Grande-Bretagne

Le capitalisme est à l’agonie. En Palestine, en Ukraine et dans de nombreux pays à travers le monde, des millions de personnes sont plongées dans une horreur sans fin. L’économie mondiale a subi une série de chocs brutaux. Les classes dirigeantes sont terrifiées par la perspective d’une nouvelle récession. Pendant ce temps, des dirigeants de la gauche réformiste et des organisations ultra-gauchistes se lamentent sur le soi-disant « déclin de la conscience de classe ».

A l’inverse, les marxistes sont optimistes, car ils sont armés d’une théorie qui leur permet de distinguer, sous la surface des événements, un processus de profonde radicalisation politique. Dans un pays après l’autre, du Sri Lanka aux Etats-Unis, la classe ouvrière se réveille et commence à lutter pour défendre ses conditions d’existence face à la crise du capitalisme. De plus en plus de jeunes rejettent les idées réformistes des dirigeants tels que Corbyn, Mélenchon, Sanders – et se tournent vers Marx et Lénine.

C’est dans ce contexte qu’un millier de communistes venus de toute l’Europe – et au-delà ! – se sont rassemblés à Londres, le week-end dernier, pour le Revolution Festival organisé par la section britannique de la Tendance marxiste Internationale. Cette année, cet événement a permis de souligner la croissance rapide de notre organisation – en particulier depuis le lancement cet été de notre campagne « Tu es communiste ? Rejoins-nous ! », qui s’adresse précisément aux couches les plus radicalisées de la jeunesse et de la classe ouvrière.

Pourquoi nous sommes communistes

Alan Woods, le rédacteur en chef de la revue théorique de la TMI, In Defence of Marxism, a donné le coup d’envoi du week-end en demandant à son auditoire « Etes-vous communistes ? ». La réponse a été un retentissant « Oui ! » Après l’introduction d’Alan, des interventions de plusieurs camarades venus du Brésil, d’Italie ou encore du Canada ont souligné le caractère international de notre lutte et de notre organisation.

Samedi soir, Rob Sewell a cité Léon Trotsky pour souligner les tâches qui attendent les communistes de Grande-Bretagne : « Les contradictions qui minent l’organisme social de l’Angleterre s’aggraveront inévitablement. Nous ne nous chargeons pas de prédire quelle sera l’allure de ce processus, qui mettra à s’accomplir sans doute des années, mais en aucun cas des décennies. La perspective générale est telle que l’on doit avant tout se poser la question suivante : "Un parti communiste assez fort, assez lié aux masses pour tirer au moment voulu toutes les conclusions pratiques nécessitées par la crise en voie d’aggravation, aura-t-il le temps de se former en Angleterre ?" » (Où va l’Angleterre ?, 1926).

Il a ensuite souligné que nous étions actuellement engagés dans la construction d’un tel parti et a annoncé que notre section britannique venait d’atteindre 1101 membres. Il a souligné que l’objectif était maintenant de doubler ce chiffre d’ici les prochaines élections législatives, qui se tiendront au plus tard en janvier 2025. Ce travail marquera une étape importante dans la construction d’une force communiste de masse en Grande-Bretagne.

Comme l’a expliqué Rob, ces conquêtes de notre organisation sont le fruit de notre enthousiasme et de notre audace. Mais une audace encore plus grande sera nécessaire pour toucher et gagner à nous les couches révolutionnaires de la jeunesse. Comme l’a dit Marx : « Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets ». Nous devons au contraire être comme un phare clairement visible par tous ceux qui veulent combattre le capitalisme.

C’est pour cette raison que notre organisation britannique va changer de nom. Le vieil uniforme usé de Socialist Appeal va être remplacé par une nouvelle tenue, plus adaptée à la marche en avant que nous voulons entamer. Au mois de mai prochain se tiendra le congrès de fondation du Parti Communiste Révolutionnaire, section britannique de la TMI. Et pour préparer ce pas en avant, nos camarades bénéficieront dès le mois de janvier d’un nouveau journal : The Communist. Ces deux annonces ont provoqué une explosion d’enthousiasme dans la salle. L’Internationale et Bandiera Rossa ont alors retenti.

L’école du communisme

Nous sommes déterminés à construire une puissante organisation communiste en Grande-Bretagne comme à l’échelle internationale. Ses fondations doivent reposer sur la théorie révolutionnaire du marxisme, qui concentre l’expérience de l’histoire et des luttes de classes. Cela a été souligné tout au long du Revolution Festival. Nos idées sont la seule chose qui justifie notre existence en tant qu’organisation indépendante. Notre rôle est de maîtriser ces idées pour pouvoir ensuite les transmettre et les utiliser.

Tout le festival a donc été pensé comme une « école du communisme », et ses 36 ateliers ont couvert de nombreux sujets, du coup d’Etat de Pinochet au Chili en 1973 à la lutte des Palestiniens en passant par le soi-disant « marxisme noir » inventé par des universitaires américains. Tous ces ateliers ont été la démonstration de l’immense appétit des camarades pour la théorie. Les salles étaient pleines à craquer d’auditeurs attentifs et de nombreuses interventions excellentes ont été faites.

Les idées ont besoin d’une organisation pour pouvoir devenir une « force matérielle », comme le disait Marx. Sous le capitalisme, cela requiert de l’argent, le « nerf de la guerre ». La collecte organisée le samedi soir visait à répondre à ce besoin. Elle a montré la détermination des camarades et l’esprit de sacrifice qui les anime. Des délégués de chaque section locale ont pris la parole pour annoncer les sommes que chacune avait collectées. Cela a été l’occasion de mesurer les progrès de l’organisation, et son développement dans des villes et des régions où elle n’était auparavant pas présente. Au total, plus de 210 000 livres sterling ont été collectées, bien au-delà des 160 000 qui avaient été fixés comme objectif.

Se préparer au pouvoir

Atteindre un millier de membres (1101 pour être exact) représente une grande réussite, dont nos camarades britanniques peuvent être fiers. En intervenant en première ligne de chaque lutte et chaque mouvement de masse, nous devenons un point de référence pour les travailleurs et les jeunes qui cherchent une issue révolutionnaire à la crise du capitalisme.

