Grèce

Le 6 avril dernier, la Grèce a été partiellement paralysée par une grève générale de 24 heures, qui revendiquait notamment des augmentations de salaire et diverses mesures contre l’impact de l’inflation.

Des centaines de milliers de travailleurs ont répondu à l’appel de la Confédération générale des travailleurs grecs (GSEE) et de la Confédération des fonctionnaires (ADEDY). A Athènes et dans 70 autres villes du pays, les manifestations ont réuni plusieurs dizaines de milliers de salariés, de chômeurs et de jeunes.

L’ampleur de la grève

Dans de nombreux secteurs, la production a été complètement arrêtée, avec des taux de grévistes allant jusqu’à 100 %, notamment dans le bâtiment et l’agro-alimentaire. La grève a mobilisé 70 % des salariés de la presse et des médias en général. Dans les transports, les employeurs ont exigé l’application du « service minimum », conformément aux dispositions de la contre-réforme du Code du travail adoptée en juin 2021. Mais cette pression n’a pas fait plier les grévistes. Il n’y a pas eu de « service minimum ».

Pas un navire n’a quitté les principaux ports du pays. Nombre d’usines et de supermarchés étaient fermés. La plupart des écoles n’ont pas pu accueillir d’élèves. La classe ouvrière grecque a rappelé qu’elle fait tourner l’économie du pays. Cette grève générale – la deuxième en moins d’un an – témoigne de la fermentation en cours dans les masses, qui vivent un calvaire depuis la crise de 2008.

La hausse des prix, au cours des derniers mois, a accentué la dégradation du pouvoir d’achat des travailleurs. Selon une étude de l’INE-GSEE, 60 % des employés du secteur privé déclarent avoir été contraints de réduire leur consommation en denrées alimentaires de base. 74 % d’entre eux disent la même chose pour le chauffage et 80 % pour les loisirs. Le mot d’ordre avancé par les syndicats est révélateur de la détresse économique de la population : « Nos salaires ne suffisent pas, nous ne pouvons pas payer les factures ».

La « relance » promise par le gouvernement de droite a consisté à donner des dizaines de milliards d’euros aux grandes entreprises, sous forme de financements directs ou de prêts à taux zéro. Les travailleurs, eux, n’ont eu que des miettes, de petites aides à la consommation d’électricité et d’essence, qui ne compensent même pas la hausse des prix. L’indifférence du gouvernement vis-à-vis de la baisse du niveau de vie de l’immense majorité des Grecs est flagrante. Elle nourrit l’intensification des luttes ouvrières.

Le rôle des directions syndicales

Ceci dit, la grève du 6 avril n’était pas aussi « générale » qu’elle aurait pu l’être. Certaines couches du salariat se sont faiblement mobilisées. Ce fut le cas, en particulier, des employés de bureau et des travailleurs de la restauration. Leurs entreprises, où les syndicats sont moins bien implantés, sont globalement restées à l’écart du mouvement. Il ne s’agit pas tant d’un manque de conscience ou de combativité que d’une plus grande vulnérabilité de ces salariés face à leurs employeurs, en l’absence d’une protection syndicale forte.

La stratégie des directions syndicales est aussi en cause. Il apparaît de plus en plus clairement qu’une grève générale de 24 heures, aussi massive soit-elle, n’est qu’une mobilisation symbolique si elle n’est pas suivie d’un prolongement et d’une extension de la lutte. Or les directions syndicales se contentent de tels « tirs à blanc » pour donner l’impression de faire quelque chose, en espérant canaliser ainsi la colère de leurs bases. De ce fait, beaucoup de travailleurs précaires jugent inutile de prendre les risques qu’implique une grève de 24 heures. En outre, nombre d’entre eux ne peuvent pas se permettre de perdre une journée de salaire « pour rien ».

Ceci étant dit, on observe une nette radicalisation de la classe ouvrière grecque. En témoignent la résistance des travailleurs des transports (contre le « service minimum »), celle des salariés de Lidl (qui ont prolongé leur grève au-delà du 6 avril, pendant 48 heures), ou encore l’adoption de revendications anti-impérialistes par les cheminots de l’entreprise TRAINOSE. Ils ont refusé de contribuer à la livraison d’armes au gouvernement ukrainien.

Le PAME, qui est la confédération syndicale la plus à gauche, a réuni les plus gros cortèges de manifestants à Athènes, à Thessalonique, Patras, Larissa et Volos. Cependant, s’il réunit les forces les plus militantes de la classe ouvrière, le PAME demeure freiné par sa direction, qui refuse de préparer un véritable plan de lutte. La seule perspective qu’elle a proposée, pour la suite du mouvement, c’est la manifestation du 1er mai, 25 jours après la grève du 6 avril.

Il faut en finir avec les appels vagues – et jamais suivis d’effets – à « intensifier la lutte ». Il faut passer de la parole aux actes. Des AG doivent être convoquées, dans toutes les entreprises, pour faire le bilan du 6 avril. Une grève de 48 heures doit être mise à l’ordre du jour, dans la perspective de préparer une grève générale illimitée.

En janvier 2015, après cinq années de récession et de politiques d’austérité draconiennes, le parti Syriza (« gauche radicale ») était porté au pouvoir par un puissant mouvement des masses grecques. Elu sur un programme de réformes progressistes (augmentation des salaires et des pensions, embauche de fonctionnaires, etc.), le gouvernement d’Alexis Tsipras annonçait son intention d’appliquer son programme tout en renégociant avec la « troïka » (UE, BCE, FMI) les termes du remboursement de la dette publique grecque.

Ces illusions furent vite balayées. Le grand Capital européen – et surtout allemand – avait un objectif central : forcer Tsipras à poursuivre les politiques d’austérité de ses prédécesseurs. En juin 2015, les dirigeants européens prirent des mesures pour asphyxier le système financier grec. La main serrait la gorge non pour tuer, mais pour faire céder. Pour s’en dégager, Tsipras aurait dû rompre avec le capitalisme grec, répudier la dette et appeler tous les travailleurs d’Europe à suivre cet exemple.

Mais Tsipras céda aux exigences de la « troïka », le 13 juillet, après avoir pourtant obtenu 60 % de « non » à l’austérité lors du référendum du 5 juillet. Dans la foulée, le gouvernement de Syriza fit exactement ce qu’attendait de lui la bourgeoisie européenne : coupes budgétaires, privatisations, contre-réformes, etc.

Les élections de juillet 2019

C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la victoire de Nouvelle Démocratie (ND, droite), lors des élections législatives du 7 juillet dernier. Est-ce que les masses grecques « virent à droite », comme l’affirment certains militants de gauche dépités ? Non. ND n’a pas rassemblé au-delà de sa base sociale traditionnelle (la bourgeoisie et la petite bourgeoisie). Elle profite du déclin du parti fasciste Aube Dorée (qui passe de 7 % à 3 %), mais elle ne réunit pas plus de voix que le « oui » au référendum du 5 juillet 2015. C’est donc une victoire de la droite par défaut, sur fond d’abstention massive (42 %) et de recul de Syriza (qui perd 500 000 voix depuis 2015).

Mais les théoriciens du « virage à droite » de la Grèce insistent : « malgré sa politique réactionnaire, depuis 2015, Syriza résiste bien (30 %). Cela prouve qu’il n’y a pas d’espace pour une politique de gauche radicale ».

Cette interprétation est très superficielle. Les 30 % de Syriza ne reposaient pas sur l’enthousiasme que suscite la politique de ce parti, mais plutôt sur la volonté de faire barrage au retour de la droite au pouvoir. Or, cette tendance au soi-disant « vote utile » était d’autant plus forte que la gauche radicale – et, notamment, le Parti Communiste grec (KKE) – n’est pas parvenue à présenter un programme et une perspective crédibles.

La stagnation du KKE

Avec 300 000 voix (5,3 %), le KKE a fait pratiquement le même score qu’aux élections de 2012. Il stagne, donc, malgré la crise du capitalisme et la capitulation de Syriza. Pourquoi ?

C’est clair : les dirigeants du KKE ont multiplié les erreurs. Entre 2010 et 2015, lorsque Syriza était en pleine ascension, ils ont adopté à son égard une attitude complètement sectaire, refusant de lui accorder un soutien critique face à la droite. La direction du KKE est allée jusqu’à appeler à l’abstention lors du référendum – pour ou contre l’austérité – du 5 juillet 2015 ! Ce sectarisme forcené a isolé le parti de larges couches de la jeunesse et du salariat.

En conséquence, lorsque Tsipras a capitulé, le 13 juillet 2015, le KKE n’était pas en bonne posture pour incarner une alternative révolutionnaire à la faillite de Syriza. Il l’était d’autant moins qu’il a eu tendance, par la suite, à mettre entre parenthèses son programme de rupture avec le capitalisme, au profit d’un discours électoraliste sur la nécessité d’une « opposition forte ». Au lieu d’expliquer systématiquement la nécessité de renverser le capitalisme et de porter les travailleurs au pouvoir, il a laissé entendre qu’un changement radical ne serait possible qu’à plus ou moins long terme.

C’est dans ce contexte précis que Syriza a réussi à apparaître comme le « moindre mal », face à une droite qui s’engage à aggraver brutalement les contre-réformes et le programme de privatisations.

