Pérou

Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées le 19 janvier à Lima, la capitale du Pérou, pour tenter de renverser la présidente Dina Boluarte. Celle-ci est arrivée au pouvoir lors du coup d’Etat qui, le 7 décembre, a destitué et incarcéré le président démocratiquement élu, Pedro Castillo. Malgré les barrages routiers de la police et l’état d’urgence proclamé par le gouvernement, des colonnes de manifestants ont déferlé sur la capitale, tandis que des manifestations se déroulaient dans de nombreuses autres villes du pays.

Répression sanglante

Au Pérou, le mouvement des masses en est arrivé au stade que redoute toute classe dirigeante : la répression ne fait plus reculer le peuple. Près de 50 personnes ont déjà été tuées par la police et l’armée, sans que la lutte ne reflue.

Un épisode symptomatique de ce processus s’est produit le 18 janvier à Macusani, dans la province de Carabaya. Après une manifestation contre le régime, des policiers embusqués ont ouvert le feu sur les membres d’un collectif de paysans qui se préparaient à retourner dans leurs villages. Sonia Aguilar, une militante paysanne de 35 ans, est morte sur le coup. Un autre militant, Salomón Valenzuela Chua, est mort de ses blessures le lendemain.

Loin d’effrayer les masses, cette attaque a attisé leur colère. Des manifestants ont résisté avec des lance-pierres contre les fusils d’assaut des policiers. Malgré cette inégalité de moyens, les manifestations ont chassé la police de la ville, puis ont incendié son tribunal et son commissariat.

A Lima, les manifestants venus de la province, le 19 janvier, ont pu compter sur l’accueil des travailleurs et des étudiants de la capitale, qui ont manifesté en très grand nombre. La manifestation s’est ébranlée le matin pour marcher vers le Congrès (l’Assemblée nationale) et le Palais présidentiel.

Le gouvernement avait mobilisé 12 000 policiers et des blindés. La police s’est livrée à une véritable orgie de violences contre les manifestants. L’une des grenades lacrymogènes a même déclenché un incendie dans le centre-ville.

La répression a fait éclater la marche en cinq grands cortèges, mais n’est pas parvenue à disperser les manifestants. Des groupes d’auto-défense équipés de boucliers improvisés ont été organisés par de jeunes manifestants, avec l’aide de soldats réservistes ayant rejoint le mouvement.

En fin de journée, Dina Boluarte a pris la parole lors d’une allocution télévisée. Elle a qualifié les manifestants de « mauvais citoyens » et a proclamé qu’elle n’avait aucune intention de quitter le pouvoir. Elle en a profité pour annoncer l’extension de l’état d’urgence à plusieurs nouvelles régions – ce qui confirmait, au passage, que le mouvement continue de s’étendre à travers le pays.

La classe dirigeante s’inquiète

Malgré la fermeté et la confiance qu’affiche Boluarte, la classe dirigeante péruvienne est inquiète. La répression sanglante n’entame pas la détermination du mouvement, et tous les sondages soulignent le rejet massif du Congrès et de la présidente. Une partie de la classe dirigeante se demande ouvertement s’il ne vaudrait pas mieux que Boluarte se retire pour gagner du temps et tenter de désamorcer la contestation.

Cependant, du point de vue de la bourgeoisie, une telle solution pose un sérieux problème : elle marquerait une victoire du mouvement, qui pourrait l’encourager à aller plus loin. La démission de Boluarte poserait la question d’une Assemblée constituante et de la libération de Castillo : autant de choses qui effrayent la bourgeoisie.

L’oligarchie capitaliste et les multinationales minières redoutent qu’une Assemblée constituante prenne des mesures économiques « radicales ». La nationalisation du gaz et de l’industrie minière était l’une des promesses de campagne de Castillo. Or les mêmes sondages qui signalent le rejet massif de Boluarte soulignent aussi la popularité d’un programme d’extension du secteur public.

Ceci étant dit, face à la puissance du mouvement, la classe dirigeante pourrait quand même tenter de détourner la colère des masses vers la voie plus tranquille du parlementarisme constitutionnel. Une Assemblée constituante pourrait jouer ce rôle si elle était convoquée dans de nombreux mois, conditionnée à un référendum et à d’autres finasseries parlementaires, dans le but de maintenir ce processus sous le contrôle de l’oligarchie.

Lutter jusqu’au bout !

La résilience des masses péruviennes est impressionnante. Elles ont montré qu’elles étaient prêtes à lutter jusqu’au bout. Cependant, rien n’est encore gagné. Pour aller de l’avant, le mouvement doit se doter d’une direction centralisée et démocratique.

Jusqu’ici, le syndicat CGTP et l’Assemblée Nationale du Peuple (ANP) ont donné au mouvement un certain degré de coordination, en lien avec les nombreuses organisations populaires qui existent dans le pays. Une Assemblée Générale révolutionnaire doit être convoquée sur la base de délégués élus et révocables, pour diriger le mouvement et balayer les institutions corrompues de la bourgeoisie.

Qui doit diriger la société ? A cette question, les travailleurs du Pérou doivent répondre en menant la lutte jusqu’au bout, jusqu’à la conquête du pouvoir.

Nous publions ci-dessous un appel à solidarité urgent partagé par nos camarades de la TMI au Pérou.


Le gouvernement illégitime de Dina Boluarte a proclamé l’état d’urgence dans plusieurs régions et a imposé un couvre-feu à Puno pour faire face aux mobilisations contre le coup d’Etat.

Durant les dernières heures, son gouvernement a aussi fait arrêter 14 militants syndicaux et politiques de premier plan, notamment Henry Mena, qui est le secrétaire général du Syndicat CGTP dans la région de San Martin, ainsi que le président et 7 membres dirigeants du Front de Défense Populaire d’Ayacucho. Il tente aussi de présenter le mouvement des masses comme une association criminelle, en répandant des calomnies l’accusant de « terrorisme », de « liens avec les trafiquants de drogue » et d’ « avoir reçu des armes en provenance de Bolivie ».

Depuis le coup d’Etat du 7 décembre contre le président Castillo, la brutale répression des forces de l’Etat a d’ores-et-déjà causé 48 morts, tués par l’armée et la police aux ordres de l’illégitime « présidente » Boluarte.

La principale confédération syndicale du pays, la CGTP, de concert avec de nombreuses autres organisations, a appelé à une grève générale pour le 19 janvier, et des manifestants de tout le pays se rassemblent à Lima, la capitale, pour une nouvelle « marche des 4 suyos », comme celle qui a renversé le dictateur Fujimori en 2000.