Mais comme l’a fait remarquer Alan dans sa conclusion du Revolution Festival, notre taille reste modeste et largement insuffisante par rapport aux tâches qui nous attendent. Le message est donc clair : nous devons construire l’organisation pour pouvoir jouer un rôle dans les événements titanesques qui se préparent. Il n’y a pas de temps à perdre. Comme le disait Ted Grant, le fondateur de la Tendance Marxiste Internationale : « L’audace révolutionnaire peut tout. L’organisation doit se présenter consciemment et se voir comme le facteur décisif de la situation. Il ne manquera pas d’occasion de nous transformer en une organisation de masse dans le flot de la révolution ».

Et donc, si vous êtes communistes, et que vous n’êtes pas encore organisé, qu’attendez-vous ? Rejoignez les communistes de la TMI, dès aujourd’hui !

Lénine écrivait qu’en Grande-Bretagne, « plus qu’ailleurs, la bourgeoisie possède l’habitude et l’art de gouverner. » [1] S’il était vivant, il éclaterait de rire à la vue du gouvernement conservateur de Rishi Sunak, qui roule de crise en crise. Depuis la démission forcée de Liz Truss en octobre dernier, les difficultés économiques n’ont pas été résolues, les grèves et manifestations massives se poursuivent, le parti conservateur accumule les scandales et les divisions internes.

Les temps ont bien changé depuis l’époque de Lénine. La Grande-Bretagne était alors une puissance mondiale de premier plan. Aujourd’hui, elle ressemble à « un marché émergent qui se transforme en un marché submergé », selon la formule de Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor américain. Ces dernières années, le déclin du capitalisme britannique s’est accéléré d’une façon impressionnante.

Poussés par la recherche de profits à court terme, les capitalistes britanniques ont préféré spéculer plutôt que d’investir dans la production industrielle. La classe dirigeante fonce vers le désastre – et entraîne avec elle le reste de la population.

Inégalités vertigineuses

Les plus riches s’enrichissent encore. Les compagnies énergétiques annoncent des profits inouïs : 32 milliards de livres pour Shell en 2022 (le double de 2021, et un record en 115 ans d’existence) ; 23 milliards pour BP. Les gros actionnaires de magnats de l’énergie se gavent de dividendes sans bouger leurs petits doigts.

Pendant ce temps, des millions de travailleurs se débattent pour payer leurs factures : infirmiers, ambulanciers, personnels de ménage et du soin, éboueurs – et bien d’autres encore.

Des récits poignants circulent, dans les médias, qui révèlent les effets de la crise sur la classe ouvrière britannique, et en particulier sur sa santé. Nombre de ces histoires sont reprises par la presse internationale, qui est choquée par l’effondrement du niveau de vie en Grande-Bretagne.

Voici ce qu’on pouvait lire dans un article du New York Times, le 30 janvier : « Quand ses deux fils lui demandent des friandises qu’elle n’a plus les moyens de leur offrir, Aislinn Corey, enseignante de maternelle à Londres, étend une couverture sur le sol et joue au “jeu du pique-nique”. Elle prend une orange ou une pomme, rapportée de la banque alimentaire de son école, et découpe trois tranches qu’elle partage. “On fait ça comme une activité”, dit-elle, “pour qu’ils ne sachent pas que Maman est en difficulté.” Elle dit que les dîners se réduisent souvent à des pâtes, et qu’elle doit parfois sauter un repas pour que ses enfants mangent à leur faim. »

Voilà comment vivent des millions de familles de travailleurs britanniques. Et les choses empirent avec la hausse continue des prix. En avril, les factures d’énergie vont encore augmenter très nettement, pendant que les géants des énergies fossiles continueront d’encaisser des profits colossaux.

Classes moyennes et crise de régime

La crise frappe aussi les classes moyennes. Un vieux politicien conservateur, Lord Andrew Tyrie, déplorait récemment « une insatisfaction publique généralisée vis-à-vis du capitalisme. » Il poursuivait : « Les gens se sentent aliénés. Ils ont le sentiment de vivre dans une économie déloyale, gérée pour les autres et non pour eux. Ce sentiment est profondément ancré dans les classes moyennes, qui sont les nouveaux vulnérables. » Intéressant aveu d’un représentant de l’establishment !

Les classes moyennes étaient autrefois un pilier du capitalisme britannique et du parti conservateur. Aujourd’hui, elles courent à la ruine. Dans le même temps, des secteurs du salariat peu habitués à la lutte – infirmiers, avocats, directeurs des écoles – se mobilisent. C’est lourd d’implications révolutionnaires.

Comme l’expliquait Lénine, la révolution est à l’ordre du jour lorsque la société est dans une impasse, c’est-à-dire lorsque la classe ouvrière ne peut plus vivre comme avant – et que la classe dirigeante ne peut plus gouverner comme avant.

Au plus bas dans les sondages, le gouvernement conservateur vit sous la menace constante d’une fronde de son aile populiste et pro-Brexit. Tôt ou tard, la classe dirigeante britannique devra s’en remettre à son équipe de rechange : Keir Starmer et les autres dirigeants de l’aile droite du parti travailliste.

Starmer et sa clique sont entièrement dévoués aux intérêts du capital. Le dirigeant du parti travailliste se déclare « contre l’austérité », mais a déjà annoncé son intention de respecter la « discipline fiscale » – c’est-à-dire de mener des politiques austéritaires. Il fera donc payer la crise à la classe ouvrière.

Au vu de la colère croissante des travailleurs et de la gravité de la situation économique, le prochain gouvernement travailliste sera en crise dès le premier jour. Les capitalistes se préparent donc à faire un cadeau empoisonné à Starmer. Quant aux travailleurs, ils y puiseront une précieuse leçon sur la nature du réformisme. Dans les conditions actuelles, le capitalisme ne peut plus se permettre d’accorder des réformes significatives qui améliorent durablement la situation des travailleurs. Ce système a besoin de contre-réformes. La question de son renversement se posera chaque jour de façon plus aiguë.


[1] « Le pacifisme anglais et l’aversion anglaise pour la théorie ». Œuvres complètes, tome 21.

Du 17 au 19 mars, quelque 400 militants se sont réunis à Londres pour le Congrès de la section britannique de la Tendance Marxiste Internationale (TMI). Des dizaines de camarades d’autres sections nationales de la TMI y ont participé, dont un militant de Révolution.

La première session, vendredi soir, était consacrée à la situation politique, économique et sociale à l’échelle mondiale. Alan Woods, rédacteur en chef de marxist.com, a introduit la discussion. Il a détaillé l’impasse du capitalisme sur tous les plans et le développement explosif de la lutte des classes – notamment au Pérou, en Iran, au Sri Lanka, en Grèce et en France.

