les investissements qu’ils avaient soigneusement tissés – à un coût catastrophique.

Malgré toutes les tentatives d’atermoiement et d’esquive des mesures qui auraient impliqué une confrontation directe avec la Russie, la dynamique de la guerre a inévitablement exposé l’économie allemande, vulnérable et dépendante, à de dures représailles russes, à savoir la réduction puis la coupure des fournitures d’énergie.

Cette situation, associée à l’explosion de l’inflation, aura nécessairement de profondes conséquences sur la stabilité politique et sociale du capitalisme allemand. La période à venir mettra inévitablement à nu de nettes contradictions de classe, ce qui affaiblira les politiques de collaboration de classe de la social-démocratie et des dirigeants syndicaux.

Confrontée à la dégradation rapide de ses conditions de vie, sous les coups de l’inflation endémique et des coûts croissants de l’énergie, la classe ouvrière sera forcée de riposter. Chaque tentative de la part des bureaucraties syndicales de s’en tenir aux vieilles méthodes du partenariat social contribuera à affaiblir encore leur autorité.

Les tentatives de mobiliser la classe ouvrière pour soutenir la bourgeoise, comme les appels de l’ancien président fédéral Joachim Gauck à ce que les Allemands « gèlent pour la liberté » sonnent d’ores et déjà creux. Dans ce contexte, les manifestations contre la guerre que nous avons mentionnées sont un sévère avertissement. La marche vers la rupture du partenariat social et l’explosion de la lutte des classes est inévitable dans ce contexte, puisque la classe dirigeante est à court d’options.

 

L’Italie

La prise de fonctions du gouvernement ultraconservateur de Meloni a été un développement profondément inquiétant pour la bourgeoisie et l’impérialisme italiens.

L’Italie, déjà en récession, avec une inflation à son niveau le plus haut depuis presque quarante ans, porte le fardeau d’une immense dette de 275 000 milliards d’euros, 152 % de son PIB, qui risque de s’alourdir encore avec l’augmentation des taux d’intérêt.

Le succès électoral de Meloni vient du fait qu’elle s’est tenue à l’écart du gouvernement de Mario Draghi. Draghi était l’homme des bourgeois, mais le problème est que tous les partis de sa coalition ont subi de lourdes pertes lors des élections.

Meloni est une raciste et une extrémiste réactionnaire pétrie de préjugés, mais il n’y a pas de « retour au fascisme » en Italie. Ce qu’il y a, c’est bien plutôt une défiance croissante à l’égard de tous les partis, comme l’a confirmé le taux d’abstention de 40 %.

Le nombre de voix pour les partis de la coalition de droite n’a pas augmenté, mais un grand nombre de suffrages se sont déplacés de Berlusconi et la Lega à Fratelli d’Italia. Seul un sixième de l’électorat a réellement voté pour Fratelli d’Italia.

Immédiatement après les élections, Meloni a fait tout son possible pour rassurer les marchés financiers européens quant au fait qu’ils pouvaient lui faire confiance et qu’elle appliquera plus ou moins les mêmes politiques que Draghi. Les aides de l’UE visant à stabiliser l’économie italienne sont conditionnées à l’imposition de mesures d’austérité de la part du gouvernement.

La crise actuelle, avec une inflation croissante, de bas salaires, un chômage important, à laquelle s’ajoutent des politiques réactionnaires sur des questions comme le droit à l’avortement, l’immigration, etc., est la recette parfaite pour une explosion de la lutte des classes et des mobilisations protestataires des travailleurs et des jeunes.

 

La France

Comme dans tous les principaux pays capitalistes, le gouvernement français a dépensé d’immenses sommes pour éviter une crise majeure durant la pandémie, mais il va maintenant falloir que quelqu’un paye, et ce sera clairement à la classe ouvrière française de le faire.

Mais les bourgeois français ont été confrontés à une réaction combative des travailleurs à chaque tentative sérieuse de toucher aux conquêtes du passé. Quand Macron a été élu pour la première fois, il a dû faire face au mouvement des Gilets jaunes un an après avoir pris ses fonctions. Mais il est aujourd’hui encore plus affaibli.

Ses soutiens actifs réels au premier tour représentaient à peine 20 % de l’électorat français total. Plutôt qu’un renforcement du centre, on a vu une nette polarisation à gauche (Mélenchon) et à droite (Le Pen).

L’instabilité croissante a été révélée quelques mois plus tard lors des élections législatives, quand Macron a échoué à obtenir une majorité absolue au parlement. Le résultat a été un gouvernement faible, qui s’appuie sur un parlement divisé, soumis à une forte pression pour qu’il mette en œuvre le programme requis par la classe capitaliste.

Cela se produit dans une période d’approfondissement de la crise économique, alors que l’inflation continue d’augmenter, avec des hausses des taux d’intérêt qui font grimper le coût des emprunts pour des millions de familles et la menace de l’augmentation du chômage alors que la crise mondiale du capitalisme frappe la France.

Un signe du changement d’humeur a pu être observé en octobre 2022, lors des grèves de plusieurs semaines des ouvriers du pétrole, menées par la FNIC, la plus à gauche des fédérations syndicales composant la CGT. Le gouvernement a tenté de mettre en œuvre des mesures pour vaincre la grève, mais les travailleurs du pétrole bénéficiaient du soutien de l’écrasante majorité de la population, malgré les pénuries d’essence causées par la grève.

Les dirigeants syndicaux ont convoqué des journées d’action pour permettre aux travailleurs de relâcher un peu de pression, afin d’éviter d’engager une lutte totale contre le gouvernement. La même stratégie des « journées d’action » a été utilisée contre la réforme des retraites. Cela a permis au gouvernement de faire adopter sa loi, malgré la mobilisation de millions de jeunes et de travailleurs, à plusieurs reprises.

Les directions syndicales ne pourront pas retenir le mouvement indéfiniment. La grève des travailleurs du pétrole, la mobilisation massive contre la réforme des retraites et le développement d’une aile gauche de la CGT sont autant d’indications de ce à quoi on peut s’attendre dans la prochaine période, à une échelle bien plus importante. Une fraction croissante de la classe ouvrière comprend les limites des « journées d’action ». Sur les manifestations, le mot d’ordre de grève générale est de plus en plus visible. Dans cette situation, une répétition de mai 1968 est inévitable.

 

La Grande-Bretagne

Le milliardaire Warren Buffett a dit un jour que « ce n’est que quand la marée se retire qu’on découvre qui nageait tout nu ». Cette description convient parfaitement à la position actuelle de la Grande-Bretagne.

Il y a encore peu de temps, la Grande-Bretagne était vue comme le pays le plus stable politiquement et socialement, et probablement comme le pays le plus conservateur d’Europe. Cela s’est transformé en son contraire.

Rishi Sunak a été « élu » dirigeant quand Liz Truss a été éjectée, à la suite de la débâcle financière. Il est entré au 10 Downing Street en promettant de « corriger » les « erreurs » de sa prédécesseure.

Mais le besoin urgent d’équilibrer les comptes et d’éliminer le trou béant dans les finances publiques implique inévitablement que le peuple britannique doive affronter une nouvelle période d’austérité, de coupes budgétaires et d’attaques contre ses conditions de vie.

Des millions de foyers britanniques sont forcés de choisir entre s’éclairer et avoir à manger. L’écart flagrant entre les riches et les pauvres n’a jamais été aussi manifeste qu’aujourd’hui. Et cela attise les flammes du ressentiment et de la colère.

De nombreux éléments indiquent un changement dans la conscience en Grande-Bretagne, comme le fait que 47 % des électeurs conservateurs soient en faveur de la nationalisation de l’eau, de l’électricité et du gaz, ce qui est en contradiction directe avec les politiques économiques libérales du gouvernement conservateur.

Après des années d’attaques sans précédent contre leurs salaires et leurs conditions de vie, les travailleurs ne sont pas d’humeur à accepter de payer davantage. Les contradictions entre les classes deviennent chaque jour plus aiguës.

Ce sentiment de colère se reflète dans le nombre toujours croissant de grèves : les cheminots, les dockers, les travailleurs de la poste, les éboueurs et même les avocats-pénalistes se sont déjà mobilisés. Et ils sont suivis par d’autres, comme les enseignants et les infirmiers.

On parle de plus en plus de grève coordonnée. Y aura-t-il une grève générale en Grande-Bretagne ? C’est impossible à dire. Tout ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que ni le gouvernement ni les dirigeants syndicaux n’en veulent, mais que puisque toutes les conditions objectives sont réunies pour une telle issue, ils pourraient être forcés de la subir.

Le regain de la lutte économique est un développement important. Mais il a ses limites. Trotsky soulignait que même la plus tempétueuse des grèves ne peut pas résoudre les problèmes fondamentaux de la société, sans parler de celles qui sont vaincues.

Même lorsque les travailleurs réussissent à obtenir une augmentation de salaire, celle-ci est rapidement annulée par de nouvelles hausses des prix. Par conséquent, à un certain point, le mouvement devra acquérir une expression politique. Mais comment y parvenir ?

 

Travaillistes et conservateurs

Pendant une période, le Parti travailliste a fortement viré à gauche sous la direction de Jeremy Corbyn. En réalité, la classe dirigeante avait alors perdu le contrôle des deux principaux partis : le Labour au profit des réformistes de gauche et les Tories au profit des nationalistes de droite pro-Brexit.

Du fait de la honteuse capitulation de la gauche, l’aile droite a réussi à reprendre le contrôle du Parti travailliste – une chose que même les observateurs bourgeois les plus optimistes croyaient presque impossible.

Maintenant, les conservateurs sont discrédités et en crise. Ils sont divisés sur de multiples lignes et de plus en plus démoralisés, se jetant les uns sur les autres au fur et à mesure que la pression causée par la crise s’accentue, et ce précisément au moment où la classe dirigeante a besoin d’un gouvernement uni pour mener ses attaques contre les travailleurs.

Les politiques du nouveau gouvernement représentent une combinaison de coupes budgétaires et de hausse des impôts, qui ne toucheront pas seulement les travailleurs, mais aussi de larges couches de la classe moyenne. C’est une formule parfaite pour la lutte des classes. Et quoi que fassent les conservateurs désormais, les choses iront toujours mal.

Le nouveau gouvernement conservateur essaie d’éviter de convoquer une nouvelle élection, car il sait qu’il serait balayé. Les travaillistes arriveraient au pouvoir – non pas grâce à Keir Starmer, mais malgré lui.

Starmer quant à lui n’est pas très enthousiaste à l’idée de diriger un gouvernement travailliste majoritaire, car il n’aurait alors aucune excuse pour ne pas mener de politiques dans les intérêts de la classe ouvrière. Sa stratégie est donc de doucher les espoirs et de promettre le moins de choses possible.

Il n’est même pas exclu que le Parti conservateur scissionne, l’aile droite rompant pour former un nouveau parti pro-Brexit, potentiellement en s’alliant avec Nigel Farage. Cela pourrait conduire à la formation d’un « gouvernement d’union nationale », alliant les travaillistes aux libéraux et aux conservateurs modérés.

D’une façon ou d’une autre, la classe ouvrière devra réapprendre de douloureuses leçons à l’école de Sir Keir et de la clique droitière qui contrôle désormais le Parti travailliste, qui sont des politiciens bourgeois en tout, sauf en titre.

L’aile droite a mis en œuvre une purge minutieuse du Parti, afin d’éviter toute possibilité de répétition de l’épisode Corbyn. Mais une fois le parti travailliste au gouvernement, il sera soumis à la double pression des grandes entreprises et de la classe ouvrière.

Etant un serviteur loyal des banquiers et des capitalistes, Starmer n’hésitera pas à appliquer des politiques conformes à leurs intérêts. Mais toute tentative de mettre en place des politiques d’austérité provoquera une explosion de colère, qui finira par trouver une expression au sein du Parti travailliste, en commençant par les syndicats, qui, malgré tout, conservent un lien avec le parti. De grands événements seront nécessaires pour forcer les gens à comprendre qu’il n’est plus possible de retrouver ce qui existait avant.

En Ecosse, le Parti travailliste avait perdu son bastion depuis longtemps. Le Parti national écossais (SNP) – le plus grand parti d’Ecosse – est en crise. Il a perdu 30 000 adhérents depuis 2021 en raison de son impasse stratégique sur la question nationale. Cependant, la classe ouvrière et en particulier la jeunesse, dont la majeure partie soutient l’indépendance, ne retournent pas dans des proportions significatives vers les Travaillistes, mais cherchent plutôt une voie pour aller de l’avant. Dans ces conditions, de grandes opportunités s’ouvriront pour la tendance marxiste dans toute la Grande-Bretagne.

 

La crise de la classe dirigeante

La classe dirigeante a les dirigeants qu’elle mérite. Ce n’est pas par hasard que se déroule partout une crise de la direction de la classe dirigeante, qui se manifeste sous la forme de fractures ouvertes au sommet, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Brésil, au Pakistan.

Mais les raisons de cette crise de direction se trouvent dans la situation elle-même. La crise actuelle est si profonde qu’elle exclut presque toute marge de manœuvre au sommet. Comme l’observait Lénine, un homme au bord du précipice ne raisonne pas. Même les dirigeants les plus intelligents et les plus doués seraient incapables de s’extirper d’un tel marasme.

Malgré cela, la qualité de la direction continue de jouer un rôle important. A la guerre, une armée est parfois forcée de battre en retraite. Mais avec de bons généraux, une armée peut se retirer en bon ordre, préservant l’essentiel de ses troupes pour combattre un autre jour, tandis que de mauvais généraux peuvent changer une retraite en débâcle.

Il suffit de penser à la Grande-Bretagne aujourd’hui pour montrer la justesse de cette affirmation.

 

La crise de la démocratie bourgeoise

Notre époque – l’époque de l’impérialisme – est avant tout caractérisée par la domination du capital financier. Chaque gouvernement, à peine installé dans ses fonctions, est informé du fait que son ministre des finances doit être « acceptable pour les marchés ».

L’expérience de l’éphémère gouvernement Truss en Grande-Bretagne a permis d’illustrer le caractère entièrement fictif de la démocratie bourgeoise formelle à l’époque actuelle. Dans le cas de la Grande-Bretagne, les marchés ont choisi à la fois le ministre des Finances et le Premier ministre, épargnant ainsi au peuple britannique la pénible nécessité d’avoir à élire qui que ce soit.

Derrière le masque souriant du libéralisme se trouve le poing de fer du capitalisme monopoliste et de la dictature des banquiers. Il peut être utilisé à tout moment, pour détruire n’importe quel gouvernement qui n’obéirait pas aux diktats du Capital.

Cela s’applique aux gouvernements de gauche, comme ce fut le cas en Grèce. Mais la droite peut aussi en faire les frais, comme Mme Truss l’a appris à ses dépens. Un gouvernement qui menait des politiques que les bourgeois n’aimaient pas a été renvoyé sans hésitation.

On a ici la preuve très nette de qui est réellement aux commandes. C’est la loi du Marché. Le reste n’est qu’illusion et pitreries. C’est parfaitement naturel. Même dans les conditions les plus favorables, la démocratie bourgeoise a toujours été une plante très fragile.

Elle n’a pu exister que quand la classe dirigeante pouvait accorder certaines concessions à la classe ouvrière, concessions qui, dans une certaine mesure et pour un temps limité, ont servi à améliorer les conditions de vie des masses, et donc à émousser le tranchant de la lutte des classes et à l’empêcher de dépasser certaines limites.

Les « règles du jeu » devaient être acceptées par tous, et les institutions existantes (le parlement, les politiciens, les partis, l’Etat, la police, le système judiciaire, la « presse libre », etc.) jouissaient d’un minimum d’autorité et de respect.

Dans l’ensemble, ce modèle a longtemps fonctionné dans les pays capitalistes avancés d’Europe et d’Amérique du Nord. Mais désormais, les conditions ont changé, et l’édifice tout entier de la démocratie bourgeoise formelle est mis à l’épreuve jusqu’à se rompre.

Où que l’on regarde, on peut voir les signes évidents d’une exacerbation des contradictions de classes qui déchirent le tissu social. Les tendances centrifuges se manifestent dans la sphère politique par l’effondrement du « centre » politique, l’expression la plus claire de la polarisation sociale.

 

L’Amérique latine

L’ensemble de l’Amérique latine ressemble à un volcan sur le point d’exploser. Son économie est écrasée par la réévaluation du dollar, qui alourdit sa dette actuelle ainsi que tous les crédits à venir. 

Cette situation peut mener à une crise généralisée de la dette, comme dans les années 80. Aujourd’hui le pays le plus fragile de la région est peut-être l’Argentine, mais plusieurs pays sont au bord du gouffre. 

L’Amérique latine est l’endroit qui a subi le pire impact social et économique lors de la pandémie du Covid-19, après une période de stagnation économique. Auparavant, on avait assisté dans plusieurs de ces pays à des mouvements de masse qui ont souvent pris des dimensions insurrectionnelles, notamment en Equateur et au Chili, en octobre et novembre 2019. 

Les confinements ont en partie interrompu cette vague, mais le mouvement de fond recommence aujourd’hui. Il y a eu une grève historique au niveau national en Colombie en 2021, et une autre grève nationale en Equateur en 2022. 

Les gens sont descendus dans la rue en grand nombre à Haïti et ailleurs. La seule raison pour laquelle la classe ouvrière n’a pas pris le pouvoir au Chili, en Equateur et en Colombie, est l’absence de leadership révolutionnaire. 

Dans la période précédente, lors de la flambée des prix des matières premières, Evo Morales, Correa, Nestor Kirchner et même Chavez ont tenté de mettre en œuvre des politiques sociales. Mais cela s’est achevé avec le ralentissement économique chinois. 

Aujourd’hui ces gouvernements, qui sont politiquement similaires, vont être confrontés à une profonde crise économique du capitalisme. Leur marge de manœuvre va encore se réduire, comme ce sera le cas pour Lula au Brésil.

 

Brésil 

Le chômage au Brésil touche officiellement 11 millions de personnes, mais le véritable nombre de sans-emploi est bien plus grand. Les derniers chiffres montrent qu’environ 30 % de la population vit dans la pauvreté, un phénomène qui a considérablement augmenté pendant la pandémie. Et avec l’inflation croissante – se situant maintenant aux environs de 8 % – la situation va s’aggraver. 

La population est extrêmement polarisée, avec d’un côté une pauvreté croissante, et de l’autre une concentration des richesses dans les mains d’une petite minorité de super-riches. Cette polarisation se reflète dans la situation politique. Lors des élections de 2022, les communautés les plus défavorisées du nord et du nord-est ont massivement voté pour Lula, quand Bolsonaro l’a emporté dans les régions plus riches du centre et du sud. 

Cependant, en raison de l’adoption par Lula d’une politique de collaboration de classes, et de ses appels du pied à la droite lors de la campagne électorale, Bolsonaro a pu rafler un important vote ouvrier. 

Déjà, en 2018, l’austérité de Dilma Rousseff avait préparé la victoire de Bolsonaro, qui s’est alors démagogiquement présenté comme le candidat du « peuple ». Il a récidivé en 2022, et a malgré tout fait bien mieux que les sondages ne le prédisaient. 

La campagne de Lula manquait de contenu, d’arguments sérieux basés sur la lutte des classes qui auraient pu attirer les travailleurs et les pauvres. 

Les élections ont permis aux travailleurs de se débarrasser du conspué Bolsonaro, mais leurs espoirs vont être anéantis par la dure réalité de la crise du capitalisme au Brésil. Une fois qu’ils auront fait l’expérience de Lula au pouvoir en période de crise profonde du capitalisme, ils en viendront à la conclusion qu’ils doivent se prendre en main, avec des grèves, des manifestations et des mouvements de jeunesse, comme on en a vu dans de nombreux pays.

 

L’échec des gouvernements « progressistes »

Les gouvernements « de gauche » et « progressistes » au pouvoir ont brutalement révélé leurs limites dans une période de sévère crise économique du capitalisme. C’est le cas du gouvernement Fernandez-Kirchner en Argentine, qui a signé avec le FMI un accord impliquant de sévères mesures d’austérité.

Au Chili, Boric a poursuivi la politique de militarisation des territoires Mapuche et mis en œuvre des coupes budgétaires pour réduire le déficit. Au Mexique, Lopez Obrador a conclu toutes sortes d’accords avec les Etats-Unis sur l’immigration, appelé l’armée dans les rues pour gérer la sécurité, etc.

Au Pérou, Castillo a enchaîné les concessions à la classe dirigeante et aux multinationales. Cela n’a fait que réduire sa propre base de soutien, sans apaiser la classe dirigeante, qui s’est débarrassée de lui.

Tous ces gouvernements ont une idée commune, celle de « l’anti-néolibéralisme » l’idée utopique implique qu’on pourrait diriger dans l’intérêt des ouvriers et des paysans dans le cadre du capitalisme. Mais le « néolibéralisme » n’est pas un choix politique, ce n’est que l’expression de l’impasse du capitalisme contemporain à l’échelle mondiale. 

Il n’est pas possible de mettre en œuvre d’autres types de politiques sans s’attaquer à la domination de la classe dirigeante et à l’impérialisme. Telle est la faiblesse fatale de tous ces gouvernements prétendument progressistes. C’est cette contradiction centrale qui prépare le terrain pour de nouvelles explosions sociales massives en Amérique latine. Des soulèvements révolutionnaires sont à l’ordre du jour.

 

Cuba à la croisée des chemins

Cuba fait face à la situation la plus difficile depuis la révolution de 1959. D’un point de vue économique, on voit les effets combinés de l’aggravation des sanctions américaines par Trump, de l’impact du Covid sur le tourisme, des prix élevés de l’énergie, tout cela s’ajoutant à des décennies d’embargo américain et à l’incompétence et l’inefficacité d’un pouvoir bureaucratique.

La situation est encore aggravée par les politiques pro-capitalistes de la bureaucratie cubaine qui, dans sa recherche désespérée d’une issue, regarde vers la Chine et le Vietnam.

C’est dans ce contexte que les manifestations antigouvernementales ont pu se développer, d’une façon inédite depuis 1994. La situation est pire aujourd’hui. Après dix ans à discuter de réformes économiques, la situation ne s’est pas améliorée, mais a empiré.

Une section de la population a perdu tout espoir, des dizaines de milliers de personnes émigrent, et d’autres ont perdu toute confiance dans le gouvernement et la bureaucratie. Dans ce contexte, il y a eu des manifestations, les plus grosses depuis 1994. Cependant, il est nécessaire d’analyser le contenu de ces manifestations.

En l’absence d’une direction révolutionnaire consciente, le mécontentement compréhensible des masses peut représenter un terreau favorable pour construire un soutien populaire à une contre-révolution capitaliste.

D’autre part, une section significative de la population soutient la révolution, est profondément hostile à l’impérialisme, et rejette la contre-révolution. Dans cette couche se développe aussi une critique de la bureaucratie.

Notre tâche est d’expliquer patiemment, aux éléments les plus avancés parmi eux, que la seule voie en avant pour défendre la révolution est la lutte pour la démocratie ouvrière et l’internationalisme prolétarien.

 

L’Afrique

Une grande partie de l’Afrique traverse actuellement une période de turbulence et d’instabilité extrêmes. Sur les 60 pays que le FMI décrit comme « en détresse sur le plan de l’endettement ou menaçant de le devenir », 50 se trouvent en Afrique. 278 millions de personnes environ – soit approximativement un cinquième de la population totale – ont souffert de la faim en 2021, une hausse de 50 millions de personnes depuis 2019, selon les données de l’ONU. Les tendances actuelles prévoient une augmentation portant ce nombre à 310 millions en 2030.

Tel est le contexte dans lequel l’instabilité et une turbulence générale, sociales et politiques, se sont répandues à travers le continent. Des mouvements de masse, des coups d’Etat et des guerres ont eu lieu, et des guerres civiles se déroulent au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Tchad, au Soudan, en Ethiopie, en Guinée-Bissau, en Guinée, et dans l’ensemble du Sahel.

Ces conflits ont été un des principaux motifs qui explique le nombre record de réfugiés en 2022 : 100 millions de personnes. Les guerres en Ukraine, au Myanmar, au Yémen et en Syrie y ont aussi contribué. Le problème des migrations forcées est néanmoins particulièrement aigu en Afrique sub-saharienne du fait de la crise environnementale. D’après un rapport récent, les deux tiers des pays confrontés à « des menaces écologiques catastrophiques » sont situés dans cette région et tous les pays d’Afrique sub-saharienne sauf un sont dans une situation d’« extrême tension d’accès à l’eau ». La pression combinée de la crise écologique, des guerres et des migrations forcées aura un effet de plus en plus déstabilisant sur tout le continent et au-delà.

 

Le Nigéria

Le Nigéria, la plus grande économie du continent, n’est aucunement protégé de cette instabilité. Malgré les vastes ressources pétrolières et minérales du pays, 70 millions de personnes vivent encore dans une extrême pauvreté.

L’élite dirigeante, corrompue et dégénérée, est complètement incapable de résoudre les problèmes du capitalisme nigérian. Les deux principaux partis du pays, le Congrès de tous les progressistes, qui est au pouvoir, et le principal parti d’opposition, le PDP, sont complètement discrédités aux yeux de larges couches de la société.

En 2020, le pays a été secoué par le mouvement de jeunesse massif « EndSARS ». Ce magnifique mouvement, largement dirigé par la jeunesse, a commencé en réaction à la mort d’un jeune homme à Ughelli (dans l’Etat du Delta), tué par la Special Anti-Robbery Squad (SARS), une unité de la police nigériane.

Le mouvement s’est propagé très vite dans presque tous les Etats du sud du pays. Il était l’expression de la colère, de la frustration et du mécontentement de la jeunesse nigériane, qui a été frappée très durement par la crise du capitalisme.

Mais, si le mouvement a fini par s’éteindre, aucun des problèmes qui l’ont causé n’a été résolu. Avec la crise économique mondiale, l’inflation déferlante et de nouveaux millions de personnes qui vont être jetées dans la pauvreté, le décor est planté pour de nouveaux épisodes de la lutte des classes à un niveau encore plus élevé.

 

L’Afrique du Sud

L’Afrique du Sud est le pays clé du continent africain. Son économie est relativement développée et ses infrastructures sont modernes. C’est un des premiers exportateurs mondiaux de minéraux. Ses secteurs manufacturier, financier, énergétique et communicationnel sont bien implantés. Et surtout, d’un point de vue marxiste, il dispose d’un prolétariat nombreux et puissant, avec de merveilleuses traditions de lutte.

Toutes les conditions sont réunies pour la création d’un pays prospère. Pourtant, la majorité de la population mène une existence précaire. Le chômage réel touche le nombre ahurissant de 10,2 millions de personnes et la moitié de la population vit dans la pauvreté.

Pendant des décennies, l’ANC a été un pilier de la stabilité du capitalisme sud-africain. Mais des années de scandales de corruption et d’attaques contre la classe ouvrière ont miné son autorité et l’ont plongé dans la plus grave crise qu’il ait jamais connue.

Alors que sa base de soutien se réduit, d’interminables luttes de diverses factions bourgeoises poussent le parti vers la scission, tout en l’éloignant des masses qui le voyaient autrefois comme leur parti.

Le développement historique particulier de la lutte des classes et des forces politiques en Afrique du Sud fait que la classe dirigeante ne dispose pas d’un second parti sur lequel s’appuyer.

Alors que les conditions économiques préparent une nouvelle poussée de la lutte des classes, la classe dirigeante va rencontrer des difficultés croissantes à utiliser le poids des dirigeants de l’ANC pour contenir le mouvement.

 

Le Pakistan

Le Pakistan est confronté à une crise financière aiguë, et risque de faire défaut sur sa dette extérieure de 130 milliards de dollars. Les réserves étrangères ont chuté à un de leurs plus bas niveaux historiques. L’inflation est à son plus haut niveau depuis l’Indépendance. Pour les produits alimentaires et du carburant, elle dépasse les 45 %.

A cela s’ajoute l’impact des inondations les plus catastrophiques de l’histoire de la nation. Des millions de gens connaissent une situation dramatique marquée par la faim, le manque d’eau potable, le manque de logements et une pauvreté abjecte.

Le Premier ministre Sharif s’est tourné vers le FMI pour obtenir un plan de sauvetage, mais les dommages infligés partout par les inondations sont si immenses que même les prêts du FMI sont loin de pouvoir combler le gouffre creusé dans les finances du Pakistan.

Pendant ce temps, le régime est divisé et en crise, avec des factions rivales qui se battent comme des chiffonniers, tandis que le véritable pouvoir demeure fermement entre les mains des généraux.

Le gouvernement actuel, dirigé par Shahbaz Sharif, veut avant tout chasser le parti d’Imran Khan des assemblées provinciales et renforcer sa propre emprise sur le pouvoir.

La tentative désespérée de Khan pour revenir au pouvoir a été enrayée par les militaires, qui ont essayé de se débarrasser de lui par la méthode simple d’un assassinat (raté).

Cela a conduit à une défiance généralisée, dans la masse de la population, à l’égard de tous les partis, qui sont vus avec justesse comme autant de gangsters. Avec tous ces facteurs, l’éruption de manifestations de masses comme au Sri Lanka en 2022 ne peut pas être exclue.

Khan lui-même a fait ce commentaire à propos de la situation catastrophique actuelle : « Depuis six mois, j’ai été le témoin d’une révolution s’emparant du pays… [La] seule question est de savoir s’il s’agira d’une révolution douce par les urnes, ou d’une révolution destructrice et sanglante ».

Ses paroles pourraient se révéler plus prophétiques qu’il ne l’imagine.

 

La Raison devient Déraison

Quand la plupart des gens observent la situation actuelle, ils en concluent que le monde est devenu fou. Les masses sentent au plus profond d’elles-mêmes que quelque chose ne tourne pas rond, que quelque chose ne fonctionne pas, que le « temps est hors de ses gonds », pour citer l’Hamlet de Shakespeare. Mais ils ne savent pas ce dont il s’agit.

Ce qu’ils entendent par-là, c’est qu’ils ne parviennent pas à expliquer rationnellement ce qui est en train de se passer. D’une certaine manière, quand ils attribuent tout cela à une forme de folie collective, ils n’ont pas tort. Mais il s’agit d’une folie inscrite dans l’ADN du système capitaliste. Pour reprendre la formule de Hegel, la Raison devient Déraison.

Mais dans un autre sens, plus profond, ils ont tort. Ils croient que ce qui se produit ne peut pas être expliqué et se désespèrent.

Mais comme l’univers en général, tous les processus que nous observons ont une explication rationnelle et peuvent être compris. Afin d’acquérir une telle compréhension, il est nécessaire de disposer d’une méthode adéquate. Et ce ne peut être que la méthode de la pensée dialectique : la méthode du marxisme.

 

Conclusions

Ce qui est décrit ici ne sont que les manifestations extérieures d’une crise existentielle du capitalisme.

Le système capitaliste n’est plus en mesure d’utiliser toutes les forces productives qu’il a engendrées – y compris la force de travail de la classe ouvrière. C’est une indication des limites que le système capitaliste a atteintes.

Cela ne signifie pas que le système capitaliste soit sur le point de s’effondrer. Lénine expliquait que les capitalistes trouveraient toujours une issue même lors de la pire des crises. La question est la suivante : quel prix l’humanité, et en particulier la classe ouvrière, devra payer pour ce faire ?

Une profonde récession porterait le chômage à des proportions historiques. Cela aurait des implications révolutionnaires profondes. Les stratèges du Capital l’ont déjà bien compris.

A la fin du mois de septembre dernier, le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres mettait en garde les dirigeants internationaux face à un « hiver de mécontentement mondial » dans un monde confronté à de multiples crises, de la guerre en Ukraine au réchauffement climatique.

« La confiance s’effrite, les inégalités explosent, la planète est en feu », a annoncé Guterres à l’ouverture de l’Assemblée générale annuelle. C’est une appréciation correcte de la situation mondiale. Mais il n’a pas été le seul à arriver à cette sinistre perspective. Dans un rapport du 2 septembre 2022, le cabinet de conseil Verisk Maplecroft écrivait :

« Le monde est confronté à une augmentation sans précédent des troubles sociaux, les gouvernements de tous bords étant aux prises avec les effets de l’inflation sur les prix des denrées alimentaires de base et de l’énergie. »

« Pour les gouvernements incapables de dépenser pour sortir de la crise, la répression sera probablement la réponse principale aux manifestations antigouvernementales », continuait le rapport.

« Mais la répression comporte ses propres risques, en ce qu’elle laisse aux populations mécontentes moins de mécanismes pour canaliser leur colère, à un moment où la frustration à l’égard du statu quo augmente. Dans les pays où il existe peu de mécanismes efficaces pour canaliser le mécontentement populaire, tel que des médias libres, des syndicats qui fonctionnent, et des tribunaux indépendants, le seuil à partir duquel les populations descendront dans la rue est susceptible de baisser. »

 

Pas de réformes ?

Objectivement, le système capitaliste ne peut plus se permettre de garantir les réformes qui avaient été conquises par la classe ouvrière dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale.

La bourgeoisie est maintenant confrontée à un problème insurmontable : comment faire accepter la liquidation de ces acquis à la classe ouvrière ? C’est une tâche si difficile que la classe dirigeante se trouve forcée de continuer à entretenir un système hors de prix.

Mais est-il correct de dire, comme le font certains, que les réformes sont désormais impossibles ? Non. C’est incorrect. Si elle est menacée de tout perdre, la classe dirigeante est prête à faire des réformes – même des réformes qu’elle « ne peut pas se permettre ».

Durant la période d’après-guerre, la bourgeoisie des pays capitalistes avancés a pu se permettre de faire des concessions parce qu’elle s’était constitué une certaine couche de graisse. Ces réserves pouvaient être utilisées en temps de crise, au cas où la survie du système était mise en danger.

Et si cela même ne suffisait pas, ils peuvent toujours emprunter, créant des dettes massives dont ils laisseront le remboursement sur les épaules des générations futures. C’est exactement ce qu’ils ont fait durant la pandémie, parce qu’ils étaient terrifiés par les conséquences sociales et politiques potentielles d’un effondrement économique général.

Ils ont donc recouru aux méthodes keynésiennes, que les économistes avaient précédemment jetées à la poubelle de l’histoire. Ils ont dépensé des sommes d’argent extraordinaires durant la pandémie. Mais ils en sont sortis avec des dettes immenses, qui devront être payées un jour ou l’autre. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Ce qu’on peut dire, c’est que la bourgeoisie ne peut pas se permettre de concéder de réformes significatives et durables. Ce qu’elle donne d’une main, elle le reprend de l’autre. L’inflation annule rapidement chaque augmentation de salaire. Et l’accumulation de dettes emmagasine des contradictions encore plus grandes pour l’avenir.

L’inflation va entraîner une vague de grèves et une intensification de la lutte économique.

Une récession profonde, au contraire, entraînerait une réduction des grèves, mais la menace de la fermeture d’usines peut provoquer des occupations et des sit-in, et un basculement sur le front politique.

Il n’est pas à exclure qu’au final, confrontés à l’opposition des masses envers l’austérité, les bourgeois soient forcés de battre en retraite et d’opter plutôt pour une attaque indirecte.

Aussi bien l’inflation que la déflation sont des attaques contre la classe ouvrière. La différence est que l’inflation est une attaque indirecte, tandis que la déflation (le chômage) est une attaque directe. Du point de vue des travailleurs, c’est un choix entre une mort lente par le feu ou une mort rapide par pendaison. Aucun des deux n’est acceptable. Et les deux conduiront à une explosion de la lutte des classes.

 

Inégalité

Dans un rapport récent, la Banque mondiale prévoyait qu’à moins d’un rapide rebond de l’économie mondiale, 574 millions de personnes environ, soit à peu près 7 % de la population mondiale, continueraient de vivre avec seulement 2,15 dollars par jour en 2030, principalement en Afrique.

En revanche, les riches s’enrichissent de façon toujours plus obscène. Un récent article du Bloomberg traite de la possibilité d’un nouveau phénomène appelé « les héritiers trillionnaires », qui devrait voir le jour dans la prochaine décennie. Il s’agit d’enfants de super-riches, qui, dès leur naissance, seront plus riches que certains petits pays.

« Comment peut-on parler d’égalité des chances », souligne l’article, « quand certains héritent de fortunes dépassant les dotations d’universités entières ? Et comment peut-on faire l’éloge de l’éthique du travail en présence d’une classe grandissante d’oisifs à temps plein ? »

La réalité est telle que Marx l’a décrite dans le Capital : « accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »

Les superprofits obscènes annoncés par Shell et d’autres grandes compagnies de l’énergie, précisément à un moment où des millions de gens luttent pour survivre, suscitent des sentiments profonds et durables d’injustice et d’amertume.

Ces contradictions flagrantes sont bien notées par les masses, et attisent les flammes du ressentiment et de la haine contre les riches parasites, et celles-ci nourriront à leur tour la lutte des classes. La situation tout entière est grosse d’implications révolutionnaires. On en voit déjà des preuves évidentes.

 

Le Sri Lanka

Si vous voulez voir à quoi ressemble une révolution, il vous suffit d’observer l’insurrection populaire spontanée au Sri Lanka. Nous avons pu voir à cette occasion la colossale puissance potentielle des masses. Et c’est arrivé sans avertissement, comme un éclair dans un ciel serein.

Si quelqu’un doutait de la capacité des masses à faire une révolution, voilà une réponse sans appel. Les événements au Sri Lanka ont montré que, quand les masses perdent leur peur, aucune quantité de répression ne peut les arrêter.

Sans direction, sans organisation et sans programme clair, les masses ont pris la rue et renversé le gouvernement, aussi facilement qu’on écrase un moustique. Mais le Sri Lanka nous a aussi montré quelque chose d’autre.

Le pouvoir gisait dans la rue, attendant d’être ramassé. Il aurait suffi aux dirigeants du mouvement de dire : « Nous avons désormais le pouvoir. Nous sommes le gouvernement. »

Mais ces paroles n’ont jamais été prononcées. Les masses ont tranquillement quitté le palais présidentiel et on a permis au vieux pouvoir de se réinstaller. Les fruits de la victoire ont été rendus aux anciens oppresseurs et aux prestidigitateurs parlementaires.

Le pouvoir était entre les mains des masses, mais elles l’ont laissé leur glisser entre les doigts. C’est une vérité dérangeante. Mais c’est la vérité.

On n’échappe pas à cette conclusion. Sans une direction correcte, la révolution ne peut l’emporter que très difficilement, et le plus souvent, elle ne peut pas l’emporter du tout.

 

L’Iran

Une confirmation supplémentaire de ce fait a été fournie par l’exaltant soulèvement révolutionnaire en Iran. Il a suivi la mort en garde à vue de Masha Amini, une femme kurde de 22 ans, arrêtée par l’odieuse police de la moralité pour avoir soi-disant « porté son hijab de façon incorrecte ».

Mais il ne s’agit pas d’un événement isolé. Il y a déjà eu de nombreuses morts comme celle-ci en Iran. Cependant, cette fois-ci, un point critique a été atteint, où la quantité s’est transformée en qualité.

L’explosion qui s’en est suivie s’est immédiatement répandue dans toutes les grandes villes, et même jusqu’à de petites villes et des villages qui n’avaient jamais connu de manifestations. Les manifestants étaient essentiellement des jeunes, des filles pour une grande partie, non seulement des universités, mais aussi des écoles.

Les forces de sécurité ont répondu par une répression brutale, dont la violence s’est accentuée à mesure que le mouvement grandissait. Durant les nombreux affrontements violents entre la jeunesse et les forces de répression, des centaines de gens ont été tués, et des milliers d’autres arrêtés.

En réponse, des grèves étudiantes se sont répandues dans plus d’une centaine d’universités et un grand nombre d’écoles. L’aspect le plus frappant de ces manifestations a été l’absence totale de peur de la part de très jeunes gens, et en particulier de très jeunes femmes.

Les lycéennes iraniennes ont commencé à agiter leurs foulards dans les airs et à chanter des slogans contre les autorités cléricales. Quelle source d’inspiration ce fut ! Leurs slogans avaient souvent un caractère ouvertement révolutionnaire, appelant à renverser le régime et à mettre « à mort le Leader suprême ! »

La réaction brutale du régime n’a pas seulement radicalisé la jeunesse, mais aussi les organisations des travailleurs, dont beaucoup sont entrés en grève. La liste inclut entre autres les routiers, le Conseil d’organisation des mobilisations de protestation des travailleurs contractuels du pétrole, les travailleurs de Haft Tappeh, les employés de la Compagnie de bus de Téhéran et le Comité de coordination des enseignants.

Des comités révolutionnaires de jeunes se sont constitués de part et d’autre du pays, et des appels à la grève générale ont été lancés, soutenus par les organisations citées ci-dessus et par la majorité des syndicats indépendants. Des vagues de grèves ont entraîné les petits commerçants et les travailleurs des bazars, qui étaient autrefois parmi les plus solides piliers du régime. Mais les ouvriers d’industrie ne se sont pas encore mobilisés de façon décisive, et c’est là que se trouve le talon d’Achille du mouvement.

Tout cela ressemble beaucoup aux mouvements qui ont précédé le soulèvement révolutionnaire de 1979. Mais on ne sait pas si le mouvement actuel se développera jusqu’à un stade plus élevé.

Les travailleurs expriment une sympathie et un soutien importants pour la rébellion de la jeunesse, mais si la révolte reste limitée aux jeunes, elle ne peut pas l’emporter.

Un mouvement de ce type ne peut pas se maintenir beaucoup plus longtemps sans atteindre le point critique où il doit soit réussir à renverser le régime, soit subir une défaite. Comme au Sri Lanka, la question décisive est celle du facteur subjectif – la direction révolutionnaire.

 

Le facteur subjectif

L’intensification de la lutte des classes découle de cette analyse aussi inévitablement que la nuit suit le jour. Mais l’issue de la lutte des classes ne peut jamais être prédite à l’avance, car il s’agit d’une lutte de forces vivantes.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, de nombreuses analogies peuvent être faites entre la guerre entre classes et la guerre entre nations. Dans les deux cas, on retrouve des facteurs objectifs et subjectifs. Et le facteur subjectif joue le plus souvent un rôle décisif.

Nous entendons par là des choses comme le moral et l’esprit combatif des troupes et, par-dessus tout, la qualité de la direction. La période actuelle sera caractérisée comme une période d’intensification de la lutte des classes, et de soulèvements de masse. Mais ce qui manque, c’est une direction révolutionnaire.

Le facteur subjectif est aussi important dans les révolutions que dans toute guerre. Combien de fois, dans l’histoire militaire, de grandes forces de soldats déterminés et courageux n’ont-elles pas été menées à la défaite par des officiers lâches et incompétents, lorsqu’elles se sont trouvées confrontées à des forces bien plus petites de soldats professionnels disciplinés et entraînés, dirigés par des officiers audacieux et efficaces ?

C’est ce facteur qui manque, ou qui reste extrêmement faible à l’heure actuelle. Les forces du marxisme authentique ont été rejetées en arrière pendant des décennies par des facteurs historiques qu’il n’est pas besoin d’expliquer ici. Et la dégénérescence des directions réformistes et ex-staliniennes a atteint un niveau qui aurait semblé inimaginable autrefois.

Aussi, bien qu’on puisse prédire avec une confiance absolue que les travailleurs vont se soulever dans un pays après l’autre, on ne peut pas être aussi confiant sur l’issue de leurs luttes.

 

L’échec de la gauche

Prenons quelques exemples, en commençant par Sanders aux Etats-Unis et Corbyn en Grande-Bretagne. Ils étaient très confus et avaient évidemment de nombreuses limites. Cela était très clair dès le début pour les marxistes. Mais ce qui est clair pour nous ne l’est pas nécessairement pour les masses.

Néanmoins, à nos yeux, ils étaient tous les deux d’une grande importance symptomatique. Ils ont révélé quelque chose de très important. Les deux ont joué le rôle de catalyseur, portant à la surface un profond mécontentement vis-à-vis de l’establishment politique et de la société existante, qui existait dans les masses, mais demeurait latent, en l’absence d’un point de cristallisation.

Les discours aux accents radicaux de Sanders et Corbyn ont agi comme un puissant aimant, qui a permis à des instincts révolutionnaires embryonnaires et incohérents de s’exprimer de façon organisée. C’est un fait très important, qui comporte d’importantes implications pour l’avenir.

Une remise en question générale du système capitaliste s’est exprimée et le mot socialisme a été remis à l’ordre du jour, ce qui est très positif. Mais, ces personnages ont finalement révélé leur caractère accidentel. Ils ont été confrontés à leurs propres limites, qui les ont détruits. Le résultat en a été la mort des mouvements de masses qui avaient émergé autour d’eux.

On pourrait dire la même chose d’Hugo Chavez, bien qu’il soit allé plus loin qu’eux et ait accompli bien davantage. On ne saura jamais s’il aurait pu évoluer plus loin, n’eut été sa mort prématurée. Mais dans son cas aussi, le manque de clarté politique a joué un rôle fatal, comme l’ont montré les développements ultérieurs au Venezuela.

Les cas de Podemos en Espagne et de Syriza en Grèce offrent des exemples encore plus clairs du rôle désastreux joué par la soi-disant gauche en politique. Plus ses dirigeants s’approchent du pouvoir, plus ils deviennent timides, poltrons et traîtres.

Leur rhétorique radicale ne sert qu’à dissimuler le fait qu’ils ne remettent jamais en question le système capitaliste. Aussi, quand ils se trouvent au gouvernement, ils sont forcés d’agir sur la base des lois du système capitaliste.

Le résultat en est inévitablement la trahison et la démoralisation de leur base. C’est une conclusion qui va de soi. Avec la direction actuelle, les défaites continueront à s’enchaîner.

Mais ceci n’est qu’un des aspects de ce processus. Graduellement, à commencer par les couches les plus avancées, en particulier la jeunesse, les travailleurs vont apprendre de leurs défaites. Ils vont commencer à comprendre le rôle réel du réformisme de gauche et tenter de le dépasser.

Nous avons pu voir émerger spontanément, dans de nombreux pays, des groupes de jeunes gens se définissant comme communistes. C’est un développement très significatif, auquel nous devons prêter une grande attention.

 

Similitudes et différences

Les conditions économiques de la période à venir ressembleront bien plus à celles des années 1930 qu’à celles qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Mais il y a d’importantes différences, principalement parce que l’équation sociale a changé.

Les réserves sociales de la réaction sont bien plus faibles qu’alors, et le poids spécifique de la classe ouvrière est bien plus grand. La paysannerie a largement disparu dans les pays capitalistes avancés, tandis que de larges couches de l’ancienne classe moyenne (professions libérales, employés, enseignants, professeurs d’université, fonctionnaires, médecins et infirmiers) se sont rapprochées du prolétariat et se sont syndiqués.

Les étudiants, qui fournissaient autrefois les troupes de choc du fascisme, ont nettement viré à gauche et sont ouverts aux idées révolutionnaires. Et surtout, la classe ouvrière dans la plupart des pays n’a pas connu de graves défaites depuis des décennies. Ses forces sont largement intactes.

De plus, la classe dirigeante s’est brûlé les doigts avec le fascisme par le passé et ne reprendra pas cette voie facilement. On assiste à une polarisation politique croissante, à droite, mais aussi à gauche. Il y a de nombreux démagogues de droite, et certains arrivent même à être élus au pouvoir. Mais il ne s’agit pas de régimes fascistes, qui se basent sur la mobilisation massive de petits-bourgeois enragés, utilisés comme une arme pour détruire les organisations des travailleurs.

Cela signifie que la classe dirigeante fera face à de grandes difficultés quand elle cherchera à revenir en arrière, en reprenant les conquêtes du passé. La profondeur de la crise implique qu’elle devra appliquer des politiques d’austérité drastiques. Mais cela provoquera des explosions dans un pays après l’autre.

 

Les femmes et la jeunesse

Un nouveau niveau de conscience se développe dans ce chaos. Parmi les gens ordinaires, en particulier parmi les jeunes et les femmes, l’impression instinctive que « quelque chose ne va vraiment pas dans cette société », que « nous vivons dans un monde injuste » devient de plus en plus répandue.

Dans une certaine mesure, c’est aussi vrai pour les travailleurs en général. Une pression sans merci a été exercée sur eux pour augmenter le montant de la production et réduire le temps de production. Les salaires ont systématiquement traîné derrière les gains de productivité. Aux Etats-Unis, les salaires réels n’avaient pas augmenté depuis près de quarante ans jusqu’à récemment. Et avec le retour de l’inflation, ils recommencent à baisser.

Mais ce processus est plus évident, et plus avancé, chez les jeunes et les femmes, qui portent le plus gros du fardeau de la crise du capitalisme. Ce sont les couches les plus exploitées et les plus opprimées de la classe ouvrière.

De grandes mobilisations de femmes contre la prohibition de l’avortement ont éclaté dans un pays après l’autre, des Etats-Unis à l’Irlande et la Pologne catholiques. L’Argentine et le Chili ont aussi connu des mouvements de masse pour le droit à l’avortement. Au Mexique, où le traitement inhumain et barbare des femmes a atteint des proportions épidémiques, des mouvements massifs ont éclaté contre la violence faite aux femmes. Cela a aussi été un facteur de radicalisation politique en Espagne.

Dans ce contexte, les revendications démocratiques les plus élémentaires peuvent rapidement acquérir un caractère ouvertement révolutionnaire.

L’expression la plus claire de la révolte des femmes a été donnée en Iran, où le mouvement d’un très grand nombre de jeunes filles a rapidement évolué de manifestations contre le port obligatoire du hijab à des appels au renversement révolutionnaire d’un régime monstrueusement oppressif.

Cela indique le début d’un niveau de conscience entièrement nouveau. Dans ces circonstances, il y a parmi ces couches une sensibilité profonde à l’égard de toute forme d’injustice. Cela inclut la question du racisme, comme on l’a vu avec le soulèvement Black Lives Matter.

La jeunesse est au premier rang de la lutte, dans tous les pays. Ce n’est pas un accident. Les événements ont montré qu’un nombre croissant de jeunes étaient prêts à prendre la rue pour manifester contre le capitalisme.

 

Encore une fois sur la conscience

Ce serait une erreur fondamentale de considérer que la majorité des travailleurs voient les choses comme nous les voyons. Percevoir le processus historique dans son ensemble est une chose, mais percevoir comment les masses comprennent ce processus en est une autre, tout à fait différente.

La conscience de la classe ouvrière est fortement influencée par les changements dans la situation objective. Trotsky l’a expliqué de façon brillante dans un important article intitulé « La “troisième période” d’erreurs de l’Internationale Communiste ».

Certains sectaires ne se posent tout simplement pas la question. Pour eux, la classe ouvrière est toujours prête à se révolter. C’est pour eux une donnée constante, qui n’a rien à voir avec les évolutions des conditions objectives. Mais ce n’est absolument pas le cas.

Trotsky a nettement critiqué l’idée, avancée par les staliniens lors de la fameuse « troisième période » et encore répétée aujourd’hui par certains ultra-gauchistes insensés, selon laquelle les masses seraient toujours prêtes à se révolter et n’en seraient empêchées que par les appareils bureaucratiques conservateurs du mouvement ouvrier.

Trotsky a exprimé son mépris pour cette idée, et il est utile de le citer longuement :

« Il y est question de la radicalisation comme d’un procès incessant. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui la masse est plus révolutionnaire qu’hier et sera demain plus révolutionnaire qu’aujourd’hui. Cette façon mécanique de présenter les choses ne répond pas au procès réel du développement du prolétariat et de la société capitaliste dans son ensemble.

« La social-démocratie, surtout avant la guerre, se représentait l’avenir sous la forme d’un accroissement incessant des suffrages jusqu’au moment de la prise totale du pouvoir. Pour le vulgaire ou pseudo-révolutionnaire cette perspective reste, au fond, en vigueur, seulement au lieu d’accroissement incessant des suffrages, il parle de la radicalisation incessante des masses. Le programme boukharino-stalinien de l’Internationale communiste a également sanctionné cette conception mécanique.

« Il va de soi que vu sous l’angle de toute notre époque dans son ensemble, le développement du prolétariat s’opère dans le sens de la révolution. Mais ce n’est nullement un procès horizontal, tout comme d’ailleurs le procès objectif d’aggravation des antagonismes capitalistes. Les réformistes ne voient que les montées de la route capitaliste. Les « révolutionnaires » formels ne voient que les descentes. Quant au marxiste, il voit la ligne dans son ensemble, dans toutes ses courbes de conjonctures montantes et descendantes, sans pour cela perdre un seul instant de vue sa direction fondamentale aboutissant aux catastrophes guerrières, aux explosions révolutionnaires.

« Les sentiments politiques du prolétariat ne se modifient nullement d’une façon automatique dans une seule et même direction. Les mouvements ascendants de la lutte de classes sont remplacés par des mouvements déclinants, les flux par les reflux, selon les combinaisons éminemment complexes des conditions matérielles et idéologiques intérieures et extérieures. Si elle n’est pas utilisée au moment voulu, ou si elle l’est faussement, l’activité des masses passe à son opposé, s’achève par une période de déclin dont la masse se relève ensuite avec plus ou moins de rapidité ou de lenteur, encore une fois sous l’effet de nouvelles poussées objectives.

« Notre époque se caractérise par les changements particulièrement brutaux de périodes distinctes, par des tournants extrêmement brusques de la situation et, dès lors, elle impose à la direction des devoirs exceptionnels sous le rapport d’une orientation juste.

« L’activité des masses, en admettant même qu’elle soit organisée de façon entièrement juste, peut, selon les conditions, revêtir des expressions très différentes. Dans certaines périodes la masse peut être totalement absorbée par la lutte économique et manifester très peu d’intérêt pour les questions politiques. Par contre, après avoir subi plusieurs importants revers sur le champ de la lutte économique, la masse peut brusquement reporter son attention dans le domaine politique. Mais là encore – selon certains ensembles de conditions et selon l’expérience avec laquelle la masse s’est engagée dans ces conditions – son activité politique peut s’orienter soit dans la voie purement parlementaire, soit dans la voie de la lutte extra-parlementaire. » (Léon Trotsky, La « troisième période » d’erreurs de l’Internationale Communiste, 1930)

Ces lignes sont extrêmement importantes, car elles montrent qu’il est impossible de déduire l’état dans lequel se trouve la conscience du prolétariat ou le mouvement concret de la classe à partir de déclarations générales sur la période dans laquelle nous nous trouvons. On voit ici très clairement la méthode de Trotsky, qui ne procède pas à partir de formules abstraites (« la nouvelle époque »), mais de faits concrets.

Toutes sortes de choses se combinent pour donner sa forme à la conscience des masses dans les pays capitalistes avancés, non seulement la situation présente, ni même celle de la dernière décennie, mais aussi les conditions créées lors des décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’ancienne génération. La mentalité de la jeunesse est un autre sujet, qui doit être discuté séparément.

La conscience des travailleurs en Europe et aux Etats-Unis a été modelée pendant des décennies par ce qui était au moins une période de relative prospérité. Le 15 novembre 1857, Engels se plaignait ainsi dans une lettre à Marx :

« Les masses ont dû devenir sacrément léthargiques après une si longue prospérité. » Et il ajoutait : « Une pression chronique est nécessaire pour un temps, afin de réchauffer les populations. Le prolétariat n’en frappera que mieux, avec une meilleure conscience de sa cause et une plus grande unité… »

La classe ouvrière possède en général une capacité d’endurance colossale. Elle peut tolérer même de mauvaises conditions, pendant assez longtemps, avant que celles-ci ne deviennent absolument intolérables. La quantité a besoin de temps pour se changer en qualité. Et il faut du temps pour que la conscience, qui est par essence conservatrice, parvienne à rattraper une réalité mouvante.

Pendant toute une période, l’inflation était basse, ce qui signifie que, même avec l’augmentation du taux d’exploitation, les salaires des ouvriers permettaient d’acheter plus qu’avant. Les travailleurs pouvaient s’offrir des voitures, de grandes télévisions, et d’autres marchandises dont le prix avait baissé grâce aux avancées technologiques et à l’accroissement de la productivité du travail.

Les taux d’intérêt bas ont aussi produit une expansion inédite du crédit. Des millions de gens ont pu acheter des choses dont ils n’avaient pas réellement les moyens, mais en s’enfonçant toujours plus profondément dans l’endettement.

En voyant à quel point les choses vont mal aujourd’hui, et en regardant en arrière, il est trop facile de se faire une idée fausse du « bon vieux temps ». Mais tout cela est menacé aujourd’hui. Et c’est ce qui commence à provoquer un changement fondamental dans la conscience.

 

Le processus moléculaire de la révolution

La question de l’inflation est un élément clé dans le changement d’attitude de l’ancienne génération. Même s’il est vrai que la jeunesse est la couche la plus radicalisée et la plus ouverte aux idées révolutionnaires, une colère croissante se développe dans la population en général. Des gens qui, encore récemment, trouvaient que les choses étaient bien comme elles étaient, et que la vie était stable et prévisible, subissent aujourd’hui un véritable choc.

Chaque chose est en train de se transformer en son contraire. On assiste à un déclin soudain et très brutal des conditions de vie, ce qui change la vision que les gens ont du monde. Soudainement, tout le monde se plaint. Les gens n’arrivent pas à tenir jusqu’à la fin du mois.

Auparavant, en Occident, les patrons et les dirigeants syndicaux s’accordaient sur des augmentations de salaire annuelles d’un ou deux pour cent, suivant à peine le rythme de l’inflation, et les imposaient aux travailleurs. Aujourd’hui, de tels accords entraîneraient une chute importante des salaires réels. Il devient clair, pour un nombre croissant de travailleurs, qu’ils ont besoin de s’organiser et de se battre s’ils veulent seulement maintenir leur niveau de vie. On observe partout une nette augmentation des luttes de travailleurs, qui s’achèvent souvent par des victoires.

En Grande-Bretagne, des centaines de milliers de gens sont entrés en grève, dans un grand nombre de secteurs ; des grèves générales ont eu lieu en Grèce, en Belgique et en France ; aux Etats-Unis, de nouvelles couches de travailleurs, comme ceux de Starbucks, Apple et Amazon, luttent pour se syndiquer et commencent à entrer en grève, et on a également assisté au conflit des travailleurs ferroviaires. Enfin, on a vu au Canada comment les attaques de Doug Ford contre les travailleurs de l’éducation en Ontario ont débouché sur une grève illégale et poussé les dirigeants syndicaux à menacer d’une grève générale pour vaincre les lois spéciales qui visaient à les forcer à reprendre le travail – une première dans l’histoire canadienne. Partout, la classe ouvrière commence à se réveiller, sous les coups de la crise du coût de la vie.

L’inflation a également un impact immense sur les petites entreprises, dont beaucoup se trouvent confrontées à la menace de la faillite, et sur les plus âgés, qui voient la valeur de leurs retraites baisser jour après jour. On a déjà vu des manifestations massives de retraités en Espagne. Et l’instabilité sociale qu’on observe dans des pays comme l’Italie est liée à ce phénomène.

Le sentiment général d’insécurité et de peur pour l’avenir accentue énormément l’instabilité politique et sociale. Cela représente un risque important pour la classe capitaliste, ce qui explique qu’elle soit forcée à prendre des mesures très risquées dans l’espoir d’empêcher des développements révolutionnaires.

Quand les gens qui ne montraient jusqu’alors pas d’intérêt pour la politique se mettent soudainement à parler de politique à l’arrêt de bus ou au supermarché, c’est alors que commence ce que Trotsky a nommé le processus moléculaire de la révolution.

Il est vrai qu’ils ne disposent pas de l’analyse aboutie et scientifique dont disposent les marxistes. Leur compréhension de la politique est élémentaire, brute et peu élaborée. Mais elle est guidée par un simple sentiment d’injustice, la sensation que quelque chose ne fonctionne pas dans la société, et que des choses vont devoir changer.

Il s’agit d’une forme élémentaire de conscience de classe qui est le premier embryon d’une conscience révolutionnaire. L’élément le plus important dans ce changement est l’économie. Mais ce n’est pas le seul facteur.

 

La catastrophe environnementale

Le système capitaliste est en train de conduire le monde vers une catastrophe environnementale, qui marque les esprits de beaucoup de gens. Pour certains, il s’agit est en effet d’une question existentielle. Pour des nations entières, c’est leur futur même qui est en danger.

A un extrême, il y a le problème de la sécheresse et l’assèchement des rivières, dont l’effet est dévastateur sur les récoltes de la production alimentaire et qui nourrit l’inflation.

A l’autre extrême, on assiste à des tempêtes et des ouragans dévastateurs, de terribles inondations, comme on l’a vu dans des pays comme le Bangladesh et le Pakistan, où 33 millions de personnes ont été directement affectées.

Dans des pays comme la Somalie, plus de trois millions d’animaux sont morts, ce qui a détruit les moyens de subsistance de millions d’habitants. Au Brésil, la destruction criminelle de l’Amazonie a atteint des niveaux record. 3900 kilomètres carrés de terrain ont été défrichés dans la région entre janvier et juin 2022. 3088 kilomètres carrés de forêt tropicale ont été détruits durant la même période.

Des conditions météorologiques extrêmes ont aussi pu être observées dans les pays capitalistes avancés. Beaucoup de gens vivent dans la peur constante que leur maison soit engloutie ou balayée.

Dans les grandes villes, l’air est empoisonné par les émanations toxiques, les rivières sont étouffées par les déchets chimiques des usines, des fermes et des rejets humains, et les océans sont pollués par des tonnes de plastique et d’autres déchets.

L’extraction minière sous-marine, qui relevait autrefois de la science-fiction, est devenue une réalité, avec des conséquences catastrophiques prévisibles pour l’équilibre écologique de la planète et la biodiversité. Et, dans tous les pays, le rythme d’extinction des espèces végétales et animales a atteint des niveaux alarmants.

Ces éléments agitent la conscience de millions de gens, en particulier dans la jeunesse. Mais l’indignation morale et les éclats de colère sont tout à fait insuffisants, car sans un diagnostic correct, il est impossible d’apporter une quelconque solution.

Les bourgeois ont tardivement tiré la conclusion qu’il fallait faire quelque chose. Mais sous le capitalisme, tout est subordonné à la loi du profit et aux intérêts des monopoles. Par exemple, ils masquent sous une rhétorique écologiste des politiques visant à protéger l’industrie américaine ou européenne contre les marchandises provenant de pays aux normes environnementales « moins strictes » (en premier lieu la Chine).

Fondamentalement, toutes leurs politiques tentent de placer le coût de la crise environnementale sur les épaules de la classe ouvrière et des secteurs les plus pauvres de la société. Alors que les multinationales de l’énergie continuent de faire des profits records, les familles de la classe ouvrière seront forcées d’acheter du carburant à des prix plus élevés, et de payer pour remplacer leurs voitures et leurs chaudières. Elles doivent dans le même temps financer de généreuses subventions aux grandes entreprises à travers des hausses d’impôts.

Par conséquent, aux yeux d’une partie de la classe ouvrière, la « lutte contre le changement climatique » pourrait être associée de façon croissante à l’austérité capitaliste et à la crise de la vie chère. Cela pourrait profiter aux forces réactionnaires qui nient l’existence d’un réchauffement climatique d’origine anthropique et promeuvent les énergies fossiles. Pour combattre cela, il faut une politique révolutionnaire.

La catastrophe environnementale est le produit évident de la folie de l’économie de marché. Il faut souligner que l’existence du capitalisme représente désormais une menace claire et immédiate pour l’avenir de la civilisation humaine.

Si le mouvement écologiste se limite à une politique démonstrative, il se condamne à l’impuissance. La seule façon dont il peut faire valoir ses objectifs est en adoptant une position anticapitaliste et révolutionnaire claire, sans ambiguïté. Nous devons nous efforcer d’atteindre les meilleurs éléments de ce mouvement et de les convaincre de ce fait.

 

Le rôle des marxistes

Principalement du fait de la faiblesse du facteur subjectif, la crise actuelle ne connaîtra pas de résolution rapide. Ce délai est un avantage pour les marxistes, car il nous laisse le temps pour consolider nos forces et constituer une base solide dans la classe ouvrière et le mouvement ouvrier.

La crise se prolongera dans le temps, avec de nombreux flux et reflux de la lutte des classes. Des moments d’euphorie seront suivis des phases de lassitude, d’apathie, et même de désespoir. Mais dans tous les cas, la classe se relèvera toujours, prête à repartir au combat, non pour des raisons surnaturelles, mais simplement parce qu’il n’y a pas d’autre issue que la lutte.

La classe ouvrière dans son ensemble n’apprend pas des livres, mais de l’expérience. Mais elle n’en apprend pas moins – des défaites et des revers comme des victoires. Elle est en train d’apprendre les limites du réformisme de gauche. Engels a dit un jour que les armées vaincues apprenaient bien leurs leçons. Ce que Lénine a commenté ainsi : « Ces paroles splendides s’appliquent à plus forte raison aux armées révolutionnaires ».

Mais c’est un apprentissage très long, et de nombreuses expériences futures seront encore nécessaires avant que la classe rejette finalement ses illusions dans le réformisme (en particulier sous son camouflage « de gauche ») et en vienne à réaliser la nécessité d’une révolution sociale complète.

Notre rôle n’est pas de faire la leçon à la classe ouvrière de l’extérieur, mais de participer activement à la lutte des classes. La tâche des marxistes est de traverser ce processus avec la classe ouvrière, de se battre côte à côte avec les travailleurs, et de gagner ainsi leur respect et leur confiance.

Toutefois, si notre activité se résumait à cela, nous ne serions que de simples activistes, et nous n’aurions aucune raison d’exister en tant que tendance distincte dans le mouvement ouvrier.