Perspectives

Ceci dit, il est peu probable que Syriza joue un rôle important dans l’opposition au gouvernement de droite. Les travailleurs n’oublieront pas la trahison de Tsipras. En outre, la direction de Syriza cherche à le stabiliser comme « parti de gouvernement » (comprenez : pro-capitaliste).

Dans ce contexte, le KKE peut jouer un rôle décisif dans la période à venir, qui sera marquée par des luttes explosives. Mais pour cela, le parti devra corriger les erreurs de sa direction. Le KKE, qui compte sur des militants nombreux et dévoués, doit désormais combler le fossé qui le sépare des masses. Un large débat doit s’ouvrir, dans le parti, pour lui permettre de renouer avec les idées authentiques du marxisme révolutionnaire.  

Le 10 octobre, la Banque Centrale Européenne (BCE) annonçait que la dette de l’Etat grec lui avait rapporté 7,8 milliards d’euros d’intérêts entre 2012 et 2016. Dans le même temps, la « troïka » (BCE, UE et FMI) exige sans cesse du gouvernement grec de nouvelles coupes budgétaires. Ainsi va la « solidarité européenne ».

Les dirigeants de l’Union Européenne ont un plan pour « sauver » la Grèce. Ils ont calculé qu’en poursuivant la politique d’austérité, et dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de 2 %, en moyenne, la crise de la dette grecque serait résolue en... 2060 ! Problème : la succession de plans d’austérité, depuis 2009, a plongé la Grèce dans une interminable récession. Et la population dans des souffrances inouïes : 35 % des Grecs vivent dans la pauvreté ; 22 % dans la très grande pauvreté. Le taux de chômage s’élève à 23 %.

Le Premier ministre, Alexis Tsipras, a récemment fait adopter de nouvelles coupes dans les retraites et dans les allocations chômage des jeunes (entre autres). En janvier 2015, la victoire électorale de Syriza avait suscité énormément d’espoirs. A l’époque, nous prévenions que si Tsipras ne rompait pas avec le capitalisme grec, il serait obligé de renoncer aux réformes progressistes et de mener, au contraire, des contre-réformes. Le mouvement ouvrier international doit en tirer toutes les leçons !

Le 4 février dernier, en Grèce, une grève générale de 24 heures a massivement mobilisé les travailleurs, les paysans, les artisans et toutes les couches les plus pauvres de la société. Elle avait été convoquée par les fédérations des syndicats du public et du privé, pour protester contre la politique d’austérité drastique mise en œuvre par le gouvernent d’Alexis Tsipras.

Ces trois dernières années, les appels à la grève générale étaient peu suivis. Mais celle du 4 février dernier fut un grand succès, non seulement du point de vue du nombre de grévistes, mais aussi en termes de participation aux manifestations de rue – à Athènes et Thessalonique, bien sûr, mais aussi à Patras, Heraklion, Larissa et d’autres petites villes. A Athènes, les deux manifestations ont regroupé autour de 100 000 personnes. Cette grève marque donc un développement important de la lutte des classes dans ce pays saigné à blanc par la crise économique et un troisième « Mémorandum ».

Fait remarquable de cette grève générale, les bataillons traditionnels de la classe ouvrière défilaient aux côtés de très nombreux paysans, retraités, chômeurs, artisans, ingénieurs, avocats, médecins et petits commerçants. Beaucoup participaient à une manifestation pour la première fois de leur vie. Les classes moyennes et les professions intermédiaires sont frappées de plein fouet par les coupes budgétaires et les contre-réformes. Un front commun est en train de se former entre les salariés, les classes moyennes, les retraités et les chômeurs – c’est-à-dire toutes les victimes de la crise et de l’austérité.

Le choc et le réveil

La trahison flagrante d’Alexis Tsipras, après la large victoire du « Non » le 6 juillet dernier, a d’abord laissé les masses dans un état de choc et de paralysie. C’était inévitable. Mais cet état commence à se dissiper : telle est l’importante signification politique de la grève du 4 février. C’est la meilleure réponse aux divers prophètes, oiseaux de mauvaises augures « de gauche » – en Grèce et ailleurs –, qui annonçaient des années de calme et de stabilité, en Grèce, comme si le peuple allait rester indifférents aux coups qui le frappent. Au contraire : suivant l’exemple du récent soulèvement des agriculteurs, les travailleurs ont repris le chemin de la rue.

Le capitalisme grec est au bord de la faillite. Pour survivre, il est obligé de constamment pressurer le peuple grec. En conséquence, depuis 2009, ce pays n’a pas bénéficié d’une seule longue phase de stabilité sociale et politique. Confrontés à des attaques à répétition, les travailleurs sont obligés de passer sans cesse à l’action.

La bourgeoisie grecque est inquiète – et elle a toutes les raisons de l’être. La possibilité d’une nouvelle série de mobilisations massives constitue une épée de Damoclès sur le gouvernement SYRIZA-ANEL. Le « capital politique » de Tsipras s’épuise rapidement, mais les partis bourgeois traditionnels sont en crise et toujours discrédités. La bourgeoisie va rapidement se retrouver dos au mur.

Montée en puissance

Le succès de la grève générale du 4 février souligne la nécessité d’organiser une montée en puissance de la lutte des classes. Les syndicats, les comités d’agriculteurs et les différentes organisations de travailleurs doivent se coordonner pour préparer une nouvelle grève générale, cette fois-ci de 48 heures. De leur côté, les forces de la gauche anti-mémorandum et anti-capitaliste – Parti Communiste (KKE), Unité Populaire, Antarsya, etc. – doivent impulser la création de comités de lutte dans chaque entreprise et dans chaque quartier, pour organiser sérieusement cette grève.

Si une telle grève parvenait à mobiliser largement dans la classe ouvrière, ce qui est très probable, il faudrait passer à l’étape suivante, c’est-à-dire à la grève générale illimitée, jusqu’au retrait du troisième Mémorandum. De nouvelles élections devront être imposées pour élire un gouvernement prêt à abolir le Mémorandum, à annuler la dette et à éradiquer le pouvoir politique et économique des banques et de l’oligarchie capitaliste grecque.

Après avoir remporté les élections du 20 septembre, Tsipras affirme qu’il dispose désormais d’un mandat pour continuer la politique engagée cet été – c’est-à-dire une politique d’austérité drastique dictée par la troïka. Pourtant, sa coalition gouvernementale (Syriza-ANEL) a perdu 416 000 voix depuis les élections de janvier.

Syriza a recueilli dimanche un pourcentage de voix (35,46 %) à peine inférieur à celui de janvier (36,6 %). Mais en termes absolus, Syriza recule de 320 000 voix. De même, Nouvelle Démocratie recueille 28 % des voix cette fois-ci, contre 27,8 % en janvier, mais recule de 200 000 voix. La raison en est l’abstention, qui est passée de 37 % en janvier à 43,5 % dimanche. A cela, il faut ajouter 2,5 % de votes nuls. Autrement dit, près de la moitié des électeurs n’ont pas voté pour l’un des partis en lice. Pourtant, selon la constitution grecque, le vote est obligatoire. Le haut niveau de l’abstention est d’autant plus significatif. Il y a une profonde désillusion dans la population. A peine 19,14 % de l’électorat global a voté pour Syriza. Et les partis pro-mémorandum ont perdu 1,1 million de voix depuis janvier.

Le résultat de ces élections ne peut pas être interprété comme un mandat pour poursuivre la politique d’austérité. La véritable expression démocratique du peuple grec, ce fut le référendum du 5 juillet, lorsque le peuple avait le sentiment que le gouvernement était prêt à résister à la troïka. Ce sentiment a disparu, désormais, et même ceux qui ont voté pour Syriza se résignent à l’idée que ce parti mènera une politique d’austérité. Ils espèrent simplement qu’elle sera moins sévère sous Tsipras.

Cette élection montre ce qui se passe lorsque la direction de la classe ouvrière n’est pas prête à mener la lutte contre la classe capitaliste qui contrôle l’économie. Il n’y a pas de moyen terme entre ce que les capitalistes demandent et ce dont les travailleurs ont besoin. C’est le cœur du problème.

80 % des mesures du dernier mémorandum sont censées être votées par le parlement d’ici la fin de l’année. Le peuple grec va subir une avalanche de contre-réformes à très court terme. La situation va donc très rapidement changer. L’idée d’une austérité « moins violente », grâce à Tsipras, sera balayée – et la réalité brutale du Mémorandum sera parfaitement claire.

Les résultats électoraux de dimanche ne sont qu’une photographie de la situation actuelle. Ils doivent être compris dans le contexte de l’épuisement et de l’apathie qui existe, dans le pays, après cinq années de mobilisations contre l’austérité draconienne imposée au peuple. La Grèce a connu cinq années de profonde crise économique, d’instabilité politique, de coalitions fragiles, de gouvernements techniques, d’élections anticipées – mais aussi cinq années de grèves générales (plus de 30 !) et de manifestations de masse, sans que cela change fondamentalement la politique menée. Puis il y a eu les cinq premiers mois du gouvernement Syriza, avec ses crises constantes, ses négociations interminables, ses soubresauts, les oscillations permanentes des dirigeants de Syriza et l’absence de perspectives à long terme convaincantes. Enfin, immédiatement après un référendum qui a vu le peuple grec résister à un chantage économique et politique brutal, le gouvernement de Syriza a déchiré le « Non » du peuple et capitulé face aux exigences de la troïka.