Vague de grèves

Le lendemain, les délégués ont discuté et amendé le principal document du Congrès : les Perspectives pour la Grande-Bretagne. Ce texte analyse en profondeur la situation du capitalisme britannique et ses répercussions sur la lutte des classes. Aux privatisations et politiques d’austérité, depuis de nombreuses années, s’ajoute désormais une inflation qui dépasse les 10 %. D’où la puissante vague de grèves qui se développe, dans un secteur après l’autre, depuis près d’un an. Comme l’expliquent nos camarades britanniques, ces grèves sont le prélude à des luttes encore plus massives.

Cette situation renforce l’aile gauche au sein des syndicats ouvriers, exactement comme c’est le cas dans la CGT en France. Du côté de la bourgeoisie, son grand Parti conservateur est profondément divisé et discrédité.

Construire la TMI !

En Grande-Bretagne comme ailleurs, la jeunesse se radicalise. Un sondage récent indique que près d’un tiers des jeunes britanniques préfèrent « le communisme » au capitalisme ! C’est précisément dans cette jeunesse que nos camarades d’outre-Manche construisent la TMI. Leur Congrès a mis l’accent sur l’urgence de bâtir une puissante organisation marxiste à la hauteur de la situation actuelle.

Notre section britannique compte désormais plus de 800 militants. Les délégués ont quitté le Congrès avec, en tête, l’objectif d’atteindre le millier d’adhérents au cours des prochains mois. Très populaire sur les universités, les manifestations et les piquets de grève, leur journal – Socialist Appeal – est un outil fondamental pour atteindre cet objectif. Nos camarades ont avec eux l’arme la plus importante dans la lutte pour le socialisme : les idées révolutionnaires du marxisme. Ils ont aussi l’enthousiasme et la détermination, comme l’a montré le montant de leur collecte : 58 000 euros.

Félicitations à nos camarades britanniques pour le succès de leur Congrès – en avant vers les 1000 adhérents !

Le 10 janvier dernier, le ministre britannique des Transports, Grant Shapps, a rendu public un projet de loi visant à imposer un « service minimum » dans plusieurs secteurs, dont les transports, l’éducation et la santé. Des millions de travailleurs seraient privés du droit de grève.

Vague de grèves

Ce projet de loi arrive au milieu de la plus importante vague de grèves que la Grande-Bretagne ait connue depuis des décennies. Sur le seul mois de décembre, plusieurs journées de grève ont mobilisé à l’échelle nationale les travailleurs du rail, ceux des douanes, les infirmières ou encore les postiers. En septembre, les avocats étaient en grève. On a aussi assisté à de nombreuses grèves locales, notamment cet été parmi les dockers et les éboueurs.

Dans tous les secteurs de l’économie, les travailleurs se mobilisent pour arracher des augmentations de salaire face à une inflation de 10 %, mais aussi de meilleures conditions de travail. Plusieurs grèves ont permis d’arracher de substantielles augmentations de salaire. Ce fut notamment le cas pour les dockers et les éboueurs.

Ces victoires ont été un encouragement pour tous les travailleurs – et une nouvelle preuve du fait que seule la lutte paie. Dans ces mobilisations, la classe ouvrière prend conscience de sa force et de son unité. Le projet de loi de Grant Shapps vise à enrayer ce mouvement. C’est un défi lancé aux syndicats et à l’ensemble de la classe ouvrière britannique.

Inquiétudes au sommet

Le projet de loi a provoqué l’inquiétude de nombreux politiciens réformistes, mais aussi bourgeois. La dirigeante du Parti National Ecossais, Nicola Sturgeon, l’a publiquement critiqué. Le parti travailliste (gauche) a déclaré qu’il l’abrogerait s’il arrivait au pouvoir. Même le Financial Times, le journal de la bourgeoisie britannique, a appelé le gouvernement à privilégier « la négociation et le compromis », plutôt que la loi et la répression.

Ces mots sont ceux d’hypocrites professionnels. Leur « préférence » pour les négociations ne les a pas empêchés d’approuver les multiples lois restreignant le droit de grève, comme celle qui interdit depuis 1992 les grèves « de solidarité ». Quant à Keir Starmer, le chef du parti travailliste, il a exclu cet été un dirigeant de son parti parce qu’il avait apporté son soutien à une grève ! Sa principale préoccupation est de démontrer à la bourgeoisie qu’il ferait un serviteur plus fiable et plus efficace que les chefs du parti conservateur.

Le fait est que la classe dirigeante britannique est profondément divisée. Une partie redoute qu’une accumulation de mesures d’austérité et de répression ne finisse par provoquer une explosion sociale. Elle réclame donc le retrait de ce projet de loi et la mise en place de quelques réformes modérées pour tenter de calmer la colère des masses. Une autre partie de la bourgeoisie comprend que lorsque les travailleurs remportent des victoires, ils sont encouragés à intensifier la lutte. Elle approuve donc le projet de réprimer sévèrement les grévistes.

Du point de vue des intérêts de la bourgeoisie, ces deux positions contradictoires sont également correctes. Ce dilemme apparemment insoluble souligne l’impasse dans laquelle est plongé le capitalisme britannique.

Mobilisation !

Le Congrès des syndicats (TUC) a appelé à une journée de mobilisation le 1er février, sans pour autant appeler de façon explicite à faire grève. Son secrétaire général, Paul Nowak, a affirmé qu’il combattrait cette loi « au Parlement et devant les tribunaux ». C’est une erreur. La classe ouvrière ne doit placer sa confiance ni dans les politiciens hypocrites au service de la bourgeoisie, ni dans les institutions de la classe dirigeante. Sans une puissante mobilisation extra-parlementaire des travailleurs, le Parlement et les tribunaux soutiendront la politique du gouvernement.

Pour faire obstacle aux projets réactionnaires du gouvernement conservateur, le mouvement ouvrier ne doit compter que sur ses propres forces. Il doit organiser une mobilisation de masse, comparable « à la grève générale de 1926, au mouvement des suffragettes et au mouvement chartiste », comme l’a très justement déclaré le secrétaire général du syndicat des transports, Mick Lynch.

Une pétition « pour défendre le droit de grève » a été lancée par la campagne intersyndicale « Trop, c’est trop ». A ce jour, elle a réuni près de 160 000 signatures. Une autre pétition, lancée par le TUC, a réuni près de 200 000 signatures en l’espace de deux semaines. Après les grèves de ces derniers mois, ces chiffres sont une nouvelle démonstration du potentiel qui existe pour une mobilisation de masse.

