Iran

Cet article a été écrit le 28 avril 2023. Depuis, la grève des travailleurs du pétrole a continué et s’est même étendue à de nouvelles entreprises, ainsi qu’au secteur de l’électricité. Le régime a riposté par une répression accrue et des licenciements ciblés de travailleurs grévistes. Les méthodes de lutte et le programme proposés par notre camarade dans cet article restent d’une actualité brûlante pour l’avenir du mouvement.


Une grève de grande ampleur a éclaté en Iran et s’est répandue à travers le pays en moins d’une semaine. Débutée le 21 avril dans 18 usines du secteur pétrolier et gazier, elle s’est étendue jusqu’à en toucher aujourd’hui près d’une centaine, dans les secteurs minier, sidérurgique, pétrolier et gazier. Les grèves ont démarré dans la province pétrolière du Khouzistan, mais se sont rapidement propagées dans les provinces du Bouchehr, de Fars, de Kerman, d’Ispahan, de Kermanchah et de Yazd.

Grève du secteur pétrolier

Les premiers appels à la grève ont été lancés par le « Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole », une organisation ouvrière indépendante qui avait déjà mené des grèves nationales en 2020 et en 2021. Au cours du mouvement insurrectionnel de l’automne 2022, cette organisation avait même tenté de provoquer une grève générale politique. Au début de la grève actuelle, il a publié la déclaration qui affirmait notamment :

« Nous déclarons que nous poursuivrons nos grèves tant que nos revendications salariales et notre exigence de dix jours de repos pour vingt jours de travail, qui sont une nécessité physique et sociale, n’obtiendront pas satisfaction. Le Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole appelle l’ensemble des collègues travaillant dans les secteurs du pétrole, du gaz et de la pétrochimie à rejoindre les grèves, dans l’unité et la solidarité avec ceux qui les ont initiées. »

Les revendications initiales portant sur dix jours de repos par mois, une augmentation des salaires de 79 %, et l’instauration d’un salaire minimum à 20 millions de tomans (soit à peu près 430 €) ont touché une corde sensible, non seulement dans le secteur du pétrole et du gaz, mais dans l’ensemble de la classe ouvrière.

Les revendications se sont étendues en même temps que la grève. Elles incluent désormais : l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail, l’amélioration des services de transport pour les banlieues, l’ouverture de dortoirs et de cantines, l’amélioration de la qualité de la nourriture, le paiement correct des primes d’assurance, la réduction de la journée de travail à 8 heures (au lieu de 10 actuellement), la suppression des périodes d’essai non payées de 15 jours, et l’abrogation des clauses contractuelles qui interdisent aux salariés de protester contre leurs conditions de travail. Cette grève nationale a déjà encouragé d’autres secteurs, notamment les infirmiers et les retraités, à lancer des appels à manifester.

Dans le secteur pétrolier du Khouzistan et du Bouchehr, la classe capitaliste a tenté de diviser les travailleurs sur des bases ethniques, en opposant les immigrés aux autochtones. Ces méthodes avaient déjà été utilisées pour vaincre de précédentes grèves. Les travailleurs contractuels du pétrole ont riposté par une déclaration :

« Prenez garde aux tentatives visant à nous diviser. La grève de nos travailleurs du pétrole reste forte et, heureusement, de plus en plus de collègues la rejoignent chaque jour. Mais dans le même temps, des manœuvres et une propagande réactionnaire sont utilisées pour perturber l’état d’esprit des manifestations et provoquer des divisions dans les rangs des travailleurs en lutte, qui doivent s’armer de vigilance face à ces tentatives. Des piquets de grève ouvriers ont par exemple été dispersés, dans certaines régions, au nom des Bakhtiari, des Bumi [deux groupes ethniques minoritaires], etc.[…] nous, les travailleurs, endurons les mêmes douleurs et partageons les mêmes ennemis d’un bout à l’autre du pays. Nous protestons tous contre la pauvreté, l’augmentation du coût de la vie, et les conditions de vie et de travail qui empirent chaque jour. Ce qui nous unit, ce sont les revendications communes urgentes que nous avons rassemblées, comme l’augmentation des salaires de 79 %, les dix jours de repos pour vingt jours de travail.

« Nous nous opposons à la tyrannie des investisseurs et aux lois esclavagistes des zones économiques spéciales, nous voulons démanteler le régime des entrepreneurs et nous libérer des lois esclavagistes qui régissent ces régions. Si nous parvenons aujourd’hui à satisfaire nos deux revendications urgentes grâce à la force de notre unité, nous serons tous plus puissants si nous décidons de poursuivre la lutte pour démanteler les investisseurs.[...] Nous mettons en avant nos revendications actuelles, tandis que nos autres revendications attendent encore satisfaction, mais nous continuerons à défendre ces dernières. Nous résisterons fermement à toutes les agressions, à chaque étape, dès que ce sera nécessaire. Nous appelons nos camarades à être vigilants face [aux] intrigues. »

La pression contre la grève va s’intensifier. Pour y résister, les travailleurs du pétrole s’appuient sur leur expérience pour appeler à former des comités de grève et pour convaincre politiquement les travailleurs permanents du secteur pétrolier. Mais ce n’est qu’une première étape. Le régime aura recours aux mêmes méthodes que lors des mouvements précédents. Il attaquera la grève en mettant une énorme pression économique sur les travailleurs, en essayant de les diviser sur des critères ethniques, en montant les intérimaires contre les titulaires, etc. Le régime pourrait même faire des promesses creuses à une partie des travailleurs pour endormir leur vigilance en leur donnant le sentiment d’une victoire partielle, pour ensuite entamer une campagne d’arrestations ciblées de militants.

Fin avril, le Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole a appelé à des manifestations et des grèves à l’échelle nationale pour le premier mai, pour défendre des revendications économiques et politiques. Ils affirmaient notamment leur solidarité avec les mobilisations des femmes et des minorités nationales et soulignaient la nécessité d’une grève générale pour satisfaire ces revendications.

C’est tout à fait correct. Pour ne pas répéter les erreurs des précédents mouvements, la grève nationale doit être transformée en grève générale, et porter les revendications communes de l’ensemble de la classe ouvrière. Les comités de grève locaux doivent se coordonner à l’échelle nationale et se donner pour tâche d’entraîner toujours davantage de travailleurs dans la lutte.

La situation est mûre pour une grève générale

Même s’il a réussi à vaincre le soulèvement de la jeunesse, cet automne, le régime a été incapable d’étouffer le bouillonnement révolutionnaire qui existe dans la société. Malgré sa campagne de terreur contre la jeunesse révolutionnaire et les syndicalistes indépendants, malgré l’empoisonnement volontaire de la nourriture dans les universités et les lycées, malgré les arrestations incessantes et les annonces presque continues d’exécutions, la radicalisation des travailleurs et de la jeunesse continue de s’étendre.

La classe ouvrière n’a pas participé en masse au soulèvement, car elle ne voyait pas d’alternative évidente au régime, en dehors des hypocrites de l’opposition libérale-monarchiste en exil. Malgré quelques exceptions, les grèves ont toutes fini par s’éteindre durant le soulèvement. Mais aujourd’hui, les travailleurs font à nouveau entendre leur voix.

La crise économique s’est rapidement accélérée, alors que la crise inflationniste mondiale ajoutait une pression supplémentaire sur l’économie iranienne. La hausse des taux d’intérêt étrangers et le renforcement du dollar ont continué d’assécher les réserves monétaires limitées du régime. Le toman a perdu la moitié de sa valeur en un an. Comble du ridicule, l’Iran connaît une pénurie de gaz et d’énergie, alors qu’il dispose de la deuxième réserve de gaz au monde. C’est une nouvelle preuve du caractère parasitaire de la classe dirigeante.

Pour des couches importantes de la classe ouvrière iranienne, la goutte d’eau de trop a été la décision du régime de n’augmenter les salaires que de 27 % pour le nouvel an [le 20 mars], alors que l’inflation est proche de 50 % ! Depuis, on a compté 130 grèves locales, qui ont préparé la voie pour l’actuelle vague de grèves à l’échelle nationale.

Unité des travailleurs et de la jeunesse !

Au cours des derniers mois, les organisations révolutionnaires de la jeunesse ont tenté en vain de ressusciter le soulèvement en se servant de chaque atrocité du régime pour appeler à manifester. Désormais, avec l’éclatement de la grève, la jeunesse est en train de se tourner vers la classe ouvrière, avec des déclarations de solidarité et des appels à l’action. Des groupes de jeunes révolutionnaires de plus de 32 villes ont signé une déclaration appelant à « soutenir les grèves ouvrières dirigées par les travailleurs du pétrole et de la pétrochimie », et à mettre à l’ordre du jour une grève générale pour renverser le régime de la République islamique.

Les couches les plus avancées de la jeunesse – les socialistes et les communistes – sont allées encore plus loin. Dans plusieurs universités, des affiches communistes ont été collées, dont une portant les slogans suivants : « Pain, travail, liberté – pouvoir aux shoras [les conseils ouvriers de la révolution de 1978-1979] », et « La seule solution est le soulèvement armé des masses iraniennes ». Certains ont même commencé à diffuser des tracts en soutien à la grève. Un de ces groupes révolutionnaires, nommé Peykar [du nom d’une organisation révolutionnaire des années 1970-1980], liait très justement la lutte économique avec la lutte contre le régime :

« La journée internationale des travailleurs, qui commémore l’unité et la lutte de classe du prolétariat mondial contre l’exploitation, approche. Mais cette année, elle arrive dans une situation où nous, travailleurs iraniens, nous trouvons dans un état “non officiel” de guerre de classe ! En approuvant la loi sur l’augmentation du salaire minimum, malgré l’inflation galopante, le gouvernement s’est posé comme le garant et le représentant des intérêts des capitalistes ! L’approbation du plan de “productivité” qui vise à privatiser les ressources et les services de la nation, la signature d’accords commerciaux internationaux, et l’injection de monnaies étrangères n’auront comme seul effet que de nous appauvrir et d’enrichir les capitalistes.

« De plus, l’augmentation des prix du carburant, sous couvert de “libéralisation”, et l’inflation qui va inévitablement en découler, abaissera les conditions de vie à un niveau insupportable. Notre lutte comme travailleurs ne peut plus se limiter désormais à combattre pour nos droits fondamentaux et pour une “vie décente” dans cet ordre social fondé sur l’exploitation !

« Nous n’oublions pas les fusillades de manifestations syndicales, les coups de fouet sur nos camarades dans les usines, et les décennies d’emprisonnement et de torture des militants ouvriers. Et nous savons très bien que la machine à exploiter ne nous laisse que deux options : ou bien subir comme des esclaves et nous concentrer seulement sur la production des profits, pour permettre à la roue de l’exploitation de continuer à tourner, ou bien répondre aux balles et aux arrestations par des manifestations et des grèves !

« Le soulèvement national des derniers mois et la lutte dévouée du peuple ont montré avec clarté qu’une vie honorable, sans inégalité ni tyrannie, n’est réalisable qu’en liant les différentes luttes contre les différentes formes de l’oppression. Si nous voulons en finir un jour avec cette mort à petit feu, nous devons poursuivre la lutte dans les usines et dans les rues, et planifier une voie nouvelle vers le bonheur collectif. Cela commence par l’unification des rangs innombrables des ouvriers et des travailleurs, en mettant à l’arrêt les rouages de la production, en rejoignant la lutte des femmes et des nations opprimées pour en finir avec l’inégalité, l’humiliation et l’exploitation, et pour une vie libre et équitable. Nous nous basons sur nos intérêts communs, et sur l’idée que les êtres humains de cette terre ont le droit de jouir de la protection sociale, le droit d’intervenir en politique et de prendre des décisions, le droit à la dignité humaine, et celui de déterminer leurs propres vies et leurs propres destinées.

« Notre unité – dans les zones industrielles, dans les petites et grandes usines et les ateliers, en formant des comités et des conseils d’usine et en organisant des grèves – est une étape fondamentale sur ce chemin. Quelle que soit la forme que prennent nos luttes – que ce soit dans les écoles où l’on se bat pour l’égalité des droits de ceux qui formeront la société de demain, ou sur les lieux de travail, pour des conditions de vie décentes  –, ce sont les mêmes luttes. Qu’il s’agisse de récupérer nos droits bafoués ou de mettre en garde le gouvernement, l’expansion et la propagation des grèves de masse des travailleurs contractuels du pétrole et de la pétrochimie depuis le [21 avril] marque un tournant dans la lutte des travailleurs contre les attaques effrénées des capitalistes et de leur gouvernement. S’ils obtiennent un soutien plus large, à l’échelle nationale, de la part des autres travailleurs, cela signifiera une nouvelle expérience historique dans notre lutte. Vive la grève, vive la révolution ! »

Ces méthodes montrent la voie à suivre pour le mouvement révolutionnaire : lier la lutte économique de la classe ouvrière à la nécessité de renverser du régime. Elles montrent que la jeunesse révolutionnaire a le potentiel nécessaire pour jouer un rôle important dans la transformation de la grève nationale en un mouvement de masse révolutionnaire de la classe ouvrière tout entière.