Les révolutions sont de très grandes consommatrices d’énergie psychologiques. Les derniers mois ont épuisé les masses, qui ne font plus confiance à aucun parti et, dans l’immédiat, aspirent juste à un peu de stabilité pour tenter de reprendre une vie normale. Cela explique le très haut niveau de l’abstention. Quant à la victoire de Syriza, elle est liée aux craintes d’un retour au pouvoir de Nouvelle Démocratie, aux derniers espoirs que Tsipras mènera une politique de gauche, à ses promesses d’être le parti pro-mémorandum le plus « progressiste », au fait que le mémorandum n’a pas encore produit tous ses effets – et au fait qu’aucune force politique n’a présenté d’alternative crédible au mémorandum.  

Sur la gauche de Syriza, ni le KKE, ni Unité Populaire ne sont parvenus à réaliser de percée. Le KKE a recueilli 5,5 % des voix, exactement le même pourcentage qu’en janvier ; mais il perd 37 000 voix. Unité Populaire, la scission de gauche de Syriza, a recueilli 155 000 voix (à peine 2,86 %), soit 11 000 de moins que le minimum requis pour entrer au parlement (3 %). Antarsya, qui regroupe de petites organisations de gauche radicale et espérait profiter de la capitulation de Tsipras, a recueilli 45 900 voix (0,85 %), contre 39 400 en janvier (0,64 %). Si Unité Populaire et Antarsya avaient uni leurs forces et constitué un front électoral, ils auraient plus de 10 députés et pourraient intervenir comme opposition de gauche au sein du parlement. Au lieu de cela, ils n’ont rien.

La stagnation du KKE s’explique par le sectarisme qu’il a manifesté tout au long de ces années. Ses critiques à l’égard de Syriza et d’Unité Populaire sont souvent justes ; mais il ne fait pas la moindre tentative d’appliquer la tactique du Front Unique développée par Lénine. Il ne suffit pas d’avoir raison en théorie ; encore faut-il le prouver dans la pratique. Le KKE doit démontrer aux masses qu’il veut gagner la direction du mouvement. Ce n’est possible qu’en proposant aux autres partis ouvriers l’unité dans l’action sur un ensemble de mesures qui répondent aux besoins des travailleurs – et ce sans avoir à faire la moindre concession aux tendances réformistes de ces mêmes partis. Au lieu de cela, le KKE se contente de traiter tout le monde de traitres et d’expliquer que tout ira pour le mieux quand le KKE grandira. Lors des élections de dimanche, le KKE a payé le prix de ce sectarisme à l’égard des autres forces de gauche, du camp du « non » au référendum du 5 juillet.

De son côté, Unité Populaire a souffert de son programme basé sur un retour à la drachme et une forme de capitalisme protectionniste – mais aussi du fait que Lafazanis (ex-ministre très discret du premier gouvernement de Syriza), comme d’autres dirigeants de ce parti, sont toujours associés au gouvernement issu des élections de janvier – et par conséquent affecté par le scepticisme général.

Les dirigeants d’Unité Populaire payent le prix fort de leur comportement récent à l’intérieur de Syriza (lorsqu’ils y animaient la « plateforme de gauche », avant la scission). A un certain stade, la majorité du Comité Central de Syriza était contre Tsipras, de même que le Secrétariat Politique du parti, son organisation de jeunesse et ses cadres syndicaux. Si Lafazanis l’avait voulu, il aurait pu mener la lutte pour prendre le contrôle de Syriza  et y gagner une majorité. Une telle majorité existait. Pour ce faire, il aurait dû mobiliser la base du parti. Au lieu de cela, il a préféré ce que certains ont appelé un « divorce à l’amiable ». Il a laissé Syriza à Tsipras, qui y était pourtant minoritaire. Ce comportement n’est pas étranger au résultat d’Unité Populaire.

A présent, Tsipras va mettre en œuvre un mémorandum sauvage qui ne sera viable ni économiquement, ni politiquement. Plus que jamais, les partis bourgeois sont faibles, divisés et discrédités. La classe dirigeante n’a d’autre choix que de s’appuyer sur Tsipras, allié incertain ; elle est trop faible pour s’imposer elle-même de façon décisive.

Relevons au passage que les fascistes d’Aube Dorée ne progressent pas en nombre de voix – et reculent même très légèrement – par rapport aux élections de janvier : 379 500 voix cette fois-ci (7 %), contre 388 400 en janvier (6,3 %). Cela ne signifie pas qu’Aube Dorée ne progressera pas à l’avenir, lorsque le mémorandum produira tous ses effets. Mais dans l’immédiat, ce parti ne profite pas de la situation.

Les tensions du printemps et la capitulation de Tsipras ne pouvaient que déboucher sur une phase d’épuisement et de démoralisation des masses. Mais sous l’impact de la crise, la classe ouvrière relèvera la tête. Et elle le fera à un niveau plus élevé, car elle sera passée par la dure école du réformisme pro-UE, qui se révèle complètement utopique. Les réformes ne peuvent être gagnées qu’à travers la lutte et des mesures révolutionnaires : telle est la conclusion évidente de la faillite de Syriza. Le mouvement a subi une défaite, mais la classe ouvrière en tirera les conclusions et, ce faisant, franchira une nouvelle étape vers sa victoire. Comme l’écrivait Rosa Luxemburg :

« La route du socialisme – à considérer les luttes révolutionnaires – est pavée de défaites. Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces “défaites”, où nous avons puisé notre expérience, nos connaissances, la force et l’idéalisme qui nous animent ? Aujourd’hui que nous sommes tout juste parvenus à la veille du combat final de la lutte prolétarienne, nous nous appuyons sur ces défaites et ne pouvons renoncer à une seule d’entre elles, car de chacune nous tirons une portion de notre force, une partie de notre lucidité. » (« L’ordre règne à Berlin », 1919)

Le réformisme ne peut pas arrêter le rouleau compresseur de l’austérité. Ce qui est nécessaire, c’est un parti de la classe ouvrière grecque qui tire toutes les leçons du passé et explique aux jeunes et aux travailleurs que la lutte contre l’austérité ne pourra pas être victorieuse sans une lutte contre le système capitaliste dans son ensemble. En dernière analyse, la victoire du peuple grec dépendra de la construction d’une tendance marxiste viable au sein de la jeunesse et du mouvement ouvrier grecs, d’une tendance capable d’enraciner le programme et les idées du marxisme d’abord parmi les éléments les plus conscients de la classe, puis dans ses larges couches. Les éléments radicalisés du KKE, d’Unité Populaire et de la jeunesse militante constitueront les forces autour desquelles un parti révolutionnaire authentique des travailleurs sera construit. Mais pour cela, il nous faut d’abord comprendre où en est le processus révolutionnaire – et pourquoi il en est là.

Cet article date de la fin du mois d'août. Depuis, les sondages confirment la tendance à la baisse des intentions de vote en faveur de Syriza.


Le 20 août dernier, lors de son allocution télévisée annonçant sa démission et l’organisation d’élections anticipées, Tsipras a déclaré que le peuple va au-devant de nouvelles luttes, mais que la Grèce est « déterminée à honorer » les accords de Bruxelles du 13 juillet. D’un montant de 86 milliards d’euros, le nouveau « plan d’aide » est conditionné à des contre-réformes drastiques, des augmentations d’impôts et 50 milliards d’euros de privatisations. Cela signifie l’abandon complet de tout ce que Tsipras avait promis avant son élection, le 25 janvier.

Chacun sait, en Grèce, que ce nouveau « Memorandum » se soldera par une chute sévère des niveaux de vie, une récession et une croissance du chômage. L’âge du départ à la retraite est repoussé à 67 ans, le minimum vieillesse réduit à 350 euros. Les retraités les plus malades vont perdre 100 euros par mois. L’augmentation de la TVA étrangle le pouvoir d’achat. Et tout ça pour quoi ? Après cinq années de coupes budgétaires, la dette publique du pays est passée de 125 % à 185 % du PIB. Elle se dirige à présent vers les 200 %. Quel beau succès ! A peine 10 % de l’argent des précédents « plans d’aide » est allé dans les caisses de l’Etat grec. Tout le reste a fini dans les coffres de banques allemandes ou d’autres pays européens.

L’accord de Bruxelles exigeait que les principales décisions économiques du gouvernement grec passent sous le contrôle de la troïka. Celle-ci gère directement le fonds de privatisations. Quatre des sept membres du Conseil de politique budgétaire sont nommés par la troïka, qui contrôle aussi le Secrétariat général aux recettes fiscales et l’Institut national de la statistique. La « démocratie » bourgeoise européenne n’est plus qu’une mauvaise farce.

Dès avant les élections du mois de janvier, nous expliquions que Tsipras n’avait que deux possibilités : rompre avec le capitalisme grec – ou capituler face aux exigences de la troïka. Mais quelle est la situation aujourd’hui – et quelles sont les perspectives ?

La scission de Syriza

La capitulation de Tispras a précipité la scission de Syriza. La nouvelle formation (Unité Populaire) rassemble les militants de l’ancienne « Plateforme de Gauche » de Syriza, dirigée par Panayotis Lafazanis, et d’autres groupes dont certains viennent de Syriza. La très populaire présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, quitte Syriza et va collaborer avec Unité Populaire. Nos camarades grecs du journal Epanastasi (« Révolution »), qui constituaient jusqu’alors la Tendance communiste de Syriza, l’ont quitté et figurent parmi les co-fondateurs de la nouvelle formation de gauche.