Un signe très encourageant est la position du syndicat de fonctionnaires, PCS, qui a appelé ses 100 000 adhérents à faire grève le 1er février. Les autres syndicats doivent suivre cet exemple et mobiliser leurs forces dans une lutte unitaire de tous les salariés. Seules les méthodes de la lutte des classes – la grève et les manifestations de masse – peuvent repousser les attaques des conservateurs et les politiques d’austérité que la bourgeoisie veut imposer aux travailleurs britanniques.

Comme chaque automne, nos camarades de Socialist Appeal, la section britannique de la TMI, ont organisé un week-end de formation : le « Festival Révolution ». Avec plus de 700 inscrits, l’édition de cette année – du 21 au 23 octobre – fut un énorme succès.

Nos camarades britanniques constituaient la très grande majorité des participants, mais des militants d’une quinzaine de sections nationales (dont la section française) ont fait le déplacement.

Le Festival a commencé en plein air, avec des promenades commentées sur les pas de Marx et de Lénine, qui ont tous deux vécu et milité à Londres. Puis notre camarade Alan Woods a ouvert la première session, consacrée à la situation mondiale. Alan a insisté sur les perspectives révolutionnaires qui découlent de la crise organique du capitalisme. L’inflation galopante, les politiques d’austérité, les inégalités croissantes et la crise climatique – entre autres – préparent une intensification de la lutte des classes dans tous les pays. En témoignent, notamment, la vague de grèves en Grande-Bretagne et la crise révolutionnaire en Iran.

Le lendemain, 16 sessions étaient réparties le long de la journée. En plus de trois sessions d’introduction aux parties constitutives du marxisme (la théorie économique, la philosophie et la conception de l’histoire), un grand nombre de sujets ont été couverts, parmi lesquels les NFT et la crypto-monnaie, la lutte contre le racisme, la question nationale en Ukraine, la révolution russe et la révolution chinoise.

La plénière de cette journée portait sur la situation économique, sociale et politique en Grande-Bretagne. La légendaire stabilité du capitalisme britannique n’est plus qu’un vague souvenir. Juste avant le début du Festival, la Première ministre Liz Truss démissionnait… six semaines après son élection par les militants du Parti conservateur ! Dans son exposé, Rob Sewell a souligné les tâches de la section britannique de la TMI, qui s’est rapidement développée, ces dernières années, et doit intensifier son effort pour construire une puissante tendance révolutionnaire au sein du mouvement ouvrier.

L’enthousiasme du Festival s’est reflété dans la collecte, qui a réuni 27 500 livres sterling (plus de 32 000 euros), lesquelles contribueront à l’achat d’un grand siège de la TMI, à Londres.

Le samedi s’est conclu par une soirée de fête et de fraternité internationaliste, au cours de laquelle nos camarades ont interprété des chants révolutionnaires du monde entier.

Le dimanche, 17 sessions se sont tenues – notamment sur l’art, la religion, la science moderne, l’OTAN, le droit à l’avortement et le réchauffement climatique. Les exposés et les discussions ont confirmé la pertinence des idées du marxisme pour comprendre le monde actuel et, surtout, pour le transformer.

Toutes nos félicitations à nos camarades britanniques pour l’excellente qualité de cet événement, dont les camarades français sont revenus gonflés à bloc !

Le dictionnaire britannique Collins a fait du terme « permacrisis » – « crise permanente » – son « mot de l’année 2022 ». D’après le directeur de Collins Learning, ce néologisme exprime le sentiment de vivre dans une époque de guerre, d’inflation et d’instabilité politique sans issue apparente. Alors que la Grande-Bretagne vient de se doter de son troisième Premier ministre conservateur en moins de trois mois, le mot semble plutôt bien choisi.

La chute de Truss

Après la démission de Boris Johnson, Liz Truss a été élue par les seuls adhérents du parti conservateur. Elle aura exercé le pouvoir pendant moins de deux mois : un record ! Au cours de ses 49 jours de mandat, elle a néanmoins réussi à provoquer une panique des marchés en annonçant des baisses massives d’impôts pour les riches, sur fond de dette publique tout aussi massive.

Selon Truss, ces mesures d’allègement fiscal – d’une valeur totale de près de 45 milliards de livres sterling, et financées par un creusement de la dette – allaient « stimuler la croissance » et, à terme, restaurer la grandeur du capitalisme britannique. Cependant, les marchés financiers étaient beaucoup moins optimistes : la livre sterling s’est immédiatement effondrée, sur fond de protestations générales (dont celles, très fermes, du FMI). Sous cette colossale pression, Truss a dû retirer ses mesures et limoger son ministre de l’économie, avant d’être elle-même poussée à la démission par des dirigeants de son propre parti.

Cet épisode est symptomatique de la profonde crise qui frappe toutes les institutions du Royaume-Uni. Autrefois considérés comme des stratèges compétents et dévoués aux intérêts à long terme de la bourgeoisie britannique, les dirigeants conservateurs sont désormais de stupides carriéristes qui cherchent surtout à flatter une base de militants ultra-réactionnaires.

Mission impossible pour Sunak

En temps de crise, les capitalistes ont désespérément besoin de stabilité. Redoutant une nouvelle consultation de la base du parti conservateur, qui aurait très bien pu réélire Boris Johnson, la classe dirigeante a réussi à obtenir la nomination d’un « modéré » à la tête du parti – et donc du gouvernement : le multimillionnaire Rishi Sunak.

Mais Sunak n’aura pas la tâche facile. Son parti discrédité plafonne à 20 % dans les sondages, contre plus de 50 % pour le parti travailliste. En outre, une fraction significative de sa propre majorité parlementaire considère qu’il est responsable de l’échec de Truss. Enfin, face aux dizaines de milliards de livres de déficit public, Sunak a déjà annoncé que son programme serait essentiellement composé de nouvelles mesures d’austérité, à commencer par de nouvelles coupes budgétaires dans les services publics.

Comme l’expliquent nos camarades britanniques de Socialist Appeal, les conséquences seront d’autant plus graves que « le système de santé est déjà au bord de l’effondrement, avec des listes d’attente de plusieurs millions de personnes. Les tribunaux sont submergés d’affaires en instance. Les écoles délabrées ont du mal à garder leur personnel. Et les travailleurs du secteur public démissionnent en masse, après des années d’austérité salariale. »

L’inflation dépasse les 10 % – et les salaires ne suivent pas. Selon une enquête de l’agence Opinium, un Britannique sur sept est obligé de régulièrement sauter un repas, faute d’argent. Les mesures d’austérité que prépare Sunak ne peuvent qu’aggraver cette situation sociale désastreuse et pousser la classe ouvrière dans la lutte pour sa survie.