Notre rôle le plus important est d’aider les travailleurs et les jeunes, à commencer par leur couche la plus avancée, à tirer les conclusions nécessaires de leur expérience, et de leur montrer dans la pratique la supériorité des idées marxistes.

Cela prendra du temps, et nous devons apprendre les vertus de la patience révolutionnaire. Il n’y a pas de voie facile. La recherche de raccourcis mène inévitablement à de graves déviations, de caractère opportuniste ou ultra-gauchiste.

Souvenons-nous qu’en 1917, en plein milieu d’une révolution, Lénine avançait le slogan « Expliquer patiemment ! » Nous avons les idées correctes, qui sont les seules à pouvoir montrer la voie de la victoire à la classe ouvrière.

On ne peut pas prévoir le rythme réel des événements. Mais le potentiel d’une intensification explosive de la lutte des classes existe dans de nombreux pays. Nous ne pouvons pas dire où cela commencera. Ce pourrait être en France, ou en Italie, ou en Iran, ou au Brésil ; en Indonésie, au Pakistan, en Argentine, ou même en Chine.

Nous verrons. Mais le plus important est que cela ouvrira de nouvelles possibilités pour la tendance marxiste, si nous sommes capables d’en tirer avantage. Et cela dépend d’une seule chose : notre capacité à faire grandir nos forces jusqu’au point critique où nous serons dans la possibilité physique d’intervenir.

Cela dépend, à son tour, du travail que nous menons aujourd’hui. Voilà ce que nous devons faire comprendre à chaque camarade. Notre slogan doit être le suivant : pleine puissance sur le point d’attaque. Et cela signifie, précisément, construire nos forces.

Nous devons travailler sans relâche à construire les forces qui seront requises pour porter ces idées dans chaque usine, chaque section syndicale, chaque école et chaque université. La future direction révolutionnaire du prolétariat ne peut être construite que de cette manière.

Nous avons très longtemps lutté contre le courant. Nos cadres sont sortis endurcis et renforcés de cette lutte. Nous avons gagné le respect des travailleurs et des jeunes les plus avancés. L’autorité politique et morale de notre Internationale n’a jamais été aussi grande.

Ce sont des acquis colossaux ! Mais il nous reste encore un long chemin à parcourir. C’est une route longue et ardue, et ce sera tout sauf facile. Des moments d’euphorie seront suivis d’autres moments de déception et même de désespoir. Nous devons apprendre à vivre avec les difficultés, et accepter les défaites aussi bien que les succès avec la même sérénité joyeuse.

Mais le vent de l’histoire a tourné et nous commençons désormais à nager avec le courant, et non contre lui. Les travailleurs et la jeunesse sont bien plus ouverts à nos idées qu’à n’importe quelle autre époque. Le processus d’ensemble va s’accélérer.

Notre Internationale sera confrontée à d’immenses opportunités, bien plus tôt qu’on pourrait s’y attendre. De nombreuses portes s’ouvriront à nous. A nous de veiller à tirer le plus grand avantage de chaque possibilité et de prouver que nous sommes à la mesure des grandes tâches que nous impose l’histoire.

Approuvé à l’unanimité par le Congrès mondial de la TMI – Bardonecchia, 7-12 août 2023

Ce document a été adopté par les délégués du Congrès mondial 2021 de la Tendance Marxiste Internationale (voir compte-rendu). Il fournit notre analyse générale des principaux processus qui se déroulent dans la politique mondiale, à une époque marquée par une crise et une agitation sans précédent. Avec de la dynamite dans les fondations de l'économie mondiale – et la pandémie de COVID-19 qui jette encore son ombre sur la situation mondiale –, tous les chemins mènent à une intensification de la lutte des classes.


« Tout bien considéré, la crise a pénétré en profondeur, telle une bonne vieille taupe. »

(Marx à Engels, 22 février 1858)

La nature des perspectives

Le présent document, qui doit être lu conjointement avec celui que nous avons proposé en septembre 2020, sera quelque peu différent des perspectives mondiales que nous avons publiées par le passé.

Dans les périodes précédentes, alors que les événements se déroulaient à un rythme plus calme, il était possible de traiter de nombreux pays différents, au moins dans les grandes lignes. Néanmoins, aujourd’hui, le rythme des événements s’est accéléré au point qu’il nous faudrait un livre entier pour tout aborder. L’objectif des perspectives n’est pas de produire un catalogue d’événements révolutionnaires, mais de découvrir les processus fondamentaux sous-jacents.

Comme l’a expliqué Hegel dans l’Introduction à la Philosophie de l’Histoire : « C’est en fait, le désir d’une connaissance rationnelle, et non l’ambition d’accumuler un simple tas d’acquisitions, qui doit être présupposé dans tous les cas comme animant l’esprit de l’élève dans l’étude de la science. »

Nous traitons ici de processus généraux et nous ne pouvons nous intéresser qu’à quelques pays qui permettent d’illustrer le plus clairement possible ces processus au stade actuel. Bien entendu, les autres pays seront traités dans des articles séparés.

 

Des événements dramatiques

L’année 2021 a débuté par des événements dramatiques. La crise du capitalisme mondial crée des remous qui se propagent d’un pays et d’un continent à l’autre. De tous côtés, on retrouve le même tableau de chaos, de bouleversement économique et de polarisation des classes.

La nouvelle année avait à peine débuté qu’une foule d’extrême droite prenait d’assaut le Capitole à Washington à l’appel de l’ancien président américain, Donald Trump – donnant au centre de gravité de l’impérialisme occidental l’image d’un Etat en faillite.

Ces événements, conjugués aux manifestations bien plus grandes du mouvement Black Lives Matter l’été dernier, révèlent à quel point la polarisation de la société américaine est profonde.

En plus de cela, de grandes manifestations en Inde et en Russie ont mis à nu le même processus : la colère des masses grandit et la classe dirigeante n’arrive plus à gouverner comme elle le faisait auparavant.

 

Une crise mondiale sans précédent

Ces perspectives mondiales ne ressemblent à aucune autre que nous ayons traitée auparavant. Elles sont rendues particulièrement complexes par la pandémie qui plane comme un nuage noir sur l’ensemble du monde, condamnant des millions de personnes à la misère, la souffrance et la mort.

La pandémie continue à échapper à tout contrôle. Au moment où nous écrivons ces lignes, il y a eu plus de 100 millions de cas dans le monde et près de trois millions de décès. Ces chiffres sont sans précédent, si l’on excepte les guerres mondiales. Et ils continuent d’augmenter inexorablement.

Ce terrible fléau a eu des effets dévastateurs dans les pays pauvres autour du monde et il a aussi sérieusement touché certains des pays les plus riches.

Aux Etats-Unis, il y a 30 millions de cas, et le nombre de décès a dépassé le demi-million. Et la Grande-Bretagne est l’un des pays où le nombre de décès par habitant est le plus élevé : plus de 4 millions de cas, et bien plus de 100 000 décès.

La crise actuelle est donc différente d’une crise économique ordinaire. Il s’agit littéralement d’une situation de vie ou de mort pour des millions de personnes. Beaucoup de ces décès auraient pu être évités si des mesures appropriées avaient été prises à temps.

 

Le capitalisme ne peut pas résoudre le problème

Le capitalisme ne peut pas résoudre le problème : il est lui-même le problème.

Cette pandémie permet de révéler les intolérables divisions entre riches et pauvres. Elle a révélé les fractures profondes qui divisent la société. La ligne de démarcation entre ceux qui sont condamnés à tomber malades et à mourir, et ceux qui ne le sont pas.

Elle a mis à nu le gaspillage du capitalisme, son chaos et son inefficacité, et prépare la lutte des classes dans tous les pays du monde.

Les politiciens bourgeois aiment utiliser des métaphores militaires pour décrire la situation actuelle. Ils déclarent que nous sommes en guerre contre un ennemi invisible, ce terrible virus. Ils en concluent que toutes les classes et tous les partis doivent s’unir derrière le gouvernement en place. Mais un fossé béant sépare les paroles des actes.

La nécessité d’une économie planifiée et d’une planification internationale est incontestable. La crise est mondiale. Le virus ne respecte ni les frontières ni les contrôles douaniers. La situation exige une réponse internationale, la mise en commun de toutes les connaissances scientifiques et la mobilisation de toutes les ressources de la planète pour coordonner un véritable plan d’action mondial.

Au lieu de cela, nous assistons au spectacle pathétique de la querelle entre la Grande-Bretagne et L’UE pour de rares vaccins, alors que certains des pays les plus pauvres se voient refuser l’accès à tout vaccin.

Mais pourquoi y a-t-il une pénurie de vaccins ? Les problèmes de la production des vaccins – pour ne citer qu’un exemple – sont le reflet de la contradiction entre les besoins urgents de la société et les mécanismes de l’économie de marché.

Si nous étions réellement en guerre contre le virus, les gouvernements mobiliseraient toutes leurs ressources sur cette seule tâche. La politique la plus rationnelle et cohérente serait tout simplement d’accroître la production de vaccins aussi vite que possible.

Les capacités de production doivent être renforcées, ce qui ne peut se faire qu’en créant de nouvelles usines. Mais les grands fabricants privés de vaccins n’ont aucun intérêt à augmenter massivement la production, car cela nuirait à leur situation financière.

Si ces fabricants développaient leurs infrastructures de façon à pouvoir approvisionner le monde entier en six mois, ces installations nouvellement construites deviendraient inutiles dès que cela serait fait. Leurs bénéfices seraient alors beaucoup plus faibles que dans la situation actuelle, où les usines existantes produiront à pleine capacité pendant encore des années.

Un autre obstacle à la production massive et imminente du vaccin est le refus des grandes entreprises pharmaceutiques de renoncer aux droits de propriété intellectuelle sur « leurs » vaccins (qui, dans la majorité des cas, ont été développés grâce à des financements publics colossaux) afin que d’autres entreprises puissent les produire à moindre coût.

Les entreprises pharmaceutiques font des dizaines de milliards de bénéfices, mais les problèmes de production et d’approvisionnement entraînent partout des pénuries. Pendant ce temps, des millions de vies se retrouvent en danger.

 

La vie des travailleurs en danger

Dans leur empressement à relancer la production (et donc les profits), les politiciens et les capitalistes ont recours à des solutions expéditives. Les travailleurs sont renvoyés sans protection adéquate sur des lieux de travail surpeuplés. Cela équivaut à condamner à mort un nombre considérable de ces travailleurs et de leurs proches.

Tous les espoirs des politiciens bourgeois reposaient sur les nouveaux vaccins. Mais le déploiement des vaccins a été bâclé, et l’incapacité à contrôler la propagation du virus – qui augmente le risque de développement de nouvelles souches résistantes aux vaccins – a de graves implications, non seulement pour la santé et les vies humaines, mais aussi pour l’économie.

 

La crise économique

Selon la Banque d’Angleterre, la crise économique actuelle est la plus grave depuis 300 ans. En 2020, l’équivalent de 255 millions d’emplois ont été perdus dans le monde, soit quatre fois plus qu’en 2009.

Les économies soi-disant émergentes sont entraînées dans la chute avec le reste. L’Inde, le Brésil, la Russie, la Turquie sont tous en crise. L’économie sud-coréenne a reculé l’an dernier pour la première fois en 22 ans. Et ce, malgré des subventions publiques d’une valeur d’environ 283 milliards de dollars. En Afrique du Sud, le chômage a atteint 32,5 % et le PIB s’est effondré de 7,2 % en 2020. Il s’agit d’une baisse plus importante qu’en 1931, lors de la Grande Dépression, et ce malgré des dépenses équivalentes à 10 % du PIB dans le cadre d’un plan de relance budgétaire.

La crise plonge des millions de personnes dans une pauvreté toujours plus grande. En janvier 2021, la Banque mondiale a estimé que 90 millions de personnes vont basculer dans l’extrême pauvreté. Le 26 septembre 2020, The Economist écrit : « Les Nations unies sont encore plus pessimistes. Elles considèrent les gens comme pauvres s’ils n’ont pas accès à des commodités telles que l’eau potable, l’électricité, une alimentation suffisante et des écoles pour leurs enfants ».

« En collaboration avec des chercheurs de l’université d’Oxford, elles estiment que la pandémie pourrait plonger 490 millions de personnes dans la pauvreté dans 70 pays, effaçant ainsi près d’une décennie de progrès ».

Le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations-Unis l’a formulé en ces termes : « Dans les 79 pays où le PAM a une présence opérationnelle et où des données sont accessibles, on estime que jusqu’à 270 millions de personnes seront en situation d’insécurité alimentaire aiguë ou à haut risque en 2021, soit une augmentation sans précédent de 82 % par rapport aux niveaux pré-pandémiques. »

Ce seul chiffre donne une idée de l’ampleur mondiale de la crise.

Outre les effets de la pandémie, la crise écologique mondiale risque d’aggraver cette situation, en alimentant la pauvreté et l’insécurité alimentaire. L’exploitation capitaliste de l’environnement menace de mener les principaux systèmes écologiques au bord de l’effondrement. Nous avons assisté à une augmentation des conflits liés à la rareté des ressources en eau et à la destruction de l’environnement, qui conduiront inévitablement à l’instabilité sociale et à des migrations climatiques massives.

L’instabilité générale dans le monde est organiquement liée à la pauvreté croissante. Elle est à la fois cause et effet. C’est la cause sous-jacente la plus élémentaire de bon nombre des guerres et des guerres civiles qui ont lieu. L’Ethiopie n’en est qu’un des exemples.

L’Ethiopie était présentée comme un modèle. Entre 2004 et 2014, son économie était en croissance de 11 % par an, et elle était considérée comme un pays où on pouvait investir. Aujourd’hui, il a été plongé dans le chaos avec l’éruption du conflit dans la province du Tigré, où 3 millions de personnes aujourd’hui ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. La liste des pays touchés par les guerres au cours de la période passée est très longue, et le bilan des souffrances humaines est effroyable :

Afghanistan : deux millions de morts ; Yémen : 100 000 morts ; la guerre de la drogue au Mexique a fait plus de 250 000 morts ; la guerre contre les Kurdes en Turquie, 45 000 morts ; la Somalie, 500 000 morts ; l’Irak, au moins un million de morts ; le Sud-Soudan, environ 400 000 morts.

En Syrie, les Nations Unies ont estimé le nombre de morts à 400 000, mais cela semble trop faible. Le chiffre réel ne sera peut-être jamais connu, mais il est certain qu’il est d’au moins 600 000. Dans les terribles guerres civiles du Congo, plus de quatre millions de personnes ont probablement péri. Mais là encore, personne ne connaît le chiffre réel. Plus récemment, nous avons eu la guerre du Haut-Karabakh.

Et la liste continue encore et encore. De telles choses ne font plus la « une » des journaux. Mais elles expriment très clairement ce que Lénine disait : le capitalisme, c’est l’horreur sans fin. Le maintien du capitalisme menace de pousser un pays après l’autre dans de conditions barbares.

 

Une crise du régime

D’un point de vue marxiste, l’étude de l’économie n’est pas une question académique abstraite. Elle a des répercussions profondes sur le développement de la conscience de toutes les classes.

Où que nous regardions aujourd’hui, il y a une crise. Et pas seulement une crise économique, mais une crise du régime. Il y a des signes clairs que la crise est tellement grave et violente que la classe dirigeante perd le contrôle des moyens traditionnels qu’elle utilisait auparavant pour diriger la société.

Par conséquent, la classe dirigeante se retrouve de plus en plus incapable de contrôler les événements. C’est particulièrement clair dans le cas des Etats-Unis. Mais cela s’applique également à de nombreux autres pays. Il suffit de citer les noms de Trump, Boris Johnson et Bolsonaro pour se le rappeler.

Etats-Unis

Les Etats-Unis occupent à présent une place centrale dans nos perspectives mondiales. Pendant très longtemps, une révolution dans le pays le plus puissant et le plus riche du monde a semblé n’être qu’une perspective très lointaine, mais les Etats-Unis ont été frappés de plein fouet par la crise économique mondiale et tout s’en est trouvé bouleversé.

68 millions d’Américains se sont inscrits au chômage durant la pandémie, et comme toujours ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont les plus touchés. Les jeunes sont les plus touchés par le fléau de chômage : un quart des moins de 25 ans ont perdu leur emploi. Leur avenir leur a été arraché soudainement. Le rêve américain est devenu un cauchemar.

Ce changement brutal a amené de nombreuses personnes à remettre en question des idées qu’elles voyaient autrefois comme inébranlables, et à interroger la nature même de la société dans laquelle elles vivent. L’ascension rapide de Bernie Sanders d’un côté de l’échiquier politique et de Donald Trump de l’autre a tiré la sonnette d’alarme pour la classe dirigeante : ces choses-là n’étaient pas censées arriver !

Confrontée au danger inhérent à cette situation, la classe dirigeante a été forcée de prendre des mesures d’urgence. Souvenons-nous bien que, selon le dogme officiel des économistes bourgeois, l’Etat n’était pas supposé jouer un quelconque rôle dans l’économie.

Mais face au désastre qui se menaçait, la classe bourgeoise a été forcée d’abandonner toutes les théories économiques dominantes : alors que l’Etat était censé jouer un rôle économique faible, voire nul selon les théories libérales, il est à présent la seule chose qui maintienne le système capitaliste sur pieds.

Dans tous les pays, à commencer par les Etats-Unis, la soi-disant économie de marché est en réalité maintenue sous oxygène, à l’image d’un patient atteint du COVID-19. La plus grande partie de l’argent distribué par l’Etat est allée directement garnir les poches des riches, mais la classe dirigeante craignait les conséquences d’un énième renflouage des grandes entreprises. Ils ont par conséquent remis une allocation à chaque personne résidant dans le pays et ont massivement augmenté les aides pour les chômeurs, ce qui a quelque peu allégé l’impact de la crise pour les sections les plus pauvres de la société. Tôt ou tard, ces allocations seront réduites ou supprimées purement et simplement.

Dans le pays le plus riche du monde, la pire des pauvretés côtoie la richesse et le luxe les plus indécents. En octobre 2020, plus d’un foyer américain sur cinq se trouvait en situation d’insécurité alimentaire. Les banques alimentaires prolifèrent.

 

Inégalité et polarisation

Les niveaux d’inégalité ont battu tous les records. Le fossé qui sépare les riches des pauvres est devenu un infranchissable abîme. En 2020, la fortune des milliardaires a augmenté de 3 900 milliards de dollars. L’indice Nasdaq 100 est 40 % plus élevé qu’avant la pandémie. La valeur totale de toutes les actions cotées en bourse au niveau mondial a augmenté de 24 000 milliards de dollars entre mars 2020 et février 2021.

Le salaire moyen du PDG d’une entreprise cotée au S&P 500 est 357 fois supérieur à celui d’un travailleur non-cadre moyen. Ce rapport était de 20 au milieu des années 1960 et de 28 seulement à la fin de la présidence de Ronald Reagan, en 1989.

Pour ne citer qu’un seul exemple, Jeff Bezos gagne à présent plus d’argent chaque seconde que le travailleur américain moyen n’en gagne en une semaine. L’Amérique est revenue au temps des barons voleurs capitalistes que Théodore Roosevelt dénonçait avant la Première Guerre mondiale.

Et ceci n’est pas sans effet. Toute la démagogie à base « d’intérêt national », des phrases comme « nous devons faire preuve d’unité contre le virus » ou de « nous sommes tous dans le même bateau » apparaît comme de la pure hypocrisie.

Les masses sont prêtes à faire des sacrifices dans certaines circonstances. En temps de guerre, il est vrai que les gens sont prêts à s’unir pour combattre un ennemi commun. Ils sont prêts à accepter, au moins temporairement, un recul de leur qualité de vie, ainsi que, dans une certaine mesure, des restrictions sur leurs droits démocratiques.

Mais le gouffre qui sépare ceux qui ont tout de ceux qui n’ont rien exacerbe la polarisation sociale et politique, et fait flotter une atmosphère explosive dans la société. Cela fragilise tous les efforts mis en œuvre pour créer une impression d’unité et de solidarité nationale, alors qu’il s’agit de la principale ligne de défense de la classe dirigeante.

Les statistiques de la Réserve Fédérale montrent que les 10 % les plus riches aux Etats-Unis possédaient près de 80 700 milliards de dollars à la fin de l’année 2020. Cela équivaut à 375 % du PIB du pays, un niveau jamais atteint jusque-là.

Une taxe d’une valeur de 5 % sur cette fortune rapporterait 4 000 milliards de dollars, soit un cinquième du PIB des Etats-Unis. Cela couvrirait tous les coûts liés à la pandémie. Pourtant, ces riches barons voleurs n’ont aucunement l’intention de partager leur butin. La plupart d’entre eux (Donald Trump compris) affirment ouvertement leur réticence à payer des impôts quels qu’ils soient, sans même aller jusqu’à 5 %.

La seule solution serait l’expropriation des banquiers et des capitalistes. Cette idée va inévitablement devenir de plus en plus populaire, balayant les restes des préjugés sur le socialisme et le communisme, et ce même au sein des couches de la classe ouvrière qui ont été bernées par la démagogie de Trump.

Cette polarisation cause déjà des angoisses chez les stratèges sérieux de la classe capitaliste : Mary Callaghan Erdoes, responsable de la gestion d’actifs et de patrimoines pour JP Morgan, en arrive à l’inévitable conclusion : « tout cela va générer de très hauts risques d’extrémisme. Nous devons trouver une façon de nous adapter, sinon nous nous retrouverons dans une position très dangereuse ».

L’attaque du Capitole

L’attaque du Capitole le 6 janvier est un signe flagrant que les Etats-Unis sont confrontés non pas seulement à une crise de gouvernement, mais à une crise du régime lui-même.

Ces événements n’étaient ni un coup d’Etat ni une insurrection, mais ils ont mis en pleine lumière la vive colère qui existe dans les profondeurs de la société ainsi que l’émergence de graves divisions dans l’appareil de l’Etat. Au final, ces événements montrent que la polarisation de la société a atteint un point critique. Les institutions de la démocratie bourgeoise sont soumises à des pressions destructrices.

Il y a une profonde haine des riches et des puissants, des banquiers, de Wall Street et de l’establishment de Washington en général (« le marécage »). Cette haine a été adroitement détournée par le démagogue réactionnaire Donald Trump.

Bien sûr, Trump n’est pas le plus malin et le plus vorace des alligators qui peuplent le « marécage ». Il ne poursuit que ses propres intérêts. Ce faisant, il a néanmoins sérieusement porté atteinte aux intérêts de la classe dirigeante dans son ensemble. Il a joué avec le feu et mobilisé des forces que ni lui ni personne n’est capable de contrôler.

En paroles et en actes, Trump était en train de détruire la légitimité des institutions bourgeoises et de créer une énorme instabilité. C’est pour cette raison que la classe dirigeante et les dirigeants politiques sont partout horrifiés par son comportement.

L’impeachment

Les Démocrates ont tenté d’obtenir l’impeachment de Trump et l’ont accusé d’avoir organisé une insurrection. Sans surprise, ils ont échoué à convaincre le Sénat de le reconnaître coupable, ce qui l’aurait empêché de se présenter à des élections à l’avenir.

La plupart des sénateurs Républicains auraient été ravis de le faire. Ils détestent ce parvenu politique autant qu’ils le craignent, et tous savent pertinemment qui a orchestré les événements du 6 janvier. Mitch McConnell, le chef de la majorité Républicaine du Sénat, a prononcé un jugement accablant sur l’ex-président, après avoir voté pour son acquittement.

En réalité, lui et les autres sénateurs Républicains étaient terrifiés de la réaction qu’auraient les enragés partisans de Trump s’ils se résolvaient à ce choix fatidique. Ils se sont donc ralliés à l’adage « prudence est mère de sûreté » et ont voté « non coupable » en se bouchant le nez.

S’il s’agissait d’une tentative d’insurrection, elle était bien médiocre. Plus qu’une insurrection, cela ressemblait davantage à une émeute à grande échelle. La foule enragée des partisans de Trump a forcé les portes du Capitole avec la complicité évidente d’au moins certains des gardes. Une fois en possession du Saint des Saints de la démocratie bourgeoise américaine, ils n’avaient néanmoins pas la moindre idée de ce qu’il leur fallait en faire.

La foule désorganisée et laissée pour compte a déambulé au hasard, en saccageant tout ce qui ne lui plaisait pas et en proférant de virulentes menaces contre la Démocrate Nancy Pelosi, le vice-président Républicain Mike Pence et Mitch McConnell, qu’ils accusaient d’avoir trahi Trump. Pendant ce temps, le « Commandant-en-Chef » des insurgés s’était eclipsé.

Si l’histoire se répète, d’abord comme sous la forme d’une tragédie puis comme une farce, il s’agissait là d’une farce de première catégorie. Au final, personne n’a été pendu ou envoyé à la guillotine. Fatigués d’avoir tant crié, les « insurgé » sont tranquillement rentrés chez eux ou se sont repliés au bar le plus proche pour se saouler et se vanter de leurs courageux exploits, ne laissant derrière eux rien de plus menaçant que des piles de déchets et quelques égos froissés.

Néanmoins, du point de vue de la classe dirigeante, ceci posait un précédent dangereux pour l’avenir. Ray Dalio, le fondateur de Bridgewater Associates, le plus grand fonds spéculatif au monde, s’est fendu du commentaire suivant : « nous sommes au bord d’une terrible guerre civile. L’Amérique est à un tournant à partir duquel elle pourrait basculer d’une tension interne acceptable à une révolution. » L’attaque du Capitole a été un sérieux avertissement pour la classe dirigeante. Et elle aura sans aucun doute des conséquences. Malgré un bombardement d’hostilité médiatique, 45 % des membres du parti Républicain l’ont trouvé justifiée.

Il faut cependant comparer ces chiffres avec le fait bien plus significatif que 54 % de tous les Américains ont approuvé l’incendie du commissariat de police de Minneapolis, et que près de 10 % de la population américaine a participé aux manifestations Black Lives Matter, soit 20 000 fois plus que ceux qui ont pris d’assaut le Capitole. Tout cela montre la rapide croissance de la polarisation sociale politique aux Etats-Unis.

Les soulèvements spontanés qui ont balayé le pays d’un océan à l’autre après le meurtre de George Floyd, ainsi que les événements sans précédent qui se sont déroulés autour des élections présidentielles ont marqué un tournant dans la situation.

Changements dans les consciences

Les libéraux et les réformistes stupides n’ont évidemment rien compris de ce qu’il se passait. Ils ne sont capables que de voir l’extérieur des événements, sans comprendre les puissants courants qui coulent en profondeur et qui génèrent les vagues visibles à la surface.

Ils crient sans cesse au fascisme, ce qui, pour eux, désigne tout ce qui leur déplaît ou les effraie. Il va sans dire qu’ils ne savent absolument rien de la véritable nature du fascisme. En répétant sans discontinuer leurs slogans sur « les menaces contre la démocratie » (qui se limite pour eux au formalisme de la démocratie bourgeoise), ils sèment la confusion et préparent le terrain pour la collaboration de classe sous le drapeau du « moindre mal ». Leur soutien à Joe Biden aux Etats-Unis en est la parfaite illustration.

Nous devons prendre en compte le fait que la base de Donald Trump est de nature très hétérogène et contradictoire. Il s’y trouve une aile bourgeoise, dirigée par Trump lui-même, et un grand nombre de petits-bourgeois réactionnaires, de fanatiques religieux et d’éléments ouvertement fascistes.

Il faut cependant se souvenir que Trump a reçu 74 millions de voix aux dernières élections et que nombre d’entre elles étaient celles de membres de la classe ouvrière qui avaient précédemment voté pour Obama et ont perdu leurs illusions sur les Démocrates. Lorsqu’on les interviewe, ils répondent : « Washington se fiche de nous ! Nous sommes le peuple oublié ! »

Il y a de brusques virages vers la gauche, mais aussi vers la droite. La nature a horreur du vide, et à cause de la complète faillite des réformistes, y compris des réformistes de gauche, cette colère et de frustration est détournée par des démagogues de droite, les soi-disant « populistes ». Aux Etats-Unis, il y a eu le phénomène du « Trumpisme ». Au Brésil, nous avons assisté à l’ascension de Bolsonaro.

L’attrait des démagogues de droite s’évapore néanmoins dès qu’il entre en contact avec les réalités du pouvoir, comme le démontre le cas de Bolsonaro. Il est vrai que Trump a gardé le soutien de millions de personnes, mais cela ne l’a pas empêché de perdre quand même.

Il est intéressant de noter qu’au moment de l’attaque du Capitole, le sénateur républicain du Missouri Josh Hawley a déclaré : « Les Républicains de Washington vont avoir beaucoup de mal à intégrer ceci… Mais l’avenir est clair : nous devons devenir un parti de la classe ouvrière, pas un parti de Wall Street. » (cité par The Guardian)

Lénine disait que l’histoire connaissait toutes sortes de transformations surprenantes. Les marxistes doivent être capables de distinguer ce qui est progressiste de ce qui est réactionnaire. Nous devons comprendre qu’avec tous ces événements, on voit se dessiner les premiers contours de futurs développements révolutionnaires aux Etats-Unis.

Évidemment, ce sénateur Républicain réactionnaire n’a aucune intention d’organiser un véritable parti de la classe ouvrière aux Etats-Unis, et ce parti n’émergera pas d’une scission de droite des républicains. Mais les convulsions du système bipartite sont sans aucun doute le signe avant-coureur de quelque chose d’entièrement nouveau : l’émergence d’un troisième parti qui s’opposera aux Républicains comme aux Démocrates.

Un tel parti sera initialement extrêmement confus et hétérogène. Tôt ou tard, l’élément anti-capitaliste finira par prédominer. C’est là que réside la véritable menace contre le système. Lorsque les masses commencent à intervenir directement dans la politique, lorsqu’elles décident qu’il est temps pour elles de prendre leur destin en main, cela est, en soi, un symptôme de l’imminence de développements révolutionnaires.

Les stratèges sérieux du Capital comprennent bien mieux les implications des turbulences actuelles que les petits-bourgeois impressionnistes et paniqués. Le 30 décembre 2020, le Financial Times a publié un article des plus intéressants, signé du comité éditorial.

Cet article donnait une vision très différente des événements et de la manière dont ils se développeraient, et ses conclusions étaient très inquiétantes d’un point de vue bourgeois :

« Les groupes abandonnés par le changement économique en viennent de plus en plus à la conclusion que les responsables politiques ne se préoccupent pas de leur situation – voire pire qu’ils ont truqué l’économie à leur profit contre les populations marginalisées.

« Lentement mais sûrement, cette situation amène le capitalisme et la démocratie à entrer en tension l’un contre l’autre. Depuis la crise financière mondiale, ce sentiment de trahison a nourri une colère politique contre la mondialisation et les institutions de la démocratie libérale.

« Le populisme de droite peut prospérer grâce à cette colère tout en laissant les marchés capitalistes en place.

« Mais comme il est incapable de tenir ses promesses envers les défavorisés économiques, ce n’est qu’une question de temps avant que les fourches ne se pointent vers le capitalisme lui-même, et vers les richesses de ceux qui en bénéficient. »

Cet article montre une compréhension parfaite des dynamiques de la lutte des classes. Le choix des mots lui-même est significatif. Les fourches suggèrent une analogie avec la Révolution française, ou avec la Révolte des paysans de 1381, au cours de laquelle les paysans se sont rendus maîtres de Londres.

Les auteurs de ces lignes comprennent parfaitement qu’une vague vers le soi-disant populisme de droite peut n’être qu’un prologue à une explosion révolutionnaire. Les basculements violents de l’opinion publique vers la droite peuvent très bien être la préparation de basculements encore plus violents vers la gauche, de la part de masses en colère et à la recherche d’une issue à la crise.

C’est là une prédiction très perspicace de la manière dont les événements se développeront dans la prochaine période, et pas seulement aux Etats-Unis. Cette volatilité extrême s’observe dans plusieurs pays. Sous la surface se développe un sentiment de colère, d’amertume et de ressentiment contre l’ordre établi.

L’effondrement du centre

Les institutions de la démocratie bourgeoise sont basées sur le postulat que le gouffre entre les riches et les pauvres pourrait être masqué et contenu dans des limites gérables. Mais ce n’est plus le cas.

La constante augmentation des inégalités de classe a créé un niveau de polarisation sociale inconnu depuis des décennies. Les mécanismes habituels de la démocratie bourgeoise sont mis à l’épreuve jusque dans leurs derniers retranchements, et même au-delà.

L’antagonisme entre riches et pauvres devient chaque jour plus intense. Cela donne une force irrésistible aux forces centrifuges qui opposent les classes. C’est précisément la raison de l’effondrement du soi-disant Centre. 

Cela inquiète de plus en plus la classe dirigeante, qui voit son pouvoir lui échapper des mains. Partout, les partis du pouvoir en place sont identifiés par les masses comme les représentants de l’austérité et des attaques sur les conditions de vie.  

La colère monte dans la société. Ce sentiment se ressent dans l’effritement de la confiance envers les institutions officielles, les partis, les gouvernements, les responsables politiques, les banquiers, les riches, la police, l’appareil judiciaire, les lois en vigueur, la tradition, la religion et la moralité du système en place. Les gens ne croient plus ce que leur disent les journaux et la télévision. Ils comparent l’énorme différence entre ce qui est dit et ce qui se passe réellement, et ils réalisent que ce que l’on nous sert est un tissu de mensonges.

Cela n’a pas toujours été le cas. Dans le passé, la plupart des gens ne prêtaient pas beaucoup d’attention à la politique. C’est aussi valable pour les ouvriers. Au travail, les conversations portaient plutôt sur le football, le cinéma et les programmes télé. On ne mentionnait la politique que rarement, à l’exception peut-être des périodes électorales. 

Maintenant, tout cela a changé. Les masses commencent à s’intéresser à la politique, parce qu’elles se rendent comptent qu’elle affecte directement leurs vies et celles de leurs familles. Ce seul fait est en soi le signe d’une avancée vers la révolution. 

Auparavant, quand les gens prenaient la peine de voter aux élections, ils le faisaient en général en suivant le même parti que leurs parents et leurs grands-parents avant eux. Maintenant, pourtant, les élections sont devenues particulièrement imprévisibles. L’état d’esprit de l’électorat est à la colère, la défiance, et sujet à des virages brutaux de la gauche vers la droite, et de la droite vers la gauche.
 

Les perspectives de l’Administration Biden

Les stratèges du capital reconnaissent les dangers considérables de cette polarisation, et tentent désespérément de reconstruire le « Centre ». Mais il n’y a pas de base objective pour cela. Avec Joe Biden, ils s’appuient sur une branche pourrie.

Wall Street place tous ses espoirs dans l’administration Biden et sa campagne vaccinale. Mais Biden gère actuellement une lourde crise politique et économique dans une nation divisée et en déclin.

La caste dirigeante l’incite à accroître l’intervention de l’Etat dans l’économie, et il n’a pas perdu de temps pour dévoiler son plan de relance de 1 900 milliards de dollars pour l’économie américaine. Si nous y ajoutons l’enveloppe de 900 milliards de dollars déjà avalisée par le Congrès et les 3 000 milliards de dollars d’aide accordée au début de la pandémie, c’est une montagne de dettes qui s’élève. La classe au pouvoir tente désespérément de restaurer la stabilité politique.

Kenneth Rogoff, Professeur à l’Université de Harvard l’a décrit ainsi : « je suis tout à fait favorable à ce que fait Biden… Oui, nous courons le risque d’une instabilité économique dans les années à venir, mais nous vivons en ce moment une période d’instabilité politique. » Tout cela présage une énorme crise sur le long terme. 

Pendant ce temps, des millions de citoyens mécontents ne croient même pas que Biden ait gagné l’élection. Quoi qu’il fasse sera inacceptable pour eux. D’autre part, les espoirs démesurés de ses nombreux partisans fondront comme neige au soleil, une fois que la première impression de soulagement après le départ de Trump sera dissipée. Et même si un état de grâce va lui bénéficier pendant un moment, une énorme déception s’ensuivra, et ouvrira la voie à de nouveaux bouleversements, des troubles et de l’instabilité.

L’Amérique latine

L’Amérique Latine est une des régions du monde frappées le plus durement par le Covid-19, du point de vue de la santé publique comme de la crise économique. 

Le PIB de la région a baissé d’à peu près 7.7 % en 2020, la chute la plus forte en 120 ans. Cela vient juste après une décennie de stagnation, avec 0.3 % de croissance annuelle moyenne entre 2014 et 2019. Il ne faut pas s’attendre à ce que la région retrouve avant 2024 son niveau de PIB antérieur à la crise. Les niveaux de pauvreté extrême sont revenus à ce qu’ils étaient en 1990. 

Les troubles politiques et sociaux avaient déjà commencé avant le début de la pandémie. En Amérique du Sud, les révoltes de 2019 (Equateur, Chili) qui faisaient partie d’un processus mondial (Algérie, Soudan, Irak, Liban…) ont été provisoirement stoppées par l’éclatement de la pandémie qui a balayé le continent avec des répercussions dévastatrices. 

Le Brésil a subi un nombre de décès parmi les plus élevés au monde, et le Pérou, lui aussi, a été durement touché. En Equateur, les cercueils s’empilaient devant des morgues pleines à craquer et, dans certains endroits, des corps étaient abandonnés dans les rues. 

Pourtant, au cours du deuxième semestre de 2020, on a pu noter une résurgence des mouvements insurrectionnels de masse. En septembre 2020, il y a eu en Colombie un déchaînement de colère à cause d’un meurtre commis par un policier, ce qui a provoqué l’incendie de 40 commissariats. Au Pérou, un mouvement de masses a renversé deux gouvernements. Et au Guatemala, le parlement a été incendié par des manifestations. Cela s’est poursuivi en 2021, avec des conséquences politiques importantes. En Colombie, le mouvement a ressurgi avec un puissant mouvement de grève nationale qui a réduit au minimum la base sociale de soutien au gouvernement Duque. Au Pérou, nous avons eu l’élection inattendue du syndicaliste-enseignant Pedro Castillo aux élections présidentielles. De même, au Chili, nous avons assisté à la défaite électorale de la droite et à la montée en puissance des candidats liés au soulèvement de 2019, ainsi que du PC et du Front Large (Frente Amplia), lors des élections de l’assemblée constituante, des maires et des gouverneurs régionaux.

Au Brésil, où la gauche et les groupes sectaires avaient fait beaucoup de tapage autour de la soi-disant victoire du « fascisme », le soutien à Bolsonaro s’effondre. Le slogan lancé par nos camarades brésiliens « Fora Bolsonaro » (« Bolsonaro dégage ! »), qui avait rejeté comme utopique par la gauche, est maintenant unanimement accepté.

« L’homme fort » Bolsonaro est si faible qu’il n’a même pas réussi à lancer son propre parti. Bien qu’il tente désespérément de le faire, il a pour l’instant lamentablement échoué à seulement obtenir le nombre de signatures nécessaires pour déposer sa demande.

Le problème n’est pas la force de Bolsonaro, mais la faiblesse de la gauche. Alors qu’il pouvait auparavant compter sur le soutien écrasant des travailleurs, le PT a perdu largement aux dernières élections. Là aussi, il n’est pas question de difficultés objectives, mais de la faiblesse du facteur subjectif.

Dans le même temps, Cuba est confronté à une crise économique majeure, décuplée par la pandémie et aggravée par les mesures économiques et les sanctions de Trump, dont aucune n’a été annulée par Biden. L’économie de l’île a plongé de 11 % en 2020.

Cela a poussé ses dirigeants à mettre en œuvre une série de mesures d’économie de marché capitalistes qui étaient en discussion depuis 10 ans, mais n’avaient jamais été mises en œuvre complètement, notamment l’unification des devises, la concurrence entre entreprises du secteur public, la fermeture des entreprises étatiques « non rentables », l’arrêt des subventions sur le prix des denrées alimentaires de base, etc.

Ces mesures ont déjà contribué à augmenter encore plus les inégalités et suscitent de la colère. C’est un tournant dans le processus de restauration du capitalisme.

Ces facteurs économiques constituent la base objective des manifestations du 11 juillet. Il s’agissait des plus grandes manifestations à Cuba depuis le « maleconazo » de 1994, et elles ont eu lieu à un moment de crise économique profonde et avec un gouvernement qui n’a pas la même autorité que Fidel Castro avait à l’époque.

Le mouvement avait une composante authentique de protestation contre la pénurie et les difficultés que subit la classe ouvrière. Il y avait cependant une autre composante qui répondait à une campagne constante de propagande sur les réseaux sociaux et de provocations dans les rues par des éléments ouvertement contre-révolutionnaires, qui durait depuis des mois.

Les manifestants, qui étaient environ 2000 à La Havane, étaient composés de différentes couches : des pauvres des quartiers populaires durement touchés par la crise économique et les mesures prises par la bureaucratie ; des éléments lumpen et criminels ; des éléments pro-capitalistes petits-bourgeois qui ont prospéré au cours des dix dernières années de réformes du marché ; des artistes, des intellectuels et des jeunes préoccupés par la censure et les droits démocratiques dans l’abstrait.

Il faut expliquer clairement que les manifestations ont eu lieu sous les slogans « Patrie et vie » (Patria y vida), « A bas la dictature » et « A bas le communisme », clairement de caractère contre-révolutionnaire. Les problèmes et les difficultés sont réels et authentiques ; des éléments confus y participent ; mais au milieu de toute cette confusion, ce sont les éléments contre-révolutionnaires qui dominent ces manifestations. Ceux-ci sont organisés, motivés et ont des objectifs clairs. Il est donc nécessaire de s’y opposer et de défendre la révolution. Si les promoteurs de ces manifestations, ainsi que leurs mentors à Washington, parvenaient à atteindre leur objectif – le renversement du gouvernement – cela accélérerait inévitablement le processus de restauration capitaliste et ramènerait de facto Cuba à son ancien statut de colonie de l’impérialisme américain. Les problèmes économiques et sanitaires dont souffre la classe ouvrière cubaine ne seraient pas résolus, mais au contraire, seraient aggravés. Il suffit de regarder le Brésil de Bolsonaro ou son voisin Haïti pour s’en convaincre. La défaite de la révolution cubaine aurait un impact négatif sur la conscience des travailleurs du continent et du monde entier.

Dans la lutte qui s’ouvre, la Tendance Marxiste Internationale défend inconditionnellement la révolution cubaine. Le premier point que nous devons souligner est que nous sommes totalement opposés au blocus de l’impérialisme américain et que nous faisons campagne contre celui-ci. Cependant, notre défense inconditionnelle de la révolution ne signifie pas que nous ne sommes pas critiques. Nous devons expliquer clairement que les méthodes de la bureaucratie sont dans une large mesure responsables de la situation actuelle. La planification bureaucratique conduit à la mauvaise gestion, à l’inefficacité, au gaspillage et à l’indolence. L’imposition et l’arbitraire bureaucratiques conduisent à l’aliénation de la jeunesse. Les mesures pro-capitalistes conduisent à la différenciation sociale et à la pauvreté.

Une remise en question généralisée de la direction est apparue parmi de nombreux travailleurs et jeunes qui se considèrent comme des révolutionnaires. Nous devons expliquer que la seule façon efficace de défendre la révolution est de mettre la classe ouvrière aux commandes. Notre modèle devrait être la démocratie ouvrière de la Commune de Paris et L’Etat et la Révolution de Lénine. Nous sommes en faveur de la discussion politique la plus large et la plus libre entre révolutionnaires. Les médias d’Etat doivent être ouverts à toutes les nuances de l’opinion révolutionnaire. Dans tous les lieux de travail, les travailleurs eux-mêmes devraient avoir les pleins pouvoirs pour réorganiser la production afin de la rendre plus efficace. En outre, les privilèges de la bureaucratie (magasins spéciaux, accès préférentiel aux produits de base) doivent être abolis. Tous les fonctionnaires de l’Etat doivent être élus et révocables à tout moment.

Le sort de la révolution cubaine sera finalement décidé dans la sphère de la lutte des classes internationale. Les révolutionnaires cubains doivent adopter une position révolutionnaire socialiste internationaliste, par opposition à une position basée sur la géopolitique et la diplomatie. Nous défendons la démocratie ouvrière et le socialisme international.

Les événements révolutionnaires et insurrectionnels qui ont eu lieu dans différents pays d’Amérique latine et l’arrivée au pouvoir de dirigeants « progressistes » avec le soutien des travailleurs et des paysans (AMLO au Mexique, Arce en Bolivie, Castillo au Pérou, etc.) servent de réfutation à tous ceux (y compris les sectaires) qui prétendaient qu’il y avait une « vague conservatrice » en Amérique latine. Le capitalisme y est beaucoup plus faible que dans les pays capitalistes avancés, les effets de la pandémie ont été dévastateurs en termes sanitaires et économiques, et les masses gagnent en force dans les luttes impressionnantes auxquelles nous avons récemment assisté. Pour toutes ces raisons, l’Amérique latine est très probablement l’une des scènes des prochains événements révolutionnaires.

L’Europe

Le PIB réel a chuté de 7 % dans les Etats membres de l’UE en 2020. C’est la baisse la plus forte en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Les chiffres officiels montrent que 13,2 millions de personnes sont sans emploi, mais même en laissant de côté les mesures de chômage partiel, le chiffre du chômage est plus proche de 12,6 % (à peu près 20 millions). Et 30 millions supplémentaires sont absents des chiffres officiels et considérés comme du « chômage dissimulé ».

La Commission Européenne a bâclé la distribution de vaccins pour le Covid-19, ce qui a eu pour conséquence de générer des pénuries importantes dans l’ensemble de l’Europe. Au départ, le Danemark n’en a reçu que 40 000 alors qu’ils en attendaient 300 000. Au début, les Pays-Bas n’ont quant à eux rien reçu du tout.

L’échec de l’approvisionnement en vaccins fait suite au fiasco des masques l’an dernier. Alors que l’Italie faisait face au pire de sa crise, la solidarité européenne a été entièrement oubliée. Cela a été le règne du chacun pour soi. Le programme vaccinal était une tentative de refonder l’Union Européenne, mais il a echoué.

Pour aggraver encore davantage la situation, l’intensification des mesures restrictives (confinements, etc.), qui visent à maîtriser la pandémie du coronavirus dans 21 pays de la zone euro, a considérablement réduit l’activité économique, à tel point que la zone a été confronté à une récession à double creux.

Alors qu’au printemps dernier, au moment où la pandémie frappait pour la première fois, l’économie de la zone euro avait été confrontée à un choc profond et soudain, la recrudescence des contaminations traîne maintenant en longueur, et cause un déclin plus lent, mais encore plus invalidant de l’économie.

Les secteurs du voyage, du commerce de détail et de l’hôtellerie, la confiance des entreprises et les dépenses de consommation ont tous été touchés pendant les premières semaines de 2021. Cela menace d’entraîner une vague de faillites à retardement, à moins que les gouvernements et les banques centrales ne continuent de renflouer l’économie par des mesures de soutien.

Partant de là, les économistes anticipent que la baisse de la production dans l’Eurozone d’entre 1,8 % et 2,3 % au cours des trois derniers mois de 2020 sera suivie d’une autre chute pendant le premier trimestre de 2021 dans de nombreuses économies importantes du bloc, notamment l’Allemagne et l’Italie. La zone euro subirait alors une seconde récession, définie comme deux trimestres consécutifs de croissance négative en moins de deux ans. 

Après le Brexit et Trump, qui n’a jamais pris la peine de cacher son mépris pour tout ce qui concerne l’Europe, la bourgeoisie européenne a l’impression qu’elle ne peut plus compter sur ses alliés historiques. La tentative ridicule d’Emmanuel Macron de s’attirer les bonnes grâces de Trump s’est avérée un échec monumental. 

Trump a été tout à fait clair en décrivant l’Europe comme un ennemi majeur, alors que la Russie n’était qu’une « rivale ». Il a traduit ses paroles en actes. Ses mesures protectionnistes ont été dirigées contre l’Europe autant que contre la Chine. Et il a gardé cette attitude offensive jusqu’aux derniers jours de son mandat. La veille du 1er janvier, les Etats-Unis ont annoncé une nouvelle hausse des tarifs douaniers sur les pièces détachées d’avion et les vins importés de France et d’Allemagne.

Biden a l’intention de renouer des liens avec l’Europe. Il a réengagé les Etats-Unis dans le multilatéralisme, y compris le retour au sein de l’OMS et de l’accord de Paris sur le climat. Il a aussi soutenu la nomination de la nouvelle Directrice Générale à l’OMC. Son attitude vis-à-vis de l’accord sur le nucléaire iranien est aussi différente. Tout ceci constitue des avancées bienvenues pour les Européens, qui ont absolument besoin que la Maison-Blanche change de cap. Trump nomme cette nouvelle stratégie « l’Amérique en dernier ».

Pourtant, certains conflits entre les deux parties sont beaucoup plus difficiles à résoudre. Les Européens ne sont pas convaincus de la stratégie des Etats-Unis concernant la Chine. De plus, ils espèrent aussi se servir de la guerre commerciale que les Etats-Unis mènent contre la Chine à leur profit. Le nouveau Traité bilatéral d’Investissement conclu entre la Chine et l’UE au cours des dernières semaines de la présidence de Trump a été largement reconnu comme un affront fait à Joe Biden, que le nouveau président a été obligé de digérer. 

Il y a d’autres différends de longue date à résoudre : la discorde entre Airbus et Boeing sur les aides d’Etat traine depuis des décennies sans solution en vue. Le gazoduc Nord Stream 2 constitue aussi une énorme brèche entre l’Allemagne et les Etats-Unis, ceux-ci affirmant que ce gazoduc va renforcer l’influence russe en Europe. La toute nouvelle amitié entre Biden et les Européens sera mise à l’épreuve dans les mois à venir, au moment où les deux blocs tenteront de relancer leurs exportations dans le contexte d’après pandémie. 

L’Allemagne a servi de point d’ancrage à l’Europe, un îlot de stabilité dans un océan souvent orageux. Angela Merkel incarnait le sérieux placé aux commandes du pays le plus important d’Europe. Mais avec la pandémie, de nouveaux problèmes sont apparus.

L’Europe connaissait déjà des tensions croissantes entre les Etats membres après la crise de 2008. Le Brexit a été un tournant dans cette dynamique, tout comme la crise pandémique et le nationalisme qui ont prévalu dans la gestion de la crise sanitaire. La profonde crise mondiale exercera une énorme pression dans ce sens : l’UE doit rivaliser avec les autres blocs impérialistes tandis que, dans le même temps, les différentes nations qui la composent rivaliseront entre elles pour exporter leurs propres crises. 

Les capitalistes allemands ont compris qu’ils devaient changer de méthodes pour mettre fin aux tendances centrifuges au sein de l’UE. Cette tendance a été encore renforcée lorsque la pandémie est survenue. L’automne dernier, l’Allemagne a été contrainte de consentir à un prêt de 750 milliards d’euros pour le Fonds de Relance européen, afin de maintenir l’unité de l’UE. Cette somme substantielle va apporter un répit temporaire à l’Union, mais ce n’est qu’un subside à usage unique. Des appels à poursuivre dans cette direction ont été repoussés par l’Allemagne. Au final, aucun des problèmes posés n’a été résolu.

Merkel a dû prolonger le confinement en Allemagne. Sa coalition se divise sur les chiffres médiocres de la vaccination et sur les problèmes d’approvisionnements. L’humeur générale est passée de l’autosatisfaction à la morosité. Le Financial Times déclare que « le paysage politique à l’approche des élections de septembre semble de plus en plus atomisé et instable ».

En France, le gouvernement Macron est maintenant totalement discrédité, avec un taux d’insatisfaction de 60 %, un des plus hauts depuis les manifestations des gilets jaunes. Le taux officiel du chômage est à 9 %, mais il est en réalité beaucoup plus élevé. 

Le « Grand débat national » n’a rien fait pour rétablir la confiance du public envers le gouvernement, pas plus que le renvoi du Premier ministre Edouard Philippe. Quant aux tentatives répétées de Macron pour jouer le rôle d’un « grand homme d’Etat » au niveau international, cela n’évoque guère que des rires sarcastiques à tous les niveaux. 

La Grande-Bretagne

Il y a encore peu de temps, la Grande-Bretagne était sans doute le pays le plus stable d’Europe. Maintenant, c’est probablement devenu le plus instable. 

La crise actuelle a cruellement mis à jour la faiblesse du capitalisme britannique. L’économie du Royaume-Uni a chuté de 9,9 % en 2020, deux fois plus que l’Allemagne et trois fois plus que les Etats-Unis. Maintenant, face aux effets de la pandémie et la catastrophe du Brexit, une récession plus sévère est inévitable. 

Le Brexit était un geste de pure folie de la part du Parti Conservateur, qui échappe maintenant à tout contrôle de la classe dirigeante. Le gouvernement est contrôlé par un clown, et lui-même est sous l’influence de nationalistes réactionnaires déments. 

Bien qu’il ait remporté une victoire décisive aux élections de décembre 2019, le parti Conservateur a été de plus en plus discrédité, en particulier à cause de sa gestion de la pandémie qui a causé une mortalité plus importante que dans n’importe quel autre pays d’Europe. Le nombre de morts proportionnellement à la population (largement sous-évalué dans les chiffres officiels) est parmi les plus élevés de tous les pays. Pourtant, les Conservateurs n’ont cessé de se refuser à adopter les mesures nécessaires, pour finir par s’y soumettre devant la gravité de la situation.

Ces gens ne s’intéressent ni aux vies humaines ni à la santé de la population. Ils ne se préoccupent pas davantage de l’état lamentable dans lequel se trouve le NHS, le Service National de Santé, dont ils sont responsables à travers les coupes budgétaires imposées durant des décennies. Ils ne sont motivés que par une seule chose : les profits. 

Les Conservateurs tiennent à maintenir la production à n’importe quel prix. C’est pour cela qu’ils étaient déterminés à rouvrir les écoles. Cela a causé une protestation de masse pendant les premiers jours de janvier et une réunion en ligne groupant près de 400 000 enseignants. La menace explicite d’une grève a forcé le gouvernement à fermer les écoles. 

Pourtant, malgré l’impopularité du gouvernement, le Parti Travailliste et sa direction droitière se traînent derrière les Conservateurs. Il n’y a aucune véritable opposition de la part des travaillistes. 

La démission de Corbyn et de McDonnell, après la défaite électorale du Parti Travailliste en décembre 2019 a été un coup dur pour la gauche et un cadeau à la droite. La gauche avait toute latitude pour transformer le parti. Elle avait l’appui total des militants de base. Cela aurait nécessité de mettre en œuvre une purge complète de l’aile droite des députés du Parti Travailliste et de la bureaucratie. Mais ils se sont dérobés et ont refusé d’appuyer la proposition de de-sélection des députés travaillistes. Cette proposition était défendue par les marxistes et avait un large soutien parmi la base du parti.

En dernière analyse, la « gauche » a peur de porter la lutte jusqu’à son but ultime, qui implique une rupture totale avec l’aile droite. Mais l’aile droite ne fait en retour pas preuve de la même gentillesse vis-à-vis de la gauche. Encouragés par cette démonstration de faiblesse, ils ont mené à bien une purge de la gauche – y compris la suspension de Corbyn lui-même. Cette faiblesse de la gauche n’est pas seulement une question morale. C’est une question politique. C’est une caractéristique organique du réformisme de gauche. 

Le grand capital tient maintenant les rênes chez les travaillistes. Keir Starmer ne parle pas comme le représentant de l’opposition, mais comme un membre servile du gouvernement de Johnson. Il attend que Johnson agisse pour dire « je suis d’accord ! ». 

Mais maintenant, l’aile droite est allée trop loin. Par ses actions, elle pourrait forcer la gauche à engager le combat. Tout est en place pour une lutte à l’intérieur du Parti Travailliste.

Quoi qu’il se passe, la tendance marxiste y gagnera et beaucoup de nouvelles portes s’ouvriront à nous. L’art de la politique consiste à saisir chaque opportunité. Nous saisirons cette opportunité autant que possible, et nous y gagnerons sans nul doute.

L’Italie

L’Italie reste le plus faible maillon de la chaîne du capitalisme européen. La crise actuelle a fait apparaître sa faiblesse chronique au grand jour. Incapable de rivaliser avec les économies les plus fortes comme celle de l’Allemagne, elle prend de plus en plus de retard et sombre dans une dette toujours plus abyssale.

Son système bancaire se tient constamment en équilibre au bord d’un précipice et pourrait bien entraîner le reste de l’Europe au fond du ravin. C’est la raison pour laquelle l’UE doit la consolider, mais elle le fait en la maudissant à mi-voix.

Les banquiers allemands, en particulier, se montrent de plus en plus impatients et jusqu’à récemment, exigeaient l’adoption de mesures sérieuses pour réduire les dépenses publiques et attaquer le niveau de vie. C’est-à-dire qu’ils poussaient l’Italie vers l’abîme. Ils ont quelque peu changé de ton depuis que la pandémie les a tous obligés à se tourner vers l’Etat pour obtenir de l’aide. Une fois la pandémie terminée, ils reviendront à l’austérité avec encore plus de hargne.

Pour manœuvrer sa barque pendant la crise actuelle, la classe dirigeante italienne a besoin d’un gouvernement fort. Mais, en Italie, cela n’est pas une option. Le régime politique est pourri jusqu’à la moelle. Le manque de confiance envers les politiciens s’exprime par une succession perpétuelle de crises gouvernementales. Les coalitions instables se succèdent sans que rien ne change véritablement. Les masses sont désespérées et leur quête d’une solution s’exprime par des virages violents vers la droite et vers la gauche.

La crise a été énormément exacerbée par la pandémie, qui a frappé l’Italie plus tôt et plus durement que n’importe où ailleurs. Au moment où nous écrivons ces lignes, le nombre de morts du COVID-19 se rapproche de la barre des 100 000.

La classe dirigeante espérait maintenir la coalition de Centre-Gauche aussi longtemps que possible afin d’éviter une explosion sociale. Mais c’est devenu impossible, car les options politiques ont été épuisées l’une après l’autre. Comme Italia Viva, le parti de Renzi, commençait à sentir une odeur de roussi, il retira ses trois ministres de la coalition Conte en critiquant la gestion de la pandémie de COVID-19, ce qui a mené à l’effondrement du gouvernement et a ouvert la voie à la formation du gouvernement Draghi.

Le Président de la République est intervenu, et plutôt que de convoquer des élections anticipées, il a invité Draghi, ex-Président de la Banque Centrale Européenne, à former un gouvernement. C’est là encore un nouvel exemple du parachutage d’un « technocrate », imposé au pays comme Premier ministre, sans aucune élection.

La faillite du Centre-Gauche a ouvert une voie aux groupes d’extrême droite comme le parti des Frères d’Italie. Ils sont restés à l’écart de la coalition qui soutient Draghi, premièrement parce qu’ils n’y étaient pas indispensables, et, deuxièmement, parce qu’ils espèrent gagner des voix à droite aux dépens de la Ligue actuellement au gouvernement.

Pourtant, les petits arrangements parlementaires se transformeront tôt ou tard en une guerre ouverte entre les classes. Sur la base d’un système tel que celui-ci, il ne peut pas y avoir de stabilité. En Italie, il n’y a pas de parti ouvrier de masse. Mais la colère et la nervosité des masses augmentent chaque jour. Les actions militantes des travailleurs pendant le premier mois de la pandémie sont un avertissement de ce qui va suivre.

Les échecs gouvernementaux à répétition mènent inéluctablement à une explosion de la lutte des classes. À terme, les enjeux ne se régleront pas au parlement et on s’approche bien vite du moment où le centre de gravité passera d’un parlement discrédité aux rues et aux usines.

La Russie

La même instabilité et les mêmes turbulences sont observables partout. En Russie, le retour et l’arrestation d’Alexei Navalny ont marqué le début d’une vague de contestations dans tout le pays. Il y a eu des manifestations de 40 000 personnes à Moscou, 10 000 à Saint-Pétersbourg et des milliers d’autres dans 110 autres villes, y compris Vladivostok et Khabarovsk.

Ces contestations n’atteignaient encore pas l’envergure de celles que nous avons observées il y a quelque temps en Biélorussie, quand des millions de gens sont sortis dans la rue pour renverser Loukachenko. Mais dans le contexte russe, ces manifestations étaient importantes. Elles étaient très hétérogènes, avec beaucoup de membres de la classe moyenne, des intellectuels, des libéraux – mais aussi un nombre croissant de travailleurs, et de jeunes travailleurs en particulier.

La police a réagi par la répression. Des émeutes se sont produites dans plusieurs villes. Les gens ont renversé des barricades, blessant au passage une quarantaine de policiers. Plusieurs milliers de personnes ont été arrêtées.

Qu’est-ce que cela représente ? Il s’agissait en partie d’une expression d’indignation suite à l’arrestation de Navalny. Mais la question de Navalny n’est qu’un élément de la situation, et pas nécessairement le plus important.

Alexeï Navalny est présenté dans les médias occidentaux comme le défenseur héroïque de la démocratie. En réalité, c’est un opportuniste ambitieux qui traîne un passé politique douteux. Avec du recul, on le considérera comme un personnage accidentel.

Mais à certains moments, des figures accidentelles jouent aussi un rôle dans l’histoire. Comme en chimie un catalyseur peut être nécessaire pour déclencher une réaction particulière, dans le processus révolutionnaire, un point de référence est nécessaire pour servir de détonateur afin d’allumer la colère accumulée des masses. La nature exacte de ce catalyseur n’a pas d’importance. Dans ce cas-là, il s’est agi de l’arrestation de Navalny. Mais il aurait pu s’agir d’un autre facteur parmi tant d’autres.

La baisse du niveau de vie

Le plus important n’est pas l’accident par lequel s’est exprimée la nécessité, mais bien la nécessité elle-même. La véritable cause de ce soulèvement est à chercher dans l’accumulation de colère dans la population suite à la baisse du niveau de vie, à la crise économique et aux abus d’un régime corrompu et répressif.

Tout indique que le soutien à Poutine est en baisse. A un moment donné, les sondages lui donnaient régulièrement plus de 70 % d’opinion favorable. Au moment de l’annexion de la Crimée, ils dépassaient les 80 %. Mais maintenant, ils tournent autour des 63 %, et à son point le plus bas, à peine au-dessus de 50 %. Ces chiffres ont dû sérieusement préoccuper le Kremlin.

Dans le passé, Poutine avait pu se targuer de certaines réussites dans le domaine économique, mais ce n’est plus le cas. Entre 2013 et 2018, avant la pandémie, la croissance économique annuelle était à 0,7 %, c’est-à-dire une quasi-stagnation. A la fin de 2020, la croissance était négative de 5 %. Le chômage augmente rapidement et de nombreuses familles perdent leur logement.

Pendant un temps, notamment suite à l’annexion de la Crimée, peuplée d’une majorité de Russes, Poutine a joué la carte nationaliste. Cela a donné un coup de fouet à sa popularité, mais l’opium du chauvinisme s’est largement dissipé et les réserves de crédibilité de Poutine ont été largement entamées par sa réforme des retraites.

L’indignation monte face à la corruption monstre et au niveau de vie luxueux de l’élite au pouvoir. Deux jours après son arrestation, Navalny a publié une vidéo, vue par des millions de gens, qui révélait la corruption personnelle de Poutine, et montrait un immense palais qu’il s’est fait construire sur la mer Noire. Tout ceci contribue à créer un climat explosif.

La base de soutien du régime se réduit constamment. En dehors de la clique notoirement corrompue des oligarques du Kremlin, elle se réduit pour sa plus grande part à des officiels de l’Etat dont les emplois et la carrière dépendent du patron, un grand nombre de sbires qui dépendent de contrats de l’Etat et de relations d’affaires avec le Kremlin ainsi que d’autres qui ont prospéré grâce à ses largesses.

Enfin et surtout, il s’appuie sur les forces de sécurité et sur l’armée. Le régime de Poutine est un régime bonapartiste bourgeois. En dernière analyse, le bonapartisme est le règne de l’épée. Poutine est « l’homme fort » qui se tient au sommet de l’Etat et se tient en équilibre entre les différentes classes, se faisant passer pour l’incarnation de la nation russe.

Mais l’homme fort a des pieds d’argile. Plus sa base de soutien se rétrécit, plus il en est réduit à se maintenir par une combinaison de tricherie, de fraudes électorales éhontées et de répression brute.

Talleyrand aurait un jour fait remarquer à Napoléon que l’on peut faire beaucoup de choses avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus. Poutine ferait bien de s’inspirer de ce conseil éclairé. Les arrestations, les emprisonnements et les empoisonnements d’opposants politiques ne sont pas des signes de force, mais de peur et de faiblesse.

De plus, la terreur est une arme qui peut être utilisée de manière efficace pendant un certain temps, mais qui est soumise à la loi des rendements décroissants. Tôt ou tard, les gens finissent par perdre leur peur. C’est le moment le plus dangereux pour un régime autoritaire. Les récentes manifestations sont la preuve que ce processus a déjà commencé.

En réalité, la seule chose qui maintienne le régime est l’inertie temporaire des masses. Il est impossible de dire avec certitude jusqu’à quand cet équilibre instable tiendra. Pour le moment, la répression massive est parvenue à mettre un frein à la contestation. Mais aucun des problèmes de fond n’a été réglé.

Les manifestations récentes ont inquiété le régime qui combine répression et concessions. Le gouvernement a annoncé un plan d’aide aux familles les plus pauvres. Cela peut lui faire gagner un peu de temps. Mais le prix relativement bas du pétrole va continuer à porter préjudice à l’économie russe et les sanctions imposées par les EU vont rester en place, et même se renforcer.

Le Parti « Communiste »

En Russie, le rôle du facteur subjectif est évident. Si le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR) était un vrai parti communiste, il serait maintenant en train de se préparer à pendre le pouvoir. Mais la clique de Zyouganov n’a aucun intérêt à prendre le pouvoir. Elle bénéficie d’un arrangement confortable avec Poutine, qui garantit ses privilèges à condition qu’elle ne fasse rien pour déstabiliser son pouvoir.