Dans une interview publiée par l’Humanité du 27 août, un dirigeant d’Unité Populaire, Stathis Kouvelakis, souligne que Syriza est en cours de « désintégration ». Tsipras garde le soutien de nombreux parlementaires, mais 53 membres du Comité Central de Syriza a démissionné. La jeunesse du parti ne le soutiendra pas aux élections du 20 septembre. Plus on descend vers la base, plus l’hémorragie de militants s’intensifie, jour après jour. 

Une « leçon de démocratie » ?

L’annonce d’élections anticipées a été saluée par de nombreuses personnalités de gauche, en France, comme une « leçon de démocratie ». C’est au minimum naïf. Rappelons que Tsipras a signé l’accord de Bruxelles quelques jours après le rejet des politiques d’austérité par 61 % des voix, le 5 juillet. Etrange « leçon de démocratie » ! En ce qui concerne les élections anticipées, Stathis Kouvelakis (Unité Populaire) explique : « le but de la manœuvre est extrêmement clair : il s’agit d’aller aux urnes le plus vite possible avant que l’impact du Memorandum ne se fasse sentir dans la population. » Autrement dit, il s’agit de ne pas laisser à Unité Populaire le temps de s’organiser, de s’enraciner et de constituer une alternative électorale à Syriza. C’est une leçon de realpolitik, si l'on veut ; mais pas de démocratie.

La manœuvre a de bonnes chances de réussir, dans un premier temps. Malgré ses renoncements, Syriza conserve une base électorale importante. Nouvelle Démocratie (droite) est très discréditée ; le PASOK (social-démocrate) l’est complètement. Tsipras mise sur l’inertie de larges sections de son électorat de janvier dernier. Mais les sondages annoncent déjà autour de 25 % d’intentions de vote pour Syriza, soit une chute de plus de 10 % par rapport aux élections de janvier (36,3 %). Ce mouvement pourrait s’accélérer avant les élections. Une partie non négligeable de l’ancien électorat de Syriza va s’orienter vers Unité Populaire, qui pourrait obtenir des députés, ce que Tsipras cherchait justement à éviter en précipitant les événements. A terme, cette situation va aussi favoriser le KKE, malgré son sectarisme – et, à droite, l’Aube Dorée ou une autre formation prenant sa suite.

Coalition instable

Si Tsipras obtient assez de voix, il formera sans doute un gouvernement de coalition avec le PASOK et Potami, un nouveau parti « centriste » (bourgeois) qui, l’an passé, avait été systématiquement promu par les médias pour faire contrepoids à Syriza. Ceci dit, il n’est pas sûr que le PASOK obtienne des sièges au parlement. Si Syriza recueille moins de 20 % des voix, Tsipras pourrait devoir former une coalition avec Nouvelle Démocratie. Ce serait le baiser de la mort, pour Syriza. Dans tous les cas, on aura affaire à une coalition instable et un gouvernement de crise qui pourrait tomber assez vite.

En France, le Parti de Gauche soutient Unité Populaire. C’est évidemment correct. Syriza va très vite dilapider son capital politique ; d’ores et déjà, les éléments les plus combatifs de la jeunesse et de la classe ouvrière se tournent vers Unité Populaire – ou vers les deux autres forces d’opposition de gauche : le KKE et Antarsya. Si ces trois forces s’unissaient sur un programme de rupture avec la troïka et les politiques d’austérité, elles réaliseraient sans doute un très bon score aux élections. Malheureusement, les directions de ces organisations y font obstacle. Mais c’est la ligne stratégique que défendent nos camarades grecs.

La direction du PCF, elle, soutient toujours Syriza et Tsipras. C’est une erreur grossière qui prolonge toutes les autres erreurs de la direction du parti sur la Grèce. Les militants communistes doivent faire pression pour qu’elle soit rapidement corrigée, car elle revient à associer le PCF à la politique d’austérité drastique qui est menée en Grèce. [1]

Le programme d’Unité Populaire

Lafazanis, le dirigeant d’Unité Populaire, s’oppose à la capitulation de Tipras. C’est à mettre à son crédit. Mais le programme d’Unité Populaire n’offre pas d’alternative réelle. Il propose de rompre avec l’euro, mais la sortie de l’euro sur la base du capitalisme n’est pas une solution. Unité Populaire propose également de nationaliser les banques ainsi que les réseaux d’électricité, les ports et les télécommunications. C’est en effet indispensable. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas nationaliser – et placer sous le contrôle démocratique des travailleurs – l’ensemble des grands leviers de l’économie grecque ? C’est la seule issue. Un retour à la drachme sur la base du capitalisme, même en développant le secteur public, provoquera de l’hyperinflation, une récession sévère et une chute des niveaux de vie.

Perspectives

En l’absence d’un parti et d’une direction révolutionnaires capables de mener rapidement les travailleurs au pouvoir, la crise du capitalisme grec peut se prolonger pendant des années, avec des flux et des reflux, de violentes oscillations électorales vers la gauche et vers la droite, jusqu’à ce qu’une solution finale soit trouvée – dans un sens révolutionnaire ou contre-révolutionnaire.

A un certain stade, les capitalistes grecs et européens exigeront la fin du « chaos » en Grèce. Ils diront : « il y a trop de grèves, trop de manifestations. Il faut de l’ordre ! » Si la gauche n’offre pas d’issue révolutionnaire, la bourgeoisie pourrait s’orienter vers un régime de type bonapartiste (dictatorial). Ceci dit, même un tel régime serait instable. Il ne réglerait rien et ne tiendrait sans doute pas longtemps. Cela ne ferait que préparer le terrain à de plus puissantes offensives de la classe ouvrière, comme on l’a vu en 1974, lorsque la dictature des colonels a été renversée par un mouvement révolutionnaire.

Dans l’immédiat, la polarisation de classe va s’intensifier. Le référendum du 5 juillet a montré le potentiel révolutionnaire du peuple grec. De nouvelles explosions sont inévitables. Le mouvement ouvrier français devra soutenir massivement la lutte du peuple grec pour en finir avec l’austérité. Il devra aussi en tirer pour lui-même toutes les leçons politiques, stratégiques et programmatiques.


[1Le Front de Gauche et la crise grecque

Cet article a été publié en anglais hier, 16 juillet, sur In Defence of Marxism.


Dans la nuit du 14 au 15 juillet, le parlement grec a adopté un paquet législatif contenant toutes les « mesures préalables » exigées par la troïka. Ce vote a provoqué des grèves, des manifestations, la rébellion de 38 députés de Syriza et l’opposition de la majorité des membres du Comité Central. Tsipras y a survécu mais a dû s’appuyer, au parlement, sur les voix des partis qui avaient mis en œuvre les précédents Mémorandums – auxquels Syriza s’était opposé.

La grève de 24 heures était organisée par le syndicat des fonctionnaires ADEDY, par le syndicat POE-OTA (travailleurs municipaux), par les salariés du métro d’Athènes et par les cheminots. Le soir, la manifestation était importante, mais nettement moins que l’immense rassemblement, dix jours plus tôt, en faveur du « non » au référendum. Il y avait des milliers de personnes devant le parlement – et des dizaines de milliers qui défilaient avec le PAME, le front syndical du Parti Communiste grec (KKE).

La manifestation était encadrée par un « dispositif de sécurité » semblable à ceux mis en place par les précédents gouvernements, lorsqu’ils faisaient adopter des contre-réformes draconiennes. La station de métro de la place Syntagma a été fermée à 18 heures. La police anti-émeute – détestée, et que Tsipras avait promis de dissoudre – a été déployée. Les gaz lacrymogènes ont été utilisés contre les manifestants, sous prétexte qu’un petit groupe d’anarchistes jetaient des cocktails molotov.

Dans les rangs de Syriza, l’opposition à l’accord s’est développée. De nombreuses structures locales et nationales du parti ont publié des déclarations contre l’accord, appelant le gouvernement à corriger le tir et les députés de Syriza à le rejeter. L’organisation de jeunesse de Syriza s’est prononcée contre l’accord, de même que la « Plateforme de gauche », le KOE (une autre tendance de gauche au sein de Syriza) et nos camarades de la Tendance communiste de Syriza. Aucune structure locale de Syriza ne s’est prononcée pour l’accord, à notre connaissance.

La pression s’est exprimée jusque dans le Secrétariat politique de Syriza (11 personnes). La majorité du Secrétariat a estimé que l’accord est « politiquement ingérable, socialement insoutenable », et qu’il ne doit pas être mis en œuvre. Le Secrétariat a également demandé la convocation d’un Comité Central du parti – et rejette l’idée d’exclure ou de pousser à la démission les camarades qui s’opposent à l’accord.

Encore plus significatif, l’opposition à l’accord s’est cristallisée dans une déclaration signée par 110 des 201 membres du Comité Central de Syriza, soit une majorité. C’est la première fois, depuis janvier, que la direction du parti en perd le contrôle.