Vague de grèves

Nombre de travailleurs sont d’ores et déjà entrés dans l’action gréviste pour défendre leur pouvoir d’achat. Les cheminots et les postiers se mobilisent depuis cet été. Ils ont depuis été rejoints par les dockers de Liverpool et Felixstowe. Les travailleurs des universités ont récemment voté pour la grève à plus de 80 %. Le Congrès des syndicats britanniques (TUC) s’est réuni, fin octobre, pour approuver plusieurs résolutions appelant à des « actions coordonnées ». Sunak pourrait être rapidement confronté à une grève générale de fait.

Les syndicats et le parti travailliste demandent des élections anticipées, qui porteraient probablement les travaillistes au pouvoir. Une bonne partie de la classe dirigeante est aussi de cet avis, car elle pense avoir trouvé dans le très droitier dirigeant du parti travailliste, Keir Starmer, un digne héritier de Tony Blair, c’est-à-dire un représentant forcené de ses intérêts.

Starmer rêve effectivement de jouer ce rôle. Mais la situation actuelle est bien différente de la période de croissance économique pendant laquelle Tony Blair était au pouvoir. Même avec l’écrasante majorité parlementaire que lui promettent les sondages, un gouvernement Starmer sera, dès le premier jour, un gouvernement de crise, car il s’engagera dans une politique très semblable à celle que prépare Sunak. Au passage, cela dissipera les illusions que Starmer suscite dans une partie de la classe ouvrière britannique.

Le capitalisme britannique n’a rien d’autre à proposer qu’une « permacrisis » sans fin. En conséquence, les salariés de ce pays n’auront pas le choix : ils devront lutter toujours plus massivement – et plus radicalement – pour défendre leurs conditions de vie et de travail.

Cet article a été publié par nos camarades de Socialist Appeal le 9 septembre 2022.


Avec le règne le plus long de l’histoire du Royaume-Uni, la reine Elizabeth II était une véritable relique héritée d’une période de stabilité révolue. Avec sa mort, c’est un nouveau pilier de l’establishment britannique qui s’effrite, en un signe avant-coureur des bouleversements révolutionnaires qui approchent.

Une arme de réserve pour le régime capitaliste

Elizabeth a eu la chance de monter sur le trône juste après la guerre, au début d’une période de croissance économique mondiale. Durant près de 25 ans, l’augmentation presque continue du niveau de vie a assuré une certaine foi en l’avenir et préservé du même coup la stabilité sociale. Les cinquante années suivantes ont été très différentes. La crise mondiale de 1974 et le déclin de plus en plus rapide du capitalisme britannique ont ouvert une période d’intenses luttes de classe, marquée par le Thatcherisme et la « désindustrialisation » de la Grande-Bretagne.

Tout au long de ces années, la monarchie s’est comportée en pilier loyal de l’ordre établi. Robert Hardman, le très respectueux biographe auteur de Queen of Our Times (Une reine de notre temps), affirmait ainsi : « [Elizabeth II] représente tout simplement la constance, un sentiment de permanence et de stabilité. » Même son de cloche du côté du Financial Times, le journal de la grande bourgeoisie britannique, pour qui la reine « représentait la continuité et la stabilité de la Grande-Bretagne de l’après-guerre jusqu’au XXIsiècle ». Cette vision de la monarchie comme « incarnation de la Grande-Bretagne » n’est pas un hasard. La classe dirigeante britannique n’a pas maintenu cette institution médiévale pour des raisons sentimentales, mais pour des intérêts de classe.

Le rôle de la monarchie est en effet précisément de se placer « au-dessus » de la politique, des débats parlementaires et des divisions de la société. Chaque événement public, chaque discours ampoulé de la reine était soigneusement pensé pour correspondre à cette image et pour doter la reine de l’aura d’une figure intemporelle, préservée de la corruption de la société. En cas de troubles révolutionnaires, cela devait lui permettre d’intervenir pour défendre l’ordre établi, en bénéficiant d’une respectabilité sans aucune faille apparente. Loin de l’idée couramment répandue d’une monarchie « folklorique » et dénuée de tout pouvoir réel, la couronne britannique dispose en effet d’une véritable autorité légale, tenue en réserve en temps normal, mais qu’elle pourrait utiliser en cas d’urgence. Les forces armées britanniques comme le gouvernement lui prêtent par exemple un serment de fidélité personnelle.

Dans les années 1960, la famille royale a par ailleurs été largement impliquée dans les projets (finalement avortés) d’un coup d’Etat militaire contre le gouvernement travailliste d’Howard Wilson. En 1975 en Australie, la « prérogative royale » d’Elizabeth II au sein du Commonwealth lui a permis d’aider à renverser le gouvernement démocratiquement élu du travailliste Gough Whitlam, qui venait de mettre en place une série de réformes progressistes au grand dam de la bourgeoisie australienne et des Etats-Unis. Ce coup d’Etat était aussi un galop d’essai pour pouvoir répéter cette manœuvre en Grande-Bretagne, qui était alors plongée dans une profonde crise politique et sociale. L’échec des grandes grèves des années 1970 et 1980 a finalement rendu cette intervention de la monarchie inutile. Mais cela ne signifie pas que le rôle réactionnaire de la couronne soit devenu une chose du passé pour autant. La monarchie conserve tous ses pouvoirs et n’hésitera pas à les utiliser contre le mouvement ouvrier, si le besoin s’en fait sentir.

Crise du régime, crise de la monarchie

Pour autant, son aura ne brille plus autant que par le passé. La crise du capitalisme britannique s’est accompagnée de la crise de toutes ses institutions, y compris de la monarchie. Les querelles personnelles entre les membres de la famille royale, les accusations de racisme, la corruption et les scandales se sont accumulés et ont fini par percer le mince vernis de la pompe et du protocole. Ces dernières années, les liens étroits qu’entretenait le prince Andrew avec le violeur pédophile Jeffrey Epstein ont particulièrement entaché l’image de respectabilité soigneusement élaborée autour de la « Firme », comme la surnomment certains des propres membres de la famille royale.

La reine avait néanmoins échappé en grande partie à cette hostilité croissante, notamment du fait de son âge et de sa longévité. En plein milieu de la crise, elle incarnait le souvenir d’une époque depuis longtemps révolue, mais dont la classe dirigeante entretient sciemment la nostalgie. Sa disparition, dans une époque de bouleversements sociaux et économiques, vient fragiliser un des principaux piliers du régime capitaliste en Grande-Bretagne.