L’attitude des dirigeants du PCFR a généré un malaise croissant dans les rangs du parti. Il y a eu plusieurs révoltes locales et régionales, qui ont été réprimées par des purges et des exclusions. Des organisations régionales entières ont ainsi été détruites. Zyouganov craint la possibilité d’une montée du sentiment d’opposition radicale au sein du parti. Et une telle augmentation de l’opposition et l’accroissement de la crise au sein du parti communiste ouvrent la possibilité de renforcer une véritable influence marxiste parmi les communistes de base.

La trêve précaire que l’on observe actuellement peut éventuellement durer plusieurs mois, voire même plusieurs années. Mais ce report ne fera que prolonger la croissance des contradictions, et préparer une explosion encore plus considérable à l’avenir. Dans cette équation, l’élément primordial reste la classe ouvrière russe, qui a encore le dernier mot à dire.

Il est impossible de prédire le calendrier précis des événements. La Russie n’est pas encore entrée dans une situation pré-révolutionnaire, mais les événements se succèdent à toute vitesse. Nous devons suivre les événements dans ce pays et les progrès des marxistes russes avec beaucoup d’attention.

L’Inde

En Inde, nous avons pu observer ce qui s’apparente en substance à un mouvement insurrectionnel des fermiers, qui ont mis en place une manifestation de tracteurs pour perturber la fête nationale le 26 janvier à Delhi, pendant laquelle Modi célébrait la journée par une immense parade militaire.

Ces événements doivent être replacés dans le contexte de la crise mondiale du capitalisme. Dans la concurrence impitoyable du secteur agricole, les grandes firmes multinationales de l’alimentaire s’évertuent à baisser les prix que les petits ou moyens fermiers touchent pour leurs produits, au niveau de la production.

La mise en concurrence de l’agriculture indienne n’est pas une nouveauté. Cela dure depuis des années, comme on l’a vu sous le gouvernement précédent de Manmohan Singh. Le capital financier a pénétré le marché agricole indien à grande échelle, et a forcé les fermiers à recourir de plus en plus à des crédits, jusqu’à un degré insupportable, afin d’acheter des ressources agricoles essentielles, dont les coûts ont explosé.

Dès que les nouvelles lois ont été mises en application, les prix payés aux fermiers ont été coupés de moitié, alors que les prix du commerce alimentaire de détail augmentaient. C’est cette situation intolérable qui a mené à ce grand mouvement des agriculteurs indiens. Ils réclament l’abrogation de ces nouvelles lois. Mais aucune de leurs revendications n’a été satisfaite, et aucune de ces questions n’a été résolue pendant les pourparlers.

Ce qui a commencé en août 2020 sous la forme de manifestations limitées dans le Pendjab, quand les Lois sur les Fermes de Modi ont été rendues publiques, a grandi jusqu’à devenir un mouvement beaucoup plus large, étendu à d’autres Etats. En septembre 2020, les syndicats agricoles de toute l’Inde ont appelé à un Bharat Bandh (une grève générale dans tout le pays). Le mouvement a continué de progresser, alors que les discussions interminables avec le gouvernement ne donnaient aucun résultat tangible. En décembre 2020, 5 millions de personnes ont pris part à des manifestations à 20 000 endroits différents.

Un tournant important dans ce mouvement se déroula avec les événements dramatiques du 26 janvier, quand des centaines de milliers de fermiers marchèrent sur Delhi pour faire entendre leurs revendications. Les paysans ont forcé le passage depuis les banlieues de la ville jusqu’au monument historique du Fort Rouge. Ces pauvres gens ont fait preuve d’un courage immense, en se battant contre une police lourdement armée, qui les fouettait et les frappait.

Malgré cette lourde répression policière, les agriculteurs ont pris d’assaut le Fort Rouge, et en ont occupé les remparts. La police a dû déployer des efforts énormes pour les déloger. Un manifestant est mort, et plus de 300 policiers ont été blessés. Cela n’a fait qu’accroître la colère des fermiers, et de mobiliser encore davantage de manifestants de plusieurs autres Etats en solidarité avec le mouvement.

L’ampleur de cette lutte reflète aussi la fermentation existante dans toute la société, même dans les zones rurales, où des couches réputées relativement conservatrices passent à l’action et se radicalisent sous l’impact de la crise économique.

Il n’y a pas si longtemps, quand Modi a gagné les élections, les « gauches » et les ex-« gauches » se lamentaient de la montée du « fascisme » en Inde. Notre tendance avait pourtant compris que Modi au pouvoir préparerait les conditions d’une réaction à grande échelle. Loin du fascisme, nous assistons à une polarisation de classes et une intense lutte de classe.

Le rôle des staliniens

Modi a clairement été secoué par le soulèvement paysan, qui a donné un aperçu de la colère accumulée des masses. Mais la faiblesse du mouvement en Inde tient à la direction des syndicats, qui n’a pas su organiser sérieusement la puissante classe ouvrière du pays pour soutenir les agriculteurs.

Cela se déroule alors que l’on a assisté ces dernières années à des mobilisations massives du prolétariat indien, avec plusieurs immenses grèves générales de 24 heures, mobilisant jusqu’à 200 millions de travailleurs – les plus grandes grèves générales de l’histoire de la classe ouvrière internationale.

En septembre 2016, entre 150 et 180 millions de travailleurs du secteur public ont mené une grève générale de 24 heures. En 2019, près de 220 millions de travailleurs ont participé à une grève générale, et en janvier 2020 à nouveau, 250 millions d’entre eux sont entrés dans une grève générale de 24 heures.

Ces faits démontrent le potentiel révolutionnaire colossal du prolétariat indien : les travailleurs sont prêts à se battre. Néanmoins, les dirigeants staliniens n’ont pas voulu mobiliser les masses pour une confrontation décisive avec le régime de Modi. Ils se sont contentés de s’appuyer sur le mouvement de masse pour obtenir des concessions et des accords avec Modi.

En pratique, ils ont eu recours à la tactique des grèves de 24 heures pour « relâcher de la pression », en orientant la colère des masses vers des canaux inoffensifs. C’est la même tactique qui avait été utilisée par les dirigeants syndicaux en Grèce, avec des appels à toute une série de grèves générales de 24 heures. Cette manœuvre permet d’épuiser les travailleurs, et transforme la grève générale en une gesticulation futile, qui donne l’illusion de mener une action décisive, mais en réalité fragilise la mobilisation.

Le slogan de la grève générale

En Inde, objectivement, toutes les conditions sont réunies pour une grève générale illimitée. Les partis communistes et les dirigeants syndicaux auraient déjà pu jouer un rôle central dans son déclenchement, mais ils traînent des pieds. Ils auraient pu renverser le gouvernement Modi et mettre fin à sa politique réactionnaire, mais ils ne l’ont pas fait. A la place, ils multiplient les déclarations symboliques sans appeler sérieusement à l’action.

Cela ne fait que souligner le besoin urgent de construire les forces du marxisme en Inde. Mais nous devons garder le sens des proportions. Notre organisation n’en est encore qu’à ses débuts. Surestimer nos capacités serait une erreur fatale.

Notre tâche n’est pas de diriger le mouvement ni de gagner les masses, mais de travailler patiemment pour gagner à nous les meilleurs éléments, les militants les plus révolutionnaires – ceux qui deviennent impatients face aux tergiversations et aux vacillements de la direction.

Nous devons mettre en avant des revendications transitoires opportunes, qui correspondent aux besoins urgents de la situation et font avancer le mouvement, tout en révélant la conduite passive de la direction.

La lutte des fermiers a eu un écho dans les usines. Poussés par le mouvement, les dirigeants syndicaux ont commencé à évoquer l’idée d’une grève générale de quatre jours. Nous soutenons l’idée, mais les mots ne suffisent pas : il faut passer à l’action !

Nous devons dire : très bien, organisons une grève de quatre jours, mais parlons moins et agissons plus ! Fixez une date ! Lancez une campagne dans les usines. Convoquer des meetings de masse, formez des comités de grève. Ralliez les agriculteurs, les femmes, les jeunes, les chômeurs, et les couches opprimées de la société. Et liez ces organes de lutte de la base entre eux, à l’échelle des villes, des régions, jusqu’au niveau national. Autrement dit, organisez des soviets dans le but de transférer le pouvoir aux ouvriers et aux paysans.

Quand les masses de l’Inde seront organisées pour la prise du pouvoir, aucune force sur terre ne pourra les arrêter. Une grève générale de quatre jours se transformerait rapidement en une grève générale illimitée. Mais cela pose la question du pouvoir.

C’est cette perspective que nous devons patiemment expliquer aux ouvriers et aux paysans indiens. Ainsi, malgré notre petite taille, notre message saura toucher les travailleurs et les jeunes les plus avancés qui sont à la recherche d’une voie révolutionnaire.

Notre tâche est de gagner et de former suffisamment de cadres révolutionnaires, pour pouvoir intervenir efficacement dans les événements cruciaux qui se dérouleront dans la période à venir.

Myanmar

Le coup d’Etat militaire au Myanmar confirme que nous vivons une période de « changements brusques et soudains. » Le coup d’Etat a été une surprise pour beaucoup. L’armée avait rédigé une constitution qui leur garantissait 25 % des députés et le contrôle des ministères clés. Elle avait aussi inséré une clause qui leur permettait d’intervenir en cas « d’urgence ».

Mais où était l’urgence ici ? L’armée en a inventé une en dénonçant une imaginaire fraude électorale massive après l’écrasante victoire d’Aung San Suu Kyi et de la Ligue Nationale pour la Démocratie, en novembre 2020.

La véritable raison de ce coup d’Etat est la lutte persistante pour savoir qui devrait bénéficier du programme de privatisation commencé en 1988. Depuis lors, les officiers de l’armée ont été occupés à s’enrichir en s’accaparant des propriétés d’Etat à des prix défiant toute concurrence. D’un autre côté, les impérialistes, et en particulier les Etats-Unis, font pression pour que le Myanmar ouvre son marché aux multinationales.

Le problème auquel les impérialistes font face est que la puissance étrangère dominante au Myanmar est la Chine. La plus large part des exportations du Myanmar et de ses importations se fait avec la Chine. Donc, ce que nous avons là est une lutte pour une sphère d’influence, entre la Chine et les Etats-Unis, où Aung San Suu Kyi est l’agent de ces derniers.

Les chefs militaires se sont transformés en oligarques capitalistes, et ont vu la victoire écrasante de la LND comme une menace potentielle contre leurs intérêts. Les militaires sont haïs des masses, et la caste des officiers craignait qu’avec un tel soutien, le nouveau gouvernement ne restreigne leur pouvoir et leurs privilèges.

Les militaires craignaient aussi la confiance croissante des masses en elles-mêmes après les élections. Habitués par le passé à gouverner autoritairement le pays, ils pensaient pouvoir intervenir et imposer leur volonté. Cependant, ils n’ont pas pris en compte à quel point l’opposition aux militaires est forte. Les masses n’ont pas oublié comment était la vie sous leur règne, et elles voient la caste des militaires comme corrompue et cupide.

Nous avons ici un exemple de ce que Marx appelait le « fouet de la contre-révolution. » Le coup d’Etat, au lieu de terroriser et de paralyser les masses, les a stimulées. La perspective au Myanmar est donc une intensification de la lutte de classes, et non la paralysie ou la démoralisation.

La Chine

Auparavant, la Chine était une grande partie de la solution pour le capitalisme mondial, elle est désormais une grosse part du problème.

La Chine est la seule économie importante à avoir connu de la croissance en 2020. L’Etat chinois est intervenu de façon décisive pour contrer à la fois la pandémie et la crise économique. Cela a fonctionné du point de vue des capitalistes, mais le prix à payer a été cher. Les niveaux d’endettement de la Chine ont explosé depuis 2008, augmentant de 30 % pendant la pandémie et atteignant 285 % en 2020. Le pays a désormais dépassé de nombreux pays capitalistes en termes d’endettement.

La Banque mondiale prévoit une croissance de 8 % cette année. Depuis le printemps de l’année dernière, la Chine a enregistré des performances supérieures à celles du reste du monde. Mais ce succès même fera sa perte car sa reprise est tirée par les exportations. Les autorités de Pékin tentent depuis un certain temps de modifier la structure de l’économie chinoise, qui dépend fortement des investissements et des exportations, pour stimuler la demande intérieure. Elles ont également tenté de développer des industries dans les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, la 5G et l’énergie solaire, dont la productivité du travail est plus élevée. Ils tentent également de développer des accords commerciaux alternatifs pour contrer les tentatives américaines d’isoler la Chine.

Aucune de ces mesures ne résoudra les contradictions qui se développent dans l’économie chinoise. En fait, depuis le début de la pandémie, l’économie est devenue encore plus dépendante des exportations. En outre, la dette continue de croître de manière explosive, les conflits avec les voisins et les autres puissances impériales s’intensifient, et l’inégalité de la croissance se poursuit, les zones côtières devançant largement l’intérieur du pays. Tout cela va aggraver les contradictions sociales déjà existantes.

C’est une recette pour de nouvelles contradictions qui menacent la stabilité, non seulement de la Chine, mais aussi du reste du monde. La Chine intervient de façon agressive sur le marché mondial et devra intervenir encore plus agressivement, profitant de la crise dans le reste du monde. Cela signifie inévitablement de plus grandes tensions entre la Chine et les Etats-Unis, qui voient la Chine comme le principal danger pour leur économie et leur rôle mondial.

Ce n’est pas un hasard si, dans ses derniers jours, l’administration Trump a adopté une politique de la « terre brûlée » à l’égard de la Chine, mais sous Biden, la politique américaine envers la Chine ne changera pas fondamentalement. Les Républicains comme les Démocrates considèrent la Chine comme la principale menace pour les Etats-Unis à l’échelle mondiale.

Le conflit entre les Etats-Unis et la Chine menace de faire éclater une guerre commerciale encore plus grave. C’est la plus grande menace pour le capitalisme mondial aujourd’hui, car c’est la croissance du commerce mondial (la soi-disant « mondialisation ») qui a fourni l’oxygène nécessaire au capitalisme au cours de la dernière période.

Cela aura en retour des conséquences en Chine. Une crise économique constituerait une grave menace à sa stabilité sociale. Il y a déjà eu des fermetures d’usines et du chômage, qui ont été dissimulés, mais qui existent. Les entreprises privées ont fait peser le poids de leurs problèmes sur leurs travailleurs par des licenciements et des baisses de salaires. Le paiement des salaires est retardé de plusieurs mois, faisant croître une colère et un ressentiment colossal.

La classe dirigeante craint la possibilité d’explosions sociales comme résultats de la crise économique et de la croissance du chômage. C’est la raison principale pour laquelle Xi Jinping a été obligé de prendre des mesures drastiques à Hong Kong. Ce n’était pas une démonstration de force, mais de peur et de faiblesse. La classe dirigeante chinoise était terrifiée à l’idée que ce type de mouvement puisse se répandre dans le reste du pays, et il le fera dans le futur, comme le jour succède à la nuit.

Le régime a réussi pour l’instant à contenir le mécontentement bouillonnant dans toute la Chine. Mais il peut exploser à tout moment, et quand cela arrivera il ne sera pas possible de le réprimer comme à Hong Kong. Même là, le régime a perdu le contrôle des événements pendant un moment. Mais face à des centaines ou un millier de Hong Kong en Chine continentale, il sera immédiatement privé de tout appui.

De grands événements se préparent en Chine. Ils surgiront quand personne ne les attendra, précisément parce qu’il s’agit d’un régime totalitaire, où la plupart de ce qui se passe est dissimulé.

Des rapports de force bouleversés

Ce qui a permis aux Etats-Unis de sortir de la Dépression des années 1930 n’est pas le « New Deal » de Roosevelt, mais bien la Seconde Guerre mondiale. Cette option est aujourd’hui impossible. Le pouvoir de l’impérialisme américain a subi un déclin relatif par rapport aux autres grandes puissances, tout comme sa capacité à intervenir militairement.

Le besoin de conquérir des marchés et de mettre la main sur des matières premières force la Chine à se montrer plus agressive sur le marché mondial. Elle s’est accaparé l’accès à des ressources dans de nombreux pays. La Chine a par exemple pris possession d’un aéroport et d’un port au Sri Lanka, établi une base militaire à Djibouti, construit des chemins de fer en Ethiopie, obtenu du cuivre et du cobalt au Congo, du cuivre en Zambie, du pétrole en Angola, et la liste est encore longue. Elle proclame également sa souveraineté sur la mer de Chine méridionale, la voie la plus importante du commerce international.

Cela menace directement les intérêts de l’impérialisme américain. Tout ceci ne fait qu’aggraver les tensions entre la Chine et les Etats-Unis. Une telle situation aurait certainement déclenché une guerre dans les périodes précédentes, mais l’équilibre des forces est à présent totalement changé.

Trump n’a pas réussi à forcer la Corée du Nord à abandonner les armes nucléaires. Kim Jong Un, « le petit homme-fusée » comme le surnomme Trump, l’a mené en bateau. Mais alors pourquoi les Etats-Unis ne déclarent-ils pas la guerre au minuscule pays qu’est la Corée du Nord ?

Les Etats-Unis se sont déjà engagés dans une guerre en Corée sans en sortir vainqueurs. Au Vietnam, au prix de milliards de dollars et de dizaines de milliers de vies, ils subissaient leur première défaite. Ils ont été ensuite humiliés en Irak, en Afghanistan puis en Syrie.

Trump semblait préparer une frappe aérienne contre l’Iran, mais a reculé au dernier moment, par peur des conséquences. Tout cela souligne le fait que la guerre n’est pas une question abstraite, et qu’elle est au contraire on ne peut plus concrète.

Les Etats-Unis ne sont pas parvenus à défendre l’Ukraine ou la Géorgie contre la Russie, dont l’armée a démontré son efficacité en Syrie. Les Etats-Unis y ont été contraints de se retirer, en laissant à la Russie et à l’Iran un pouvoir presque total sur le pays. Les Américains ont envoyé quelques troupes dans les pays baltes pour les « protéger » de la Russie, mais Poutine n’a aucune intention d’envahir ces Etats, et cette manœuvre ne l’empêche certainement pas de dormir.

Le cas de la Chine est encore plus simple. Ce n’est plus un pays pauvre et sous-développé comme elle l’était par le passé. C’est à présent un Etat à l’économie développée doté d’une armée puissante, d’armes nucléaires et de suffisamment de missiles intercontinentaux pour frapper comme elle le souhaite n’importe quelle ville aux Etats-Unis.

Le fait que la Chine ait récemment envoyé un satellite en orbite autour de la Lune ainsi qu’une mission sur Mars en est la preuve, et Washington le sait pertinemment. Il ne peut donc aucunement être question de guerre entre les Etats-Unis et la Chine dans le futur proche, pas plus qu’entre les Etats-Unis et la Russie.

Un embrasement sur le modèle de celui de 1914-1918 ou de 1939-1945 est exclu à cause de ces changements dans les rapports de forces. Dans des conditions modernes, cela signifierait une guerre nucléaire, qui serait catastrophique pour le monde entier.

Cependant, ceci ne signifie pas que la prochaine période sera paisible, bien au contraire. Les guerres seront incessantes – des petites, mais dévastatrices guerres localisées – en Afrique et au Moyen-Orient en particulier. Les impérialistes américains, main dans la main avec les autres puissances impérialistes, ont été impliqués dans des guerres régionales en soutenant des armées locales pour mener une guerre par procuration à leurs concurrents, et ils feront de même contre la Chine à l’avenir. Ils sont en effet très réticents à l’idée de risquer la vie de soldats américains à l’étranger, ce à quoi leur opinion publique est foncièrement opposée.

Cette situation ne pourrait changer que dans le cas de la victoire d’un régime bonapartiste militaro-policier aux Etats-Unis, mais ceci ne pourrait avoir lieu qu’après une série de défaites décisives pour la classe ouvrière américaine, ce qui ne fait pas du tout partie de nos perspectives. Bien avant que cette possibilité n’apparaisse, la classe ouvrière aura eu de nombreuses opportunités de prendre le pouvoir. Les bêlements constants de la soi-disant gauche et des sectes sur le fascisme dont Trump serait le représentant ne sont que des enfantillages, et nous devons n’y accorder aucune attention.

A l’heure actuelle, l’impérialisme américain se sert de sa puissance économique pour maintenir sa domination globale. L’administration Trump a plusieurs fois eu recours à la menace de sanctions économiques pour forcer le reste du monde à suivre docilement les politiques écrites à Washington dans le domaine des affaires étrangères. L’impérialisme américain a transformé le commerce en une arme.

Après avoir unilatéralement rompu le traité avec l’Iran, que la précédente administration américaine ainsi que ses alliés européens avaient eu de grandes difficultés à mettre en place, Trump a durci les sanctions de façon à étouffer l’économie iranienne, puis a forcé les entreprises et les banques européennes à faire de même sous peine d’exclusion des marchés américains.

Par le passé, lorsque les impérialistes britanniques rencontraient un problème avec un pays semi-colonial comme la Perse, ils envoyaient une canonnière. De nos jours, l’impérialisme américain envoie une lettre de la commission du commerce. Et ses effets sont bien plus dévastateurs que quelques obus tirés depuis un navire de guerre.

Clausewitz disait que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Nous pouvons ajouter que le commerce est une continuation de la guerre par d’autres moyens.

L’économie magique

Quand la classe dirigeante se trouve confrontée à la possibilité de tout perdre, elle a recours à des mesures extrêmes pour sauver le système. C’est ce dont nous sommes témoins en ce moment. Dans leur quête acharnée pour trouver des solutions à la crise, les bourgeois tanguent comme un homme saoul se traîne d’un lampadaire à l’autre.

Ils ont fouillé dans les poubelles de l’histoire et en ont exhumé les vieilles idées du keynésianisme. La bourgeoisie s’est subitement enivrée de ses nouvelles chimères, qui ne sont que de vieilles théories discréditées qu’elle avait elle-même rejetées auparavant avec mépris.

Ted Grant décrivait le keynésianisme comme de l’économie magique. La description est très juste. L’idée que les bourgeois pourraient éviter ou régler des crises en injectant de larges sommes d’argent public semble séduisante – en particulier aux réformistes de gauche, que cela dispense de la nécessité de se battre pour changer la société. Mais il reste un léger problème.

L’Etat n’est pas un arbre sur lequel pousse de l’argent magique. L’idée qu’il pourrait être une source de fonds illimités est une absurdité totale. Pourtant cette absurdité a été adoptée par pratiquement tous les gouvernements. C’est une mesure prise par pur désespoir. Elle a mené à l’accumulation de dettes astronomiques sans précédent excepté en temps de guerre.

En ce moment, partout dans le monde, les gouvernements dépensent sans compter. Ils parlent de dépenser des milliards de dollars, de livres ou d’euros comme s’ils dépensaient de la petite monnaie pour acheter des broutilles.

Par conséquent, la dette devient une bombe à retardement, imbriquée dans les fondations de l’économie. A long terme, ses effets seront plus dévastateurs que n’importe quel attentat terroriste. C’est ce qu’Alan Greenspan désigna un jour comme « l’exubérance irrationnelle du marché ».

Une terminologie plus appropriée serait « folie ». Cette folie entraînera une chute, que l’on désigne sous l’euphémisme de « correction » des marchés.

Le rôle de l’Etat dans l’économie

Le 8 mai 2020, le Financial Times publiait un éditorial signé de son comité de rédaction dans lequel on pouvait lire :

« en dehors d’une révolution communiste, il est difficile d’imaginer comment les gouvernements auraient pu intervenir dans les marchés privés – pour tout ce qui touche au travail, le crédit, l’échange de marchandises et de services – aussi rapidement et profondément que pendant les deux derniers mois du confinement ».

« Du jour au lendemain, des millions d’employés du secteur privé ont reçu leur salaire du budget public et les banques centrales ont inondé les marchés financiers d’argent électronique. »

Mais comment réconcilier ces déclarations avec le mantra, répété à l’envi, selon lequel l’Etat n’a absolument aucun rôle à jouer dans une « économie de marché ? » Le Financial Times donne une réponse très intéressante à cette question :

« … Mais le capitalisme libéral démocratique n’est pas autosuffisant, et doit être protégé et entretenu pour pouvoir rester résilient. »

En d’autres termes, le « marché libre » n’est pas libre du tout. Dans les conditions actuelles, il doit s’appuyer sur l’Etat comme sur une béquille. Il ne peut exister que grâce à des aides financières sans précédent accordées par l’Etat. Le FMI estime le montant total des aides fiscales dans le monde au chiffre ahurissant de 14 000 milliards de dollars. La dette totale des gouvernements vient d’atteindre 99 % du PIB mondial pour la première fois de l’histoire.

C’est un aveu de faillite – dans son sens le plus littéral. Le problème central de cette équation peut être résumé par un seul mot : la dette. À la fin de 2020, la dette totale mondiale (y compris le gouvernement, les ménages et les entreprises) a atteint 356 % du PIB, soit une hausse de 35 points depuis 2019, atteignant le record de 281 000 milliards de dollars. Et ce chiffre ne cesse d’augmenter. C’est le plus grand danger qui menace le système capitaliste.

Le Japon a dépensé à peu près 3 000 milliards de dollars pour amortir le choc économique du COVID-19. Cette somme s’ajoute à sa dette publique, qui fait déjà 2,5 fois la taille de son économie. Le problème est particulièrement grave en Chine, où la dette totale a dépassé les 280 % du PIB, ce qui met la Chine au niveau des pays capitalistes les plus développés, et cette dette augmente rapidement dans tous les secteurs de l’économie.

Au mois de janvier dernier, la Banque Mondiale tirait la sonnette d’alarme au sujet d’une « quatrième vague de dette », particulièrement sévère en dehors des pays capitalistes les plus développés. Ils redoutent particulièrement un krach financier qui aurait des conséquences à long terme.

Les bourgeois se comportent comme des joueurs irresponsables qui vont dépenser d’énormes sommes d’argent qu’ils ne possèdent pas. Ils souffrent des mêmes illusions et font l’expérience du même genre d’extase délirante en dilapidant de grosses sommes d’argent, tout en étant persuadés que leur chance ne s’arrêtera jamais… jusqu’à ce que le moment fatal se produise – comme c’est toujours le cas – au moment où les dettes doivent être payées.

Tôt ou tard, ces dettes les rattraperont. Mais à court terme, ils sont parfaitement heureux de poursuivre cette folie, en faisant tourner la planche à billets sans réelles garanties et en engloutissant l’économie sous des amas colossaux de capital fictif.

Cependant, il ne s’agit pas simplement d’une « crise de la dette », comme le prétendent certains libéraux et réformistes. Le véritable problème est la crise du capitalisme – une crise de surproduction, dont ces énormes dettes sont un symptôme. Les dettes importantes ne sont pas nécessairement un problème en soi. S’il y avait une forte croissance économique à long terme, comme dans la période d’après-guerre, alors ces dettes pourraient être gérées et progressivement éliminées. Mais une telle perspective est exclue. Le système capitaliste n’est pas dans une ère d’essor économique, mais de stagnation et de déclin. Par conséquent, le fardeau de la dette va devenir un frein de plus en plus énorme sur l’économie mondiale. La seule façon de réduire ce problème est de recourir à l’austérité, à l’inflation, qui se terminera à son tour par un effondrement et une nouvelle période d’austérité, ou encore à un défaut de paiement direct. Mais chacune de ces variantes conduirait à une plus grande instabilité et à une intensification de la lutte des classes.

Une reprise est-elle possible ?

Emportés par cette euphorie, ils vont jusqu’à publier des articles qui annoncent un rebond certain - pas une simple reprise, mais un essor exceptionnel. Dans les colonnes de la presse bourgeoise, on peut lire des pronostics convaincus d’une embellie. Ces pronostics remplis d’optimisme sont dramatiquement éloignés de réalités matérielles.

La crise actuelle se différencie des crises précédentes à plusieurs égards. Tout d’abord, elle est inextricablement liée à la pandémie du coronavirus, et personne ne peut prédire avec la moindre certitude combien de temps celle-ci va durer.

Pour toutes ces raisons, les pronostics économiques du FMI et de la Banque Mondiale ne peuvent être abordés que comme de simples conjectures.

Mais cela veut-il dire qu’une reprise est exclue ? Non, ce serait une erreur de tirer une telle conclusion. En fait, à un moment donné, une quelconque forme de reprise sera inévitable. Le capitalisme a toujours fonctionné par une succession de phases d’expansion et de crises. La pandémie a désaxé le cycle économique, mais ne l’a pas aboli.

Lénine expliquait que le système capitaliste se tirera toujours même de la pire crise qui soit. Il continuera à exister jusqu’à ce qu’il soit renversé par la classe ouvrière. Tôt ou tard, il finira par sortir aussi de la crise actuelle. Mais en disant cela, on en dit à la fois trop et trop peu.

La question doit être posée de manière concrète, sur la base de ce que nous savons déjà. La nature exacte de ces phases d’expansion et de ces crises peut varier considérablement. La question qu’il faut se poser est donc la suivante : de quelle sorte de reprise parlons-nous ?

S’agira-t-il de l’amorce d’une période durable de croissance et de prospérité ? Ou bien simplement une parenthèse temporaire entre deux crises ? Les théories les plus optimistes se basent sur l’existence d’une « demande contenue » (au moins dans les économies capitalistes les plus avancées).

Pendant la pandémie, les gens ne pouvaient pas dépenser beaucoup d’argent sur des marchandises, les restaurants, cafés et bars ou les voyages à l’étranger. La fin de la pandémie – d’après cette théorie – peut servir à libérer ces fonds inutilisés, et à engager dans l’économie un mouvement haussier important et un regain de confiance. Cette donnée, si on y ajoute de vastes apports d’argent public, peut mener à une reprise rapide.

La reprise et la lutte de classes

Admettons, un instant, qu’un tel scénario ne puisse pas être écarté à priori. Quelles en seraient les conséquences ? De notre point de vue, une telle évolution ne serait pas totalement négative. La pandémie et la hausse du chômage qui en a découlé ont assommé la classe ouvrière et provoqué une certaine paralysie.

Elle a servi de dissuasion pour empêcher des grèves et d’autres formes d’action de masse, et a permis aux gouvernements de mettre en place des mesures anti-démocratiques sous prétexte de « combattre le Covid-19 » 

Mais même une légère reprise économique, avec une baisse du chômage, combinée avec les effets de la fin de la pandémie, aurait pour effet de ranimer la lutte économique, les travailleurs tentant alors de retrouver tout ce qu’ils ont perdu au cours de la période précédente.

Une telle reprise ne serait pourtant que temporaire et particulièrement instable, car elle reposerait sur une base très précaire et artificielle. Elle porterait en elle les germes de sa propre destruction. Et plus elle prendra de l’ampleur, plus dure sera la chute.

De plus, cette reprise serait aussi inégale, avec une Chine qui ferait probablement la course en tête au détriment des Etats-Unis, avec une Europe à la traîne. Cela contribuerait à exacerber davantage les tensions entre la Chine et les Etats-Unis, et également entre la Chine et l’Europe, et mènerait à une escalade dans la guerre commerciale et une course pour s’emparer des marchés raréfiés, ce qui fragiliserait davantage le commerce mondial et restreindrait l’économie.

C’est là le plus grand danger qui guette le capitalisme mondial. Rappelons-nous que la Grande Dépression n’a pas été causée par le krach boursier de 1929, mais par les politiques protectionnistes qui ont suivi.

Les « Années folles »

Quand les économistes prédisent un net rebond à la sortie de la pandémie, ils font souvent le parallèle avec les « Années folles ». Mais ce parallèle est particulièrement fragile et les conclusions que nous pouvons en tirer ne sont guère encourageantes du point de vue capitaliste.

Il est vrai qu’après 1924, il y a eu une reprise fébrile, caractérisée par une spéculation boursière massive qui produisit une quantité énorme de capital fictif. Mais il ne faut pas oublier qu’elle s’est terminée par le krach de 1929.

Il se peut très bien que nous vivions une situation identique. Avec une différence majeure : Les quantités records de capital fictif produites actuellement sont bien plus importantes que pendant les « Années folles » - en fait, plus importantes qu’à n’importe quelle période de l’histoire en temps de paix. Quand la chute arrivera – car elle arrivera –, elle n’en sera que d’autant plus profonde.

Les bourgeois ont oublié un petit détail. L’argent doit représenter des valeurs réelles, sous peine de n’être que de petits bouts de papier – des reconnaissances de dettes dont la promesse ne sera jamais tenue. A l’origine, on utilisait l’étalon-or pour garantir les billets de banque. Chaque nation devait garder un stock d’or dans ses coffres, et en théorie, chacun devait pouvoir exiger la valeur de ses billets en or.

Pourtant, en pratique, cela s’avéra impossible. Au fil du temps, les gens finirent par accepter qu’un dollar, une livre ou un euro « était aussi bon que l’or ». Bien sûr, cela aurait pu être autre chose. Avant l’or, c’était l’argent. Auparavant, cela pouvait être pratiquement tout, la production par exemple. Mais à moins d’être adossée à une valeur matérielle quelconque, ce ne sont que des bouts de papier inutiles.

Quand le lien avec l’or a été rompu par l’abolition de l’étalon-or, les gouvernements et les banquiers centraux ont pu émettre autant de papier-monnaie qu’ils le voulaient. Mais en injectant de larges quantités de ce qui revient à du capital fictif dans l’économie, le rapport entre la quantité d’argent en circulation et les biens et services qu’elle peut acheter est faussé. Dans l’économie des Etats-Unis, mesurée par l’agrégat M2, l’offre monétaire a augmenté de la somme ahurissante de 4 000 milliards de dollars en 2020. Ce qui constitue une augmentation de 26 % en un an – l’augmentation annuelle la plus importante depuis 1943. Cela finira forcément par s’exprimer par une flambée de l’inflation.

Ce fait est sciemment ignoré par les dirigeants politiques, les économistes et les banquiers centraux. Ils font remarquer que, pour l’instant, les craintes liées à l’inflation ne se sont pas concrétisées. C’est correct et cela traduit le profond recul de la demande – qui est un symptôme de la gravité de la crise. Comme elle ne trouve pas de débouchés dans les prix à la consommation, la pression inflationniste a nourri des bulles spéculatives sur le cours des actions, les crypto-monnaies, etc. Mais cette situation ne peut pas durer. L’euphorie initiale des investisseurs se transformera en son contraire.

Au cours de la période précédant la crise de 2008, l’inflation a été contenue par d’autres facteurs, notamment la croissance du commerce mondial, les nouvelles technologies et la recherche d’une main-d’œuvre à bas coût dans le soi-disant tiers monde. Ces éléments, qui ont joué un rôle important pendant près de 30 ans, se sont dans une large mesure épuisés au cours de la période plus récente. La croissance du commerce mondial a considérablement diminué depuis plusieurs années et les nouvelles technologies, qui ont permis une réduction significative des coûts de production, ont atteint un point de saturation.

Ce n’est pas un hasard si toutes les statistiques sur le commerce mondial semblent montrer une tendance à l’internalisation, c’est-à-dire à un retour à la production dans les pays capitalistes d’origine. Cette tendance s’est affirmée spontanément à travers les choix stratégiques des multinationales, mais elle a aussi été objectivement renforcée par les politiques protectionnistes de Trump et d’autres gouvernements impérialistes.

Après la crise de 2007, nous avons assisté à une expansion basée sur le crédit dans le cadre d’un régime d’austérité, qui avait un caractère très différent de celui d’aujourd’hui : dans le passé, l’argent servait à recapitaliser les banques, les compagnies d’assurance et les entreprises qui étaient au bord de la faillite, ou bien il allait à la Bourse ou à la spéculation immobilière, mais sans élargir la base de la consommation de masse.

Aujourd’hui, la situation a changé : l’effet combiné de ces nouvelles tendances est une recette pour l’inflation, et pose une série de questions d’un intérêt extrême, qui sont également discutées dans les plus hautes sphères de la classe dirigeante. La plus importante est de savoir ce qui se passera lorsque les banques centrales devront augmenter les taux d’intérêt et cesser d’acheter des obligations à haut risque (junk bonds) sur le marché pour contenir l’inflation croissante.

Paradoxalement, l’inflation est une sorte de « solution » capitaliste à la crise de la dette, dans la mesure où une hausse de l’inflation et des prix dévaloriserait la dette. Mais elle s’accompagne d’énormes coûts économiques et sociaux. Et une fois qu’elle a décollé, il devient très difficile de la maîtriser à nouveau. Dans les années 1970, Ted Grant expliquait que la bourgeoisie, alarmée par la montée de l’inflation, chevauchait un tigre, et que le problème était de savoir comment en descendre sans être dévoré.

Aujourd’hui, ces tentatives de contourner la plus grave crise de surproduction jamais vue avec ce que Marx appelait « les astuces de la circulation » sont un jeu très dangereux. Ici, nous avons dépassé Keynes de loin : Le keynésianisme demande à l’Etat de s’endetter en émettant des obligations ; ce qui est proposé aujourd’hui est qualitativement différent, c’est-à-dire suivre les suggestions folles de la théorie monétaire moderne (TMM) et donc imprimer de l’argent de façon illimitée.

Ce qui représente un véritable changement qualitatif dans le système capitaliste, c’est qu’une théorie complètement irrationnelle comme la TMM se retrouve dans la position privilégiée de conditionner, voire de déterminer, les choix économiques de la première puissance impérialiste du monde !

Cette question ne concerne pas seulement les Etats-Unis. Cette tendance est désormais mondiale. Récemment, l’ancien vice-gouverneur de la Banque du Japon, Kikuo Iwata, a affirmé que le Japon devait augmenter les dépenses fiscales en augmentant la dette du secteur public, financée par la banque centrale. Cette proposition de « monnaie hélicoptère » est présentée comme remède à la faible croissance et repose sur l’idée que la demande devrait être stimulée simplement en imprimant plus d’argent. Ce sont exactement les revendications de la TMM, auxquelles Draghi a également accordé du crédit en 2016, lorsqu’il était président de la BCE, bien que les contradictions internes de l’UE ne lui offrent pas les mêmes marges de manœuvre que les Etats-Unis et le Japon.

Même s’il n’est pas possible de savoir exactement comment cette crise se développera, à un moment donné, les tensions causées par les énormes dettes accumulées provoqueront une panique. Les taux d’intérêt devront augmenter drastiquement pour lutter contre l’inflation. L’afflux du crédit bon marché, qui maintient le système à flot jusqu’à aujourd’hui, se tarira du jour au lendemain. Les banques arrêteront de prêter aux petites et moyennes entreprises, qui feront faillite.

Comme en 1929, les réalités économiques jetteront un seau d’eau glacée sur « l’exubérance irrationnelle » des investisseurs. Il va sans dire qu’il y aura une panique dans les marchés boursiers du monde entier. Les investisseurs vendront leurs actions à perte, et provoqueront une chute libre inéluctable.

Les investisseurs voient déjà les dettes colossales s’accumuler aux Etats-Unis, et commencent à se poser la question de savoir si le dollar vaut vraiment autant qu’on le dit. Plus tard, à moins que des mesures correctives sévères ne soient prises, ce sera la course pour se débarrasser du dollar, et une chute abrupte de la valeur du dollar créera un effet domino sur les autres monnaies, générant le chaos dans les marchés monétaires internationaux.

Les capitalistes tenteront de se réfugier dans la sécurité de l’or, l’argent et le platine. Ce sera le prélude à une grave crise dans l’économie réelle, avec un effondrement de l’investissement, un assèchement du crédit et, en conséquence, une onde de choc de faillites, de fermetures d’usine et de chômage.

Enfin, la crise frappera les banques elles-mêmes. L’effondrement d’une seule des grandes banques peut causer une crise générale du système bancaire. C’est ce qui s’est produit le 11 mai 1931, quand la banque autrichienne Creditanstalt annonça qu’elle avait perdu plus de la moitié de son capital, seuil au-dessous duquel une banque était déclarée en faillite selon la loi autrichienne.

Tout ceci peut très bien se reproduire. Les économistes bourgeois tentent d’apaiser leurs nerfs à vif en répétant que cela ne se produira pas parce que nous avons retenu les leçons du passé. Mais comme Hegel le fit remarquer : « Ce qu’enseignent l’expérience et l’histoire, c’est que peuples et gouvernants n’ont jamais rien appris de l’histoire, ni agi selon des principes qui auraient pu en être déduits ».

Les voyants sont pourtant déjà au rouge, et certains économistes parmi les plus sensés s’en rendent compte. Mais malgré tous les avertissements, les bourgeois n’ont pas d’autre alternative que de suivre le chemin qu’ils ont déjà choisi.

A l’heure actuelle, le capitalisme montre tous les symptômes de la décadence sénile à un stade avancé. On peut affirmer avec certitude qu’une reprise ne signifiera pas une amélioration générale de la santé de ce système, mais seulement une reprise conjoncturelle préparant une crise encore plus profonde. C’est une dépression encore plus grave que celle des années 1930 qui se prépare. Ce sera le résultat immanquable des politiques qui sont mises en œuvre actuellement. Voilà la véritable perspective, et les conséquences sociales et politiques en seront incalculables.

Conséquences politiques et sociales

Pour les marxistes, l’étude de l’économie n’a d’importance que dans la mesure où elle s’exprime à travers la conscience des masses. Le scénario que nous venons de dessiner comporte des similitudes évidentes avec les années 1930, mais il y a aussi d’importantes différences.

A cette époque-là, les antagonismes de la société étaient résolus dans un laps de temps assez court, et ne pouvaient se conclure que par la victoire de la révolution prolétarienne, ou par la réaction sous forme du fascisme ou du bonapartisme. Aujourd’hui, une solution aussi rapide est exclue à cause de la transformation de l’équilibre des forces.

Aujourd’hui, la classe ouvrière est beaucoup plus nombreuse que dans les années 1930. Son poids spécifique dans la société est beaucoup plus important, alors que les réserves sociales de la réaction (la paysannerie et autres petits propriétaires, etc.) ont drastiquement diminué.

La bourgeoisie se retrouve confrontée à la pire crise de son histoire, mais elle est incapable de s’avancer rapidement vers la réaction. D’autre part, la classe ouvrière, malgré sa force réelle, est constamment retenue par sa direction, qui est encore plus dégénérée maintenant qu’elle ne l’était dans les années 1930.

Pour toutes ces raisons, la crise actuelle se prolongera dans le temps. Elle peut durer des années, voire des décennies, avec des hauts et des bas, du fait de l’absence du facteur subjectif. Pourtant, il ne s’agit là que d’une face de la médaille. Le fait que cette crise traînera en longueur ne signifie pas qu’elle sera moins agitée. Bien au contraire : il faut s’attendre à des changements brutaux et soudains.

Le développement de la conscience de la classe ouvrière ne peut pas se réduire mécaniquement au nombre de grèves et de manifestations de masse. C’est l’idée fausse défendue par les sectaires et les ultra-gauches qui se reposent complètement sur un activisme insensé, et n’arrivent pas à voir les processus profonds et permanents de radicalisation qui se produisent en silence sous la surface. C’est ce que Trotski appelait le processus moléculaire de la révolution socialiste.

Les empiristes superficiels ne sont pas capables de voir que la surface des choses, mais les processus réels échappent complètement à leur attention. Ils sont donc immédiatement déstabilisés par les accalmies momentanées de la lutte des classes. Ils se découragent, deviennent pessimistes, et se sont complètement pris au dépourvu quand tout d’un coup, le mouvement fait irruption à la surface.

L’association entre la pandémie et le chômage de masse a agi comme un frein pour la lutte économique. Il y a eu une forte baisse du nombre des grèves quand les conditions étaient défavorables aux manifestations de masse, bien qu’elles se soient parfois produites. Mais l’absence de luttes de masse ne signifie en aucune façon que le développement de la conscience se soit interrompu. C’est en fait l’inverse.

La profondeur de la crise transforme la psychologie de millions d’hommes et de femmes. La jeunesse, en particulier, est largement ouverte aux idées révolutionnaires. Les contradictions criantes de la société, l’épouvantable souffrance des masses – tout cela crée une accumulation de colère et d’amertume, qui s’agrège en profondeur dans la société, silencieusement.

La classe ouvrière a été temporairement désorientée au début de la pandémie, bien qu’en Italie il y ait eu une importante vague de grève en mars et avril 2020.

Sous le prétexte de la pandémie, la classe dirigeante a exercé une pression énorme sur les travailleurs pendant plus d’un an. Mais cela a créé un climat d’amertume et de ressentiment, qui jette les bases d’une explosion de la lutte des classes.

Avec la diminution des cas de virus, les conditions seront créées pour de sérieuses mobilisations de la classe ouvrière sur les questions économiques et politiques.

Nous ne sommes plus en 2008-2009, lorsque les travailleurs ont été pris par surprise par la crise et par des restructurations pour la plupart inattendues, ce qui a contribué à paralyser temporairement l’initiative du mouvement ouvrier.

Après s’être remis de l’impact initial de la crise, les travailleurs reprennent confiance et croient que la lutte peut donner des résultats tangibles, ce qui entraîne une plus grande volonté de se mobiliser pour l’action.

Ce processus sera renforcé par la réouverture de l’économie, ainsi que par les expériences récentes lors de la pandémie, qui ont mis à nu le rôle essentiel de la classe ouvrière dans la société, en particulier dans les secteurs qui n’ont jamais été fermés (santé, transports, commerce, industrie) mais qui ont néanmoins été soumis à une pression intolérable et à une augmentation impitoyable du rythme de travail.

Les travailleurs ont payé un prix extrêmement élevé en termes de morts et de sacrifices dans la lutte contre le Covid, et par conséquent, aujourd’hui, ils sont non seulement plus conscients du rôle qu’ils occupent dans la société, mais ils veulent aussi que cela soit compensé par une augmentation de leurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail. C’est un facteur décisif dans le développement de la conscience de classe.

Les bureaucraties syndicales restent un obstacle, freinant le mouvement autant qu’elles le peuvent. Mais elles ne possèdent plus la même autorité qui leur permettait de contrôler les travailleurs comme par le passé. Elles s’appuient sur la force de l’appareil bureaucratique et de l’Etat bourgeois, mais cette autorité n’a jamais été aussi faible qu’elle ne l’est aujourd’hui.

La bourgeoisie va essayer d’utiliser des mesures coercitives et répressives pour limiter la lutte des classes, en introduisant de nouvelles lois anti-grève et des limitations du droit de manifester partout, mais l’histoire nous enseigne que, lorsque les masses commencent à bouger, aucune loi ne les arrêtera. Ces méthodes peuvent retarder le processus, mais elles ne feront que le rendre encore plus explosif par la suite.

Dans un premier temps, les mobilisations des travailleurs auront un caractère essentiellement économique. Mais au fur et à mesure, elles se radicaliseront en raison de la profondeur de la crise et des énormes frustrations qui se sont accumulées au fil des ans, pour finalement prendre un caractère politique. Un nouveau « Mai 68 », ou nouvel « automne chaud » (Autunno caldo en Italie en 1969-70), sera à l’ordre du jour dans un pays après l’autre.

Dans un tel contexte, loin de freiner le mouvement, l’inflation aura pour effet de le stimuler, comme on l’a vu à plusieurs reprises dans l’histoire. La pression généralisée sur les salaires de la grande majorité des travailleurs, combinée au scandaleux transfert de richesse du salariat vers le capital, fait que la croissance de l’inflation poussera les travailleurs à défendre leur pouvoir d’achat.

C’est sur ce terrain beaucoup plus fertile que les idées des marxistes vont s’épanouir. Les syndicats entreront en crise et la vieille direction en faillite sera remise en question. Bien sûr, nous devons garder le sens des proportions. Nous ne sommes pas encore en mesure de contester l’hégémonie des réformistes sur le mouvement ouvrier. Mais en appliquant habilement la tactique du front uni, nous pouvons faire des progrès dans les syndicats. Il est nécessaire de lutter contre l’opportunisme, mais aussi contre les déviations sectaires et anarcho-syndicalistes (comme dans le syndicat italien Cobas), qui ont montré leurs faillites dans cette crise.

Le sectarisme et l’aventurisme jouent un rôle des plus négatifs dans les syndicats, conduisant l’avant-garde de la classe dans une impasse, la séparant du mouvement de masse. En combinant la fermeté sur les principes avec des tactiques flexibles, nous pouvons démontrer la supériorité du marxisme, augmenter progressivement notre profil et commencer à émerger comme une force sérieuse au sein du mouvement ouvrier.

Plus cela durera, plus l’explosion sera violente quand elle finira par se produire. Et elle se produira, cela ne fait aucun doute. Comme Marx l’a écrit à Engels :

« Tout bien considéré, la crise a pénétré en profondeur, telle une bonne vieille taupe. »

Les syndicats

Trotski a écrit que la théorie est la supériorité de la prévision sur la surprise. Les réformistes et les sectaires sont toujours pris par surprise quand les travailleurs se mettent en mouvement après une période d’inertie apparente.

Au début de l’année 1968, les mandélistes et d’autres groupuscules avaient abandonné la classe ouvrière française dans son ensemble. Ils disaient que les ouvriers étaient embourgeoisés et américanisés. Un de ces messieurs avait même écrit qu’une grève générale était alors parfaitement impossible dans quelque pays d’Europe. Quelques semaines plus tard, les travailleurs français lançaient la plus grande grève générale révolutionnaire de l’histoire.

Ils étaient complètement induits en erreur par l’absence de grandes mobilisations pendant la période précédente. Aujourd’hui aussi, nombre de militants des syndicats ou du mouvement ouvrier ont été désorientés par les événements. Ils ont perdu confiance dans la capacité des travailleurs à lutter, et sont devenus pessimistes, sceptiques et cyniques. Ils sont eux-mêmes devenus un obstacle, et bloquent le chemin vers la lutte. Ce serait désastreux pour nous d’être guidés par leur vision amère et défaitiste.  

Comme nous l’avons expliqué, même une fragile reprise de l’économie marquera le signal d’une explosion de la lutte de classe, qui secouera les syndicats jusque dans leurs fondations. Les dirigeants des syndicats réformistes sont déjà complètement dépassés. Ils incarnent le passé, le temps où leur vie était facile et où les relations avec les patrons étaient bonnes, quand ces derniers pouvaient accorder des concessions aux ouvriers sans entamer leurs profits.

Maintenant les choses sont très différentes. Les patrons tentent de faire porter tout le fardeau de la crise sur les épaules des travailleurs, qui se retrouvent dans une position intenable, où même leurs vies et celles de leurs familles sont mises en danger.

La profondeur de la crise rend impossible toute concession significative et durable. Les travailleurs devront se battre pour chaque revendication – non pas pour gagner de nouvelles avancées, mais pour préserver les acquis du passé.

Mais même là où ils réussiront, leurs gains seront balayés par l’inflation, qui réapparaîtra du fait des énormes montants de capital fictif qui ont été mis en circulation. Ce que les patrons donnent de la main droite, ils le reprendront de la main gauche.

Ce qui signifie que les syndicats seront soumis à la pression des travailleurs qui exigeront qu’ils passent à l’action pour défendre leurs droits, leurs conditions de travail et leur niveau de vie. Soit les dirigeants syndicaux plieront sous cette pression, soit ils seront révoqués et remplacés par d’autres qui sont prêts à se battre. Les syndicats seront transformés au cours de la lutte.

Quand la voie leur sera bloquée dans les syndicats officiels et en l’absence d’une perspective de changement de direction, des travailleurs pourront aussi, sous certaines conditions, développer leurs propres initiatives depuis la base. L’émergence de telles formes d’auto-organisation de travailleurs en lutte, comme les Mareas en Espagne, Santé en lutte et le Collectif des 1 000 chauffeurs de bus en Belgique, les collectifs des soignants en France, etc. sont le résultat de la colère accumulée des travailleurs, du besoin immédiat d’une action collective et de la passivité des dirigeants des syndicats officiels.

La dialectique nous apprend que les choses peuvent se transformer en leur contraire, et nous devons nous y préparer. Même les plus réactionnaires et les plus passifs des syndicats seront entraînés dans la lutte. Ce processus a déjà commencé dans des pays comme la Grande-Bretagne. L’un après l’autre, les anciens dirigeants de la droite meurent, partent à la retraite ou sont remplacés.

Une nouvelle génération de jeunes combattants ouvriers commence à défier les directions syndicales. Le décor est planté pour la transformation des syndicats en organismes de lutte. Et nous, marxistes, nous devons être en première ligne de ce combat, sur lequel repose en dernière analyse le succès de la révolution socialiste.

La tâche qui nous incombe

L’année 2021 ne ressemblera à aucune autre, la classe ouvrière est entrée dans une école particulièrement difficile, il y aura de nombreux revers et de nombreuses défaites, mais de cette école, les travailleurs tireront les enseignements nécessaires. 

L’accumulation des tensions sur plusieurs années peut mener à des changements soudains, nous plaçant face à des questions sérieuses. Et nous devons être préparés ! Dans la prochaine période, de nouvelles couches entreront dans la lutte. C’est ce que nous avons vu en France avec les « gilets jaunes ». Nous y assistons aujourd’hui avec le mouvement des fermiers en Inde. Aux Etats-Unis, nous avons assisté aux manifestations massives qui ont suivi la mort de George Floyd. Elles ont groupé près de 26 millions de personnes, dans 2 000 villes reparties dans l’ensemble des 50 Etats mais aussi à Washington et à Porto Rico, et ont forcé Trump à se réfugier dans son bunker.

Le problème fondamental est celui de la direction. La colère des masses existe, mais ne trouve pas d’expression dans les organisations officielles. Les dirigeants des syndicats essaient de retenir le mouvement en arrière. Mais, avec ou sans eux, le mouvement finira par trouver une façon de s’exprimer.

Les masses ne peuvent apprendre que d’une seule chose, l’expérience. Comme Lénine le disait : « la vie enseigne ». Les travailleurs apprennent de leur expérience de la crise. Mais c’est un processus d’apprentissage lent et douloureux. Il faut du temps aux masses pour tirer les mêmes conclusions que celles que nous avons tirées, pour des raisons théoriques il y a des années de cela.

Ce processus d’apprentissage serait grandement accéléré s’il existait une organisation révolutionnaire de masse, suffisamment grande et dotée de suffisamment d’autorité pour être entendue par les travailleurs. Potentiellement, ce parti existe dans les rangs de la TMI. Mais actuellement il n’existe que sous une forme embryonnaire. Et comme le vieux Hegel l’a écrit : « quand on souhaite voir un chêne avec son tronc puissant, ses larges branches et son feuillage touffu, on n’est pas satisfait si l’on nous montre un gland à la place. »

Nous avons fait de grands progrès, et nous nous attendons en faire bien d’autres. Mais il faut admettre en toute honnêteté qu’à l’heure actuelle, nous n’avons pas le nombre de militants nécessaire. Nous n’avons ni pas un enracinement suffisant dans la classe ouvrière et ses organisations pour faire la différence.

Pourtant, avec des idées valides et des slogans adéquats, nous pouvons toucher les travailleurs les plus avancés et les jeunes, et à travers eux, nous pouvons arriver ensuite à des couches plus importantes. Nous pouvons ici ou là être en position de diriger des luttes spécifiques. Mais d’une manière générale, nous devons chercher à obtenir de petites victoires, car celles-ci, aussi modestes qu’elles soient, nous serviront de tremplin vers de plus grands succès dans le futur.

Notre Internationale a montré une immense résilience et beaucoup d’audace, en faisant face aux difficultés et en expérimentant de nouvelles méthodes de travail. Par conséquent, au cours des 12 derniers mois, nous avons fait d’immenses progrès, alors que d’autres groupes ont vécu crises et scissions, et tombent rapidement dans un néant bien mérité. 

Nous avons beaucoup moins de concurrents que dans le passé. Les sectes se décomposent et les staliniens, qui représentaient autrefois un sérieux obstacle, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils s’accrochent encore à quelques postes hérités du passé dans les syndicats. Mais ils agissent immanquablement comme une caution de « gauche » pour l’aile droite de la bureaucratie. Ils seront balayés avec elle dès que les travailleurs se mettront en marche.

Nos principaux concurrents seront les réformistes de gauche, qui n’ont pas de perspectives politiques claires. Parmi eux, beaucoup ont abandonné la perspective d’une transformation socialiste de la société, même en paroles, et oscillent donc constamment entre la pression des bourgeois et des réformistes de droite d’une part, et celle de leur base ouvrière d’autre part. C’est un phénomène international.

Mais malgré leur manque d’idées claires (et partiellement grâce à cela), ils seront inévitablement portés au premier plan par les radicalisations de masse. Comme ils sont politiquement instables et manquent d’une idéologie claire, ils vont parfois prononcer des slogans très radicaux, voire même « révolutionnaires ». Mais il ne s’agira là que de mots, et ils pourront basculer vers la droite aussi rapidement qu’ils l’auront fait vers la gauche. Nous apporterons un soutien critique à ces réformistes de gauche, en les appuyant à chaque fois qu’ils combattent la droite, mais en critiquant toute tendance aux reculades, aux concessions et à la capitulation.

Une caractéristique commune à tous nos rivaux politiques – y compris les réformistes de gauche – est leur incapacité à rallier les jeunes. Notre réussite évidente à gagner le meilleur de la jeunesse indigne et fait enrager les sceptiques. Et par-dessus tout, cela les dépasse. Comment la TMI peut-elle attirer tant de jeunes dans la situation actuelle, alors que tout est si sombre et désespéré ? Ils secouent la tête et continuent à se lamenter sur le piteux état du monde.

Comme Lénine le faisait remarquer : celui qui a la jeunesse a l’avenir. La raison de notre réussite n’est pas difficile à comprendre. Les jeunes sont naturellement révolutionnaires. Ils exigent que le capitalisme soit combattu sérieusement et sont agacés par la frilosité et les théories confuses.

Notre force repose sur deux choses : la théorie marxiste et une orientation ferme en direction de la jeunesse. Nous avons démontré par notre expérience que c’était une formule gagnante. Ces réussites donnent de la confiance et de l’optimisme pour l’avenir. Mais il nous faut garder le sens des proportions en toutes circonstances. Nous n’en sommes encore qu’au début du début.

Des défis bien plus importants nous attendent pour nous mettre à l’épreuve. L’autosatisfaction n’a pas sa place ici. Si nous nous demandons si nous sommes prêts à tirer profit des immenses opportunités qui existent, quelle est la réponse ? Pour être parfaitement honnêtes, nous devrions répondre par la négative. Non, nous ne sommes pas prêts – pas encore, du moins. Mais nous devons le devenir, aussitôt que possible. Et, cela, au bout du compte, signifie croître.

Nous devons toujours commencer par la qualité, recruter patiemment, et éduquer et former des cadres. Mais ensuite il faudra transformer la qualité en quantité : construire une organisation plus grande et plus efficace. A l’inverse, la quantité est changée en qualité. Avec une centaine de cadres, on peut faire des choses qu’une douzaine seulement ne pourraient pas accomplir. Et imaginez seulement ce que l’on pourrait faire en Grande-Bretagne, au Pakistan ou en Russie avec un millier de cadres. Il s’agit là d’une différence qualitative !

La formation de cadres doit aller de pair avec la croissance. Il n’y a là aucune contradiction. L’organisation doit se développer à mesure que la situation change. Et elle doit changer avec la situation, en devenant plus professionnelle, plus disciplinée et plus mûre.

Nos idées, nos méthodes et nos objectifs sont corrects. Pourtant, nous avons besoin de bien plus que cela. Notre tâche consiste maintenant à transformer tout cela en croissance numérique et à créer une puissante armée révolutionnaire de cadres, capables de mener les travailleurs au combat. Nous faisons déjà de grands pas dans cette direction.

Au début, il semblait que la pandémie créerait des difficultés insurmontables aux marxistes. Elle a certainement réduit à néant toutes ces sectes pseudo-marxistes qui se basent sur un activisme irrationnel. Mais la TMI est allée de l’avant, jusqu’à atteindre 1 000 nouveaux membres l’année dernière. Et ce n’est que le début.

Camarades de l’Internationale ! Nous menons une course contre la montre. Notre tâche peut être résumée ainsi : il s’agit de rendre consciente la volonté inconsciente (ou à demi consciente) de la classe ouvrière de changer la société.

De grands événements se préparent. Pour nous élever à la hauteur de ces formidables objectifs, nous avons besoin d’une révolution interne, en commençant par une révolution de notre propre mentalité. Nous ne pouvons plus penser de la même façon que par le passé. Toute trace de mentalité de petit cercle et de routine doit être éliminée. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche professionnelle dans la construction du parti. Il n’y a rien de plus important dans nos vies. Et si nous continuons de suivre les idées, les tactiques et les méthodes correctes, nous y arriverons sans aucun doute.

Adopté à l’unanimité, le 25 juillet 2021

Un nouveau rapport du Crédit Suisse a montré que le « club des millionnaires » s’est considérablement agrandi en 2020, alors que le capitalisme est à bout de souffle et que les inégalités de richesse se sont accrues massivement. Les Etats-Unis ont vu arriver 1,73 million nouveaux millionnaires, l’Allemagne 633 000 et l’Australie plus de 300 000.

Mais si l’année a été bonne pour les millionnaires, elle a été encore meilleure pour les milliardaires. Au cours des 12 derniers mois, 650 milliardaires américains ont vu leur fortune augmenter collectivement de 1200 milliards de dollars. Jeff Bezos est devenu la première personne sur la planète à posséder une fortune déclarée de plus de 200 milliards de dollars.

Le rapport dresse un portrait radieux de ces oasis d’abondance au milieu d’une crise capitaliste qui s’aggrave, affirmant que « la richesse des ménages a été extrêmement résistante aux conditions économiques défavorables ». En effet, le rapport souligne que la richesse des ménages a augmenté de 7,4 % en 2020.

Le journal des millionnaires, Forbes, était aux anges : « Compte tenu de cette tendance, il n’est guère surprenant que la pandémie n’ait pas seulement été une bonne nouvelle pour les super-riches, mais aussi pour la plupart des millionnaires. »

Mais ne venons-nous pas d’assister à la pire crise depuis 300 ans et à une contraction massive du PIB ? On nous dit que malgré une contraction économique massive, sans tenir compte du fait que la classe ouvrière a dû faire face à une décennie de réductions de salaires, de privatisations et d’austérité, la société est en fait terriblement plus riche qu’il y a un an !

L’endettement, les coûts énormes du logement, la rareté et la concurrence dans l’emploi, les longues heures de travail et les contrats temporaires (ou inexistants) sont la norme, ce qui ne laisse que peu ou pas de marge de manœuvre aux travailleurs avec les confinements qui s’enchaînent.

Les pauvres sont peut-être plus pauvres et la production s’est peut-être effondrée, mais tout cela a peu à voir avec la richesse des riches, selon le rapport. Contrairement à la classe ouvrière – la majorité de l’humanité n’arrive pas à joindre les deux bouts – les riches disposent d’une immense richesse accumulée, sous forme d’investissements et d’épargne, sur laquelle ils peuvent s’appuyer.

Comme l’indique le rapport, « les groupes les plus riches sont relativement peu touchés par les réductions du niveau global de l’activité économique et, plus important encore, ils ont également bénéficié de l’impact de la baisse des taux d’intérêt sur le prix des actions et des maisons ».

Les détenteurs d’importants portefeuilles immobiliers, par exemple, sont bien placés lorsqu’il s’agit de bulles spéculatives. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a rapidement acheté des obligations dans le but de maintenir des taux d’intérêt bas, intervenant ainsi pour réduire les dettes des ménages. Dans les pays riches, une certaine couche de la population parvient à épargner, notamment les personnes aux revenus les plus élevés, et une certaine partie de cette épargne est désormais consacrée à l’immobilier. L’ensemble de ces facteurs a entraîné une hausse des prix de l’immobilier dans une grande partie du monde. Il ne fait aucun doute que bon nombre des nouveaux « millionnaires » ne le sont que sur le papier, puisque le prix de la maison dans laquelle ils vivent s’envole.

Mais d’autres actifs suivent le même schéma, avec des bulles massives d’actifs et de crédit en cours de gonflement. Autrement dit, ceux qui avaient déjà de la richesse en ont encore plus, car la valeur de leurs portefeuilles a augmenté. Ceux qui n’avaient rien au début de la pandémie n’auront toujours rien aujourd’hui.

L’augmentation de la richesse des ménages déjà riches n’est pas due à la croissance des forces productives de la société. Elle est due à la capacité des riches à gagner de l’argent par la spéculation.

Le marché boursier et les bulles d’investissement sont largement déconnectés de l’état de l’économie réelle, qui dépend du travail humain pour produire des biens utiles. L’argent injecté par la classe dirigeante dans l’économie ne fait que modifier la répartition de la richesse. Les pauvres voient leurs salaires érodés par l’inflation, tandis que ceux qui possèdent des actifs voient le prix de ces derniers augmenter davantage.

Comme l’explique le rapport, les 10 % d’adultes les plus riches possèdent 82 % de la richesse mondiale, et les 1 % les plus riches possèdent à eux seuls 45 % de tous les actifs des ménages.

Comme l’expliquait Marx, « l’accumulation de richesse à un pôle est égale à l’accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé ».

C’est une condamnation sans appel du système capitaliste : les riches deviennent de plus en plus riches, avec une richesse qui pourrait être utilisée pour les besoins de la société et mettre fin aux maux de la société. Au lieu de cela, ils s’en servent pour renforcer leur position, ce qui a pour effet d’appauvrir encore plus la majorité de l’humanité.