Lors du débat parlementaire, la présidente du parlement, Zoe Konstantopoulou, a fait un discours très hostile à l’accord. Elle l’a qualifié de « coup » dont l’impact se solderait par un « génocide social ». Elle a déclaré que le parlement n’avait pas le droit de transformer le « non » du peuple en « oui ». « Nous n’avons pas conquis le pouvoir pour le pouvoir, camarades, mais pour le rendre au peuple », a-t-elle déclaré.

Même l’ancien ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui avait été un pilier de la stratégie de négociation avec la troïka, s’est prononcé contre l’accord. Il l’a comparé au traité de Versailles et a prévenu qu’il ne règlerait rien. Il a également publié une critique détaillée de l’accord sur son blog. Il y écrit : « La troïka riposte et exige du gouvernement grec qu’elle puisse revenir à Athènes en Conquérante. C’est une paix carthaginoise ».

A l’origine, Tsipras avait annoncé qu’il ne prendrait pas la parole au cours du débat parlementaire, car il avait déjà défendu l’accord lors d’une interview télévisée, la nuit précédente. C’est donc Tsakalotos, le ministre des Finances, qui a défendu l’accord au parlement, ce qu’il a fait sans enthousiasme : « Je ne sais pas si ce que nous faisons est juste. Mais je sais qu’on avait le sentiment de n’avoir pas le choix. Nous n’avons jamais dit qu’il s’agissait d’un bon accord ». Plus tôt, il avait déclaré qu’il ne savait pas si l’accord allait fonctionner.

Finalement, Tsipras lui-même a pris la parole devant le parlement, à la demande des dirigeants du PASOK et de Nouvelle Démocratie (droite), qui exigeaient du Premier ministre qu’il assume la responsabilité de l’accord. Tsipras l’a défendu sans enthousiasme, lui aussi : « Je reconnais que ces mesures sont douloureuses. Je ne suis pas d’accord avec leur contenu. Elles n’aideront pas l’économie grecque ; je le dis ouvertement. Mais je dis aussi qu’il faut les mettre en œuvre. » En substance, son seul argument en faveur de l’accord est qu’il n’y aurait pas d’alternative : « J’avais le choix entre un accord que je désapprouve – et une faillite désordonnée, l’option d’une sortie de la zone euro défendue par Schäuble ».

Au final, 229 députés ont voté pour l’accord, 64 ont voté contre et 6 se sont abstenus. Parmi les députés de Syriza, 32 ont voté contre, 6 se sont abstenus et un n’était pas présent. Varoufakis a voté contre, de même que Lafazanis, le ministre de l’Energie, Thanasis Petrakos, le porte-parole du groupe parlementaire de Syriza – et deux ministres : Stratoulis et Isichos. Après avoir démissionné, l’ex-secrétaire d’Etat aux finances, Nadia Valavani, a également voté contre. Les députés d’ANEL, l’autre parti de la coalition gouvernementale, ont tous voté pour l’accord. Cela signe probablement la fin de cette formation, qui était née d’une scission « anti-mémorandum » de Nouvelle Démocratie.

Le gouvernement n’a plus de majorité parlementaire dans ses propres rangs : l’accord n’a été validé que grâce aux voix des députés de Nouvelle Démocratie, du PASOK et de To Potami. Au total, 39 députés de Syriza ne l’ont pas voté. Vendredi dernier, ils n’étaient que 17.

L’ampleur de la fronde, dans la fraction parlementaire de Syriza, est d’autant plus significative que les députés étaient soumis à d’énormes pressions. Le groupe dirigeant de Syriza a fait campagne pour pousser à la démission des députés qui voteraient contre l’accord. L’argument suivant a été avancé (notamment par Tsipras lui-même) : dans la mesure où les dirigeants allemands complotent pour renverser le gouvernement de Syriza (ce qui est vrai), tout vote contre les « propositions » ferait le jeu de Merkel et Schläube.

Les « mesures préalables » exigées par la troïka ont donc été adoptées. Y figurent une augmentation de la TVA (de 13 à 23 %, par exemple, sur des biens alimentaires), des coupes franches et des contre-réformes dans le domaine des retraites, ainsi que « l’introduction de coupes budgétaires quasi automatiques en cas de manquement aux objectifs en matière d’excédent primaire ».

Ceci étant dit, il n’est pas garanti qu’il y aura un accord, au final. La situation peut très vite évoluer pour des raisons économiques et politiques – à Athènes, à Bruxelles et à Berlin. Les « mesures préalables » ouvrent la voie à des discussions sur un nouveau prêt à la Grèce, mais il n’est pas certain que ces discussions aboutiront effectivement à un prêt.

Un rapport du FMI – qui a « fuité », mardi – explique que l’accord se soldera par une flambée de la dette grecque, à plus de 200 % du PIB, ce qui la rendra absolument insoutenable, de sorte que les Européens doivent accorder à la Grèce un allègement substantiel de cette dette. Ceci laisse entendre qu’en l’absence d’un tel allègement, le FMI ne s’engagera pas dans un nouveau prêt à la Grèce.

Dans le même temps, le ministre des Finances allemand, Schäuble, continue d’expliquer que la meilleure option serait un Grexit « temporaire » (de 5 ans). Il dit que dans la mesure où un allègement substantiel de la dette grecque serait illégal dans la zone euro, un Grexit serait préférable.

Ainsi, la Grèce et l’Allemagne ont signé un accord auquel le Premier ministre grec dit ne pas croire – et auquel le ministre des finances allemand dit préférer un Grexit. Mais indépendamment des intentions politiques de Tsipras et Schäuble, le nouveau Mémorandum va faire face à bien d’autres obstacles. Premièrement, l’économie grecque est à l’arrêt – et l’introduction de nouvelles mesures récessives ne peut qu’aggraver la situation, comme tout le monde le reconnait. Cela ruinera les projections économiques sur lesquelles l’accord lui-même a été fondé. L’objectif de dégager un excédent primaire de 1 % n’est pas le même sur la base d’une légère croissance ou sur la base d’une sévère contraction (qui pourrait être de 5 à 10 %, selon certains économistes).

C’est une chose, pour Tsipras, de faire passer des contre-réformes au parlement (grâce aux voix de l’opposition) ; c’en est une autre de les mettre effectivement en œuvre contre la volonté de son propre parti. A cela s’ajoute l’épineux problème du prêt de 82 milliards d’euros, qui sera discuté dans les mois à venir et devra être approuvé par de nombreux acteurs qui ne sont pas franchement convaincus.

Au final, l’accord voté au parlement grec n’a fait que retarder – de quelques jours ou de quelques mois : nul ne le sait – l’issue pratiquement inévitable de cette crise, à savoir la sortie de la Grèce de la zone euro, avec toutes les conséquences que cela aura sur des économies européenne et mondiale déjà fragiles.

Les travailleurs de Grèce et d’Europe sont en train de tirer des conclusions politiques de cette débâcle d’un gouvernement qui, six mois après son élection sur un programme anti-austéritaire, a été poussé à une humiliante capitulation. Oui, cela s’est fait sous la pression d’un chantage et d’une asphyxie financière orchestrée. Mais au final, Tsipras a rendu les armes. Et comme lui-même l’a admis, la raison fondamentale de cette capitulation, c’est qu’il ne voyait pas d’alternative. Pour dire les choses autrement, il a limité son action au cadre du capitalisme en crise. Koutsoumbas, le secrétaire du KKE, a dit à Tsipras : « vous dites que vous avez fait tout votre possible pour combattre le chantage de la troïka. Vous mentez. Vous n’avez pas présenté d’alternative. » C’est exact.

Il n’y a pas d’alternative dans les limites du capitalisme. Autrement dit, la seule alternative consiste à rompre avec le capitalisme, à répudier unilatéralement la dette, à nationaliser les banques et les grandes entreprises – et à commencer à réorganiser l’économie dans le cadre d’une planification démocratique de la production, sous le contrôle des travailleurs et dans l’intérêt de la majorité de la population.

Une résolution approuvée par 109 membres sur 201 du Comité Central de SYRIZA a rejeté l'accord de Bruxelles (signé le 13 juillet), qu'elle décrit comme un coup d’État, et déclare qu'il ne peut être accepté par SYRIZA. Tsipras a perdu le contrôle du parti. Nous publions ci-dessous le texte de cette résolution.


Déclaration des 109 membres (sur 201) du Comité Central de SYRIZA

Le 12 juillet à Bruxelles s'est déroulé un coup d’État qui a démontré que le but des dirigeants européens était d'infliger un châtiment exemplaire contre un peuple qui avait envisagé une autre voie, différente du modèle néolibéral de l’austérité extrême. Il s'agit d'un coup d’État dirigé contre toute notion de démocratie et de souveraineté populaire.

L'accord signé avec les « Institutions » était le fruit de menaces d'étranglement économique immédiat et représente un nouveau Mémorandum imposant des conditions de mise sous tutelle odieuses et humiliantes qui sont destructrices pour notre pays et notre peuple.

Nous sommes conscients des pressions étouffantes qui ont été exercées sur la partie grecque, nous considérons néanmoins que le fier NON du peuple travailleur lors du référendum n'autorise pas le gouvernement à capituler sous les pressions des créanciers.

Cet accord est incompatible avec les idées et les principes de la Gauche, mais, par-dessus tout, il est incompatible avec les besoins des classes laborieuses. Cette proposition ne peut être acceptée par les membres et les cadres de SYRIZA.