L’idée que le prince Charles, en devenant Sa Majesté Charles III, puisse combler le vide laissé par sa mère et bénéficier de la même autorité est complètement exclue. Le nouveau roi est en effet vu d’une façon bien moins positive par la population britannique – à tel point que beaucoup avaient évoqué la possibilité que la couronne « saute une génération », et que le prince William hérite directement du trône à la place de son père. En réalité, cela n’aurait pas été d’une grande aide. Qu’elle soit incarnée par Charles ou par William, la monarchie ne sera plus jamais la même. Son image a été profondément ternie par les scandales, et elle est de plus en plus perçue comme complètement coupée de la vie quotidienne des gens ordinaires et des problèmes qu’ils subissent.

Cette situation est très dangereuse pour la classe dirigeante. De son point de vue, la mort de la reine et l’accession de Charles au pouvoir n’auraient pas pu se produire à un pire moment : le gouvernement est en ébullition, Liz Truss vient à peine de prendre ses fonctions au 10 Downing Street après une guerre fractionnelle féroce dans le parti conservateur, tandis que la Grande-Bretagne et le monde entier sont en proie à une crise économique d’une profondeur inédite. Dans ce contexte, la classe dirigeante tente d’utiliser la mort de la reine pour étouffer la lutte des classes sous le « deuil national » et pour encourager le nationalisme. Cela a rencontré quelques succès, pour l’instant. Les dirigeants syndicaux se sont par exemple pliés en quatre pour « présenter leurs respects » à la famille royale, quitte à interrompre les grèves qui se développaient depuis cet été et même à reporter le congrès de la fédération des syndicats.

Mais les sentiments patriotiques et l’« unité nationale » seront de courte durée. L’aggravation de la crise économique, le fardeau qu’elle fait peser sur les épaules de la classe ouvrière et de la jeunesse vont revenir au premier plan et poser concrètement toutes les questions que la classe dirigeante essaie de dissimuler sous 10 jours de « deuil national ». Et il ne fait aucun doute que ce processus sera aussi encouragé par le comportement provocateur du gouvernement de Liz Truss, qui a promis de mener une véritable guerre de classe contre les travailleurs. La stabilité dont rêve la classe dirigeante est bien révolue et la monarchie ne lui sera plus d’aucun secours pour enrayer la lutte des classes. Un à un, les piliers de l’ordre établi montrent des signes de fragilité.

Dans ce contexte, le décès de la reine Elizabeth II marque la fin d’une ère de stabilité relative, et le début d’une nouvelle période de tempête et de convulsions sociales dont le capitalisme britannique ne sortira pas indemne. Lorsque la future révolution socialiste le renversera, elle balayera du même coup la monarchie et tous les oripeaux féodaux qui l’accompagnent.

L’annonce de la démission de Boris Johnson, le 7 juillet dernier, a marqué une nouvelle étape de la profonde crise de régime du capitalisme britannique. Alors que l’économie nationale glisse vers la récession, le Parti conservateur est déchiré par des luttes intestines. Mais il y a pire, du point de vue de la bourgeoisie : après des décennies de sommeil, la classe ouvrière britannique s’est engagée dans une impressionnante vague de grèves.

Crises politique et économique

Au pouvoir depuis 2010, le Parti conservateur est profondément divisé. Bien avant le 7 juillet, des caciques du parti ont attaqué le Premier ministre, « BoJo », dans le but de précipiter son départ et prétendre lui succéder à la tête du pays. Boris Johnson était fragilisé par une série de scandales – à base de fêtes clandestines et de cocaïne – le touchant directement. Mais au-delà, sa gestion de la pandémie, les suites du Brexit et la poussée inflationniste l’ont placé au bord du gouffre. Son règne s’est donc achevé comme il avait commencé : par une rébellion ouverte d’une large fraction des cadres du Parti conservateur.

De son côté, le Parti travailliste perd de très nombreux militants, qui sont écœurés par la politique droitière de son chef, Keir Starmer. Ce dernier semble prêt à tout pour démontrer à la bourgeoisie britannique qu’il ferait un excellent Premier ministre bourgeois, capable de défendre fermement les intérêts du grand capital, comme l’avait fait Tony Blair en son temps. Après avoir proclamé haut et fort son attachement à la « patrie » et à la famille royale, Starmer a même interdit aux dirigeants du parti d’aller soutenir les travailleurs sur les piquets de grève !

Dans le même temps, la situation économique se détériore rapidement. Le PIB s’est contracté de 0,1 % au deuxième trimestre, et on voit mal ce qui pourrait empêcher ce mouvement récessif de s’intensifier au cours des prochains mois. Les désordres engendrés par le Brexit n’arrangent rien. Enfin, l’inflation a dépassé les 10 % en juillet : du jamais vu depuis 1982. La hausse des prix est particulièrement élevée dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie : deux types de biens dont personne ne peut se passer. En conséquence, les salaires réels (rapportés à l’inflation) ont baissé de près de 3 %, en moyenne, en l’espace d’un seul trimestre.

Quel que soit le remplaçant de Boris Johnson, il sera donc confronté à une crise économique d’une rare profondeur, mais aussi à une vague de grèves de grande ampleur.

« Guerre de classe »

Fin juin, les travailleurs du syndicat des transports (la RMT) [1] ont entamé une mobilisation pour obtenir des augmentations de salaire, une revalorisation de leurs retraites et de meilleures conditions de travail. Malgré une campagne acharnée de la presse bourgeoise – le Sun ayant même dénoncé une « guerre de classe » ! –, une majorité des Britanniques ont approuvé cette grève et jugé que le gouvernement en était le premier responsable.

Cette mobilisation est une source d’inspiration pour l’ensemble du mouvement ouvrier. Un nombre croissant de syndicats ont annoncé qu’ils allaient consulter leurs adhérents en vue d’organiser des grèves. [2] Elles ont d’ores et déjà été votées à la Poste, dans les télécoms et chez les avocats. D’autres vont probablement suivre dans les écoles, les hôpitaux et une bonne partie des services publics.