Alors que les riches sont allègrement protégés du poids de cette crise grâce à l’accumulation de la richesse produite par la classe ouvrière, c’est cette dernière qui supportera le poids de la crise. En 2020, plus de 40 millions d’Américains se sont inscrits au chômage, et 40 % des travailleuses dans le monde sont employées dans les secteurs les plus touchés par la pandémie, comme la restauration, le commerce de détail et l’hôtellerie.

Il n’est pas surprenant que l’idée de taxer les riches soit populaire. Cependant, cela ne résout pas le problème central de la richesse thésaurisée ou jouée en bourse par une minorité. Sans compter que bien souvent, celle-ci est prête à faire n’importe quoi pour conserver sa richesse, par exemple déménager sa résidence fiscale à l’étranger pour échapper à l’impôt.

La nécessité du socialisme n’a jamais été aussi claire. Le capitalisme doit être renversé, ainsi que sa classe dirigeante parasite. Cela peut se faire en expropriant les moyens de production et en les plaçant sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, de sorte que la richesse de la société, créée par les travailleurs, puisse être utilisée dans le cadre d’un plan de production démocratique géré pour le bien de l’humanité et non pour le profit. Cela permettra à la majorité de l’humanité – la classe ouvrière – de s’épanouir.

Publié sur le site marxist.com en septembre 2020.


Un tournant décisif

Nous sommes à un tournant décisif de l’histoire. A une telle époque, il est naturel de chercher des parallèles historiques. Mais rien ne semble vraiment correspondre à ce que nous vivons.

La Banque d’Angleterre a déclaré que ce sera la crise la plus profonde depuis 300 ans, mais même cela est insuffisant. En réalité, la situation que nous vivons est unique.

Pour trouver quelque chose de semblable, il faudrait remonter à la peste noire du XIVe siècle, qui a anéanti entre un tiers et la moitié de la population de l’Europe.

Les gens pensaient que c’était la fin du monde. En réalité, ce n’était pas la fin du monde qui approchait, mais la disparition d’un système socio-économique particulier appelé féodalisme. Elle a marqué la montée d’une nouvelle classe révolutionnaire – la bourgeoisie naissante – et les débuts de la révolution bourgeoise en Hollande et en Angleterre. Il est vrai que la pandémie actuelle n’a pas encore atteint des niveaux aussi dramatiques. Mais en fin de compte, elle s’avérera encore plus dévastatrice.

La maladie continue son impitoyable progression, faisant des ravages dans les pays pauvres qui n’ont aucun moyen de la combattre. La pandémie est hors de contrôle, en particulier en Afrique, en Asie et en Amérique latine, mais aussi aux États-Unis. Elle n’a pas encore fait un nombre de décès aussi important que la peste noire. Mais le nombre de décès dans le monde atteindra plus d’un million d’ici la fin du mois de septembre. Au moment où nous écrivons ces lignes, le nombre total de cas confirmés s’élevait à plus de 24 millions dans le monde.

Malgré les bavardages de certains gouvernements, l’efficacité des vaccins n’a pas encore été prouvée. Comme toujours, ce sont les pauvres qui souffrent le plus. En montrant l’incapacité de l’économie de marché à apporter des solutions à ce qui est un problème de vie ou de mort pour des millions de personnes, le système capitaliste est de plus en plus remis en question.  

Il faut souligner que cette pandémie n’est pas la cause de la crise économique actuelle. Celle-ci a commencé bien avant que l’on n’entende parler de ce coronavirus. Mais la pandémie a sans aucun doute compliqué la situation dans son ensemble et a aggravé la crise. Dialectiquement, la cause devient l’effet, et l’effet, à son tour, devient la cause.

 

Des processus accélérés

Engels faisait remarquer qu’il y a des périodes de l’histoire où vingt ans passent comme un seul jour. Mais il ajoutait qu’il y a d’autres périodes où 24 heures peuvent concentrer vingt ans d’histoire.

Cette remarque exprime précisément la nature de la situation actuelle, dont la principale caractéristique est la rapidité avec laquelle les événements se déroulent. Les changements brusques et soudains sont implicites dans l’ensemble de la situation.

Si quelqu’un avait prédit en janvier ce qui allait se passer dans les six mois suivants, personne ne l’aurait cru. En fait, ils l’auraient pris pour un fou.

Premièrement, la rapidité de l’effondrement économique est stupéfiante. Le choc du COVID-19 sur l’économie mondiale a été bien plus rapide et plus grave que la crise financière de 2008 et même que la Grande Dépression.

L’effondrement économique aux États-Unis est aussi grave que lors de la Grande Dépression. Mais alors que, après 1929, la contraction de l’économie s’est étendue sur une période de quatre ans, l’implosion due au coronavirus s’est déroulée sur quatre mois.

Après le krach de Wall Street en 1929, les marchés boursiers se sont effondrés d’au moins 50 %, le marché du crédit s’est gelé, entraînant des faillites massives et une montée en flèche du chômage, tandis que le PIB se contractait fortement. Mais tout cela a pris environ trois ans pour se développer.

Dans la crise actuelle, un effondrement économique et financier similaire s’est produit en l’espace de trois semaines. Il n’a fallu que 15 jours pour que le marché boursier américain chute de 20 % par rapport à son niveau le plus haut – la chute la plus rapide jamais observée. Et en quelques mois ou semaines, le nombre de chômeurs aux États-Unis a atteint 40 millions. La consommation, les dépenses d’investissement et les exportations connaissent une chute libre inédite. Pour reprendre les mots de Nouriel Roubini :

« Même pendant la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, l’essentiel de l’activité économique n’a pas littéralement cessé, comme c’est le cas aujourd’hui en Chine, aux Etats-Unis et en Europe ».

 

Une crise globale

Nous faisons face à l’archétype d’une crise globale du capitalisme.

La politique de Donald Trump est « America First » (« L’Amérique d’abord »), et il l’a menée de façon agressive. Il veut « rendre sa grandeur à l’Amérique », mais a oublié de préciser que cela se ferait aux dépens du reste du monde. Le nationalisme économique englobe l’ensemble de la pensée politique de Trump, pour peu qu’il en ait une. Il proclame fièrement qu’une guerre commerciale est « bénéfique ». En réalité, cela ne va que rendre la crise plus profonde.

Ses attaques féroces envers la Chine menacent de détruire l’équilibre, déjà fragile, du commerce mondial et de la mondialisation. Ces attaques ne constituent cependant qu’un symptôme de ce phénomène. Trump a également imposé des tarifs douaniers à un certain nombre d’autres pays – dont font partie de supposés alliés tels que les États-Unis, le Canada et le Japon. La pandémie a aggravé la situation, causant une nouvelle vague de protectionnisme, et une chute du commerce mondial estimée à 13 %.

Ceci signifie que nous nous dirigeons vers une profonde récession économique. Souvenons-nous que ce qui a causé la Grande Dépression de l’Entre-deux-guerres n’était pas le krach boursier de 1929, mais bien la vague de protectionnisme qui lui a succédé, ainsi que des dévaluations compétitives et des politiques du « chacun-pour-soi » qui visaient à exporter le chômage vers d’autres pays.

 

Des aides colossales

Afin d’éviter un effondrement immédiat, les gouvernements ont injecté des milliers de milliards de dollars dans l’économie. Quelques jours seulement après le début du confinement, le Congrès américain a validé un plan de relance largement supérieur à tous ceux adoptés dans l’histoire des États-Unis en temps de paix. Des politiques similaires ont été adoptées partout dans le monde. Fin juin, les gouvernements du G20 avaient annoncé des plans de relance dont la valeur totale atteignait 10 000 milliards de dollars, l’équivalent de 12 % de l’économie mondiale. Depuis, les États-Unis ont adopté un autre plan d’une valeur de 850 milliards de dollars ; et le Congrès américain devrait au moins valider un plan de 3000 milliards de dollars supplémentaires.

Face au choc gigantesque du confinement, la Réserve Fédérale (Fed) a mobilisé une quantité immense de liquidités. Suite au krach de 2008, la Fed avait acheté autour de 3500 milliards de dollars d’actifs sur une durée de sept ans, en plusieurs fois. En seulement trois mois, la crise actuelle a mené à l’achat de 3000 milliards de dollars d’actifs par cette même banque centrale. La moitié de cette somme a financé l’achat de dette publique pour faciliter les plans de relance ; l’autre moitié a été dépensée dans les marchés de l’obligation d’entreprise et du crédit immobilier.

Les aides colossales dont bénéficient les grandes entreprises afin d’absorber les effets de la crise sont sans précédent. Mais même ces sommes exorbitantes – en comparaison desquelles le Plan Marshall semble insignifiant – ne suffiront clairement pas à stopper la trajectoire décadente de l’économie.

Le fait est que l’économie capitaliste subsiste aujourd’hui uniquement du fait d’énormes injections de fonds par les gouvernements. Tout ceci a pour effet d’accumuler une quantité de dettes incroyable, et les dettes doivent être payées, tôt ou tard.

 

Y aura-t-il une reprise ?

Afin de se consoler, les économistes prévoient une puissante reprise. Il ne s’agit que de tristes illusions. La vérité est qu’afin d’empêcher un effondrement immédiat, les gouvernements ont, comme on l’a vu, introduit des millers de milliards de dollars dans l’économie.

Le 9 avril 2020, le magazine américain Foreign Policy a publié sur son site internet des réflexions intéressantes à propos de la crise, et notamment le propos suivant :

« Cette politique gigantesque et immédiate cherchant à contrebalancer la crise a, jusqu’ici, empêché l’avènement d’un effondrement financier global immédiat, mais nous nous apprêtons à faire face à une période prolongée durant laquelle une baisse de la consommation et des investissements creusera la récession économique. »

Nouriel Roubini, de l’école de business Stern de l’Université de New York, écrit : « Seuls les gouvernements centraux disposent de tableaux d’équilibre suffisamment larges et forts pour prévenir l’effondrement du secteur privé. » Mais il ajoute : « Mais ces interventions financées par le déficit doivent être entièrement monétisées. Si elles sont financées à travers de la dette publique standard, les taux d’intérêt vont brusquement augmenter, et la reprise sera tuée dans l’œuf. » Cela signifie que la banque centrale doit continuer à imprimer de la monnaie pour financer les dépenses publiques.

Roubini condamne les prédictions présomptueuses portant sur une soi-disant reprise en forme de V : « La récession qui est en cours ne ressemble ni à un V, ni à un U, ou encore à un L (c’est-à-dire dans ce dernier cas une forme reflétant une chute brutale suivie d’une stagnation). Elle ressemble plutôt à un I : une ligne verticale représentant les marchés financiers et l’économie réelle en chute libre. »

Cette perspective ne présuppose pas une nouvelle vague de la pandémie, qui est loin d’être à exclure. Plutôt que la reprise économique qu’on leur promet, les masses du monde entier font face à des décennies de profondes diminutions de leurs niveaux de vie, de chômage et d’austérité.

 

Qui va payer ?

Qui va payer ? Telle est la question que personne ne souhaite poser, sans même parler de vouloir y apporter une réponse. Martin Wolf, commentateur économique en chef du quotidien britannique Financial Times, écrit :

« La pandémie a provoqué des dépenses fiscales incommensurables, même au regard de la crise financière. Cela pose à présent la question de la gestion de cette dette, et de qui va payer. » (Financial Times, 05/07/2020)

Mais il n’est pas difficile de répondre. La totalité du poids de cette crise sera placée sur les épaules de ceux qui seront le moins à même de payer : les pauvres, les personnes âgées, les personnes malades, les chômeurs, et la classe ouvrière en général. Mais la classe moyenne ne s’en sortira pas indemne non plus.

Certains réformistes de gauche (comme Podemos en Espagne, par exemple) en ont tiré la conclusion insensée que les larges quantités de deniers publics donnés aux entreprises afin de financer les arrêts de travail de leurs salariés révèlent un changement fondamental dans la nature du capitalisme. Ils interprètent cela comme la fin du « modèle néo-libéral » et comme le retour largement attendu d’un capitalisme à visage (keynésien) humain.

Et ces mêmes personnes ont l’audace d’accuser les marxistes d’être des utopistes ! Ils déchanteront lorsque les gouvernements ayant dépensé de gigantesques sommes d’argent qu’ils ne possédaient pas se mettront à les extraire des masses, à travers des augmentations d’impôts et des coupes profondes dans les dépenses publiques.

Les effets de cette charge financière gargantuesque seront ressentis pendant les prochaines années, voire les prochaines décennies, empêchant toute possibilité d’une reprise sérieuse. Et, tôt ou tard, les déficits massifs produiront une forte inflation, un assèchement du crédit, une contraction massive des emprunts, et un nouvel effondrement. Ceci constitue la perspective la plus réaliste pour le futur proche. Il s’agit précisément de tous les ingrédients d’un développement de la lutte des classes dans tous les pays.

Ceci n’échappe pas aux représentants les plus perspicaces de la classe dominante, comme on peut le voir dans le Financial Times, qui indiquait le 9 mars :

« Payer pour la pandémie soulèvera toutes ces questions. Un retour à l’austérité serait de la folie - une invitation au désordre social généralisé, si ce n’est à la révolution, et un cadeau du ciel pour les populistes. Avec le temps - un temps très long - les factures fiscales devront être payées. La démocratie libérale, cependant, ne survivra à ce second large choc économique qu’au prix d’ajustements effectués au sein d’un nouveau contrat social garantissant la prospérité du plus grand nombre, plutôt que les intérêts des plus privilégiés. » (Financial Times, 09/03/2020)

Le Financial Times n’explique pas comment accomplir ce miracle. Mais ces mots sont très révélateurs. Ils montrent que les stratèges du capital en viennent aux mêmes conclusions que les marxistes. La bourgeoisie se trouve entre le marteau et l’enclume. Elle voit que la révolution est inévitable dans la situation actuelle. Et elle ne se trompe pas.

 

« Les yeux fermés vers la catastrophe »

« La bourgeoisie marche les yeux fermés vers la catastrophe ». Ces mots de Trotsky en 1938 pourraient avoir été écrits aujourd’hui. La classe dirigeante et ses politiciens réagissent à la pandémie du coronavirus par un large mouvement de panique.

Autrefois, même dans les périodes les plus sombres de crise ou de guerre, les populations pouvaient penser que leur gouvernement, s’il ne contrôlait pas pleinement la situation, avait au moins une sorte de plan pour s’en sortir.

Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les stratèges du capital ont complètement perdu l’équilibre. Les éditoriaux les plus sérieux de la presse bourgeoise reflètent un état de confusion et d’angoisse proche du désespoir.

Le monde traverse aujourd’hui l’effondrement économique le plus spectaculaire de l’histoire, et les vieux manuels d’économie ont été jetés à la poubelle du jour au lendemain. Les entreprises sont incapables d’anticiper l’avenir, l’investissement s’écroule, et l’économie connaît une crise bien pire et bien plus rapide que celles des années 1930. Les prévisions du FMI et de la Banque Mondiale ne valent rien, puisque personne ne sait comment évoluera la pandémie.

La situation est encore pire du point de vue des dirigeants politiques. Un vieux dicton dit que les peuples ont le gouvernement qu’ils méritent. Ce n’est pas strictement vrai. Mais il est parfaitement exact que la classe dirigeante a, au milieu de la crise, le gouvernement qu’elle mérite. Donald Trump aux Etats-Unis, Boris Johnson en Grande-Bretagne et Bolsonaro au Brésil incarnent la banqueroute intellectuelle et morale de la bourgeoisie dans sa phase de déclin sénile.

 

Les Etats-Unis

Les Etats-Unis, le pays le plus riche du monde, forment l’exemple le plus frappant de cette situation.

On a souvent raconté que l’empereur Néron jouait de la lyre pendant l’incendie de Rome. L’empereur Trump tente aujourd’hui d’imiter son illustre prédécesseur, quoiqu’il ait finalement accepté de porter un masque, ce qui est déjà un progrès notable.

Des millions d’Américains ont été licenciés ou congédiés. Les travailleurs de la restauration rapide et les caissiers de la grande distribution risquent leurs vies pour un salaire minimum, tandis que la pandémie continue, hors de contrôle, de multiplier les souffrances et les morts évitables.

Le nombre de chômeurs aux Etats-Unis a grimpé à des niveaux jamais vus, à la suite d’une grande vague de licenciement et d’un rétrécissement du marché du travail.

La soudaineté de cet effondrement est apparue comme un choc pour les millions de travailleurs américains. Le gouvernement a tenté d’atténuer temporairement la situation en distribuant de l’argent, mais le bilan de l’épidémie de coronavirus continue de s’alourdir, inexorablement.

Les conséquences se font ressentir plus fortement encore dans les zones les plus démunies, habitées par des personnes pauvres issues des minorités ethniques, ce qui renforce encore les profondes inégalités raciales.

 

Un mouvement insurrectionnel

Le mécontentement et la colère qui grondaient parmi les millions de pauvres – et particulièrement parmi les populations noires – ont explosé à la suite du meurtre de George Floyd. Ce mouvement n’a pas surgi de nulle part. Il est le produit de décennies d’exploitation, d’oppression, de pauvreté, de mal-logement et de violences policières.

Douglas Brinkley, historien et professeur de la Rice University, a exposé la situation avec une clarté admirable : « Les mythes de notre société ont commencé à apparaître au grand jour, car nous vivons tous dans une poudrière. »

De nombreux autres crimes de ce type ont été commis dans les dernières décennies, sans provoquer d’aussi larges mouvements de protestation. Mais pour les millions de pauvres aux Etats-Unis, le meurtre de George Floyd a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Ces images choquantes de violences policières sont tombées comme une mèche enflammée sur un baril de poudre.

A Minneapolis, d’où est parti le mouvement, la police a dû fuir la foule en colère, qui a fini par mettre le feu au commissariat. Ces scènes avaient un caractère clairement insurrectionnel. Mais la vitesse incroyable à laquelle les événements se sont déroulés est encore plus significative.

Comme entraînées par une main invisible, les manifestations de masse ont surgi d’une côte à l’autre, s’étendant peu à peu à toutes les villes américaines. Au moins 10 % de la population a participé à un de ces rassemblements, et beaucoup d’autres les ont soutenus. Contre toute attente, une nette majorité des Américains (54 %) a déclaré que l’incendie du commissariat de police de Minneapolis était justifié. De façon plus frappante encore, 29 ports se sont mis en grève pour exprimer leur solidarité, tandis que dans certaines villes, les conducteurs de bus refusaient de transporter la police antiémeute.

L’Etat a réagi avec une extrême brutalité, et des couvre-feux ont été imposés dans 200 villes. Pourtant, les manifestations ont continué, pendant des semaines. C’était comme un avant-goût des événements à venir, une sorte de répétition générale pour la révolution américaine.

Ces événements sont sans précédent dans l’histoire américaine récente. Ce mouvement est la réponse ultime à tous les lâches et sceptiques, qui n’ont cessé d’affirmer que la classe ouvrière ne se mobiliserait jamais, ou du moins pas aux Etats-Unis.

 

Des divisions dans la classe dirigeante

Les divisions de la classe dirigeante sont le premier signe d’une situation révolutionnaire naissante. Trump voulait envoyer l’armée pour écraser la révolte, mais en a été empêché par la rébellion des chefs militaires et d’une partie des Républicains.

Cités par CNN, les fonctionnaires du ministère de la Défense ont pointé l’existence d’une « gêne profonde et grandissante » au sein du Pentagone, même avant que le Président annonce qu’il était prêt à déployer l’armée pour rétablir l’ordre dans les villes américaines. Le Wall Street Journal titrait alors « Ne mobilisez pas les troupes », expliquant : « Dans les circonstances actuelles, l’arrivée des troupes dans les rues américaines attiserait bien plus la colère qu’elle ne la calmerait… »

Trump a pourtant fini par envoyer les troupes fédérales pour mettre fin aux manifestations à Portland. Comme le Wall Street Journal l’avait prédit, sa décision n’a fait que renforcer et radicaliser le mouvement. La violence des affrontements urbains donnait l’impression d’une guerre civile. Ainsi, Donald Trump a-t-il fait le jeu de la révolution !

Cet exemple montre les limites du pouvoir de l’Etat, et la forme que pourront prendre les événements à venir.

 

Les limites de la spontanéité

En 1938, Léon Trotsky écrivait qu’on pouvait résumer la crise de l’humanité à la crise de la direction du prolétariat. Nous devrions réfléchir attentivement à la signification de ces mots. Il est évident que le mouvement des masses est toujours le principal moteur de la révolution. Sur ce point, nous sommes d’accord avec les anarchistes. Mais leurs conclusions s’arrêtent là où les vrais problèmes se posent à la révolution qui commence.

Les événements se déroulant aux Etats-Unis montrent l’énorme force potentielle des masses. Ils démontrent qu’il existe une force dans la société qui est plus forte que le plus puissant des Etats ou la plus puissante des armées. Il est vrai qu’un mouvement spontané des masses est la condition préalable à la révolution socialiste, mais en soi, il n’est pas suffisant pour garantir son succès.

De manière analogue, la vapeur est une énergie très puissante. C’est l’énergie qui a mené la Révolution industrielle et qui continue de mener la vie économique jusqu’à ce jour. Mais la vapeur n’est une énergie que lorsqu’elle est concentrée en un seul point, dans un piston, qui centralise son énergie et la multiplie par mille. Sans cela, la vapeur s’évaporerait inutilement dans l’air.

C’est la même chose avec la révolution. Sans organisation et direction adéquates, l’énorme pouvoir de la classe ouvrière ne reste qu’un potentiel et ne devient pas une force réelle.

L’histoire de la guerre nous offre de nombreux exemples de grandes armées de soldats courageux vaincues par une plus petite force de troupes disciplinées et dirigées par des officiers expérimentés. La guerre entre les classes a beaucoup de similitudes avec la guerre entre les nations.

L’insurrection de masse aux Etats-Unis nous montre les limites du pouvoir étatique lorsqu’il fait face à ce genre de mouvement. Ce genre de mouvement spontané des masses est la condition préalable à la révolution socialiste. Mais en soi, il n’est pas suffisant pour garantir son succès. Il manquait à ce mouvement une organisation et une direction capables de montrer la voie à suivre.

Sans l’organisation et la direction nécessaires, les manifestations devaient refluer tôt ou tard. Il était cependant surprenant qu’elles aient duré aussi longtemps. Etait-ce une révolution ? Clairement, ça ne l’était pas encore. Mais ces événements peuvent être considérés comme la répétition générale de la future révolution américaine.

 

Rien ne sera plus comme avant

Un changement brusque dans la conscience a eu lieu aux Etats-Unis. Les sondages montrent que le socialisme y est de plus en plus soutenu. 67 % des jeunes voteraient pour un président socialiste. Encore plus surprenant, 30 % des plus de 65 ans feraient de même. Mais on ne leur en a pas donné l’occasion.

Après avoir suscité l’espoir de millions de personnes, Bernie Sanders a refusé de se présenter aux présidentielles en tant que socialiste alors même que la population serait prête à soutenir un nouveau parti. A la place, il a choisi de soutenir Joe Biden, le candidat démocrate, en utilisant pour prétexte la nécessité de vaincre Trump. Cet argument aura sans doute un certain poids auprès de nombreuses personnes qui veulent se débarrasser de lui. Mais beaucoup d’autres vont refuser avec dégoût cette alternative.

Les élections se dérouleront en novembre - et beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. Trump a essayé de jouer la carte de « la loi et de l’ordre », mais s’est rétracté. Maintenant il répète sans arrêt que l’élection sera truquée à cause du vote par correspondance. Cela montre bien qu’il s’attend à la défaite. Les sondages montrent en effet qu’il perd du terrain. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire qu’il va perdre.

Beaucoup de gens ont tiré très justement la conclusion que le choix entre les démocrates et les républicains n’est pas un véritable choix. Ce fait correspond avec l’augmentation de l’intérêt porté aux idées socialistes et même communistes qui est démontré par le développement rapide de notre section américaine, mais également par la croissance importante des adhésions aux DSA (les Socialistes Démocratiques d’Amérique) à travers le pays. Le nombre de personnes ayant rejoint cette organisation depuis mars est estimé à 10.000, portant le nombre d’adhérents à 66.000 d’après des chiffres internes.

Une chose est claire : peu importe qui occupera la Maison-Blanche l’année prochaine, rien ne sera plus comme avant. Les Etats-Unis vont connaître une période turbulente. Il y aura des victoires et il y aura des défaites. Mais durant toute une période, le pendule va balancer brusquement vers la gauche.

 

La dialectique est nécessaire

Seule la connaissance de la méthode dialectique marxiste peut permettre de regarder au-delà de la surface (des « faits ») et comprendre le vrai processus qui mûrit lentement sous la surface.

Les observateurs empiriques et impressionnistes superficiels ont été pris par surprise par ces mouvements, qui leur sont apparus comme sortis de nulle part, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuage. Mais les bouleversements récents ne viennent pas de nulle part : ils ont été préparés par toute la période précédente.

Le manque de pensée dialectique explique la complète impuissance des stratèges du capital qui sont incapables d’expliquer la crise actuelle ou d’y apporter une solution. Cela s’applique aussi aux classes moyennes et à l’intelligentsia qui se retrouve prise de désespoir, ce qui se reflète dans l’influence du postmodernisme niant la possibilité du progrès en général, simplement parce que le progrès sous le capitalisme est devenu impossible.

Dialectiquement, tout se transforme tôt ou tard en son contraire. La conscience de la classe ouvrière ne se développe pas graduellement. Pour une longue période, elle peut être en retard sur les événements. Mais tôt ou tard, elle rattrape son retard avec fracas. C’est précisément ce qu’est une révolution. Nous voyons actuellement ce processus se dérouler sous nos yeux.

Nous devons garder à l’esprit que les bouleversements révolutionnaires ont commencé l’année dernière au Soudan, au Liban, en Irak, en Equateur, au Chili, etc. Par-dessus tout, la radicalisation se traduit par un changement rapide dans la conscience des masses.

 

La conscience évolue

Le retard dans la conscience que nous avons commenté dans la période précédente est désormais remplacé par des explosions violentes de la part des masses. Partout nous assistons à la montée du mécontentement, de la colère et de la haine pour l’ordre existant.

Cela s’exprime de manière différente dans les différents pays. Mais partout nous pouvons voir que les masses, les travailleurs et la jeunesse entrent en mouvement pour défier l’ordre ancien et le combattre. Il suffit de mentionner les événements se déroulant en ce moment même.

Prenons deux exemples significatifs : Israël et le Liban. S’il y avait bien un pays au monde où la plupart des gens pensaient que la lutte des classes était terminée, c’était bien en Israël. Netanyahu semblait contrôler parfaitement la situation. Mais désormais la crise a frappé Israël, le niveau de vie chute, le chômage augmente et les masses ont battu le pavé pour demander la démission du gouvernement de Netanyahu.

Le Liban nous offre un exemple encore plus frappant. A la suite du mouvement révolutionnaire qui a balayé le pays à la fin de l’année dernière, l’explosion dans le port de Beyrouth, qui a dévasté la ville et mis 300 000 personnes à la rue, a déclenché un nouveau mouvement révolutionnaire encore plus déterminé. Il n’y a pas si longtemps, un tel mouvement semblait impossible à cause des profondes divisions sectaires existantes dans la société libanaise. Pourtant nous assistons à une énorme recrudescence de la révolution à laquelle participent toutes les sections de la classe ouvrière unies dans la lutte.

Ces explosions de colère ne tombent pas du ciel. Elles ont été préparées au cours de toute la période précédente, notamment durant les dix dernières années d’austérité.

 

La Biélorussie et la Russie

Un changement d’une ampleur comparable se déroule sous nos yeux en Biélorussie, où le mouvement d’opposition au président Loukachenko a pris un caractère de masse, malgré sa nature confuse et contradictoire.

Sa direction petite-bourgeoise aimerait accélérer le processus de privatisations et établir des relations plus poussées avec l’Union européenne. Mais l’émergence de la classe ouvrière comme une force centrale, orientant le mouvement vers une stratégie de grève générale, a changé la donne. Les travailleurs des entreprises d’Etat ne partagent pas l’enthousiasme des libéraux pour les privatisations et l’économie de marché.

La situation est très différente de ce qu’elle était en Ukraine il y a quelques années, où le mouvement était dominé par des éléments réactionnaires, nationalistes, et même ouvertement fascistes. En Biélorussie, il n’existe pas de tel sentiment antirusse dans la population. Le pays est au contraire si intégré à la Russie, tant économiquement, linguistiquement qu’historiquement, qu’il lui est difficile de rompre avec Moscou pour se tourner vers l’Occident.

On ne peut pas prévoir comment le mouvement actuel finira. Si Poutine regarde les événements avec une peur croissante, ses options sur place sont limitées : une intervention militaire serait une folie, car elle attirerait à la Russie l’hostilité des Biélorusses et les pousserait dans les bras de l’Occident. De toute manière, le président russe n’a pas d’intérêt particulier à sauver Loukachenko : c’est même plutôt l’inverse en réalité.

La clique du Kremlin intriguera sans doute avec les bureaucrates de Minsk pour trouver une figure « réformiste » acceptable pour remplacer Loukachenko déchu, un dirigeant conciliant prêt à négocier avec Moscou. Le succès d’une telle manœuvre dépendra de l’évolution future du mouvement de masse.

Ce mouvement en Biélorussie aura de sérieuses répercussions en Russie. Poutine craint, à raison, que la contestation ne s’exporte dans son pays. Les événements à Khabarovsk montrent que cette peur n’est pas sans fondements. L’empoisonnement de l’opposant libéral Navalny pourrait avoir provoqué une réaction de panique. Quoi qu’il en soit, les contradictions du régime russe se développent et préparent une situation explosive.

 

L’Europe

Le trait dominant de la période actuelle n’est pas la coopération internationale, mais le nationalisme. Il menace le fragile système d’alliances commerciales transnationales que la bourgeoisie avait eu tant de mal à bâtir dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale.

La guerre commerciale que se livrent les Etats-Unis et la Chine n’est qu’un des symptômes de ce phénomène. Mais il y a aussi une guerre commerciale entre les Etats-Unis et l’Europe. Et même entre les nations européennes, de dangereuses rivalités émergent à chaque instant.

Nous avons expliqué depuis longtemps que les bourgeoisies européennes pourraient maintenir un certain degré d’intégration pour une période donnée, mais qu’en cas de récession profonde, le processus se changerait en son contraire. C’est aujourd’hui clairement le cas.

 

L’Allemagne

L’Allemagne était la principale force motrice de l’économie européenne, mais elle a été durement touchée par la crise. Si sa puissance résidait alors dans son pouvoir d’exportation, cette force devient à présent sa première faiblesse. Le ralentissement économique de la Chine et la crise dans le reste de l’Europe ont lourdement plombé les exportations, en particulier dans le secteur stratégique de l’automobile.

Dès le dernier trimestre de 2019, le PIB allemand était en baisse. Il risque maintenant de s’effondrer plus fortement encore que celui des Etats-Unis, entraîné par sa dépendance aux exportations. La surproduction de voitures provoque des fermetures d’usines, des licenciements et des destructions d’emplois dans la plupart des secteurs de l’économie. Il y a désormais au moins trois millions de chômeurs, sans compter les auto-entrepreneurs et les étudiants.

Tout cela met à nu les lignes de faille qui déchirent aujourd’hui l’UE.

 

L’UE divisée

On observe une division grandissante avec les Etats membres d’Europe de l’Est. Beaucoup, à Bruxelles, pensent que les pays comme la Pologne et la Hongrie devraient cesser de recevoir des subventions tant qu’ils n’abandonnent pas leurs politiques de réformes judiciaires, vues par leurs critiques comme des attaques contre l’Etat de droit.

Cependant, la principale division à ce jour est celle qui oppose les pays les plus fortement touchés par le virus – comme l’Italie et l’Espagne – aux membres de l’UE qui rechignent à payer pour eux. L’Italie, en particulier, est un des premiers pays à avoir souffert de la pandémie et a enregistré 35 000 morts, un des pires bilans au monde. Ces tensions se sont révélées lors d’une réunion récente des dirigeants de l’UE qui discutaient d’une aide aux pays les plus touchés par la pandémie ainsi que du budget de l’Union de mille milliards d’euros pour les sept prochaines années.

La Suède, le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas, ainsi que la Finlande, ont obstinément refusé d’accorder 500 milliards d’euros de subventions aux pays les plus touchés par les effets du COVID 19. Ils ont considéré que le montant proposé était trop généreux, et qu’il fallait accorder des prêts plutôt que des subventions. Ces dirigeants supposés civilisés, majoritairement issus de partis sociaux-démocrates, se sont comportés comme des marchands de chevaux sur un marché médiéval.

De cette longue et houleuse réunion, où on a vu les dirigeants des pays de l’UE s’insulter respectivement et Macron taper du poing sur la table en menaçant de quitter la salle, est ressorti un semblant d’accord. Ils n’avaient de toute façon pas d’autre choix que de trouver un compromis, mais l’idéal de solidarité européenne s’est volatilisé au cours du processus.

 

L’Italie

Au centre de ce fracas se pose la question de l’Italie. L’impossibilité à trouver un accord aurait pu mener à la chute du gouvernement de coalition en Italie, et à la possibilité d’une renaissance de Salvini et de la Ligue anti-UE.

Le centre de la crise dans l’UE s’est déplacé de la Grèce vers l’Italie, qui est désormais l’homme malade de l’Europe. C’est le maillon le plus faible de la chaine du capitalisme européen. La crise en Italie constitue une bien plus grande menace pour le futur de l’UE que la Grèce ne l’a jamais fait. La Grèce, après tout, n’est qu’une nation relativement petite. Mais l’Italie est une puissante économie, qui compte pour 11 % du PIB de l’UE. L’énorme dette de 2 500 milliards d’euros pourrait détruire les finances de l’UE et l’effondrement de l’Italie pourrait mener à la destruction de l’UE elle-même. C’est ce qui explique l’attitude prudente de Merkel. Il était impossible d’être aussi dur avec l’Italie qu’avec la Grèce. Elle a été partiellement obligée de changer de méthode. Cela explique aussi en partie la colère du président français au récent sommet des dirigeants de l’UE.

La crise du coronavirus a révélé l’extrême fragilité du capitalisme italien et la corruption et l’incompétence au cœur de son gouvernement. Le nord de l’Italie – qui représente 50 % de son PIB – a été sévèrement touché par la crise du coronavirus. Mais cette région prospère a été témoin de scènes de mort et de destruction qu’on associerait normalement à un pays du Tiers monde.

La façon dont le gouvernement a géré la crise du Covid-19 a provoqué de la rage et de l’indignation. Les travailleurs ont dû travailler 12 à 14 heures sans augmentation de salaire, même les samedis, en particulier les travailleurs de la santé qui risquent leur vie. Cela exprime le profond mépris pour la vie et la santé des travailleurs de la part des capitalistes.

Des changements brusques et soudains dans les consciences sont évidents. Les enseignants et les étudiants se sont radicalisés et sont prêts à se battre. Il y a eu une vague de grèves, émergeant de la base, mais les réformistes et les dirigeants syndicaux ont fait de leur mieux pour retenir le mouvement. Les capitalistes sont à l’offensive, mais les dirigeants syndicaux recherchent un pacte social, même s’il n’y a pas de conditions pour cela.

Cette contradiction mène à une rapide perte d’autorité des dirigeants syndicaux, qui prépare la voie à des explosions encore plus importantes dans la période à venir. Le décor est planté pour une explosion de la lutte des classes comme on n’en a plus vu depuis les années 70. Cela a de graves conséquences pour toute l’Europe.

 

La France – prochain pays sur la liste

Bien que le problème le plus immédiat soit la crise en Italie, la France n’est pas loin derrière. Cela explique la réaction d’Emmanuel Macron face à l’entêtement des dirigeants du nord de l'Europe. Il a régulièrement tapé du poing sur la table et menacé de quitter les débats, accusant les « quatre économes » de mettre le projet européen en danger.

Le président français a déclaré qu’il n’y avait « pas d’autres choix » que de créer un fonds qui « pourrait émettre une dette commune avec une garantie commune » pour financer les Etats membres en fonction de leurs besoins plutôt que de la taille de leurs économies. Mais c’est une idée à laquelle l’Allemagne et les Pays-Bas se sont opposés.

Bruno Le Maire, ministre français de l’Economie et des Finances, a clairement déclaré :

« Soit la zone euro réagit de manière unie à la crise économique et elle sortira plus forte, soit elle réagit en ordre dispersé et elle risque de disparaître. » (FT, 23/03/2020)

Mais l’Europe ne réagit pas de manière unie. Au contraire, la crise économique a énormément exacerbé les différences nationales et conduit la classe dirigeante des différents pays dans différentes directions. Le Brexit n’était que le début d’un processus de désintégration qui est loin d’être terminé, et entraînera une crise après l’autre.

 

Le Royaume-Uni

L’effet immédiat du Brexit sera désastreux pour l’Europe et catastrophique pour le Royaume-Uni. Ayant quitté l’UE, la bourgeoisie britannique se trouvera dans le pire des mondes.

Toutes les illusions chauvines stupides seront exposées sans pitié pour la fraude qu’elles ont toujours été. Le Royaume-Uni se trouvera réduit au rôle d’une île sans importance au large des côtes européennes. La « relation spéciale » tant vantée du Royaume-Uni avec l’Amérique sera exposée comme la relation humiliante entre maître et serviteur. Le prestige dont il jouissait dans le monde par le passé s’effondrera du jour au lendemain comme un château de cartes.

Martin Wolf a prédit dans une sombre évaluation du Financial Times :

« Un “Royaume-Uni mondial” n’émergera pas, il sera plutôt à la recherche de miettes sur les tables d’économies plus puissantes, elles-mêmes engagées dans de féroces affrontements. » (FT, 21/05/2020)

Les contradictions nationales déchirant le Royaume-Uni sont déjà bien visibles. Le soutien à l’indépendance en Ecosse est désormais en tête des sondages d’opinion de 7 à 9 points, alors que la haine et le ressentiment contre le gouvernement conservateur augmentent.

Boris Johnson pourrait bien devenir le Premier ministre, non de la Grande-Bretagne, mais de la Petite Angleterre.

 

La Chine

La Chine a été l’une des principales forces motrices de l’économie mondiale au cours de la dernière période. Mais maintenant, tout se transforme dialectiquement en son contraire. La Chine n’est plus vue comme une partie de la solution, mais bien une partie du problème.

La Chine a construit une formidable base industrielle avec une énorme capacité productive. Mais la demande intérieure ne peut pas absorber ce potentiel productif colossal. La Chine doit exporter pour survivre. Mais son succès dans le domaine des exportations a désormais provoqué une réaction furieuse de ses concurrents, notamment aux Etats-Unis, mais aussi en Europe.

Même avant la crise actuelle, l’économie chinoise ralentissait à un rythme alarmant, mais la crise a poussé l’économie à sa limite. Au premier trimestre, JPMorgan Chase prévoyait une chute de 40 % du PIB chinois par rapport aux trois mois précédents, la plus grande contraction depuis au moins 50 ans.

Les derniers chiffres officiels montrent un taux de chômage de 5,9 %, le chiffre le plus élevé depuis le début des records dans les années 90. Mais ce chiffre est clairement une sous-estimation flagrante de la crise en Chine, car les travailleurs migrants ne sont pas inclus dans les statistiques.

Cela explique pourquoi Xi Jinping prend des mesures pour renforcer ses pouvoirs dictatoriaux et écraser le mouvement à Hong-kong. C’est une préparation à une future explosion de la lutte des classes en Chine, qui se prépare actuellement.

 

Une horreur sans fin

Lénine a un jour dit « le capitalisme est une horreur sans fin ». La réalité de cette maxime se dévoile aujourd’hui sous nos yeux : Le Programme Alimentaire Mondial dirigé par l’ONU a averti dans un récent rapport que plus de 265 millions de personnes étaient menacées par la famine. Les conséquences sociales de la pandémie de COVID-19 sont désastreuses pour les pays capitalistes avancés, mais les pays pauvres sont confrontés à une véritable catastrophe.

Même dans les pays les plus riches comme aux États-Unis, les effets de cette pandémie sur les populations les plus pauvres ont été considérables, mais pour la plupart de l’humanité, cette crise est d’une ampleur sans pareil.

La pandémie de COVID-19 pointe le doigt sur l’ampleur des inégalités dans le monde. Une personne sur deux lutte chaque jour pour sa survie. La moitié de la population mondiale n’a accès à aucune infrastructure de soin. Pour des personnes vivant dans la pauvreté, la maladie est une mort assurée. A l’échelle globale, deux milliards de personnes travaillent sans contrat officiel, sans le moindre accès à des congés maladie, et ce principalement dans les pays pauvres.

Les conséquences de la pandémie sont plus lourdes pour les personnes pauvres et les travailleurs sans contrat, dont beaucoup sont des femmes, qui manquent d’accès à une protection financière et sociale. Des millions de personnes sont forcées de se rendre au travail et risquer de s’exposer à ce virus meurtrier, car ils ne peuvent pas se permettre une perte de revenus face à la croissance des prix de la nourriture et d’autres denrées essentielles. Dans les pays pauvres, de nombreuses personnes vivent dans des colonies urbaines, voire dans des bidonvilles, souvent touchés par la surpopulation et des conditions d’hygiène déplorables. Comment peut-on parler de distanciation sociale, de gel hydroalcoolique ou de traçage des cas pour limiter la propagation du virus dans des communautés où près de 250 personnes n’ont accès qu’à un seul robinet d’eau ?

Cependant, au lieu d’investir dans leurs systèmes de santé pour arrêter l’avancée meurtrière du virus, ces pays ont utilisé leurs précieuses ressources pour rembourser leurs dettes. La dette extérieure des 77 pays les plus pauvres représentera au moins 40 milliards de dollars pour l’année 2020 seule. Ainsi, même lorsque le monde est ravagé par une pandémie et que des millions de personnes risquent de mourir de maladie ou de faim, les vampires impérialistes continuent à se gorger du sang de la classe ouvrière.

 

Afrique

L’Afrique du Sud, qui a connu parmi les plus hauts taux d’augmentation de cas en 24 heures, a le plus grand nombre de cas confirmés du continent africain. L’Égypte voit son nombre de cas augmenter rapidement depuis mi-mai. Le Lesotho et la Namibie ont également subi d’importantes augmentations des cas diagnostiqués durant ces derniers jours.

L’inquiétude grandit pour le Nigeria, qui enregistre le troisième nombre de cas le plus élevé du continent. Les plus hauts taux de mortalité dus au virus ont été enregistrés au Tchad, au Soudan, au Niger, au Liberia et au Burkina Faso. Au Malawi, il n’y a que 25 lits destinés aux soins intensifs et 16 ventilateurs pour 18 millions de personnes. La Zambie ne compte qu’un docteur pour 12 000 personnes.

Dans de nombreux pays, les marchés ont été perturbés, et des mises en quarantaine de communautés entières ont mené à des pertes de revenus. Des millions de travailleurs ont été renvoyés chez eux sans avoir été payés. Certains travailleurs occupant les postes les plus précaires ne peuvent rien faire pour se protéger du virus. L’ONU a déjà annoncé qu’un emploi sur deux en Afrique est menacé par cette pandémie.

 

Inde et Pakistan

La pandémie de COVID-19 a eu des effets dévastateurs au Pakistan, mais c’est en Inde qu’elle prend ses proportions les plus dramatiques et l’étendue réelle de la propagation du virus et du nombre de morts causé par celui-ci commence à peine à être mesurée. Les chiffres officiels annoncent que deux millions de personnes ont contracté le virus, mais il est presque certain que ceux-ci soient des sous-estimations.

La communauté scientifique a également averti que l’épidémie en Inde pourrait encore mettre plusieurs mois à atteindre son pic, et ce malgré le fait que le pays soit déjà le troisième en termes de cas confirmés. Dans les villes les plus sévèrement touchées, incluant Mumbai et Bangalore, les hôpitaux ont été submergés de patients. Narendra Modi a tenté de « résoudre » l’épidémie en expulsant des millions de personnes vivant dans les rues de Delhi, de Mumbai et d’autres grandes villes. Ceci n’a servi qu’a répandre la pandémie dans les villages et les provinces, qui n’ont pas accès aux infrastructures de soin les plus basiques. Les conséquences humaines seront catastrophiques.

Les travailleurs indiens représentent 471 millions de personnes, dont seulement 9 % sont couverts par la sécurité sociale et 90 % ne possèdent pas de contrat officiel. 139 millions sont des travailleurs saisonniers, dont nombre d’entre eux ont été renvoyés vers leurs villages, parfois à plusieurs semaines de marche. Il n’y a eu aucun événement comparable depuis la partition de l’Inde en 1947.

Modi et son gang de nationalistes hindous tentent de détourner l’attention des masses de cette crise en attisant les flammes du chauvinisme hindou et du communautarisme, ajoutant encore au supplice des masses indiennes. Après avoir mené une répression brutale dans la région du Cachemire qui a engendré un conflit avec le Pakistan, Modi a ensuite engendré une guerre frontalière avec la Chine, une décision qu’il regrettera amèrement.

 

Amérique latine

En Amérique latine, le coronavirus a désormais adopté sa forme la plus virulente. Dans des pays comme le Brésil, le Chili, l’Equateur et le Pérou, il est hors de contrôle. Dans certaines villes de l’Equateur, les cimetières sont pleins, et les cadavres sont abandonnés dans la rue.

Les gouvernements de droite se sont montrés complètement incapables de s’occuper de cette menace pour la vie des gens. Au contraire, par leur comportement cruel et irresponsable, ils ont empiré cette crise un million de fois. Mais l’état d’esprit de la population en Amérique latine a énormément bénéficié des évènements aux Etats-Unis.

Les manifestations massives et le mouvement Black Lives Matter ont enthousiasmé les gens au sud du Rio Grande, dont la plupart n’auraient jamais cru que de telles choses fussent possibles dans le cœur de l’impérialisme. Les masses sont prêtes à se battre. Mais le problème de la direction se pose à nouveau.

 

Le Brésil et le Chili

Au Brésil, malgré l’hystérie stupide de la prétendue gauche et des sectes, qui imaginaient que le fascisme avait triomphé avec la victoire de Bolsonaro aux élections, la base du président s’est réduite et son parti a scissionné.

Le pays compte déjà près de quatre millions de personnes infectées par le coronavirus, dont le président, pour qui nous n’allons pas verser de larmes. Il aura les meilleurs médecins. Mais pour de nombreux pauvres du Brésil, la maladie sera une condamnation à mort.

La crise du coronavirus retient temporairement le mouvement des masses. Mais sous la surface se trouve une colère immense contre le gouvernement, et aussitôt que le confinement s’assouplira, cette colère s’exprimera dans une vague révolutionnaire massive.

La situation du Brésil est bien connue. Mais l’attitude des autorités au Chili n’est pas meilleur. Le gouvernement de droite de Piñera est à la tête d’un désastre national.

Le Chili a été témoin de manifestations insurrectionnelles de masse à l’automne 2019, et un nouveau mouvement de protestation commence, dirigé principalement contre le service privé des retraites – un héritage de la dictature de Pinochet. Les gens qui ont désespérément besoin d’argent pour survivre exigent le droit de retirer leur argent des AFP privées [entreprises appelées Administratrices de Fonds de Pension].

Le gouvernement résiste, mais a essuyé deux défaites au Parlement. Un nouveau mouvement pourrait facilement le faire tomber. Il y a récemment eu une grève des dockers, qui manifestaient contre le scandale. A leur tour, les mineurs menacent de faire grève.

Le gouvernement Piñera a été contraint de faire une concession sur les AFP, permettant aux gens de retirer 10 % de leur argent. Cela montre à quel point ce gouvernement est faible. Le gouvernement ne reste au pouvoir qu’à cause de l’attitude de compromission de la gauche parlementaire et des dirigeants syndicaux. Mais aucun problème fondamental n’a été résolu, et une nouvelle explosion sociale se prépare.

 

La crise du réformisme

La situation mondiale implique des possibilités révolutionnaires. La radicalisation croissante d’une couche de la société, particulièrement la jeunesse, l’illustre bien. Cette tendance a été commentée avec effroi par les stratèges du capital. Le Financial Times écrit :

« La crise financière a façonné la vision du monde des milléniaux [personnes nées entre le début des années 80 et la fin des années 90] dans des aspects qui sont déjà moteurs de la politique des deux côtés de l’Atlantique, notamment la volonté plus grande des plus jeunes à se définir comme socialistes. »

« Les milléniaux ont hissé Jeremy Corbyn à la direction du Parti Travailliste et Bernie Sanders aux portes de la nomination des Démocrates pour les élections présidentielles. Le coronavirus va certainement aiguiser une grande partie de ces visions du monde. »

C’est un article très révélateur, qui montre comment les sérieux stratèges du capital parviennent aux mêmes conclusions que les marxistes. Ils comprennent également qu’en premier lieu, les couches nouvellement conscientisées vont se tourner vers les réformistes de gauche. Un tel développement est entièrement prévisible au vu des conditions actuelles.

 

Le réformisme de gauche

En raison de la faiblesse des forces du marxisme authentique, ces couches radicalisées se tourneront d’abord vers les politiciens réformistes de gauche, qui semblent proposer une sortie de crise.

Réagissant à la pression des masses, ils peuvent adopter une rhétorique très radicale. Mais en dernière analyse, ils n’ont pas comme perspective d’abolir le capitalisme.

Ils croient que le capitalisme peut être réformé, rendu plus humain, plus démocratique, et ainsi de suite. Ces illusions seront cruellement démasquées comme telles par le cours des événements, comme nous l’avons déjà vu avec Tsipras en Grèce.

Pour les réformistes, la révolution est toujours hors de question, pas seulement pour les réformistes de droite, mais particulièrement pour ceux de gauche. Ils trouveront toujours mille et un arguments pour dire que la révolution est impossible, utopique, etc.

Les masses sont finalement contraintes de regarder la réalité en face. Elles commencent doucement à tirer des conclusions. C’est notre grande force, et la grande faiblesse du capitalisme et du réformisme. Cela prendra du temps, mais tôt ou tard, les anciennes illusions seront graduellement éliminées de la conscience de la classe ouvrière.

Un grand nombre de travailleurs et de jeunes radicalisés sont passés par l’école de Tsipras, Sanders et Jeremy Corbyn. Les meilleurs éléments ont tiré d’importantes leçons de cette école. Une fois diplômés, ils sont passés à un niveau supérieur et cherchent un approfondissement à l’école du marxisme révolutionnaire. Nous devrions les aider à faire la transition. Mais comment le faire ? Ici, deux erreurs sont possibles.

Les opportunistes ne font aucune critique des politiciens de gauche et en deviennent en réalité une sorte de fan-club. À l’extrême opposé, les sectaires abrutis qui se prennent pour de grands révolutionnaires, car ils ont lu quelques lignes de Trotsky, sans en comprendre le moindre mot, déclarent haut et fort que tel ou tel dirigeant de gauche va trahir. Dans les rangs de la TMI, il n’y a de place pour aucune de ces déviations. Il est difficile de dire laquelle des deux fait le plus de mal à la cause du marxisme authentique.

Face aux réformistes de gauche, nous devons veiller à combiner habilement la fermeté concernant nos principes et la flexibilité et le tact nécessaires dans la manière dont nous faisons nos critiques. Pour citer Marx, nous devons agir « avec fermeté dans le fond, modération dans la forme ». C’est la seule manière dont nous pourrons gagner à nous les meilleurs travailleurs et jeunes qui ont des illusions honnêtes dans les politiciens de gauche.

Nous devons répondre aux réformistes de gauche, non par des dénonciations stridentes, mais par des explications patientes. Avec l’expérience, les gens qui évoluent dans une direction révolutionnaire finiront par comprendre les limites des réformistes, non seulement ceux de droite, mais aussi ceux de gauche.

 

L’agonie du capitalisme

Partout où l’on regarde, nous voyons l’effondrement des forces productives, la hausse du chômage, la pauvreté et la souffrance qui croissent, les guerres, la crise, la maladie et la mort. Mais ce ne sont que les manifestations externes d’un mal sous-jacent. Et comme un bon médecin, nous devons être capables d’analyser les symptômes pour expliquer les causes sous-jacentes.

Ceux qui n’ont pas une compréhension scientifique et marxiste de l’histoire tirent naturellement des conclusions pessimistes. Mais dans l’histoire, nous pouvons retrouver les symptômes d’aujourd’hui.

Le déclin de l’Empire romain a eu lieu sur une période de plusieurs siècles et s’est accompagné de la dégénérescence économique, sociale, morale et philosophique la plus effrayante. Cette longue période de déclin, cependant, ne s’est pas déroulée en ligne droite. Il y a eu des périodes de rétablissement, de la même manière qu’un mourant donne parfois l’impression de manifester tous les signes de la guérison, qui ne sont que le prélude à un effondrement plus profond et irrévocable.

De telles périodes de rétablissement sont envisageables pour le capitalisme. Mais la tendance générale est clairement au déclin. Aucune solution durable n’est possible. Pour utiliser les mots célèbres de Trotsky, nous assistons à l’agonie du capitalisme. Et cette agonie menace toute l’espèce humaine.

 

La force d’inertie

Dans leur analyse des phénomènes, les marxistes doivent veiller à les examiner sous tous les points de vue, en prenant en compte les forces contradictoires qui poussent dans différentes directions.

Nous sommes entrés dans la période la plus tumultueuse de l’histoire humaine. La crise économique, sociale et politique d’aujourd’hui ne peut pas avoir une issue durable sur la base du système actuel. Cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’à certains moments un degré d’équilibre instable ne peut pas être rétabli. Au contraire, des périodes de rétablissement temporaires sont inévitables. Mais elles seront de courte durée, et ne seront que le prélude à un nouvel effondrement, plus abrupt.

La situation actuelle représente un complexe parallélogramme des forces. D’un côté, les masses cherchent désespérément une sortie de crise. Elles sont prêtes à emprunter la voie de la révolution, mais il leur manque un programme clair et des perspectives claires pour aller de l’avant.

Par conséquent, les explosions spontanées de rébellion ne peuvent pas résoudre les problèmes qui se posent. De ce fait, elles finissent à un certain point par diminuer, comme les vagues qui s’écrasent sur un rocher et qui s'adoucissent.

En face, l’ordre établi est extrêmement résistant. Cela rassure certains stratèges de la bourgeoisie. L’historien américain Eric Foner a récemment déclaré :

« On dirait qu’il y a une inertie très puissante qui nous ramène à la normale. Je suis sceptique face à ceux qui pensent que tout changera avec le coronavirus ».

Nous devons bien prêter attention à ces remarques, car elles comportent un important fond de vérité.

Bien sûr, nous attachons beaucoup d’importance à la vague de luttes qui parcourt les Etats-Unis et d’autres pays. Nous accueillons avec le plus grand enthousiasme cette vague de luttes. Mais nous comprenons également qu’il s’agit de symptômes qui constituent une expression embryonnaire des grands évènements qui se préparent.

Afin d’aboutir à des perspectives et une tactique correctes, nous devons comprendre l’autre aspect de cette question. La force d’inertie est une loi bien connue et simple de la mécanique. Mais même l’inertie la plus puissante peut être renversée par l’exercice suffisant d’une force.

L’inertie la plus puissante est celle de la force de l’habitude, des coutumes et de la tradition qui pèsent lourdement sur la conscience humaine. Les instincts hérités d’un passé très lointain font que les gens résistent au changement et le redoutent. Pour faire un bond en avant, cette barrière doit être abattue. Mais cela n’est possible qu’à travers les catastrophes sociales et économiques les plus puissantes, qui contraignent les hommes et les femmes à interroger ce que jusqu’à présent ils considéraient comme établi et permanent.

 

La tâche des révolutionnaires

Le système capitaliste est sous perfusion. Maintenant il dépend exclusivement des subventions colossales prodiguées par l’Etat. Mais selon les théories de l’économie de marché, l’Etat n’est pas censé jouer quelque rôle que ce soit dans la vie économique.

Il faut donc se poser cette question : si le système capitaliste ne peut pas survivre sans être soutenu par les béquilles de l’Etat, pourquoi ne pas l’abolir une bonne fois pour toutes, et laisser l’Etat prendre le contrôle entier de l’économie et donc l’empêcher de se précipiter dans une faillite totale et irrévocable ?

La situation actuelle est une condamnation pleine et entière du système capitaliste, qui a survécu au-delà de son rôle historique et qui n’est plus bon qu’à être jeté dans la poubelle de l’histoire. Mais nous savons bien que le capitalisme ne va pas tout simplement s’effondrer sous le poids de ses propres contradictions. Il peut se relever de la crise la plus sévère, et il se dégagera également de la crise actuelle. La question qu’il faut se poser pourtant est la suivante : comment va-t-il s’en dégager, et à quel prix pour l’humanité ?

Bien que certaines périodes de reprises partielle et conjoncturelle ne soient pas à écarter, la ligne générale tend clairement vers le déclin. La prochaine reprise sera temporaire, et constituera le prélude à un nouvel effondrement, encore plus profond, des forces productives. Aucune solution durable n’est possible sous le capitalisme.

Aujourd’hui, le capitalisme ressemble à un monstre qui meurt debout, en phase terminale, délabré et en décomposition. Mais il refuse de mourir. Et les conséquences pour l’humanité de son maintien en vie sont terrifiantes. Pourtant, il ne s’agit ici que d’un aspect de la question. Au-delà des symptômes de dégénérescence, une nouvelle société lutte pour naître.

Il est de notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour écourter cette lente agonie, et de susciter la naissance du nouveau système, d’accompagner cette naissance, afin qu’elle se produise le plus rapidement possible, en évitant le plus possible la douleur et la souffrance.

 

Déterminisme n’est pas fatalisme 

Le marxisme se construit sur la conception matérialiste de l’histoire. Nous rejetons la conception post-moderne (idéaliste) de l’histoire en cela qu’elle constitue une simple répétition d’évènements insignifiants. L’histoire a ses propres lois, qu’il est de notre devoir de comprendre.

Nous adhérons au déterminisme historique, en ce sens que nous comprenons que le cours général de l’histoire fonctionne selon des lois définies. Mais le déterminisme n’a rien à voir avec le fatalisme. Marx a expliqué à de nombreuses reprises que les hommes et les femmes font eux-mêmes leur propre histoire. Quand un système socio-économique entame une phase de déclin, la révolution sociale figure à l’ordre du jour. 

Mais le fait que la révolution triomphe ou échoue dépend de l’implication active du facteur subjectif : en termes actuels, il s’agit du parti révolutionnaire et sa direction.

Au dix-septième siècle en Angleterre, la première révolution bourgeoise a été menée sous la bannière de la religion. Les Puritains croyaient que la fin du monde était proche, et que le royaume de Dieu était à portée de main. Ils pensaient que c’était inéluctable.

Les Calvinistes croyaient à la prédestination avec ferveur. Tout était anticipé par la volonté de Dieu, qui était beaucoup plus puissante que la volonté des individus, hommes ou femmes. Mais cette conviction ne réduisit en aucun cas leur ferveur révolutionnaire et leur détermination à faire advenir ce nouveau monde aussi vite que possible.

Au contraire, ils se sentirent motivés pour mener de grands exploits de courage et d’audace révolutionnaires. Exactement la même tâche à laquelle doivent faire face les révolutionnaires aujourd’hui. Et nous l’aborderons avec exactement le même esprit de détermination révolutionnaire. A la différence près que contrairement à eux, nous serons armés des théories scientifiques du marxisme révolutionnaire.

 

Révolution mondiale

Que signifie vraiment la situation actuelle ? C’est une période de préparation à la révolution. La mondialisation, et l’intensification de la division du travail dans le monde entier qui s’en est suivie, a amplifié les interconnexions internationales jusqu’à un degré inconnu jusqu’alors.

Il y a peu encore, la mondialisation avait servi à propulser le développement du capitalisme vers de nouveaux sommets. Maintenant la même chose servira à propager la révolution à l’échelle mondiale.

Au cours de ces événements, la classe ouvrière aura de nombreuses opportunités pour s’emparer du pouvoir. Un jour ou l’autre, dans un pays ou un autre, une percée importante se produira. La situation se transformera à l’échelle mondiale. 

Il est impossible de dire où la faille se produira. Peut-être au Brésil, en Italie, au Liban, en Grèce, en Russie ou en Chine – ou, même, ce serait tout à fait possible, aux Etats-Unis eux-mêmes. Mais une fois qu’elle se sera produite, les répercussions se propageront dans le monde entier beaucoup plus rapidement qu’à aucune autre époque du passé.

Les révolutions de 1848-49 étaient réduites à l’Europe, et n’eurent qu’un écho limité dans le reste du monde. La grande Révolution d’octobre 1917 fit des vagues non seulement en Europe, mais aussi en Asie, ce qui déclencha le vrai début des luttes pour la liberté des peuples coloniaux réduits en esclavage. Mais maintenant nous sommes partout témoins de mouvements révolutionnaires : de la France au Liban, de la Biélorussie à la Thaïlande, des Etats-Unis au Chili. Autrement dit, nous voyons déjà les contours de la révolution mondiale.

 

Patience révolutionnaire

Dans le passé, les situations prérévolutionnaires ne duraient pas longtemps. C’était une affaire de mois, on résolvait la crise par la victoire de la révolution ou à l’inverse par celle de la contre-révolution, soit en mode bonapartiste, soit fasciste. Mais le rapport de forces des classes actuelles ne peut pas admettre une solution aussi rapide. L’effritement de la base sociale du bloc réactionnaire (la paysannerie, etc.) a pour effet que la classe dirigeante dans la plupart des pays ne peut pas immédiatement recourir à la réaction fasciste ou bonapartiste.

D’autre part, les dirigeants de leurs propres organisations populaires interdisent à la classe ouvrière de prendre le pouvoir. Pour ces raisons, la crise du capitalisme peut traîner encore un certain temps – des années, peut-être des décennies, avec des hauts et des bas.

Cette période sera caractérisée par des retournements violents de l’opinion publique – à la fois à gauche et à droite –, qui seront l’expression d’une quête acharnée vers la sortie de crise. Des coalitions instables se succèderont. Tous les partis existants ainsi que les dirigeants seront mis à l’épreuve. Les masses populaires tenteront une option après l’autre, abandonnant d’abord un parti, puis un autre, pour enfin arriver à des conclusions révolutionnaires.

Ce processus est en marche, c’est évident. C’est un fait très important. Mais le début d’un processus ne vaut que ce qu’il est. Afin que ce processus mûrisse et se développe jusqu’à donner sa pleine mesure, il devra nécessairement passer par une suite d’expériences, car ce n’est qu’à travers l’expérience que les masses peuvent apprendre. Et oui, ils apprendront. On n’en perçoit pas encore le résultat final.

Les marxistes sont des gens patients. Il nous est égal que le processus prenne un peu plus de temps, pour la bonne et simple raison que nous ne sommes pas encore prêts. Les gens maintenant sont plus réceptifs à nos idées qu’à tout autre moment dans l’histoire. Il y a clairement un sentiment anticapitaliste qui se développe partout. Nos idées sont reconnues comme pertinentes parce qu’elles reflètent la situation réelle avec précision.

Les conditions objectives pour la révolution socialiste mondiale, comme le fit remarquer Trotsky, ne sont pas mûres, mais ont même commencé à pourrir. Mais en plus des conditions objectives, le facteur subjectif est également nécessaire. Notre tâche consiste à construire ce facteur.

 

Construisons la TMI

Pour des raisons qui dépassent le champ de ce document, les forces du marxisme véritable ont été reléguées pendant toute une période historique. C’est cette faiblesse de la tendance marxiste révolutionnaire au niveau mondial qui rend impossible le ralliement immédiat des masses populaires à nos rangs.

A ce stade, notre audience sera réduite aux couches de travailleurs les plus avancés et aux jeunes, pour la bonne et simple raison que nous n’avons pas encore accumulé de forces suffisantes pour atteindre les masses directement. Or c’est précisément à travers cette couche-là que nous pouvons atteindre les masses. Il n’y a vraiment aucune alternative.

Bien sûr, là où des opportunités majeures se présenteront, nous devons être prêts à prendre des initiatives audacieuses. Très souvent, une intervention audacieuse de la part de l’un de nos camarades à un meeting important peut décider de la tenue ou non d’une grève. Il est possible qu’une initiative audacieuse nous propulse à la direction de mouvements populaires importants. Inutile de le préciser, nous devons saisir cette possibilité à bras-le-corps. Mais en tout état de cause, il faut garder le sens des proportions. Nous ne devons pas avoir une perception exagérée de nos forces et nous devons comprendre, à tout moment, ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.

Lénine soulignait souvent la nécessité de la patience révolutionnaire. On ne peut pas ignorer et passer au-dessus de la classe ouvrière. On ne peut pas crier plus fort que la force de nos propres voix. Trotsky prévenait ses partisans que l’on ne moissonne pas là où on n’a pas semé. Il n’y a pas de raccourci vers la réussite. La recherche de raccourcis est le meilleur moyen de dévier de la ligne, soit pour aller vers l’opportunisme soit vers l’ultra-gauchisme. Les deux sont tout aussi catastrophiques.

Nous procéderons par paliers, en nous donnant des objectifs, ambitieux, mais réalisables, et nous ferons le point sur leur mise en œuvre. La construction d’une organisation révolutionnaire est constituée d’une longue série de petits pas. Mais ces petites avancées ouvrent la voie vers un futur fait de choses bien plus grandes.

La TMI progresse avec régularité. C’est attesté à la fois par nos amis et par nos ennemis. Notre récente Ecole Mondiale a montré que nos idées atteignent déjà des milliers de travailleurs parmi les plus avancés, et des jeunes qui cherchent la voie révolutionnaire.

C’est un grand bond en avant qui a été atteint, mais ce n’est que le début. Les milliers se transformeront en dizaines de milliers pour nous permettre finalement d’atteindre des millions. Ce n’est pas du tout la même chose d’atteindre une nouvelle étape de la révolution mondiale avec un groupe de 20 qu’avec une organisation d’un millier. C’est une tâche particulièrement difficile, mais inévitable.