Nous demandons au Comité Central de se réunir immédiatement et nous appelons les membres, les cadres et les députés de SYRIZA à préserver l'unité du parti sur la base des décisions de notre conférence et de nos engagements programmatiques.

Cet article a été écrit lundi 13 juillet 2015.


L'accord imposé à la Grèce dans les premières heures du 13 juillet, après une nuit entière de sommet européen, ne peut être décrit que comme une capitulation humiliante. La Grèce a, dans les faits, abandonné sa souveraineté à la Troïka en échange d'aides financières conditionnelles et de vagues promesses d’envisager, plus tard, une restructuration de la dette (mais pas son annulation). Cet accord ne fonctionnera pas. Il va détruire politiquement Tsipras et Syriza et plonger encore plus la Grèce dans la récession. De plus, il a révélé des fractures profondes au sein de l'Union Européenne.

Il y a six mois, le 25 janvier, le peuple grec a voté contre l’austérité en élisant un gouvernement Syriza. Il y a une semaine, il a de nouveau et résolument rejeté l’austérité avec 61,3 % de votes pour le « OXI » (NON) au référendum, à l’appel du Premier ministre Tsipras, le 5 juillet. Aujourd'hui, la Troïka a imposé un accord qui est pire encore que celui soumis au vote, lors du référendum, et Tsipras l'a accepté. Si une leçon devrait être retenue par tous de cette expérience, c'est qu'il est impossible de se libérer de l’austérité tout en restant entravé par la camisole de force d'une Europe capitaliste ravagée par la crise.

Les détails de l'accord sont terrifiants. Il est bien pire que celui proposé par le gouvernement grec jeudi dernier (le 9°juillet), qui était déjà un humiliant recul. Ce dernier était le fruit d'un travail commun avec des représentants du gouvernement français et reflétait l’énorme pression s’exerçant, dans certains milieux, en faveur d’un accord qui empêcherait l’expulsion de la Grèce de l'Eurozone.

La France se faisait ainsi l'agent des Etats-Unis et du FMI, mais tentait aussi de limiter le poids du puissant capitalisme allemand en Europe. Ces derniers jours ont révélé, comme jamais, la véritable nature de l'UE. A la place d'un « projet » visant à construire une Europe plus unie et plus forte, nous assistons à des querelles opposant les Etats membres, dont les intérêts respectifs passent au premier plan.

Nous avons vu tomber le masque de civilisation et de raison du capitalisme, révélant ainsi le visage monstrueux qui essayait depuis longtemps de s'en couvrir. Ce fut particulièrement manifeste lorsque Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, a montré sa détermination à écraser les grecs et a affiché son mépris pour ceux de ses alliés qui tentaient d'obtenir un compromis pour éviter le « Grexit ». C'est un indice clair de ce qui nous attend en termes de tensions entre les plus puissants des Etats membres de l’UE, ce qui lui présage un avenir tumultueux, aussi bien en ce qui concerne la diminution de son rôle global que sa cohésion interne.

Les américains en particulier étaient terrifiés par l'impact potentiel d'une faillite incontrôlée de la Grèce sur une économie mondiale déjà très fragile. Pendant que l'attention du monde se concentrait sur la crise en Europe, la bulle boursière chinoise commençait à exploser. La situation de l'économie mondiale est tellement précaire que n'importe quel choc peut la faire basculer dans une nouvelle récession. C'est pour cela que les Etats-Unis ont exercé une pression énorme en faveur de la signature d'un accord, qui aurait inclus un dégrèvement substantiel de la dette. Dans tous les cas, comme l'a admis un rapport officiel du FMI, la dette de la Grèce est ingérable et ne sera jamais complètement remboursée. Une réévaluation est nécessaire.

Bien sûr, ce que les Etats-Unis demandaient, c'était que le capital allemand supporte le poids d'une telle réévaluation, vu que l'Allemagne est le pays le plus lourdement exposé à la dette grecque. Il est très facile de se montrer raisonnable avec l'argent d'un autre. C'était là le véritable sens de la proposition française avancée par le gouvernement grec à la réunion des ministres des Finances de l’Eurogroupe.

Cet accord a d'ores et déjà mené le gouvernement grec à perdre sa majorité au parlement, 17 députés de Syriza ayant refusé d'une façon ou d'une autre de le voter, tandis que 15 autres le votaient avec réticence. Le gouvernement avait une majorité de 162 députés (149 de Syriza et 13 de l'ANEL). Deux députés de Syriza ont voté contre l'accord, 8 autres se sont abstenus (dont le ministre de l'Energie et meneur de la Plate-forme de Gauche, Panagiotis Lafazanis, et le vice-ministre de la Sécurité sociale Stratoulis) tandis que 7 autres étaient absents (parmi lesquels deux avaient exprimé leur soutien aux propositions). Dans le même temps, 15 membres de la Plate-forme de gauche ont voté pour l'accord mais en accompagnant leur vote d'une déclaration d'opposition aux mesures qu'il incluait. Le gouvernement a dû compter sur les voix des partis d'opposition (PASOK, Nouvelle Démocratie, To Potami) pour obtenir une majorité, dans les premières heures du 11 juillet. En pratique, il s'agit de de la création d'une coalition « d'unité nationale ».

Le vote n'était pas présenté comme un vote sur les propositions elles-mêmes mais plutôt comme un vote donnant au gouvernement l'autorité pour négocier avec l'Europe sur la base de telles propositions. Cela a permis de soumettre à une forte pression les députés critiques de la Plate-forme de gauche, au prétexte qu'il se serait agi d'un vote de confiance envers Tsipras. En réalité, la Plate-forme de gauche aurait dû se montrer beaucoup plus ferme, voter contre en bloc et appeler à la mobilisation contre ces propositions, qui étaient en contradiction flagrante avec le mandat populaire reçu lors du référendum.

Lorsque les dernières propositions grecques - en fait françaises - ont atteint Bruxelles, elles ont été sévèrement repoussées par l'Allemagne. Schäuble a demandé, dans une déclaration écrite, une capitulation sans conditions. Il réclamait l'application immédiate d’encore plus de coupes et de contre-réformes, rejetait la responsabilité d'une possible rupture des négociations sur la Grèce, demandait que 50 milliards d'euros d'actifs publics soient placés sous le contrôle d'un fond basé au Luxembourg afin de les privatiser et, enfin, avançait l'idée que la Grèce soit placée hors de la Zone Euro pour 5 ans (comprendre : « soit expulsée de la Zone Euro »).

La position du capitalisme allemand repose sur son analyse selon laquelle, globalement, un Grexit serait moins coûteux (politiquement et économiquement) qu'un nouveau plan de sauvetage. Les motivations économiques sont claires. Plutôt que de jeter encore plus d'argent dans un puits sans fond, sans pouvoir espérer en revoir la couleur, il vaut mieux réduire les pertes et se retirer, en laissant quelques miettes à la Grèce sous la forme d'une aide humanitaire.

Nous en avons déjà exposé les raisons politiques : la Grèce ne pouvait pas être autorisée à dévier de l’austérité, de crainte que d'autres pays ne fassent de même. Si Syriza avait pu s’écarter de la politique d’austérité, cela aurait encouragé Podemos en Espagne et aurait affaibli les gouvernements d'Espagne, du Portugal, d'Irlande, de France et d'ailleurs, qui appliquent tous ces mêmes politiques. De plus, confrontée à la montée d'un parti euro-sceptique sur sa droite, Merkel ne pouvait se permettre d’apparaître trop douce avec la Grèce.

A cela s’est ajoutée l'immense colère que les interférences françaises ont provoquée outre-Rhin. Comment Hollande osait-il aider les grecs à desserrer l’étreinte de l'Allemagne ! Le capitalisme allemand est le plus puissant en Europe, il doit donc diriger.

Les demandes allemandes, exprimées dans le document de Schäuble, étaient tellement scandaleuses et arrogantes qu'elles semblaient faites spécialement pour pousser les grecs vers la sortie. Elles étaient également soutenues par le gouvernement finlandais, qui est l'otage de l'extrême-droite euro-sceptique.

Le contenu de « l'accord » de capitulation

Finalement, à la surprise de beaucoup, un accord a été trouvé incluant à peu près toutes les demandes de l'Allemagne.

Le document signé par Tsipras est scandaleux, abandonnant toute prétention de souveraineté nationale et transformant de facto la Grèce en un protectorat de la Troïka.

La Grèce doit transformer en loi quatre mesures, dont l'augmentation de la TVA, de nouvelles baisses des retraites et « des coupes quasi automatiques en cas de déviations vis-à-vis d'ambitieux objectifs de surplus primaires ». Tout cela doit être adopté dans les 72 heures, d'ici au 15 juillet. Deux autres mesures devront ensuite être adoptées avant le 22 juillet.

Ce n'est que lorsque que ces mesures auront été mises en application et « vérifiées par les institutions et l'Eurogroupe », qu'une décision de relancer les négociations d'un Mémorandum d'Accord « pourrait être prise » (notez le conditionnel).

