Union Européenne

Il y a plus de 20 ans, à la veille de l’introduction de l’euro, la TMI expliquait que face à une grave crise du capitalisme européen, la zone euro se disloquerait « au milieu des récriminations mutuelles ». Jeudi dernier, lors d’une conférence entre dirigeants de l’Union Européenne, ces récriminations ont dominé les discussions.

Corona-bonds

La question qui divise le Conseil Européen est celle des « corona-bonds » : une émission de dette européenne qui faciliterait (et rendrait moins coûteux) l’accès des pays du Sud à des mesures d’urgence sanitaire et de stimulation économique.

Juste avant le sommet, les dirigeants de neuf pays de la zone euro, dont la France, l’Italie et l’Espagne, ont écrit une lettre au président du Conseil Européen, Charles Michel, dans laquelle ils proposent « l’émission d’une dette commune, par une institution européenne, pour lever des fonds sur les marchés, sur une base commune à tous les Etats membres, et au bénéfice de tous. »

Mais cette proposition a été balayée d’un revers de la main par les Etats les plus riches du nord de l’Europe, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Rien de nouveau : ces Etats se sont constamment opposés à la création d’« eurobonds », quelle qu’en soit la forme, depuis que l’idée a émergé lors de la crise de la zone euro en 2009.

Ils s’y sont toujours opposés pour la simple raison qu’ils ne veulent pas payer les dépenses d’autres Etats. Le terme condescendant de « danger moral » a été répété par les politiciens allemands et hollandais, en référence au risque que les habitants du Sud, paresseux et dépensiers, se permettent un train de vie somptueux (manger chaque jour, par exemple) aux frais des contribuables du Nord.

Les Etats du Sud craignent un « risque moral » d’un autre genre : si le reste de l’UE continue de se détourner de la souffrance d’une partie des Européens, cela renforcera les sentiments « anti-UE », dans les masses, et donc préparera d’autres crises du type du Brexit.

Le Premier ministre italien, Giuseppe Conte, qui est en première ligne de la bataille pour les « corona-bonds », a déclaré : « Si l’Europe ne fait pas front commun face à ce défi sans précédent, toute la structure européenne perd sa raison d’être aux yeux des peuples. » Quant à Emmanuel Macron, il a carrément déclaré : « Ce qui est en jeu, c’est la survie du projet européen. »

Tensions

Lors du Conseil Européen « virtuel », les dirigeants italiens et espagnols ont menacé de ne pas signer la « déclaration commune », à la fin de la rencontre, en l’absence d’un soutien clair à l’idée d’un mécanisme commun d’émission de dette. Pour éviter une rupture, Michel a proposé une formulation de compromis : « A ce stade, nous invitons l’Eurogroupe à présenter des propositions au cours des deux prochaines semaines. Ces propositions devront prendre en considération la nature sans précédent de la crise liée au COVID-19, qui affecte l’ensemble des pays ; notre réponse sera complétée, si nécessaire, par d’autres actions, d’une manière inclusive, selon le développement de la situation, pour fournir une réponse complète. »

C’est un grand classique des « déclarations » de l’UE, qui consiste à ne rien déclarer du tout. L’accord est unanime sur le fait… d’en reparler dans quelques semaines. Entre temps des gens meurent, notamment en Italie et en Espagne, et les anciennes plaies s’ouvrent encore plus largement.

Les perspectives pour une réponse européenne unifiée et efficace ne sont pas bonnes. Angela Merkel a donné la position de l’Allemagne : il existe déjà un mécanisme spécifiquement conçu pour de telles situations : le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Le problème, c’est que ce mécanisme conditionne les « aides » à la mise en œuvre d’un ensemble de « réformes » censées réduire le déficit public en privatisant des biens publics, en coupant dans les pensions et les services publics, et en attaquant les conditions de travail. Le remède est donc pire que le mal, comme l’expérience grecque l’a démontré.

La bataille verbale ne faisait que commencer. Après le sommet européen, le ministre des Finances hollandais a provoqué un vif tollé en suggérant que Bruxelles devait lancer une enquête sur l’incapacité de certains pays à faire face, financièrement, à la crise actuelle. Cette intrusion dans les affaires de pays tels que l’Italie et le Portugal a suscité une réponse indignée, le Premier ministre portugais qualifiant ce commentaire de « répugnant ». D’autres ont pointé du doigt le système fiscal hollandais, qui permet aux entreprises hollandaises de ne payer aucune taxe dans le reste de l’Europe.

Le spectacle de ces conflits internes à l’UE, face à la plus grave crise de son histoire, exaspère et inquiète au plus haut point les observateurs bourgeois les plus lucides. Ils savent où tout cela risque de mener : à un développement du protectionnisme, qui transformerait cette récession en dépression, comme dans les années 1930. Comme l’écrit un éditorialiste du Financial Times : « Le protectionnisme a amplifié le désastre de la dépression des années 1930. Il ne faut pas que cela se reproduise. »

Ils demandent donc que les dirigeants « tirent les leçons de l’histoire » et en changent le cours. Mais ces divisions entre Etats membres ne sont pas le produit accidentel de l’aveuglement ou de l’intransigeance de certains dirigeants ; elles sont une conséquence nécessaire de la nature fondamentale du capitalisme, qui est incapable de dépasser les limites de l’Etat-nation.