L’épreuve la plus difficile est de passer de la première petite poignée de gens à la première centaine. De la première centaine au premier millier, ce n’est pas simple non plus, mais c’est beaucoup plus facile. Mais passer d’un millier à dix mille est encore plus facile. Quant à passer de dix mille à cent mille, il ne faudra qu’un pas.

Pour emprunter une expression à la physique, nous devons atteindre la masse critique : ce point où la TMI pourra vraiment peser comme facteur décisif sur la situation. Surtout, nous devons être vigilants sur l’éducation des cadres. Nous commençons par la qualité, qui à un moment donné se transformera en quantité, et qui à son tour redeviendra qualité.

Voici la tâche qui nous incombe. Ce n’est qu’en la réussissant qu’il sera possible de sceller la fin du cauchemar du capitalisme, et ouvrir la voie vers un nouveau et meilleur monde sous le socialisme.

Le capitalisme est en crise à l'échelle mondiale. La classe dirigeante attribue la crise au coronavirus. Mais ce virus ne fait que faire remonter à la surface les contradictions qui se sont accumulées depuis des décennies au sein du système capitaliste. Cela ouvre une nouvelle période historique de turbulences, d'instabilité et de lutte des classes intense.

Ce document a été écrit à l'automne 2019 et adopté par le Comité exécutif international de la Tendance Marxiste Internationale en janvier 2020. Bien qu'il ait été préparé bien avant l'épidémie du Covid-19, il montre toutes les contradictions sous-jacentes qui se révèlent dans la crise actuelle. Nous recommandons à tous nos lecteurs de lire ce document afin de mieux comprendre l'époque dans laquelle nous sommes entrés.


Le Manifeste communiste s’ouvre sur une phrase célèbre : « Un spectre hante l’Europe ». C’était en 1848, une année de soulèvements révolutionnaires en Europe. Mais aujourd’hui, un spectre hante non seulement l’Europe, mais le monde entier. C’est le spectre de la révolution. La révolution mondiale n’est pas une phrase vide de sens. Elle décrit avec précision la nouvelle étape dans laquelle nous entrons.

Rappelons simplement les événements des douze derniers mois. Des soulèvements révolutionnaires ont éclaté en France, en Catalogne, en Iran, au Soudan, en Algérie, en Tunisie, à Hong Kong, en Equateur, au Chili, en Haïti, en Irak et au Liban où les masses sont descendues dans la rue et où des grèves générales ont paralysé les pays. Au Venezuela, nous avons eu la défaite d’un coup d’Etat contre-révolutionnaire déterminé, soutenu par l’impérialisme américain.

En France, le mouvement des Gilets jaunes a pris tous les commentateurs bourgeois par surprise. Avant ce soulèvement de masse, tout semblait aller comme prévu pour le « Centre politique » en la personne d’Emmanuel Macron. Ses réformes (en réalité des contre-réformes) passaient sans heurts. Les dirigeants syndicaux se comportaient de manière responsable (c’est-à-dire qu’ils capitulaient). Cela a été brutalement interrompu lorsque les masses sont descendues dans les rues conformément aux meilleures traditions révolutionnaires de la France, et ont profondément secoué le gouvernement. Ce mouvement de millions de personnes semblait venir de nulle part, comme un éclair dans un ciel bleu.

C’est exactement la même chose qui s’est produite à Hong Kong. Toute personne ayant des doutes sur le potentiel révolutionnaire qui existe aujourd’hui devrait étudier attentivement ces événements. Avant cela, les dirigeants de Pékin et leurs agents locaux semblaient avoir le contrôle total. Pourtant, il y a eu un puissant mouvement de masse de millions de personnes, défiant une formidable dictature dans les rues. Et comme le mouvement en France, il semblait sortir de nulle part. Il en a été de même pour chacun des mouvements de masse qui ont éclaté dans un pays après l’autre.

Trotsky a dit un jour que la théorie est la supériorité de la prévision sur la stupéfaction. Les manifestations soudaines et violentes du mécontentement populaire prennent toujours la bourgeoisie et ses « experts » par surprise. C’est parce que les « experts » bourgeois n’ont pas de théorie (sauf celle selon laquelle toute théorie est inutile) qu’ils sont constamment étonnés lorsque les événements leur explosent soudainement au visage. Les empiristes superficiels de la bourgeoisie ne regardent que la surface des événements (les « faits »). Ils ne se donnent pas la peine de regarder sous la surface pour découvrir les processus plus profonds qui sont à l’œuvre partout.

S’il s’agissait d’un ou deux pays, on pourrait objecter qu’il s’agit de phénomènes accidentels – des épisodes transitoires dont on ne peut tirer aucune conclusion générale. Mais lorsque nous voyons exactement le même processus se produire dans un pays après l’autre, nous n’avons plus le droit de l’écarter comme un accident. Ces évolutions sont plutôt la manifestation d’un même processus général, reflétant les mêmes lois et tendances sous-jacentes.

Le processus moléculaire de la révolution

À l’avenir, la période que nous traversons sera considérée comme le moment d’un changement fondamental, un tournant dans l’ensemble de la situation. Il n’y a pas si longtemps, cette affirmation semblait être contredite par les faits. L’économie mondiale semblait avancer lentement. Mais aujourd’hui, les événements s’accélèrent à une vitesse vertigineuse. Seule la méthode dialectique du marxisme peut fournir une explication rationnelle des processus auxquels les empiristes bourgeois désespérés sont complètement aveugles.

Comment expliquer de tels phénomènes ? Et que représentent-ils ? Les observateurs superficiels et les empiristes sont frappés par des événements qu’ils n’ont pas anticipés et pour lesquels ils n’ont aucune explication. La dialectique nous apprend que, tôt ou tard, les choses se transforment en leur contraire. La Grande-Bretagne en est un excellent exemple. Il y a six ans à peine, la Grande-Bretagne était considérée comme le pays le plus stable d’Europe, voire du monde – aujourd’hui, la situation est inversée et elle est probablement le pays le plus instable d’Europe. La « mère des parlements » était autrefois célèbre pour sa sérénité tranquille, mais elle a soudainement été secouée par la crise, la division et le chaos absolu.

Pour parvenir à une réelle compréhension de ces processus souterrains, la méthode d’analyse dialectique est absolument nécessaire. Les bourgeois n’ont naturellement aucune compréhension de la dialectique ; les réformistes en ont encore moins, si cela est possible. Il n’est pas nécessaire de mentionner les sectes à cet égard, car elles ne comprennent rien du tout. Leur absence totale de perspectives est la principale raison pour laquelle elles sont toutes en crise.

Trotsky a formulé une phrase vraiment remarquable : « Le processus moléculaire de la révolution ». Il est utile de réfléchir à cette phrase. Trotsky faisait référence à la dialectique, et sans une compréhension de la dialectique, on ne peut rien comprendre. Le processus de changement de conscience dans les masses se fait normalement de manière progressive. Il se développe lentement, imperceptiblement, mais aussi inexorablement, jusqu’à ce qu’il atteigne un point de basculement où la quantité se transforme en qualité et les choses en leur contraire.

Sur de longues périodes, il s’exprime comme une lente accumulation de mécontentement, de colère, de rage et, surtout, de frustration sous la surface. Ici et là, il y a des symptômes, de petits signes qui ne peuvent être compris que par un observateur entraîné qui peut voir ce qu’ils signifient. Mais c’est un livre scellé de sept sceaux à l’empiriste têtu, qui, tout en insistant toujours sur « les faits », est aveugle aux processus sous-jacents plus profonds.

Le philosophe Héraclite a exprimé son mépris pour les empiristes, lorsqu’il a écrit de façon sarcastique : « Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les hommes s’ils ont des âmes qui les interprètent mal ». Peu importe le nombre de faits et de statistiques qu’ils accumulent, ils passent toujours à côté de l’essentiel.

Depuis la crise de 2008-2009, il y a eu un processus lent, une accumulation progressive de mécontentement. Cette crise a représenté une rupture fondamentale dans l’ensemble de la situation internationale. Et ce fut une rupture dans tous les sens du terme. Maintenant, nous pouvons voir le processus moléculaire de la révolution dont Trotsky parlait. C’est un processus silencieux et invisible. C’est quelque chose d’intangible sur lequel on ne peut pas poser le doigt, car il se déroule sous la surface. Mais il est là tout le temps, creusant son chemin comme une taupe.

En France, depuis octobre 2018 et le début du mouvement des Gilets jaunes, nous avons vu clairement comment un potentiel révolutionnaire existe. Même le Brexit, d’une manière particulière, montre le même processus. En Italie, le même état d’esprit existe, un profond ressentiment contre l’establishment. Mais nous avons également vu comment la soi-disant gauche n’a absolument pas réussi à articuler une expression organisée de ce sentiment révolutionnaire.

Des changements brusques et soudains sont implicites dans la situation. Ces explosions soudaines sont un symptôme du courant sous-jacent de rage et de mécontentement accumulés chez des millions de personnes, qui est en fait dirigé contre le système. Elles sont un symptôme clair du fait que le système capitaliste est entré dans une crise profonde à l’échelle mondiale. Ce sont les secousses qui annoncent l’imminence du tremblement de terre.

« De l’économie concentrée »

Lénine a dit que la politique est de l’économie concentrée. En dernière analyse, l’économie est le facteur décisif. S’il y avait la perspective d’un boom prolongé et soutenu, qui changerait la situation, les bourgeois auraient de la marge de manœuvre pour faire des concessions à la classe ouvrière. Mais ce n’est pas la perspective.

La question économique a été largement traitée dans les documents précédents, nous nous limitons donc ici à une brève mise à jour. La discussion sur l’économie est bien sûr très importante, mais ce n’est pas le seul facteur.

Pour les marxistes, l’importance de l’économie réside dans ses effets sur la conscience. Mais la conscience est une chose très élastique. En général, elle est très conservatrice, façonnée non seulement par les conditions actuelles, mais aussi, très fortement, par le passé. Prenons la conscience des travailleurs des pays capitalistes avancés, comme l’Europe et l’Amérique du Nord. Elle a été façonnée par des décennies d’essor économique capitaliste.

Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas même pendant cette période. Mais les ralentissements (ou « récessions », comme on les appelait) étaient peu prononcés et ne duraient pas longtemps, et étaient suivis d’une véritable reprise. Ce sont ces conditions matérielles – le quasi-plein emploi, la hausse du niveau de vie et les réformes importantes des retraites, de la santé et de l’éducation – qui ont énormément renforcé les illusions dans le capitalisme. C’est la raison fondamentale pour le retard de la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés et pour l’isolement de l’avant-garde révolutionnaire marxiste pendant toute une période historique.

C’était particulièrement vrai aux Etats-Unis, où le capitalisme semblait assurer la prospérité. Par conséquent, les travailleurs ont regardé la situation et se sont dit « Eh bien, ce n’est pas si mal » et lorsqu’ils ont regardé les régimes bureaucratiques et totalitaires de Russie, d’Europe de l’Est et de Chine, ce qu’ils ont vu les a repoussés. Les capitalistes pouvaient dire : « Regardez ! C’est à ça que ressemble le socialisme – vous voulez aller là-bas ? » Et les travailleurs secouaient la tête en disant « Mieux vaut s’en tenir au diable que tu connais... »

Les concessions faites à cette époque expliquent également l’énorme force du réformisme en Europe occidentale. Les réformistes ont mené d’importantes réformes, comme le National Health Service en Grande-Bretagne. Mais maintenant, tout s’est dialectiquement transformé en son contraire. La crise du capitalisme est aussi la crise du réformisme.

Une « reprise » anémique

Les journaux financiers nous informent que la reprise actuelle est la plus longue de l’histoire. Mais ils omettent d’ajouter qu’elle est aussi la plus faible de l’histoire. Selon le FMI, l’économie mondiale est passée d’une situation où, il y a deux ans, 75 % de l’économie mondiale était dans un état de croissance synchronisée à une situation où 90 % se trouvent aujourd’hui dans un ralentissement synchronisé, le niveau de croissance le plus faible depuis une décennie.

Bien que l’économie semblait aller de l’avant et que tout semblait être en ordre, les articles des économistes bourgeois et des économistes politiques sérieux faisaient état d’une profonde inquiétude, qui s’est rapidement transformée en une alarme générale. La reprise était en tout cas très faible et fragile, et tout choc pouvait faire basculer l’économie. Pratiquement tout peut provoquer une panique : une hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, le Brexit, un affrontement avec la Russie, l’aggravation de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, une guerre au Moyen-Orient entraînant une hausse des prix du pétrole, et même un tweet particulièrement stupide de la Maison-Blanche (et on n’en manque pas).

L’Allemagne est la principale force motrice de l’économie européenne. Mais en juin 2019, la production industrielle allemande a enregistré sa plus forte baisse annuelle depuis près d’une décennie, ce qui montre clairement la gravité de l’effondrement du secteur manufacturier dans la plus grande économie européenne. On observe également un ralentissement économique en Chine et aux Etats-Unis. Cette situation reflète à son tour la faiblesse de l’économie mondiale, où le commerce mondial, selon l’OMC, ne devrait croître en 2019 que de 1,2 %, soit seulement la moitié de ce qui avait été prévu à l’origine.

Maintenant, tous les économistes sérieux chantent une autre chanson. Le mot « récession » est écrit sur chaque page. « L’économie mondiale est au bord du gouffre », écrit le Financial Times. L’extrême volatilité des marchés boursiers est une indication de la nervosité des capitalistes. Il est bien sûr impossible de prédire avec précision la date du prochain effondrement. Mais il y a une chose dont nous pouvons être sûrs : un nouvel effondrement est inévitable et il sera probablement bien pire que le précédent.

Il est vrai que la classe dirigeante dispose de certains instruments pour atténuer les effets d’un effondrement une fois qu’il a eu lieu. Quels sont ces mécanismes ? Ils sont fondamentalement au nombre de deux : abaisser le coût de l’emprunt afin de stimuler l’investissement et la demande et renforcer la « confiance ». L’autre arme consiste à augmenter les dépenses de l’État.

Le problème est qu’ils ont épuisé tous ces instruments pour maintenir en vie la faible reprise. Lors de la crise de 2008, ils ont réduit les taux d’intérêt dans tous les pays dans une tentative désespérée de relancer l’économie, ce qui a échoué. En 2014, la Réserve fédérale américaine avait à elle seule injecté 3 600 milliards de dollars de crédit bon marché dans l’économie par le biais du programme d’assouplissement quantitatif, c’est-à-dire en imprimant de l’argent. Les grandes entreprises américaines et d’autres pays ont été alimentés par un approvisionnement continu en crédits bon marché. Mais en général, les fonds obtenus ne sont pas utilisés pour des investissements productifs (la productivité est soit stagnante, soit en baisse). Ils l’utilisent plutôt pour les fusions, les rachats d’actions, la spéculation, etc.

Dette

Cette reprise est bâtie sur une montagne de dettes. Tôt ou tard, les montagnes connaissent des avalanches. Les économistes bourgeois sont terrifiés par la crise à venir, car une fois qu’elle aura commencé, ils ne pourront plus l’arrêter. Et l’énorme endettement signifie que le deuxième instrument pour sortir d’une crise (les dépenses de l’État) n’est plus une option possible.

Les timides tentatives pour limiter l’assouplissement quantitatif aux Etats-Unis ont fait augmenter les taux d’intérêt et la valeur du dollar, exerçant une énorme pression sur les dettes libellées en dollars. Dans des pays comme la Turquie et l’Argentine, cela a déjà provoqué de graves crises économiques, mais une crise similaire se prépare dans le monde entier, en particulier dans les pays moins avancés.

La dette mondiale atteint un niveau sans précédent, dont la moitié est détenue par le Japon, les Etats-Unis et la Chine. À ce stade, la bourgeoisie est confrontée à une contradiction insoluble. D’une part, elle lutte pour réduire le fardeau de la dette. Mais, d’autre part, elle commence à comprendre les graves conséquences sociales et politiques d’une décennie de réductions et de baisse des conditions de vie. La patience des masses s’épuise et la cohésion sociale est en train d’être minée à un degré qui commence à menacer la stabilité sociale.

Une partie de la classe dirigeante, craignant une intensification de la lutte des classes, est favorable à un assouplissement de l’austérité, même au prix d’une augmentation des emprunts publics. Et face à une recrudescence de la lutte des classes, il est probable qu’ils commenceront à faire des concessions. Mais cela ne fera qu’accroître les contradictions et, à long terme, cela conduira à de futures crises et à une forte réduction des dépenses de l’Etat et à l’assèchement du crédit. Ainsi, quelles que soient les politiques économiques mises en œuvre, tous les chemins mènent à une nouvelle récession.

Depuis le krach de 2008, les banques centrales ont essayé de promouvoir la croissance en maintenant les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas. Cela s’est souvent traduit par 0 % d’intérêt voire moins. L’objectif était de stimuler le crédit et d’encourager les investissements. Mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Le crédit bon marché agit comme une dépendance à la drogue : plus on y a recours, moins il a d’effet. Des obligations totalisant plus de 15 000 milliards de dollars s’échangent avec des rendements négatifs.

En 1960, selon une évaluation, la dette totale à l’échelle mondiale représentait environ 90 % du PIB mondial. Elle était un peu plus élevée aux États-Unis, où elle se situait autour de 140 %. Aujourd’hui cependant, la dette mondiale globale a atteint le niveau record de 253 000 milliards de dollars, soit 322 % du PIB mondial et 355 % aux Etats-Unis (chiffres de 2019). La dette a permis aux capitalistes de sortir de la crise des années 1970 et 1980, mais elle a maintenant préparé la voie à une crise encore plus grave. Plus ils retarderont la crise en développant le crédit (et donc la dette), plus la situation sera grave lorsque les mauvais jours arriveront enfin – et ils arriveront.

La menace d’une guerre commerciale

Plusieurs bombes à retardement font tic-tac simultanément : les guerres commerciales, la crise de la dette, le ralentissement en Chine, la crise du Brexit et de l’euro, les tensions internationales et les menaces de guerre au Moyen-Orient. Comme nous l’avons vu, n’importe laquelle de ces crises peut être l’étincelle qui provoque une explosion. Les bourgeois seront laissés sans défense, entre le marteau et l’enclume. Certaines choses découlent inévitablement de ces faits.

Dans les décennies précédant 2008, la forte croissance économique de la Chine a stimulé l’économie mondiale. C’était à la fois un marché pour les produits occidentaux et un terrain d’investissement rentable. Mais maintenant, tout se transforme dialectiquement en son contraire. En 2018, la croissance en Chine était de 6,6 %, bien que de nombreux économistes pensent qu’elle était en réalité plus faible. Le chiffre de 6,1 % pour 2019 était la plus faible croissance de l’économie chinoise depuis 1992.

La croissance de la Chine peut sembler encore élevée si on la compare aux taux de croissance misérables de l’Europe et même des Etats-Unis, mais elle est bien inférieure aux taux de croissance atteints au cours des dernières décennies. Il est généralement admis que la Chine doit atteindre un taux annuel moyen de 8 % – et créer de 15 à 20 millions de nouveaux emplois chaque année – juste pour absorber la migration des campagnes vers les villes. Jusqu’à récemment, les consommateurs en Chine et aux Etats-Unis continuaient à dépenser, peut-être encouragés par les rumeurs d’une reprise. Mais cette tendance touche à sa fin. L’effondrement record des ventes de voitures en Chine est un signe avant-coureur. Pour la Chine, le ralentissement prépare donc des convulsions sociales.

Avec l’introduction de l’économie de marché, la Chine a également importé toutes les contradictions du capitalisme. Ses succès mêmes dans la production de grandes quantités de marchandises ont créé les conditions pour une crise de surproduction, puisque ces marchandises doivent trouver un marché et que le marché intérieur chinois est trop étroit pour les absorber.

La Chine souffre de surproduction – avec d’énormes usines pour la production d’acier, de voitures et de nombreux autres produits – et la seule issue est l’exportation.

La Chine a exporté de grandes quantités d’acier excédentaire vers l’Europe, ce qui contribue à miner l’industrie sidérurgique européenne. L’acier chinois bon marché a été un facteur majeur dans la destruction de l’industrie sidérurgique en Grande-Bretagne. Des usines géantes qui fournissaient du travail à des communautés entières, comme Port Talbot dans le sud du Pays de Galles, qui était autrefois connue comme la ville de l’acier, sont menacées de fermeture. C’est ce qui est à l’origine des tensions croissantes qui ont abouti à la guerre commerciale entre l’Amérique et la Chine. Il ne serait d’ailleurs pas correct d’attribuer cela à Donald Trump. Bien qu’il ait fait le plus de bruit sur la question, la suspicion et la méfiance envers la Chine sont assez générales au Congrès, y compris dans les rangs des démocrates.

Trump a une réponse simple à tout cela. Il fait valoir la puissance des Etats-Unis. L’impérialisme américain fléchit ses muscles, menaçant d’écraser ses rivaux, à commencer par la Chine. Mais l’Europe est également dans sa ligne de mire. Son champ de bataille est le protectionnisme, l’arme qu’il a choisie, l’augmentation des tarifs douaniers. Mais ce chemin glissant a conduit à une escalade de la guerre commerciale qui pourrait avoir un effet dévastateur sur l’économie mondiale.

Des économistes inquiets commencent déjà à élaborer des scénarios de « jeu de guerre » sur la façon dont une récession pourrait se produire. Leurs craintes sont principalement centrées sur la menace que représente l’augmentation des droits de douane pour l’économie mondiale. Il est vrai que dans l’immédiat, les coûts directs de ces droits pourraient bien être faibles, mais l’incertitude créée par une nouvelle escalade de la guerre commerciale aurait un effet négatif sur les investissements, l’embauche et, en fin de compte, la consommation, ce qui entraînerait une contraction de la demande. La cause devient l’effet, et l’effet devient la cause, produisant une spirale descendante à l’échelle mondiale. L’ensemble du processus de mondialisation, qui a été un facteur majeur de la croissance de l’économie mondiale pendant toute une période, serait inversé, avec des conséquences catastrophiques.

Les économistes de Morgan Stanley prédisent que si les Etats-Unis imposent des droits de douane de 25 % sur toutes les importations chinoises pendant quatre à six mois et que la Chine prend des mesures de rétorsion, alors une contraction de l’économie mondiale est probable en l’espace de trois trimestres. Les vagues créées s’étendraient bien au-delà des Etats-Unis et de la Chine, frappant l’Asie, l’Europe et entraînant l’ensemble de l’économie mondiale dans la récession. C’est une évolution très alarmante pour les bourgeois. Elle menace de déchirer le tissu très fragile du commerce mondial, qui a été le principal moteur de la croissance de l’économie mondiale pendant des décennies.

On ne sait pas du tout comment va se terminer la prise de bec actuelle avec la Chine. Les économies chinoise et américaine sont étroitement liées depuis de nombreuses années. Une partie de la classe capitaliste américaine, en particulier ceux qui produisent directement en Chine, s’opposera à une escalade. Mais il est difficile de prévoir les actions d’un président qui n’a pas de stratégie à long terme, et qui semble prendre plaisir à passer d’une crise à l’autre. Trump est imprévisible. C’est une des raisons qui explique que les bourgeois ne l’aiment pas. Il souffle le chaud et le froid au gré de son humeur, ce qui accroît l’instabilité générale dans les questions mondiales.

D’abord, Trump dénonce le « petit homme fusée » et menace de rayer la Corée du Nord de la surface de la Terre. L’instant d’après, il embrasse Kim Jong Un et le salue comme un homme de paix et un grand ami. D’abord, il essaie de conclure un accord avec la Chine, l’instant d’après, il annonce de nouveaux droits de douane sur tous les produits chinois. Le problème avec une guerre commerciale, c’est qu’elle est facile à commencer, mais pas si facile à finir. Elle a tendance à s’envenimer, comme on le voit avec les représailles chinoises.

Si la mondialisation est stoppée par la propagation du nationalisme économique et des guerres commerciales, la tendance à la hausse peut facilement se transformer en une spirale descendante brutale, avec des conséquences catastrophiques pour le monde entier. Nous avons souligné que c’est la montée des tendances protectionnistes – semblables au genre d’approche du « chacun pour soi » de Donald Trump aujourd’hui et aux dévaluations compétitives – qui a transformé le krach de Wall Street de 1929 en la grande dépression des années 1930. Il n’est pas du tout impossible qu’un scénario similaire puisse se reproduire aujourd’hui.

Les Etats-Unis

L’économie américaine était le dernier pilier maintenant l’économie mondiale. En apparence, il semblerait que l’économie américaine se porte plutôt bien. Le Dow Jones est à un niveau record. Le S&P 500 a augmenté de 334 % et le NASDAQ de près de 500 %. Mais les apparences peuvent être trompeuses. En réalité, l’économie américaine est très fragile. Rien n’a été résolu depuis 2008 et les capitalistes ne faisaient que préparer le terrain à une crise encore plus dévastatrice.

L’économie commence à vaciller. En décembre 2007, le pic qui a précédé le krach de 2008, le taux d’utilisation des capacités industrielles s’élevait à 81 %. En juin 2009, dans le creux du dernier cycle croissance-récession, on était descendu à 66 %. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, on n’en est qu’à 78 %. En d’autres termes, même après la « plus longue reprise » de l’histoire, le taux d’utilisation des capacités industrielles n’est toujours pas revenu à son niveau d’avant-crise. Dans le même temps, le moral du consommateur est tombé à son plus bas niveau en huit ans. L’industrie américaine est tombée dans le rouge. Les exportations sont à leur plus bas niveau depuis avril 2009. Même si la Fed baissait les taux de 50 points, ce serait toujours trop tard pour éviter une récession.

La croissance du PIB américain n’était que de 2,9 % en 2018, alors même qu’elle était stimulée par le déficit budgétaire. Elle n’était que de 2,2 % l’année précédente, stimulée cette fois-ci par les réductions d’impôts de Trump pour les riches. La dette nationale a désormais atteint les 22 000 milliards de dollars, soit plus du double de 2008. Elle représente 68 000 dollars par citoyen américain, ou 182 000 dollars par contribuable. C’est près de quatre fois le salaire médian, et elle augmente au rythme de mille milliards par an.

Les baisses d’impôts et les taux d’intérêt historiquement bas de la Fed ont été utilisés pour stimuler l’économie afin d’éviter la prochaine récession. Mais en utilisant ces moyens pour prolonger artificiellement la croissance, ils ne pourront plus être utilisés lors de la prochaine crise, et nous pouvons être sûrs que la volonté des masses pour le renflouement des entreprises sera considérablement réduite.

Désormais, tous les indicateurs économiques annoncent une prochaine crise, qui est inévitable. Il n’est bien entendu pas possible de dire quand elle arrivera – l’économie n’est pas une science exacte. Mais le fait est qu’une nouvelle crise n’est pas du tout nécessaire pour l’intensification de la lutte des classes. De notre point de vue, il serait préférable que la situation actuelle se poursuive. Ils parlent d’une reprise, mais ça n’y ressemble pas. Personne n’y croit.

Combien de travailleurs américains disent que tout va bien aujourd’hui ? Il est vrai que les salaires augmentent pour certains, mais il en va de même pour les heures de travail nécessaires pour payer les factures. Et les augmentations actuelles ne compensent pas toute une période de baisse des salaires. La plupart des travailleurs américains ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins, ni à ceux de leur famille avec un seul travail. Ils doivent travailler de longues heures, et ils doivent cumuler deux ou trois emplois pour survivre. La colère et la frustration des travailleurs ne cessent de grandir.

Beaucoup de travailleurs américains ne ressentent absolument pas les effets de la « reprise ». Ce qu’ils constatent, c’est l’explosion des inégalités, le gouffre qui sépare la minorité des ultra-riches, de la grande majorité qui lutte pour garder la tête hors de l’eau. Au cours des trois dernières décennies, la fortune des 1 % les plus riches a augmenté de 21 000 milliards de dollars, tandis que les 50 % les plus pauvres ont vu leur valeur nette tomber de 900 milliards de dollars. (Selon les données de la Fed.)

78 % des Américains vivent au jour le jour. Le salaire minimum fédéral est de 7,25 dollars de l’heure. Une mère célibataire, avec deux enfants gagnant le salaire minimum fédéral devrait travailler près de 24 heures par jour, six jours par semaine, soit 144 heures par semaine, pour gagner un salaire décent. C’est absolument dément et insoutenable – et c’est la situation quand « tout va bien. »

Le phénomène Trump

Selon un vieil adage, un peuple a le gouvernement qu’il mérite. Dans son brillant article, Classe, parti et direction, Trotsky remarquait que cette affirmation est trompeuse. Un même peuple peut souvent connaître différents types de gouvernement, ce qui reflète simplement différentes étapes dans le développement de la conscience. Toutefois, on pourrait dire de façon parfaitement justifiée qu’à l’heure actuelle, la bourgeoisie a les dirigeants qu’elle mérite.

Lorsque la bourgeoisie américaine se regarde dans le miroir, elle y voit le visage de Donald Trump et se détourne avec horreur. Elle n’aime pas ce qu’elle voit, mais c’est un reflet fidèle de sa dégénérescence propre et de celle de son système. Les bourgeois d’aujourd’hui n’ont pas de grandes idées, ni de perspectives à long terme. Ils ne peuvent voir au-delà du dernier bilan les informant de leurs marges de profit.

Cette image répugnante résume non seulement Donald J. Trump, mais également la classe à laquelle il appartient et dont il représente les intérêts. La seule chose qui le distingue est qu’il exprime ouvertement, effrontément, et sans rougir les préjugés de sa classe, alors que d’autres, qui partagent exactement le même point de vue et défendent exactement les mêmes intérêts de classe, sont plus circonspects, plus diplomatiques, c’est-à-dire plus lâchement hypocrites et trompeurs.

L’élection de Trump aux Etats-Unis a bien sûr été un phénomène réactionnaire. Il n’y a pratiquement aucun intérêt à faire cette déclaration. Mais il y a autre chose. Trump n’était pas le candidat de la classe dominante. On ne lui faisait pas confiance ­– il fut pourtant élu malgré l’opposition implacable de la bourgeoisie.

Par le passé, la bourgeoisie avait pour habitude de contrôler le jeu politique. Or, ce n’est plus le cas. Ce que nous voyons actuellement est une situation sans précédent, dans laquelle la bourgeoisie a, en effet, perdu le contrôle de son propre système. A quel moment, dans toute l’histoire des Etats-Unis, y a-t-il jamais eu une situation où la CIA et le FBI étaient publiquement opposés à un président élu et manœuvraient constamment pour le destituer ?

Il ne s’agit pas seulement d’une crise politique. Il s’agit d’une crise du régime lui-même. Elle signifie une scission ouverte au sein de la classe dirigeante. Et la première condition de Lénine pour une révolution est précisément cela. Le mécontentement des masses peut s’exprimer de façon très particulière et contradictoire. D’une manière très particulière et déformée, même l’élection de Trump a été en partie l’expression d’un mécontentement massif d’une partie importante des couches les plus pauvres et les plus dépossédées de la classe ouvrière blanche. Trump a fait appel aux mineurs et aux métallurgistes au chômage, s’attaquant démagogiquement à l’élite privilégiée à Washington et promettant un changement. Ce message reçut un écho puissant. Mais la popularité de Trump est mise à rude épreuve.

Le socialisme et les Etats-Unis

Il n’est pas certain que Trump sera réélu. Bien qu’il conserve encore une base de soutien importante, il a également aliéné de nombreuses personnes avec sa rhétorique ouvertement raciste, misogyne et xénophobe. Les « renvoyez-les chez eux » ont suscité un tollé national. Et sa réaction aux fusillades de masse à El Paso et à Dayton, dans l’Ohio, lui a causé encore plus de dommages.

Un rapport du Groupe d’étude des électeurs du Fonds pour la démocratie (Voter Study Group – VSG) a révélé que même les électeurs enclins à des opinions anti-immigration ne sont pas nécessairement favorables à Trump. Ils sont divisés entre ceux qui prônent moins d’intervention gouvernementale dans l’économie et ceux qui ont une vision économique interventionniste plus à gauche. Selon le sondage, ces différences se sont accentuées depuis l’élection de Trump. L’économie reste la question clé. Trump a revendiqué le plein succès de ses politiques économiques. En fait, sa gestion de l’économie est le seul domaine où il a plus de 50 % d’approbation (55 %). Cependant, le revers de la médaille est qu’il sera aussi en grande partie responsable si et quand les choses tourneront mal.

Les effets temporaires de ses baisses d’impôts pour les riches ont déjà fait leur temps. Désormais, les gens peuvent voir qu’il y a un ralentissement de l’économie et des signes croissants que sa guerre commerciale avec la Chine n’aboutira pas à l’accord historique qu’il avait promis lors de sa campagne présidentielle de 2016. Une récession économique enclencherait l’éclatement d’une bulle. Mais le moment où cela se produira est incertain. Par-dessus tout, les démocrates ne peuvent fournir une alternative efficace à Trump.

Au cours des trois dernières décennies, le nombre annuel de grèves a considérablement diminué aux États-Unis, de pair avec une forte baisse du nombre de syndiqués. Mais ce processus atteint désormais ses limites. Il y a même eu une poignée de grèves et débrayages politiques pour protester contre le harcèlement sexuel, l’écart de rémunération entre les sexes, la collaboration avec la branche du gouvernement chargée de la détention des immigrés, et la législation visant à privatiser l’éducation. Et ce n’est que le début, quoique ce ne sera pas un processus linéaire.

À la fin de 2018, le nombre de travailleurs américains impliqués dans des arrêts de travail majeurs, y compris des grèves et des lock-out, était le plus élevé depuis 1986. Vingt arrêts de travail ont concerné 1 000 travailleurs ou plus, contre sept seulement en 2017. Plus de 90 % du quelque un demi-million de travailleurs impliqués l’étaient dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’assistance sociale. Des milliers d’autres ont participé dans des grèves et des luttes de moindre envergure qui ne sont pas reflétées dans ces chiffres. Toute une série de grèves d’enseignants se sont propagées de la Virginie occidentale à l’Oklahoma, l’Arizona, la Californie et au-delà, tandis que les luttes et les victoires des autres ont inspiré des actions similaires dans tout le pays. Cela a été suivi par la grève très importante des travailleurs de l’automobile.

Sur le plan politique, nous avons vu la montée de Sanders et la popularité croissante du socialisme parmi une couche de plus en plus importante de la population américaine, en particulier les jeunes. Sanders, malgré son maintien au sein du Parti démocrate et sa capitulation devant Clinton lorsqu’il a été empêché de se présenter aux élections de 2016, bénéficie toujours du soutien de beaucoup avec ses attaques contre la « classe des milliardaires ». Sanders attire toujours des dizaines de milliers de personnes à ses rassemblements. Mais lui, et d’autres comme Alexandria Ocasio-Cortez, ont l’illusion qu’il est possible de faire avancer la cause du socialisme par le biais du Parti démocrate. Ce sont au mieux des réformistes. Cependant, leur popularité reflète, de manière déformée, la recherche d’une alternative de gauche au système.

Lorsque l’économie ralentira, il y aura une grande réaction contre Trump, et vers quoi se tourneront-ils alors ? Ils verront que le socialisme fait partie de la réponse. Ce n’est pas un hasard si Trump attaque maintenant le socialisme et le communisme. Selon des sondages récents (résultats de l’enquête nationale de 2019 sur le bien-être, le travail et la richesse du Cato Institute) : a. 50 % des jeunes Américains (moins de 30 ans) sont favorables au socialisme ; b. 70 % des milléniaux (23 à 38 ans) voteraient pour un candidat socialiste ; c. 36 % des milléniaux ont une opinion favorable du communisme (contre 28 % en 2018) ; d. 35 % des milléniaux ont une opinion favorable du marxisme.

Environ un millénial sur cinq pense que la société se porterait mieux si toute propriété privée était abolie. (Attitudes américaines envers le socialisme, le communisme et le collectivisme, octobre 2019). Et presque un cinquième (17 %) des Américains sont d’accord pour dire que les cas où « les citoyens prennent des mesures d’action violente contre les riches » sont parfois justifiés – ce chiffre s’élevant à 35 % pour les moins de 30 ans. Ces statistiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Elles montrent très clairement qu’il existe une profonde radicalisation dans la société américaine.

Si Trump est réélu – ce qui ne peut être exclu –, cela ouvrirait une période nouvelle et encore plus turbulente pour les Etats-Unis. Nous ne doutons pas que cela serait accueilli avec désarroi par les sectaires stupides qui ne cessent de délirer sur le prétendu danger du « fascisme ». Mais les capitalistes les plus intelligents ont une bien meilleure compréhension de la situation réelle. Ils sont vaguement conscients que leur système est intenable, mais ils ne peuvent rien y faire, car ils ne peuvent accepter que la seule façon de résoudre les contradictions du capitalisme soit de mettre fin au capitalisme même.

Même avant la prochaine crise, les individus les plus riches du monde sont profondément préoccupés par le potentiel de troubles sociaux. Par exemple, Ray Dalio, 79e fortune mondiale, aurait déclaré : « Je suis un capitaliste et même moi je pense que le capitalisme est brisé ». Il a ajouté : « Le capitalisme ne fonctionne pas pour la majorité des gens... Nous sommes à la croisée des chemins. Nous pouvons le faire [le réformer] ensemble, ou nous le ferons dans le conflit, et il y aura un conflit entre les riches et les pauvres. ». Ces mots expriment très bien la situation.

Un profond changement a eu lieu dans la psychologie des Américains. Les gens s’identifient désormais en tant que classe ouvrière, alors que durant des décennies, ils ne parlaient que de « classe moyenne ». Cela fait partie de ce que Trotsky signifiait lorsqu’il parlait du processus moléculaire de la révolution.

La crise du capitalisme européen

En 1997, nous avons écrit un document de perspectives pour l’Union européenne dans lequel nous prédisions que l’euro pourrait survivre pour un temps, mais que dans l’éventualité d’une récession profonde, toutes les contradictions nationales se retrouveraient au premier plan. C’est précisément ce que nous voyons se mettre en place maintenant.

Malgré les années d’austérité, rien n’a été résolu en Europe au cours de la dernière décennie. La zone euro en général est dans l’impasse et fait désormais face à la perspective d’une contraction économique aiguë, qui aura les conséquences sociales et politiques les plus sérieuses, mais envers laquelle elle est impuissante. Ses banques centrales ne disposent plus des instruments pour la combattre. Cela signifie que la récession mondiale à venir ne sera pas une affaire ordinaire, mais un ralentissement bien pire que celui qui a suivi le krach économique de 2008-2009.

L’UE est confrontée d’une part au choc du Brexit, mais aussi aux autres chocs frappant ses industries. La contraction du commerce mondial frappe l’Europe plus durement que bien d’autres en raison de sa dépendance chronique envers la demande mondiale pour la maintenir à flot. Cela vaut particulièrement pour l’Allemagne, qui vient à peine d’éviter de glisser dans la récession en 2018.

L’Europe a été durement touchée par les guerres commerciales de Donald Trump. Les biens chinois frappés par ses tarifs sur le marché américain sont déversés sur l’Europe. Et la situation est aggravée par la dévaluation du yuan, qui rend les exportations chinoises encore moins chères, sapant les industries européennes. Une invasion que l’Europe ne peut pas repousser. La Banque centrale européenne est impuissante à contrer les effets du ralentissement en Chine et de la baisse de la demande pour les produits européens.

Nous voyons comment Macron a été contraint par la révolte des gilets jaunes de faire des concessions – mais qui va payer ? La France a un grand déficit budgétaire. Macron a un plan pour l’Europe, qu’il appelle par euphémisme un « budget planifié ». Son plan est très simple : l’Allemagne va payer les dettes de tout le monde – y compris celle de la France, bien sûr. Malheureusement, la Bundesbank a des idées différentes. Et elle n’est pas la seule. La crise du Brexit a également agit en tant que catalyseur, exacerbant énormément les forces centrifuges qui menacent de déchirer l’Union européenne.

Nouvelles lignes de fracture

La crise de l’UE a débuté à sa périphérie dans les économies plus faibles, mais affecte actuellement les Etats plus puissants en son cœur même, comme l’Allemagne. A son tour, cela ouvre désormais de nouvelles lignes de fracture, la Hongrie et la Pologne défient l’UE quant à l’admission des réfugiés et d’autres questions.

Au début de 2018, une nouvelle « Ligue hanséatique » a été formée, composée des pays les plus prospères du nord de l’Europe : le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède ; et leurs satellites baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. L’Allemagne se tient derrière elle, résistant à tout paiement significatif aux pays les plus pauvres du sud de l’Europe. Certains d’entre eux (notamment l’Italie) ont entre-temps, tenté de contrebalancer la puissance du capital allemand en cherchant à conclure des accords économiques avec la Chine. Ces fissures, quoique petites en ce moment, menacent de faire s’écrouler tout l’édifice chancelant de l’euro, et peut-être de l’UE elle-même.

Toutefois, la bourgeoisie allemande, qui domine l’UE, doit maintenir l’union économique à tout prix. L’Allemagne à elle seule serait un nain – par rapport aux grands blocs économiques – sur le marché mondial. Elle compte environ 80 millions d’habitants, soit environ un quart des Etats-Unis et moins de 1/17e de la Chine. Le PIB de l’Allemagne est inférieur au tiers de celui de la Chine et au cinquième de celui des Etats-Unis. Elle n’a pas de pouvoir militaire à proprement parler. Pour pouvoir jouer un rôle sur la scène mondiale, elle a donc besoin du levier de l’Union européenne.

Pendant la période d’expansion du libre-échange et lorsque l’UE – en surface du moins – était plus ou moins unie, l’Allemagne était capable de frapper largement au-delà de ses capacités sur le marché mondial – en particulier dans les secteurs intensifs en capital tels que les machines-outils, l’industrie automobile et la production aéronautique et aérospatiale – ce qui lui a permis d’être pour un temps le principal exportateur mondial. Cependant, dans une situation de ralentissement économique, de conflits économiques croissants et avec les Etats-membres de l’UE constamment en conflit les uns avec les autres, à la fois politiquement et économiquement, la situation se transforme lentement en son contraire.

L’Allemagne, qui était le moteur et l’économie la plus forte du capitalisme européen, est désormais en crise. L’inégalité et la chute du niveau de vie sont maintenant la norme – ce ne sont que les commandes internes qui soutiennent l’économie allemande tandis que les commandes étrangères déclinent rapidement.

Cela explique pourquoi la bourgeoisie allemande pousse fortement à l’unification de l’UE sous sa direction politique plus directe, même au prix de faire quelques concessions économiques, quoique très étroites et temporaires, aux pays plus faibles de l’Europe, principalement à travers sa politique monétaire, afin de les amener à accepter une subordination politique. Le choix de la nouvelle présidence de la Banque centrale européenne (BCE) en est une indication. Initialement, il y avait beaucoup de spéculations sur le fait que la nouvelle tête de la BCE serait l’ancien chef de la Bundesbank, mais c’est finalement la Française Lagarde qui a obtenu le poste. L’Allemagne a préféré opter pour la position politiquement plus centrale à la tête de la Commission européenne et a fait élire Ursula Von der Leyen. Et, au moins depuis avant les élections européennes, la bourgeoisie allemande a orchestré une campagne assourdissante contre le soi-disant « populisme » – en particulier contre ces partis nationalistes au gouvernement qui avaient une posture démagogique anti-UE, concentrant surtout ses tirs sur Salvini en Italie et le FPÖ d’extrême droite en Autriche, qui jusqu’à récemment étaient tous deux au gouvernement.

Le but de tout cela est clair. L’Allemagne, confrontée au spectre de son propre effondrement, est forcée de travailler à transformer l’UE en un bloc économique fort face à ses concurrents extérieurs. Dans une situation de conflits commerciaux toujours plus nombreux, la bourgeoisie allemande fait pression pour resserrer les frontières autour de l’Europe, non seulement contre les réfugiés, mais aussi contre les marchandises et le capital étrangers. Par exemple, la Commission européenne, sous l’égide de Von der Leyen, fait pression en faveur d’une « taxe européenne sur le carbone », principalement pour protéger l’industrie allemande, mais aussi pour garder l’Europe sous contrôle en rendant plus difficile pour les pays de l’UE de conclure unilatéralement des accords avec la Chine ou les Etats-Unis.

Mais en fin de compte, cela ne fait que retarder l’inévitable. Dans l’éventualité d’une nouvelle crise profonde, l’Allemagne ne peut et ne va pas renflouer le reste de l’Europe. Cela signifie qu’il sera impossible d’empêcher les profondes contradictions politiques et économiques qui se manifestent déjà aujourd’hui d’éclater ouvertement. Cela souligne le fait que l’UE est le maillon faible de la chaîne des blocs économiques impérialistes du capitalisme mondial.

Cette tendance est renforcée par l’instabilité politique croissante au sein même de l’Allemagne. Merkel a démissionné de la présidence du Parti chrétien-démocrate, bien qu’elle soit toujours à la tête du gouvernement. Le Parti social-démocrate (SPD) a été au gouvernement durant 17 de ces 20 dernières années et le résultat a connu une forte baisse de son soutien lors des dernières élections. Or, le Parti de gauche (Die Linke) n’en a pas profité. C’est parce que ses dirigeants cherchent à montrer qu’ils sont aptes à rejoindre n’importe quel gouvernement. Ils ont accepté une politique de réduction de la dette, ce qui signifie en pratique des coupes dans les dépenses publiques. C’est là une recette pour une crise du parti.

Et maintenant, la crise de légitimité de la démocratie bourgeoise a également atteint l’Allemagne. Dans l’après-guerre, la CDU et le SPD ensemble recevaient 70 à 90 % des voix pour le Bundestag. Aujourd’hui, ils obtiennent un vote combiné autour de 40 %, le SPD ayant enregistré un creux historique compris entre 13 et 15 %. Pendant ce temps, l’AfD d’extrême droite a grandi. Temporairement, les Verts en ont aussi bénéficié, même si cela risque d’être de courte durée.

Grèce : rien n’a été résolu

Pendant la majeure partie de la dernière décennie, le maillon le plus faible de la chaîne du capitalisme européen a été la Grèce, le pays où la crise du capitalisme a eu ses conséquences les plus catastrophiques. Pendant dix ans, la population de ce pays n’a rien connu d’autre que des attaques sauvages, des coupes constantes et une chute brutale du niveau de vie – en fait, un effondrement total. Maintenant, ils se vantent que la crise est terminée. Mais c’est loin d’être la vérité. En 2009, le ratio de la dette par rapport au PIB de la Grèce était de 126,7 % et il s’élève désormais à 181,1 %. Comme nous le voyons, rien n’a été résolu en Grèce.

Les travailleurs et la jeunesse grecs ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour combattre l’austérité capitaliste et résister aux vicieuses contraintes de l’UE. Il y a eu grève générale après grève générale, manifestation après manifestation. Au moment du référendum de 2015, Tsipras avait toutes les occasions de s’appuyer sur le rejet massif des termes du plan de sauvetage imposé par la Troïka et de défier l’UE et la bourgeoisie. La classe ouvrière – et même de larges pans de la petite bourgeoisie – étaient prêts à tout. Mais, au moment critique, Tsipras a capitulé.

Cette trahison a causé une immense démoralisation et s’est soldée par la défaite de SYRIZA aux dernières élections et la victoire de Nouvelle Démocratie. Pourtant, SYRIZA a tout de même obtenu 31 % et pourrait se rétablir. Mitsotakis s’est engagé à mener de nouvelles attaques envers la classe ouvrière. Sa popularité disparaîtra aussi vite qu’elle est apparue. Les travailleurs grecs n’ont pas d’autre choix que de se battre. C’est une question de vie ou de mort. A un certain point, une nouvelle période de lutte des classes s’ouvrira en Grèce.

L’Italie : le maillon le plus faible

L’Italie a maintenant pris le relais de la Grèce en tant que maillon faible de la chaîne du capitalisme européen. Son économie a pris du retard, et elle ne peut plus concurrencer l’Allemagne ni même la France. La dette publique record de l’Italie s’élève à environ 132 % du PIB. Le capitalisme italien est aujourd’hui en grave difficulté. D’un point de vue révolutionnaire, l’Italie est le pays clé en Europe. La Grèce est un petit pays à la périphérie de l’Europe, mais l’Italie est la troisième économie de la zone euro et se trouve au cœur même de l’Union européenne.

La seule solution pour la classe dirigeante italienne est de couper et de couper encore. Ils ont déclaré la guerre à la classe ouvrière italienne – une bonne recette pour une explosion sociale. L’Italie ayant largement dépassé les limites budgétaires autorisées par l’UE, la Commission européenne voulait la condamner, mais elle a fait marche arrière. Ils avaient déjà fait une exception pour Macron, mais ce n’était pas la seule raison – l’effondrement des banques italiennes allait déclencher une crise bancaire européenne. Mais plus encore, le risque d’une explosion sociale en Italie est inhérent à la situation.

Dans le passé, la bourgeoisie italienne disposait de puissantes bases de soutien dans la société. Son parti, les démocrates-chrétiens, avait une base de masse et le soutien de l’Eglise catholique. Mais cela s’est effondré. Sa deuxième ligne de défense était les partis communiste et socialiste. Mais ceux-ci ont aussi été relégués dans la poubelle de l’histoire. Du point de vue de la bourgeoisie, l’absence d’un parti réformiste de masse n’est pas une évolution positive, mais une évolution très dangereuse. C’est la différence entre une voiture qui descend une colline raide avec des freins défectueux, et une voiture qui n’a pas de freins du tout.

En Italie, il n’existe pas de parti réformiste de masse des travailleurs et les dirigeants des syndicats sont pourris. Le Parti démocratique, un parti bourgeois, est délégitimé aux yeux des travailleurs : tous ses dirigeants ont participé à des coupes pendant des années. Le mouvement 5 étoiles est un autre exemple de formations petites-bourgeoises qui ont surgi de nulle part. Il est très confus et son soutien est aujourd’hui en forte baisse après qu’il ait été exposé, d’abord dans le gouvernement de coalition avec la Ligue, puis en entrant dans une coalition avec le Parti démocratique. Il existe un vide colossal à gauche, et ce vide doit être comblé par quelque chose tôt ou tard.

Le dirigeant de la Ligue, Salvini, est un démagogue bourgeois de droite, très semblable à Donald Trump. Dans ses discours, il s’efforce de ressembler à « l’homme du monde » ou, plus exactement, à un lumpenprolétariat italien. C’est une tentative délibérée de donner l’impression qu’il représente quelque chose de nouveau et de radical. Il s’adresse à des millions de personnes mécontentes qui détestent l’establishment politique qu’elles identifient aux anciens partis et dirigeants. Il dit : « Regardez ! Je ne suis pas comme eux. Je suis l’un des vôtres. Si vous m’élisez, les choses vont changer en Italie. Je peux faire bouger les choses ! » Cela rencontre un écho.

Bien que Salvini ait été le ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de coalition avec le Mouvement 5 étoiles, il a continué à agir comme s’il était dans l’opposition. Il utilise sa position pour faire des discours belliqueux contre les « ennemis extérieurs » (l’UE et les immigrants), qu’il rend responsables de tous les malheurs de l’Italie. En conséquence, il semble s’opposer aux limites fixées par l’establishment. L’étoile de Salvini s’est élevée aussi vite que le Mouvement 5 étoiles a coulé. Il a choisi son moment et s’est débarrassé de ses alliés temporaires, brisant la coalition, pensant qu’il gagnerait les élections suivantes.

Mais la bourgeoisie, craignant les conséquences d’un gouvernement de Salvini sur l’économie italienne et la zone euro, décide de le contrer. Le moyen qu’ils avaient choisi consistait en une nouvelle coalition instable du Mouvement 5 étoiles avec le Parti démocratique. Mais le mouvement avait déjà fait naufrage en entrant dans le gouvernement de coalition avec la Ligue. Faire partie d’une coalition avec le Parti démocratique, encore plus discrédité, sera pour lui le dernier baiser de la mort.

Le revers actuel des ambitions de Salvini ne durera cependant pas longtemps. En fait, en l’excluant du gouvernement par une manœuvre évidente, ils lui ont rendu service. Les démagogues ont toujours tendance à fleurir dans l’opposition. Salvini tente de détourner l’attention des masses en criant sur l’immigration, mais une fois qu’il se trouvera à la tête du gouvernement, il constatera bientôt qu’il s’agit d’une politique à rendements décroissants. Il n’a pas de véritables solutions aux problèmes du capitalisme italien, et une fois qu’il sera mis à l’épreuve, Salvini apparaîtra à tous comme le politicien bourgeois réactionnaire qu’il est. Cela préparera la voie à un énorme basculement vers la gauche.

Il en demeure que le seul moyen pour les bourgeois de faire avancer les choses est de couper et d’attaquer le niveau de vie. Afin de prendre les mesures économiques nécessaires, la bourgeoisie italienne a besoin d’un gouvernement fort. Mais un tel gouvernement n’existe pas. Il n’y a pas non plus de possibilité d’en assurer un dans un avenir prévisible. La perspective est celle d’une série de gouvernements de coalition instables, dont chacun se terminera par une crise et un effondrement. Il y aura de violentes oscillations à gauche et à droite, alors que les masses mettront à l’épreuve différents dirigeants et programmes. Et l’un après l’autre, ils seront mis à nu.

Étant donné l’extrême faiblesse de la gauche italienne, le mouvement s’exprimera inévitablement, à un moment donné, sous la forme d’actions directes de masse – similaires au mouvement des gilets jaunes en France. Ce sera une nouvelle édition de 1969, mais à un niveau beaucoup plus élevé. Une fois que le mouvement de masse en Italie aura commencé, il sera très difficile de l’arrêter. Il peut conduire à des occupations d’usines, comme celles qui ont eu lieu en 1919-1920. Cela ouvrira la voie à des développements révolutionnaires. La route sera ouverte pour une croissance explosive de notre section italienne. Mais tout dépend de notre capacité à construire une organisation forte avant que le mouvement se développe.

France : la révolte des masses

Macron se vantait de ne jamais se soumettre à « la rue ». Mais face à la révolte massive des gilets jaunes, il a dû ravaler ses paroles. Il a été obligé de procéder à une retraite humiliante. Pourtant, les manifestations de masse ont continué et sont devenues chaque jour plus audacieuses et plus radicales. La demande de démission de Macron a été soulevée. Les masses ont fait preuve d’un étonnant degré de résistance et de détermination. Sans aucune organisation ou direction sérieuse, il était vraiment extraordinaire que ce mouvement se poursuive aussi longtemps.

Mais les manifestations de masse, aussi énergiques et déterminées soient-elles, ont des limites bien définies. Lénine a expliqué il y a longtemps les limites des mouvements spontanés. L’élément spontané était à la fois la force du mouvement et sa principale faiblesse. Les gilets jaunes étaient un mouvement très hétérogène, contenant à la fois des éléments révolutionnaires et réactionnaires. Il n’y avait pas de plan d’action élaboré et aucune perspective réelle de prise du pouvoir – ce qui était la seule perspective possible.

La principale faiblesse de ce mouvement était son incapacité à se lier à la classe ouvrière organisée et à lutter pour une grève générale reconductible. Mais la principale raison pour laquelle cela n’a pas eu lieu a été le comportement des dirigeants syndicaux qui ont été effrayés par le mouvement. En fin de compte, c’est ce qui a sauvé Macron. La principale raison pour laquelle le mouvement des gilets jaunes a vu le jour est précisément la pourriture des dirigeants syndicaux français et de la soi-disant gauche qui ont collaboré avec Macron et ont accepté toutes les coupes.

Comme les masses ne trouvaient pas d’expression dans la classe ouvrière organisée, elles en ont trouvé une à l’extérieur. Plus tard, sentant la pression d’en bas et craignant un nouveau mouvement qui pourrait échapper à leur contrôle, les dirigeants syndicaux ont appelé à une grève générale en décembre 2019. Cette manifestation s’est avérée très puissante, avec 1,5 million de personnes dans les rues, ce qui indique que la classe ouvrière organisée est en train de se mobiliser.

Ce qui était le plus frappant à l’époque des gilets jaunes, c’était la façon dont les bourgeois français tiraient des parallèles gênants avec la Révolution française. Cela montre comment même les bourgeois commencent à saisir, de façon aussi vague et confuse soit-elle, les implications révolutionnaires de la situation actuelle. À cet égard, ils sont beaucoup plus sérieux et perspicaces que les réformistes et sectaires de gauche.

Il n’y a pas de place dans la politique révolutionnaire pour l’impressionnisme et le romantisme. Nous devons avoir une attitude claire envers les mouvements de ce type. Oui, nous devons voir les possibilités révolutionnaires qui y sont implicites. Oui, nous devons les saluer avec tout l’enthousiasme possible et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à réussir. Surtout, nous pouvons les aider à atteindre la clarté politique nécessaire, sans laquelle le succès échappera toujours aux mouvements de masse les plus agités.

Cependant, le mouvement des gilets jaunes était finalement destiné à s’essouffler. Macron a donc pu se maintenir temporairement au pouvoir et reprendre l’initiative. Mais il a subi des blessures mortelles lors de cette bataille. Ses concessions ont augmenté le déficit budgétaire et de nouvelles coupes et attaques seront donc nécessaires. Le gouvernement a été sérieusement affaibli. Et la puissante grève générale du 5 décembre indique clairement que de nouveaux affrontements sont inévitables, ouvrant la voie à de nouveaux développements révolutionnaires en France.

Le problème n’est pas la force de Macron, mais l’extrême faiblesse de la gauche. Tous les partis de gauche sont en crise. La France Insoumise a commis beaucoup de fautes. Pendant le mouvement des gilets jaunes, elle est restée à la remorque du mouvement. L’une des principales revendications du mouvement était de nouvelles élections. La France Insoumise a mis beaucoup de temps avant de soutenir cette revendication.

Mélenchon, qui avait auparavant apparu comme un puissant opposant de gauche, n’a pas su tirer avantage de cette situation. Au lendemain de la grève générale de décembre, il s’est rangé derrière les dirigeants syndicaux qui, ignorant le slogan ouvrier « Macron démission », ont voulu canaliser la protestation vers des négociations avec le gouvernement, en limitant celles-ci à la « réforme » des retraites.

Mélenchon ne parle plus de la nécessité de contrôler l’économie. Il parle plutôt de la nécessité de tempérer le langage. Ce qu’il dit en réalité, c’est qu’il faut diluer la propagande du parti pour ne pas effrayer la bourgeoisie. Il refuse d’introduire des structures plus démocratiques dans la France Insoumise (FI), car cela permettrait de mettre en place les structures à travers lesquelles la critique de la direction pourrait émerger. S’il avait sérieusement structuré le mouvement, la France Insoumise aurait pris son essor. Mais il ne veut pas organiser un parti politique. Il préfère plutôt conserver la FI comme un « mouvement » amorphe et mal défini.

Vu que Mélenchon n’a pas su exploiter tout le potentiel de la situation, Marine Le Pen gagne dans les sondages. Néanmoins, la FI, bien qu’affaiblie, reste pour l’instant la seule référence viable à gauche, et pourrait regagner le terrain perdu au fur et à mesure de l’évolution de la crise. Et malgré toutes les tentatives de Macron pour récupérer sa base, son programme réactionnaire de coupes a servi à relancer le mouvement de masse d’opposition, comme on l’a vu lors de la grève générale de décembre contre la « réforme » des retraites.

La crise en Espagne

La situation sociale et économique en Espagne est extrêmement instable. La croissance économique existante est basée sur des secteurs non productifs : le tourisme et la spéculation. En revanche, la production industrielle a connu sa plus forte baisse en six ans. Cela est particulièrement vrai pour l’industrie automobile. Il existe une grave crise du logement, avec des augmentations constantes des loyers, des factures d’électricité, etc. Le mouvement de masse des retraités en 2019 a révélé un sentiment croissant de radicalisation dans la société espagnole.

Les contradictions se font sentir à tous les niveaux. Toutes les institutions du régime bourgeois sont discréditées. La question catalane n’est pas résolue. La condamnation des prisonniers politiques catalans a produit une nouvelle vague de protestations de masse, qui a acquis un caractère presque insurrectionnel. Mais, comme cela a été clairement démontré au lendemain du référendum sur l’indépendance en 2017, sous sa direction nationaliste actuelle, lâche et petite-bourgeoise, le mouvement républicain catalan ne peut pas avancer. Ce n’est qu’avec une orientation internationaliste et ouvrière claire qu’il pourra rassembler la force nécessaire pour défier le régime espagnol.

Les élections d’avril 2019 ont montré le potentiel de la gauche. Ceci était déjà préparé par la grève des femmes du 8 mars et le mouvement de masse des retraités. L’émergence d’un parti d’extrême droite, Vox – une scission du Parti Populaire – qui a adopté toute la vieille rhétorique du franquisme, a eu pour effet d’augmenter le vote à gauche, entraînant la défaite du Parti Populaire, qui a perdu des villes qu’il dirigeait depuis plus de 25 ans. Cette radicalisation s’est traduite par la plus forte participation des 30 dernières années aux élections espagnoles.

Mais ce potentiel a été gâché par les dirigeants de Podemos et de la Gauche Unie, qui ont montré qu’ils n’étaient même pas de bons opportunistes. Au lieu de proposer d’aider le PSOE à former un gouvernement (et donc de bloquer la droite) en lui apportant un soutien critique extérieur au gouvernement, ils n’ont fait que réclamer des postes ministériels à l’intérieur de celui-ci. Cela a finalement conduit à la rupture des négociations. Finalement, Sanchez a décidé de convoquer de nouvelles élections, dans l’espoir d’élargir sa propre base et de pouvoir former un gouvernement plus stable, dont la classe dirigeante a besoin pour faire face à la prochaine récession économique.

Les nouvelles élections de novembre 2019 n’ont rien résolu. Au lieu d’être renforcé, le PSOE a perdu quelques députés, tandis que Ciudadanos, son autre partenaire de coalition possible, s’est effondré. Cela a obligé le PSOE à former une coalition avec Unidas Podemos (qui a accepté la discipline gouvernementale et les plafonds de dépenses de l’UE) avec le soutien extérieur des nationalistes catalans et basques. Un tel gouvernement devra faire face à la récession économique imminente, ainsi qu’à la lutte pour les droits nationaux en Catalogne. Il sera plein de contradictions et conduira inévitablement au discrédit de Podemos et des dirigeants de la Gauche Unie.

Grande-Bretagne

Il y a quatre ans de cela, le résultat du référendum sur la sortie de l’Union Européenne a bouleversé l’establishment. Depuis, la Grande-Bretagne traverse une période de troubles sociaux et politiques inégalés. La nouveauté de la situation est le fait que la classe dirigeante a perdu le contrôle de la situation et est depuis en train de batailler pour tenter de le récupérer.

Par le passé, diriger le système n’était pas une tâche compliquée. Le Parti Conservateur (les Tories), parti principal de la bourgeoisie, était sous leur emprise. Quant au Parti Travailliste, il était dirigé par de respectables membres de la classe moyenne sur lesquels on pouvait compter pour ne pas trop déranger l’ordre établi. Et lorsque les masses se seraient lassées d’eux, on pouvait ramener les Tories sur le devant de la scène.

Dans les dernières années, néanmoins, la destruction de l’équilibre social et politique qui a surgi de l’effondrement économique de 2008 s’est reflétée par une polarisation aiguë à droite et à gauche. Dans les faits, la classe dirigeante britannique a perdu le contrôle du Parti Conservateur comme du Parti Travailliste.

Les bourgeois de Grande-Bretagne se sont alarmés des développements au sein du Parti Conservateur, sur lequel ils n’ont plus de contrôle ou presque. Mais ils ont été profondément terrifiés par ceux qui ont eu lieu dans le Parti Travailliste. L’élection de Jeremy Corbyn, malgré le caractère de gauche réformiste limité de son programme, a représenté un virage serré vers la gauche. Elle a éveillé chez des centaines de milliers de personnes, principalement dans la jeunesse, un début de conscience politique.

Le Parti a été submergé par les nouvelles adhésions, ce qui a mené à une transformation en profondeur. L’aile droite Blairiste était démoralisée. La grande majorité des branches locales se sont repositionnées bien plus à gauche, notamment après la tentative de coup d’Etat de 2016. Le changement s’est répandu dans une grande partie de l’appareil partisan après que le Blairiste McNicol a été remplacé par Formby. La chasse aux sorcières contre la gauche fut stoppée et beaucoup d’anciens membres, trop à gauche, sont revenus.

L’assemblée générale du parti est maintenant fermement dominée par la gauche et seule la direction syndicale l’empêche « d’aller trop loin ». L’influence de l’aile droite est maintenant réduite à ses dernières places fortes : la branche parlementaire et les bureaux et conseils régionaux, d’où elle continue à lutter en dernière action contre les Corbynistes.

Ces développements ont produit quelque chose de comparable à une panique dans la classe dirigeante. Étant donné la gravité de la crise, un gouvernement travailliste aurait subi énormément de pression pour appliquer son programme et prendre des mesures contre les banquiers et les capitalistes, ce qui aurait été une menace sérieuse pour la bourgeoisie.

De concert avec l’aile droite du Parti Travailliste, la classe dirigeante a fait tout ce qu’elle a pu pour l’empêcher. Les Blairistes de la branche parlementaire étaient prêts à créer une scission dans le parti si Corbyn avait gagné l’élection. Ils ont activement travaillé dans l’ombre pour une défaite travailliste et ont obtenu le résultat qu’ils avaient tant espéré.

La classe dirigeante a mobilisé toutes ses ressources pour écraser Jeremy Corbyn et empêcher une victoire travailliste. L’élection générale de 2019 fut la plus sale de notre époque. Toutes les ressources disponibles de la classe dirigeante furent utilisées, des médias de masse au grand rabbin, pour diffamer et diaboliser Jeremy Corbyn.