Nous appelons les syndicats, les organisations étudiantes et de jeunesse du monde entier à adopter des résolutions, organiser des rassemblements et des meetings pour condamner cette attaque contre les droits démocratiques, exiger la libération immédiate des dirigeants syndicaux et politiques arrêtés, et dénoncer le gouvernement putschiste de Dina Boluarte.

 

Le 7 décembre dernier, l’oligarchie péruvienne obtenait la destitution et l’arrestation du président élu en juillet 2021 : l’ex-syndicaliste enseignant Pedro Castillo. Ce dernier avait pourtant multiplié les concessions à la bourgeoisie, depuis son élection, mais celle-ci ne voulait pas s’en satisfaire : elle exigeait le contrôle direct de la présidence du pays.

En réponse à la destitution de Castillo, les masses péruviennes sont immédiatement descendues dans les rues. Dans toutes les régions pauvres, des manifestations ont réclamé la fermeture du congrès (le parlement) et le départ de celle qui a remplacé Castillo à la tête du Pérou : Dina Boluarte.

A l’heure où nous écrivons ces lignes (fin décembre), le mouvement faiblit mais se poursuit, malgré la répression et les manœuvres parlementaires de la classe dirigeante.

Un régime discrédité

Le 20 décembre, sous la pression de la rue, le congrès a dû rediscuter de l’opportunité d’organiser des élections anticipées. L’idée était de détourner le flot de la colère vers la voie électorale.

Le 7 décembre, lorsque Dina Boluarte a pris le pouvoir, elle a d’abord annoncé qu’elle entendait rester en place jusqu’en 2026, c’est-à-dire jusqu’à la fin du mandat pour lequel Castillo avait été élu. Mais cette position est rapidement devenue intenable.

Ni la répression brutale, qui a déjà fait au moins 30 morts, ni l’état d’urgence et le couvre-feu ne peuvent donner au régime la stabilité dont il a besoin. Une partie de la classe dirigeante péruvienne a compris qu’elle allait devoir réformer son système politique pour tenter de redorer son image et de donner un semblant de légitimité démocratique au nouveau régime. D’où l’idée, avancée par plusieurs parlementaires, d’organiser des élections anticipées dès l’année 2023.

Le 11 décembre, un éditorial du Financial Times – l’organe officieux de l’impérialisme britannique – affirmait qu’il faudrait au Pérou des réformes politiques d’ampleur, y compris une réforme constitutionnelle, pour restaurer la stabilité du capitalisme dans le pays, et donc la protection des intérêts des multinationales minières. Du point de vue des intérêts bien compris des grands capitalistes et de l’impérialisme, c’est la voix de la raison. Mais il semble que les représentants de la bourgeoisie péruvienne, au congrès, soient incapables de l’écouter et d’agir en conséquence. Le 20 décembre, après des heures de discussion, une majorité de parlementaires a voté en faveur d’élections anticipées en… avril 2024 ! Et encore : cette décision devra être confirmée par un amendement constitutionnel qui doit être discuté en février 2023. Ce qui devait être une manœuvre parlementaire visant à dissoudre le mouvement des masses, dans la rue, s’est donc transformé en une mauvaise farce qui ne satisfera personne.

Toutes les institutions de la démocratie bourgeoise péruvienne sont profondément discréditées. D’après un sondage commandé par le journal La República, 83 % des Péruviens veulent des élections anticipées à très court terme, 71 % désapprouvent l’arrivée au pouvoir de Dina Boluarte et 80 % sont insatisfaits du « fonctionnement de la démocratie » péruvienne en général.

Une chose est sûre : lorsque les travailleurs, les paysans et les étudiants qui manifestent aux quatre coins du pays réclament la « fermeture du congrès », ils ne veulent pas dire : « fermez le congrès dans 16 mois pour que nous puissions réélire les mêmes députés qu’avant ». La farce parlementaire du 20 décembre, qui propose des élections pour le mois d’avril 2024, ne pourra pas durablement ramener le calme dans les rues d’Arequipa, d’Ayacucho, d’Apurímac, de La Libertad et d’ailleurs.

Le mouvement doit s’organiser

Sous les coups de la répression, et en l’absence d’une direction dotée d’un programme et d’une stratégie à la hauteur de la situation, le mouvement de protestation s’est affaibli au cours des derniers jours. Mais il n’est pas fini pour autant. Dans certaines régions, les blocages de routes continuent. Les ouvriers de l’industrie gazière de Camisea menacent de prendre « les mesures les plus radicales». Des milliers de personnes marchent sur Cuzco depuis les campagnes. Ni le congrès, ni l’usurpatrice Dina Boluarte n’ont regagné une once de légitimité.

Pour que le mouvement soit victorieux, il doit se donner une forme organisée capable d’unir tous les travailleurs et toutes les organisations participant à la lutte, aussi bien celles qui existaient déjà que celles qui ont émergé depuis le coup d’Etat parlementaire du 7 décembre. Il faut coordonner et unir le mouvement dans une Assemblée nationale révolutionnaire des travailleurs et des paysans, qui pourra donner une direction à la lutte et poser devant les travailleurs la tâche de prendre le pouvoir.

Qu’ils s’en aillent tous ! Les travailleurs doivent gouverner !

Depuis le 7 décembre et la destitution par le congrès du président péruvien, Pedro Castillo, les travailleurs et les paysans se mobilisent en nombre toujours plus grand. Dans certaines régions du pays, cela a pris des proportions insurrectionnelles. Les masses ont clairement perçu qu’il s’agissait d’un coup d’Etat, derrière lequel se trouvait la main de l’oligarchie capitaliste et de l’impérialisme américain. Nous publions ci-dessous le texte d’un tract qui est diffusé en ce moment même par nos camarades de la Tendance Marxiste Internationale (TMI) au Pérou.


Chaque heure et chaque jour écoulé voit grandir la résistance au coup d’Etat de l’oligarchie et du congrès, à travers tout le Pérou. Les régions les plus appauvries du nord au sud se sont insurgées contre les putschistes, contre le parlement, pour réclamer de nouvelles élections.

L’oligarchie, l’Organisation des Etats Américains (OEA) et la droite parlementaire se sont trompées dans leurs calculs. Elles pensaient que le comportement de Pedro Castillo avait démoralisé sa base de soutien au point qu’elles pourraient le renverser sans risques. Au lieu de cela, elles doivent faire face à une mobilisation d’ampleur nationale, qui trouve son point culminant dans certaines zones, comme à Andahuaylas dans la région d’Apurímac. La population a déclenché une grève générale et s’y est proclamée en état d’insurrection.