De plus, pour conclure ce nouveau Mémorandum, la Grèce devra appliquer encore plus de mesures d’austérité drastiques « pour prendre en compte la forte dégradation de la position économique et fiscale du pays ». Elles devront inclure de nouvelles baisses des retraites, des « réformes du marché plus ambitieuses » et la privatisation du réseau électrique (l'ADMIE). Par-dessus le marché, le gouvernement grec, pour ce qui concerne les conventions collectives et les licenciements de masse, ne pourra pas « revenir aux anciennes politiques, qui ne sont pas compatibles avec l'objectif de promotion… de la croissance ». Cela veut dire que le gouvernement doit abandonner sa promesse de restaurer les conventions collectives qui avaient été balayées par le précédent Mémorandum.

Comme si un tel niveau de contrôle économique n'était pas déjà suffisamment insultant, l’accord va encore plus loin. Le document accepte le plan de Schäuble pour la création d'un fonds de privatisation de 50 milliards d'euros. La seule concession faite est qu'il ne sera pas basé au Luxembourg, mais à Athènes. Cela ne fera aucune différence substantielle, puisqu'il sera « sous la supervision des Institutions Européennes responsables ». C'est de la pure folie, même d'un point de vue capitaliste. Si on additionne les produits de tous les précédents accords de privatisations, on obtient une somme totale de 7 milliards d'euros, et cela comprend déjà les actifs les plus rentables. Il est matériellement impossible de lever sept fois ce montant dans les trois prochaines années.

Cerise sur le gâteau, la Troïka (ressuscitée, puisque le document ordonne à la Grèce de « demander la continuation du soutien du FMI »), qui sera de retour « sur le terrain à Athènes », demande le droit de poser son veto à toute loi passée et à venir en Grèce ! La phrase exacte vaut la peine d'être cité : « le gouvernement devra consulter et s'accorder avec les Institutions sur tout projet de loi dans les domaines concernés... avant de les soumettre à une consultation publique ou au parlement. »

En même temps qu'elle s'accorde le contrôle sur toute loi future, la Troïka se donne le droit de modifier les lois déjà en vigueur : « à l'exception de la loi de crise humanitaire, le gouvernement grec réexaminera, dans le but de les amender, toutes les lois adoptées malgré l'accord du 20 février et qui revenaient sur les engagements précédents ». Cela oblige le gouvernement, élu sur une plate-forme de lutte contre les mémorandums, de se conformer à leur contenu et de modifier toutes les lois qui seraient contraires à leurs principes. Cela s'appliquera, par exemple, à la mesure hautement symbolique de réembaucher les agents d'entretien du Ministère des finances.

L'application de ces diktats ne garantit même pas une nouvelle tranche d'aide, comme l'énonce clairement le document : « la liste susmentionnée d'engagements est une condition minimale pour entamer des négociations […] néanmoins [….] l'ouverture de négociations ne garantit pas la signature d'un accord final ».

Le montant d'une nouvelle aide du Mécanisme Européen de Stabilité devrait se situer entre 82 et 86 milliards d'euros, dont 25 milliards destinés à renflouer les banques.

Qu'a obtenu la Grèce en échange de sa capitulation totale, de la vente de ses bijoux de familles et du contrôle de ses finances ? En ce qui concerne la question cruciale que le gouvernement grec a toujours mise en avant, l’allègement de la dette, le document est extrêmement vague : « L’Eurogroupe se tient prêt à considérer, si nécessaire, d'éventuelles mesures supplémentaires (éventuels rééchelonnement et délais de paiement) » sur la dette grecque.

Cet engagement extrêmement vague est ensuite lourdement encadré : « Ces mesures seront conditionnées à la mise en œuvre intégrale des mesures agréées au sein d'un éventuel nouveau programme et ne seront envisagées qu'après l'achèvement d'une inspection positive ».

Le caractère vague de cet engagement contraste de manière frappante avec la brusquerie du refus contenu à la ligne suivante : « Le sommet européen insiste sur le fait que des réductions de la dette nominale ne peuvent être engagées », tandis que : « Les autorités grecques réitèrent leur engagement sans équivoque à honorer leurs obligations financières envers leurs créditeurs, intégralement et en temps voulu ».

Le document se termine en agitant une très évasive carotte devant la Grèce, déclarant que la Commission : « travaillera [...] à rassembler jusqu'à 35 milliards d'euros [...] pour financer l'investissement et l'activité économique. »

Clairement, l'Allemagne n'a fait aucune concession. Tsipras a dû ratifier tout ce qu'il avait dénoncé auparavant. Beaucoup se sont demandé : « Comment est-ce possible ? Comment Tsipras a-t-il pu signer un aussi mauvais accord, surtout après avoir convoqué et remporté un référendum ? » Il est impossible de savoir ce qu'il se passe dans la tête de Tsipras. Cependant, une chose est claire : la base théorique de la stratégie de Tsipras et de la direction de Syriza a démontré sa complète faillite, dans la pratique. Leur stratégie était basée sur l'idée qu'il était possible de convaincre la Troïka de conclure un accord qui autoriserait Syriza à poursuivre une politique anti-austérité, qui en retour mènerait à une éventuelle croissance économique et ensuite autoriserait le remboursement de la dette. Rien de ce genre ne s'est produit.

Quand il a convoqué le référendum, Tsipras a insisté sur le fait qu'un vote « non » lui donnerait plus de force dans les négociations et permettrait d'arriver à un meilleur accord. C'est l'inverse qui s'est produit.

En outre, son insistance sur le fait que rester dans la Zone Euro était la seule option possible l'a totalement désarmé dans les négociations, le menant finalement à cette capitulation humiliante. Il semble qu'il n'ait rien appris de tout cela et qu'il soit devenu le signataire volontaire de sa propre condamnation à mort.

Le pire dans cette capitulation, c'est qu'elle ne servira à rien. Son impact sur l'économie grecque sera désastreux. L'incertitude des négociations et les ultimatums de la Troïka avaient déjà effacé la très molle croissance et ont mené de nouveau le pays à la récession. A présent, suite à deux semaines de fermeture des banques et le contrôle des capitaux (cette dernière mesure pouvant durer encore des mois), la Grèce se voit enlisé dans une dépression profonde, où la plus grande part de l'activité économique marque le pas.

Ajoutez à cela un nouveau paquet de réductions budgétaires et de mémorandum d'austérité et le résultat est facile à deviner. Ces politiques ont déjà été mises en œuvre en Grèce au cours des cinq dernières années et ont été un misérable échec. Elles ont même échoué dans leur objectif affiché de réduire le ratio dette/PIB, qui atteint à présent 170 %. Avec ces nouvelles mesures, il bondira aussitôt à 200 %, rendant la dette d'autant moins soutenable.

Le scénario le plus probable est que ce dernier « accord » (ou plutôt, ce nouveau fardeau) sera seulement un bricolage temporaire sur la route d’une nouvelle crise qui débouchera finalement sur un défaut et un Grexit.

D'un point de vue politique, cet accord signifie le suicide politique du gouvernement actuel et de Syriza lui-même. Déjà, des personnalités importantes membres du groupe de Tsipras demandent la tête des ministres et des députés qui se sont opposés à cette capitulation. Le gouvernement actuel ne pourra pas durer alors qu'il va certainement perdre sa majorité dans les 48 prochaines heures. Différentes options sont discutées, incluant un gouvernement temporaire de technocrates dirigé par un « indépendant » (peut-être le directeur de la Banque de Grèce), un gouvernement de coalition avec To Potami, etc.

Quelle que soit la forme qu'il prendra, nous parlons, dans les faits, d'un gouvernement d'unité nationale devant mener à bien une politique d'austérité brutale. La boucle sera alors bouclée, le parti qui a été propulsé au pouvoir par les masses pour mettre fin à l'austérité s'alliant finalement aux partis défaits afin de réaliser le programme des vaincus.

La pression à l’intérieur de Syriza est telle qu'il est peu probable que Tsipras convoque une réunion du Comité Central, étant donné qu'il n'est pas sûr de pouvoir en garder le contrôle. Avant tout, il a besoin de faire adopter ces mesures par le parlement et, pour cela, il a besoin d'une alliance de facto avec les partis bourgeois.

Y avait-il une alternative ?

« D'accord, mais, quelle était l'alternative ? » Dans sa critique des propositions du gouvernement, la Plate-forme de gauche de Syriza a décliné ses propositions. Elle se déclare en faveur d’un retour à la monnaie nationale, mais en restant dans l'UE (« une option déjà mise en avant par des pays comme la Suède et le Danemark ») afin de mettre en œuvre un programme que l'on ne peut décrire autrement que comme celui d’un « capitalisme national ». Il serait basé sur l'exportation, la production nationale, l'investissement étatique dans l'économie et « une nouvelle et productive relation entre les secteurs publics et privés afin de s'engager sur le chemin d'un développement durable. »

En réalité, un tel plan est tout aussi utopique que celui de Tsipras. Alors qu'il ne peut y avoir d'alternative à l'austérité à l'intérieur de l'UE, il est absurde de penser qu'une Grèce capitaliste en crise puisse tenter seule une sortie de crise face à des nations capitalistes bien plus puissantes. Il semble que ces camarades souscrivent à l'idée que l'austérité est en quelque sorte « idéologique », c'est à dire le choix de méchants banquiers et capitalistes allemands, plutôt que la conséquence inévitable de la crise du système. L'austérité est en fait une tentative de faire payer le prix de la crise du capitalisme aux travailleurs. Cela restera le cas à l'intérieur comme à l'extérieur de l'euro.