Néanmoins, l’élément décisif qui a déterminé le résultat fut sans le moindre doute le Brexit. Depuis 2016, ce problème a empoisonné la vie politique britannique. A la base, il s’agissait d’une scission entre deux factions de la classe dirigeante, mais ça a fini par diviser la société, non pas sur une ligne de classes, mais d’une manière complètement réactionnaire.

L’aile droite du parti blâme Corbyn pour la défaite électorale, mais choisit d’ignorer un petit détail : en poussant le Parti Travailliste à soutenir le camp de ceux qui voulaient rester dans l’UE, ils ont eux-mêmes joué un rôle très important dans la défaite travailliste. Et la supposée « impopularité » de Jeremy Corbyn était principalement due à leurs attaques constantes, leurs insultes et leurs tentatives de le détrôner comme chef du Parti Travailliste.

De manière prévisible, le jour suivant l’élection, la campagne brutale pour renverser Corbyn fut intensifiée à 1000 % et finalement obtint satisfaction – au moins partiellement – avec la démission annoncée de Corbyn et McDonnell.

La chute de Jeremy Corbyn, néanmoins, permet aussi de mettre au jour les faiblesses et limites du réformisme de gauche. Les réformistes de droite se sont montrés bien plus déterminés que la gauche. Ils sont prêts à aller jusqu’au bout pour gagner la bataille au sein du Parti Travailliste. La gauche, de son côté, a tendance à vaciller, évite le conflit et fait des compromis. C’est une erreur très grave qui mène inévitablement à battre en retraite encore et encore. Et pour chaque pas en arrière effectué, l’ennemi en demande dix de plus.

Cette adaptation politique de Corbyn a été décisive dans la défaite électorale du Parti Travailliste. Sur la question du Brexit, Corbyn soutenait l’idée d’organiser un nouveau référendum, ce qui a été vu par ceux qui ont voté pour quitter l’Union Européenne dans le référendum de 2016, comme une tentative de revenir sur une décision qui avait déjà été prise par la majorité de la population, une décision qui, de plus, contrevenait aux intérêts de l’establishment.

Les tentatives de Corbyn et de McDonnell de s’accorder avec la droite de manière à préserver « l’unité » ont été un signe de faiblesse, et la faiblesse invite à l’agression. Le fait de battre en retraite sur la désélection, l’Europe et l’antisémitisme a joué le jeu de la droite et préparé la défaite actuelle. Mais une contre-révolution Blairiste dans le Parti Travailliste ne peut être effectuée sans une guerre civile au sein du parti. Or le parti est déjà en pleine guerre civile ouverte.

La démission de Corbyn représente sans le moindre doute un coup dur pour la gauche et c’est ce qui était prévu. Les changements qui ont eu lieu au sein du Parti Travailliste se sont profondément étendus, particulièrement au niveau de la base, mais aussi de manière assez large dans l’appareil du parti, ce qui fait que le phénomène connu sous le nom de Révolution Corbyn ne peut pas être annulé facilement, comme l’ont compris les analystes bourgeois les plus réalistes. Le 13 décembre, The Economist a publié un article sous le titre « La défaite écrasante de Jeremy Corbyn » qui se concluait sombrement par « Le Blairisme restera dans sa tombe ».

Les médias prostitués au système tentent de présenter cette défaite comme le début de la fin pour les travaillistes. Rétrospectivement, cela sera vu comme un développement épisodique qui se transformera en son opposé. Quand la réalité du Brexit finira par être comprise par le peuple, il y aura une réaction violente contre Boris Johnson et toute son œuvre. Son gouvernement deviendra le gouvernement le plus impopulaire de l’histoire récente.

Le résultat de l’élection n’est pas aussi retentissant que ce qui avait été annoncé. En fait, l’augmentation des votes Tories était négligeable ; à peine 300 000 votes de plus par rapport à l’élection de 2017. Le résultat dans les zones populaires du nord-est de l’Angleterre n’est pas non plus aussi encourageant qu’ils voudraient nous le faire croire. La plupart de ceux qui ont voté pour Johnson disent qu’ils lui ont juste « prêté » leur soutien. Ils attendent de lui qu’il tienne ses promesses et n’hésiteront pas dans le cas contraire à le lui retirer.

Mais Johnson ne pourra pas tenir ses promesses. Comme dans d’autres pays, la période actuelle est caractérisée par de violents basculements de l’opinion publique, à gauche comme à droite. L’élection de 2019 en Grande-Bretagne n’est qu’un exemple de plus de ce processus. Il va introduire une nouvelle période de conflits sociaux, de lutte des classes et de retournements politiques qui vont ridiculiser tout ce que nous avons connu jusque-là, avec de profondes conséquences politiques.

Le départ de l’UE de la Grande-Bretagne, loin de mener à une nouvelle ère de prospérité et de croissance économique, va avoir des conséquences extrêmement négatives pour l’économie britannique. Si – ce qui est encore possible – la Grande-Bretagne quitte l’UE sans un accord, cela annoncera une catastrophe absolue. Mais même dans sa meilleure variante, le Brexit va résulter en une contraction de l’économie, des pertes d’emplois et la chute des niveaux de vie.

Loin de proposer un futur composé de progrès, de prospérité et de stabilité, la Grande-Bretagne est destinée à entamer la période la plus instable et turbulente de l’histoire récente. Les inévitables attaques contre le niveau de vie et les services publics vont inexorablement résulter en une explosion de grèves et de manifestations à une échelle de masse qui n’avait pas été observée en Grande-Bretagne depuis les années 70.

La situation sera d’autant plus déstabilisée par la question nationale de l’Écosse. Alors que les Conservateurs ont obtenu une majorité décisive en Angleterre, le parti nationaliste écossais (SNP) a obtenu une majorité encore plus décisive au nord de la frontière. La victoire de Boris Johnson a été pour le peuple écossais l’équivalent d’un mouchoir rouge pour un taureau. Son slogan électoral « faire le Brexit pour de bon » a été perçu comme une provocation par les Ecossais qui avaient voté en grande majorité pour rester dans l’UE.

La dirigeante nationaliste, Nicola Sturgeon, a immédiatement demandé un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise. Boris Johnson refuse catégoriquement d’en entendre parler. La route est donc ouverte à un sérieux conflit entre l’Ecosse et Westminster. Le résultat d’un tel conflit est difficile à prédire. Mais une chose est claire : la Tendance Marxiste soutient fermement le droit du peuple écossais à décider librement de son futur, incluant le droit de faire sécession avec le Royaume-Uni. Néanmoins, nous devons expliquer aux travailleurs écossais que hors du Royaume-Uni ou non, aucune solution satisfaisante n’est possible pour la classe ouvrière écossaise dans un système capitaliste. Opposés aux bourgeois nationalistes du SNP, qui désirent une Ecosse indépendante capitaliste, nous luttons pour une République des travailleurs écossais, qui serait un tremplin puissant pour l’obtention d’une Fédération Socialiste d’Ecosse, d’Angleterre, d’Irlande et du pays de Galles. Dans toutes les luttes entre l’Ecosse et le gouvernement réactionnaire conservateur, nous nous tiendrons du côté du peuple écossais.

Le désastre qu’est le Brexit aura aussi de sérieuses conséquences en Irlande, où l’introduction de contrôles aux frontières et de droits de douane, même sous la forme altérée proposée par Boris Johnson, ne servira qu’à raviver les vieux démons qu’ils pensaient avoir enterrés avec le Good Friday Agreement. C’est une grande ironie de l’histoire que le parti officiellement connu sous le nom de « parti conservateur et unioniste » sera très probablement responsable de la destruction du Royaume-Uni, avec des conséquences que l’on ne peut prévoir pour les gens de cet archipel.

La situation sera prête pour des conflits et des luttes à grande échelle. Tout cela annoncera un virage serré à gauche dans le futur. Si la gauche garde son calme, elle en bénéficiera. Ces zones qui ont voté pour les conservateurs dans les dernières élections vont violemment virer de bord. Dans un futur proche, le parti travailliste sera dans un état d’ébullition intense. Dans un futur immédiat, la droite blairiste va tenter une dernière bataille désespérée pour tenter de reprendre le contrôle. Ils sont soutenus par la classe dirigeante qui cherche à renverser le virage à gauche du parti.

La lutte au sein du Parti Travailliste va prendre un tour plus violent et acharné. Un processus de débats et de réflexions internes sur cette élection va s’entamer. Les provocations des Blairistes vont provoquer une vague de colère et d’indignation dans les rangs du parti. Néanmoins il s’agit d’une lutte de forces vivantes et le résultat sera difficile à prédire.

L’immense majorité de la base travailliste est Corbyniste. Ils sont prêts à combattre l’aile droite. Mais dans toute lutte, la qualité et l’esprit combatif de la direction sont des éléments essentiels. Corbyn et McDonnell ont fait des concessions à l’aile droite. S’ils sont remplacés par une variété plus molle de réformistes de gauche, ces derniers risquent d’être encore plus propices à se soumettre aux demandes « d’unité », et à tomber dans le piège qui leur aura été tendu par le gang des blairistes.

La lutte au sein du Parti Travailliste est essentiellement une lutte de classes : une aile essaye de représenter la classe ouvrière, les pauvres et les indigents, l’autre est composée de carriéristes qui servent, consciemment ou inconsciemment, les intérêts des grosses entreprises. Ces deux tendances antagonistes ne peuvent demeurer indéfiniment ensemble. Si la base réussit à affirmer sa supériorité, à un certain stade, l’aile droite sera obligée de faire scission. Mais rien n’est moins sûr.

Quand Corbyn et McDonnell ont annoncé leur intention de démissionner, l’aile droite s’est sentie encouragée à passer à l’offensive. Ils ont retrouvé le moral, qui était resté au plus bas depuis 2017, et ne voient désormais aucune raison de faire scission, car ils espèrent reprendre le contrôle du parti. Au contraire, l’aile gauche est démoralisée et désorientée. Sa candidate à la tête du parti, Rebecca Long-Bailey ne possède même pas une fraction de l’autorité de Corbyn. Tout dépend de la base du parti, mais il y a aussi beaucoup de confusions à ce niveau-là.

Dans tous les cas, la Tendance Marxiste sera en première ligne dans la bataille contre l’aile droite. Cela lui fera gagner autorité et prestige aux yeux des travailleurs et de la jeunesse qui vont découvrir dans la pratique la supériorité du Marxisme, non seulement en tant qu’idée, mais en tant que tendance qui n’accepte ni compromis, ni capitulation, mais continue à porter le combat jusqu’à la fin.

L’impérialisme américain et les relations internationales

Après l’effondrement de l’URSS, il n’y avait qu’une seule grande superpuissance. Et avec une puissance colossale est venue une colossale arrogance. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde entier était divisé entre l’impérialisme américain et la puissante Russie stalinienne. Cela a créé une relative stabilité dans les relations internationales qui a duré des décennies, ponctuée de temps à autre par des crises comme la crise des missiles cubains. Mais en général, les deux grandes puissances prenaient garde à ne pas trop interférer dans leurs sphères d’influence respectives.

Tout cela a changé après la chute de l’Union soviétique. Elle a laissé un vide, que les impérialistes américains ont exploité en intervenant, d’abord dans les Balkans, puis avec les guerres en Irak et en Afghanistan. La Russie était en position de faiblesse, et temporairement incapable de réagir. Mais cette période est désormais révolue. La Russie a finalement commencé à se redresser et à s’affirmer, en commençant par la Géorgie, puis l’Ukraine, et la Syrie. En Irak et en Afghanistan aussi, les Etats-Unis ont essuyé une défaite face aux Talibans, qui sont aujourd’hui dans une phase ascendante en Afghanistan, tandis que l’Iran s’est imposé en Irak.

Dans tous les cas, l’impérialisme américain a été contraint d’accepter une défaite humiliante. Le résultat de ces défaites a été une augmentation massive de la dette publique et une profonde lassitude de la population vis-à-vis de la guerre. Associé à la crise mondiale du capitalisme, à la montée de la lutte des classes et aux divisions de la classe dirigeante qui en découlent, le champ d’intervention militaire de l’impérialisme américain a été sévèrement réduit. Obama n’a même pas pu faire passer une campagne de bombardement de la Syrie au Congrès. Cela montre les limites du pouvoir de l’impérialisme américain. Les Etats-Unis connaissent un déclin relatif face aux autres puissances capitalistes. Cela explique l’accroissement de l’instabilité mondiale et la crise de l’ordre mondial d’après-guerre, qui s’était construit autour de l’impérialisme américain.

Cependant, il faut faire attention à ne pas exagérer le déclin de l’impérialisme américain. Il s’agit d’un déclin relatif, mais les Etats-Unis restent toujours le pays le plus riche, et la plus formidable puissance militaire. Son évolution est au cœur de la direction de l’économie mondiale, car c’est de loin le plus grand marché. Un ralentissement de l’économie américaine conduirait à un ralentissement mondial, se terminant en récession mondiale.

Alors que Trump est un isolationniste d’un point de vue militaire, il fait tout son possible (et certaines choses qui sont impossibles) pour affirmer ce pouvoir dans le domaine économique. On peut le résumer par son slogan : « Rendre sa grandeur à l’Amérique », auquel il oublie d’ajouter la seconde partie : aux dépens du reste du monde. Comme nous l’avons expliqué, cela provoque des conflits qui pourraient avoir de graves conséquences pour l’économie mondiale.

La Chine, le dragon endormi

Grâce au développement industriel des dernières années, la Chine est devenue l’un des pays les plus importants au monde. Les contradictions s’y accumulent de manière impressionnante. La croissance de l’industrie est allée de pair avec la croissance de la classe ouvrière. Napoléon a dit un jour : « La Chine est un dragon endormi. Quand ce dragon s’éveillera, le monde tremblera. » Nous faisons nôtres ces mots prophétiques en les paraphrasant légèrement : « Quand le prolétariat chinois s’éveillera, le monde tremblera. » Le colossal potentiel révolutionnaire de la Chine s’est révélé lors des événements hongkongais.

Ceci est très positif de notre point de vue, mais constitue un problème important pour la classe dirigeante chinoise. Maintenant, toutes les contradictions émergent au grand jour. Malgré le nombre limité d’informations statistiques, il apparaît clairement qu’il y a eu une augmentation du nombre de grèves et d’autres formes de protestations. Xi Jinping essaye de tout centraliser et d’éradiquer toute voix dissidente avant qu’elle ne soit hors de contrôle.

La Chine dépense désormais plus en sécurité intérieure que dans le secteur de la défense. Puisqu’il s’agit d’un Etat totalitaire, l’information sur ce qui s’y déroule est filtrée. On crée ainsi l’illusion que la société est calme, que rien ne se passe, mais ce n’est qu’une impression. La Chine est comme une gigantesque cocotte-minute, où l’accumulation de la pression, en l’absence de tout moyen légal d’expression, aboutira à une énorme explosion. Ceci se produira alors que personne ne s’y attendra, exactement comme à Hong-Kong.

A ses débuts, ce mouvement avait des éléments de conscience de classe et des idées de gauche. Un des dirigeants avait même déclaré être contre l’hégémonie capitaliste. Dans les rues, l’atmosphère était révolutionnaire et les jeunes ont fait preuve d’un grand héroïsme. Le mouvement hongkongais aurait pu s’étendre à la Chine continentale. Avec une direction correcte, le potentiel aurait été énorme.

Néanmoins, rien de tout ceci n’avait la moindre chance de se produire sous une direction petite-bourgeoise. En l’absence de toute direction de gauche, les éléments pro-occidentaux ont occupé le devant de la scène et leurs appels à l’aide lancés aux Etats-Unis et à l’Ouest ont été utilisés par les médias chinois comme propagande pour noircir l’image des protestataires dans l’esprit de millions de Chinois ordinaires. L’héroïsme de la jeunesse sera inutile tant que les dirigeants entretiendront l’illusion d’une solution au sein du capitalisme. C’est une recette parfaite pour l’échec.

La confusion des leaders du mouvement a été aggravée par leurs tentatives répétées de négocier une solution avec les dirigeants de Pékin. Xi n’avait aucune intention de négocier avec eux, ni avec qui que ce soit d’autre. Il a essayé de les faire taire. La raison en est claire : les masses de Hong-Kong constituent un exemple qui pourrait s’étendre à la Chine continentale, où un terrible mécontentement bout sous la surface. Les hommes de Pékin sont terrifiés.

Quel que soit le résultat de la situation actuelle, ceci ne sera pas le dernier acte, mais seulement le prélude à des événements encore plus grands. Un recul à Hong-Kong ne ferait que retarder le processus révolutionnaire en Chine, cela ne l’arrêtera pas. Au cours des prochaines années, les mobilisations de masse que nous avons vues à Hong-Kong se produiront à Pékin et Shanghai, et partout en Chine, à un niveau bien supérieur. Voilà la véritable perspective. L’une des plus importantes tâches de l’Internationale est de construire une section en Chine.

Russie

Le régime de Poutine est au pouvoir depuis deux décennies. Sur la scène internationale, il donne l’impression d’être un homme fort exerçant un contrôle total sur la Russie. Mais c’est une vision très partielle de la situation en Russie. L’« homme fort » est un géant aux pieds d’argile. Au cours de la première période de son règne, Poutine a bénéficié d’un rebond économique principalement fondé sur les prix élevés du pétrole et du gaz, les principales exportations et sources de richesse de la Russie.

En conséquence, Poutine a joué la carte du nationalisme russe dans la crise ukrainienne, menant à l’annexion de la Crimée et à une intervention militaire dans la région du Donbass. Mais aujourd’hui, l’euphorie nationaliste s’est dissipée, l’économie stagne, et, dans les sondages, le soutien envers Poutine décroît constamment. Aussi bien les travailleurs que les bourgeois le mettent sous pression. Poutine essaye de faire croire qu’il prend des mesures décisives contre la corruption, alors que la clique du Kremlin en est massivement responsable. En 2018, des officiers des services secrets ont été arrêtés sur cette base. Mais ces mesures n’ont pas amélioré le moins du monde la situation économique.

Le rythme lent du développement économique a forcé le Kremlin à couper dans les dépenses d’Etat. En retour, cela veut dire que le « contrat social » s’effondre. Le chômage a augmenté, tout comme les emplois précaires et temporaires. Ces attaques se sont accélérées au cours de la période récente. Un bon exemple en est la réforme des retraites, qui a constitué une sérieuse attaque contre des millions de travailleurs russes, et qui a été confrontée à des protestations de masse.

Comme il est incapable de freiner le déclin économique, Poutine essaye de resserrer son emprise sur le front politique. Il cherche à imposer un contrôle total sur le système juridique et politique, sur les communications et les médias. Son parti, Russie Unie, garde fermement tous les leviers politiques, mais fait face à un mécontentement grandissant qui s’est exprimé dans une série de protestations de masse contre le gouvernement, en particulier à Moscou.

Néanmoins, la campagne menée par Alexei Novalny est fortement marquée par la présence de la classe moyenne, en dépit de ses tentatives de joindre les travailleurs. En parallèle, le Parti Communiste de la Fédération de Russie (PCFR), sous la direction de Zyuganov, ne fait rien pour donner une direction aux manifestations. Dans les faits, ils ont conclu un accord secret avec le Kremlin pour éviter toute opposition sérieuse à Poutine.

Il y a dix ans, le PCFR constituait une force puissante en Russie. Aujourd’hui, même s’il reste un acteur important, il n’a rien pu tirer de la situation politique actuelle et traverse une crise profonde. La direction du parti est totalement en faillite ; elle a complètement embrassé le système capitaliste. De nombreux candidats du PCFR sont des hommes d’affaires, et le parti est dirigé par une clique d’autocrates, en conflit permanent avec d’autres cliques bureaucratiques rivales.

Dans la plupart des cas, ces batailles de cliques n’ont absolument aucun contenu politique, malgré l’habituelle accusation lancée contre l’opposition d’être « néo-trotskyste ». Il y a eu des vagues répétées d’exclusions, y compris de branches entières d’organisations locales du parti. Pour toutes ces raisons, un travail au sein du PCFR n’est pas une option viable actuellement. Néanmoins, ce serait une erreur d’ignorer complètement le PCFR : il porte encore le nom de parti communiste, ainsi que les insignes du communisme (drapeau rouge, faucille, marteau, etc). Malgré tout, et à cause du grand vide qui existe à gauche, le PCFR pourra rassembler de nouveaux soutiens dans le futur, en particulier lors d’une crise sociale et politique.

Bien qu’à l’heure actuelle Poutine ait réussi à garder le pouvoir, cette situation ne durera pas éternellement. L’économie russe dépend fondamentalement des prix du pétrole et du gaz, qui seront inéluctablement touchés par la prochaine récession mondiale. Les protestations qui ont déjà eu lieu se reproduiront à plus grande échelle et mineront complètement la base soutenant Poutine. Il ne pourra plus jouer la carte nationaliste, car les masses sont déjà fatiguées par ses aventures à l’étranger et réagissent contre.

Ce qui manque surtout en Russie est la mise en mouvement de la classe ouvrière. Une fois que cela sera le cas, toute la situation se transformera rapidement, comme nous l’avons vu en janvier 1905. Les travailleurs russes ont de fortes traditions révolutionnaires et leur conscience bondira une fois la situation changée.

Nous avons désormais construit une solide section en Russie, avec des bases dans plusieurs régions. Des retards dans le processus révolutionnaire jouent en notre faveur, car nous avons besoin de temps pour consolider nos forces, qui peuvent croître rapidement une fois que la situation sera en cours de changement. L’émergence d’un véritable parti des travailleurs est à l’ordre du jour, et nous devons être au centre de ce processus. Cela pourrait se produire à travers un changement fondamental de régime au sein du PCFR ou, si la crise interne mène à la destruction du parti, cela pourrait impliquer la création d’un parti complètement nouveau. Nous nous inscrivons dans les pas d’un bolchévisme-léninisme authentique (trotskysme). Ceci nous donne une force considérable, de l’autorité et de la confiance. Par un travail patient au sein des franges les plus avancées des travailleurs et de la jeunesse, nous pouvons poser les jalons pour la construction d’une future force révolutionnaire de masse au pays d’Octobre.

L’Afrique

L’Afrique a une population de 1,3 milliard de personnes, dont la grande majorité vit dans une pauvreté abjecte, dans un continent assis sur d’immenses ressources minières et un grand potentiel agricole encore inexploité. Preuve de cette pauvreté : le PIB total de l’Afrique atteint seulement 2 200 milliards de dollars (chiffres de 2017) ; en comparaison, le PIB des Etats-Unis pour 2017 – un pays avec seulement 327 millions d’habitants – était de 19 400 milliards de dollars, soit près de dix fois le PIB de toute l’Afrique. Ceci montre de manière flagrante le rôle de l’impérialisme – passé et présent – dans l’exploitation du continent et dans les limites mises à son développement.

Il n’est pas surprenant que cet océan de misère humaine produise une vague massive de réfugiés, cherchant désespérément une issue à leurs conditions de vie cauchemardesques qui résultent du pillage de leur pays par des multinationales voraces et par l’impérialisme. Ce dernier continue à les dominer à travers les mécanismes inégaux du commerce mondial et les remboursements de dettes écrasantes, qui drainent les ressources du continent, ainsi qu’à travers des « aides » véreuses qui ne servent qu’à masquer de manière hypocrite la poursuite de l’exploitation.

A ce retard historique s’ajoute la crise mondiale du capitalisme. Toute l’Afrique est dans la tourmente, et des crises sociales et politiques affectent de nombreux pays. Nous avons été témoins d’une récente vague de mouvements de masse, chacun avec des caractéristiques similaires. Des dictateurs depuis plusieurs décennies, ou des présidents en fonction depuis plusieurs mandats, ont refusé de partir. A chaque fois, les masses ont identifié la personne en fonction avec l’austérité draconienne qui leur a été imposée, et ceci a déclenché des mouvements de masse de dimensions révolutionnaires à travers tout le continent.

Au Burkina Faso en 2014, des protestations ont eu lieu contre les plans du président de l’époque, Compaoré, de changer la loi pour pouvoir rester au pouvoir. Confronté à une opposition massive, il a dû se retirer après 27 ans en fonction. Au Burundi, en 2015, une lutte a eu lieu pendant plusieurs semaines contre le président Nkurunziza qui prévoyait de rester au pouvoir pour un nouveau mandat ; ces protestations ont profondément secoué le régime. Des foules ont envahi les rues chaque jour pour demander un changement ; des quartiers entiers se sont soulevés contre le régime.

Au Congo en 2015, des mouvements ont eu lieu à travers le pays, demandant la démission du président Joseph Kabila. Il essayait alors d’étendre la durée de son mandat au-delà de la date limite de 2016. Finalement, Kabila a quitté le pouvoir et un nouveau président a été élu en 2018 grâce à une fraude massive convenue au sommet de l’Etat. Pendant ce temps, le pays est resté dans un état social et économique catastrophique et fait face à une nouvelle guerre civile, qui menace de le plonger dans la barbarie, avec des massacres à un niveau inimaginable.

La Gambie en 2016 s’est trouvée au milieu d’une crise profonde provoquée par la décision du président-dictateur Yahya Jammeh de ne pas quitter le pouvoir, malgré sa défaite aux élections de décembre 2016. L’année suivante, au Zimbabwe, le départ de Robert Mugabe après 37 ans au pouvoir a eu des répercussions dans toute la région sud de l’Afrique. Sa chute a été accueillie avec jubilation dans tout le continent, ce qui indique que les masses sont épuisées et exaspérées par ces vieux régimes nécrosés. Néanmoins, rien de fondamental n’a changé après son départ, comme l’ont montré les nouveaux mouvements de masse qui se sont déclenchés début 2019, contre de nouvelles mesures d’austérité, et qui ont engendré spontanément une grève générale contre le gouvernement.

Le Libéria est aussi en ébullition, avec des mouvements de masse d’étudiants et de travailleurs en 2019. Le régime a résisté, mais est incapable d’empêcher la colère des masses de se transformer en mouvements plus larges. Le président Weah, arrivé au pouvoir il y a tout juste deux ans, alors que les masses s’étaient levées contre le précédent gouvernement, a déjà provoqué le soulèvement des foules et pourrait bien tomber prochainement. Nous pouvons nous attendre à plus de mouvements de ce type en Afrique, des vagues de lutte des classes appartenant à la marée montante des soulèvements révolutionnaires qui secouent le monde.

Nigéria

Le Nigéria est un des pays clefs d’Afrique, de même que l’Egypte et l’Afrique du Sud. C’est le plus grand pays du continent, avec une population de plus de 200 millions de personnes et un PIB de 375,8 milliards de dollars américains, soit un sixième de tout le PIB d’Afrique. Néanmoins, l’espérance de vie au Nigéria est la plus basse de toute l’Afrique de l’Ouest.

Depuis la fin du régime militaire de 1999, la classe dirigeante nigérienne a gouverné à travers deux partis bourgeois : d’abord le PDP, puis l’APC. Mais les masses ont bientôt atteint leur limite de tolérance, comme l’ont révélé les élections de 2019 : 43 millions d’électeurs potentiels n’ont pas voté, faisant de l’abstention le premier choix électoral ! Les votants ne représentent que 35 % de la population ; à Lagos, le département le plus développé, seuls 18 % ont participé. Cela révèle de manière frappante l’immense vide qui persiste à la tête de la classe ouvrière.

La classe dirigeante nigérienne est incapable de fournir les biens de première nécessité à la majorité de la population, poussant sans cesse les masses sous leurs niveaux de vie actuels, déjà proches de la barbarie. La classe dirigeante est consciente que les conditions actuelles pourraient donner naissance à des explosions sociales.

Afrique du Sud

Vingt ans après la fin de l’apartheid, aucun des problèmes fondamentaux des masses sud-africaines n’a été résolu. La pauvreté et le chômage sont omniprésents, et les inégalités ont atteint des niveaux encore plus élevés que sous l’apartheid. Les seuls à avoir bénéficié du changement de régime sont une mince couche de Sud-africains noirs, comme le président milliardaire Cyril Ramaphosa, qui ont rejoint la classe capitaliste.

Tout en freinant les masses, le régime de l’ANC a mené des politiques pro-capitalistes les unes après les autres. Un vaste sentiment de désillusion envers le système s’est propagé. Plus de 51 % de l’électorat n’a pas voté lors des dernières élections et l’abstention a été particulièrement élevée parmi la jeunesse. C’est une préoccupation sérieuse de la classe dirigeante. Le gouvernement de l’ANC est entré dans une crise profonde, qui transparaît avec une scission ouverte à son sommet. L’opposition officielle, le DA, est aussi en crise.

En parallèle, l’impasse capitaliste a provoqué un grand mouvement à gauche dans la société sud-africaine. Au cours des vingt dernières années, les mobilisations se sont succédé en continu. Les travailleurs, les jeunes et les pauvres du pays ont participé à d’innombrables grèves et manifestations. Ceci a mené à la montée d’une nouvelle fédération syndicale, la SAFTU, qui a été mise en place par le syndicat des métallos NUMSA, fort de 364 000 affiliés. C’est maintenant la fédération syndicale la plus puissante d’Afrique du Sud, fondée sur un programme qui appelle à la fin du capitalisme, du moins sur le papier.

Les dirigeants de la NUMSA ont aussi eu une opportunité historique de mettre en place un parti des travailleurs, mais les bureaucrates ont traîné les pieds et gâché cette chance. Pour l’instant, le Parti Révolutionnaire des Travailleurs mis en place par le syndicat n’est presque rien de plus d’une coquille de parti. Le vide politique a donc été rempli par les Combattants pour la Liberté Economique (Economic Freedom Fighters, EFF), qui sont devenus un point de référence pour de larges couches de la jeunesse et même des travailleurs. Le succès des EFF est principalement dû à leur rhétorique radicale, dénonçant la corruption gouvernementale, mobilisant les jeunes dans la rue, appelant à l’expropriation sans compensation, à la nationalisation des banques, des mines, et d’autres secteurs stratégiques, et demandant la gratuité de l’éducation, de l’accès aux soins et au logement, etc.

Ces demandes entrent clairement en résonance avec celles des franges urbaines de la classe ouvrière, ainsi que de plusieurs pans plus ruraux. Néanmoins, plus le parti s’est établi dans le jeu politique quotidien, plus il s’est déplacé vers la droite, en particulier après l’élection de Cyril Ramaphosa. Sur la question agraire, le parti a fait plusieurs concessions importantes à l’ANC. Toutefois, tant que l’EFF n’est pas au pouvoir, les masses ne se rendront pas compte de cette tendance. Tout ce qu’elles voient est un parti menant la bataille contre les riches. A la lumière de la crise du capitalisme et de l’ANC, l’EFF continuera à grandir.

Le Moyen-Orient

Le destin du Printemps arabe montre à quel point les révolutions et les contre-révolutions sont organiquement liées. Il est impossible de faire la moitié d’une révolution. Soit la classe ouvrière se place d’elle-même à la tête du mouvement et prend le pouvoir entre ses mains, ou tout peut se dérouler à l’envers, préparant le terrain à la contre-révolution. C’est précisément ce qui s’est passé en Egypte.

Cela souligne l’importance vitale du facteur subjectif. Les masses égyptiennes n’ont pas fait une révolution, mais dix. Mais à la fin, tous leurs efforts furent réduits à néant à cause du manque de direction. Le vide fut rempli par la contre-révolution, avec la prise du pouvoir par les militaires.

Cependant, la révolution arabe n’est pas terminée. Toutes les contradictions qui ont mené aux révolutions de 2011 se sont renforcées. Sous l’impact des nouveaux soubresauts de l’économie mondiale, le niveau de vie de la classe moyenne s’effondre, tandis que les travailleurs et les pauvres sont poussés encore davantage vers un état de pauvreté chronique, de chômage ou au mieux de salaires payés irrégulièrement. Pendant ce temps, la classe dirigeante a perdu toute légitimité et est partout suspendue à un fil.

Pendant un moment, les crédits bon marché venant de l’Ouest ont permis aux gouvernements d’acheter la paix sociale. Mais à mesure que cette méthode s’épuisait, une nouvelle crise se répandait dans la région. La crise mondiale du capitalisme se fait elle-même sentir, et s’exprime par des explosions révolutionnaires dans un pays après l’autre : Liban, Algérie et Soudan. La Turquie, la Jordanie et l’Egypte ne sont pas loin derrière.

Au fur et à mesure que les crédits bon marché s’épuisent, tous les pays devront réaliser des coupes sévères dans les conditions de vie, ce qui mènera à son tour à de nouvelles révoltes. Après quelques années d’interruption et de désorientation, le mouvement est en train de reprendre pied. Chacun de ces régimes est dans une crise profonde. Cela s’applique aussi à Israël, où la classe dirigeante est complètement divisée, ce qui est un reflet de l’accroissement des divisions dans la société israélienne. Enfin, la crise commence à secouer les fondations des régimes réactionnaires d’Arabie saoudite et des Etats du Golfe.

En 2018, une grève générale et des manifestations de masses en Jordanie ont mené à la chute du Premier ministre Hani Moulki. En Tunisie, les différentes vagues de manifestations de masses ont ébranlé le pays. En Algérie, un puissant mouvement révolutionnaire a renversé Bouteflika et a secoué le régime de la tête aux pieds. En Turquie, Erdogan a souffert de sérieux revers lors d’élections municipales, perdant le contrôle d’Istanbul, Ankara et trois autres villes majeures. Il a essayé de distraire l’attention des masses en se lançant dans une aventure militaire contre les Kurdes en Syrie. Mais la détérioration constante de la situation économique crée les conditions pour une nouvelle explosion des mouvements de contestation, à l’image des mobilisations du Parc Gezi en 2013, mais à une bien plus grande échelle.

Iran et Irak

En Iran, les manifestations continuent, attirent de nouvelles couches de travailleurs et de pauvres conscientisés, et ont secoué le régime durant toute l’année 2018. Elles ont été momentanément maitrisées par la menace de guerre avec les Etats-Unis, Israël et les Etats du Golfe, mais ont repris en novembre 2019, après que le régime a introduit des coupes dans les subventions au gaz. De nouvelles et plus larges explosions sociales se préparent.

Au Liban, les masses ont investi les rues après l’introduction d’une soi-disant « taxe WhatsApp », qui n’était qu’une mesure parmi d’autres d’un paquet austéritaire. Au plus fort, ce puissant mouvement a entrainé plus de deux millions de personnes – sur une population totale de 4,5 millions (6 millions si on compte les réfugiés syriens). Ce fut une réaction à des années de corruption et d’abus de pouvoir flagrants par les barons de la guerre civile dans les années 1980, qui sont devenus des politiciens.

Pendant des années, ces éléments ont organisé le sectarisme pour diviser la population, mais ça ne fonctionne plus désormais. Face à la vague révolutionnaire venant d’en bas, ceux d’en haut ont joint leurs mains pour défendre le régime. Ils essaieront de faire dérailler le mouvement en attisant les feux du sectarisme. La seule voie pour le mouvement est de mobiliser la classe ouvrière dans une grève générale massive pour faire tomber le régime et empêcher la contre-révolution de reprendre l’initiative.

En Irak, un puissant mouvement révolutionnaire, issu des zones chiites, et dirigé contre les élites, a balayé le pays. C’était aussi dirigé contre tous les dirigeants et les partis politiques – incluant Moqtada al-Sadr, le dirigeant radical chiite. Il avait appelé à des manifestations les années précédentes, mais a récemment rejoint le gouvernement. L’establishment a réagi par une répression brutale. Mais les manifestations ont continué, et sont devenues de plus en plus radicales, se répandant parmi les étudiants et la classe ouvrière, ce qui a mené à plusieurs vagues considérables de grèves.

Le mouvement irakien a mené à des divisions profondes au sein de la classe dirigeante. Les factions pro-iraniennes ont demandé d’accélérer la répression, pendant que des couches autour du chef chiite Ali Al-Sistani ont préconisé des concessions superficielles dans le but de détourner l’attention du mouvement. A la fin, la ligne iranienne semble avoir gagné. Mais les centaines de morts et les milliers de blessés mettront fin à l’illusion démocratique du passé de la conscience des masses.

Par le passé, les groupes chiites en Irak et au Liban qui soutenaient l’Iran pouvaient cacher leur nature réactionnaire derrière leur lutte contre l’EI, les Etats-Unis et l’impérialisme saoudien. Ils affirmaient être les défenseurs de la démocratie, des pauvres et des opprimés. Mais désormais ils ont été découverts. Au Liban, le Hezbollah, qui a mené à un gouvernement d’unité nationale depuis les élections de 2018, a mené des politiques d’austérité et a été en première ligne des attaques contre la révolution. En Irak, les groupes contrôlés par les Iraniens ont resserré leur emprise sur l’appareil d’Etat, évinçant la plupart des éléments pro-américains. Le rôle de l’Iran en Irak est de plus en plus vu par les masses comme une force d’occupation brutale et tyrannique. Qassem Soleimani, le chef de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution, était la figure clé coordonnant la répression contre la révolution.

Cela aura d’importantes conséquences en Iran, où le régime s’est partiellement basé en représentant sa politique étrangère en tant que force progressiste, non sectaire et démocratique, en lutte contre l’impérialisme et le fondamentalisme religieux dans la région. Les scènes de manifestants irakiens prenant d’assaut l’ambassade iranienne en Irak – font penser à l’attaque de l’ambassade américaine après la révolution iranienne – serviront sans aucun doute à dissiper les illusions anti-impérialistes que le régime iranien a cultivées.

Le Soudan

De tous les mouvements de ces dernières années au Moyen-Orient, la révolution soudanaise est allée le plus loin, fournissant d’importantes leçons pour les masses de la région. Le courage et la détermination de la jeunesse, et en particulier de jeunes femmes soudanaises, étaient très enthousiasmants. Au plus fort du mouvement, la vaste majorité des travailleurs des ministères du gouvernement ont suivi l’appel du comité de grève pour une grève générale, qui a posé la question du pouvoir.

Mais à cause de la confusion et des hésitations de la direction, l’occasion a été perdue. Dans une telle situation, l’idée qu’il était possible d’obtenir un accord avec les officiers réactionnaires de l’armée était complètement stupide. Dans une telle situation, les mots ne servent à rien, si ce n’est à tromper et désarmer les masses face à la violence contre-révolutionnaire.

Les réactionnaires, soutenus par les impérialismes égyptien et saoudien, étaient lourdement armés, mais les masses avaient l’avantage du nombre et la volonté de combattre jusqu’à la mort, si nécessaire. Elles avaient le soutien des soldats. Mais ce soutien resterait passif à moins que les masses ne montrent qu’elles étaient prêtes à aller jusqu’au bout. C’est seulement là qu’il aurait été possible pour la masse des soldats de retourner leurs armes contre leurs officiers afin d’écraser les forces contre-révolutionnaires.

C’était le seul moyen d’écraser la contre-révolution et d’assurer la victoire. Mais les réactionnaires ont eu le temps de se regrouper et de lancer des contre-offensives sanglantes. Le résultat au Soudan fut tragique. Les prétendus-chefs révolutionnaires du SPA ont rejoint le gouvernement réactionnaire, leur rôle principal étant de retenir l’action révolutionnaire des masses permettant à la contre-révolution de gouverner.

Les Etats-Unis et l’Iran : bombarder ou non ?

Les limites de la puissance des Etats-Unis ont été largement révélées au Moyen-Orient. Ils ont subi défaites et revers en Irak, en Syrie ainsi qu’en Afghanistan. Et les conflits dans la région ont servi à dévoiler et aggraver la crise du régime saoudien, qui n’a pu survivre aussi longtemps que grâce au soutien des impérialismes britannique et américain. Aujourd’hui, le régime est déchiré par des divisions internes, avec les Al-Saoud, le mouvement wahhabite, la famille royale et son ensemble de tribus, tous mettant en avant leur propre programme, tandis que le mécontentement bouillonne parmi les chiites opprimés, la jeunesse et la classe ouvrière.

Tant que l’économie allait bien et que l’impérialisme américain la soutenait, la maison des Saoud pouvait maintenir une base fragile pour le régime. Mais avec l’effondrement des prix du pétrole, les réseaux cruciaux de patronage qui maintenaient le royaume intact cèdent la place aux divisions. Mohammed ben Salmane a essayé de consolider sa position en menant une guerre sauvage contre le Yémen.

Trump est étroitement lié à la droite républicaine, au prince héritier saoudien et à la clique dirigeante saoudienne. Pour leur adresser un signal, il a déchiré l’accord sur le nucléaire iranien et s’est embarqué dans sa campagne pour mettre un « maximum de pression » à l’Iran. L’offensive économique lancée par Trump contre l’Iran a donné le feu vert aux attaques israéliennes et saoudiennes contre l’Iran et ses alliés dans la région. Par conséquent, l’Iran et l’Arabie saoudite sont en conflit ouvert pour le contrôle de la région.

La guerre sanglante au Yémen a trainé pendant quatre ans. Mais malgré toute leur richesse et leur matériel informatique militaire, l’offensive saoudienne a échoué à prendre le port stratégique d’Hadida et les Houthis ont lancé plusieurs attaques contre les oléoducs à l’intérieur même du territoire de l’Arabie saoudite. Les forces des Emirats arabes unis ont joué un rôle clé dans la guerre au sol (appuyées par des frappes aériennes saoudiennes inefficaces). Mais maintenant, sentant la défaite, elles ont décidé de battre en retraite. Ce fut un coup fatal aux ambitions saoudiennes au Yémen.

Les tensions dans le Golfe ont de graves conséquences pour l’économie mondiale. 30 % du pétrole passe par le Golfe persique. N’importe quel obstacle à ce stade serait catastrophique pour l’économie mondiale. Quand deux pétroliers ont été attaqués en juin 2019, Washington a immédiatement accusé l’Iran. Trump a ordonné à ses forces d’attaquer, mais 10 minutes plus tard, il a annulé son ordre. Ce fut la preuve de profondes divisions au sein de l’administration, confirmées plus tard par le licenciement sans préavis de Bolton.

En septembre 2019, il y a eu une série d’attaques contre les installations pétrolières saoudiennes, qui fut un coup sévère porté à l’Arabie saoudite, qui attendait que les Américains viennent à leur aide. Ce fut une grosse erreur.

Trump savait très bien qu’une attaque contre l’Iran s’avèrerait très coûteuse, non seulement d’un point de vue militaire, mais aussi d’un point de vue économique et politique. Les Américains n’ont décidé d’envahir l’Irak qu’après que son armée ait été sérieusement affaiblie par des années de sanctions. Mais les forces armées iraniennes sont intactes et invaincues. Elles ont acquis plusieurs années d’expérience au combat en Syrie, desquelles elles sont sorties victorieuses. En se battant dans une guerre défensive contre une invasion étrangère, elles seraient une force formidable.

Une invasion terrestre de l’Iran est exclue. Mais une campagne de bombardements n’aurait que des répercussions limitées sur le programme nucléaire iranien. Il peut être retardé, mais pas arrêté. Cependant, les conséquences politiques à l’échelle mondiale seraient considérables. L’opposition aux Etats-Unis grandirait, en particulier dans le monde musulman, où le spectacle d’une alliance agressive de l’Arabie saoudite avec les impérialismes américain et israélien provoquerait un scandale. Un tel développement serait aussi très impopulaire aux Etats-Unis, où après l’Irak et l’Afghanistan, la population est fatiguée des aventures militaires à l’étranger.

Il y aurait des manifestations de masse dans chaque capitale occidentale. Cela aggraverait aussi les divisions qui existent déjà dans la soi-disant alliance occidentale, qui étaient déjà flagrantes quand Trump a unilatéralement rejeté l’accord avec l’Iran, au grand dam de ses alliés européens.

Dernière chose, mais non la moindre, une guerre au Moyen-Orient – même très courte – aurait un effet dévastateur sur la fragile reprise de l’économie mondiale. Elle provoquerait une crise sur tous les marchés du monde, les prix du pétrole s’envoleraient à des niveaux inégalés et les investisseurs prendraient peur. Le système capitaliste ferait face à une nouvelle récession mondiale, qui serait bien plus grave que celle de 2008.

Pour toutes ces raisons, une guerre n’est pas dans l’intérêt de la classe dirigeante, ni d’ailleurs de Donald Trump, qui est plus soucieux de gagner l’élection présidentielle que de larguer des bombes sur Téhéran pour plaire à l’Arabie saoudite et à Israël. Donc après tout le baratin et les menaces de feu et de sang, il n’y a eu aucun signe de représailles militaires, que ce soit de la part des Etats-Unis ou de l’Arabie saoudite elle-même. Ce fait, plus que tout au monde, révèle la faiblesse chronique du régime saoudien ainsi que les limites du pouvoir des Etats-Unis.

Il n’est pas impossible que, puisque son bluff a échoué, Trump puisse à nouveau faire un virage à 180 degrés et arriver à une sorte d’accord avec l’Iran. Des choses bien plus étranges sont arrivées dans la Maison-Blanche de Donald J. Trump !

Pakistan

Au Pakistan, la crise culmine à des niveaux jamais atteints. Ceux-ci se trouvent marqués par une désintégration économique, sociale et politique sans précédent. Des fractures sont ouvertes au sein de toutes les structures de l’Etat pakistanais - une aile cherchant le soutien de l’impérialisme américain et une autre cherchant le salut de la Chine. Les Etats-Unis négocient avec les Talibans dans le but de quitter l’Afghanistan, et veulent que l’Etat pakistanais les aide à conclure cet accord. Cependant, depuis plusieurs années, l’Etat pakistanais a perdu le contrôle sur les fondamentalistes islamiques (lorsqu’il ne les soutient pas). En réponse, Trump a coupé l’aide américaine, engagé un blocus économique et forcé le FMI à suspendre l’aide au Pakistan.

Cette situation a accru la sape de l’Etat pakistanais et exacerbé ses divisions internes. Durant des décennies, la région pachtoune au nord du Pakistan a fourni la principale rampe de lancement des talibans. Le peuple pachtoune en a payé le prix fort. Les maisons ont été bombardées et la population déplacée. De nombreuses personnes ont été tuées ou « portées disparues ». Ces terribles conditions ont donné naissance au PTM, qui s’est développé comme mouvement de masse il y a quelques années.

Le système politique a été plongé dans une profonde crise, avec la formation d’un nouveau parti politique et une guerre qui s’installe au sein même de l’Etat. Des scandales à répétition ont débouché sur l’emprisonnement de toute une couche de politiciens de l’establishment et de hauts responsables de l’Etat. De nouveaux scandales éclatent chaque jour. L’économie se dégrade de plus en plus. L’inflation est endémique et l’ère est à la privatisation. Les grèves et manifestations d’étudiants, de docteurs, d’infirmières et d’autres secteurs sont en augmentation.

Les différents partis du spectre politique ont perdu leurs soutiens dans leurs circonscriptions respectives et ne peuvent constituer une voie à suivre pour les masses. La classe ouvrière n’a pas d’alternative. Elle ne peut compter sur sa direction politique traditionnelle, alors que sa direction syndicale s’est effondrée. Dans la période à venir, le Pakistan se trouvera dans une situation comparable à celle du Soudan. De grandes opportunités s’ouvriront alors pour notre organisation.

Inde

En Inde, la crise politique et économique s’aggrave de jour en jour. Lors des élections générales de mai 2019, le Premier ministre Nerendra Modi a été réélu, avec une majorité sans précédent. Modi s’appuie sur le chauvinisme hindou le plus réactionnaire qui soit. Sa première victoire, en 2014, était basée sur les mots d’ordre de « Vikas » (développement) et d’emploi pour tous, en évitant les slogans droitiers du fondamentalisme hindou. Mais cette année, Modi a montré son vrai visage : il a attisé la rhétorique anti-pakistanaise et l’hystérie sur la question du Cachemire, en abrogeant le statut spécial de la région – qui a été reléguée comme territoire « d’union » sous contrôle direct du gouvernement central.

En plus de servir l’agenda réactionnaire de Modi, cette agression montre les ambitions régionales de l’Inde, celles-ci étant basées sur la croissance de son économie et sa relation étroite avec l’impérialisme américain, faisant contrepoids à la Chine. Néanmoins, la suppression brutale des droits du Cachemire ne s’est pas déroulée comme prévu.

Malgré la répression brutale de la population et la présence d’environ 600 000 militaires dans la vallée, l’Etat indien n’a pu contrôler le mouvement de masse au Cachemire – qui combat la domination indienne depuis de nombreuses années. A l’inverse, ces mesures draconiennes ont lié le mouvement national du Cachemire – auparavant isolé – au mouvement de lutte des classes qui traverse l’Inde. Pour la première fois, des manifestations et des rassemblements ont eu lieu dans tout le pays en soutien au peuple opprimé du Cachemire.

Le régime attaque également les droits fondamentaux des nationalités opprimées et des minorités religieuses. Il attise sciemment la haine religieuse et les disparités nationales et linguistiques afin de contenir la lutte des classes. Dans l’Etat oriental d’Assam, le gouvernement a déchu 2 millions de personnes de leur nationalité et se prépare à les transférer dans des prisons spéciales.

Le chauvinisme enragé de Modi ne constitue qu’un versant de sa nature réactionnaire, l’autre étant perfidement anti-ouvrier. Il se présente comme « l’homme fort » qui peut vaincre le mouvement ouvrier, afin de gagner le soutien des capitalistes indiens et étrangers. Cependant, les choses ne se dérouleront pas aussi facilement qu’il ne le pense. L’économie est dans un état désastreux, rien qu’entre 2016 et 2018, 5 millions d’Indiens ont perdu leur emploi.

A mesure que la crise s’aggravera, de plus en plus d’emplois seront perdus. Afin de stimuler la croissance, le régime de Modi renforce ses attaques et poursuit agressivement son programme de privatisation et de libéralisation. Ces éléments ouvrent la voie à une éruption de la lutte des classes. L’appel à la grève générale du 20 janvier à l’échelle nationale, qui devrait être suivi par 300 millions de travailleurs, en est un signe éloquent.

Le problème central n’est pas la force de Modi. Comme Poutine, ce « colosse » a aussi des pieds d’argile. Le vrai problème, c’est l’absence d’une alternative politique sérieuse qui pourrait contrer cette rhétorique d’extrême droite. La raison pour laquelle il a pu gagner les élections est la faillite totale de la soi-disant opposition. Après plusieurs décennies au pouvoir, le parti du Congrès est définitivement discrédité et corrompu.

De nombreux libéraux avaient espoir dans le Congrès. Mais il a été décimé par la « vague » Modi lors des dernières élections. En fait, le Congrès s’est déplacé vers la droite pour tenter vainement d’apaiser les électeurs hindous fondamentalistes. En réalité c’était contre-productif ; les électeurs enclins au chauvinisme hindou ont préféré l’original à la copie, incarné par Modi. Pourquoi auraient-ils voté pour une pâle imitation ? Le Congrès a logiquement subi une défaite écrasante et méritée. Naturellement, ils n’ont pas tiré les leçons de cette défaite et continuent sur cette voie. Dans le Maharashtra, Etat important, ils construisent une alliance avec le quasi-fasciste Shiv Sena.

Les choses se passent encore plus mal avec les anciens staliniens. Ils ont dominé la gauche indienne pendant des générations et sont aujourd’hui complètement dégénérés. Les partis communistes ont été punis par les électeurs pour leurs trahisons. Ils ont récolté les pires résultats électoraux de leur histoire et ont été anéantis dans les Etats du Bengale-Occidental et de Tripura, alors qu’ils y régnaient depuis 3 décennies. C’est le résultat direct des méthodes pourries qu’ils ont utilisées, menant politiques libérales et anti-ouvrières lorsqu’ils étaient au pouvoir.

Bien qu’ils conservent une influence sur les mouvements ouvriers, paysans et étudiants, ils ne jouissent plus de la même autorité que par le passé. Les partis communistes ont capitulé devant la bourgeoisie indienne, pourrie et corrompue, et ont abandonné toute transformation socialiste de la société. C’est pourtant le seul moyen de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve la société indienne. Cette perte d’autorité laisse la voie ouverte pour que les idées révolutionnaires et authentiques du marxisme gagnent un écho parmi des couches toujours plus larges d’étudiants et de travailleurs.

Indonésie

L’Indonésie était autrefois saluée comme l’une des économies miracles d’Asie, mais désormais elle ralentit conformément à la tendance mondiale. Face à un ralentissement et au déficit budgétaire qui en a résulté, le gouvernement a été contraint de poursuivre les mesures d’austérité. Vingt ans après la chute de Suharto, le système économique et politique oppressif qui constituait les fondements de l’ancien régime reste intact, et par conséquent la même oppression des travailleurs continue.

Le désir populaire d’un changement radical a été systématiquement contrecarré par la classe dirigeante. L’arrivée au pouvoir de Jokowi il y a cinq ans était déjà une indication du désir de changement des masses, mais il n’a apporté aucune amélioration fondamentale à la vie quotidienne de la population. Avec sa réélection, le régime est maintenant passé à l’offensive avec toute une série de lois et de mesures réactionnaires attaquant la classe ouvrière et bénéficiant à la couche la plus corrompue de l’establishment.

Il y a eu toute une série de mouvements d’étudiants du secondaire et de l’université, qui ont manifesté par dizaines de milliers contre une réforme considérée comme un retour aux « pratiques de l’Ordre Nouveau » (concernant la corruption, l’intervention de l’État dans les affaires personnelles et la répression politique) et contre l’oppression du peuple papou. Il s’agissait des plus grandes manifestations étudiantes depuis le mouvement, il y a vingt ans, qui a renversé le dictateur haï Soeharto. Elles se sont rapidement propagées dans toutes les grandes villes du pays.

Les manifestations ont subi une répression brutale de l’État et plusieurs étudiants ont été tués lorsque la police a tiré sur la foule. Les mouvements étudiants se sont propagés à la classe ouvrière et les syndicats ont appelé à des manifestations. Ce n’est qu’en octobre 2012 que l’Indonésie a connu sa première grève générale depuis 1965. Mais le « succès » économique de l’Indonésie a énormément renforcé la classe ouvrière, et la crise mondiale du capitalisme pousse cette classe ouvrière sur la voie de la lutte des classes.

« Horreur sans fin »

Après la Seconde Guerre mondiale, la reprise gigantesque de la révolution coloniale a contraint les impérialistes à abandonner le contrôle militaire direct des colonies. Mais le pillage des anciennes colonies se poursuit, même s’il est masqué par les mécanismes du commerce mondial. Les impérialistes ont mis au point de nouvelles méthodes d’exploitation qui ont épuisé les ressources du prétendu tiers monde, le rendant encore plus esclavagé et appauvri qu’auparavant.

Les propagandistes bourgeois affirment qu’ils aident les pays pauvres grâce à l’aide humanitaire. Mais une étude a montré que c’est exactement le contraire. La Global Financial Integrity (GFI), le Centre pour la Recherche Appliquée de l’Ecole Norvégienne d’économie et une équipe d’experts internationaux ont publié une étude montrant que 16 300 milliards de dollars ont été transférés des pays pauvres aux pays riches depuis les années 80. Cela représente un vol important et une énorme augmentation des coûts sociaux supportés par les pauvres des pays dits en développement.

L’étude montre comment les pays pauvres ont effectivement servi de créanciers au reste du monde. Les pays riches ne développent pas les pays pauvres ; les pays pauvres développent les pays riches. En quoi consistent ces importants débits d’argent ? Certains d’entre eux sont dus à des remboursements de dettes. À eux seuls, les remboursements d’intérêts ont privé les pays débiteurs de plus de 4200 milliards de dollars depuis 1980. Ces énormes transferts aux grandes banques de New York et de Londres éclipsent toute aide qu’ils auraient pu recevoir au cours de la même période.

Le revenu tiré des investissements dans les pays dits en développement, qui est ensuite « rapatrié » par les impérialistes, est une autre source importante de pillage. Il suffit de mentionner les vastes bénéfices que British Petroleum tire des réserves de pétrole du Nigeria, par exemple, ou les fortunes que les Anglo-américains ont amassées grâce aux mines d’or d’Afrique du Sud.

Mais la plus grande partie du butin n’est pas documentée, car presque tout est illégal et porte le joli nom de « fuite des capitaux ». Selon les estimations de GFI, les « pays en développement » ont perdu un total de 13 400 milliards de dollars en raison de la fuite de capitaux depuis 1980.

Ces fuites de capitaux toujours plus importantes privent les pays en développement d’une importante source de revenus et de financement pour le développement et sont directement responsables de la baisse du niveau de vie. Elles ont également sans aucun doute contribué au ralentissement de la croissance économique dans ces pays, même si la cause principale reste la crise générale du capitalisme mondial.

La misère et la souffrance causées par cette rapine impitoyable ont détruit des nations entières, les plongeant dans la famine, la dislocation sociale et la guerre. Des millions de personnes désespérées fuient leur maison, cherchant désespérément à échapper à ces horreurs, pour se retrouver bloquées hors d’Europe et des États-Unis par des barbelés et des murs. Des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se sont noyés dans la mer Méditerranée.

Cet exode massif n’a pas d’équivalent dans l’histoire à part les mouvements de masse des peuples provoqués par l’effondrement de l’Empire romain. Cela vient nourrir le caractère convulsif de la crise. Et il n’y a pas de solution à ce terrible cauchemar tant que le système pourri qui l’a créé continue d’exister. Lénine disait que le capitalisme est « une horreur sans fin ». Le début du XXIe siècle montre à quel point il avait raison.

Argentine : la chute de Macri

Quand Macri a remporté les élections argentines en 2015, ça a été annoncé comme une nouvelle preuve de la « vague conservatrice » qui a balayé l’Amérique latine et de « la mort de la gauche. » Mais bien loin d’être fort et stable, chaque tentative du gouvernement d’introduire les attaques dont la classe dirigeante a besoin, a fait face à la féroce résistance des travailleurs. La réforme des retraites de Macri a entrainé des manifestations de masse et des affrontements avec la police. A la suite de quoi, il a abandonné son projet d’introduire une contre-réforme du travail.

L’instabilité des marchés monétaires internationaux a conduit à l’effondrement de la monnaie argentine, plongeant la politique économique de Macri en plein désarroi. Un prêt d’urgence du FMI n’a pas suffi à rétablir l’équilibre. L’aggravation de la crise économique a mené à une sérieuse défaite aux élections d’août 2019, qui n’ont fait qu’aggraver la crise.

S’il y avait eu une direction du mouvement ouvrier, le gouvernement de Macri aurait pu être renversé par un mouvement révolutionnaire issu de la base. Mais c’était la dernière chose que les dirigeants syndicaux et les kirchneristes voulaient. Leur perspective était celle d’un transfert ordonné du pouvoir après les élections.

Au final, le soi-disant puissant gouvernement de Macri a subi une défaite dans les urnes. Mais un gouvernement kirchneriste devra faire face à la profonde crise du capitalisme argentin. Ce sera dès le départ un gouvernement de crise. De telles conditions sont faites sur mesure pour la croissance de la gauche. Malheureusement, la gauche argentine est dominée par des groupes sectaires qui vont du réformisme au sectarisme, incapables de s’implanter sérieusement dans les masses.

Brésil

L’élection de Bolsonaro a marqué une nouvelle étape pleine de convulsions de la crise du Brésil. Bolsonaro n’était pas le candidat préféré de la majorité de la bourgeoisie brésilienne, et son élection n’a servi qu’à exacerber les contradictions de la société brésilienne, sans répondre à aucun des problèmes fondamentaux. Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses sections de la gauche ont hurlé au « fascisme », mais c’est une forme très particulière de « fascisme ». Très loin d’être un gouvernement fasciste, comme beaucoup l’ont dit à gauche, c’est une tentative d’installer un gouvernement bonapartiste au milieu d’une crise économique profonde et d’une situation sociale et politique pleine de turbulences, qu’il a été incapable de contrôler.

En tant qu’individu, Bolsonaro, ancien officier militaire, est probablement enclin au fascisme (il a ouvertement loué la dictature brésilienne). Mais sa véritable base est très étroite. Son propre conseil des ministres est divisé. Il ne tient même pas solidement le Parlement. Sa proposition de réformer le système des retraites et ses coupes dans l’éducation ont provoqué une vague de manifestations de masse et une grève générale. Sa popularité et celle de son gouvernement se sont rapidement dégradées.

La section brésilienne de la TMI a été la seule à porter le slogan « Dehors Bolsonaro ». Cela a d’abord rencontré le scepticisme de la « gauche » et des sectes qui étaient obsédées par l’idée que le fascisme était arrivé au Brésil. Mais lors des deux premières manifestations contre les coupes dans l’éducation, ce slogan s’est répandu comme une trainée de poudre.

Alors qu’il continue de mettre en œuvre son programme de coupes et de contre-réformes, il y aura un mouvement après l’autre. Seule la faillite totale des directions syndicales peut lui donner un répit. A un certain stade, la classe dirigeante pourrait décider de le révoquer et de le remplacer par quelqu’un de plus fiable. En attendant, Bolsonaro présidera un gouvernement de crise qui s’attirera l’hostilité des travailleurs et de la jeunesse et les poussera dans la lutte.

La grève générale de 40 millions de personnes en juin 2019 – dont les dirigeants syndicaux ne savaient pas quoi en faire – est une indication du type de mouvement que l’on peut s’attendre à voir dans la période à venir. La perspective pour le Brésil dans la période à venir n’est pas le « fascisme », mais une explosion de la lutte des classes.

Venezuela

Au Venezuela, nous avons toujours souligné qu’il était impossible de faire la moitié d’une révolution. En dernière analyse, soit la révolution expropriera les banquiers et les capitalistes, soit la bourgeoisie contre-révolutionnaire détruira la révolution. Cela reste vrai encore aujourd’hui. Il est impossible de combiner des éléments de nationalisation socialiste avec une économie de marché. Le résultat a été catastrophique, comme nous l’avions anticipé il y a longtemps, et un effondrement massif du niveau de vie des travailleurs.

Afin de faire taire les inévitables protestations, Maduro utilise des méthodes bonapartistes, et cette tendance s’accélère. Le gouvernement utilise le poids de l’Etat contre n’importe quel dissident – y compris contre les chavistes et les gens de gauche. En discréditant activement la révolution, en détruisant les quelques éléments restants de contrôle ouvrier et en attaquant la gauche, la bureaucratie sabote la révolution de façon bien plus efficace que l’opposition contre-révolutionnaire ne l’aurait jamais fait. Ils agissent comme un homme qui scie la branche sur laquelle il est assis.

Dans ces conditions, il est réellement extraordinaire que la loyauté des masses envers la révolution ait duré aussi longtemps. Cependant, 22 ans après le début de la Révolution vénézuélienne, malgré la confusion et les hésitations de Maduro et la corruption de la bureaucratie, la Révolution bolivarienne n’a pas été renversée. C’est une preuve flagrante de la faiblesse de l’impérialisme américain et de l’incroyable ténacité des masses. Malgré les efforts acharnés de la contre-révolution, les représentants du capitalisme au Venezuela ont échoué à réaliser leurs buts. La tentative de coup d’Etat de 2019 a fini en farce peu glorieuse.

En surface, tous les facteurs semblaient favoriser une telle tentative : l’économie était en crise profonde et le niveau de vie s’effondrait rapidement. Cela avait sapé le soutien au gouvernement. Des gouvernements de droite ont été élus au Chili, en Argentine et au Brésil. La classe dirigeante au Venezuela et aux Etats-Unis concluait – non sans raison – que c’était le bon moment pour une offensive générale afin de renverser Maduro.

Mais la tentative de changement de régime au Venezuela a échoué et nous devons comprendre pourquoi. Il y a un certain nombre de raisons. Premièrement, les organisateurs du coup d’Etat et leurs commanditaires à Washington ont sous-estimé les puissants sentiments anti-impérialistes des masses vénézuéliennes, qui ont réagi à cette tentative. Ils ont aussi mal évalué dans quelle mesure les sommets de l’armée avaient été achetés par toutes sortes d’affaires de corruption qui leur ont donné un intérêt à l’ordre existant.

Un autre facteur a été la stupidité de l’opposition vénézuélienne. Guaido a suscité des espoirs qu’il ne pouvait pas honorer. La petite-bourgeoisie, qui constitue la base sociale principale de Guaido et de sa clique, est une force intrinsèquement instable. Ils ont besoin de voir un mouvement qui avance constamment d’une victoire à une autre. Quand ils ont vu que le coup d’Etat ne progressait pas, ils ont été démoralisés et tout s’est très rapidement effondré.

Malgré les déclarations dures de Trump, le Pentagone n’avait aucunement l’intention de s’impliquer dans une intervention militaire au Venezuela, pas plus que les armées colombienne et brésilienne. Leur bluff a échoué et Trump est passé pour un imbécile. Une fois cette menace retirée de l’équation, il n’y avait aucune raison pour que les sommets de l’armée à Caracas changent de camp. En voyant cela, la Russie et la Chine, qui avaient initialement adopté une position neutre, sont intervenues de manière plus décisive du côté du gouvernement et Trump a soudainement perdu tout intérêt dans cette affaire.

Cependant, le danger de la contre-révolution n’a pas disparu. Le Venezuela a désormais été touché par de nouvelles sanctions. Cela a aidé à forcer le gouvernement à venir à la table des négociations, où il sera contraint de faire des concessions. Pendant ce temps-là, le processus qui avait déjà pris place s’est accéléré. Les Chinois veulent récupérer leur argent. Tout cela signifie que d’une politique folle d’expansion monétaire, Maduro devra tendre vers une politique monétaire d’équilibre budgétaire et d’austérité, en faisant payer les travailleurs.