Il faut une direction révolutionnaire !

Après cinq ans de grèves à l’échelle nationale, et de nombreuses révoltes, les conditions sont mûres non seulement pour une grève nationale, mais pour préparer la voie au renversement de la République islamique. Il est de plus en plus clair, aux yeux des masses iraniennes, que le régime n’a rien à offrir d’autre que la pauvreté et la terreur. Chaque concession de la part du régime ne sera, au mieux, que temporaire, et ne servira qu’à gagner du temps pour pouvoir arrêter les travailleurs révolutionnaires.

Le principal frein au mouvement est l’absence d’une direction révolutionnaire, dotée d’un programme capable d’unir les masses, de lier les revendications économiques et politiques, et de se présenter comme une alternative ouvrière aussi bien au régime qu’à l’opposition réactionnaire soutenue par l’impérialisme occidental. La grève nationale a déjà permis de mettre en avant de nombreuses revendications économiques. Mais il faut aller plus loin et avancer de nouvelles revendications pour entraîner dans la lutte de nouvelles couches de la classe ouvrière. Cela pourrait inclure (entre autres) l’abrogation de toutes les mesures d’austérité, un vaste programme de travaux publics pour réparer et développer les infrastructures décrépies, la nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises privatisées, et l’introduction du contrôle ouvrier dans tout le secteur public.

Un tel programme rencontrerait un écho et gagnerait un soutien de masse. Il pourrait permettre de transformer la grève nationale en une grève générale. Mais pour réaliser ces revendications, il est aussi nécessaire de poser la question de l’abolition de la République islamique. Un mouvement massif, entraînant la masse de la classe ouvrière et de larges couches d’opprimés, serait un premier pas vers la révolution socialiste en Iran : la seule garantie pour une vie décente et digne pour tous, et un exemple pour les travailleurs de toute la planète.

A l’heure où nous publions cet article, l’héroïque soulèvement de la jeunesse iranienne se poursuit – malgré la répression brutale, les tirs à balles réelles, les arrestations et la torture.

La plupart de celles et ceux qui bravent la mort, chaque jour, sont nés bien après la révolution iranienne de 1979, qui a renversé le régime du Shah (« Roi ») et débouché sur la consolidation d’un autre régime archi-réactionnaire, celui des Mollahs (« Seigneur » ou « Maître »).

Ce paradoxe d’une révolution qui, chassant un roi, le remplace par un ayatollah, est très simplement résolu par l’histoire officielle : les masses ont eu ce qu’elles voulaient, à savoir une « République islamique ». Et pour l’obtenir, elles ont accompli une « révolution islamique », dont la force motrice fut le clergé chiite. Point final.

Cette légende passe sous silence le rôle déterminant de la classe ouvrière iranienne, dont la mobilisation massive fut la colonne vertébrale de la révolution, et sans laquelle l’Ayatollah Khomeini n’aurait jamais pu rentrer de son exil en France, en février 1979. La question reste donc entière : comment se fait-il qu’une révolution ouvrière ait débouché sur un régime tout aussi dictatorial et oppressif – si ce n’est plus – que la monarchie à laquelle il succéda ?

L’Iran pré-révolutionnaire

L’Iran pré-révolutionnaire était dominé par les grandes puissances impérialistes, Etats-Unis en tête. Ce pays occupait une position géo-stratégique de premier plan, notamment du fait de sa frontière avec l’URSS. Quatrième producteur mondial de pétrole, il concentrait 10 % de la production mondiale d’« or noir », en 1976. Ce fait jouait un rôle central dans la politique des impérialistes occidentaux à l’égard de l’Iran.

L’administration américaine avait la haute main sur les affaires internes du pays. En 1953, la CIA et les services secrets britanniques avaient organisé un coup d’Etat qui avait remis au pouvoir le Shah, un moment écarté par Mohammad Mossadegh. Ce dernier n’avait rien d’un communiste, mais sa politique contrariait les intérêts fondamentaux des impérialistes occidentaux, dans la région.

Dans les années 60 et 70, l’Iran connut une industrialisation extrêmement rapide. Ce fut particulièrement le cas à partir de 1973 : la flambée du cours du pétrole donna au régime une base financière lui permettant d’investir massivement dans l’industrie. Une conséquence positive en découla : le développement d’une puissante classe ouvrière. Au seuil de la révolution, l’Iran comptait quelque 4 millions de travailleurs, sur une population totale de 35 millions. Comme le remarquait notre camarade Ted Grant dans un article rédigé en février 1979, cela signifiait que le rapport de force entre les classes, en Iran, était bien plus favorable aux travailleurs qu’il ne l’était dans la Russie de 1917. Cependant, il y avait dans la Russie de 1917 un facteur qui faisait cruellement défaut en Iran : un parti révolutionnaire, le parti bolchevik. Nous y reviendrons.

A la fin des années 70, la jeune classe ouvrière iranienne supportait de moins en moins la dictature féroce du Shah et de sa police secrète, la SAVAK. Les arrestations, la torture et les exécutions formaient le quotidien des opposants à la monarchie. Les militants communistes étaient systématiquement traqués et persécutés. Tant que le régime du Shah leur parut solide, ces méthodes reçurent la bénédiction des « démocraties » occidentales, dont la France. Mais lorsque les impérialistes comprirent que le maintien de la monarchie risquait de provoquer une révolution, ils commencèrent à prendre leurs distances à l’égard du Shah, sous couvert de préoccupations « démocratiques ».

La dislocation du régime

C’est la mobilisation de la jeunesse et des classes moyennes qui annonça l’imminence d’une tempête sociale. A partir d’octobre 1977, les grandes manifestations se multiplient. Chaque fois, la SAVAK tire sur la foule, ce qui entraîne de nouvelles manifestations pour protester contre la répression. Très courageusement, la SAVAK n’hésite pas à mitrailler les manifestants à partir d’hélicoptères. Mais rien n’y fait. Face à l’héroïsme et à l’implacable détermination des masses, le ressort de la répression se brise. Les milliers de morts et de blessés ne font qu’accroître l’isolement et l’impopularité du Shah.

A partir d’octobre 1978, la classe ouvrière entre à son tour de plain-pied dans le mouvement. Une grève générale se développe. Les travailleurs du secteur pétrolier jouent un rôle décisif en paralysant le cœur de l’économie iranienne. Ce faisant, ils portent le coup fatal au régime du Shah – à la grande surprise des militants et théoriciens ultra-gauchistes qui avaient proclamé l’« embourgeoisement » des salariés du pétrole, sous prétexte qu’ils étaient mieux payés que la moyenne.

Une fois lancée, la vague révolutionnaire ne cesse de croître et balaie tout sur son passage. Des « shoras » – c’est-à-dire des « conseils » ouvriers – surgissent dans les entreprises. Les travailleurs expulsent les patrons et prennent le contrôle des usines. Les paysans occupent les terres. Les femmes manifestent pour exiger l’égalité des droits. Les étudiants prennent en main les institutions du système éducatif. Les nationalités opprimées – Kurdes, Arabes, Azéris – secouent leur joug et réclament l’autonomie.

Dans cette fournaise révolutionnaire, l’armée se disloque. Les soldats du rang rechignent à réprimer le mouvement et commencent même à purger l’armée de ses officiers les plus notoirement réactionnaires. En même temps que l’armée, c’est l’argument traditionnel des réformistes – selon lesquels les révolutions sont fatalement écrasées par la supériorité militaire de la classe dirigeante – qui tombe en miettes.

Le rôle du PC iranien

Après la fuite du Shah, le 16 janvier 1979, les conditions d’une conquête du pouvoir par la classe ouvrière ne cessent de mûrir. L’appareil d’Etat, aux abois, se fissure de toutes parts. La SAVAK se volatilise, car ses membres haïs du peuple craignent les représailles, à juste titre. Le véritable pouvoir est dans la rue, dans les millions de jeunes et de travailleurs qui défilent régulièrement à Téhéran et dans les autres grandes villes du pays. Mais il leur manque un instrument décisif : une direction révolutionnaire, c’est-à-dire un parti armé d’un programme révolutionnaire, et déterminé à s’appuyer sur la mobilisation du peuple pour renverser le capitalisme.

Ici se noue la tragédie de la révolution iranienne. Instinctivement, différentes couches du peuple se mobilisent pour en finir avec l’exploitation et l’oppression. Mais toutes les grandes organisations de gauche, en Iran, succombent alors à la démagogie anti-monarchiste de l’Ayatollah Khomeini. Les dirigeants staliniens du Parti Communiste – le Tudeh, qui est le plus puissant parti de gauche – rejettent la perspective d’une révolution socialiste. Ils voient dans Khomeini le représentant d’une « aile progressiste de la bourgeoisie » iranienne. Ce faisant, ils renforcent les illusions des masses dans le programme officiel – et extrêmement nébuleux – de l’Ayatollah.

En réalité, Khomeini et les sommets du clergé chiite sont d’implacables réactionnaires. Il n’y a d’ailleurs pas, en Iran, de « bourgeoisie progressiste » : c’est un mythe stalinien. Le fait est qu’à l’époque la bureaucratie stalinienne, à Moscou, ne veut pas d’une révolution socialiste en Iran, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, une telle révolution ne manquerait pas d’inspirer les travailleurs d’URSS (notamment en Asie centrale), et donc de déstabiliser le pouvoir dictatorial de la bureaucratie soviétique. D’autre part, à la fin des années 70, la bureaucratie soviétique cherche à stabiliser ses relations avec l’impérialisme américain, et ne veut donc pas provoquer Washington en minant son emprise sur l’Iran. La direction du Parti Communiste iranien – largement contrôlée par Moscou – applique une ligne politique conforme aux intérêts non des masses iraniennes, mais de la bureaucratie soviétique. C’est cette trahison de la révolution par les dirigeants du Parti Communiste qui constitue l’élément central du paradoxe de la révolution iranienne.

Contre-révolution

Dépossédé de ses terres par la « réforme agraire » de 1963, le clergé chiite était en conflit avec le régime du Shah. Dès lors, en l’absence d’une expression politique indépendante des travailleurs, l’opposition du clergé réussit à trouver un écho dans le peuple, y compris une section significative de la classe ouvrière. Or, au lieu de saper l’assise du clergé islamiste par une politique et un programme de classe indépendants, les dirigeants du PC renforcent son autorité aux yeux des travailleurs. Résultat : aucune force significative, à gauche, ne conteste à Khomeini la direction du mouvement.

En 1979, Khomeini finit par gagner le soutien des impérialistes, qui l’appuient dans ses manœuvres pour se placer à la tête de la vague révolutionnaire afin d’en limiter la portée – et, ainsi, d’empêcher les travailleurs de prendre le pouvoir.

Lorsqu’il prend formellement le pouvoir, le 11 février 1979, Khomeini ne peut pas immédiatement écraser la révolution. Plusieurs années lui seront nécessaires pour venir à bout des forces monumentales que cette révolution a réveillées. Au début, les travailleurs ont toujours leurs organisations – les shoras, les comités de quartier, etc. – et cherchent à consolider et étendre ce qu’ils ont conquis.

Khomeini doit procéder avec précaution, en éliminant peu à peu tous les organes de démocratie ouvrière grâce à son réseau serré d’institutions répressives, qui sont mises en place sous prétexte de « défendre la révolution ». Dans les quartiers, dans les entreprises, partout, les soi-disant « Gardiens de la révolution » étouffent toute opposition et toute vie démocratique. Pour faire diversion, Khomeini adopte une posture anti-impérialiste, comme lors du célèbre épisode de l’assaut contre l’ambassade des Etats-Unis, en novembre 1979.

En 1983, la contre-révolution parachève son œuvre sanglante. Toutes les conquêtes sociales et démocratiques de la révolution sont liquidées : la réduction du temps de travail, le contrôle ouvrier de la production, les augmentations de salaire, la liberté d’expression, les droits des femmes, le droit de faire grève et de manifester. Le système capitaliste est sauf, la répression extrêmement féroce. Le Parti Communiste est interdit par le gouvernement qu’il a contribué à mettre en place ; ses militants sont emprisonnés, forcés à l’exil ou exécutés. Entre 1981 et 1983, le régime exécute beaucoup plus de militants de gauche qu’en 30 ans de dictature du Shah.

Cette tragédie n’avait rien d’inévitable. En 1979, toutes les conditions d’une révolution socialiste victorieuse étaient réunies, en Iran, à l’exception d’une condition fondamentale : l’existence d’un parti révolutionnaire, d’un parti marxiste déterminé à renverser le capitalisme, à porter la classe ouvrière au pouvoir et à entraîner dans son sillage toutes les autres couches opprimées de la population. Telle est la plus importante leçon de la révolution iranienne de 1979, comme de tant d’autres révolutions manquées.