Cette approche politique erronée est l'une des principales faiblesses de la Plate-forme de gauche. Les travailleurs de Grèce sont fort justement effrayés par les conséquences économiques catastrophiques d'un Grexit. Leur peur, justifiée, ne peut être contrée par l'argument fallacieux selon lequel « les choses iront mal pendant un temps mais alors nous pourrons dévaluer à notre guise et ainsi construire un puissant capitalisme national. » Cela ne résout pas le problème posé par un appareil industriel faible et peu productif, incapable de concurrencer les industries hautement productives comme celles de l'Allemagne. Dans ou hors de l'UE ou de l'euro, ce problème demeure, et l'idée d'exporter comme moyen de retrouver la croissance est tout à fait utopique, étant donné la crise mondiale, dans laquelle les économies les plus faibles seront les premières à tomber.

La seule alternative est la « rupture socialiste ». Cela consiste à : répudier la dette (qu'une enquête parlementaire officielle a d'ores et déjà qualifiée d’« illégitime, illégale et odieuse ») ; nationaliser les banques et saisir les biens des capitalistes grecs. Jamais le « réalisme » des dirigeants réformistes de Syriza n'a été aussi clairement dévoilé à la vue de tous, affichant son caractère complètement utopique. Jamais les arguments en faveur du socialisme n'ont été aussi faciles à expliquer, puisqu'ils coïncident avec l’expérience pratique vécue par des millions de travailleurs grecs au cours des cinq dernières années.

Seule une réorganisation radicale de la société sur la base de la propriété collective des moyens de production peut offrir une porte de sortie. Et même cela ne sera pas possible dans les seules limites de la Grèce, une petite économie à la périphérie de l'Europe. Mais il s’agirait d’un puissant message à destination des travailleurs de toute l'Europe, à commencer par l'Espagne, le Portugal et l'Irlande.

Si les dirigeants de la Plate-forme de gauche adoptaient un programme authentiquement socialiste et offraient une opposition claire au mémorandum, pas juste en paroles mais en actes, ils seraient capables de fédérer l'opposition croissante.

Et après ?

La capitulation humiliante du gouvernement - auquel les masses faisaient confiance pour mettre fin à l'austérité - aura un impact profond. Vendredi dernier, les dernières propositions du gouvernement ont été reçues avec incrédulité. Celle-ci se transformera rapidement en rage et en colère.

Un appel à la grève générale a déjà été fait pour le mercredi 15 juillet par la fédération des travailleurs du secteur public ADEDY. Il est significatif que des syndicalistes affiliés à Syriza, avec d'autres, aient joué un rôle clé lors du vote de cette décision au sein de l'exécutif du syndicat. Des manifestations ont été convoquées le même jour pour s'opposer au nouveau mémorandum.

C'est une chose d'approuver des mesures au parlement, c'en est une autre de les mettre effectivement en œuvre. Les travailleurs de l'entreprise d'électricité, du port du Pirée, les retraités et les jeunes qui ont voté massivement OXI n'accepteront pas tout cela en restant les bras croisés. Les conditions sont réunies pour de grandes batailles entre les classes sociales. Les classes dirigeantes européennes et leurs homologues grecs peuvent compter sur une large majorité au parlement, mais l'équilibre des forces au sein de la société penche largement en leur défaveur. Cette situation ne sera pas résolue par des procédures parlementaires mais par la lutte.

Enfin, il est important de souligner le fait que la crise grecque contient de précieuses leçons pour tous les partis et les mouvements qui, ailleurs dans le monde, peuvent avoir l'illusion qu'il est possible de s'opposer à l'austérité tout en concluant un accord avec le capitalisme. Il est possible de combattre l'austérité, mais la seule manière réaliste de le faire est de rompre avec le capitalisme.

Il faut organiser une résistance massive contre la junte –Troïka, oligarchie et gouvernement capitulard – pour empêcher l'approbation de l'accord par le parlement ! - Déclaration de la Tendance Communiste de Syriza.


Que doivent faire les membres de SYRIZA et de sa Plate-forme de Gauche ?

Le nouveau mémorandum, signé ce matin par le Premier ministre au sommet de l'UE – incluant des mesures d’austérité massives, de nouvelles taxes sur le peuple, des privatisations et la réduction des retraites et des salaires – n'est rien d'autre qu'une capitulation et une soumission aux exigences de la troïka. C'est aussi une punition infligée à la classe populaire grecque pour son vote courageux en faveur du « non » (lors du référendum du 5 juillet).

Le gouvernement et la direction de Syriza ont capitulé. La classe ouvrière et la jeunesse ne suivront pas leur exemple. Pour le moment, la question la plus cruciale est celle de la construction d'un grand mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, pour empêcher l'adoption du nouveau mémorandum et renverser la junte parlementaire dite « d'unité nationale ».

Que faire dans l’immédiat :

  • Une grève générale illimitée et des rassemblements de masse quotidiens pour demander le rejet de l'accord.
  • L'organisation de rassemblements pour élire des comités de lutte dans chaque entreprise et chaque quartier.

La Tendance communiste de Syriza appelle tous les membres de Syriza à réagir avec détermination dans les prochaines heures. La colère de la base doit être transformée en action politique. Il ne faut pas la laisser se dissiper, ni que des militants quittent le mouvement la tête basse. Nous ne devons pas laisser la clique dirigeante de menteurs parachever leur trahison sans obstacles. Ils n'ont pas seulement trahis, mais aussi détruit tous les principes fondateurs de la politique, du programme et de l'idéologie de Syriza – et en assumeront toute la honte. Mener une bataille décisive contre les menteurs qui dirigent le parti est une question d'honneur politique, mais c’est avant tout un moyen de préserver la volonté des meilleurs militants de gauche.

La Tendance Communiste appelle tous les membres de Syriza à exiger des réunions d'urgence de leurs sections locales pour adopter la résolution suivante :

« Le nouveau mémorandum et le projet de loi qui l’accompagne doivent être rejetés par tous les députés de Syriza.

« Les députés de Syriza qui voteront en faveur de l'accord et les membres du gouvernement qui accepteront de l'appliquer se placeront automatiquement en dehors du parti. Ils ne seront plus les bienvenus dans aucune des structures du parti et ne bénéficieront plus de la qualité d'adhérent.

« Il faut un congrès extraordinaire de Syriza qui dénoncera politiquement le gouvernement et adoptera un nouveau programme, une nouvelle politique et élira une nouvelle direction.

« Nous demandons la réunion immédiate du Comité Central pour discuter de cette résolution et l'adopter. Nous exhortons la Plate-forme de Gauche à nous soutenir et demandons à ses membres de voter contre l'accord et à ses ministres de démissionner du gouvernement d'unité nationale. »

Si cette indispensable et dernière bataille contre ces chefs capitulards décrits plus haut devait être perdue, l'aile gauche de Syriza devrait procéder à la création d'un nouveau parti basé sur les principes politiques et programmatiques d’un authentique socialisme scientifique et la dénonciation résolue du réformisme et de la social-démocratie, qui a encore prouvé qu'elle ne menait qu'à des défaites et des trahisons.

La conduite et le succès de cette lutte dépendent entièrement de l'attitude et du choix de la plus grande tendance du parti, la Plate-forme de Gauche. Si celle-ci n'adopte pas immédiatement les mesures décrites plus haut, des milliers de combattants démoralisés quitteront le parti et priveront ainsi de sens la présence des militants communistes et de gauche au sein de Syriza.

La Tendance Communiste, même si elle est petite et récente, est, et a toujours été, la seule opposition sérieuse à la direction du parti. Ce fut la seule tendance à soutenir un programme politique alternatif lors du congrès de fondation et dans toutes les autres structures du parti, s’opposant ainsi aux idées sociale-démocrates de la direction.

Ce fut la seule tendance dont les représentants au Comité Central du parti ont voté contre toutes les propositions politiques de la direction. Ce n'était pas à cause d'un quelconque « fétichisme idéologique », mais parce que, dans ces propositions, les trahisons futures étaient en germe. C'est la raison pour laquelle ce fut la seule tendance à être privée de bulletin de vote et à ne pas être représentée parmi les députés du parti. Cette position cohérente de la Tendance Communiste, sans rapport avec celles de la majorité de suiveurs et de « l'opposition » qui se contente de s'abstenir ou d'amender, nous permet de lancer aujourd'hui un appel au regroupement et à l'organisation des meilleurs militants du parti. 

Camarades, adhérents, sympathisants et électeurs de Syriza avec lesquels nous avons combattu coude à coude, dans les grèves et les manifestations, dans les quartiers, les usines et les universités, contre les mémorandums, défendant les droits de la classe ouvrière et des pauvres – gardez-vous du poison de la déception et du cynisme !

Le Syriza de la direction, le Syriza du carriérisme et de la social-démocratie est en effet fini. Notre Syriza, lui, le Syriza de la base et de la lutte de classe, est bien vivant. Nous vous appelons aujourd'hui à renforcer cette Tendance. Organisez-vous avec la Tendance Communiste, luttez pour la seule vraie solution politique favorable aux travailleurs, pour la rupture avec le capitalisme et pour le socialisme. La meilleure réplique à ces dirigeants réformistes qui nous mentent, c’est de passer à l’action et préparer la revanche qui amènera la victoire du socialisme authentique.