Dans la capitale, Lima, les mobilisations n’ont pas encore atteint les proportions qu’elles avaient prises lors du renversement de Vizcarra en 2020. C’est compréhensible. Les masses de petits-bourgeois qui avaient alors pris part au mouvement, ne sont pas encore entrées dans la lutte aujourd’hui. Les étudiants et les habitants des quartiers ouvriers des faubourgs de la capitale se sont néanmoins mobilisés – même s’ils manquent pour l’instant d’organisation et de force. Cela peut changer. L’arrivée des cortèges de la province pour la mobilisation nationale du 15 décembre peut secouer les masses de Lima et les tirer de leur passivité.

Pour l’instant, neuf régions ont rejoint la lutte. A Apurímac, les organisations sociales ont déclaré une « insurrection populaire ». Dans la province d’Andahuaylas, l’insurrection a été confrontée à la répression et a répliqué en prenant des policiers en otage.

Le 10 décembre, une assemblée nationale extraordinaire des Fronts de défense et des Organisations sociales du Pérou, forte de près de 200 délégués, a approuvé les revendications suivantes : la libération de Castillo, la fermeture du congrès et la convocation d’une assemblée constituante. Elle a aussi appelé à une grève nationale le 15 décembre.

L’assemblée de la Fédération des Etudiants du Pérou a accepté d’appeler à une grève étudiante et à des manifestations étudiantes le même jour. Le syndicat enseignant FENATEPERU a lancé un appel identique. A Junin, un Comité régional unitaire de lutte a appelé à des mobilisations de masse à partir du lundi 12 décembre. Le Front Rural et Agraire du Pérou a appelé à une grève illimitée à partir du 13 décembre et a lancé un appel à rejoindre les mobilisations du 15 décembre.

Le peuple répond à ces appels et la journée du 15 décembre devrait être un point de convergence pour les luttes des masses. La lutte ne fait que commencer.

Les mots d’ordre

Jusqu’à présent, les mobilisations se sont concentrées sur la revendication de la fermeture du congrès corrompu et comploteur, sur la destitution de l’illégitime nouvelle présidente, sur la libération de Castillo, sur de nouvelles élections et la convocation d’une assemblée constituante.

Ces slogans sont corrects. Ils représentent un coup porté au putsch et aux institutions contrôlées par l’oligarchie péruvienne : le congrès et la constitution fujimoriste [mise en place sous la dictature de Fujimori]. Le point le plus important est que ces revendications posent la question du pouvoir ainsi que la nécessité de mettre en place de nouvelles institutions pour les mener à bien. Comment pourrait-on faire confiance aux institutions bourgeoises actuelles pour chasser les putschistes ? Qui peut donc accomplir ces tâches ?

Les seuls capables de mettre ces mots d’ordre en pratique sont les travailleurs, organisés dans une assemblée nationale unitaire représentant toutes les forces de la lutte.

La question qui doit être posée est : « qui dirige le pays ? » Est-ce que ce sera la volonté démocratique de la majorité du peuple ? Ou la confédération patronale CONFIEP, l’ambassade des Etats-Unis et les multinationales minières ?

Nous tenons à prévenir le mouvement : même une nouvelle constitution ne réglera pas les problèmes des ouvriers et des paysans, tant que le pouvoir économique restera entre les mains d’une poignée d’oligarques capitalistes. L’Equateur et la Bolivie se sont ainsi récemment tous deux dotés de nouvelles constitutions, mais le pouvoir de la classe dirigeante est resté intact.

Une assemblée révolutionnaire nationale de représentants élus doit prendre la tête de cette lutte. Pour vaincre, le mouvement doit affaiblir ses principaux ennemis : l’oligarchie capitaliste péruvienne et l’impérialisme américain. Ce sont eux qui tiennent les députés sous leur contrôle, ce sont eux qui financent les mensonges des médias, ce sont eux qui paient des voyous pour assassiner des dirigeants paysans.

Pour frapper l’oligarchie et l’impérialisme, il faut leur arracher le contrôle de leurs outils économiques. Il ne s’agit que d’une petite minorité, dépendante de son argent et de sa puissance économique (les usines, les banques, les mines, la terre, les médias, etc). Si tout cela lui est arraché, si les travailleurs prennent le contrôle de ces entreprises, des banques et des institutions médiatiques, le pouvoir de la classe dirigeante sera brisé.

Une assemblée générale représentant tous ceux qui participent à la lutte peut et doit organiser un nouveau pouvoir. En renversant les institutions en place, la classe ouvrière organisée pourra mener à bien l’adoption d’une nouvelle constitution qui reflète les aspirations des masses ouvrières et paysannes.

Un appel aux forces des ouvriers et des paysans révolutionnaires

L’unité d’action la plus large est nécessaire pour abattre l’oligarchie détestée et le congrès corrompu et usurpateur. Ce 15 décembre doit marquer le début d’une offensive des travailleurs, des paysans et de la jeunesse. Dans le sillage de la grève générale et des barrages routiers, il faut convoquer une assemblée révolutionnaire pour permettre au mouvement de continuer à avancer.

Nous devons continuer à étendre la lutte dans tous les recoins du pays. Dans les régions où l’organisation populaire est puissante, il faut prendre le contrôle des médias pour tenir la communauté informée des événements, désarmer la police pour enrayer la répression et lancer un appel aux soldats du rang pour qu’ils rejoignent la lutte.

Le 15 décembre doit être suivi de nouveaux jours de lutte, avec la fermeture des banques et des grandes entreprises, et l’occupation des routes et des centres commerciaux. La lutte doit s’intensifier. Si nous sommes organisés et déterminés, nous pourrons repousser la répression.

Pas un pas en arrière tant que nous n’aurons pas renversé le congrès corrompu, les putschistes et l’oligarchie capitaliste réactionnaire.

  • Construisons des comités de lutte et des Assemblées populaires !
  • Que les travailleurs décident et pas l’oligarchie !
  • Dispersons le congrès bourgeois et parasitaire !
  • Chassons les putschistes !
  • Liberté pour Castillo ! Des élections maintenant !
  • Pour une Assemblée Nationale Révolutionnaire des ouvriers et des paysans !
  • Exproprions l’oligarchie capitaliste et les multinationales !

La crise politique au Pérou s’est brutalement accélérée ces dernières heures. Le Président Castillo a décrété la suspension du Parlement, avant d’être arrêté par la police. Le parlement a voté sa destitution et a proclamé la vice-présidente nouvelle présidente du pays.

Que signifient ces événements ?

Pour le comprendre, nous devons laisser de côté les aspects constitutionnels et nous concentrer sur le cœur de ce qui vient de se produire : la CONFIEP (la confédération patronale), l’armée, la police, les médias capitalistes, l’ambassade américaine et les multinationales du secteur minier ont, via leurs agents au parlement, destitué le président Castillo du poste auquel il avait été démocratiquement élu par le peuple. Il s’agit par conséquent d’un coup d’Etat réactionnaire.