C’est précisément cette leçon dont la jeunesse iranienne, 43 ans plus tard, est en train de prendre conscience. Dans sa lutte héroïque contre le régime corrompu des Mollahs, elle a besoin d’une puissante organisation révolutionnaire. Si elle veut en finir non seulement avec Raïssi, Khamenei et compagnie, mais aussi avec le système capitaliste lui-même, elle devra construire une telle organisation. Pour notre part, nous sommes certains qu’elle y parviendra, car il n’y a pas d’autre voie.

Depuis que la « police de la moralité » a tué une jeune femme kurde, début septembre, l’Iran est le théâtre d’une mobilisation révolutionnaire dont la jeunesse en est la colonne vertébrale. A ce jour (6 novembre), les manifestations et rassemblements se poursuivent à un rythme quasi-quotidien, malgré la répression féroce déclenchée par le régime dictatorial de Khamenei.

Le caractère du mouvement

Ce mouvement est qualitativement supérieur à ceux qui l’ont précédé. Celui de 2009 avait surtout mobilisé les classes moyennes. Cette fois-ci, un nombre significatif de travailleurs se sont mobilisés, dès le début, aux côtés de la jeunesse – y compris des secteurs très pauvres de la classe ouvrière, qui jusqu’alors étaient passifs, voire soutenaient le régime. Des grèves ont éclaté dans l’industrie pétrolière, dans l’éducation et même chez les commerçants des bazars.

Dans de nombreuses villes du Kurdistan iranien, le mouvement a pris le caractère d’une grève générale insurrectionnelle. Des barricades ont été érigées dans les rues ; les forces de répression ont été chassées de certaines villes. Une situation similaire s’est ponctuellement développée dans d’autres régions.

Le régime est parfaitement conscient du potentiel de ce mouvement. Il s’est donc efforcé de le discréditer en le présentant comme un soulèvement de minorités nationales soutenues par les impérialistes occidentaux. Au cours des premières semaines, la répression a été particulièrement féroce dans les régions peuplées par les Kurdes ou les Baloutches. Mais cette manœuvre a échoué : le mouvement s’est étendu à l’ensemble du pays, par-delà les divisions nationales. Sur les manifestations, des mots d’ordre soulignent la nécessité d’une lutte unissant les Perses et toutes les minorités nationales.

Le régime ne s’est pas contenté de ces manœuvres de division. Après quelques hésitations initiales, il a déclenché une répression féroce. Au moins 252 personnes ont été tuées. A Ispahan, les forces de répression ont tiré à balles réelles sur une manifestation, faisant plus d’une vingtaine de morts. Les arrestations se comptent par centaines. A Tabriz, le 26 octobre, 600 personnes ont été arrêtées. Cette répression déchaînée a permis au régime d’écraser physiquement de nombreuses manifestations, mais sans venir à bout de la mobilisation.

Les impérialistes occidentaux – Etats-Unis en tête – ont apporté un soutien hypocrite aux manifestants. Ce soi-disant « soutien » n’a rien à voir avec une quelconque préoccupation pour le sort des masses iraniennes. Les impérialistes américains, britanniques, français, etc., cherchent uniquement à profiter de la situation pour déstabiliser un régime ennemi – et pour tenter de placer à la tête du mouvement des éléments fidèles à leurs intérêts. Ainsi, la presse occidentale assure la promotion médiatique du fils de l’ancien Shah, le tyran sanguinaire renversé par la révolution de 1979. Les oppositions libérale et monarchiste – réunies sous la houlette des impérialistes – se démènent pour tenter d’apparaître comme les directions naturelles d’un mouvement dans lequel elles ne jouent strictement aucun rôle, sur le terrain. Mais les masses iraniennes ne sont pas dupes. L’un des mots d’ordre parmi les plus populaires, sur les barricades et dans les manifestations, est très clair : « Mort au tyran – que ce soit le Shah ou le Guide suprême [Khamenei] ! »

Perspectives

A ce jour, la mobilisation n’a pas faibli malgré la répression sanglante : cela prouve que la jeunesse iranienne n’a plus peur du régime. En soi, c’est un acquis majeur. Cependant, s’il ne remporte pas une victoire décisive, le mouvement finira par s’essouffler. La fatigue et la démoralisation gagneront des couches croissantes de jeunes et de travailleurs. Alors, la répression permettra à la dictature de reprendre le contrôle de la situation.

Pour triompher, la mobilisation doit réaliser deux tâches : elle doit mieux s’organiser, d’une part, et d’autre part mobiliser la majorité de la classe ouvrière dans une grève générale.

Il est vrai que d’importants progrès ont été réalisés en matière d’organisation, ces dernières semaines. Dans plusieurs villes kurdes et, au-delà, dans certaines universités et usines en grève, des comités révolutionnaires ont surgi. Mais leur isolement a permis au régime de les écraser ou de contenir leur influence.

Des comités révolutionnaires regroupant les jeunes et les travailleurs mobilisés doivent être mis sur pied dans tous les quartiers, toutes les universités et toutes les usines. Surtout, ils doivent se coordonner au niveau régional et national, de façon à préparer une puissante grève générale.

Les directions syndicales n’ont pas mis à exécution leurs menaces d’organiser une véritable grève générale. En conséquence, les grèves qui ont éclaté sont restées isolées et ont été réprimées une par une. Seule une grève générale illimitée permettra de paralyser l’appareil répressif de la République islamique, et donc de renverser le régime.

Le fait est qu’aucune organisation révolutionnaire n’existe en Iran, pour défendre cette stratégie. La tâche la plus urgente du moment est donc de construire une telle organisation, capable de lier les revendications démocratiques et sociales des masses à la nécessité de renverser le capitalisme iranien.

Le mouvement de révolte des masses iraniennes dure depuis plus de quatre semaines et la répression déchaînée par le régime n’a eu pour effet que de pousser de nouvelles couches de la population dans la lutte. La jeunesse des rues et des universités a maintenant reçu le renfort de milliers de lycéens, de commerçants des bazars, mais aussi d’importants secteurs de la classe ouvrière. Une série de grèves a commencé dans le secteur pétrolier et pétrochimique, le cœur de l’économie iranienne.

Un mouvement de masse

Malgré l’arrestation de centaines voire de milliers d’étudiants et la fermeture des universités, le mouvement de grève universitaire tient bon. Au lieu d’écraser le mouvement, la répression déclenchée par le régime a poussé des couches nouvelles dans la lutte. Samedi dernier, après une semaine d’une répression féroce, on a assisté aux manifestations les plus importantes depuis le début du mouvement. Pour la première fois, certaines d’entre elles se sont déroulées dans des quartiers ouvriers très pauvres.

Le mouvement s'est aussi étendu aux lycées et aux collèges, comme en témoignent de nombreuses vidéos : on y voit des groupes de jeunes filles arracher leurs voiles et manifester devant leurs écoles, voire même affronter la police. Une vidéo montre même un groupe d’élèves empêchant un propagandiste du régime de prendre la parole dans leur école. D’après certains rapports, des parents ont aussi à plusieurs reprises affronté la police pour protéger leurs enfants contre des arrestations. Dans le même temps, les commerçants des plus importants bazars de Téhéran et de Shiraz ont rejoint le mouvement de grève lancé par leurs collègues du Kurdistan.

Une vidéo tournée dans la ville de Naziabad montrait aussi des policiers retirer leurs casques pour rejoindre les manifestants. Cet épisode en apparence anecdotique est révélateur de l’impact du mouvement sur le moral des forces de répression. Les hommes du rang sont très souvent issus des mêmes couches sociales pauvres et jusque-là conservatrices, qui ont rejoint massivement les mobilisations de ces dernières années. De tels ralliements peuvent se multiplier à l’avenir, si le mouvement s’organise et apparaît suffisamment puissant pour pouvoir réellement menacer le régime.

Si la répression a effectivement été violente, le régime semble néanmoins avoir tenté d’éviter qu’elle ne fasse trop de morts, de crainte qu’un nombre de victimes trop important ne déclenche un mouvement encore plus puissant, mais aussi par manque de confiance en ses propres troupes. Dans les régions peuplées par des minorités nationales, le régime ne s’est par contre pas embarrassé de telles subtilités. Au Balouchistan, la violence des forces de l’ordre a déjà fait au moins 110 morts, dont 97 tués le 30 septembre dans la répression d’une manifestation de protestation contre le viol d’une jeune fille par un policier. Au Kurdistan, on a assisté à des scènes véritablement insurrectionnelles. Dans plusieurs cas, des manifestations ont réussi à y chasser les forces du régime de certains quartiers, voire de villes entières. Le régime a répondu en mobilisant l’artillerie et des drones de combat contre les manifestations.

Pour tenter de discréditer le mouvement, la propagande de la dictature répète en boucle que le mouvement est un complot de l’impérialisme occidental, qui manipulerait les minorités nationales pour disloquer l’Iran. S’il est vrai que l’impérialisme américain et ses alliés saoudiens et israéliens ont systématiquement tenté de renverser le régime et ont soutenu des groupes d’opposition réactionnaires, ils n’ont pour autant pas réussi à prendre le contrôle du mouvement actuel. Les revendications sécessionnistes en sont d’ailleurs absentes, aussi bien au Kurdistan qu’au Balouchistan. Le mouvement a au contraire fait naître un fort sentiment de solidarité parmi les différents groupes ethniques d’Iran, alors même que le régime a passé des années à les monter les uns contre les autres.

La classe ouvrière entre en action

Lundi matin, environ 4000 ouvriers de plusieurs entreprises pétrochimiques du complexe d’Assaluyeh (un des plus grands au monde) ont entamé une grève de solidarité avec le mouvement. Ils ont barricadé l’autoroute qui y mène et aussi incendié un local de l’entreprise de vigiles présent sur le site. Parmi les slogans criés par les manifestants, on pouvait entendre « A bas Khamenei ! » mais aussi « Vive l’Iran ! Vive les Turcs, les Kurdes, les Arabes, les Lors et les Bakhtiari [deux minorités ethniques d’Iran] ». Cette démonstration instinctive de solidarité internationale est une nouvelle preuve du fait que la classe ouvrière peut unir derrière elle toutes les composantes de la société, par dessus les divisions nationales entretenues par le régime.

Quelques heures à peine après les ouvriers d’Assaluyeh, ce sont leurs collègues du complexe pétrochimique « Pars-Sud » à Kangan ainsi que de la raffinerie d’Abadan qui sont entrés en grève. Ces grèves avaient été précédées par une campagne de mobilisation du « Conseil pour l’Organisation des Mobilisations des Ouvriers Contractuels du Pétrole » (COMOCP). Cette organisation a publié lundi une déclaration qui appelait tous les travailleurs du secteur pétrolier à rejoindre la grève, et réclamait la libération immédiate de toutes les victimes de la répression et des prisonniers politiques, ainsi que la fin de la répression. Le même jour, un syndicat de l’industrie de la canne à sucre publiait une déclaration qui soulignait l’importance du soutien des travailleurs au mouvement et appelait à une grève générale pour « se débarrasser des discriminations et des oppressions, de la pauvreté et des souffrances, pour gagner le pain et la liberté ».

L’entrée en scène de la classe ouvrière organisée, tout particulièrement des travailleurs du pétrole, est un tournant décisif du mouvement. La jeunesse a donné des exemples impressionnants de sacrifice et de courage, mais cela ne suffira pas à abattre le régime. Par leur place dans la production, les travailleurs peuvent par contre paralyser le pays et enrayer la répression.

De plus, une grève générale politique pose inévitablement la question du pouvoir : qui doit diriger la société ? La classe capitaliste, qui ne se maintient au sommet que par l’exploitation des travailleurs ? Ou bien la classe ouvrière, qui produit toutes les richesses de la société ?

Le régime tente d’enrayer ce mouvement de grèves. On signale par exemple des arrestations de militants ouvriers et l’envoi de forces de répression supplémentaires dans les zones industrielles. Mais cette manoeuvre pourrait parfaitement se retourner contre le régime et pousser de nouvelles couches de travailleurs dans la lutte.

Le rôle de la jeunesse

La jeunesse des rues, des écoles et des universités a déjà largement été gagnée à la nécessité d’une grève générale. Elle doit maintenant aider à avancer dans cette direction et avant tout contribuer à la massification du mouvement de grèves. A Ispahan, un groupe a par exemple organisé un collage nocturne d’affiches appelant à la grève générale et les étudiants d’une université de Téhéran ont aussi partagé un appel semblable sur Telegram.

Ces exemples doivent être suivis et généralisés. Il faut une campagne systématique de la jeunesse pour se lier aux travailleurs et les aider dans l’organisation de la grève. Les jeunes doivent aussi se mettre à l’écoute des travailleurs et intégrer leurs revendications à leur propre programme. Pour mettre tout cela sur pied, des comités de lutte révolutionnaire doivent être organisés dans toutes les écoles, les universités, les quartiers et les usines. De tels comités ont d’ores et déjà été créés dans certaines régions, comme au Kurdistan, ou dans des universités, comme celle d’Ispahan.