La dernière tentative de coup d’Etat a échoué, non pas en raison de la solidité du gouvernement que de la pure incompétence de ceux à l’origine de cette tentative. Il est vrai qu’une partie des masses a répondu, mais un bien plus grand nombre est resté inerte et indifférent. C’est le danger principal auquel doit faire face la révolution. La prochaine fois, Maduro pourrait ne pas être aussi chanceux. Quoi qu’il arrive, l’équilibre instable actuel ne peut pas durer éternellement, et le temps ne joue pas en faveur de Maduro.

Bolivie

En Bolivie, les événements se sont déroulés très différemment. Evo Morales a été renversé par un coup d’Etat réactionnaire en novembre 2019. Le MAS est arrivé au pouvoir après l’échec des soulèvements révolutionnaires de 2003 et 2005, lorsque les travailleurs auraient pu prendre le pouvoir, s’il n’y avait pas eu leur direction. L’ensemble du mouvement s’est alors exprimé à travers un vote pour Evo Morales, qui a utilisé son autorité pour rétablir la légitimité de l’Etat bourgeois.

Son vice-président Garcia Linera a théorisé la nécessité de développer un « capitalisme ando-amazonien » avant que quiconque ne parle de socialisme. Pendant que le gouvernement finançait des programmes sociaux basés sur le prix élevé des matières premières, et menait aussi quelques nationalisations, sa politique était celle de trouver un terrain d’entente avec les capitalistes, les propriétaires fonciers et les multinationales.

Cela a conduit à l’aliénation de nombreuses sections de la base de soutien du MAS, qui a provoqué un effondrement dans les votes, de 60-64 % à son plus haut, à perdre le référendum constitutionnel en 2016, à 47 % à l’élection de 2019. C’était ce moment précis que l’oligarchie avait attendu pour renverser Evo Morales, à travers une combinaison de mobilisations de masses, une mutinerie policière et l’intervention de l’armée – un coup d’Etat réactionnaire.

L’exemple de la Bolivie est un avertissement très clair de ce à quoi on peut s’attendre lorsqu’un gouvernement parle de révolution et de changement social, mais reste dans les limites du capitalisme.

Equateur, Chili, Colombie…

Cependant, l’idée qu’il y a eu un virage à droite ou une « vague conservatrice » en Amérique latine, colportée par d’anciens de gauche, des académiciens démoralisés et des sectaires, est complètement fausse. Après une période de gouvernements plus ou moins stables, soutenus par le prix élevé des matières premières, on assiste désormais à une exacerbation de la lutte des classes.

Les indications sont nombreuses, notamment : le mouvement de masse à Porto Rico en juillet-août 2019, la très longue révolte à Haïti, le soulèvement de masse en Equateur en octobre 2019, lorsque la question du pouvoir a été posée, et surtout, le merveilleux soulèvement au Chili, un pays longtemps considéré par les commentateurs bourgeois comme un triomphe et une oasis dans le continent pour son conservatisme.

Tant en Equateur qu’au Chili, nous avons vu les caractéristiques classiques d’une situation insurrectionnelle, avec des mobilisations de masse, la constitution d’embryons de soviets (cabildos, assemblées populaires et territoriales), les gouvernements ont été poussés dans les cordes, et des fissures sont apparues au sein même de l’appareil d’Etat. Même dans un pays comme la Colombie, considéré comme un rempart de la réaction, la grève générale du 21 novembre 2019 s’est clairement inspirée des événements d’Equateur et du Chili. Le fait que cette grève massive ait continué au-delà du 21 novembre est l’indication la plus claire que les travailleurs s’efforçaient d’obtenir le pouvoir. Cependant, on souhaite décrire la situation en Amérique Latine comme une « vague conservatrice », mais ce n’est absolument pas le cas.

Au Chili, la question d’une Assemblée constituante a été soulevée par le mouvement. Il est vrai que la constitution de 1980 contient de nombreux éléments antidémocratiques, même du point de vue de la démocratie bourgeoise formelle. Le problème est que le slogan de l’Assemblée constituante peut et sera utilisé par différentes classes avec des significations très différentes.

Lorsque les masses parlent d’une Assemblée constituante, elles veulent parler d’un changement fondamental de régime. Mais quand la classe dirigeante est confrontée à la menace d’un renversement révolutionnaire, elle soutiendra l’idée d’une Assemblée constituante précisément pour la raison opposée : essayer d’empêcher un changement fondamental en détournant le mouvement de masse le long des lignes de la constitution bourgeoise.

Nous devons expliquer qu’en fin de compte, ce dont le Chili a besoin n’est pas une nouvelle constitution, mais un changement fondamental de régime : c’est-à-dire le renversement de l’Etat bourgeois et son remplacement par un nouveau régime véritablement démocratique du pouvoir d’Etat des travailleurs. Cela signifie dresser le slogan « A bas Pinera », généraliser et coordonner les cabildos (conseils) et assemblées pour qu’ils deviennent les véritables organes du pouvoir des travailleurs.

Seule une Assemblée nationale de la classe ouvrière et du peuple (le nom est une question secondaire, tant que le pouvoir est entre les mains des travailleurs et des dépossédés) peut être confiée la tâche d’élaborer une nouvelle constitution, véritablement démocratique, qui représente les intérêts de la majorité du peuple, pas une « démocratie » formelle frauduleuse, qui ne sert que de déguisement hypocrite derrière lequel se cache la dictature des propriétaires, des banquiers et des capitalistes.

Cuba

La crise au Venezuela a un effet négatif sur Cuba. Le Venezuela a dû interrompre la majorité de ses exportations de pétrole bon marché vers Cuba, qui subit des coupures d’électricité généralisées pour la première fois depuis la « période spéciale » qui a suivi la chute de l’Union soviétique. De plus, la politique américaine vis-à-vis de Cuba s’est durcie. L’administration américaine limite désormais le montant des remises que les Cubains-Américains peuvent envoyer à leur famille. Le tourisme vers Cuba est également interdit, alors que les touristes américains constituaient une importante source de revenus pour l’île.

Les Etats-Unis ont aussi activé une section du Helms-Burton Act, qui renforce l’embargo et le blocus. Cette attaque sauvage de l’économie cubaine représente une tentative de Trump – et de Bolton avant lui – applaudie par les émigrés cubains réactionnaires de Miami, d’étouffer la révolution cubaine. D’un point de vue impérialiste, c’est une politique court-termiste et stupide, typique d’une administration court-termiste et stupide.

La politique de semi-détente d’Obama était bien plus efficace pour saboter la révolution, en y intégrant peu à peu des éléments du capitalisme et du libre marché par l’assouplissement des restrictions sur les échanges, les investissements et le tourisme. Alors que les nouvelles mesures du gouvernement Trump vont pousser le régime cubain à se préparer au pire.

La direction cubaine parle de rationnement et envisage de revenir à une « période spéciale ». Cela arrive alors que de plus en plus de petites entreprises capitalistes voient le jour, créant pour la première fois une base sociale pour une contre-révolution capitaliste, qui a fait une démonstration de force lors du référendum constitutionnel. La marche vers le capitalisme va maintenant être ralentie, sinon complètement arrêtée.

Les marxistes cubains doivent lutter contre la restauration du capitalisme, tout en expliquant que le seul moyen de préserver les acquis de la révolution cubaine est d’établir une véritable démocratie ouvrière et de sortir la révolution cubaine de l’isolement en diffusant une politique révolutionnaire internationaliste à travers toute l’Amérique latine.

Mexique

L’élection de Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) à la présidentielle a marqué un changement majeur pour le Mexique. Cela a accéléré tous les processus et aggravé toutes les contradictions. Le plus intéressant dans cette situation, c’est la vitesse à laquelle se déroulent les événements. AMLO a pris des mesures contre les privilèges de la bourgeoisie mexicaine corrompue et de son Etat. Il a aussi mis en place une sécurité sociale sans précédent, qui profite à des millions de personnes. Il bénéficie donc d’un énorme soutien de la population.

Le président fait de beaux discours sur la nécessité d’une transformation profonde de l’Etat, d’une séparation des pouvoirs politique et économique. Il a l’illusion qu’il est possible de créer un Etat au-dessus des classes. Il a envoyé en prison des groupes entiers de la classe dirigeante, impliqués dans des affaires de corruption. Mais dans le même temps, il promet d’importants profits à cette même classe dirigeante grâce à des projets comme le train Maya. Pendant un temps, il a considéré une augmentation des salaires de 16 %, mais toute lutte ouvrière qui devient trop dangereuse est arrêtée par l’appareil étatique.

AMLO essaye de regarder dans deux directions à la fois. Il veut renforcer l’Etat, mais il oublie un petit détail : l’Etat qu’il veut renforcer est un Etat bourgeois, un Etat dont le but est de défendre les intérêts des propriétaires, des banquiers et des capitalistes. Il augmentera les interventions étatiques dans l’économie afin d’assurer des prêts bon marché aux entreprises. Il constitue également la garde civile, une police militaire, afin de lutter contre les « narcos ». Mais en réalité, personne ne peut dire où se termine le monde des grands barons de la drogue et où commence celui des banquiers, des capitalistes et des bureaucrates.

AMLO espère parvenir à un accord avec la bourgeoisie, mais celle-ci ne lui fait pas confiance et met tout en œuvre pour se débarrasser de lui. Malgré le fait qu’il ait annoncé ne pas vouloir toucher à la propriété des capitalistes, les médias bourgeois mènent une campagne féroce contre lui. La classe dirigeante utilise son contrôle de l’appareil étatique et judiciaire pour saboter le gouvernement. Alors que Lopez Obrador tente de réconcilier d’irréconciliables intérêts de classe. En d’autres termes, il cherche à résoudre un problème insoluble.

Sa soumission à l’impérialisme américain est un autre exemple des contradictions de sa politique. Quand Trump a menacé d’imposer des taxes sur toutes les importations mexicaines aux Etats-Unis, afin d’obliger les autorités mexicaines à appliquer sa politique migratoire, AMLO a cédé. Il a envoyé la garde nationale aux frontières nord et sud. Cela montre à quel point le gouvernement mexicain est à la botte de l’impérialisme. La situation actuelle est insoutenable. La crise économique mondiale va frapper le Mexique très violemment, alors que le gouvernement de Trump menace toujours d’instaurer des droits de douane.

Cela va aggraver la fracture entre le gouvernement de Lopez Obrador et la bourgeoisie, ainsi que les divisions au sein de Morena (le parti d’AMLO) : la bureaucratie se décale vers la droite alors que les militants de base se décalent vers la gauche. Comme il n’y a aucune alternative sérieuse à la gauche du gouvernement, ce dernier a vu sa popularité augmenter. L’effervescence de la population ouvre de nombreuses possibilités pour les marxistes mexicains, qui interviennent activement dans les débats, opposant une alternative révolutionnaire claire au réformisme confus, conjuguant le soutien à AMLO contre la droite à la critique systématique, mais fraternelle.

Fascisme ?

Le terme fascisme est souvent utilisé à tort, pour décrire tout gouvernement réactionnaire de droite, comme celui de Bolsonaro, ou même celui de Donald Trump. Cet abus de langage est scientifiquement incorrect et politiquement trompeur. C’est aussi dangereux, car lorsqu’un véritable danger fasciste sera posé, la classe ouvrière ne sera pas capable de le reconnaître. Pour cette raison, les cris hystériques et les braillements des sectes à propos du « fascisme » sont dangereusement irresponsables.

Autrefois, la situation d’une telle instabilité que nous observons dans de nombreux pays se serait traduite par un mouvement de la classe dirigeante vers la réaction fasciste ou bonapartiste. Mais c’est exclu pour le moment à cause du changement dans le rapport de force entre les classes. La classe ouvrière est plus forte que par le passé, tandis que les classes moyennes qui formaient la base de masse de la réaction (la paysannerie, les petites entreprises, les étudiants) ont été réduites ou prolétarisées.

Trotsky explique que le fascisme est une forme particulière de réaction, qui est qualitativement différente des autres formes, telle que le bonapartisme. Le fascisme est un mouvement de masse de la petite bourgeoisie et du lumpenprolétariat, dont le but est la destruction totale des organisations de la classe ouvrière. Au sein d’un régime fasciste, la classe dirigeante a tendance à perdre le contrôle de l’Etat, qui tombe entre les mains de bandits fascistes, qui gouvernent selon leurs propres intérêts, qui ne correspondent pas toujours exactement à ceux des banquiers et des capitalistes, et peuvent même entrer directement en contradiction avec eux.

La remise du pouvoir à un fou comme Hitler serait une étape très risquée, que la bourgeoisie n’envisagerait qu’en dernier recourt, quand elle se sentira menacée de renversement par la classe ouvrière. Dans le cas de l’Allemagne nazie, cela a conduit à une catastrophe. En 1944, il était clair que l’Allemagne avait perdu la guerre. La bourgeoisie aurait souhaité se rendre et passer un accord avec les Américains. Mais Hitler, qui montrait à la fin tous les signes cliniques de la folie, a refusé de se rendre, préférant voir son pays consumé par les flammes, comme à la fin d’un des opéras de Wagner.

Cette leçon n’a pas été perdue pour la bourgeoisie, qui préfère normalement un régime de démocratie bourgeoise formelle. Cette forme d’Etat est plus stable, plus fiable et plus économique qu’une dictature fasciste ou bonapartiste, qui en plus de nécessiter des dépenses colossales, comporte de nombreux dangers et peut se transformer à terme en son contraire, comme nous l’avons vu à la fois en Italie en 1943-45 et en Grèce après la chute de la junte en 1974.

Pour comprendre la situation réelle, il suffit de jeter un œil à la Grèce d’aujourd’hui. L’impossibilité d’évoluer vers le fascisme s’est manifestée le plus clairement dans le cas de la Grèce. Aube dorée, une organisation foncièrement fasciste, grandissait et devenait une force préoccupante. Il y a quelques années, ils avaient même eu l’idée de prendre le pouvoir. Mais où est l’Aube dorée aujourd’hui ?

Il se peut qu’une fraction de la classe dirigeante grecque joue avec l’idée d’une nouvelle junte pour discipliner la classe ouvrière, mais elle a été forcée de battre en retraite et de maitriser les fascistes de peur de provoquer une explosion révolutionnaire. Finalement, la bourgeoisie grecque ne pouvait pas leur permettre de prendre le pouvoir, car cela aurait signifié une guerre civile, qu’elle n’était pas certaine de gagner. Elle aurait pris le risque de tout perdre. Elle a donc agi contre Aube dorée et a mis certains de ses dirigeants en prison.

Loin de se baser sur les fascistes, qui représentent un élément insignifiant dans la plupart des pays, la classe dirigeante est contrainte de se baser sur le soutien des dirigeants des organisations ouvrières traditionnelles, des partis réformistes et staliniens et des syndicats. Mais cela a mené à un net déclin des partis ouvriers et bourgeois traditionnels – un développement qui menace de saper les fondations mêmes sur lesquelles le système de la démocratie bourgeoise repose depuis des décennies. C’est la clé pour comprendre l’énorme instabilité politique de la société d’aujourd’hui.

« Populisme »

C’est une mesure de la confusion des commentateurs bourgeois qui sont incapables de fournir une explication cohérente de ce qui se passe. Un exemple de cette confusion est l’utilisation de terminologie non scientifique. Ils utilisent le mot « populisme » pour décrire tout mouvement politique qui ne leur plait pas.

Ces soi-disant experts se regroupent sous une seule catégorie de phénomènes qui ne sont pas seulement différents, mais complètement antagonistes et mutuellement incompatibles : Hugo Chavez et Marine Le Pen, Jeremy Corbyn et Matteo Salvini – tous sont censés être la même chose – des « populistes. » Le fait qu’ils défendent des objectifs opposés et se fondent sur des forces de classe différentes, tout cela est considéré comme hors sujet par les académiciens.

La récession de 2007-2008 a eu un impact profond sur la conscience des masses à travers le monde. Après une période initiale de choc, est venu une réaction sous la forme du mouvement des Indignés en Espagne, Occupy, le printemps arabe, la place Syntagma. Elle a provoqué une remise en cause du système capitaliste et de ses institutions et partis. Dans un deuxième temps, cela a mené à la montée de partis et mouvements considérés comme de la gauche radicale (Syriza, Podemos, Corbyn, Mélenchon, Sanders). Certains d’entre eux ont finalement montré leurs limites, tandis que d’autres le feront dans la période à venir.

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’il y ait eu l’émergence de nouveaux partis et mouvements. Ce n’est pas par hasard que ces mouvements ont une composition essentiellement petite-bourgeoise. Bien qu’ils attirent l’attention des travailleurs de gauche les plus actifs, ces partis et mouvements (Podemos est un bon – ou plutôt un mauvais exemple) sont constitués de petits-bourgeois, d’universitaires et d’autres éléments accidentels. C’est particulièrement vrai des couches dirigeantes, qui affichent tous les éléments les plus négatifs des idées et préjugés petits-bourgeois.

Dire que ces gens sont confus est un euphémisme. Ils imaginent qu’ils se battent pour de « nouvelles idées », qu’ils ont inventées pour guider les gens à la Terre promise comme Moïse a guidé les israélites à travers la mer rouge. En abandonnant toutes les « vieilles idées » (c’est-à-dire le marxisme), ils imaginent qu’ils se débarrassent d’un poids mort. En réalité, ils jettent le gilet de sauvetage qui pourrait les sauver de la noyade.

Ils s’imaginent qu’étant exempts de « dogme » (c’est-à-dire des principes et de la théorie), ils sont supérieurs aux marxistes « utopiques ». En réalité, ils sont infiniment inférieurs, non seulement aux marxistes, mais même aux grands socialistes utopiques du passé, qui, malgré leurs erreurs, étaient de gigantesques penseurs comparés aux nabots postmodernes d’aujourd’hui. En pratique, ce sont les pires dogmatistes, défendant de façon rigide tous les nouveaux dogmes « à la mode » des politiques identitaires, du post-modernisme et du reste des bêtises intellectuelles, qui sont constamment utilisées par les universités comme un moyen d’embrouiller le jeune et combatif marxisme.

La confusion idéologique désespérée de ces nouvelles formations les rend fondamentalement instables. Elles peuvent grandir rapidement, mais peu après, entrer en crise, scissionner et décliner, comme on le voit avec Podemos en Espagne. Son principal dirigeant, Pablo Iglesias, a beaucoup gagné en popularité au début parce qu’il avait fait des discours radicaux. Cela a suscité l’espoir de millions de gens qui cherchaient une alternative de gauche. Désormais, Iglesias est devenu un « réaliste ». Il a abandonné son ancien discours radical et est entré dans une coalition avec le PSOE. Sa principale revendication (qui semblait être la seule) était que Podemos devait avoir des ministres dans le gouvernement de Pedro Sanchez. C’était stupide.

En insistant pour entrer au gouvernement, les dirigeants de Podemos ont donné l’impression qu’ils n’étaient qu’un autre groupe de politiciens opportunistes, avides des « fruits du pouvoir » (une impression qui n’est pas très éloignée de la vérité) et aussi qu’ils n’étaient pas des gens très malins (ce qui est aussi une évaluation correcte). Cette image a inévitablement mené à la déception et à la démoralisation et à un effondrement de la base militante du parti et de son soutien électoral.

Il n’est pas clair si Podemos (désormais Unidas Podemos) survivra ou disparaitra, mais ce dernier est tout à fait possible, puisque ces partis sont des phénomènes instables et éphémères. Il existe une loi générale selon laquelle si les travailleurs sont confrontés à deux partis réformistes, sans différences programmatiques claires entre eux, le plus grand parti gagnera et le plus petit aura tendance à disparaitre. Le PSOE gagne maintenant aux dépens de Podemos, qui a reçu une très bonne leçon sur la valeur des « politiques pratiques ».

L’émergence de ces nouveaux mouvements est un signe précoce du fait que les masses cherchent désespérément un moyen de sortir de la crise. Elles regardent très attentivement les dirigeants des partis, d’une manière qu’elles ne faisaient pas par le passé. Elles mettent ces partis et dirigeants à l’épreuve. Elles les mettent au gouvernement – mais s’ils ne tiennent pas parole, s’ils trahissent, les masses les rejetteront sans cérémonie. Cela s’applique autant aux nouvelles formations qu’aux anciens partis réformistes. C’est ce que montre le cas du mouvement 5 Etoiles en Italie, qui a d’abord suscité les espoirs et illusions de beaucoup de gens, en décollant comme une fusée, pour finir par retomber comme une pierre. Ce ne sera pas le dernier exemple.

Ces nouveaux mouvements ne sont qu’une anticipation de l’avenir. C’est une loi qu’une radicalisation des couches moyennes, en particulier des étudiants et des intellectuels, figure parmi les premiers signes de développements révolutionnaires. C’est important, bien sûr, mais ce n’est qu’un symptôme. Le fait le plus important est que, jusqu’à présent, la masse de la classe ouvrière n’a pas commencé à bouger de manière significative, en tant que classe. Lorsque cela se produira, les éléments petits-bourgeois confus seront poussés sur le côté et toute la situation sera rapidement transformée.

Les organisations de masse

Trotsky a expliqué il y a longtemps que la trahison est inhérente au réformisme. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que ces dirigeants ont toujours et dans tous les cas délibérément cherché à trahir la classe ouvrière. Certains d’entre eux peuvent croire sincèrement qu’ils agissent dans l’intérêt des travailleurs qui votent pour eux. Mais ce qui est commun à toutes sortes de réformistes (à « gauche » comme à droite), c’est qu’ils n’ont aucune confiance dans la classe ouvrière et ne croient pas que les travailleurs puissent diriger la société.

Le rôle historique des réformistes (et des staliniens) était de diriger le mécontentement des masses dans des canaux sûrs. Mais leur complète dégénérescence a changé l’équation. Elle a toujours été là, mais elle s’est approfondie et intensifiée au cours des 60 dernières années. Si vous acceptez le système capitaliste, vous devez alors respecter les lois du capitalisme et du marché. De ce point de vue, les réformistes de droite sont beaucoup plus cohérents que ceux de « gauche ». Ils mènent sans réserve les politiques d’austérité dictées par les banquiers et les capitalistes, afin de sauver le capitalisme.

La profondeur de la crise actuelle exclut toute possibilité de réformes significatives. Au contraire, les bourgeois disent qu’ils ne peuvent même plus se permettre de maintenir les réformes conquises par la classe ouvrière. Leur politique est : couper, couper et couper encore. Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, un processus de radicalisation se déroule partout dans le monde. Cependant, cela ne se reflète généralement pas – à ce stade – de façon sérieuse dans les organisations de masse. Par conséquent, les dirigeants réformistes, bien que dans de nombreux cas, ils aient encore une base de masse, n’ont pas la même autorité incontestable dont ils jouissaient autrefois.

En général, les dirigeants actuels ne sont pas comme ceux du passé. Les anciens dirigeants sociaux-démocrates avaient un lien avec la classe ouvrière. Beaucoup d’entre eux venaient de la classe ouvrière, et ils en connaissaient au moins les conditions. Ils avaient un lien avec le socialisme, donnant des discours sur le socialisme le 1er mai, etc. Quelle est la situation aujourd’hui ? Les dirigeants actuels sont presque entièrement issus de la classe moyenne : professeurs d’université, avocats, notaires, économistes, etc.

La couche inférieure du petit-bourgeois est plus proche de la classe ouvrière, mais les couches supérieures sont plus proches du bourgeois et elles soutiennent naturellement les intérêts de la bourgeoisie sur toutes les questions fondamentales. Ils n’ont absolument aucune compréhension, ni même aucun contact avec la classe ouvrière. Leur mode de vie, leur niveau de vie, leur milieu social et leur psychologie les distinguent complètement. C’est un nouveau facteur important dans la situation. C’est exactement la même chose pour les staliniens, qui ont dégénéré au point de ne plus pouvoir être distingués des sociaux-démocrates.

Les ex-staliniens actuels ont fidèlement conservé tous les vices des bandits staliniens du passé, mais ils ne prétendent pas être communistes ou révolutionnaires. Ils sont issus des réformistes les plus écœurants. Et ils jouent un rôle ouvertement contre-révolutionnaire, en particulier dans les syndicats, où ils agissent comme une couverture de « gauche » pour la bureaucratie de droite.

Sur la base de ces conditions, certains partis qui étaient des partis de masse de la classe ouvrière ont été entièrement détruits – liquidés. En Italie, le PCI était le plus grand parti communiste en dehors de l’URSS (sauf l’Indonésie, jusqu’au massacre de 1965). Mais où est le Parti communiste italien aujourd’hui ? Il a été complètement détruit. Le PASOK en Grèce a lui aussi été détruit et il n’est pas sûr qu’il puisse resurgir. Dans d’autres endroits où ils ont survécu, ces organisations ont toujours une base de masse dans la classe ouvrière. C’est particulièrement le cas dans certains pays d’Europe du Nord.

Les racines du Parti Travailliste britannique dans la classe ouvrière sont profondes. En Autriche également, la social-démocratie a des racines profondes, qui ne disparaitront pas comme ça. Mais la direction est pourrie et de composition entièrement petite-bourgeoise ou bourgeoise. Cependant, lorsque Corbyn a été élu chef du parti, la situation au sein du Parti Travailliste a rapidement connu un changement radical. Les gens faisaient la queue pour rejoindre le Parti Travailliste, en particulier les jeunes.

Cela montre que l’ambiance de radicalisation était déjà présente. Corbyn ne l’a pas créée. Elle existait déjà, mais elle n’avait pas de moyen de s’exprimer. Il fallait un catalyseur, et c’est ce que Corbyn a fourni. S’il ne l’avait pas fait, cette radicalité se serait finalement exprimée, d’une manière ou d’une autre, mais pas nécessairement à travers le Parti Travailliste.

La crise du réformisme

Partout dans le monde la situation est instable et changeante. Nous devons suivre attentivement les évènements et être extrêmement flexibles sur nos tactiques pour toucher les couches les plus révolutionnaires de la société. Il n’y a pas de place pour le routinisme et le formalisme.

Dans les années 1930, Trostky a conseillé à ses militants de France et d’Angleterre de travailler dans les organisations de masse sociales-démocrates. Il a soulevé cette idée dans le contexte d’une crise sociale indéniable, d’une polarisation et d’une radicalisation des tendances « centristes » des masses de gauche dans des pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Espagne. Mais quelle est la situation aujourd’hui ? Partout, la crise du capitalisme est synonyme de crise du réformisme. Pourtant, nulle part dans le monde, à l’exception du Royaume-Uni, cela n’a entrainé l’émergence d’une tendance de gauche sérieuse au sein des organisations traditionnelles.

Nous ne devons pas rester bloqués sur des schémas abstraits qui ne correspondent pas à la réalité. La situation actuelle dans les partis de masse n’est pas la même que celle que Trotsky décrivait. Même au Royaume-Uni, la tendance représentée par Corbyn – bien qu’elle constitue indubitablement un grand pas en avant pour la politique britannique – n’est qu’un pâle reflet de l’Independant Labour Party (Parti travailliste indépendant) d’avant la Seconde Guerre mondiale. C’est pour cela que, sur la dernière période, notre travail s’est concentré sur la jeunesse, avec d’excellents résultats.

Au Royaume-Uni, comme dans d’autres pays, le principal de notre travail est toujours orienté vers la jeunesse, dont la majorité sympathise avec Corbyn sans être activement impliquée dans le Labour.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille écarter a priori la possibilité d’intervenir dans les organisations de masse si la situation évolue. Il n’est pas exclu qu’à l’avenir, dans certains pays, il puisse y voir des développements majeurs dans les organisations réformistes. Il nous faut toujours garder un œil sur elles et y intervenir si elles montrent le moindre signe de vie, comme c’est le cas au Royaume-Uni.

Notre tâche principale reste toutefois de gagner et d’éduquer les meilleurs éléments de la jeunesse et de les tourner vers le mouvement travailliste et la classe ouvrière. C’est la seule manière de rassembler la masse des forces du marxisme nécessaire à l’accomplissement de la révolution socialiste au Royaume-Uni. Avant qu’on puisse sérieusement parler de nous préparer au pouvoir, nous devons d’abord nous préparer à conquérir les masses et cela commence avant tout par la conquête de leurs couches les plus avancées.

Une nouvelle récession après l’expérience des dix dernières années aura un effet considérable sur la conscience, qui sera encore plus avancée. Nous devons être prêts à assister à des mouvements de masse, à l’émergence de courants et d’organisations de gauche, mais aussi à leur échec. La période prochaine sera celle des changements brutaux et des virages soudains, ce qui créera des conditions encore plus propices au développement de la TMI. Notre tâche est de mener une lutte déterminée pour la défense des principes du marxisme, tout en montrant une flexibilité tactique absolue dans la construction d’une organisation révolutionnaire, en agissant et en intervenant dans la lutte des classes.

La crise des sectes

Les sectes, qui maintiennent difficilement une misérable existence à la périphérie du mouvement ouvrier, jouent partout le rôle le plus pernicieux. Elles répandent la confusion, désorientent et nuisent à l’éducation de ceux qui ont le malheur de tomber sous leur influence. Les sectes discréditent les idées du trotskisme aux yeux de la classe ouvrière. Elles sont opaques à la méthode de Trotsky. Elles n’ont pas la moindre compréhension de la dialectique et sont donc ballottées d’un côté puis de l’autre à chaque retournement de situation. Ce sont des empiristes superficiels et des pragmatistes de la pire espèce.

A chaque fois que les votes en faveur des partis de droite augmentent – ce qui est inévitable dans de pareilles circonstances –, les sectaires hurlent au fascisme. Cela démontre l’irresponsabilité criminelle des gauchistes, qui ont sombré dans le désespoir en perdant la confiance en la capacité de la classe ouvrière à transformer la société. C’est le dénominateur commun des sectaires et des réformistes gauchistes.

Il est intéressant de noter que c’est en cet instant précis que les sectes sont en crise. Partout elles scissionnent et se désintègrent. Après l’effondrement de l’ISO (Organisation socialiste internationale) et l’implosion du CWI (Comité pour une internationale ouvrière), nous avons assisté à la scission entre Altamira et le Parti ouvrier (PO) en Argentine. Ce n’est pas un accident. Les sectaires n’ont aucune compréhension des processus qui sont en train de se dérouler. Ils sont désorientés et pessimistes. Ce n’est pas une coïncidence si c’est maintenant, au moment où la crise du capitalisme et du réformisme ouvre les conditions les plus favorables aux révolutionnaires, que ces groupes sont en crise, scissionnent et s’effondrent. Néanmoins, c’est un développement très positif, car il retire un obstacle de notre route.

La raison pour laquelle ils s’effondrent, c’est qu’ils n’ont rien de marxiste. Leur manque total de théorie signifie qu’ils ont succombé aux idéologies petites-bourgeoises, telles que les politiques identitaires. En résulte qu’ils sont déstabilisés par le moindre souffle d’air. Ils sont infectés par la maladie du scepticisme. Ils sont pessimistes, car ils n’ont aucune compréhension des orientations de la classe ouvrière. En revanche, notre fermeté sur les principes et notre solide connaissance de la théorie nous permettent d’élaborer des perspectives et des tactiques justes. C’est pour cela que nous nous développons et que nous touchons les meilleurs éléments des travailleurs et de la jeunesse.

La secte taaffiste (aka, le CWI) est un hybride horrible d’extrême sectarisme et d’extrême opportunisme. C’est en réalité une variante de la tendance que Lénine qualifiait d’économiste, c’est-à-dire une tendance ayant abandonné la théorie marxiste et essayant d’obtenir des succès à court terme en s’adaptant au vent dominant et en réduisant la politique au dénominateur commun le plus bas. Mais pourquoi Lénine a-t-il dit : « Sans théorie révolutionnaire, il ne peut y avoir de mouvement révolutionnaire » ?

Il y a plus de 25 ans, le CWI a exclu Ted Grant et quitté le Labour, jetant à la poubelle leur sens des responsabilités et les excellents résultats que nous avions obtenus en quatre décennies, prédisant avec assurance qu’ils connaîtraient « une croissance fulgurante ». Ils cherchaient un raccourci vers la réussite. Ted les a prévenus qu’il s’agirait d’un « raccourci vers le précipice ». La suite a prouvé à quel point il avait raison. Ils ont ensuite présenté des candidats aux élections, avec un programme complètement réformiste. Chacune de leurs campagnes ne soulevait qu’un seul problème, par exemple la lutte contre la tarification de l’eau en Irlande, etc. Ayant perdu toute compréhension de la théorie marxiste, ils sont naturellement tombés sous l’influence des idées petites-bourgeoises, notamment les politiques d’identité, très à la mode en ce moment. C’est une des principales raisons qui expliquent leur récente scission catastrophique.

Comme partout ailleurs au Royaume-Uni, les sectes se sont enfermées dans les syndicats, imaginant que c’était la seule manière d’atteindre les travailleurs. Le travail dans les syndicats est évidemment une part importante et nécessaire du travail révolutionnaire, mais comme toute tâche, il doit être mené de façon révolutionnaire, et non routinière et bureaucratique. Leur principale erreur est d’avoir essayé de gagner des places dans les syndicats sans d’abord construire une base solide. Au lieu de patiemment former des cadres révolutionnaires dans les syndicats, les sectes essayent de gagner de « l’influence ».

Trotsky avait écrit que nous ne pouvions pas « récolter ce que nous n’avions pas semé ». Le travail révolutionnaire au sein des syndicats est un travail de patience. Construire peu à peu une base solide prend du temps. Essayer de trouver des raccourcis par toutes sortes de tactiques et de combines est la recette assurée pour la dégénérescence opportuniste et bureaucratique. L’expérience de la secte taaffiste dans le syndicat britannique PCS (syndicat des services publics et commerciaux), qui s’est terminée en total fiasco, en est une preuve très claire. Avec leurs méthodes fallacieuses, ils se sont fait aspirer par l’activisme au jour le jour, au point qu’ils n’ont pas vu les importants processus qui s’activaient dans le reste de la classe ouvrière et dans la jeunesse.

Ce que les sectaires n’ont pas réussi à comprendre c’est qu’à ce stade, les éléments les plus révolutionnaires ont peu de chances de se trouver dans les syndicats. Ces derniers sont dominés par les vieux travailleurs, dont beaucoup sont pessimistes et attirés par l’opportunisme. Ces mêmes attitudes ont déteint sur les sectes, qui sont invariablement infectées par ce que Trotsky appelait du « scepticisme gangrenant », bien que maquillé sous un vocabulaire pseudo-révolutionnaire. Avec ce type de personnes, rien ne peut être accompli. Les vrais marxistes doivent suivre les conseils de Lénine : se fondre plus profondément dans la classe. Il faut voir au-delà de l’avant-garde auto-proclamée (les syndicalistes activistes) et aller chercher les couches du prolétariat les plus exploitées et les plus militantes !

Le capitalisme et l’environnement

Dans leur impitoyable recherche de profits, les capitalistes empoisonnent la nourriture que nous mangeons, l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons. Ils tuent les océans, détruisent les forêts tropicales, et exterminent les espèces animales à une vitesse alarmante. Si le système capitaliste continue, le futur de l’humanité est menacé – et peut-être même la vie sur terre.

Il faut reconnaître que nous n’avons nous-mêmes pas prêté assez attention à ces problèmes par le passé. Nous devrions prendre des mesures immédiates pour remédier à cette carence. Cela va sans dire que nous étudions les questions environnementales d’un point de vue révolutionnaire, de classe, lié à la nécessité d’exproprier les banquiers et les capitalistes et créer une société harmonieuse, planifiée démocratiquement, au niveau national et international. Nous expliquons qu’il n’y a pas de capitalisme soutenable et nous dénonçons le fait que la bourgeoisie cherche à récupérer et détourner la lutte pour la défense de l’environnement pour ses propres intérêts de classe.

Nous devons approcher les écologistes de manière amicale, les soutenir chaque fois qu’ils font des critiques correctes de la nature destructrice du système actuel. Mais nous devons critiquer les idées réactionnaires, et néo-malthusiennes souhaitant limiter la croissance économique, la population, etc. Ces idées trompeuses, auxquelles Marx a déjà répondu il y a longtemps, seront utilisées par les réactionnaires bourgeois comme justification de leur politique de coupes budgétaires et d’austérité. (« Vous voyez ! Nous devons réduire la consommation pour sauver la planète ! »).

Les « Verts » se plaignent souvent que Marx et Engels ne se soient pas souciés de l’environnement. C’est absolument faux. Dans un excellent passage de Dialectique de la nature, Engels déclare :

« Cependant, ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées, mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences. […] les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaitre ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » (La dialectique de la nature, IX : Le rôle du travail dans la transformation du singe en l’homme, 1883)

Les méthodes que nous utilisons pour augmenter la productivité peuvent se transformer en leur contraire et détruire complètement le potentiel de croissance. L’évolution récente de l’agriculture en est un parfait exemple. L’utilisation aveugle d’insecticides et d’engrais artificiels a décimé les populations d’insectes, appauvrissant les sols et introduisant toutes sortes de substances nocives dans la chaine alimentaire.

Ce n’est pas un argument contre l’innovation technologique dans l’agriculture (nous ne souhaitons pas retourner à l’âge de pierre), mais c’est un argument imparable en faveur de la planification socialiste, et de l’utilisation rationnelle et contrôlée de la science au bénéfice de toute l’humanité, et non à l’avidité de quelques-uns.

Le potentiel révolutionnaire de la jeunesse

Dans sa lutte contre les dérives économiques, Lénine a également insisté sur le fait que le prolétariat ne devait pas seulement se battre pour des revendications économiques (salaires et conditions de travail), mais devait aussi se battre pour des revendications politiques, qui reflètent les problèmes et aspirations des autres couches de la société. De nos jours, beaucoup de gens non organisés se radicalisent sur des questions qui ne sont pas directement économiques. La révolte des lycéens sur la question environnementale en est un parfait exemple.

Un symptôme clair de la radicalisation de la jeunesse a été les grèves pour le climat, qui ont amené des centaines de milliers d’écoliers dans les rues. C’était un développement absolument nouveau, avec de grandes possibilités pour le futur. Ces nouvelles couches ne s’embarrassent pas de l’état d’esprit pessimiste et sceptique qui a touché beaucoup de la vieille génération.

L’atmosphère obsolète de routine qui existe dans de nombreux secteurs des organisations réformistes et des syndicats ouvriers est complètement absente ici. Ces jeunes ne sont pas intéressés par de petites réformes. Ils veulent une transformation radicale de la société. Ils veulent changer le monde. En un mot, ils veulent une révolution. Ces conditions permettront à la Tendance Marxiste de grandir bien plus rapidement et facilement que par le passé.

Les vieux sceptiques décrépits (incluant ceux qui se font passer pour des gens de « gauche » et même des « marxistes ») traitent la jeunesse avec condescendance. Ils leur tapotent la tête et disent : « C’est très bien, mais quand tu seras plus âgé et plus sage, tu réaliseras que tu ne peux pas changer le monde. C’est en fait le monde qui te changera. La révolution est un rêve et une illusion. Nous devons nous limiter à ce qui est possible. »

Nous, au contraire, disons à la jeunesse : « ce n’est pas vrai que les gens deviennent plus sages avec l’âge. La plupart des gens vieillissent et deviennent plus stupides. Vous avez raison de dire que le monde doit changer. Il faut une révolution, et si nous n’y arrivons pas, les conditions de la barbarie seront là. En fait, si les travailleurs échouent à prendre le pouvoir quand l’occasion se présentera, l’avenir même de la planète sera en grand danger. »

Il y a un sentiment de rébellion très répandu parmi la jeunesse. La situation objective évolue rapidement et les revendications du mouvement sont radicales, mais il manque le facteur subjectif. Il y a un énorme vide à gauche, mais personne ne fournit à la jeunesse les idées qu’elle réclame. C’est pourquoi des personnages accidentels, comme Greta Thunberg, peuvent temporairement combler ce vide.

On peut dire la même chose des mouvements contre l’oppression des femmes. Dans un pays après l’autre (Espagne, Argentine, Suisse, Irlande, Pologne, Italie, etc.), nous avons assisté à des mobilisations de masse pour les droits à l’avortement, contre les violences faites aux femmes, pour l’égalité salariale et contre les discriminations. A chaque fois, la jeunesse y a joué un rôle clé. Ce sont principalement des couches récentes qui entrent dans la lutte pour la première fois. Nous devons intervenir énergiquement dans ces mouvements, en apportant une alternative révolutionnaire claire, tout en combattant les idées féministes bourgeoises et petites-bourgeoises qui dominent dans la direction.

De toutes les couches qui entrent en lutte, la jeunesse est la plus ouverte aux idées révolutionnaires. C’est une priorité urgente de l’Internationale que d’intervenir dans ce milieu. Les attitudes routinières et conservatrices à l’égard de cet important travail sont totalement inacceptables. L’approche correcte a été montrée par un jeune camarade russe, qui a pris une initiative très audacieuse en lançant une fraction de gauche au sommet d’août 2019 des Fridays for Future (FFF) en Suisse.

Cela a immédiatement entraîné une réaction parmi les jeunes radicalisés de nombreux pays, qui sont mécontents du programme réformiste anémique des tendances de la classe moyenne telles que Greenpeace. La TMI doit apporter son soutien total à cette initiative et la poursuivre énergiquement. Ce sera une excellente façon de gagner les éléments les plus combatifs et les plus révolutionnaires de la jeunesse. En intervenant audacieusement avec des mots d’ordre révolutionnaires, en adoptant des initiatives opportunes pour stimuler les manifestations de masse, la Tendance marxiste peut gagner les meilleurs éléments et former une nouvelle génération de cadres révolutionnaires qui sera capable de prendre une position de direction dans cet important mouvement.

La situation actuelle et les tâches des marxistes

Par le passé, des crises politiques comme celles que nous connaissons partout aujourd’hui, n’auraient pas duré longtemps, quelques mois, peut-être quelques années. Elles se seraient terminées soit par le fascisme ou le bonapartisme, soit par la victoire de la classe ouvrière. Mais en développant l’économie, la bourgeoisie a aussi développé la classe ouvrière. La société a été prolétarisée comme jamais auparavant. Par conséquent, toute tentative de repousser la classe ouvrière et de reprendre les conquêtes du passé provoquera une résistance farouche.

Aujourd’hui, la bourgeoisie fait face à un grave problème. Les réserves sociales de masse du fascisme se sont effondrées, tandis que la classe ouvrière est plus puissante que jamais. La paysannerie, qui était très nombreuse avant la Seconde Guerre mondiale en Europe, est désormais réduite à une petite minorité. Les réserves sociales de la réaction se sont affaiblies.

Il s’agit d’un nouvel élément vital dans l’équation. Les 50 années de croissance sans précédent qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont bouleversé l’équilibre des forces en faveur de la classe ouvrière. Cela crée un développement extrêmement favorable du point de vue de l’équilibre des forces de classe.

La trahison des dirigeants staliniens et sociaux-démocrates, qui ont freiné la lutte des masses contre le capitalisme après la Seconde Guerre mondiale, était la condition préalable pour une longue période de redressement économique. Cela a créé de graves problèmes pour les marxistes dans les pays capitalistes développés. Cela a eu tendance à repousser la lutte des classes pour un long moment, nourrissant des illusions dans le capitalisme et le réformisme. Mais il y a désormais un changement fondamental. Dialectiquement, tous les facteurs qui ont créé une base de stabilité se sont transformés en leur contraire. Le système capitaliste se dirige vers une crise historique, qui explique l’instabilité politique et sociale actuelle.

D’ici 2050, 66 % de la population mondiale vivra en ville – contre seulement 30 % en 1960. Ce seul fait montre un important changement dans l’équilibre des forces dans le monde. En Chine, la population urbaine est passée de 15 % au début du XXe siècle, à 60 % aujourd’hui. Au Soudan, les chiffres équivalents sont de 5 % dans les années 60 et de 33 % aujourd’hui. Cette croissance numérique s’accompagne d’une croissance élevée du poids social de la classe ouvrière. Les pays qui étaient autrefois ruraux et agricoles se sont rapidement industrialisés.

Objectivement parlant, la classe ouvrière n’a jamais été aussi puissante. Cependant, le sentiment de mécontentement parmi les masses, ne se reflétant pas dans les organisations de masse traditionnelles, s’exprime de différentes manières selon les pays. Mais ce qui est fondamental, c’est le processus irrésistible de radicalisation des masses à l’échelle mondiale qui se traduit par de violentes oscillations à droite et à gauche. Le processus de radicalisation s’intensifiera à mesure que la crise continuera, provoquant une polarisation encore plus nette entre les classes, et préparant la voie à des explosions révolutionnaires encore plus importantes.

Conclusion : pour un optimisme révolutionnaire !

Les marxistes sont optimistes par nature, mais notre optimiste n’est pas quelque chose d’abstrait ou d’artificiel. Il est basé sur une analyse et des perspectives sérieuses. Nous nous basons sur le roc solide de la théorie marxiste. Notre organisation peut être fière du fait que nous sommes restés absolument fermes sur les principes fondamentaux et la méthode dialectique, qui nous permet de pénétrer sous la surface des choses et de voir les processus profonds qui y sont à l’œuvre.

A bien des égards, la situation actuelle ressemble au déclin et à la chute de l’Empire romain. Les banquiers et les capitalistes font constamment étalage de leur richesse et de leur luxe. Les 1 % les plus riches sont en passe de contrôler jusqu’à 2/3 de la richesse mondiale d’ici 2030, alors qu’ils sont assis sur des milliers de milliards de dollars, qu’ils n’investissent pas dans l’activité productive. La classe dirigeante est parasitaire et complètement dégénérée. Cela attise partout les feux de la colère et du ressentiment.

Il y a un énorme potentiel de diffusion des idées marxistes. C’est la principale chose sur laquelle nous devons nous concentrer. Nous devons discuter des fondamentaux, non pas des incidents, mais de la tendance générale. Quel est le fil conducteur dans toutes ces situations ? Une polarisation politique et sociale extrême. La lutte des classes progresse partout.

Nous grandissons et nous nous développons – mais nous sommes trop petits pour être un facteur décisif dans le déroulement des événements dans un futur immédiat. De notre point de vue, il ne serait pas une mauvaise chose que des situations révolutionnaires décisives soient reportées pour un moment, pour la simple raison que nous ne sommes pas encore prêts. Nous avons besoin de temps pour construire l’alternative révolutionnaire.

Pour les raisons exposées dans ce document, nous aurons du temps, mais nous n’aurons pas tout le temps au monde. L’histoire avance à son rythme, et elle n’attendra personne. Dans la période actuelle, des événements gigantesques peuvent arriver avant que nous soyons prêts. Des changements brusques et soudains sont implicites dans cette situation. Nous devons être prêts à relever de grands défis.

Les meilleurs travailleurs et jeunes sont déjà largement ouverts à nos idées. Nous devons trouver le chemin vers ces couches et tourner définitivement le dos aux éléments anciens, fatigués et démoralisés. Toutes les traces de scepticisme et de routine doivent être éliminées de nos rangs, qui doivent être imprégnés d’un esprit d’urgence de haut en bas.

C’est une course contre la montre. De grands événements peuvent nous dépasser. Nous devons être prêts. Par conséquent, nous devons construire notre organisation et recruter et former des cadres dès que possible. C’est le seul chemin vers la réussite. Nous sommes déjà dans cette voie.

Rien ne doit nous détourner de cette tâche. Nous avons toutes les raisons pour être pleins de confiance envers la classe ouvrière, dans les idées du marxisme, en nous-mêmes, dans la Tendance Marxiste Internationale.

Turin, le 29 janvier 2020

Cette déclaration de la Tendance Marxiste Internationale montre comment le capitalisme a été incapable de gérer la crise du coronavirus, et comment il met en danger la vie de millions de personnes. Dans une telle situation, les demi-mesures et le rafistolage du système sont futiles. Seules des mesures drastiques pourront éviter la catastrophe imminente.


Le monde est confronté à une catastrophe imminente. La vie de centaines de milliers de personnes – peut-être de millions – est menacée. Même dans les pays les plus riches, dotés d’un système de santé moderne, on approche du point de rupture. Mais dans les pays les plus pauvres, c’est un cauchemar inouï qui se profile, si rien n’est fait.

En Inde et au Nigéria – sans parler des pays déchirés par la guerre, tels la Syrie, le Yémen et la Somalie –, des millions de personnes vivent dans des camps et des bidonvilles surpeuplés, sans eau propre ni soins médicaux. Dans de telles conditions, parler de « distanciation sociale » et de « confinement » sonne comme une mauvaise plaisanterie.

Face à cette crise, les demi-mesures et les bricolages sont futiles. Pour éviter la catastrophe imminente, il faut des mesures drastiques. La faillite du système capitaliste est patente ; ce système menace l’humanité. Il est temps que les travailleurs prennent leur destinée en main.

La pandémie de COVID-19 a précipité une crise économique mondiale dont tous les éléments étaient réunis. Le processus connait une accélération brutale. Les marchés boursiers sont en pleine débâcle.

De nombreuses entreprises font faillite. Des millions de travailleurs perdent – ou vont perdre – leur emploi. Par exemple, des économistes prévoient un taux de chômage de 20 % aux Etats-Unis, à court terme. Il ne s’agira pas d’une crise économique cyclique, mais d’une profonde dépression, comme dans les années 30.

N’oublions pas que la dépression des années 30 a ouvert une période de révolutions, de contre-révolutions et de guerres. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en guerre au sens militaire du terme, mais tous les dirigeants politiques comparent la situation à une guerre. Si c’est le cas, alors la classe ouvrière doit agir en conséquence.

Dans un premier temps, les gouvernements ont minimisé l’épidémie. Les classes dirigeantes ne se préoccupaient pas de la santé des masses, mais du maintien à tout prix de la production. Leur souci n’était pas de sauver des vies, mais de sauvegarder les profits des banques et des multinationales.

C’est cela – et rien d’autre – qui explique leurs négligences criminelles. Ils ont été incapables de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour sauver des vies humaines. Tout ceci éclaire le gouffre entre les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploités. A présent, les gouvernements tâchent de rattraper le temps perdu. Mais c’est trop peu et trop tard. Ils ont laissé le virus se répandre comme un feu de forêt, avec des conséquences dramatiques sur la vie des masses et sur l’économie mondiale.

De nombreux travailleurs sont confrontés à un horrible dilemme – entre préserver leur santé et garantir leurs revenus. Des centaines de milliers de salariés, bientôt des millions, perdent leur emploi. Ces travailleurs soudainement privés de leurs revenus vont lutter pour nourrir leur famille, payer leur loyer et leur crédit, tout en étant menacés par la maladie.

Dans le monde entier, des millions de personnes qui, habituellement, ne s’intéressaient pas à la politique, scrutent désormais anxieusement ce que font et proposent les gouvernements, les différents partis et les capitalistes. Très vite, il leur apparaît évident que les gouvernements et les classes dirigeantes ne font pas ce qui est nécessaire. Dans ce contexte, la conscience des masses peut évoluer à une très grande vitesse.

Le confinement des populations se généralise, à des degrés divers selon les pays. Les gouvernements demandent aux gens d’éviter tout déplacement non essentiel, tout regroupement, etc. Mais dans le même temps, ils demandent à des millions de salariés de se rendre à leur travail, d’utiliser des transports en commun plus ou moins bondés, et de travailler les uns à côté des autres. Ceci expose ces salariés – et leur famille – au risque d’être contaminés. Tout cela pour sauvegarder les profits capitalistes.

Cette situation a un énorme impact sur la conscience des masses. Les travailleurs veulent des réponses – maintenant. La question est donc posée : que faire ?

Le capitalisme nuit sérieusement à la santé

Cette crise souligne que le capitalisme est incompatible avec la santé de milliards d’êtres humains. Des décennies d’austérité ont décimé les systèmes de santé publique, partout. Dans les pays où existait un bon système de santé publique, il a été systématiquement attaqué. Les budgets ont été coupés ; de nombreux services ont été privatisés.

Dans les hôpitaux, le nombre de lits disponibles a été systématiquement réduit, notamment dans les unités de soins intensifs. Les gouvernements ont aussi supprimé des milliers de postes de soignants. En conséquence, le personnel médical et paramédical est chroniquement débordé (il l’était avant la crise actuelle).

L’objectif de ces politiques d’austérité était de pousser les gens à se tourner vers le secteur privé : la santé est une énorme source de profits. Les grandes multinationales du secteur pharmaceutique, notamment, s’enrichissent sur le dos des malades et des personnes âgées.

Tout ceci doit s’arrêter ! La santé des hommes et des femmes ne peut pas être soumise à la course aux profits. Les intérêts privés n’ont rien à faire dans ce secteur, qui doit être intégralement nationalisé, sans indemnisation des actionnaires. C’est la condition préalable à une augmentation massive des dépenses de santé publique, pour mettre celles-ci au niveau des besoins immédiats, face à la crise actuelle, et pour garantir une santé publique moderne et de qualité. Les traitements et les médicaments les plus performants doivent être accessibles à toute la population, gratuitement.

Pour résoudre les problèmes immédiats en termes de lits, les grands hôtels et les luxueux logements vides doivent être immédiatement réquisitionnés, pour être transformés en hôpitaux (une telle mesure a été prise en Grande-Bretagne en temps de guerre). Dans le même temps, un vaste plan de construction et d’extension d’hôpitaux doit être lancé. Pour payer un tel plan, il faut puiser dans le budget affecté aux dépenses militaires.

Il faut lancer un plan d’urgence de recrutement et de formation d’infirmiers, d’aides-soignants, de docteurs, d’ambulanciers et d’autres personnels médicaux ou paramédicaux. Ils doivent être correctement rémunérés et travailler un nombre d’heures décent, de façon à mettre fin au scandale actuel, qui voit le personnel soignant travailler jusqu’à épuisement, faute d’effectifs suffisants.

On nous répondra qu’il n’y a pas assez d’argent pour cela. Mais l’histoire nous enseigne qu’il y a TOUJOURS assez d’argent lorsqu’il s’agit de remplir les poches des plus riches. Depuis dix ans, c’est l’austérité pour les pauvres, mais les banquiers reçoivent toutes sortes de subventions et d’allègements d’impôts. Or ce sont ces mêmes banquiers qui ont provoqué la crise de 2008. A présent, l’histoire se répète. D’énormes quantités d’argent public sont mises à la disposition des grandes entreprises privées, pendant que des millions de travailleurs vivent dans la peur et la pauvreté.

Les entreprises du secteur pharmaceutique, qui réalisent des profits obscènes, doivent être expropriées et intégrées au secteur public. Leurs recherches doivent être subordonnées aux véritables besoins de la société – et non à la course au profit maximal. Aucun brevet ne doit limiter la production et la coopération entre centres de recherches, aux niveaux national et international. Cette coopération accélèrera énormément le développement de nouveaux médicaments, qui devront être gratuitement disponibles pour quiconque en aura besoin.

En prenant immédiatement de telles mesures, on pourra nettement atténuer les pires effets de la crise actuelle – et garantir que de telles crises ne soient plus possibles à l’avenir.

Pour le contrôle ouvrier !

Si les mesures de distanciation sociales sont utiles pour combattre le virus, elles doivent s’appliquer strictement à TOUS les aspects de la vie – et en particulier dans les entreprises. Puisque les gouvernements insistent sur le caractère d’urgence de la situation, alors des mesures d’urgence sont nécessaires.

Les capitalistes ont montré qu’ils étaient complètement incapables de jouer un rôle progressiste. Avec le soutien des Etats et des politiciens bourgeois, ils poussent les travailleurs à travailler comme avant – y compris dans les secteurs qui ne sont pas essentiels. Or cela mine tous les efforts pour combattre la propagation du virus. En conséquence, des grèves éclatent dans différents pays, à l’initiative de salariés dont les conditions de travail les exposent – eux et leur famille – au risque d’être contaminés. Dans plusieurs pays (en Italie, en Espagne et en Amérique du Nord), des travailleurs ont réussi à imposer la fermeture d’usines, au moins pendant un certain temps.

Ceci souligne le pouvoir de la classe ouvrière, dès lorsqu’elle est organisée et consciente de sa propre force. Face à l’attitude irresponsable du patronat, les marxistes avancent le mot d’ordre de « contrôle ouvrier ». Tous les comités de grève doivent être transformés en comités d’usine permanents – de façon à contrôler et, si nécessaire, à faire obstacle aux actions des patrons et managers du site.

Toute production non essentielle doit être arrêtée. Les travailleurs de ces secteurs doivent rester chez eux et recevoir l’intégralité de leur salaire, aussi longtemps qu’il le faudra. Et c’est aux patrons de payer. S’ils disent qu’ils ne peuvent pas payer, qu’ils ouvrent leurs comptes à l’inspection des syndicats et des représentants élus des travailleurs. En réalité, les plus grandes entreprises sont assises sur des montagnes de cash, qui doivent être utilisées au profit de ceux qui, par leur travail, créent toutes les richesses.

Dans les secteurs essentiels, qui ne peuvent pas être arrêtés, l’organisation du travail doit être modifiée de façon à permettre la distanciation sociale nécessaire. Les travailleurs en question doivent recevoir tous les équipements appropriés : masques, visières, gants, etc. Les surfaces de travail doivent être régulièrement désinfectées et les salariés doivent être régulièrement testés. Les travailleurs affectés à des postes qui ne sont pas essentiels doivent rester chez eux.

Les comités de travailleurs doivent contrôler qu’aucun d’entre eux ne sera licencié sous prétexte de crise sanitaire. Lorsque des entreprises licencient, ou sont menacées de fermeture, elles doivent être expropriées et placées sous l’administration démocratique des salariés.

Les chômeurs et les travailleurs précaires seront durement frappés par cette crise. L’Etat doit leur verser l’équivalent du salaire minimum. Ceci dit, nous rejetons le financement de telles mesures par le creusement des déficits publics, dont l’addition serait présentée à toute la classe ouvrière sous la forme de mesures d’austérité et d’augmentation d’impôts. Les mesures d’urgence doivent être financées en expropriant les banques et autres entreprises du secteur financier.

En ces temps de baisse de la production, il faut partager le travail, introduire des systèmes de rotation, réduire la semaine de travail. Graduellement, on peut inclure dans un tel système tous ceux qui sont au chômage aujourd’hui, de façon à réduire au strict minimum le temps de travail de chacun.

Pas de licenciements ! Pour une échelle mobile des heures de travail ! Ouvrons les livres de compte des capitalistes !

La classe ouvrière doit prendre les choses en main

Soyons clairs : le système capitaliste traverse une crise existentielle. Il n’est plus capable de garantir aux travailleurs la sécurité, un emploi, un salaire et un logement. Ceci a des implications révolutionnaires.

Plus que du virus, les capitalistes ont peur d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière. Ils ont peur que les travailleurs prennent les choses en main. A Wuhan, en Chine, les travailleurs organisaient eux-mêmes des barrages dans les quartiers, et prenaient d’autres initiatives. L’Etat chinois a dû intervenir pour ne pas perdre le contrôle de la situation.

En Italie, des travailleurs ont fait grève et ont commencé à prendre en main l’organisation de la production. En Grande-Bretagne, l’inaction criminelle du gouvernement a suscité la création d’organisations de quartier chargées d’organiser la distribution de nourriture et la sécurité générale. En Iran, face à l’inaction du régime, le peuple a organisé la mise en quarantaine de certaines villes.

Ces exemples sont des embryons de pouvoir ouvrier, qui se développent spontanément en réaction à la crise du capitalisme. Il est clair que la classe dirigeante est incapable de répondre à la crise d’une façon adéquate. Face à l’inaction des classes dirigeantes, comme en Suède, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, des comités de quartier et de travailleurs doivent se constituer pour prendre en charge les différents aspects de cette crise.

En France et en Italie, l’Etat a fini par prendre des mesures de confinement. La masse de la population accepte ces mesures. Cependant, les travailleurs savent bien que ces mesures de plus en plus strictes sont décidées par ceux-là mêmes qui ont perdu énormément de temps au début de la pandémie. La confiance dans les gouvernements s’est effondrée, à juste titre.

Les mesures prises par les Etats visent à stabiliser la situation, mais elles peuvent aussi servir à contrôler les masses. Elles contiennent un élément anti-démocratique évident. Bien sûr, les gens soutiennent la présence d’un plus grand nombre de policiers dans les rues, pour faire appliquer le confinement. Mais n’oublions pas que ces policiers peuvent aller au-delà de cette fonction. En Italie, par exemple, des policiers sont intervenus sur des piquets de grève et ont arrêté des travailleurs qui luttaient pour des mesures de sécurité sanitaire dans leur entreprise. Aussi disons-nous aux travailleurs qu’ils ne peuvent vraiment compter que sur leurs propres forces– et non dans les gouvernements, qui n’ont cessé de montrer qu’ils s’intéressaient d’abord aux profits, quitte à aggraver la crise actuelle.

Les comités de quartier et de travailleurs doivent être liés au niveau local et national, de façon à organiser un confinement complet. De tels comités auraient beaucoup plus d’autorité que le gouvernement pour faire respecter leurs décisions démocratiques, limiter les déplacements, organiser la distribution de nourriture (notamment aux personnes âgées, malades, etc.), contrôler les prix des marchandises (contre la spéculation), mais aussi garantir la sécurité des rues face aux éléments criminels qui voudraient profiter de la situation.

Au Chili, les syndicats ont annoncé qu’à défaut d’un confinement généralisé décrété par le gouvernement, ils le mettraient en œuvre eux-mêmes, sous la forme d’une « grève humanitaire » (à l’exception des secteurs essentiels). Ceci n’a pas échappé aux stratèges du Capital, qui prennent conscience des implications révolutionnaires de la situation. Ils feront tout pour entraver ce processus.

Garantir la distribution de nourriture

Des millions de gens réalisant que la pandémie provoque une situation d’urgence, nous assistons à des scènes de panique pour acheter des provisions. Qu’est-ce cela reflète ? Que les gens sont terrifiés par la nouvelle situation – et qu’ils ne font pas confiance aux autorités ou au « marché » pour les aider.

Cependant, ceci a parfois provoqué une situation de pénurie dans des magasins alimentaires, ce qui conduit à des cas de spéculation : des magasins en profitent pour augmenter les prix de denrées essentielles. Cela ne peut qu’aggraver encore la situation déjà difficile. Des comités de quartier démocratiquement élus auront le pouvoir de surveiller les prix et, si nécessaire, d’imposer des contrôles des prix. Si cela n’est pas fait, au plus fort de la pénurie, les plus pauvres seront dans l’incapacité d’acheter ce dont ils ont besoin.

Les personnes âgées et vulnérables auront des difficultés à s’en sortir. On leur demande de se confiner, mais on ne leur distribue pas de biens de première nécessité. Nombreux sont mis en danger et devrons sortir pour acheter ce dont ils ont besoin.

Nous devons exiger que la distribution de nourriture soit organisée dans tous les foyers, de façon à réduire les déplacements dans les magasins. L’organisation spontanée de groupes de quartier, qui sortent à la recherche des gens dans le besoin et s’organisent pour les aider, confirme que la masse des gens ne sont pas des individualistes cupides, mais que dans les moments difficiles ils sont prêts à faire bloc pour aider ceux dans le besoin.

Cependant, ces comités de quartier doivent être aidés pour être pleinement efficaces. Ils ont besoin de moyen de transport, d’équipements de sécurité, et d’une formation pour approcher les gens vulnérables qui sont confinés.

Il faut des cantines communes pour fournir des plats préparés, en particulier pour les personnes âgées et handicapées. Alors que des chaines de restaurants et des bars ferment et licencient, nous demandons leur expropriation pour satisfaire les besoins de nourriture des communautés. Cela garantirait les emplois dans ces chaines, et en même temps rendrait fonctionnelles les ressources dont on a urgemment besoin. Ceci doit être lié aux comités de quartiers.

Pour un système de transports publics intégrés

Les endroits où le risque de contagion est le plus élevé sont les bus, les trains et les métros bondés. Au début de la pandémie, des millions de travailleurs ont voyagé les uns contre les autres, accroissant énormément la propagation du virus.

Quand il est devenu évident que de telles conditions étaient dangereuses, de nombreuses personnes ont cessé de se déplacer inutilement. Ceux qui peuvent travailler chez eux ont commencé à le faire. Cela a réduit l’affluence dans les transports, mais ne l’a pas éliminée.

La réaction des entreprises de transport fut de réduire le service et de suspendre certaines destinations, etc. Ainsi, en réduisant les services disponibles au moment précis où nous avons besoin de distance sociale, celle-ci devient ingérable.

Ici, encore une fois, le critère est la rentabilité. C’est inacceptable. Toutes les entreprises de transport devraient être immédiatement réquisitionnées par l’Etat, sans compensation, et intégrées dans un seul service de transport national. Nombre de ces entreprises étaient auparavant propriété publique de l’Etat ou de collectivités locales. Elles devraient être renationalisées et utilisées pour répondre aux besoins – et non à la soif de profits. Les usagers des transports ont besoin de plus d’espace pour se déplacer en sécurité.

Les travailleurs des transports doivent être protégés, ce qui est impossible s’ils travaillent dans des transports bondés. Le personnel des transports a également besoin des équipements de protection nécessaires – masques, visières, gants, etc. –, et le service de nettoyage devrait être étendu massivement pour assurer le nettoyage en profondeur. Les services de nettoyage devraient aussi être réintégrés aux entreprises. Ces travailleurs devraient recevoir un salaire décent et avoir le droit de se syndiquer.

La crise du logement

De nombreux travailleurs perdent leur travail alors qu’ils ont des loyers élevés ou de gros emprunts, en particulier parmi les générations les plus jeunes. Si les choses restaient en l’état, beaucoup devraient faire face à des saisies et des expulsions. Dans plusieurs pays, les gouvernements ont demandé aux banques des « congés hypothécaires », c’est-à-dire de différer les paiements des crédits de plusieurs mois. Malheureusement, ce n’est toujours pas le cas concernant les loyers, qui devraient également être gelés durant de la crise.