A ces grèves « légales » s’ajoutent de nombreuses grèves « sauvages », c’est-à-dire organisées à l’initiative des travailleurs eux-mêmes, hors de tout cadre « légal ». Ce sont les salariés des centres de distribution d’Amazon qui ont donné l’exemple. La direction leur avait généreusement proposé une augmentation d’à peine 35 pence de l’heure (40 centimes), soit un chiffre très insuffisant pour empêcher un net recul du salaire réel, compte tenu de l’inflation. En réponse, près d’un millier de travailleurs du centre de distribution de Tilbury – le plus grand du pays et le deuxième plus grand au monde – ont organisé une grève avec occupation qui a duré près de 48 heures. Très vite, le mouvement s’est étendu à d’autres centres d’Amazon.

Le 10 août, des travailleurs de la construction et de l’industrie pétrochimique ont débrayé pendant 24 heures. Ils ont manifesté dans 13 villes du pays.

Qu’elles soient légales ou « sauvages », ces grèves annoncent de très grandes luttes sociales. Au vu de la dynamique engagée, la perspective d’une grève générale se pose d’elle-même. La classe dirigeante en est à la fois consciente et terrifiée. Plusieurs ministres et parlementaires l’ont même reconnu, publiquement ou « anonymement ». Après avoir été l’un des pays les plus stables d’Europe, la Grande-Bretagne est désormais l’un des plus instables. La gauche et le mouvement ouvrier français auront de nombreuses leçons à y puiser.


[1] La « Rail, Maritime and Transport Union »

[2] En Grande-Bretagne, une loi anti-grèves oblige les syndicats à organiser des votes à bulletins secrets avant de pouvoir commencer une grève.

La lutte des classes s’intensifie en Grande-Bretagne, où les cheminots sont en grève. La presse de caniveau crie à la « guerre de classe ». Et pour une fois, elle a raison. Voici la traduction d’un article publié par nos camarades de Socialist Appeal, la section britannique de la TMI.


Le 21 juin, les cheminots ont entamé la première des trois journées de grève planifiées cette semaine. A travers le pays, les gares ont fermé et les trains se sont arrêtés.

A Londres, les grévistes des chemins de fer ont été rejoints par des employés des transports publics, syndiqués à la RMT (« Rail, Maritime and Transport »), qui ont mis le métro à l’arrêt et paralysé la capitale.

Il s’agit de la plus grande grève des chemins de fer depuis des décennies. Elle s’annonce comme un grand combat pour l’ensemble du mouvement ouvrier. Les cheminots luttent pour défendre leurs emplois, leurs salaires et leurs conditions de travail.

Cette lutte pourrait bien être la première d’une série de grandes grèves, dans les mois à venir, car c’est l’ensemble de la classe ouvrière qui va devoir se battre pour protéger son niveau de vie face à l’inflation et aux coupes salariales.

Il est donc vital que les cheminots gagnent cette grève, car cela encouragerait toute la classe ouvrière.

Hystérie médiatique

Cette seule journée de grève a suffi à effrayer la classe dirigeante, qui a commencé à attaquer et diffamer le syndicat des cheminots. L’appareil médiatique du patronat a lancé une offensive féroce contre la RMT. Le syndicat a été qualifié d’« extrémiste », son secrétaire général Mick Lynch de « marxiste », et ses membres « surpayés » de victimes d’un « chantage » orchestré par leurs dirigeants pour « miner » le pays.

Il faut s’attendre à ce genre de mensonges et d’hystérie, dès lors que la classe ouvrière organisée passe à l’action et se bat pour ses propres intérêts.

Ceci dit, la presse à scandales a dit la vérité sur un point. Le Sun, torchon du milliardaire Murdoch, titrait ce matin : « C’est la guerre de classe ! », alertant sur la possibilité d’une vague de grèves durant l’été, à l’initiative d’autres secteurs de la classe ouvrière.

Mick Lynch a su se défendre face aux chiens de garde des capitalistes – qu’il s’agisse de journalistes sensationnalistes ou de députés conservateurs. Dans de nombreuses interventions médiatiques, le secrétaire général de la RMT a méthodiquement réfuté leurs inepties en mettant en avant les raisons réelles de la grève.

Malgré le déluge de propagande réactionnaire, un sondage récent a montré qu’une majorité de la population (58 %) soutient la grève. Alors que les patrons font tout pour diaboliser la RMT, les personnes interrogées par cette même enquête ont répondu que le gouvernement conservateur portait une plus forte responsabilité dans le déclenchement de la grève que le syndicat.

En effet, les revendications de la RMT – défense des emplois et hausse réelle des salaires – ont un écho certain parmi les travailleurs britanniques solidaires des grévistes, alors que l’inflation s’élève à 9,1 %, un chiffre inédit depuis quarante ans.

Le Parti « travailliste »

Dans sa quête de respectabilité, dirigeant du Parti travailliste, « Sir » Keir Starmer, a conseillé au groupe parlementaire de son parti de ne pas se rendre sur les piquets de grève de la RMT. Mais même cette attitude lamentable n’a même pas réussi à apaiser les capitalistes. Malgré les efforts de la direction travailliste pour tenir le parti à distance des grèves, les Conservateurs et la presse de droite ont continuellement essayé de lier les deux – alors même que la RMT n’est pas affiliée au Parti travailliste !

Le refus de Starmer de soutenir la grève a écœuré les travailleurs et les militants du mouvement ouvrier. Cependant, un certain nombre de députés travaillistes ont désobéi aux ordres de leur chef et sont allés sur les piquets de grève pour exprimer leur solidarité. Leur résistance est bienvenue. Le soutien aux travailleurs en lutte est le strict minimum attendu de n’importe quel élu « travailliste ».

Les piquets de grève

Les militants de Socialist Appeal ont aussi affiché leur solidarité avec les grévistes, hier, en se rendant sur des piquets de grève, d’un bout à l’autre du pays. Les grévistes nous ont raconté des anecdotes témoignant d’une culture de harcèlement et de racisme de la part de la direction de l’entreprise, qui affecte la santé mentale des travailleurs.

Des membres d’autres syndicats – dont la CWU, Unison, la NEU et Unite – sont aussi venus pour apporter leur soutien.

Nos camarades ont discuté avec des membres locaux de la RMT. Ces derniers ont souligné que les Conservateurs essayaient d’instrumentaliser leur opposition à cette grève pour attaquer l’ensemble du mouvement ouvrier. Mais la situation se retourne contre eux, car la plupart des travailleurs font face, eux aussi, à des attaques sur leurs salaires réels et leurs conditions de travail, si bien qu’ils soutiennent le mouvement de grève.

Un des grévistes a déclaré que la seule issue était de mobiliser l’ensemble du mouvement syndical, dans l’optique d’une grève générale pour renverser les Conservateurs.