L’organisation des masses par elles-mêmes est une caractéristique de tous les véritables mouvements révolutionnaires. Les conseils de travailleurs qui sont apparus durant la révolution russe ou la révolution iranienne de 1979 forment l’embryon d’une société future, qui lutte pour venir au monde. Pour cela, ils doivent commencer par toucher toutes les couches des masses, et particulièrement toute la classe ouvrière. Ces comités doivent donc être aussi répandus que possible, organisés à l’échelle locale, régionale et nationale pour pouvoir devenir une forme organisée du mouvement lui-même.

Pour la majorité des masses iraniennes, le régime n’a rien à offrir d’autre que la misère. Dans un pays débordant de talents et doté de vastes ressources naturelles, des millions de personnes sont plongées dans la pauvreté, le chômage ou la précarité. Pendant ce temps, les mollahs qui dirigent la société prêchent la modestie et la piété d’une main, pour mieux, de l’autre, piller l’économie et exploiter les travailleurs. Cette situation n’est pas seulement la conséquence de l’impasse du régime, mais bien de celle du capitalisme tout entier. Incapable de proposer d’autre perspective qu’un déclin continu du niveau de vie, il n’arrive à se maintenir que par une oppression insoutenable.

Pour s’arracher aux conditions barbares dans lesquelles il est plongé, le peuple iranien doit diriger sa lutte contre le capitalisme dans son ensemble, prendre le pouvoir en main et bâtir une société socialiste sans clergé, ni patrons, sans oppression, ni division, et dans laquelle l’égalité et la solidarité paveront la voie à une vie meilleure pour tous.

Le 13 septembre, une jeune femme kurde nommée Jîna Emînî était arrêtée à Téhéran par la « Police de la moralité », qui lui reprochait de porter son hijab d’une façon « incorrecte ». Après avoir battu son frère, ils ont torturé la jeune femme jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Après avoir été emmenée à l’hôpital, elle est finalement morte de ses blessures le 16 septembre.

Ses funérailles ont rassemblé des milliers de personnes, qui ont entonné des chants révolutionnaires kurdes et scandé le slogan « Femmes, vie, liberté » (ژن، ژیان، ئازادی). Cette mort d’une jeune femme, des mains d’une « police de la moralité » détestée, a déclenché un mouvement de masse qui a embrasé toutes les villes du pays.

Après deux semaines de soulèvement révolutionnaire, le mouvement continue de s’étendre. Dans toutes les grandes villes du pays, des heurts violents ont opposé des foules de jeunes aux forces de sécurité, alors que la répression devient de plus en plus féroce. Déjà plus d’une centaine de personnes ont été tuées et bien davantage arrêtées. Le 26, les étudiants ont lancé un mouvement de grève qui touche aujourd’hui près d’une centaine d’universités. Pour autant, la question reste posée aujourd’hui de savoir comment continuer à développer le mouvement.

Après avoir été d’abord pris par surprise par la vitesse et la radicalité de la mobilisation, le régime a maintenant recours à une répression de plus en plus violente. Depuis le 24 septembre, de nombreux étudiants ont été arrêtés dans tout le pays et il y aurait déjà près de 180 morts. L’accès à Internet a été presque totalement coupé et les universités ont été fermées et remplacées par des cours en ligne, pour empêcher les étudiants de se rassembler en nombre. Néanmoins, pour l’instant cette répression semble n’avoir pas réussi à étouffer le mouvement, même s’il est difficile d’avoir accès à des informations fiables. Des affrontements entre manifestants et forces de répression semblent se produire toutes les nuits, particulièrement à Téhéran, Karadj, Qom, Chiraz, Ispahan, Racht, et dans les villes du Kurdistan comme Sanandaj. Par ailleurs, des vidéos montrent des foules de jeunes attaquant des policiers et incendiant des bâtiments des autorités religieuses ou policières.

Après des attaques de la police contre des internats universitaires durant lesquelles des centaines d’étudiants ont été arrêtés, les syndicats étudiants ont appelé à une grève nationale des universités, pour exiger la libération des prisonniers politiques. Certains professeurs d’université ont rejoint le mouvement tandis que la coordination des syndicats enseignants a appelé à une grève de 48 heures dans les écoles pour protester contre la répression. Un comité de lutte des ouvriers précaires de l’industrie pétrolière, déjà connu pour son rôle clé dans plusieurs grèves durant la dernière période, a aussi menacé d’appeler à la grève si le régime ne met pas fin à la répression.

L’entrée en scène de travailleurs organisés est un pas en avant significatif, mais la situation exige davantage que des menaces et des grèves limitées. Seule une grève générale pourrait mettre fin à la répression, paralyser le régime et poser la question du pouvoir. Des appels à une telle grève ont déjà été lancés dans certaines régions et circulent sur les réseaux sociaux. Ils doivent devenir le cri de ralliement de l’ensemble du mouvement.

La préparation d’une telle grève devrait commencer par la constitution de comités de lutte dans chaque quartier, chaque entreprise et chaque école, connectés à l’échelle locale, régionale et nationale. Si la jeunesse a fait preuve d’un courage remarquable, elle ne peut renverser le régime à elle seule. L’entrée en action de la classe ouvrière en tant que force organisée est indispensable. C’est la seule solution pour enrayer la répression et redonner de l’élan au mouvement.

Briser l’isolement

La lutte héroïque de la jeunesse iranienne, et particulièrement des femmes, a capté l’attention de millions de personnes à travers le monde. La détermination de ces jeunes est aux antipodes de l’attitude des dirigeants réformistes et libéraux qui menaient le mouvement de contestation de 2009. Ceux-ci se présentaient comme les champions de la démocratie, mais ont passé des années à ramper aux pieds des « durs » du régime en espérant obtenir quelques concessions de leur part, alors qu’aujourd’hui, la mobilisation de la jeunesse terrifie Khamenei et ses semblables.

Mais, aussi enthousiasmant que soit ce mouvement, il reste numériquement faible. Si la majorité de la population sympathise avec lui, la masse des travailleurs n’y participe pas encore de façon active, parce qu’elle ne le pense pas capable de renverser le régime.

Les cinq dernières années ont été les plus agitées de l’histoire de la République Islamique, avec une succession de luttes locales et nationales, mais aussi les plus importantes vagues de grèves depuis la révolution de 1979. Presque chaque semaine, des luttes nouvelles font irruption dans un coin ou l’autre de la société. Pourtant, ces mobilisations sont restées largement isolées les unes des autres, alors même qu’elles représentent toutes des facettes du même phénomène : l’impasse du capitalisme et son incapacité à faire avancer la société. La tâche des révolutionnaires est précisément de tirer cette leçon et de la mettre en pratique, en unifiant toutes ces mobilisations dans un mouvement commun.

Il faut un programme révolutionnaire

Le mouvement actuel a émergé de la lutte pour les droits des femmes, pour les droits des minorités nationales et pour les droits démocratiques de façon plus générale. Ces revendications doivent prendre la forme d’un appel à la fin de toutes les oppressions et à l’égalité de droits pour tous, quels que soient le genre, l’orientation sexuelle ou la nationalité. A cela doit s’ajouter la dissolution de la police de la moralité, des milices des gardiens de la révolution et des services de renseignement, la libération de tous les prisonniers politiques, la liberté de parole et de la presse, la liberté de s’organiser et la convocation d’une assemblée constituante par des élections libres organisées par des conseils démocratiques mis sur pied par les masses elles-mêmes.

Mais la démocratie ne suffira pas à régler à elle seule les besoins et les aspirations des masses. Ce n’est pas un hasard si un des principaux slogans de la révolution de 1979, « Du pain, du travail et la liberté », a refait surface récemment. Le mouvement doit lier la lutte pour les droits démocratiques à des revendications économiques et politiques.

Nous devons avant tout réclamer la fin des contrats « en blanc » qui concernent près de 90 % des travailleurs, ainsi qu’un salaire minimum et des retraites décentes, fixés par les organisations ouvrières, et alignés sur l’inflation. Dans le même temps, la semaine de travail doit être ramenée à 30 heures pour garantir un emploi pour tous.

Pour financer tout cela, les entreprises privées les plus importantes ainsi que toutes les entreprises et les banques privatisées devront être nationalisées et placées sous le contrôle de leurs travailleurs. Les profits de ces entreprises pourront ainsi servir à développer la société plutôt qu’à engraisser les fidèles du régime qui les contrôlent actuellement. L’économie nationalisée doit être organisée sur la base d’une planification démocratique, pour permettre l’industrialisation du pays et ainsi arracher la majorité de la population à la misère dans laquelle elle est plongée.

Un tel programme devra être pris en main par les organisations de lutte de masses pour qu’elles puissent l’appliquer elles-mêmes et l’adapter si nécessaire. Ce n’est que sur cette base que le mouvement pourra gagner la majorité des travailleurs, des pauvres et des jeunes qui subissent la pression du capitalisme.

La question de la direction

En l’absence d’une direction et d’un programme révolutionnaires, la seule alternative qui a été offerte aux masses est Reza Pahlavi, le fils du Shah renversé par la révolution de 1979. Celui-ci se présente et a été présenté par la presse occidentale comme le seul espoir des masses iraniennes, comme un démocrate préoccupé uniquement par le bien-être de son peuple.

Loin de l’image idyllique que décrit Pahlavi, le régime de son père était une tyrannie brutale, qui régnait par la terreur et une répression sans bornes. Lui-même est soutenu par le gouvernement intégriste d’Arabie Saoudite, qui soumet la population saoudienne à une dictature inhumaine, et par l’impérialisme occidental, qui regrette le temps où le régime du Shah avait fait de l’Iran une semi-colonie offerte aux entreprises étrangères et qui, aujourd’hui, a soumis le pays à des sanctions économiques effroyables. Par ailleurs, les impérialistes et leurs laquais réactionnaires ont semé le chaos et la barbarie à travers tout le Moyen-Orient. L’appui que ces forces prétendent apporter au mouvement ne peut que discréditer celui-ci aux yeux des masses iraniennes et renforcer le régime. Les seuls alliés que la révolution iranienne peut trouver sont les jeunes et les travailleurs de la région, qui subissent une situation comparable, ainsi que leurs frères et sœurs du prolétariat d’Occident – qui ont été enthousiasmés par le mouvement actuel.

En l’absence d’une direction révolutionnaire, les monarchistes soutenus par les impérialistes ont pu se présenter comme la seule alternative au régime. Cela a servi d’excuse à une partie de la gauche iranienne, en particulier parmi les staliniens, pour ne pas soutenir le mouvement. C’est une erreur grave. S’il est exact qu’il n’existe pour l’instant pas de direction visible pour le mouvement en dehors des monarchistes, les jeunes qui sont descendus dans la rue ne l’ont pas fait à l’appel de Reza Pahlavi. Ils sont entrés en lutte sous la pression de leurs conditions de vie insoutenables et les monarchistes tentent en réalité de détourner cette colère à leur profit. En refusant de soutenir le mouvement, ces soi-disant communistes laissent en réalité le champ libre aux partisans de Pahlavi et, au final, facilitent la répression du mouvement par le régime. La tâche des révolutionnaires n’est pas de se tenir à l’écart du mouvement en le critiquant, ce qui ne peut que le pousser dans les bras de Reza Pahlavi et de ses soutiens occidentaux, mais de l’aider à se doter d’un programme et d’une direction révolutionnaires. Cela suppose de soutenir le mouvement, et de suivre attentivement ses évolutions, pour pouvoir éduquer ses meilleurs éléments. Même si le soulèvement devait être vaincu par la répression avant qu’une telle direction ne soit prête à jouer son rôle, les premiers pas de ce travail auraient été accomplis. Ce problème se reposera en effet à chaque soulèvement, tant qu’une direction révolutionnaire ne sera pas prête à offrir aux masses iraniennes une issue à la déchéance dans laquelle les plonge le capitalisme.

La Tendance Marxiste Internationale apporte son plein et entier soutien à la jeunesse révolutionnaire d’Iran. Mais nous ne nous limitons pas à de vagues déclarations de soutien au mouvement. La tâche des marxistes est de suivre le mouvement à chacun de ses pas, pour pouvoir en tirer des conclusions et des mots d’ordre capables de l’aider à avancer. Ce soulèvement nous a offert un timide aperçu de la force des masses iraniennes. Mais, en l’état actuel, sans une organisation et un programme révolutionnaires, le régime peut tout à fait finir par se ressaisir et écraser le mouvement.

En dernière analyse, tous les problèmes du mouvement se ramènent à la question de l’absence d’une direction révolutionnaire, et celle-ci restera posée que le mouvement réussit à avancer ou pas. La tâche des communistes iraniens est précisément de construire une telle direction, basée sur les idées et les méthodes du marxisme. La situation n’a jamais été plus favorable. Chaque jour, de nouvelles couches de travailleurs et de jeunes entrent dans l’action révolutionnaire et cherchent des idées qui pourraient les guider dans cette lutte. Seul le marxisme est capable de les mener à bon port.