Castillo, un dirigeant syndical enseignant disposant de fortes bases dans les zones rurales, a été élu en juillet 2021, défiant tous les pronostics. C’était l’expression de la colère des masses exploitées du Pérou, des paysans pauvres, des ouvriers et des populations indigènes. Toutes les couches opprimées de la société espéraient un changement fondamental dans l’équilibre de la société, ce qu’ils ont exprimé par la revendication d’une assemblée constituante. Ils se sont ralliés au slogan de Castillo : « il ne devrait pas y avoir de pauvres dans un pays riche ». Les capitalistes qui possèdent le pays ne pouvaient pas accepter une telle situation.

Castillo, et le parti qu’il représentait – Peru Libre, avaient deux sérieuses faiblesses.

La première tenait à leur programme politique de réformes sociales sans rupture avec le capitalisme. Cette approche était purement utopique et toute tentative de l’appliquer ne pouvait avoir que deux issues : soit les réformes étaient appliquées en rompant avec le capitalisme, soit le capitalisme était préservé et les réformes étaient abandonnées.

La seconde tenait au fait que l’arithmétique parlementaire était défavorable à Castillo. La volonté démocratique des masses ne pouvait donc s’exercer que par une pression directe dans les rues. Mais jamais Castillo ou Peru Libre n’ont sérieusement appelé à une telle mobilisation, sans même parler de l’organiser.

A partir du moment où Castillo s’est résigné à n’agir que dans le cadre étroit des institutions bourgeoises, il a du faire des concessions de plus en plus importantes aux « pouvoirs en place » capitalistes. Il a renvoyé des ministres qui déplaisaient aux multinationales minières. Il a renvoyé le Chancelier contre lequel l’armée avait protesté. Il a remplacé tous ceux que n’aimait pas la confédération patronale. C’était une erreur fatale, parce ces concessions n’étaient pas suffisantes pour satisfaire l’oligarchie, qui en réclamait toujours davantage, tandis que chaque pas dans cette direction sapait la base populaire de Castillo.

Une alternative était-elle possible ? Oui. Il aurait été possible d’appeler les masses à descendre dans les rues, de dissoudre le parlement et de convoquer une assemblée révolutionnaire nationale, et de combiner ces actions avec des coups portés à la puissance économique et politique de l’oligarchie capitaliste (nationalisation du gaz, annulation des accords miniers, etc). Cette stratégie risquée aurait-elle pu échouer ? Bien sûr. Il n’y a pas de garantie de victoire dans la lutte des classes. Mais la politique de conciliation de classe, elle, ne peut mener qu’à la défaite.

Des erreurs ont aussi été commises par le parti Peru Libre (qui avait rompu avec Castillo) et son dirigeant Cerron. Au parlement, ils ont flirté avec les députés Fujimoristes (les députés de droite partisans de l’ancien dictateur Fujimori) par pure hostilité envers Castillo. AU lieu de ces manœuvres parlementaires sans principe, Peru Libre aurait dû chercher à bâtir une base de soutien parmi les masses pour exercer une pression sur la gauche de Castillo et, au cas où il y ait résisté, se préparer à le renverser.

Il y a environ un mois, Castillo avait épuisé presque tout son capital politique et ne jouissait plus que de la sympathie des couches les plus opprimées de la population, mais sans aucune organisation ni mobilisation de masse. Privé de tout soutien parlementaire, Castillo fit alors appel… à l’Organisation des Etats Américains (OEA) ! C’était déjà l’erreur commise par Evo Morales il y a quelques années en Bolivie, et elle a mené au même résultat : le renversement d’Evo ! Il semble qu’aucune leçon n’ait été retenue.

Et finalement, dans un dernier geste de désespoir, pour éviter d’être destitué par le parlement, il a tenté de dissoudre le parlement. Mais plutôt que de s’appuyer sur les masses, il semblait espérer le soutien… de l’armée !

La classe dirigeante a immédiatement réagi comme la machine bien huilée qu’elle est, et a appliqué un plan préparé d’avance. Castillo a été arrêté. Un arrangement politique est conclu entre les Fujimoristes, la droite traditionnelle et la « gauche caviar ». La destitution a été approuvée par le parlement, avec l’appui de la majorité des députés de Peru Libre et du « bloc des instituteurs », les partisans de Castillo. La vice-présidente de Castillo a été nommée présidente avec le soutien de la majorité du parlement et a appelé à un gouvernement d’« unité nationale », c’est-à-dire à un gouvernement d’unité de tous les partis contre les aspirations des travailleurs. L’OEA et les Etats-Unis ont immédiatement reconnu le nouveau gouvernement non élu. Le coup d’Etat est accompli.

Il reste à voir quelle sera la réaction des masses dans les prochaines heures. Il faut s’attendre à ce qu’elles sortent dans les rues, en particulier en dehors de la capitale Lima, dans le sud du pays et les provinces rurales. On ne peut prévoir quelles seront la force et la détermination de cette réaction populaire. Castillo a certes sapé sa propre base de soutien, mais la haine de l’oligarchie reste néanmoins profonde.

A l’étranger, il nous faut organiser la condamnation internationale du coup d’Etat, et aider à tirer les conclusions politiques nécessaires pour le Pérou et l’Amérique latine. Car même si le nouveau régime devait se consolider (et cela n’est pas du tout certain), la lutte n’est pas terminée.

La victoire de Pedro Castillo aux élections présidentielles péruviennes a fait l’effet d’un véritable séisme politique, reflétant ainsi l’énorme polarisation sociale du pays. La classe dirigeante a subi une défaite massive, infligée par les masses réunies autour d’un syndicaliste enseignant à la tête d’un parti, Peru libre, qui se définit lui-même comme marxiste, léniniste et mariatéguiste (en référence à Mariátegui, le fondateur du Parti socialiste péruvien).

Le décompte des votes a été un processus long et douloureux, et les résultats définitifs n’ont pas été clairs avant la toute fin, soit trois jours après la clôture des urnes le 6 juin. Au moment de l’écriture de cet article, 99,795 % des votes ont été décomptés ; Pedro Castillo totalise 8 735 448 votes (50,206 %), ce qui lui donne un léger – mais décisif – avantage sur sa rivale, la populiste de droite Keiko Fujimori, qui cumule 8 663 684 votes (49,794 %).

Cependant, les résultats officiels n’ont pas encore été proclamés, et le camp de Fujimori dénonce une prétendue fraude et fait appel par des dizaines de procédures. Les masses sont prêtes à défendre leur vote dans la rue. On signale environ 20 000 ronderos (les membres des milices paysannes d’autodéfense créées durant la guerre civile des années 1990 et dont Castillo fait partie) se dirigeant vers la capitale pour défendre la volonté populaire. Une manifestation massive a été organisée le 9 juin à Lima, où la population s’est rassemblée trois nuits d’affilée devant les bureaux de campagne de Castillo.