Nous devons ajouter que les « congés hypothécaires » ont été introduits pour protéger les banques, car s’il y avait une grande vague d’impayés, cela pourrait techniquement pousser les banques à la faillite. Comme toujours, une mesure qui apparemment est prise dans l’intérêt des travailleurs, sous le capitalisme, peut avoir une motivation bien différente.

Néanmoins, la suspension des remboursements d’emprunts donne un peu de répit. Cependant, à long terme, cela n’élimine pas complètement les remboursements. Tôt ou tard, on demandera de payer. Une fois la crise passée, les travailleurs qui auront encore un emploi devront faire de plus gros remboursements. Toutefois, cette crise aura des effets économiques à long terme. Des conditions de vie plus difficiles, un chômage de masse et la pauvreté sont tout ce que le capitalisme a à offrir une fois que la pandémie sera passée.

Par conséquent, pour éviter qu’un grand nombre de familles perdent leur logement, nous demandons que les banques annulent une part de la dette sur les prêts immobiliers. C’est le seul moyen de résoudre le problème. Les banques ont été soutenues avec de l’argent public pendant 10 ans – et elles ont réalisé d’énormes profits dans la dernière période. S’il est vrai que nous sommes tous dans le même bateau, alors les banques devraient payer leur part.

D’autres travailleurs louent un logement et risquent d’être expulsés s’ils ne peuvent plus payer leurs loyers. Dans certains pays, des interdictions temporaires d’expulsions ont été décidées. Elles sont bienvenues, mais ne vont pas assez loin pour protéger les gens. Les propriétaires ont les moyens de mettre la pression sur les locataires. L’un d’eux est d’augmenter le loyer pour le rendre inabordable et forcer le locataire à partir. Par conséquent, il devrait aussi y avoir un gel des loyers et un congé de loyer imposé immédiatement, jusqu’à la fin de la crise. Les comités de quartier devraient aussi jouer un rôle dans ce domaine, en supervisant la situation et intervenant pour empêcher les augmentations de loyer et les expulsions.

Cette situation montre également un autre problème à long terme. La raison pour laquelle les propriétaires se comportent de la sorte est due à la pénurie chronique de logements sociaux. Par le passé, la proportion de logements municipaux publics par rapport aux logements privés était bien plus élevée. Les familles de la classe ouvrière pouvaient être logées dans des logements relativement moins chers. Pendant des décennies, la politique de la plupart des pays a consisté à privatiser, à vendre le parc de logements publics et à pousser les gens à devenir propriétaires-occupants.

Ce qu’il faut maintenant, c’est un programme accéléré de construction de logements sociaux pour répondre à la demande, en offrant des loyers abordables. Dans le même temps, de nombreuses maisons et appartements restent vides à cause de la spéculation. Dans ce cas, ces propriétés devraient être expropriées et ajoutées au parc de logements sociaux. Une fois mis en place, un tel programme contribuerait grandement à atténuer la situation actuelle de pénurie chronique de logements et de loyers exorbitants.

Droits démocratiques

Partout dans le monde, les gouvernements prennent des mesures d’urgence pour gérer la crise. Bien sûr, nous sommes favorables à la réquisition des ressources privées, à l’expropriation des hôpitaux privés, à la récupération des usines produisant du matériel de protection individuelle.

Le problème est que les gouvernements capitalistes utilisent la crise sanitaire pour limiter les droits démocratiques, par exemple en interdisant les grèves ou en restreignant les libertés politiques, la liberté d’expression, et en faisant descendre l’armée dans la rue.

Ces mesures n’ont rien à voir avec la gestion de la pandémie et doivent être combattues. Les travailleurs ont besoin du droit de grève pour se protéger des patrons qui mettent leur vie et leur sécurité en danger. Nous avons besoin de la liberté d’expression pour dénoncer l’impitoyable indifférence des gouvernements capitalistes envers la vie humaine.

Ainsi, tandis que tous les efforts doivent être faits pour s’assurer des mesures les plus efficaces dans la lutte contre la propagation du virus, nous ne devons pas permettre aux capitalistes d’exploiter l’urgence actuelle pour limiter les droits démocratiques pour lesquels des générations de travailleurs se sont battues.

Nationalisations

Pendant des années, les bourgeois n’ont eu que le mot « privatisation » à la bouche. De larges entreprises d’Etat ont été démantelées et vendues au rabais. Le concept même de nationalisation a été ridiculisé, comme appartenant à un lointain passé. Et maintenant, soudainement, tout a changé.

Reconnaissant clairement l’incapacité du capitalisme à gérer la crise actuelle, certains gouvernements réquisitionnent des hôpitaux privés pour que l’Etat puisse les intégrer à ses plans d’urgence. En parallèle, de nombreux gouvernements ont déclaré être prêts à nationaliser toute grande entreprise qui pourrait faire faillite dans la période à venir.

Un bon exemple en est la déclaration du ministre français des Finances, Bruno Le Maire : « Tous les moyens à disposition seront utilisés pour protéger les grandes entreprises françaises, y compris des opérations de prise de participation et même de nationalisations, si nécessaire. »

Les réformistes droitiers, qui, jusqu’à récemment, jouaient à qui plaiderait le plus fort possible contre les nationalisations, ont également été obligés de changer leur fusil d’épaule.

Soyons clairs : ce qu’ils appellent « nationalisation » est en réalité un sauvetage financier. Les propriétaires capitalistes vont être aidés financièrement, ce qui ne représente en réalité qu’une nouvelle façon de transférer de l’argent public dans des poches privées. Une fois que cet argent aura été utilisé pour remettre ces entreprises à flot, elles seront revendues aux capitalistes à des prix ridiculement bas. C’est une autre façon de faire payer la crise aux travailleurs.

Nous ne pouvons pas accepter cette forme de nationalisation. Ce n’est pas aux travailleurs de payer pour le chaos produit par les capitalistes. Ce qu’il faut, c’est une expropriation sans compensation. Nous appelons également à l’éviction des dirigeants de ces entreprises et à leur remplacement par un contrôle et une gestion démocratiques, par les travailleurs eux-mêmes.

Le rôle du mouvement ouvrier

Les dirigeants du mouvement ouvrier s’avèrent incapables de faire face sérieusement à la situation. En Italie, par exemple, les dirigeants syndicaux ont totalement collaboré avec les patrons et le gouvernement en insistant pour que la production ne s’arrête pas. Leur principal critère n’a pas été la sécurité des travailleurs, mais le maintien de la production, par peur d’un effondrement économique.

Les travailleurs italiens voyaient pourtant les choses différemment. Pour eux, il s’agissait d’abord de sauver des vies. Ils ont commencé à lancer des grèves après avoir échoué à convaincre les patrons de fermer les usines pour réorganiser le travail d’une façon plus sûre. Ce n’est que quand les travailleurs ont commencé à se lancer dans de telles actions que les directions syndicales ont changé de position. Elles ne dirigent rien.

En Grande-Bretagne, le Parti travailliste a arrêté toutes ses activités, alors que la technologie actuelle permet de les continuer en temps de pandémie. Partout, la plupart des dirigeants du mouvement ouvrier se sont rangés derrière les mauvais plans de la classe dirigeante. Il faut que cela cesse. Ils doivent préparer un plan d’action pour les travailleurs, en mobilisant dans les quartiers et dans les usines. Les dirigeants pourraient ainsi changer rapidement le cours des choses. Leur refus d’agir indique clairement qu’ils ont capitulé face aux capitalistes, précisément quand ces derniers entrent dans une de leurs crises les plus profondes.

Il faut que les organisations ouvrières se secouent radicalement. Ceci veut dire que les syndicats doivent être placés sous le contrôle direct de leurs adhérents. Les dirigeants syndicaux ne doivent pas gagner plus que les travailleurs qu’ils représentent. Ils doivent gagner le salaire moyen des travailleurs – et être soumis à un système de révocation s’ils n’obéissent pas aux décisions prises démocratiquement par leurs adhérents.

Ceci s’applique également aux partis ouvriers. Ils doivent être transformés, en commençant par la mise en place d’un processus complètement démocratique de sélection des dirigeants. Dans les pays où aucun parti des travailleurs n’existe, comme les Etats-Unis, il est du devoir du mouvement ouvrier organisé d’en créer un.

Où trouver l’argent nécessaire ?

Nombreux sont ceux qui trouveront les demandes ci-dessus raisonnables, mais qui poseront la question suivante : comment payer pour tout ceci ? On nous dit qu’il n’y a pas assez d’argent pour financer toutes ces mesures. Mais ceci est clairement faux.

La Réserve Fédérale américaine et la Banque Centrale Européenne ont annoncé l’injection de milliards de dollars et d’euros dans l’économie. En Grande-Bretagne, le gouvernement a annoncé une « couverture » de 350 milliards de livres, soit l’équivalent de 15 % du PIB. En Italie, en France, en Espagne, en Allemagne, des annonces similaires ont été faites.

Quand ils font face à un Armageddon économique, ils trouvent tout d’un coup les ressources nécessaires… Malheureusement, la plus grande partie de cet argent va aux capitalistes, pas au système de santé ou aux travailleurs. En outre, cela ne fait qu’aggraver la dette publique, déjà très élevée. Plus tard, c’est aux travailleurs que l’on demandera de faire des sacrifices pour résorber cette dette.

Cependant, il existe une autre source d’immenses richesses. Aux Etats-Unis, par exemple, 1 % des ménages les plus riches – environ 1,2 million de familles – possédait une fortune totale nette de 35 000 milliards de dollars, en 2019. Une étude de l’Institut des comptables d’Angleterre et du Pays de Galles de 2017 a révélé que, « alors que de nombreuses personnes doivent se serrer la ceinture, deux tiers des entreprises du Royaume-Uni ont un excédent de liquidités ».

Mais pire encore : depuis lors, le niveau des dépôts et de réserves d’argent des entreprises du Royaume-Uni a augmenté ! Les dépôts ont augmenté de 8 % en 2018, soit un bond de 51 % en 5 ans. Selon le Crédit Suisse, les 1 % les plus riches du globe possèdent environ 50 % de la richesse mondiale, alors qu’en bas de l’échelle, la moitié des adultes possède moins que 1 % de la richesse mondiale.

En ces temps de crise, cette immense richesse, créée par des millions de travailleurs, pourrait permettre de financer les mesures nécessaires à la lutte contre la propagation du COVID-19 – et de mettre en place des structures et des ressources afin de préparer la société à l’irruption de futures maladies.

Il ne serait pas déraisonnable d’imposer une taxe d’urgence de 10 % ou 20 % sur ces fortunes. Toute compagnie ou capitaliste individuel qui refuserait de collaborer serait exproprié, verrait ses biens confisqués et ses ressources mises à disposition de l’Etat. En outre, les banques qui ont été massivement sauvées par les Etats devraient être nationalisées, sans compensation, et intégrées au sein d’une banque nationale publique. La même chose vaut pour les compagnies d’assurance.

Si de telles mesures étaient prises par les gouvernements partout dans le monde, il n’y aurait pas d’augmentation de la dette publique, ni de mesures d’austérité quelque temps plus tard. Il n’y aurait pas de pénurie de ressources pour construire des hôpitaux, investir dans la recherche pharmaceutique, construire des logements et garantir un revenu décent pour tous les chômeurs.

Pour un gouvernement des travailleurs !

En Grande-Bretagne, il est clair que le gouvernement des Tories était prêt à voir des centaines de milliers de personnes mourir plutôt que de prendre les mesures nécessaires et d’investir en conséquence. Aux Etats-Unis, Trump s’est comporté d’une manière semblable. Même en Italie, premier endroit en Europe où le virus s’est largement répandu, le critère qui a conditionné l’action des gouvernements a été la rentabilité.

Nous ne pouvons confier à ces gens la vie de millions de travailleurs. On nous dit qu’il n’est pas l’heure de soulever des divergences politiques, que nous devons tous nous unir. Le nationalisme et le patriotisme sont vantés partout. On nous dit que nous sommes tous dans le même bateau. Mais c’est complètement faux. Ceux auxquels on demande de payer pour la crise sont ceux qui le peuvent le moins, les travailleurs, les jeunes et les personnes âgées.

Nous avons besoin de gouvernements qui représentent les intérêts de la classe ouvrière partout dans le monde. Le programme que nous avons détaillé ci-dessus ne pourra être mis en œuvre que par des partis et des dirigeants qui représentent les travailleurs et leurs intérêts. En mettant au pouvoir des gouvernements de travailleurs dans tous les pays, nous pourrions enfin utiliser les immenses ressources disponibles à l’échelle mondiale et mettre en place une véritable réponse à la crise actuelle.

Internationalisme et coopération ouvrière

Au XXIe siècle, il y a deux obstacles fondamentaux au développement des forces productives : la propriété privée des moyens de production et l’Etat-nation. La crise actuelle en est une preuve flagrante.

L’économie de marché a complètement échoué. La recherche du profit met en danger des millions de vies. Il est temps d’y mettre fin ! Nous avons besoin d’une économie publique et planifiée. Le contrôle et la gestion démocratiques, par les travailleurs, doivent être introduits pour superviser la production.

Dans une telle économie, les ressources pourraient être rapidement réallouées pour répondre aux besoins du moment. La production pourrait être arrêtée sans avoir à prendre en compte les pertes de profits des propriétaires privés. Les travailleurs bloqués chez eux pourraient recevoir un salaire régulier. Personne ne risquerait une expulsion par son propriétaire. En résumé, cela voudrait dire l’introduction du socialisme à l'échelle mondiale. Les conditions sont mûres pour que cela devienne réalité.

Boris Johnson et d’autres politiciens bourgeois ont comparé la crise actuelle à une situation de guerre. Mais comment s’est comporté le gouvernement anglais durant la Deuxième Guerre mondiale ? Ont-ils dit : « Que le marché décide ! L’Etat ne doit pas intervenir ! » Non. Ils ont utilisé l’Etat pour centraliser la production, nationaliser l’industrie de guerre et introduire des mesures de planification centrale.

Evidemment, tout ceci n’a pas fait du Royaume-Uni un pays socialiste. Les banquiers et les capitalistes ont fermement gardé le contrôle. Mais ils ont été obligés d’introduire des mesures de planification et même de nationalisation, simplement car cela donnait de meilleurs résultats. Ainsi, en pratique, même les pires ennemis du socialisme ont admis la supériorité de la planification socialiste sur l’anarchie du marché.

La Chine actuelle est un pays capitaliste, sans le moindre doute. Mais c’est une forme particulière de capitalisme, qui garde certains éléments de planification centralisée et de contrôle national des entreprises. C’est un héritage du passé. Ce sont précisément ces éléments qui ont donné à la Chine un avantage considérable pour combattre la pandémie, avec des résultats remarquables, comme l’ont admis des commentateurs pourtant peu favorables au socialisme.

Les avantages que la Chine avait pour faire face à la situation à Wuhan comprenaient notamment la possibilité de fermer une immense zone avec 50 millions d’habitants, tout en utilisant les ressources du reste du pays pour leur venir en aide, notamment en envoyant des infirmières et des docteurs.

L’Italie a fait face à une situation complètement différente. Elle n’a reçu aucune aide du reste de l’Europe. Au contraire, des pays comme l’Allemagne ont bloqué l’exportation de leurs masques, selon un raisonnement extrêmement court-termiste et nationaliste. Les choses auraient pu se dérouler autrement avec une coordination internationale.

Il faut rappeler ici que les docteurs chinois présents actuellement en Italie sont d’accord sur ce qu’il conviendrait de faire. Ils ont pu observer ce qui a été fait dans leur pays et à Wuhan pour combattre le virus : selon eux, il y a encore trop de mouvement dans les rues. Cela confirme ce que nous avons dit depuis l’éruption de ce virus : toute la production non essentielle doit être arrêtée.

L’Italie aurait pu être complètement isolée, et le reste de l’Europe aurait pu envoyer le matériel et les ressources humaines pour combattre la propagation du virus. La période de confinement aurait ainsi été plus courte et plus efficace. Au lieu de cela, chaque Etat-membre de l’Union Européenne a agi de son propre chef, de différentes manières et à des vitesses différentes.

En conséquence, le virus s’est propagé bien plus rapidement en Italie, ce qui a été un facteur de son déploiement en Europe. Maintenant, toute l’Europe est dans la situation italienne, ce qui n’était pas du tout inévitable.

Cela montre la réelle nature de l’Union Européenne : elle ne défend que les intérêts des grandes entreprises capitalistes. Quand il s’agit d’imposer l’austérité en Grèce ou en Italie, il y a toujours les moyens. Mais quand il s’agit de sauver des millions de vies, l’UE n’est pas seulement inutile : elle aggrave la situation. Cela prouve l’échec du capitalisme.

Certains analystes bourgeois arrivent donc à la conclusion que leur système est voué à l’échec. Par exemple, le journal The Australian magazine a récemment écrit : « Macquarie Wealth Management, le bras boursier du cœur du capitalisme australien, le Macquarie Group, a mis en garde que “le capitalisme conventionnel est à l’agonie” et que le monde avance vers “ce qui sera plus proche d’une sorte de communisme”. »

Comme ces mots sont justes ! Il nous faut un effort mondial pour combattre les dangers auxquels l’humanité fait face aujourd’hui. Or cet effort est impossible quand tout est subordonné à la recherche du profit par une poignée de capitalistes qui possèdent les moyens de production. Il nous faut une production subordonnée à la satisfaction des besoins.

Nombreux sont ceux qui se rendent compte, désormais, que la soi-disant économie de marché est complètement incapable de répondre aux besoins suscités par la crise actuelle. Ils se rendent également compte qu’un plan de production international n’est pas possible dans le système actuel. On ne peut plus faire l’impasse sur la question du socialisme. Bien sûr, quand nous disons « socialisme », nous ne faisons pas référence aux caricatures totalitaires et bureaucratiques qui ont existé en URSS ou dans la Chine maoïste. Le véritable socialisme est démocratique – ou n’est pas. Le véritable socialisme ne peut être atteint que par une démocratie des travailleurs, avec une économie nationalisée et planifiée, sous le contrôle direct et la gestion des travailleurs.

La Tendance Marxiste Internationale combat pour ce socialisme dans tous les pays où elle est présente. Nous vous appelons à nous rejoindre dans ce combat, pour fournir à la classe ouvrière et à la jeunesse le programme et les politiques qui sont nécessaires pour sortir l’humanité du marécage dans lequel le capitalisme l’a traînée. A défaut, le monde sera plongé dans une barbarie à une échelle encore plus grande que celle des années 1930.

Rejoignez-nous !

Londres, le 20 mars 2020

Les événements se déroulent à une vitesse fulgurante : le nouveau coronavirus (COVID-19) a provoqué une réaction en chaîne qui secoue le moindre semblant de stabilité, un pays après l’autre. Toutes les contradictions du système capitaliste éclatent au grand jour.

Des milliers de personnes sont mortes et des centaines de milliers d’autres ont vraisemblablement été infectées. Mais rien n’indique que la pandémie ait atteint son pic : le nombre de morts augmente de 20 à 30 % chaque jour. Il n’y a pas de vaccin en vue et personne ne semble avoir un plan raisonnable pour contrôler la situation. La plupart des pays agissent de leur propre chef, avec peu d’égards pour les conseils d’organes comme l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Les systèmes de santé des pays affectés ont atteint un point de rupture et les travailleurs de la santé des autres pays redoutent les semaines et les mois à venir.

La maladie a principalement été confinée à la Chine, à l’Iran, et aux pays occidentaux. Une fois qu’elle atteindra les bidonvilles et les camps d’Afrique, du Moyen-Orient, du sous-continent indien, et de l’Amérique Latine, où il n’y a peu ou pas de système sanitaire, nous serons témoins de nouvelles vagues dévastatrices. Le nombre de morts pourrait se compter en millions. La destruction et la dislocation du monde à l’échelle mondiale seront comparables au temps de guerre.

En réaction, les marchés boursiers ont déjà plongé. Lundi, les prix du pétrole se sont effondrés à 30 dollars le baril, entraînant les marchés mondiaux. Mercredi, la banque d’Angleterre a annoncé une baisse extraordinaire des taux d’intérêt de 0,5 %. Ceci est resté sans effet, et les marchés ont continué leur dégringolade jeudi, avec les pires chiffres depuis 1987. La nervosité des marchés reflète le pessimisme de la classe dirigeante, terrifiée par les perspectives qui s’ouvrent pour l’économie mondiale, déjà fortement ralentie.

La Chine, la deuxième plus grande économie de la planète, va rentrer dans son premier trimestre de croissance négative depuis la révolution culturelle de Mao. Il semblerait que la propagation de la maladie en Chine soit contenue. Cependant, dans la province de Hubei, le secteur des services reste à l’arrêt complet. Les grandes industries relancent leur production, mais comme le reste du monde entre en récession, la demande est faible. La grande majorité des petites et moyennes entreprises chinoises, qui emploient près de 80 % des travailleurs, n’ont pas repris leurs activités.

Il n’y a aucun signe de reprise rapide. Certains experts prévoient que la croissance économique mondiale pourrait tomber à 1 %, par rapport aux 2,6 % de l’an passé, ce qui impliquerait que de nombreux pays entrent en récession. Mais ce ne sont que des vœux pieux : l’industrie, le commerce, et les transports iront de bouleversement en bouleversement. La consommation va chuter. Les chaines d’approvisionnement seront perturbées encore et encore. L’économie mondiale va souffrir d’une crise profonde.

L’Europe est durement frappée, en particulier l’Italie, qui est la troisième plus grande économie de la zone euro. Le conseil des ministres de l’Union européenne s’est réuni afin de prendre des mesures communes pour faire face à la crise. Mais tout ce qu’ils ont pu faire a été de rassembler un fonds de 25 milliards d’euros, dont la plus grande partie est déjà comprise dans le budget de l’Union. Le reste de leurs plans se limite à lever les restrictions budgétaires des Etats membres. Chaque Etat membre se retrouve donc à devoir se débrouiller seul : il n’y a plus beaucoup d’Union dans cette situation. Même le président italien Mattarella, normalement très europhile, a critiqué la réponse européenne dans une note officielle : « L’Italie traverse une situation difficile ; notre expérience dans la lutte contre la propagation du coronavirus sera probablement utile à tous les autres pays de l’Union européenne. L’Italie attend donc, et à juste titre, du moins pour l’intérêt commun, des initiatives de solidarité [de la part de l’Union européenne] et non des décisions qui puissent ruiner cet effort. » En réalité, l’Italie reçoit désormais plus d’aide (notamment des appareils médicaux comme des respirateurs pour soins intensifs, etc.) de la part de la Chine que de l’Union Européenne. L’Autriche a déjà fermé ses frontières avec l’Italie ; d’autres pays interdisent les vols depuis et vers l’Italie. La République tchèque a fermé ses frontières aux voyageurs en provenance de 15 pays différents. La France, l’Allemagne et d’autres ont adopté des interdictions d’exportation de certains équipements médicaux. Tout ceci va s’aggraver en quelques semaines, si ce n’est en quelques jours. Le marché commun est peu à peu fermé. Tout comme après la crise de 2008 ou celle des réfugiés, le choc actuel met en lumière toutes les contradictions internes à l’Union Européenne, mettant clairement un point d’interrogation sur l’avenir de l’Union en tant que telle.

Donald Trump, qui proclamait jusqu’à récemment que le virus n’atteindrait pas les Etats-Unis, est parti dans des pulsions nationalistes hystériques en appelant le COVID-19 un « virus étranger ». Il a imposé des restrictions de voyage aux ressortissants des pays européens et a appelé avec encore plus d’insistance à la construction d’un mur avec le Mexique (bien qu’il n’y ait encore que 12 cas déclarés au Mexique). Ces interdictions de voyage vont avoir un impact immédiat sur le tourisme et les services, ce qui plongera sûrement les Etats-Unis en récession.

La Russie et l’Arabie Saoudite se disputent également concernant le niveau de production pétrolière, ce qui a déjà provoqué l’effondrement des prix du pétrole, et pourrait résulter en un défaut de paiement de la dette russe. C’est déjà le cas pour le gouvernement libanais. D’autres économies de taille moyenne comme la Turquie, l’Argentine, l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud pourraient suivre dans le moyen terme.

La diffusion du virus a drastiquement accéléré les tendances protectionnistes à l’échelle mondiale. Chaque classe dirigeante nationale se précipite pour défendre ses propres positions et pour exporter les impacts sociaux négatifs. Les barrières imposées aux déplacements des personnes pourraient facilement donner lieu à des barrières au commerce des biens. Les guerres commerciales entre la Chine et les Etats-Unis, et entre les Etats-Unis et l’Europe, dont beaucoup pensaient qu’elles s’étaient calmées, pourraient de nouveau s’embraser de manière bien moins contrôlable. Ceci prépare le terrain pour une dépression semblable à celle de 1930, et qui durera bien plus longtemps que les impacts directs du virus.

Les bourgeois rejettent la responsabilité de la crise économique sur le dos du virus. Mais il ne constitue qu’un accident, qui a fait exploser toutes les contradictions accumulées précédemment par le système. Ceci est une crise du système capitaliste dans son entier, qui se tramait depuis des décennies. La classe capitaliste a réussi à la reporter pendant une certaine période, par une expansion massive du crédit, c’est-à-dire en accumulant de la dette qui est maintenant devenue un obstacle colossal à la croissance. Tôt ou tard, la bulle aurait éclaté. Nous l’avions prédit dans notre document de Perspectives mondiales, qui a été rédigé en novembre dernier, et a été approuvé lors de la réunion de l’Exécutif International de la Tendance Marxiste Internationale. En voici les termes :

« La reprise économique était faible et fragile, et le moindre choc pourrait plonger l’économie dans un précipice. Tout peut provoquer une vague de panique : une augmentation des taux d’intérêt aux Etats-Unis, le Brexit, un affrontement avec la Russie, l’aggravation de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, une guerre au Moyen-Orient menant à l’augmentation des prix du pétrole, et même un tweet particulièrement stupide de la Maison-Blanche (ce qui ne manque pas). »

D’un point de vue économique, le virus n’est rien de plus qu’un événement accidentel, qui exprime une nécessité sous-jacente, plus profonde. Mais il influence également le cours des événements à venir : cette nature virale limite la capacité de la classe dirigeante à atténuer ou adoucir la crise.

L’effet d’entraînement propre à la pandémie va dévaster une économie mondiale déjà très faible. Les uns après les autres, les pays annoncent des paquets de mesures pour garder l’économie à flots. Mais leurs effets seront limités par l’impact de la pandémie, qui ne disparaîtra pas de sitôt. De larges pans du secteur des services comme les cinémas, les cafés, les restaurants, etc. seront sévèrement touchés lorsque les habitants déserteront les lieux publics. Ce sont également des secteurs où dominent des conditions de travail précarisées : cette crise aura un impact dévastateur sur les travailleurs. La situation va perdurer jusqu’à ce qu’un remède au virus soit trouvé. Les principales industries verront également leur production perturbée par de nouvelles éruptions de foyers viraux. Malgré toutes les tentatives des gouvernements, le chômage va exploser. En retour, la consommation va chuter et devenir un frein à l’économie.

La classe dirigeante est terrifiée à l’idée d’un chômage de masse et d’une intensification de la lutte des classes qui l’attend au tournant. Dans de nombreux pays, les gouvernements prennent des mesures spéciales, comme concéder des congés maladie à des conditions particulières pour les travailleurs du secteur public et d’autres. Mais ces mesures ne résoudront pas le problème des travailleurs impactés. Certaines banques autorisent leurs clients à repousser les échéances de leurs crédits pour quelques mois. Les petites et moyennes entreprises reçoivent des prêts à des taux favorables et des abattements fiscaux. Le Parlement européen débat de la suspension du traité de Maastricht, qui oblige les Etats membres à respecter des déficits budgétaires au maximum de 3 % du PIB. Les dépenses d’Etat augmentent massivement pour tenter de prévenir la catastrophe.

Mais il est hautement improbable que cela résolve quoi que ce soit. A ce niveau, des mesures keynésiennes ne favoriseront pas la consommation, qui pourrait rester en berne pendant des mois, voire des années à cause du virus. A la place, elles pourraient provoquer une inflation galopante dans certains secteurs de l’économie. Les petites et moyennes entreprises pourraient faire massivement faillite. Les réductions d’impôts et les prêts bon marché ne feraient que repousser le problème à un futur pas si lointain. Des millions d’emplois sont en jeu.

A l’Ouest, de nombreux emplois dans les services, la construction et les transports sont menacés, et seraient les premiers à être supprimés. En Italie, une grande partie de la force de travail, en particulier dans les secteurs les plus durement touchés comme le tourisme, l’hôtellerie, les restaurants, etc., était déjà très précaire. Dans les pays les plus pauvres, la situation est pire. En Iran, par exemple, 96 % des travailleurs travaillent avec des contrats « en blanc », qui ne leur donnent aucun droit. Dans tous les pays, le chômage est devenu une source de radicalisation de masse.

Unité nationale

Les classes dirigeantes et leurs gouvernements font appel à leur nation pour s’unir en temps de crise. Mais sous le couvert de cette illusion, ils déplacent le fardeau du désastre sur les épaules des travailleurs. Les uns après les autres, les gouvernements mettent en œuvre des mesures draconiennes. En Italie, au Danemark, en Chine, certaines zones fonctionnent sous loi martiale.

En Chine, les travailleurs de certaines aciéries ont été forcés de rester au travail pendant presque un mois sans pouvoir retourner chez eux. En Italie, les docteurs et les infirmières travaillent jusqu’à épuisement. Pendant ce temps, on demande aux travailleurs du privé, en particulier de l’industrie, de continuer à travailler. Nombreux sont ceux qui demandent quel est le sens de tout ceci. Si, pour combattre l’expansion de la pandémie, il faut rester chez soi, pourquoi certains devraient-ils aller travailler dans des secteurs économiques non essentiels ? La réponse est claire : pour maintenir les profits des capitalistes aussi longtemps que possible. Même si le droit de grève a été sévèrement restreint par les mesures d’urgence, les travailleurs italiens ont agi. Une vague de grèves spontanées se forme en Italie : les travailleurs sortent pour protester contre le manque de mesures de sécurité adéquates. Les grévistes demandent que les entreprises produisant des biens non essentiels soient fermées, sans perte de salaire pour les travailleurs, jusqu’à ce que des mesures sanitaires soient introduites. Ceci a exercé une énorme pression sur les dirigeants des syndicats des confédérations CGIL-CISL-UIL, qui plaidaient jusqu’alors – avec les industriels de la Confindustria – pour garder les usines ouvertes. Tout ceci est une anticipation des événements futurs.

Pour l’instant, les restrictions en Chine sont peu à peu levées, mais il est probable qu’elles soient de nouveau introduites lorsqu’une nouvelle éruption virale aura lieu. Le Danemark et l’Italie sont sous confinement. De nombreux autres pays devront faire de même. Les gouvernements essayent de montrer qu’ils « font quelque chose ». Alors que certaines mesures ont du sens d’un point de vue épidémiologique, elles sont minées par la propriété privée, par l’anarchie du capitalisme et par l’existence des Etats-nations. C’est ainsi que des fournisseurs privés de soins redirigent les malades du coronavirus vers les systèmes publics de santé ; les assurances privées refusent de couvrir les coûts des infections liées au coronavirus. Les kits de dépistage, produits par le secteur privé, viennent à manquer. On demande aux gens de rester chez eux alors que des travailleurs doivent continuer à travailler. Les entreprises privées profitent de l’augmentation des prix des désinfectants pour mains, des masques, et même des kits de dépistage pour coronavirus ! Enfin, l’incapacité de coordination entre gouvernements, et l’adoption d’approches différentes – voire contradictoires – mine le combat pour endiguer la pandémie.

Aux Etats-Unis, Donald Trump a nié l’existence d’une quelconque menace jusqu’au 11 mars. En Chine, le gouvernement a refusé d’agir pendant des semaines, par crainte de ravager une économie déjà fragilisée ; pire encore, les chercheurs et les lanceurs d’alerte ont été emprisonnés et persécutés. En Iran, pendant des semaines, le régime a refusé d’admettre l’existence de la maladie pour assurer une participation aussi haute que possible aux élections parlementaires. A ce jour, le régime continue de dissimuler la gravité de la maladie. Officiellement, seules quelques centaines d’Iraniens sont morts du coronavirus, mais des rapports officieux évoquent des chiffres bien plus élevés. Il est probable que le nombre de personnes infectées atteigne déjà les dizaines (ou centaines) de milliers.

Alors qu’on lui demandait quelles mesures pouvaient être prises pour lutter contre le virus, le leader suprême Khameini a suggéré aux gens de prier. Bien sûr, ceci ne vaut que pour les pauvres. Soyons sûrs que si Khameini lui-même était infecté, il recevrait les meilleurs soins scientifiquement fondés. Il ressort également qu’une des principales sources de propagation de la maladie en Iran a été le sanctuaire sacré de Qom, où les pèlerins ont afflué pour être soignés. Tout ceci mine les fondations du régime théocratique. En refusant la réalité, l’establishment religieux s’oppose à la mise en place de mesures de sécurité et dépeint l’épidémie comme une conspiration de l’Ouest, rien de plus. Tout ceci va bientôt amener les masses iraniennes à réagir, ces masses qui payent de leur vie le pourrissement de la classe dirigeante.

Pendant ce temps, toute intervention contre la maladie est entravée par des décennies de coupes dans les systèmes de santé. En Italie, 46 500 emplois dans le secteur de la santé ont été supprimés entre 2009 et 2017. 70 000 lits d’hôpitaux ont disparu. L’Italie disposait de 10,6 lits en hôpital pour 1 000 habitants en 1975 : il n’y en a maintenant plus que 2,6 ! La Grande-Bretagne a suivi la même voie : de 10,7 lits pour 1 000 habitants en 1960 à 2,8 en 2013 ; entre 2000 et 2017, le nombre de lits d’hôpitaux disponibles a diminué de 30 % ! Les mêmes conditions se retrouvent en occident. En Italie, les soignants doivent souvent choisir qui traiter, car les équipements disponibles sont limités : de nombreuses personnes, souvent âgées, vont mourir à cause d’un manque de moyens. Comme le nombre de cas augmente, les systèmes de santé sont sous une intense pression. Ils pourraient s’effondrer, laissant des centaines de milliers de personnes se débrouiller seules. Les riches, qui auront accès à des soins privés, seront épargnés par cette barbarie. En Iran, toute une série de ministres, de députés et d’officiels de haut rang ont reçu un traitement immédiat et sont en voie de rétablissement après avoir été infectés par le virus. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de gens ordinaires se battent pour avoir simplement accès aux tests de dépistage. Dans le cas tragique d’une infirmière, le test – positif – est arrivé une semaine après sa mort.

A Singapour, toute la population a été approvisionnée en équipement médical et sanitaire (comme des masques). En Chine, une série d’hôpitaux a été construite immédiatement pour gérer la situation et des dizaines de milliers de personnes ont été testées, même celles sans symptômes. En Grande-Bretagne, le gouvernement ne semble pas avoir fait beaucoup d’efforts pour se préparer au désastre qui arrive. Les tests ont diminué. Même les personnes en provenance d’Italie et avec des symptômes d’infection virale n’ont pas pu être testées. Hier, Boris Johnson a dû admettre que 10 000 personnes sont probablement infectées au Royaume-Uni. Néanmoins, il a refusé d’annuler des grands événements et rassemblements, comme cela a été le cas en Italie, et même en Ecosse. Il a froidement déclaré que le public devait se préparer à « perdre prématurément des êtres aimés ». Comme un des articles du New York Times l’indique : « Le Royaume-Uni préserve son économie du virus, mais pas sa population. »

Johnson BorisL’attitude cynique du Premier ministre Johnson a été mise en évidence lors d’une interview récente, au cours de laquelle on lui a demandé quelles mesures pouvaient être prises contre la maladie. Il a mentionné avec nonchalance, comme alternative, que « … peut-être on pourrait encaisser, tout prendre d’un coup et permettre à la maladie de se répandre parmi la population, sans prendre de mesure draconienne. » En d’autres termes, peut-être pourrions-nous laisser mourir des milliers de personnes sans prendre de mesures sérieuses, pour garantir que les affaires continuent normalement. Cette approche fataliste, qui est partagée par d’autres pays comme la Suède et les Etats-Unis, a été critiquée par l’OMS qui demande à ses Etats membres de continuer à essayer de contenir le virus.

Il ne fait aucun doute qu’il y ait du malthusianisme dans ses propos, reflétant l’état d’esprit pourri de la classe dirigeante. C’est l’idée que la pauvreté, les guerres et les épidémies sont liées à la surpopulation humaine et qui doit donc diminuer. Jeremy Warner, journaliste au Telegraph, a écrit : « Sans exagération, selon une perspective économique totalement désintéressée, le COVID-19 pourrait même être bénéfique à long terme en abattant de manière disproportionnée les personnes âgées dépendantes. » La bourgeoisie veut donc laisser la maladie se répandre parmi la population et « abattre » autant de vies que possible d’un coup. Le Royaume-Uni pourrait alors sortir de la récession plus rapidement que d’autres pays qui mettent en place des mesures de retardement de l’épidémie.

Le système de soins américain est particulièrement mal équipé pour ce qui va venir. Des millions de personnes sont sans assurance santé et pourraient se trouver dans des conditions horribles. Il est possible que le gouvernement assure temporairement les gens se trouvant dans cette situation. Mais cela n’arrangera pas l’état d’un système de santé à l’abandon, qui devra se battre pour gérer les niveaux de contamination à venir. Le système américain n’est axé qu’autour d’une chose : verser de l’argent dans les poches des grandes entreprises pharmaceutiques et médicales. Il n’est pas capable de gérer le désastre national que nous nous apprêtons à vivre.

Au cours des dernières semaines, rien n’a été préparé. Les hôpitaux n’ont pas de plan, les équipes n’ont pas été formées, et l’équipement est limité. Le centre américain pour le contrôle des maladies a refusé d’utiliser les kits de dépistage internationaux, développés en Allemagne, et a préféré développer ses propres tests depuis le début. Mais cette stratégie s’est heurtée à de nombreux problèmes, qui ont mené à des retards et à une insuffisance de kits. En outre, il existe peu de lieux de dépistage et les procédures de rappel sont donc très chronophages. Ainsi, le 6  mars, alors que la Corée du Sud avait déjà procédé à 140 000 tests, les Etats-Unis n’en avaient fait que 2 000 ! Il n’y a donc pas de visibilité sur le nombre de personnes contaminées aux Etats-Unis. Aucune mesure n’est prise pour protéger la population d’une crise sanitaire et économique. En revanche, juste après l’aggravation de la crise, la réserve fédérale américaine a injecté 1500 milliards de dollars dans les marchés pour protéger les grandes entreprises.

L’incompétence de toute la classe capitaliste et de ses institutions éclate au grand jour. Donald Trump semble complètement déconnecté de la situation et toutes ses actions préparent un désastre encore plus grand. Ceci pourrait le mener à sa chute. En attendant, un appel pour un système de santé nationalisé, gratuit, pourrait trouver un large écho.

A chaque tournant, l’avidité et la putréfaction de la classe dirigeante apparaissent de manière plus flagrante. Ce schéma va se répéter à travers le monde, lors de la propagation du virus d’un pays à l’autre.

La tâche des marxistes sera de dénoncer la nature réelle de la classe dirigeante et la mascarade de l’« unité nationale ». Nous devons montrer en quoi les intérêts de la classe dirigeante parasitaire sont diamétralement opposés à ceux du reste de la société :

  • Partout, nous devons demander l’expropriation de toutes les institutions de santé privées. Toute l’industrie médicale et pharmaceutique doit être immédiatement nationalisée, sous contrôle ouvrier, pour venir immédiatement en aide à tous ceux qui en ont besoin.
  • Le nombre de lits doit considérablement augmenter, et, si nécessaire, de nouveaux hôpitaux doivent être construits, que ce soit en réquisitionnant et en adaptant des bâtiments vides comme des hôtels ou autres, ou en construisant de A à Z de nouveaux établissements.
  • Un congé maladie illimité doit être garanti pour tous, et les travailleurs temporaires doivent être immédiatement intégrés aux entreprises, ou doivent bénéficier de montants correspondant à un salaire décent (tout comme les travailleurs qui ont perdu leur emploi). Les parents et les soignants doivent avoir un congé payé pour s’occuper de leurs enfants et de tous ceux affectés par la fermeture des écoles, crèches, etc.
  • Un contrôle strict des prix doit être imposé sur tous les biens de première nécessité. Il faut exproprier toutes les usines capables de produire du matériel d’hygiène et des équipements médicaux.
  • Toutes les expulsions et saisies doivent être bloquées. Les maisons vides utilisées par les super riches pour spéculer doivent être placées sous contrôle public pour donner un logement aux sans-abris.
  • Toute la production non essentielle doit être arrêtée dans les zones affectées pour éviter la propagation de la maladie, et les travailleurs doivent recevoir une paie complète pendant toute la fermeture. Toute sous-traitance des services publics doit immédiatement cesser, en réintégrant les services et les travailleurs dans les institutions publiques, pour leur assurer de continuer à toucher leur salaire.
  • Des mesures de santé et de sécurité doivent être adoptées au travail pour tous ceux qui doivent continuer, les coûts étant portés par les entreprises. Si le patron déclare qu’il n’y a pas d’argent, il faut demander l’ouverture des livres de comptes.
  • De telles étapes doivent être discutées et entreprises par les travailleurs eux-mêmes, sous la supervision des délégués syndicaux et des comités de travailleurs élus. S’il n’y a pas de syndicat, c’est l’occasion de commencer à organiser et à demander la reconnaissance d’une section.
  • Les ressources nécessaires pour combattre la pandémie ne peuvent pas être trouvées en augmentant le déficit budgétaire ou la dette nationale, ce qui serait payé plus tard par les travailleurs, avec des politiques d’austérité. Il faut introduire immédiatement une taxe sur les grandes entreprises. Il faut également appeler à la nationalisation des banques pour rediriger les ressources selon les besoins, fournir des fonds aux ménages, aux petites entreprises, et aux secteurs affectés par les fermetures.
  • Les industries menacées de faillite doivent être nationalisées et mises sous le contrôle de la classe ouvrière, pour protéger les emplois et les travailleurs. Les richesses paralysées par les monopoles doivent être expropriées pour financer les mesures d’urgence.

C’est la tâche des marxistes de souligner l’incapacité de la classe dirigeante à faire avancer la société. Nous devons expliquer patiemment que seuls les travailleurs, en prenant le pouvoir, peuvent sortir la société de cette impasse.

Une nouvelle période

Nous entrons dans une nouvelle ère de l’histoire mondiale. Une période de crise, de guerres, de révolutions et de contre-révolutions. Comme une pierre tombant dans l’eau, cette crise va provoquer des vagues qui vont s’étendre aux quatre coins du monde. Ce sera la plus grande dislocation de la société depuis la Seconde Guerre mondiale. Chaque régime va être bouleversé et les équilibres sociaux, économiques, diplomatiques et militaires seront détruits.

Comme nous l’avons expliqué à de nombreuses reprises, la classe dirigeante n’a jamais résolu les contradictions qui ont mené à la crise économique de 2008. Au contraire, elle n’a fait que regonfler la bulle, qui éclate de nouveau. En parallèle, la pandémie va rendre l’effondrement initial encore plus brutal, et maintiendra l’économie en récession pendant au moins deux ans. Lorsqu’elle s’arrêtera, il n’y aura pas de retour à la normale. La décennie qui s’annonce sera bien plus turbulente que celle qui vient de s’écouler.

Encore plus important pour les marxistes, la conscience des masses va faire des bonds considérables. Le processus sera semblable à un temps de guerre. Crises et chômage de masse seront à l’ordre du jour. Des mesures draconiennes seront imposées aux travailleurs.

Au départ, la classe dirigeante va tenter de stabiliser la situation en faisant appel à l’unité nationale. La période récente a miné l’autorité de l’establishment et de ses politiciens. Néanmoins, de nombreuses personnes vont accepter ces nouvelles conditions, car elles penseront qu’elles sont temporaires, nécessaires. Nombreux sont ceux qui penseront que l’Etat agit dans l’intérêt de la nation. Mais petit à petit, on verra à qui sera adressée la facture et qui sera réellement protégé. De plus en plus de sacrifices seront demandés aux masses, dans l’intérêt de la classe dirigeante. Mais il y a une limite. Une fois atteinte, l’apparente docilité actuelle se transformera en colère furieuse.

La base pour une transformation des consciences se trouve dans les grands événements à venir. Des événements qui vont bouleverser les consciences dans leur fondement et les forceront à réévaluer toutes leurs conceptions. Tout ce qui était considéré comme acquis par la population ordinaire changera, des petites habitudes quotidiennes aux normes et traditions nationales. Cela fera sortir les masses de leur inertie et les poussera sur la scène de la politique mondiale. Pendant ce temps, chaque reste du statu quo sera désintégré et les masses seront confrontées à la barbarie la plus crue du capitalisme.

En écrivant au sujet de l’Angleterre en 1924, Trotsky expliquait ce qui s’était passé au cours de la Première Guerre mondiale :

« Il ne faut pas oublier que la conscience humaine, à l’échelle d’une société, est terriblement conservatrice et lente. Seuls les idéalistes imaginent que le monde est mû par l’initiative de la pensée. En réalité, les pensées d’une société ou d’une classe n’avancent pas d’un pas, sauf quand elles sont dans l’extrême besoin de le faire. Partout où c’est possible, les vieilles idées sont adaptées aux nouveaux faits. C’est être franc que de dire que les classes et les gens n’ont pas, jusqu’ici, fait preuve d’initiative décisive, à l’exception des moments où l’histoire les a frappés. Si les choses avaient été différentes, la population aurait-elle permis le déroulement de la guerre impérialiste ? La guerre s’approchait de chacun, comme deux trains lancés face à face sur les mêmes rails. Mais les gens sont demeurés silencieux, ont regardé, attendu, ont continué leur vie quotidienne, conservatrice. Les terribles bouleversements de la guerre impérialiste étaient nécessaires pour que les consciences changent, ainsi que la vie sociale. Les travailleurs de Russie ont renversé les Romanov et la bourgeoisie, et ont pris le pouvoir. En Allemagne, les travailleurs se sont débarrassés des Hohenzollern, mais se sont arrêtés à mi-chemin… La guerre était nécessaire pour que ces changements aient lieu, la guerre, avec ces dizaines de millions de morts, de blessés, de mutilés… Quelle preuve flagrante de la lenteur et du caractère conservateur de la pensée humaine, qui s’accroche obstinément au passé, à tout ce qui lui est connu, familier, ancestral – jusqu’à l’apparition du prochain fléau. »

Nous voyons déjà maintenant les premières étapes de ce processus. En Iran, la colère révolutionnaire est partout. Un tweet montre toute l’exaspération des Iraniens : « Mon grand-oncle est mort il y a deux jours à cause du coronavirus. Depuis ses 7 ans, à la mort de son père, jusqu’à ses 77 ans, il a travaillé. Au moment de la crise qui s’est répandu depuis Qom, il n’a pas pu rester chez lui, car il a dû choisir entre le pain et sa vie. C’est la plus amère de mes pensées. »

Oui, c’est une pensée très amère, semblable à celles qui traversent l’esprit de millions d’autres personnes. Des milliers meurent pour rien, si ce n’est pour l’avidité et l’incompétence de la classe dirigeante. La peur du virus est la seule chose qui retienne encore le mouvement. Mais cela ne fait que le différer. Une fois la poussière retombée, les masses se mettront de nouveau en mouvement.

En Equateur, Lenin Moreno a introduit un paquet de mesures d’austérité pour combattre la crise. Cela mènera à de nouveaux soulèvements, quelques mois seulement après le presque renversement du gouvernement par un mouvement de masse. A travers la péninsule arabe, la Révolution Arabe n’a été stoppée que par une augmentation des dépenses sociales. Mais avec la chute des prix du pétrole, ceci n’est pas tenable, et l’austérité sera de nouveau à l’ordre du jour. En Chine, les experts ont indiqué qu’une croissance du PIB de 6 % par an était nécessaire pour empêcher des troubles sociaux. Ces chiffres appartiennent désormais au passé.

En Italie, un état d’esprit similaire se développe. En particulier parmi ceux qui sont sur le front – les docteurs, les infirmières et les autres travailleurs de la santé qui sont surmenés et qui doivent pallier le manque de ressources allouées par les autorités. Pour l’instant, ils ne peuvent pas bouger à cause du fardeau qui pèse sur leurs épaules. Mais ils n’oublieront pas ce qu’ils ont vu. Dès qu’elles pourront souffler, ces couches passeront à l’offensive.

Les pays capitalistes avancés ne seront pas épargnés. Les masses entrent en crise, non pas après une période de croissance ou de prospérité, mais après plus de 10 ans d’austérité et d’attaques suite à la crise de 2008. La confiance dans les autorités et l’establishment est déjà au plus bas. Les phénomènes d’accumulation de provisions et de désobéissance aux mesures de sécurité dans certaines zones en sont des preuves. Par-dessus tout, au lieu de revenir à des niveaux de vie antérieurs à ceux de 2008, les masses seront frappées par un chômage et une pauvreté encore jamais vus après-guerre. Cela les poussera sur le chemin de la lutte.

Au cours de cette bataille, la classe des travailleurs se transformera, et avec elle, sa direction et ses organisations. Dans ce processus, de nombreuses opportunités s’offriront aux marxistes pour gagner une nouvelle audience à leurs idées, en premier lieu parmi les couches avancées, et ensuite, parmi la masse des travailleurs. Nos idées sont les seules à pouvoir expliquer les événements qui ont lieu actuellement.

A chaque niveau, le désastre auquel nous faisons face est un produit du système capitaliste, de la destruction de l’environnement (menant à une augmentation des épidémies) à l’industrie pharmaceutique pourrie (qui n’investit dans de nouveaux médicaments que s’ils peuvent apporter du profit), aux systèmes de santé qui ont tellement été soumis à des années d’austérité, de privatisations et de sous-traitance qu’ils ne peuvent plus encaisser des changements brusques. En outre, la classe dirigeante – et ses laquais – s’est montrée totalement incapable de construire des défenses contre la maladie. A chaque étape, leurs hésitations à sacrifier le moindre de leurs profits ont permis à l’épidémie de s’étendre. Sous prétexte de répondre à la pandémie, ils vont essayer d’en faire payer les coûts (et ceux de la crise financière) aux travailleurs.

L’environnement est dans un état pitoyable, avec un nombre sans précédent d’inondations et de sécheresses, ainsi que des nuages de criquets qui menacent l’habitat de dizaines de millions d’êtres humains. Les guerres et guerres civiles ravagent l’Afrique et le Moyen-Orient. Les unes après les autres, des catastrophes frappent notre planète. Il ne s’agit pas d’une renaissance, mais de la mort d’un système qui est devenu une entrave pour l’humanité. Le choix entre socialisme et barbarie ne saurait être plus clair. Le capitalisme, c’est l’horreur sans fin. Mais au milieu de cette horreur, ce système nourrit son propre fossoyeur : les travailleurs, qui entraîneront dans leur sillage les pauvres et les opprimés. Une fois en mouvement, aucune force sur la planète ne pourra les arrêter.

13 mars 2020

Du 23 au 30 juillet, des marxistes venus du monde entier ont assisté à l’école mondiale de la Tendance Marxiste Internationale, dans le nord de l’Italie. Les participants venaient d’aussi loin que le Pakistan, le Canada, le Mexique, le Brésil, le Venezuela et l’Afrique du Sud. Pour l’Europe, des camarades de Grande-Bretagne, d’Italie, de France, d’Espagne, d’Allemagne, de Suisse, de Suède et de Yougoslavie, entre autres, étaient présents. Au total, environ 400 camarades à travers le monde ont pris part à cet évènement exaltant.

Le thème de la semaine était la commémoration du centenaire de l’Internationale Communiste, ou IIIe Internationale, fondée en 1919. Le Comintern avait été lancé par Lénine et les bolcheviks à la suite de la révolution russe et de la vague révolutionnaire qui avait déferlé sur l’Europe après la Première Guerre mondiale. Elle avait été établie en conséquence de la dégénération réformiste et chauvine de la IIe Internationale, dont les dirigeants avaient permis la « Grande Guerre » en apportant leur soutien à la classe dirigeante impérialiste de leur propre pays.

Après la mort de Lénine, la IIIe Internationale a elle aussi dégénéré, dans les mains de Zinoviev et Staline. Néanmoins, les débats des cinq premières années l’IC fournissent des leçons vitales pour ceux qui, de nos jours, cherchent à renverser le capitalisme. Les succès du Comintern aussi bien que ses erreurs ont été bien compris par tous les camarades le long de la semaine.

Il y a eu d’intéressantes commissions portant sur un grand nombre de sujets, au cours de la semaine. La plupart d’entre eux étaient liés au thème du Comintern, avec des discussions sur les positions théoriques, politiques et tactiques adoptées à l’échelle internationale par les communistes. Elles ont conduit à des discussions et des débats extrêmement captivants sur la question nationale et les révolutions coloniales, le livre de Lénine sur le gauchisme et la tactique du front uni, l’IC et la libération des femmes, et les leçons de la dégénération zinoviéviste et stalinienne du Comintern.

« Une discussion particulièrement d’actualité, a fait remarquer Aaron des marxistes de l’université de Warwick, était celle sur le marxisme et la question nationale et les révolutions coloniales. C’est particulièrement pertinent quand on regarde l’état des pays anciennement colonisés, continua Aaron, qui souffrent toujours du legs de l’impérialisme occidental et de la façon arbitraire dont leurs frontières ont été tracées, ainsi que du fait que leur exploitation économique par les pays capitalistes avancés continue. »

Perspectives pour la révolution mondiale

Ecole TMI 2019 Alan WoodsL’école mondiale s’est ouverte, comme toujours, avec les contributions de camarades du monde entier à propos des perspectives pour une révolution internationale. Les camarades ont rendu compte des évènements tumultueux ayant lieu dans leurs pays respectifs, démontrant l’analyse marxiste des mouvements de masse des travailleurs et de la jeunesse qui éclatent partout dans le monde.

Alan Woods a introduit la discussion, rendant clair pour tout le monde que 2019 allait être une année particulièrement difficile pour le capitalisme mondial. Un des traits les plus remarquables à travers la planète, a souligné Alan, est la façon dont la classe dirigeante a perdu le contrôle de la situation politique en faveur de démagogues peu fiables, dans des pays comme la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Brésil, avec Boris Johnson, Trump et Bolsonaro. Cela a généré une profonde crise politique pour la classe dirigeante, avec des divisions émergeant au sommet – une caractéristique qui est fréquemment annonciatrice d’une révolution.

D’un autre côté, a remarqué Alan, la crise du capitalisme signifie que les réformes accordées par le passé ne peuvent plus être concédées par la classe capitaliste. La crise du capitalisme est par conséquent une crise du réformisme également. C’est pour cette raison que la classe ouvrière se tournera de manière croissante vers la route de la révolution.

Des évènements tels que les grèves étudiantes massives et militantes contre le réchauffement climatique, conclut Alan dans sa réponse, sont un indice de la direction que prennent les évènements, à mesure qu’une nouvelle génération se lève pour exiger un changement fondamental de système. Le capitalisme détruit véritablement la planète et menace la survie même de la vie sur terre. La seule solution est une révolution socialiste.

 

La grande trahison

L’école mondiale de la TMI a aussi été le lieu du lancement du nouveau livre d’Alan Woods : Spain’s Revolution Against Franco – The Great Betrayal (La Révolution espagnole contre Franco – la grande trahison). Le renversement de Franco en Espagne dans les années 1970 est un évènement dont on discute rarement dans la plupart des cercles politiques – précisément parce qu’il s’agissait en réalité d’un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière.

La trahison par les dirigeants réformistes et staliniens, dans ce qui est désormais désigné comme la « transition » espagnole, a néanmoins ouvert la voie à la restauration de la monarchie et la perpétuation du régime réactionnaire franquiste au sommet de la classe dirigeante espagnole.

Lors de l’école mondiale, il y a eu beaucoup d’enthousiasme pour cet incroyable nouveau livre, qui fournit non seulement un récit de première main de ces évènements révolutionnaires, mais aussi une analyse en profondeur des leçons pour les marxistes et les révolutionnaires d’aujourd’hui. En conséquence, les cent exemplaires disponibles ont été rapidement vendus. Mais pas d’inquiétude, les lecteurs peuvent s’en procurer un exemplaire en ligne chez Wellred Books !

 

La crise en Europe

Parmi toutes ces discussions passionnantes, il y avait également de nombreuses commissions couvrant des sujets relatifs à la théorie marxiste, l’histoire et les évènements actuels. Elles comprenaient des présentations sur l’économie et la philosophie marxistes et la conception marxiste de l’histoire, aussi bien que des discussions sur l’actualité, à propos des crises politique et économique qui submergent l’Europe et le Royaume-Uni.

Dora, des marxistes de l’université de Londres, a fait ce compte-rendu de la commission à propos de la crise de l’Union Européenne :

« Lors de cette commission, nous avons parlé de la dynamique économique du processus de l’intégration en Europe. Le projet initial, tel que le voyait la classe dirigeante française – celui d’une union qu’ils domineraient politiquement, où l’Allemagne ferait office de locomotive économique – a fondu face à la puissance de l’impérialisme allemand. Sous le capitalisme et au sein de l’UE, on ne peut parler de liberté et démocratie tant que le capital règne en maître.

Nous avons également parlé de la division au sein de la gauche sur la question de l’UE, qui s’exprime peut-être le plus vivement en Grande-Bretagne. Plusieurs contributions ont souligné que le Brexit exprime fondamentalement une scission au sein de la classe dirigeante, et qu’en tant que marxistes nous ne devrions pas subordonner notre politique à une aile du patronat ou à l’autre.

Nous devons rejeter l’idée que l’UE est une institution vaguement progressiste, et combattre les illusions parmi ceux qui exigent “[y] rester et réformer”. Néanmoins, nous devons tout autant rejeter la rhétorique pro-Brexit des conservateurs, avec leurs appels chauvins à un retour à la “souveraineté nationale”. Comme l’a déclaré Marx dans le Manifeste, les prolétaires de tous les pays doivent s’unir ! Dans l’UE ou en dehors, notre tâche est de renverser le capitalisme et de lutter pour la transformation socialiste de la société. »

Eleanor, des marxistes de l’université de Norwich, a pour sa part fourni ce compte-rendu de la discussion portant sur la conception marxiste de l’histoire :

« Au cours d’une commission incroyablement riche sur le matérialisme historique, un grand nombre des affirmations mensongères des capitalistes ont été démontées grâce à une analyse scientifique du passé. Par exemple, une des critiques les plus fréquentes qu’on fait au socialisme est qu’il serait contraire à “la nature humaine”, parce que l’égoïsme est soi-disant inhérent aux humains. Cependant, pendant des centaines de milliers d’années, ce n’était pas le cas. Il n’y avait pas de propriété privée, en dehors de quelques possessions personnelles. Comme l’écrivait Engels, ce n’est qu’avec l’apparition de l’agriculture, environ 12 000 ans avant notre ère – avec la production d’un surplus pour la première fois – que les classes ont émergé dans la société, autour de la question du contrôle de ce surplus.

Pour l’essentiel de l’histoire humaine, par conséquent, ce n’était pas dans notre “nature” d’être cupides et d’amasser de la propriété, mais de vivre dans des sociétés nomades et communistes. En résumé, la nature humaine est façonnée par nos conditions matérielles. Et à mesure que les conditions matérielles changent, la nature humaine fait de même. Par conséquent, il est logique que la soi-disant “nature humaine” peut et va changer dans le futur sous le socialisme. Le manque disparaissant, la compétition et l’avidité disparaîtront aussi.

Nous avons aussi discuté de la façon dont toutes les oppressions ont commencé avec le développement de la propriété privée. La société s’est divisée entre les exploités et les exploiteurs, entre les producteurs du surplus et ceux qui le possédaient. La lutte entre ces nouvelles classes signifiait que la classe dirigeante avait besoin de renforcer sa position en oppressant les travailleurs. En quelques centaines d’années, cela conduisit à la création de l’état, qui se réduit à des détachements d’hommes armés pour maintenir la loi et l’ordre, défendre la propriété privée, et faire en sorte que les classes exploitées restent à leur place. Comme le dit une citation célèbre de Marx, “L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.” Puisque les oppressions sont nées avec la société de classes, la seule façon d’en venir à bout définitivement est de renverser la société de classes. »

Une collecte record qui témoigne de la confiance dans les idées du marxisme !

En plus des nombreuses discussions politiques captivantes qui se sont tenues, il y a également eu un appel à la levée de fonds extrêmement réussi pour le fonds de lutte de la TMI. Cet argent est vital pour aider à maintenir le site In Defence of Marxism et l’enrichir, mais aussi pour tisser des liens entre les marxistes du monde entier : des Amériques à l’Asie, de l’Asie à l’Afrique.

La collecte de cette année a permis d’atteindre un montant record, la somme époustouflante de 135 000 euros. C’est un indice net de l’enthousiasme et de l’état d’esprit optimiste répandu internationalement parmi les marxistes.

Cet optimisme a également été tangible le tout dernier jour de l’école, lorsque les camarades ont parlé du travail qu’ils accomplissaient pour construire les forces du marxisme dans chaque pays. La vue d’ensemble ne laisse pas de doutes : les marxistes grandissent en nombre – aussi bien qu’en qualité – partout dans le monde.

Suivant la tradition, au cours de la dernière soirée de l’école, les camarades ont chanté à tour de rôle des chansons révolutionnaires de leurs pays respectifs. La passion déployée a clôturé de façon appropriée cette semaine incroyable.

Il ne fait aucun doute que les rassemblements internationaux annuels des capitalistes à Davos et ailleurs, ces jours-ci, sont affligés d’un état d’esprit pessimiste. Les marxistes contrastent en étant pleins d’espoir et d’enthousiasme, confiants dans la force de nos idées et dans la possibilité de voir le socialisme de notre vivant.

Ecole TMI 2019 1

Il y a 10 ans, l’économie mondiale entrait en récession après la faillite de Lehman Brothers, une des plus vieilles et plus grandes banques du monde. L’ensemble du système bancaire international fut touché. Aujourd’hui encore, nous en payons le prix : les politiciens du monde entier se sont empressés de renflouer les banques – avec de l’argent public – à coup de centaines de milliards, tout en conduisant une sévère politique d’austérité. Pour quel résultat ?

Crise de surproduction

Malgré les coupes drastiques dans les conditions de vie, les dettes atteignent des records, en particulier les dettes des Etats (qui ne pourront pas être payées, quoiqu’en disent les politiciens). Le patronat est passé à l’offensive sur les salaires et les conditions de travail, pour défendre ses profits. L’investissement et la productivité stagnent. La croissance s’élève à peine au-dessus de la stagnation, car les plans d’austérité ont miné la demande.

La plupart des économistes bourgeois n’ont toujours pas compris les causes fondamentales de la crise de 2008. Même Alan Greenspan, ancien dirigeant de la Réserve Fédérale américaine, a dû admettre qu’il n’avait « toujours pas compris pourquoi c’était arrivé ».

La crise de 2008 fut, fondamentalement, une crise de surproduction (conformément aux analyses de Marx). Le système capitalisme a atteint ses limites. Ses capacités productives ont dépassé les limites du marché, qui ne peut plus absorber les marchandises produites. Pendant toute une période, les capitalistes ont eu massivement recours au crédit pour étendre artificiellement les limites du marché. Mais ce faisant, ils ont seulement préparé une crise encore plus sévère.

La soi-disant « reprise » de ces dernières années est la plus faible de l’histoire. En France, la croissance n’a progressé que de 0,8 % sur les trois premiers trimestres 2018. En réalité, la « reprise » économique est déjà épuisée. Une nouvelle récession se prépare.

Certes, les places boursières n’ont jamais connu un tel succès depuis l’après-guerre. Mais elles ne reflètent pas l’économie réelle. C’était déjà le cas avant le krach de 2008. L’actuelle envolée des Bourses est le résultat d’une spéculation énorme sur « l’argent à bas prix » que les Banques Centrales prêtent aux banques privées – à des taux d’intérêt proches de 0 %.

Montagnes de dettes

La croissance mondiale est menacée sur plusieurs fronts. Par exemple, la dette colossale de l’Italie (131 % du PIB) et les actifs pourris que détiennent ses banques privées pourraient précipiter une crise de l’ensemble du système bancaire européen. Au Royaume-Uni, en Espagne et en France, le volume total de la dette (publique et privée) s’élève à plus de 300 % du PIB. C’est insoutenable.

Au niveau mondial, la bulle spéculative qui a éclaté en 2008 a été regonflée. La dette mondiale s’élève désormais à plus 237 000 milliards de dollars, soit plus de 330 % du PIB. Autrement dit, aucun des problèmes structurels n’a été réglé.

D’ores et déjà, la crise qui frappe la Turquie et l’Argentine a des répercussions sur les marchés « émergents », ce qui terrifie les classes dirigeantes.

Menaces protectionnistes

Enfin, les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine (entre autres) pourraient se développer en une guerre commerciale aux effets dévastateurs. On voit apparaître des mesures protectionnistes, par exemple des augmentations des tarifs douaniers de l’ordre de 25 % sur un certain nombre de marchandises, notamment l’acier et l’aluminium. Cela pourrait plonger l’économie dans une dépression, comme ce fut le cas après la crise de 1929.

Une nouvelle récession mondiale est inévitable, même si l’on ne peut prévoir quand elle interviendra. Nous avons souligné quelques facteurs susceptibles de la précipiter. Les mesures d’austérité et les contre-réformes actuelles ne sont rien comparées à ce qui nous attend. Bricoler ce système en faillite n’y changera rien. Il doit être renversé.