En plus d’un siècle, le capitalisme, quelle que soit la forme qu’il a pris, s’est révélé systématiquement incapable de faire progresser la société iranienne. C’est cette situation qui a été à l’origine de la révolution de 1979, et qui est aujourd’hui à la base du mouvement actuel. L’heure est venue de forger une direction qui puisse regrouper la classe ouvrière pour abattre ce système.

Du pain, du travail et la liberté !

A bas le dictateur !

Construisons une direction révolutionnaire !

Pour une révolution socialiste !

Article publié le 19 novembre sur In Defence of Marxism.


Il y a quelques années, une conversation avait lieu entre un commandant des Gardiens de la Révolution et un groupe de miliciens Basiji, au sujet du Mouvement vert qui a secoué l'Iran en 2009. Dans cette conversation, le commandant a dit quelque chose du genre : « Ces gars [en référence aux gens du Mouvement Vert] ne sont que des beaux garçons des quartiers chics, il n'y a rien à craindre, mais une fois que les va-nu-pieds des quartiers pauvres et déshérités sortiront, c'est là qu’il faudra avoir peur ». Eh bien, ce jour est arrivé.

Vendredi 15 novembre, le gouvernement iranien a fait une annonce surprise de réductions importantes des subventions sur les carburants, qui sont vitales pour les Iraniens pauvres. Depuis lors, des milliers de jeunes sont descendus dans la rue et se sont heurtés aux forces de police, militaires et paramilitaires. Partant principalement du sud-ouest du pays, les protestations se sont multipliées partout le samedi et le dimanche, atteignant toutes les grandes villes du pays. Il est difficile d'évaluer l'ampleur des manifestations, mais l’agence Fars News, dirigée par les Gardiens de la révolution, a laissé échapper un chiffre total de 87 000 manifestants lundi. Il s'agirait d'une estimation prudente.

La rage des opprimés

Un rapport publié aujourd'hui fait état de la situation dans plusieurs quartiers pauvres et ouvriers de Téhéran :

« A Islamshahr, il y a un soulèvement. A Shahre Qods, c’est la guerre et il y a des fusillades partout. Ils ont brûlé la maison de l'ancien maire. Ils ont incendié les maisons des Gardiens (de la Révolution), toutes les banques ont été incendiées. À Fardis, il y avait une vraie guerre dans les rues. En dehors de la Sepah Bank, ils ont brûlé 24 autres banques. Andishe, c’est la même chose. À Fardis, Shahriar, Shahreqods et Andishe, beaucoup de gens ont été tués... les forces de police sont fatiguées et n'ont plus l'énergie de faire face. »

Le régime tente de dépeindre les manifestants comme une bande de voyous, qui se livrent au pillage et à l’émeute. Un titre du journal Jam-e-Jam disait : « La disparition de la voix du peuple dans le chaos des émeutes ». Mais ce ne sont pas les boutiques et les magasins ordinaires qui ont été visés, mais plutôt les stations-service et les banques qui ont été incendiées par dizaines (voire par centaines), ainsi que quelques bâtiments gouvernementaux et postes de police et de nombreuses photos de Khamenei. À Yazd, la maison de l'imam de la prière du vendredi, qui est aussi un représentant de Khamenei dans la ville, a été attaquée par une foule en colère. Aucun de ces actes n'est une émeute au hasard, il y a un clair élément de classe dans les protestations.

La réaction du régime a été brutale. Internet a été coupé et la communication est devenue extrêmement difficile. Les sources d'information sont devenues très limitées. Même les témoignages de citoyens pour des médias à l'étranger, qui ont jusque-là toujours été relativement faciles, sont devenus presque impossibles. Presque toutes les forces armées du régime ont été lancées dans la rue, réprimant brutalement tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une manifestation. De nombreuses régions se seraient transformées en zones de guerre. Un rapport venant de Shiraz disait que, dans certaines régions, des hélicoptères survolaient les manifestations et les mitraillaient à l’aveugle.

De nombreuses écoles et universités à travers le pays ont été fermées, bien qu'il y ait encore des manifestations dans de nombreuses universités. Une université a été fermée sous prétexte d'un « brouillard épais ». A l'Université de Téhéran, les forces armées ont fermé toutes les entrées et presque toutes les sorties, ne laissant qu'une seule petite porte ouverte aux étudiants pour quitter les locaux. Le régime panique et craint que le mouvement ne s'étende à d'autres couches sociales. Il tente de pousser le mouvement vers des émeutes et des affrontements aveugles, ce qui l'isolerait de la masse de la population. Jusqu'à présent, ça n'a pas marché. Même si beaucoup de gens restent à l'écart, il y a une sympathie généralisée pour les jeunes descendus dans la rue.

Cette éruption ne concerne pas seulement les prix du carburant, qui ont pratiquement triplé à l'heure actuelle. Les premières régions où les gens se sont soulevés étaient le Khouzistan, le Kermanshah et le Fars, toutes des provinces pauvres et sous-développées où le chômage est élevé. Nombre de ces régions abritent des minorités arabes et kurdes dont les protestations ont été traitées avec une brutalité particulière au cours des dernières années.

Les jeunes qui descendent dans la rue passent la majeure partie de leur vie à errer d'un endroit à l'autre, à faire des petits boulots s'ils ont de la chance, bien que beaucoup aient tout simplement arrêté de chercher du travail. Ceux qui ne l'ont pas fait sont constamment confrontés à la demande « d’expérience », ce qui est bien sûr impossible à obtenir si vous ne trouvez pas d'emploi. Les taux de criminalité sont plus élevés parmi ces couches, qui sont souvent issues de familles extrêmement pauvres des classes laborieuses.

Au cours des dernières années, beaucoup de ces familles ont perdu leurs économies à la suite de la faillite d'une série de banques. En réalité, ces banques n'étaient rien d'autre que des systèmes complexes d’arnaque pyramidale et leurs propriétaires, qui avaient les bonnes relations, n'ont jamais été jugés bien qu'ils soient  parfaitement identifiés, d'où les attaques contre les banques.

Les effets des sanctions américaines ont également été dévastateurs, et ces familles ont déjà vu leur niveau de vie s'effondrer au cours des dernières années. Les industries sont en faillite, il n'y a pas d'emplois. Ceux qui ont un emploi sont payés irrégulièrement, si tant est qu'ils soient payés, et ceux qui ont une petite entreprise sont constamment sous la pression d'une inflation galopante, qui a été supérieure à 30 % au cours des deux dernières années (selon les chiffres officiels) !

Les travailleurs de l'industrie en Iran vivent dans une pauvreté extrême, ils n'ont même pas les moyens de se loger dans les banlieues industrielles des villes, mais sont confinés dans des villages et des banlieues de banlieues, d'où ils parcourent de grandes distances pour aller travailler. Ces trajets deviendront désormais de plus en plus onéreux. Pendant ce temps, les patrons et les gros bonnets du régime s'en sortent très bien en utilisant leurs relations pour vider l'économie.

L'entreprise de canne à sucre Haft Tapeh au Khouzistan, autrefois l'un des plus grands producteurs de canne à sucre, en est un excellent exemple. L'entreprise a été privatisée pour des clopinettes et remise à deux hommes de 27-28 ans, qui ont détruit l'entreprise tout en poussant les travailleurs à bout. Ces dernières années, les travailleurs ont fait de nombreuses grèves pour que l'entreprise soit renationalisée et placée sous leur contrôle. Ces luttes ont eu un grand écho dans la région et au-delà. Le régime les a réprimées avec acharnement, craignant que de telles demandes ne trouvent un terreau fertile dans tout le pays. Les jeunes dans la rue reflètent la colère de ces couches de la population. Leur violence est la réponse à la violence régulière et impitoyable de la pauvreté et de la déchéance dans la République islamique qu'ils ont endurée chaque jour de leur vie.

Réponse impérialiste et brutalité du régime

Au cours des dernières semaines, la faction dure du régime, proche de Khamenei et des Gardiens de la Révolution, avait commencé à s'attaquer à certains de ces problèmes à l'approche des prochaines élections législatives. Sentant la colère montante, ils essayaient de la canaliser sur les voies électorales et de l'utiliser pour frapper l'aile « modérée » autour de Rouhani. Bien sûr, une fois que le mouvement a éclaté, les « durs » qui étaient soudainement devenus « modérés » et les modérés « originels » se sont tous unis pour écraser les jeunes désespérés dans la rue. En ce moment, la classe dirigeante semble complètement unie pour noyer le mouvement dans le sang.

Au moins 200 morts et 3000 blessés ont été signalés. Pourtant, ce sont les jeunes qui sont accusés d'être des voyous violents. Bien sûr, le régime ne peut nier ce qui anime le mouvement. En fin de compte, les couches de la population qui sont dans la rue aujourd'hui font partie des segments de la société qui ont historiquement soutenu le régime. Ce dernier ne peut pas se contenter de rejeter ces demandes alors que toute la société a de la sympathie pour les manifestants. Mais les dirigeants soutiennent –  en une menace à peine voilée – que si les gens manifestent, le pays sombrera dans le chaos et la guerre civile, comme ce fut le cas en Syrie. Ils prétendent que l'impérialisme américain et saoudien tente d'utiliser ces mouvements pour s'emparer de l'Iran et que, par conséquent, manifester sert leurs intérêts. C'est ainsi qu'ils ont discrédité le mouvement qui a secoué le pays début 2018 – précurseur de la révolte actuelle – et qui a connu des répliques tout au long de cette année. Ils utilisent la menace de l'impérialisme américain pour justifier leur parasitisme vis-à-vis du peuple iranien. Mais cet enfumage s'épuise. Pourquoi les gens riches et bien connectés peuvent-ils faire ce qu'ils veulent en toute impunité ? Pourquoi leur table peut-elle être bien garnie, alors que le reste de la population meurt de faim ? Pourquoi les pauvres sont-ils les seuls à devoir faire des sacrifices face aux menaces impérialistes ?

Cette ligne est également reprise par de nombreuses personnes de gauche qui s'opposent au mouvement – comme à de nombreux mouvements antérieurs – sous prétexte que cela ouvrira la voie à une intervention de l'impérialisme américain en Iran. La logique de ces gens est que, puisqu'il n'y a pas de parti « révolutionnaire » (communiste, socialiste, démocratique, progressiste, etc.), alors tout mouvement ne servira qu'à faire le jeu du plus grand mal – l'impérialisme américain. Mais c’est au contraire cette politique qui créée de la place pour les groupes monarchistes, les Moudjahidines du peuple et autres mouvements contre-révolutionnaires, soutenus par les USA et l'Arabie Saoudite, qui peuvent récupérer la rhétorique révolutionnaire et répandre leur poison. Ce qu'il faut, ce n'est pas pleurer et se lamenter de l'absence d'un parti révolutionnaire, mais le construire ! Face aux défis et aux faiblesses, nous ne devons pas reculer et nous accommoder avec les intérêts de la réaction. Notre devoir est de remédier aux faiblesses du mouvement et de le radicaliser en élevant son niveau de conscience et son niveau d'organisation. Notre tâche n'est pas d'édulcorer les revendications, mais d'appeler des revendications plus radicales qui mettent les choses sur une base de classe claire, en nous opposant à la fois à la classe dirigeante nationale et à ses adversaires internationaux.

D'autres ont l'illusion que la démocratie occidentale résoudra les problèmes de l'Iran. Mais ces manifestations n'ont guère été couvertes par la presse occidentale. Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo et d'autres gouvernements occidentaux ont condamné les mesures répressives de l'Etat. Mais il est intéressant de noter qu'aucun d'entre eux n'a condamné les mesures d'austérité. Parce que ces mesures ont été recommandées par le FMI lui-même – une institution occidentale – comme moyen de régulariser les relations commerciales en Iran en fonction des besoins du marché. Et d'un point de vue capitaliste, ils ont raison ! L'économie iranienne doit se défaire de l'intervention de l'Etat dans l'économie afin de devenir plus attrayante pour les investissements étrangers. L'un des objectifs poursuivis est l'affaiblissement et l'atomisation de la classe ouvrière, afin de la rendre mûre pour l'exploitation par des industries concurrentes à l'échelle mondiale. C'est ainsi que fonctionne le capitalisme.

Le pari le plus sûr pour le moment est que l'Occident soutient le mouvement monarchiste pour un futur régime iranien, basé autour de Reza Pahlavi, le dernier héritier du Shah renversé lors de la révolution de 1979. Ces gens parlent de façon très radicale du sort des masses et de la nécessité d'organiser une révolution, mais pas pour un Iran libre et démocratique. Au lieu de cela, ils plaident pour une nouvelle monarchie dans le même esprit que la précédente, qui elle-même n'avait pas peu de sang sur les mains ! En outre, un tel régime fera à nouveau de l'Iran un Etat vassal des Etats-Unis. Au moins sur ce point, les mollahs ont raison. Pour l'instant, personne ne semble tomber dans le piège, mais à l'avenir, étant donné les pressions énormes et l'absence totale d'alternative, de tels groupes réactionnaires pourraient trouver un écho parmi certaines couches.