C’est la fragmentation extrême du vote au premier tour qui a permis à Castillo de se maintenir au second tour avec moins de 19 % des voix. Cependant, son succès électoral n’est pas dû à la chance. Il s’agit d’une expression de la crise profonde du régime péruvien. Des décennies de politiques anti-ouvrières de privatisation et de libéralisation, dans un pays extrêmement riche en ressources minières, ont laissé derrière elles une démocratie bourgeoise reposant sur une grande inégalité de richesses et sur une corruption omniprésente.

Aujourd’hui, les cinq derniers présidents sont soit en prison, soit poursuivis pour corruption. Toutes les institutions de la démocratie bourgeoise sont terriblement discréditées ; les grandes manifestations de novembre 2020 étaient une expression de la colère profonde accumulée dans la société péruvienne.

A cela s’ajoutent l’impact du COVID-19 et la crise du capitalisme. Le pays a subi l’une des plus fortes récessions économiques de l’Amérique du Sud, à 11 %, et a enregistré le taux de mortalité le plus élevé au monde, alors que les riches et les politiciens se faisaient vacciner en priorité.

Un vote pour un changement radical

La masse des travailleurs et des paysans veut un changement radical, et c’est exactement ce que Pedro Castillo représente à leurs yeux. Sa campagne défendait deux réformes centrales : la renégociation des contrats avec les multinationales minières (et leur nationalisation, si elles venaient à refuser), et la mise en place d’une Assemblée constituante pour sortir de la constitution de 1993, écrite durant la dictature de Fujimori (le père de Keiko Fujimori).

Ses slogans de campagne, tels que « plus jamais de pauvres dans un pays riche », et « la parole du professeur », ont résonné avec les travailleurs, les couches les plus opprimées de la population, les paysans et les communautés indigènes quechua et aymara, bien loin des quartiers riches et blancs de Lima.

L’autorité de Castillo vient de son combat contre la bureaucratie syndicale pour diriger la grève des instituteurs en 2017. Pour les travailleurs et les paysans, il est l’un des leurs, un simple instituteur de la campagne qui a promis de vivre avec son salaire d’enseignant une fois élu président. Ce qui le rend attrayant, c’est précisément d’être un candidat de gauche, qui ne fait pas partie de la classe politique et s’oppose à elle. Sa popularité révèle le profond discrédit de la démocratie bourgeoise et de tous les partis politiques.

Bien que Keiko Fujimori n’était pas sa candidate favorite, l’ensemble de la classe dirigeante péruvienne a serré les rangs derrière elle pour le second tour. Ils ont mené une campagne féroce : des panneaux d’affichage dans Lima proclamaient « le communisme, c’est la pauvreté », et on promettait à la population les sept plaies d’Egypte si Castillo venait à remporter l’élection. On leur disait qu’il était le candidat du Sendero Luminoso (Sentier Lumineux), un violent groupe terroriste des années 1990. Le prix Nobel Vargas Llosa, qui par le passé s’était opposé au régime d’Alberto Fujimori d’un point de vue libéral bourgeois, a rédigé des articles enflammés affirmant que la victoire de Castillo signerait la fin de la démocratie.

Malgré tout cela, ou peut-être justement grâce à l’animosité de la classe dirigeante, Castillo a commencé la campagne du second tour avec 20 points d’avance sur son adversaire. Cette avance s’est réduite à l’approche du jour du vote, en partie à cause de la campagne de diffamation qui a poussé des électeurs hésitants vers Fujimori, mais également parce que Castillo a tenté d’adoucir son message et de modérer ses promesses.

Alors qu’au premier tour, il avait promis de mettre en place une Assemblée constituante quoiqu’il arrive, il annonce maintenant qu’il respectera la constitution de 1993 et qu’il interpellera le Congrès (où il ne détient pas la majorité), pour que ce dernier initie un référendum afin de convoquer une Assemblée constituante. Alors qu’il déclarait vouloir nationaliser les mines, il insiste désormais sur l’importance de renégocier les contrats. Plus il faisait de compromis, plus son avantage diminuait, jusqu’au jour de l’élection où sa victoire s’est jouée de justesse.

Contradictions de classes

Cependant, l’étroite victoire de Castillo masque la polarisation de classe aiguë du pays. Fujimori a gagné à Lima (65 contre 34), et même là, elle a fait ses meilleurs scores dans les districts les plus riches : San Isidro (88 %), Miraflores (84 %) et Surco (82 %). Castillo l’a remporté dans 17 des 25 provinces du pays, avec d’importantes victoires dans les régions pauvres des Andes et du sud du Pérou : 82 % à Ayacucho, 85 % à Huancavelica, 89 % à Puno, 83 % à Cusco. Il a aussi gagné dans sa Cajamarca natale (71 %), une région où ont eu lieu d’importantes manifestations contre les mines.

Dans les derniers jours de la campagne, Keiko Fujimori, de la manière populiste la plus classique, a promis que les entreprises minières verseraient directement des allocations aux habitants des villes où les mines sont installées. C’était une tentative d’éloigner les électeurs de la proposition par Castillo de modifier les contrats au profit de toute la population. Les électeurs de toutes les villes minières ont massivement choisi Castillo : 96 % à Chumbivilcas (Cusco), plus de 91 % à Cotabambas (Apurímac), la base de l’entreprise chinoise MMG Las Bambas, plus de 92 % à Espinar (Cusco), où opère Glencore ; plus de 80 % à Huari (Áncash), où se trouve une mine commune à BHP Billiton et Glencore.

Les masses de travailleurs et paysans qui soutiennent Castillo étaient prêtes à prendre la rue pour défendre sa victoire, quand Fujimori criait à la fraude et faisait appel des résultats. Dans les jours qui ont précédé l’élection et immédiatement après, la rumeur d’un coup d’Etat militaire a couru. Des soutiens influents de Fujimori ont appelé l’armée à intervenir pour empêcher la prise du pouvoir par Castillo.

Il ne fait aucun doute qu’une partie de la classe dirigeante du Pérou est prise de panique, et qu’elle a utilisé tous les moyens possibles pour empêcher Castillo de remporter l’élection. Les capitalistes le perçoivent comme une menace pour leur pouvoir, leurs privilèges et la façon dont ils ont dirigé le pays depuis son indépendance, il y a 200 ans.