Les camarades intervenant sur le piquet de grève de Liverpool Street ont interviewé le secrétaire des cheminots de Londres-Est, Walé Agunbiadé, qui a également évoqué la force du soutien public, ainsi que les inégalités croissantes.

Les militants londoniens de Socialist Appeal ont aussi rejoint le piquet de la gare de Kings Cross, pour y aider à distribuer des tracts de la RMT et parler de la grève avec les passants. Les camarades ont constaté une ambiance optimiste sur le piquet de grève. Sur la grande ligne de chemin de fer de la côte est [qui relie Londres à Edimbourg], seuls 30 % du service était assuré, alors que le patronat espérait qu’il tourne à 80 %. De nombreuses voitures ont klaxonné en solidarité avec les grévistes, tandis que les piétons saluaient le piquet en levant le pouce.

Nos camarades se sont également rendus sur le piquet de grève de Newcastle. Le soutien de la population locale y était évident. Un passant a déclaré : « Il était tant qu’on se lève face aux patrons, qui croient pouvoir s’en sortir en traitant leurs employés comme cela ! »

Un gréviste nous a dit : « Le soutien du public est important. Les gens comprennent que nous ne gagnons pas 41 000 livres par an [chiffre avancé par la droite]. Les attaques et les mensonges des Conservateurs ne les ont pas trompés. » Un autre gréviste a enchainé : « Pourquoi est-ce qu’on serait en grève si on gagnait plus de 40 000 livres par an ? Ils racontent vraiment des bêtises. »

A Leeds aussi le piquet de grève était d’une grande solidité. Les travailleurs parlaient de la sécurité comme de leur préoccupation majeure, avant même les salaires, car les coupes budgétaires conduisent à une augmentation des risques – et même à des morts.

Les membres de la RMT ont clairement compris le rôle de leur grève, comme première vague d’un tsunami d’actions militantes. Beaucoup d’entre eux ont exprimé l’idée qu’ils n’étaient pas seulement en grève pour eux-mêmes, mais pour l’ensemble de la classe ouvrière.

Nos camarades ont également soutenu des piquets de grève dans les villes de Sheffield, Norwich, Ipswich, Cardiff, Clacton-on-Sea, Cambridge, Morpeth, Acton, et bien d’autres, aux quatre coins du pays.

Un tournant décisif

Cette grève pourrait marquer un tournant décisif dans la lutte des classes en Grande-Bretagne. Tous les regards se tournent vers la RMT. Une victoire des grévistes stimulerait l’ensemble du mouvement syndical, qui a déjà gagné en dynamisme au cours de l’année passée, comme en témoigne la multiplication des grèves et des conflits dans différentes régions et branches d’industrie.

Ce fait est d’ailleurs reconnu par les Conservateurs. Le député Dominic Raab a déclaré que « nous [comprenez : la classe dirigeante] ne pouvons pas permettre aux syndicats de gagner cette bataille ». Il est donc vital que l’ensemble du mouvement ouvrier apporte son soutien à la RMT.

Une grève nationale des enseignants est déjà envisagée. Le syndicat NEU a averti le gouvernement qu’il s’en remettrait au vote de ses membres si la revendication de hausse des salaires n’était pas satisfaite.

Plus de 115 000 postiers du Royal Mail – organisés par la CWU – sont également prêts à voter une grève pour leurs salaires.

Le mouvement pourrait s’étendre aussi à la Fonction publique, aux tribunaux et à l’industrie des télécommunications. Il est hors de doute que des victoires de ces travailleurs inciteraient également les employés du système de santé et des administrations locales à se mobiliser à leur tour.

Les dirigeants syndicaux doivent fournir une stratégie de combat, en organisant une action coordonnée entre les différents mouvements – non seulement pour renforcer chacune de ces luttes et obtenir des victoires, mais aussi pour renverser ce gouvernement des milliardaires et des patrons.

Comme l’a correctement exprimé Nick Oung, membre de la RMT et militant de Socialist Appeal : « Plus grande sera notre grève, meilleure sera notre victoire ! »

Une chasse aux sorcières est en cours dans le Parti travailliste britannique (Labour). Pour rappel, son aile droite en a repris la direction après la défaite du parti – alors dirigé par Jeremy Corbyn, de l’aile gauche – aux élections générales de 2019. L’aile droite avait d’ailleurs largement contribué à cette défaite : elle avait ouvertement saboté la campagne électorale du Labour.

Elu à sa tête en promettant de garantir « l’unité » du parti, le droitier Keir Starmer a, sans surprise, fait exactement le contraire : il a immédiatement lancé une purge contre l’aile gauche. Il veut reprendre en main le Labour et montrer à la bourgeoisie britannique qu’elle peut compter sur lui pour défendre ses intérêts.

Cet été, la purge s’est accélérée avec l’adoption de mesures d’exclusions collectives visant plusieurs organisations de gauche au sein du Labour, et en particulier nos camarades de la section britannique de la Tendance Marxiste Internationale, organisée autour du journal Socialist Appeal. Ce n’est pas un hasard : nos camarades ont été en première ligne de la lutte engagée, au sein du Labour, contre la ligne droitière de Starmer. Ce dernier, par exemple, a été incapable de critiquer sérieusement la gestion catastrophique de l’épidémie par le gouvernement conservateur de Boris Johnson. Ces derniers mois, l’opposition interne à Starmer est montée en puissance, et nos camarades ont joué un rôle clé dans ce processus.

Des adhérents du Labour en sont donc aujourd’hui exclus parce qu’ils sont membres de la TMI – ou, tout simplement, parce qu’ils ont partagé un article de Socialist Appeal sur les réseaux sociaux. Même le célèbre cinéaste Ken Loach a été exclu du parti parce qu’il refusait d’approuver cette purge !

Cependant, cette chasse aux sorcières a suscité un mouvement de solidarité envers nos camarades dans la base du parti et du mouvement syndical. Par exemple, le syndicat UNITE, qui compte un million et demi de membres, a condamné sans appel la purge visant les marxistes et l’aile gauche du parti en général.

Nos camarades résistent avec acharnement contre toutes les mesures d’exclusion, sans cesser un instant de critiquer la politique désastreuse de Starmer. Cette purge des marxistes est vouée à l’échec, comme le furent toutes les tentatives passées d’exclure le marxisme du mouvement ouvrier. Comme l’écrivait Victor Hugo :

« Nul ne peut arrêter une idée dont l’heure est venue ».