Il faut une direction révolutionnaire

La principale faiblesse du mouvement au stade actuel est évidente : il est totalement désorganisé et n'a aucune direction. Malgré les tentatives du régime pour faire dérailler le mouvement en émeutes aveugles, cela ne s'est pas encore produit. Néanmoins, la rage aveugle dans les rues doit trouver une expression organisée si elle veut éviter les nombreux écueils à l’horizon. Sans cela, un mouvement peut continuer à descendre un certain temps dans les rues pour se confronter à la police, mais il ne peut pas obtenir grand-chose ainsi.

Tout d'abord, il est crucial de s'organiser, en mettant en place des comités de quartier contrôlés démocratiquement, qui peuvent ensuite être reliés au niveau régional et enfin au niveau national. Ces comités peuvent, entre autres, organiser l'autodéfense, à la fois contre la répression ouverte, mais aussi contre les agents provocateurs qui sévissent sans doute dans de nombreux endroits. Les comités doivent être étendus à toutes les écoles, villages, quartiers et usines afin de renforcer et d'élargir le mouvement.

Deuxièmement, le mouvement doit formuler un programme clair pour inclure des couches plus larges. Tout d'abord, il doit s'agir d'un programme appelant à la chute du régime, à la dissolution des milices, à la séparation des institutions religieuses de l'Etat et à la convocation d'une assemblée constituante. Cela doit être suivi d'exigences sociales et économiques, telles que l’annulation de toutes les mesures d'austérité prises au cours de la période précédente, un salaire décent ajusté sur l'inflation, l'ouverture des livres de comptes dans toutes les banques et les grandes entreprises, et la mise en place des bases pour l'emprisonnement et l'expropriation de tous ceux qui se sont avérés être corrompus. D'autres exigences devraient inclure la renationalisation sous le contrôle des travailleurs de toutes les entreprises privatisées et l'introduction d'un tel contrôle dans l'ensemble de l'économie publique, en plus de la fourniture d'une éducation et de soins gratuits et de qualité pour tous.

Le mouvement doit appeler toutes les masses laborieuses qui souffrent de ce régime à le rejoindre, qu’il s’agisse de chômeurs, de paysans, d’étudiants ou de membres de la classe moyenne. Mais surtout, il est crucial, pour gagner, que le mouvement attire la classe ouvrière en tant que force organisée. Nous avons déjà vu au cours des dernières années que les travailleurs sont prêts à lutter. Il faut lancer un appel à une grève générale dans tout le pays pour faire tomber le régime dictatorial. En 2011, c'est la grève générale qui a forcé la chute du régime de Ben Ali en Tunisie et de Moubarak en Égypte. De même, cette année, c'est la montée en puissance d'une grève générale qui a fait tomber le régime de Bouteflika en Algérie et le régime d'Al Bachir au Soudan. Malgré tous les mensonges, c'est en fait la grève générale de 1978 et 1979 qui a renversé le shah lui-même, et non les capacités divines de l'Ayatollah Khomeini. Une fois les travailleurs mobilisés, ce régime s'effondrera comme un château de cartes.

Enfin, le mouvement devrait lancer un appel à la solidarité aux travailleurs et aux pauvres de toute la région, de l'Irak et du Liban (où les masses sont déjà dans les rues), à la péninsule arabe, à la Turquie, à la Jordanie et à l'Égypte, où des mouvements similaires couvent sous la surface. Alors que les dirigeants de ces pays sont pris dans d'âpres luttes intestines, ils sont tous unis contre les masses. De même, ce n'est que parmi les masses laborieuses de la région que la Révolution iranienne peut trouver ses vrais alliés. Une révolution en Iran se propagera sans aucun doute comme une traînée de poudre dans la région et au-delà.

La révolte de la jeunesse iranienne dans les rues représente l'impasse absolue du capitalisme iranien. Ni la domination impérialiste ni le pouvoir du clergé n'ont réussi à résoudre aucun des problèmes en Iran. Au contraire, dans un pays aux trésors naturels et culturels immenses, la classe dirigeante ne peut offrir que misère et décadence. Tout l'édifice de l'islam institutionnel est impliqué ouvertement dans le pillage le plus répugnant des plus pauvres et des plus démunis. Auparavant, ils pouvaient calmer ces gens en faisant appel à leur foi, mais cela ne fonctionne plus. Les gens restent religieux, mais sous l'impact des événements, le brouillard de confusion créé par les islamistes disparaît et les lignes de classe sont de nouveau mises en évidence, préparant une confrontation majeure entre les classes.

Du jeudi 28 décembre au 7 janvier derniers, l’Iran a connu le mouvement social le plus profond depuis la révolution de 1979. L’étincelle a eu lieu à Mashad, deuxième plus grande ville du pays et bastion conservateur, lors de manifestations qui visaient la politique d’austérité du président Hassan Rohani. Le mouvement social s’est très vite propagé à tout le pays. Au total, près de 80 villes et villages ont été touchés. Des dizaines de milliers de travailleurs, d’étudiants et de chômeurs ont fait grève ou manifesté, malgré la répression.

Désillusion

Le mouvement a secoué le régime en profondeur. Même s’il a mobilisé moins de monde qu'en 2009, il était plus étendu, géographiquement, et a entraîné des couches de la population qui, traditionnellement, soutenaient le régime. Après des années d’austérité, l’arrivée au pouvoir du président « réformateur » Rohani, en 2013, avait suscité beaucoup d’espoir dans la population, tout comme la levée des sanctions américaines, en 2015, suite à l’accord sur le nucléaire iranien. Mais aujourd’hui, les Iraniens se sentent trompés.

Même si l'économie a redémarré (4 % de croissance en 2017), le quotidien des masses iraniennes ne s'est pas amélioré. Le chômage frappe 20 à 30 % de la population active. Il est deux fois plus élevé chez les jeunes. Le coût de la vie a augmenté. Dans ce contexte de misère croissante, la corruption des « élites » est devenue insupportable. Des hauts dignitaires du régime accumulent les milliards de dollars sur le dos du peuple. Selon certaines sources, près de 50 % du PIB est accaparé par les « Gardiens de la révolution ». En décembre, le président Rohani a présenté un budget d’austérité qui prévoit notamment une hausse du prix du carburant et des coupes dans les dépenses sociales. C’est ce qui a mis le feu aux poudres.

Révolution ?

Alors que le mouvement de 2009 avait massivement mobilisé les classes moyennes des grandes villes, en soutien aux « réformateurs » du régime (Mousavi, Kharoubi), ce sont les éléments issus des classes les plus exploitées qui se sont révoltés, cette fois-ci – et dans toutes les provinces du pays. Les slogans anti-austérité se sont mêlés à des slogans contre les conservateurs et les réformateurs, c’est-à-dire contre la République islamique dans son ensemble.

Face à un mouvement inédit depuis 40 ans, la classe dirigeante iranienne s’est divisée. Le « guide suprême », Ali Khamenei, a appelé à une répression sévère. Mais le président réformateur Rohani, conscient que l’usage de la force risquait d'aggraver la situation et de créer des divisions dans l’armée, a hypocritement appelé à la conciliation. Ceci dit, 4000 manifestants ont été arrêtés et 25 ont été tués.

L’Iran est-il au seuil d’une révolution ? De fait, une situation révolutionnaire se dessine depuis 2009. Lénine expliquait qu'une situation révolutionnaire se caractérise essentiellement par trois éléments : une crise au sommet, c’est-à-dire la division de la classe dirigeante, qui ne peut plus gouverner comme auparavant ; l’aggravation de la misère et de la détresse des masses ; enfin, une nette accentuation de la lutte des classes exploitées et opprimées. L’existence d’une situation révolutionnaire ne signifie pas que la révolution aura lieu, mais qu’elle peut avoir lieu. Telle est bien la situation en Iran.

L'impérialisme américain

Le 1er janvier 2018, en pleine phase ascendante du mouvement, Donald Trump a appelé à un « changement de régime » en Iran. La fraction conservatrice de la classe dirigeante iranienne – Ali Khamenei en tête – a sauté sur l’occasion pour jeter le discrédit sur le mouvement, l'accusant d'être orchestré par l'impérialisme américain. Le peuple iranien est très hostile à l’impérialisme occidental, qui a tant pillé et opprimé le pays. Cette hostilité est d'ailleurs l'un des derniers piliers du régime, qui l'instrumentalise constamment, d'une manière très hypocrite. En réalité, la bourgeoisie iranienne n’a rien d’anti-impérialiste. Par le passé, elle a multiplié les interventions militaires au Moyen-Orient (Irak, Liban...) en coopération avec l’impérialisme américain.

Il est vrai que des organisations soutenues par Washington sont actives en Iran, comme les monarchistes de Reza Pahlavi et les islamistes de l’OMPI. Mais elles n'y jouent, heureusement, qu’un rôle insignifiant. Cela dit, l'intervention de Trump – et la crainte d'une récupération du mouvement par les impérialistes occidentaux – ont joué un rôle dans le reflux des mobilisations. Mais il est clair que ce reflux est temporaire. C'est une simple pause.

Les Iraniens qui se sont mobilisés sont issus de la classe ouvrière et des couches les plus opprimées du pays. Pour abattre le capitalisme iranien et son régime réactionnaire, ils devront s’organiser, bâtir une direction révolutionnaire et se doter d’un programme clair. La tâche des marxistes est de soutenir les travailleurs en lutte et d’expliquer patiemment, dans le mouvement de masse, comment envoyer une fois pour toutes les capitalistes iraniens et leur régime dans les poubelles de l’histoire.

Article publié le 10 janvier par Fightback (TMI Canada)


Ces deux dernières semaines, des vagues de protestations héroïques se sont rapidement propagées dans les villes et villages iraniens. Il s’agissait d’une éruption spontanée de rage de la part des jeunes de la classe moyenne inférieure et ouvrière contre la pauvreté, la hausse des prix et la misère, ainsi que contre la richesse et la corruption de l’élite iranienne – en particulier de l’establishment clérical. On estime que 21 personnes ont été tuées dans les manifestations jusqu’à maintenant et que plus de 1 700 ont été arrêtées. Immédiatement, les dirigeants occidentaux, de Washington à Londres, se sont levés en cœur pour défendre les droits de l’Homme du peuple iranien.

Dans son style inimitable, le même Donald Trump qui entretient des relations étroites avec le régime réactionnaire saoudien a déclaré que « le monde regarde ! », a exigé que les droits de l’Homme des Iraniens soient respectés et a déclaré que « vous verrez un grand soutien de la part des États-Unis au moment opportun ! » Le ministre canadien des Affaires étrangères a fait une déclaration dans laquelle il demande aux « autorités iraniennes de faire respecter et de respecter la démocratie et les droits de l’Homme ». Le ministre britannique des Affaires étrangères, Boris Johnson, s’est déclaré préoccupé par les pertes en vies humaines et a également appelé au respect des droits de l’Homme.

Avec un léger retard, la chef de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, et le président français, Emmanuel Macron, se sont joints au débat pour réclamer le respect des droits démocratiques. L’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies a indiqué le 2 janvier que les États-Unis cherchaient à organiser une réunion d’urgence du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’Homme des Nations-Unies à la suite de l’assassinat de manifestants en Iran.

Sanctions économiques brutales des États-Unis et de l’UE

Les déclarations de soutien des dirigeants occidentaux ne peuvent s’empêcher de laisser un goût amer dans la bouche des manifestants. Les États-Unis et les puissances d’Europe occidentale ont mené une politique de sanctions brutales contre l’Iran pendant des décennies, qui s’est intensifiée en un embargo presque complet en 2012.

L’intensification récente des sanctions, qui est tombée en même temps que la crise économique mondiale, a provoqué une perturbation profonde dans l’économie iranienne. Les exportations en provenance de la principale industrie iranienne, le pétrole, sont tombées d’environ 2,5 millions à 1 million de barils par jour. La production du secteur de l’automobile, qui est le deuxième plus grand employeur du pays, a chuté de près de 60 %. L’économie iranienne s’est fortement contractée pendant cette période, diminuant d’environ 9 % entre mars 2012 et mars 2014, en grande partie à cause de la baisse de la production pétrolière, des fermetures d’usines et d’autres secteurs privés.

Le taux de chômage a atteint les 20 % en 2014, le taux de chômage des jeunes étant beaucoup plus élevé. Des millions de travailleurs ont été licenciés à cause de l’embargo, et beaucoup d’autres n’ont pas été payés pendant plusieurs mois ou davantage.