Jusqu’à présent, il semblerait que les éléments les plus prudents de la classe dirigeante ont dominé. Un éditorial du principal journal bourgeois, La Republica, a déclaré Fujimori irresponsable pour avoir crié à la fraude. « Nous faisons appel à la raison et à la réflexion des dirigeants politiques et des autorités. Nous devons apaiser les rues du pays, qui s’agitent entre la méfiance et le ras-le-bol. » Voilà ce qu’ils redoutent. La moindre tentative de voler la victoire de Castillo ferait descendre les masses de travailleurs et de paysans dans les rues et les radicaliserait encore plus.

C’est un exemple de ce à quoi Castillo sera confronté lorsqu’il aura prêté serment. La classe dirigeante et l’impérialisme mettront tout en œuvre pour l’empêcher de gouverner réellement. C’est le même scénario joué par le passé contre Chavez au Venezuela. Des membres influents de l’opposition putschiste vénézuélienne sont allés soutenir Fujimori à Lima. Ils utiliseront le Congrès et d’autres institutions bourgeoises, les médias, l’appareil d’Etat (y compris l’armée), le sabotage économique, pour l’empêcher de mettre son programme en application.

Défendre la victoire : se préparer au combat

Malgré les références à Marx, Lénine et Mariátegui dans les documents de Peru Libre, le programme de Castillo est un programme de développement national capitaliste. Il veut s’appuyer sur la richesse minière du pays pour des mesures sociales (principalement l’éducation) et travailler avec les « hommes d’affaires producteurs pour le pays » pour « développer l’économie ». Ses modèles sont Correa en Equateur et Morales en Bolivie.

Le problème, c’est que de tels capitalistes responsables, « producteurs pour le pays », n’existent pas. La classe dirigeante péruvienne, les banquiers, les propriétaires terriens, les capitalistes, sont étroitement liés aux intérêts des multinationales et à l’impérialisme. Ils ne se préoccupent pas du tout d’un quelconque « développement national », mais de leur propre enrichissement.

Castillo est à présent confronté à un dilemme. Il peut gouverner pour les masses de travailleurs et de paysans qui l’ont élu, ce qui signifierait une rupture radicale avec les capitalistes et les multinationales. Cela ne peut être fait qu’en s’appuyant sur une mobilisation massive extra-parlementaire. Ou il peut renoncer, diluer son programme et respecter les intérêts de la classe dirigeante, ce qui signifiera qu’il sera discrédité parmi ceux qui ont voté pour lui, et préparera sa propre chute. S’il tente de servir deux maîtres en même temps (les travailleurs et les capitalistes), il ne pourra en contenter aucun.

Dans une tentative de rassurer « les marchés », qui s’agitaient nerveusement pendant le comptage des voix, l’équipe de Castillo a fait paraître une déclaration qui mérite d’être citée en longueur :

« Dans l’hypothèse d’un gouvernement du professeur Pedro Castillo Terrones, le candidat de Peru Libre aux élections présidentielles, nous respecterons l’autonomie de la Banque centrale de réserve qui a fait du bon travail en maintenant l’inflation basse pendant plus de deux décennies. Nous rappelons que dans notre plan économique, nous n’avons pas considéré des nationalisations, des expropriations, la confiscation de l’épargne, le contrôle des échanges, le contrôle des prix ou l’interdiction de l’import. L’économie populaire de marché que nous défendons met en avant la croissance des entreprises et des exploitations, particulièrement l’agriculture et les PME, afin de créer plus d’emplois et de meilleures opportunités économiques pour les Péruviens. Nous maintiendrons un dialogue ouvert et large avec les différents secteurs d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs honnêtes, dont le rôle dans l’industrialisation et le développement productif est fondamental. Garantir le droit à la santé et à l’éducation pour tous nécessite d’améliorer leur qualité et d’accroître les dépenses publiques sociales, qui doivent être basées sur des réformes de taxation de l’activité minière, pour augmenter la collecte dans le cadre d’une politique de durabilité fiscale, avec une réduction graduelle du déficit public et le respect de tous les engagements à payer la dette publique péruvienne » (je souligne).

Castillo lui-même a déclaré : « Je viens d’avoir des discussions avec la communauté d’entreprises nationales qui apportent leur soutien à la population. Nous allons créer un gouvernement qui respecte la démocratie, la Constitution actuelle. Nous allons créer un gouvernement stable économiquement et financièrement. » L’expérience montre que ce que la classe dirigeante appelle « stabilité économique et financière » consiste en réalité à faire payer la crise de son système aux travailleurs et aux pauvres, tout en s’assurant les meilleures conditions possibles pour la réalisation de profits capitalistes. Payer la dette entre en contradiction avec l’idée de mener une politique de dépenses publiques sociales. A cela, Castillo devrait opposer l’intérêt général des travailleurs et des paysans. Il n’y a pas de voie intermédiaire.

Pour l’instant, les masses péruviennes célèbrent leur victoire, et restent sur leurs gardes pour la défendre. La lutte ne fait que commencer. Chaque pas en avant que Castillo accomplira devrait être soutenu. Ses vacillations ou ses reculs devraient être critiqués. Les travailleurs et les paysans ne peuvent faire confiance qu’à leurs propres forces, qui devraient être mobilisées pour attaquer l’oligarchie.

Mariategui, en conclusion de son texte « Un point de vue anti-impérialiste », un document présenté au Congrès latino-américain des Partis communistes en 1929, écrivait :

« En conclusion, nous sommes anti-impérialistes parce que nous sommes marxistes, parce que nous sommes des révolutionnaires, parce qu’au capitalisme, nous opposons le socialisme en tant que système antagoniste, appelé à lui succéder. »

Son point de vue est aujourd’hui plus actuel que jamais.

Fujimori, ancien président du Pérou (1990-2000), a été libéré en décembre 2017, soit 12 ans avant la fin de sa peine de 25 ans. Il fait ainsi de nouveau parler de lui et rappelle à chacun les crimes de son régime et les drames qu’a connus le Pérou ces dernières décennies.

Revenons un peu en arrière. En 1964, le Parti communiste péruvien se scinde en deux, suivant la rupture sino-soviétique entre stalinisme et maoïsme [1]. Le groupe maoïste Bandera Roja se divise à son tour et donne naissance à un petit groupe dans les années 70 : le Sentier Lumineux (el Sendero Luminoso), groupe maoïste dirigé par Abimael Guzmán.

Dans le Pérou de cette époque, et d’ailleurs toujours dans la nôtre, la population paysanne et andine vit dans une misère terrible et est exclue de la société péruvienne. Partant de ce constat et s’appuyant sur une approche maoïste, le Sentier Lumineux décide de se développer dans la campagne, dans la ville de Ayacucho et non à Lima, capitale du Pérou, contrairement aux autres groupes de gauche.