Les prix des produits de première nécessité comme l’électricité, le carburant et l’eau ont augmenté à plusieurs reprises, de même que les prix des aliments pour le pain, le blé et l’huile de cuisson. L’accès aux médicaments et au matériel médical est devenu très limité, laissant de nombreuses personnes gravement malades et sans traitement. La flotte aérienne de passagers iranienne était affamée, ce qui a eu de graves répercussions sur la sécurité des vols opérés par l’Iran.

De larges couches de la classe moyenne ont été ruinées à mesure que leurs entreprises s’effondraient et que leurs économies devenaient sans valeur. Le régime de sanctions imposé par l’Occident n’était rien de moins que dévastateur et humiliant pour le peuple iranien. Son but était de forcer l’Iran à se soumettre. L’impact a surtout été ressenti par les travailleurs, les pauvres et la classe moyenne. Ce sont exactement les mêmes sections de la société iranienne qui protestent aujourd’hui.

La sympathie et le soutien offerts par les dirigeants occidentaux aux protestations qui ont éclaté contre l’inflation, la pauvreté et le chômage ne peuvent être compris autrement que comme de la manipulation et de l’hypocrisie. Ces mêmes puissances ont mené une politique visant à pousser les masses iraniennes dans un état de désespoir économique et de dénuement dans le seul but d’affirmer leur domination sur l’Iran et le Moyen-Orient.

Accord nucleaire IranAprès l’accord nucléaire de 2015, les sanctions auraient dû être levées par les États-Unis, le Canada et les puissances européennes. Certaines sanctions ont été levées, ce qui a permis d’augmenter sensiblement les exportations de pétrole. Il n’en demeure pas moins que des sanctions importantes demeurent en vigueur, en particulier de la part des États-Unis.

Il est remarquable que l’un des plans électoraux de Trump ait été de démanteler l’accord sur nucléaire iranien et de poursuivre une politique économique et militaire agressive contre l’Iran. Depuis son accession à la présidence, il a renforcé un certain nombre de sanctions non nucléaires malgré les engagements pris dans l’accord de 2015. Cela a stoppé les investissements étrangers en Iran, investissements espérés après la conclusion de l’accord.

Les Etats-Unis à l’offensive

Derrière la « sympathie » de Trump pour les protestations se cache une tentative de justifier le rétablissement et l’approfondissement des sanctions économiques. En octobre dernier, Trump avait déjà menacé de se retirer de l’accord nucléaire iranien, une décision qui devrait être prise dans les prochaines semaines. S’il ne certifie pas le respect de l’accord par l’Iran, cela pourrait entraîner de nouvelles sanctions. Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies a été convoquée par Trump pour le 5 janvier, qui était une tentative flagrante de pousser à une plus grande intervention occidentale contre l’Iran.

Mais ces protestations ont été déclenchées précisément à cause de la misère économique des masses, que Trump propose d’intensifier. Ces sanctions pénales imposées par l’impérialisme occidental ne sont pas et ne doivent pas être oubliées par les masses iraniennes. La rhétorique des dirigeants occidentaux en faveur du « peuple iranien » n’a rien à voir avec le souci de la souffrance du peuple iranien.

Même les alliés européens de l’Amérique tels que la Grande-Bretagne et la France ont été mis dans une position inconfortable, mettant en garde Trump contre le démantèlement de l’accord nucléaire de 2015 et la poursuite de politiques plus punitives contre l’Iran. Néanmoins, ils ont quand même participé à la leçon donnée par les États-Unis à l’Iran sur son rôle dans l’instabilité au Moyen-Orient et sur les droits démocratiques. Telle est l’hypocrisie de ces puissances mondiales qui ont lancé guerre après guerre dans la région. Il ne fait aucun doute que le régime iranien tentera d’utiliser cette hypocrisie pour dissuader les manifestants de contester leur pouvoir.

Les Etats-Unis et leurs alliés veulent un changement de régime

Les États-Unis sont restés les bras croisés à la suite de leurs interventions au Moyen-Orient au cours des 15 dernières années. L’invasion et l’occupation de l’Irak ont détruit l’armée irakienne, qui avait servi de contrepoids aux Iraniens. En conséquence, le régime iranien a pu étendre son influence dans la région, en particulier en Irak. Comme contre-mesure, les Etats-Unis et leurs alliés ont organisé le détournement de la révolution syrienne par les forces extrémistes sunnites. Mais l’aventure syrienne s’est également soldée par une défaite, qui a renforcé la position de la République islamique dans la région.

Les interventions désastreuses des États-Unis dans la région ont eu un effet contraire à celui escompté, affaiblissant les États-Unis et leurs alliés tout en renforçant l’influence régionale de l’Iran. Les Etats-Unis, et surtout les Saoudiens et les Israéliens, craignent cette influence croissante et cherchent à déstabiliser l’Iran. Ils ont adopté une tactique de changement de régime depuis un certain nombre d’années. Par exemple, les Saoudiens, les Turcs et les Israéliens ont essayé de créer des tensions nationalistes parmi les minorités nationales opprimées en Iran.

Bien que ces tentatives de déstabilisation de l’Iran ne présentent pas de danger à l’heure actuelle, elles pourraient le faire à un stade ultérieur. L’Iran est devenu une puissance régionale sérieuse, et l’ère où les États-Unis et leurs alliés régionaux pouvaient faire ce qu’ils voulaient a pris fin. Leurs appels démagogiques au mouvement de masse actuel sont une tentative d’ancrage en Iran. Cela signifie tenter de détourner le mouvement et le pousser dans une direction réactionnaire.

Dans ces tentatives, ils ont jusqu’à présent deux relais politiques. D’une part, il y a Reza Pahlavi : le dernier héritier de la dynastie monarchique soutenue par les Anglo-Américains qui a été renversée lors de la révolution de 1979. Il s’est présenté comme la « voix unificatrice » de l’opposition iranienne. Il a demandé l’aide des Etats-Unis pour renverser le régime iranien. Lors d’une récente émission de radio de la BBC, il a plaidé pour la mise en place d’une monarchie constitutionnelle à la suite de l’effondrement du régime actuel.

Organisation des Moudjahidin du Peuple IranienL’Organisation des moudjahidin du peuple (OMPI) a également cherché et obtenu le soutien de l’impérialisme occidental. Il s’agit d’une organisation terroriste islamique réactionnaire, basée en Irak depuis des années. Le groupe a travaillé avec le régime de Saddam Hussein pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, et a commencé à rechercher ouvertement des alliances avec l’impérialisme occidental après cela. On estime qu’il entretient des liens de plus en plus étroits avec l’Arabie saoudite. L’OMPI a récemment été retirée des listes des organisations terroristes de l’UE en 2009 et des États-Unis en 2012. Ils jouissent d’un important soutien parmi les républicains et les démocrates de premier plan, et ils ont demandé une rencontre avec Trump ce mois-ci. Le régime prétend avoir arrêté plusieurs de ses membres au cours de la semaine dernière pour avoir tenté d’organiser le sabotage.

Dans le même temps, une campagne de propagande agressive a été lancée par la mise en place de divers réseaux médiatiques américains et britanniques ciblant la population iranienne. Les chaînes de télévision telles que Manoto, Voice of America et BBC Persian diffusent activement des émissions destinées à un auditoire iranien et sont très populaires étant donné la censure étouffante en Iran. Ces canaux sont correctement perçus comme favorisant le changement de régime au service des puissances occidentales et la promotion de leurs mandataires.

Ces forces soutenues par l’Occident n’ont heureusement pas beaucoup d’influence en Iran. Cependant, elles cherchent activement à influencer le mouvement de masse actuel et à prendre pied. Il est donc vital que la lutte de masse actuelle rejette et mette de côté ces forces réactionnaires pro-impérialistes.

Toutes les factions du régime iranien au pouvoir utilisent cette intervention occidentale pour discréditer le mouvement. En fait, l’une des principales raisons pour lesquelles le mouvement n’a pas attiré des couches encore plus larges est que beaucoup se méfient de devenir des pions de l’impérialisme américain.

Impérialistes, pas touche aux manifestations en Iran !

Le bilan sanglant de l’impérialisme occidental en Iran et au Moyen-Orient suffit à démontrer qu’il ne peut jouer aucun rôle progressiste dans la lutte des masses iraniennes contre le régime. L’histoire du pillage et de l’intervention brutale de l’impérialisme britannique et américain en Iran tout au long du XXe siècle, y compris le coup d’État soutenu par les États-Unis en 1953, le soutien de la monarchie iranienne et le soutien à l’invasion de l’Iran par Saddam (avec la fourniture d’armes chimiques), est bien connue. La guerre économique la plus récente montre l’attitude réelle des impérialistes envers les masses appauvries et en difficulté.

L’impérialisme américain a apporté des bains de sang sectaires et une pauvreté de masse en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie. L’intervention occidentale ne peut avoir qu’un impact réactionnaire sur l’Iran. Avoir des illusions dans l’impérialisme américain, canadien ou européen ne pouvait que repousser les aspirations des travailleurs et des jeunes iraniens à la sécurité économique, aux droits démocratiques et à la fin de la dictature d’une élite corrompue et riche.

Le régime iranien est bien conscient que le sentiment de masse est hostile à l’impérialisme occidental. En fait, l’un des piliers clés de son pouvoir a été la menace étrangère posée par l’impérialisme américain. Au Moyen-Orient en général aussi, le régime iranien a tenté de se positionner comme une force « anti-impérialiste » luttant contre les groupes réactionnaires engendrés par l’impérialisme américain et l’Arabie Saoudite.

Khameini a répondu aux protestations en affirmant que les « ennemis de l’Iran » étaient derrière eux et que ces forces utilisaient « l’argent, les armes, la politique et les services de renseignement » pour promouvoir le mouvement. Le ministre iranien des Affaires étrangères et envoyé spécial de l’ONU a attaqué Trump et d’autres puissances occidentales pour leur tentative d’ingérence dans les affaires intérieures. Les politiciens « réformistes », qui font partie du régime iranien au pouvoir, se sont montrés particulièrement agressifs en s’attaquant aux manifestants et en prétendant que les puissances occidentales sont à l’origine des troubles.

En réalité, bien sûr, le régime du mollah n’est pas du tout anti-impérialiste. En fait, en Afghanistan et en Irak, l’Iran et les États-Unis ont coopéré à de nombreuses reprises. En Irak, les Etats-Unis sont devenus dépendants de leur alliance avec les forces soutenues par l’Iran dans la lutte contre ISIS et d’autres islamistes sunnites. Les milices chiites, les troupes iraniennes et les paramilitaires en Irak ont été la seule force fiable pour empêcher la désintégration de l’Irak. Sans l’aide de l’Iran, l’occupation infructueuse de l’Irak par les États-Unis aurait été beaucoup plus importante et coûteuse.

L’Iran a coopéré avec les Américains pendant l’occupation de l’Afghanistan et a aidé à renverser le régime taliban. Le régime d’Hamid Karzaï, mis en place après l’invasion américaine, était soutenu et ami des Américains et des Iraniens. Le financement du régime a été assuré par les deux gouvernements. En Syrie également, les Iraniens ont offert à plusieurs reprises de conclure un accord avec l’impérialisme américain. Le « combat  » du régime iranien contre l’impérialisme occidental n’est qu’un combat pour justifier l’autorisation à s’asseoir aux mêmes tables et à prendre une part du gâteau.

Néanmoins, tant que l’agression impérialiste se poursuivra contre l’Iran, le régime pourra rallier une partie du peuple iranien derrière lui. L’effet de la campagne américaine, israélienne et saoudienne visant à promouvoir leur propre programme impérialiste par le biais des récents mouvements a eu pour effet d’effrayer certaines couches et d’affaiblir ainsi le mouvement.

C’est une leçon claire pour les révolutionnaires iraniens de l’avenir. Les masses ne peuvent pas faire confiance à l’impérialisme américain ou à tout autre élément de la classe dirigeante. Ils ne peuvent faire confiance qu’à leurs propres forces. La clé pour briser l’isolement du mouvement actuel et l’empêcher de dégénérer, c’est de l’organiser et d’atteindre la classe ouvrière.

Il est du devoir du socialisme et du mouvement ouvrier en Occident de s’opposer à toute intervention en Iran, y compris l’intervention militaire, les sanctions économiques, les manœuvres diplomatiques et les opérations secrètes. Les intentions de l’impérialisme occidental doivent être exposées à travers tout le mouvement ouvrier.

Les travailleurs et les jeunes de l’Occident cherchent instinctivement à tisser des liens et à organiser la solidarité avec les luttes héroïques en Iran. Bon nombre des problèmes qui sous-tendent les protestations en Iran – comme la pauvreté, le chômage, la corruption et l’inégalité – sont communs à la classe ouvrière du monde entier. Notre tâche en Occident est d’organiser la solidarité de la classe ouvrière indépendante avec les masses iraniennes et de mobiliser activement la lutte contre notre propre classe dirigeante impérialiste. En même temps, en tant qu’internationalistes, nous devons tendre la main aux travailleurs et aux jeunes Iraniens pour construire une tendance révolutionnaire marxiste, qui pourrait mener à la révolution iranienne à venir.

Cet article est un résumé de deux articles publiés en anglais sur le site web In Defence of Marxism les 1er et 2 janvier dernier.


Au cours de la dernière semaine, nous avons assisté en Iran aux manifestations les plus répandues depuis la Révolution de 1979. Bien que le mouvement soit de plus petite taille que le mouvement vert de 2009, il s’est propagé beaucoup plus loin que les régions urbaines et les grandes villes où s’était confiné ce mouvement. Nous assistons à un changement radical qui secoue le régime jusque dans ses fondements.

Les premières manifestations ont eu lieu à Mashad et visaient initialement le président Hassan Rohani. En fait, elles ont initialement reçu l’appui de Ahmad Alamolhoda, le réactionnaire partisan de la « ligne dure », imam de la prière du vendredi de Mashad et dépositaire du fonds Imam Reza, valant plus de 15 milliards de dollars US.

Cependant, les slogans se sont rapidement retournés contre l’establishment clérical tout entier. Mashad, la deuxième plus grande ville d’Iran, a toujours été considérée comme une ville conservatrice et religieuse dans laquelle les factions politiques de la « ligne dure » jouissaient d’un soutien élevé. Mais au cours des dernières années, l’humeur a changé dans la ville. En fait, le trait caractéristique de toutes ces manifestations est le fait qu’elles ont fait irruption dans des régions et parmi des couches de la population dans lesquelles le régime jouissait d’un important soutien.

Rohani est arrivé au pouvoir il y a cinq ans en portant des promesses de changement. Des millions de gens de toutes les couches de la société s’étaient ralliés à ses promesses de mettre fin à l’atmosphère sécuritaire, de libérer les prisonniers politiques, d’augmenter les droits démocratiques, de mettre fin à l’isolement de l’Iran et d’augmenter le niveau de vie. Mais cinq ans plus tard, les gens ordinaires souffrent toujours. Le chômage a constamment augmenté et bien que l’inflation ait été globalement maîtrisée, le coût de la vie n’a cessé d’augmenter. De plus, le gouvernement de Rohani prévoit de couper encore davantage dans les subventions pour les produits de première nécessité ainsi que dans les allocations pour les pauvres, et prévoit augmenter les prix de l’essence de 50 %.

Le taux de chômage chez les 15-29 ans est de plus de 24 %, et ce n’est que le chiffre officiel. Ce taux est même plus élevé chez les jeunes et les femmes des milieux urbains. Ce sont des gens qui s’attendaient à de l’aide de la part du gouvernement Rohani. Mais malgré une croissance de 4,2 % l’an dernier, la première année de croissance véritable au pays depuis longtemps, le chômage et le coût de la vie ont continué d’augmenter.

Pendant quatre décennies, les masses laborieuses ont gardé la tête basse et ont accepté leur sort ainsi que les excuses données par le clergé. Mais il ne se passe pas une journée sans qu’un scandale majeur éclate, impliquant des hauts placés du régime. Les mollahs ont bâti des empires de milliards de dollars et jouissent d’un mode de vie obscène, tandis qu’ils imposent l’austérité aux masses.

Les manifestations des derniers jours sont sans précédent dans l’histoire de la République islamique. Jamais on n'avait vu un mouvement aussi répandu, et jamais on n’avait vu un mouvement de contestation exprimer une humeur aussi radicale et intransigeante. Dans la ville profondément conservatrice de Hamedan, des centaines de personnes scandaient « Khamenei est un meurtrier, son gouvernement est nul ».

Dans la ville de Téhéran, les manifestations se sont poursuivies et ont mené à de lourds affrontements. Plus important encore, les manifestations se sont répandues aux villes et villages industriels autour de Téhéran. À Karaj, un bastion industriel situé juste à l’extérieur de Téhéran, des milliers de personnes ont pris la rue et se sont mesurées à la police.

Il y a également eu des manifestations à Zanjan, Tuyserkan, Arak, Saveh, Amol, Sari et Qazvin. Ce sont toutes des régions « périphériques » où le chômage est élevé, et la jeunesse non étudiante semble être à la tête du mouvement dans la plupart des villes.

Immédiatement après le discours de réconciliation de Rohani à la télévision, la répression a augmenté et le nombre d’arrestations s’élève maintenant à au moins 400 personnes [maintenant plus de 1000 personnes, NDLR], et les autorités rapportent qu’environ 20 personnes ont été tuées. Au même moment, le Corps des Gardiens de la révolution a annoncé qu’il prendra le contrôle de la sécurité de Téhéran des mains de la police. Cela est non seulement contraire aux déclarations du président Rohani qui, il y a quelques jours, disait que les gens auraient le droit de manifester pacifiquement, mais cela va également à l’encontre de sa promesse électorale d’il y a cinq ans de retirer les troupes paramilitaires des rues de Téhéran. Ces « démocrates » libéraux, soi-disant amis du peuple, adoptent exactement les méthodes auxquelles ils prétendent s’opposer.

Malheureusement, une mince couche d’intellectuels « de gauche » répète ce que beaucoup de libéraux disent, à savoir qu’en l’absence d’une organisation et d’un programme clair, le mouvement peut tomber sous l’influence des forces réactionnaires intérieures ou extérieures, ou tout simplement subir une défaite. Par conséquent, cela implique que nous ne devrions pas soutenir le mouvement.

Ce qu’ils sont en train de dire, c’est que nous devrions demander aux Iraniens affamés et désespérés de retourner à la maison et de continuer leur jeûne, et de ne revenir dans la rue qu’au moment où ils auront une organisation méritant l’appui de nos amis intellectuels « de gauche » !

Mais comment est-il même possible de construire une organisation de masse authentiquement démocratique sous une telle dictature ? Cela est très improbable, voire impossible. Ces messieurs et ces dames sont les mêmes qui abandonnent l’idée de construire une organisation car ils ne croient pas à la révolution et quand celle-ci survient, ils l’abandonnent car elle n’est pas munie d’une organisation. Dans tous les cas, ils s’opposent aux masses révolutionnaires auxquelles ils ne font pas confiance, et c’est là l’essence de la question.

Heureusement, les masses iraniennes ne se préoccupent pas vraiment de ces gens. Pendant 30 ans, les « démocrates » libéraux et leurs laquais sociaux-démocrates ont prôné les « réformes » et la « modération » chaque fois que les masses sont descendues dans la rue. Et qu’est-ce qui a été accompli ? Absolument rien. Ces trente années pendant lesquelles les conservateurs et les libéraux se sont échangé le pouvoir n’ont mené à rien. Les gens sont toujours opprimés, sans emploi et luttent pour survivre. Mais les pauvres et les personnes sous-éduquées d’Iran ont compris en quelques jours ce que ces intellectuels n’ont pas compris après trois décennies : seul un mouvement révolutionnaire audacieux peut donner des résultats. Le régime est clairement secoué par l’humeur radicale des manifestations, peut-être même plus encore que lors des différentes phases du mouvement vert de 2009.

Bien sûr, le mouvement a besoin d’une organisation et d’un programme révolutionnaire clair pour vaincre. Étant donné que le mouvement est très jeune et n’a pas de direction révolutionnaire, il devra faire face à de nombreux obstacles qui pourraient potentiellement le faire dérailler. Ce danger demeure, notamment aussi longtemps que le gros de la classe ouvrière ne s’est pas mis en mouvement. Ne serait-il donc pas tout à fait logique de soutenir et d’aider le mouvement, de tout faire en notre pouvoir pour développer une telle organisation et un tel programme, et ce, avant que le mouvement ne soit déraillé ou compromis ?

Nous assistons présentement aux tout débuts d’un processus révolutionnaire. Certaines couches de la population sont en train de prendre leur destinée en main. Il s’agit d’une anticipation des événements qui viennent. Les masses ne savent pas encore ce qu’elles veulent, mais elles savent exactement ce dont elles ne veulent pas, soit tout ce qui représente la République islamique. Le mouvement reflète également l’incapacité du capitalisme iranien à satisfaire les besoins de base du peuple d’Iran, incluant sa base de soutien traditionnelle.

À mesure que la lutte se développera, ce fait deviendra de plus en plus clair, tout comme les divisions de classe au sein de la population. La tâche des révolutionnaires n’est pas de rester sur le bas-côté et d’expliquer que ça « pourrait mal tourner si nous perdons », mais plutôt d’expliquer comment vaincre dans cette bataille ! Nous devons participer au mouvement et expliquer patiemment que c’est seulement en prenant le pouvoir entre ses mains que le peuple peut atteindre ses modestes objectifs.

L’accord sur le nucléaire iranien, signé mi-juillet, a été salué par des manifestations de joie à Téhéran et d’autres villes du pays. Il met fin à près de trois décennies de sanctions économiques contre l’Iran imposées par l’impérialisme américain. Il marque l’échec complet de la stratégie de Washington. Depuis le renversement du régime fantoche du Shah, en 1979, les Etats-Unis ont attaqué sans discontinuer l’Iran au moyen de sanctions économiques, mais aussi en soutenant la guerre d’agression menée par l’Irak de Saddam Hussein en 1980.

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et l’Arabie Saoudite n’ont cessé de menacer l’Iran depuis des années, qualifiant le régime de « menace pour la stabilité de la région ». Cette position est complètement hypocrite, car Israël a déjà agressé au moins une fois chacun de ses voisins ; c’est par ailleurs la seule puissance nucléaire de la région. L’Arabie Saoudite, de son côté, soutient depuis des décennies les pires forces de la réaction au Moyen-Orient, finançant des groupes jihadistes et réprimant tous les mouvements populaires. Le gouvernement saoudien avait même annoncé son intention de se doter de l’arme nucléaire – via le Pakistan – si un accord devait être signé avec l’Iran.

Un nouvel allié

Contrairement à ce que certains prétendent, cet accord n’est pas le fruit de la « volonté de paix » d’Obama ou de Rouhani. Il n’est pas davantage le résultat du travail de « bons négociateurs » qui auraient « débloqué » la situation. En dernière analyse, la diplomatie bourgeoise dépend de l’équilibre des forces, qui est déterminé par la puissance économique et militaire des nations – et non par l’intelligence de ses diplomates. Cet accord marque en fait la reconnaissance, par les Etats-Unis, du fait qu’ils n’ont pas pu soumettre l’Iran à leur volonté – et qu’à l’inverse ils ont désormais besoin de s’appuyer sur le régime des Mullahs pour stabiliser la situation dans la région.

L’Iran est aujourd’hui la source d’influence dominante en Irak et en Syrie. Il exerce aussi une influence déterminante au Liban (via le Hezbollah) et au Yémen, où ses alliés Houthistes ont été parmi les plus efficaces ennemis d’Al-Qaïda dans cette péninsule arabe. Pour les Etats-Unis, l’Iran, ancien membre de « l’axe du mal », est donc devenu la seule puissance fiable pour mener le combat sur le terrain contre l’Etat Islamique. A l’inverse, les plus proches alliés des Américains (Israël, Turquie et Arabie Saoudite) sont devenus des sources d’ennuis, car tous soutiennent les jihadistes à des degrés divers.

Reprise économique

En Iran même, la levée des sanctions va déboucher sur une forte reprise de l’économie et des investissements étrangers. Cela va renforcer la position militaire et politique de l’Iran dans la région et inciter la Turquie, Israël et les Etats du Golfe à répondre à cette montée en puissance. Dans cette course aux armements, les Etats-Unis vont se retrouver coincés entre l’Iran et leurs alliés traditionnels.

L’aggravation des sanctions, au cours de la dernière période, avait entraîné une profonde récession de l’économie iranienne, provoquant une hausse massive du chômage et de l’inflation. Dans le même temps, Barack Obama et Benjamin Netanyahu menaçaient constamment d’entrer en guerre contre l’Iran, ce qui aggravait encore le sentiment d’insécurité des masses iraniennes. Les sanctions et la menace de guerre avaient contribué à unir les masses derrière le régime, face à l’impérialisme de Washington. A présent que l’accord est signé, le régime ne peut plus invoquer la menace étrangère pour s’assurer le soutien de la population.

Les divisions de classe referont surface dès qu’il sera clair que l’accord ne profite pas aux masses, mais seulement aux capitalistes iraniens et occidentaux qui exploitent les travailleurs d’Iran. La reprise du commerce et de l’industrie poussera les travailleurs iraniens à demander des augmentations de salaires et de meilleures conditions de vie et de travail. Ce faisant, ils entreront en conflit avec l’appareil d’Etat, ce qui transformera les luttes économiques en une lutte politique contre la dictature elle-même. Un renouveau de la lutte des classes et du mouvement révolutionnaire en Iran sera une immense source d’inspiration pour les travailleurs et la jeunesse de tout le Moyen-Orient.