Ce groupe connait rapidement un fort écho parmi la population andine, et les rangs grossissent à une vitesse considérable. La proposition initiale d’un système respectueux de tous – et d’une société sans classe – est une réponse aux aspirations de la majorité de la population andine qui survit difficilement. Mais très rapidement, l’organisation, fonctionnant comme une secte, adopte des méthodes de répression interne et externe violentes et massives.

A partir de 1980, le groupe s’engage dans la lutte armée. Le conflit s’étend géographiquement et avec lui le contrôle des zones rurales du Pérou par le Sentier, dit « el sendero ». Il instaure des « comités populaires » chargés de la distribution des terres, de la justice, de l’éducation. Abimael Guzman décide ensuite de s’attaquer à Lima, dans l'objectif de remplacer les institutions péruviennes par un régime révolutionnaire paysan communiste, s'orientant ainsi vers le concept maoïste de la « Nouvelle démocratie ».

Ce n’est qu’à la suite de plusieurs explosions dans la capitale, quand la classe dirigeante et blanche a commencé à être touchée, que les médias n’ont plus eu d’autre choix que d’informer la population – ce qui ne se faisait pas quand les faits restaient cantonnés aux campagnes et à la population andine. Preuve supplémentaire s’il en est du mépris accordé largement à la population andine du Pérou.

Ce conflit, qui durera de 1980 à 2000, fait près de 70 000 morts. Les chiffres de la commission Vérité et Réconciliation créée en 2001 par le gouvernement ont révélé que 54 % des victimes étaient imputables au Sentier Lumineux et 46 % à l'armée péruvienne. Parmi eux, 80 % d'hommes dont 66 % d'entre eux ayant entre 20 et 49 ans. 56 % étaient des paysans andins, analphabètes à 68 % et de langue Quechua pour les trois quarts.

La lutte contre le Sentier Lumineux en tant que groupe armé prend un caractère prioritaire. Les présidents successifs échouent et c’est sur la base d’une promesse intransigeante dans cette lutte qu’Alberto Fujimori est élu à la présidence en 1990. Face à une crise politique en 1992, il dissout le Parlement, plusieurs partis d’opposition sont interdits, la presse est censurée, des dizaines de journalistes et de dirigeants politiques sont arrêtés et plus d’une centaine de militants maoïstes sont assassinés au pénitencier Castro y Castro. 

C’est le début du régime autocrate et dictatorial qui va secouer le Pérou pendant encore 8 ans. Il justifie le caractère autoritaire de son régime auprès de la population par sa lutte contre le « terrorisme ». Abimael Guzmán est arrêté le 12 septembre 1992, puis suivront rapidement les arrestations de tous les autres grands dirigeants. Le Sentier Lumineux en est en grande partie démantelé.

Avec l’appui et le soutien de son Premier ministre Vladimiro Montesinos (de son vrai prénom Vladimir Illitch, l’histoire ne manque pas de cynisme parfois), ils engagent de nombreux trafics à leur bénéfice et sont à l’origine de la création de groupes paramilitaires comme « el grupo Colina » véritable escadron de la mort, composé de membres de l’armée péruvienne, entre autres. Ces groupes sont reconnus responsables d’assassinats, de disparitions forcées et de massacres contre des groupes entiers d’opposants politiques, d’étudiants soupçonnés d’avoir des idées de gauche, etc. Le gouvernement fait stériliser de force aux alentours de 300 000 femmes indigènes pour endiguer la démographie des régions pauvres, afin de réduire le recrutement potentiel de la guérilla dans le futur.

Fujimori, dans sa politique libérale, s’il participe à une relance initiale de l’économie, détruit en profondeur les fondements de la société, supprimant la plupart des institutions en les vendant au plus offrant, appliquant à toute vitesse une politique ouvertement libérale, laissant la santé, l’éducation, les transports, etc. dans une situation de précarité qui perdure aujourd’hui.

Sa réélection en 2000 est contestée et il fuit au Japon. En 2007, la justice le rattrape. Il est extradé au Pérou et est condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l’Humanité, et à 8 ans pour corruption.

Une commission de la vérité a été créée pour parler à la fois des crimes du Sentier Lumineux et de ceux de Fujimori. Pourtant, alors que le président actuel Kuczynski s’était engagé à faire toute la lumière sur les deux dossiers, il vient de libérer Fujimori alors qu'il était condamné pour crime contre l'humanité.

Il semblerait que cette libération vienne suite à des difficultés rencontrées par le président qui aurait besoin de l’appui de Fujimori, ayant été mis en accusation pour une affaire de pots-de-vin. C'est possible, c'est même probable, et c'est une preuve supplémentaire de la capacité de la classe dirigeante capitaliste à faire abstraction de ses morts pour des enjeux de carriérisme individuel. Ce n'est pas nouveau, mais c'est toujours aussi écœurant et révoltant.

Depuis que Fujimori a été gracié fin décembre, plusieurs grandes manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes du pays. Celle du 11 janvier 2018, a rassemblé des milliers de jeunes et de travailleurs, de syndicalistes, d'associations, contre la corruption du président et de son gouvernement. Le maire de Lima a éteint les lumières de la ville pendant le rassemblement pour tenter de désamorcer la mobilisation. Ce qui n'a évidemment pas fonctionné. L'idée qui circule dans les rangs de la population en mouvement est qu'il faudra continuer jusqu'au départ du président. Une nouvelle manifestation a eu lieu le 30 janvier, et ce ne sera certainement pas la dernière !

Le Pérou se trouve aujourd’hui encore face à une importante crise politique et économique. Il travaille à un long processus de réconciliation nationale et reconnaissance des victimes et des crimes.

Pour autant, les bases matérielles que sont la misère et la corruption à la formation d’un groupe comme le Sentier Lumineux – ou d’un régime dictatorial – n’ont pas disparu.

Les divers partis de gauche ont de grandes tâches à accomplir. Ils devront unir les forces des campagnes et des villes, du peuple andin et des autres peuples, et ainsi mettre fin à la violence et à la corruption, penser une société socialiste respectueuse de chacun, et redonner à l'ensemble des travailleurs et de la jeunesse du Pérou toute la justice et l’espoir qu’il est en droit de connaître enfin.


[1] La rupture sino-soviétique est une période de conflit entre l’Union soviétique et la République populaire de Chine de la fin des années 1950 aux années 1980, conflit issu à la fois de positions politiques et analyses distinctes ainsi que d'intérêts nationaux divergents.

Derrière la chute rocambolesque du chef de l’État péruvien se cache de graves problèmes sociaux. En 1990, Alberto Fujimori, alors inconnu, remporte les élections présidentielles avec 51% des voix. Il avait mené une campagne populiste, promettant "honnêteté, technologie et travail". Il se retrouve alors à la tête d’un pays en pleine déroute économique, gangrené par une inflation de plus de 7000%, et par une guérilla sanglante alors à son apogée. Le Sentier Lumineux était né 10 ans plus tôt, en 1980. Les habitants de Lima découvraient des chiens morts accrochés aux lampadaires et qui portaient l’inscription "Deng Xiao Ping son of a bitch". Quelques jours plus tard, les ambassades de Chine, d’URSS et de Corée du Nord étaient attaquées à l’arme lourde. Le Sentier Lumineux dénonçait les "rats visqueux, traîtres à la cause de Marx". Le Sentier se réclame de Mao et fonctionne comme une secte. Dans un pays où la démocratie n’est qu’un leurre, où l’armée conserve de nombreux privilèges et protége les riches propriétaires, qui exploitent la grande majorité d’une population maintenue dans une extrême misère, la guérilla n’a pas de mal à recruter des adeptes. Pour les jeunes indiens, la guérilla est un moyen de sortir de la misère et de l’écrasement culturel.

Fujimori entreprit avec un certain succès de rétablir l’ordre et la confiance de la classe dirigeante. En supprimant toute subvention et en multipliant par 4 le prix des produits de base, il stabilisa l’inflation et rassura les investisseurs. Le chef historique du Sentier, Abimaël Guzman, se faisait arrêter en 1992, après une période extrêmement sanglante, en même temps que la plupart des cerveaux de l’organisation. Le sentier est décapité. Condamné à la prison à vie, Guzman adresse en octobre 1993 une lettre à ses militants où il leur demande d’arrêter les combats. Fujimori est réélu en 1995 avec 64% des voix. Au cours de ce second mandat, l’autoritarisme du président s’affirme de plus en plus, et la situation économique se détériore gravement, au détriment des couches les plus pauvres de la population.

Le pouvoir de Fujimori était soutenu par un Service d’Intelligence Nationale (SIN) et par son chef Vladimiro Montesinos. Ce dernier était avant tout le bras droit de Fujimori, son conseiller, son homme de l’ombre. Il assura sa victoire lors des élections en mai dernier. Alors que les élections s’étaient déroulées dans le trouble, c’est finalement au terme d’un feuilleton à rebondissement, ponctué de scandales, que le Fujimorisme s’effondre brutalement. Le 14 septembre, la chaîne de télévision Canal N diffuse une vidéo montrant Montesinos achetant le ralliement d’un parlementaire de l’opposition. Montesinos fuit à Panama, puis revient. Fujimori écourte son mandat de cinq ans à un an, en convoquant des élections pour le 8 avril 2001, auxquelles il annonce qu’il ne se présentera pas. Début novembre, le scandale rebondit avec la découverte d’un compte bancaire en Suisse, au nom de Montesinos, et contenant près de 50 millions de dollars. Le scandale éclabousse cette fois-ci directement le chef de l’État, qui dès lors est clairement en train de perdre le contrôle du pouvoir. Quelques jours plus tard, l’hebdomadaire colombien Cambio révèle que l’ancien chef du cartel de la drogue de Medellin, Pablo Escobar, aurait participé au financement de la campagne électorale de Fujimori, en 1990. Le 19 novembre, Fujimori est à Tokyo lorsqu’il annonce sa démission. Les raisons de la chute de Fujimori et de son système sont encore troubles, toutes les hypothèses sont ouvertes. Certains parleraient même d’une vengeance orchestrée par la CIA, qui n’aurait pas apprécié l’implication supposée de Vladimiro Montesinos dans la vente d’armes à la guérilla colombienne.

Le 21 novembre, le congrès déclare vacante la présidence de la république pour cause d’"incapacité morale permanente" de celui qui l’occupait jusqu’alors. Valentin Paniaga y est alors nommé, conformément à la constitution, en vertu de laquelle c’est le président du Congrès qui assure les fonctions de chef de l’État en cas de vacance. Dès le lendemain Valentin Paniaga prend ses fonctions et fait appel à l’ex-secrétaire des Nations Unies pour former le gouvernement.

Le nouveau Premier Ministre du Pérou a clairement affirmé ses orientations : la formation d’un gouvernement de techniciens, composé en priorité de personnalités indépendantes. Dans un communiqué de presse, il est clairement affirmé que "Le gouvernement du Pérou souhaite réaffirmer sa stricte volonté de respecter les engagements pris auprès de ses créanciers étrangers" et que "toute action unilatérale ou contraire aux principes du marché dans la gestion de sa dette externe est exclue". Les investisseurs et capitalistes en tout genre vont être rassurés : le Pérou est à nouveau une terre d’investissement stable. Quelques hommes d’affaire vont pouvoir surfer sur la vague, cependant que l’immense majorité de la population continuera à subir les politiques libérales imposées par les grands organismes économiques internationaux. Les habitants des bidonvilles de Lima ou les paysans indiens seront très loin de cette agitation des milieux d’affaire. Les élections présidentielles ont lieu dans quelques mois, et d’ici là les Péruviens devront se mobiliser pour affirmer leurs revendications.

Après la longue période de guerre civile qu’a connu le Pérou, la population parvient à nouveau à s’organiser politiquement et à se mobiliser contre le pouvoir discrétionnaire de l’État, réclamant plus de démocratie et une politique véritablement tournée vers la lutte contre la pauvreté. La situation peut évoluer très vite. La population a montré qu’elle était prête à lancer des actions d’envergure. Le 28 avril 2000, une grève générale dirigée contre le gouvernement Fujimori avait paralysé le pays. Par le passé, les grèves générales étaient discréditées par le fondamentalisme du Sentier Lumineux qui tentait de les transformer en un instrument de terreur - c’est ce qu’il appelait la "grève armée". Lors de cette grève générale du 28 avril, les manifestants ont fait preuve d’une grande maturité. Lima fut paralysée ainsi que plusieurs grandes villes de province. Les revendications tournaient autour du besoin de démocratie, réclamaient des élections sans truquage, mais aussi des emplois, des rémunérations plus importantes, la remise des dettes de l’agriculture, et enfin le rejet des exigences du FMI.

La situation politique et sociale du Pérou se rapproche très clairement de celle de ses voisins. Au sud, en Bolivie, les paysans subissent les mêmes exploitations et vivent dans un dénuement comparable à celui des paysans péruviens. Leurs actions et leurs revendications se rejoignent. Quant à l’Équateur, au nord, il connaissait il y a à peine un an une vaste et puissante insurrection populaire. La situation sociale, dans ces trois pays, pourrait rapidement prendre un caractère révolutionnaire.