Cela vaut doublement pour l’UE, qui est une tentative d’unifier des Etats-nations capitalistes qui ont chacun leurs intérêts propres. Lors d’une période de croissance économique, les contradictions entre classes dirigeantes européennes peuvent être partiellement et temporairement dépassées. Mais en temps de crise, comme nous l’avons vu en 2009 et comme nous le voyons aujourd’hui, ces contradictions éclatent au grand jour.

Tendances nationalistes

La montée des tendances nationalistes et protectionnistes est une caractéristique bien connue de la politique européenne depuis une décennie. Souvent imputée à la mauvaise influence des « populistes », elle découle en réalité des intérêts divergents des Etats-nations, qui, en dépit de tous les discours sur la « fraternité européenne », sont en compétition les uns avec les autres.

La rapidité avec laquelle la majorité des « principes » de l’UE ont été jetés par la fenêtre montre que ces principes ne sont plus dans l’intérêt des principales puissances. Il y a eu peu de controverse au sujet des restrictions à la libre circulation des biens et des personnes, car des Etats puissants comme la France et l’Allemagne ont été les premiers à les mettre en place.

De même, la suspension des règles européennes concernant les aides d’Etat reflète l’inquiétude croissante des classes dirigeantes que leurs « intérêts nationaux » puissent être impactés par l’effondrement d’entreprises essentielles, ou par le rachat de ces entreprises par des firmes étrangères. Des Etats membres se préparent à acheter des entreprises d’importance nationale – et non européenne. Cela ouvre la possibilité que des mesures protectionnistes soient appliquées à l’intérieur de l’UE – et non uniquement contre des concurrents extérieurs, comme les Etats-Unis.

Sur la question des « corona-bonds », les intérêts des Etats du Nord et du Sud sont diamétralement opposés. Il n’est pas dans l’intérêt des gouvernements allemand et hollandais d’augmenter leurs frais d’emprunt, fût-ce légèrement, pour aider à financer les politiques de pays sur lesquels ils n’ont aucun contrôle. Ce serait exposer leur flanc droit à des partis nationalistes comme l’AfD, qui gagnent déjà du terrain du fait du ressentiment accumulé durant des années d’austérité et d’absence de véritable alternative de gauche.

D’un autre côté, les gouvernements du Sud, par exemple l’Italie, n’ont pas d’autre option que de pousser pour un plus grand partage des charges. Accepter des conditions d’aides strictes, comme celles du MES, ou accepter calmement d’augmenter le coût de la dette alors que les pays du Nord (qui ont tellement profité du projet européen) sont dans une situation confortable, favoriserait l’arrivée au pouvoir de nationalistes d’extrême droite comme Salvini – et pourrait même entraîner leur départ de la zone euro. En bref, si les gouvernements actuels ne formulent pas ces demandes, quelqu’un d’autre le fera à leur place.

Impasse

Ceci a placé les institutions européennes dans une impasse totale, comme le montrent les positions vacillantes de Christine Lagarde, présidente de la Banque Centrale Européenne, et d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne (la tête de l’exécutif européen).

Lagarde a tout d’abord fait plaisir à la Bundesbank en disant qu’il n’était pas du ressort de la BCE de réduire l’écart entre les taux d’intérêt des obligations d’Etat allemandes et italiennes, pour ensuite procéder à une volte-face spectaculaire face à la panique des investisseurs et à la colère des Etats du Sud. Von der Leyen s’est livrée aux mêmes acrobaties en qualifiant d’abord les « corona-bonds » de simple « slogan » (ce qui reflète sa proximité avec son ancien employeur, le gouvernement allemand). Puis, face au tollé provoqué par cette déclaration, elle a dû annoncer que « toutes les options » étaient sur la table et que l’UE « aiderait intensément l’Italie et l’Espagne ».

Il est fascinant de voir ces deux individus suivre une trajectoire similaire, preuve que les institutions transnationales de l’UE n’existent pas indépendamment des plus puissants Etats membres, et reflètent donc leurs intérêts. Quand les intérêts des Etats membres sont si clairement opposés, les institutions se tournent d’abord vers le camp le plus puissant (l’Allemagne), pour rétropédaler ensuite par crainte de provoquer une rupture avec une fraction minoritaire mais notable et bruyante.

Unité de classe

L’intégration européenne a calé depuis longtemps, car une authentique unification européenne est impossible sur la base du capitalisme. Aujourd’hui, l’unité et la « solidarité » européennes sont une mascarade, tout comme l’« unité nationale » proclamée par les gouvernements nationaux.

La crise actuelle ne fait pas que menacer l’existence de l’euro. Dans chaque pays, elle a déjà provoqué des changements spectaculaires dans les consciences. Partout, ce que Trotsky appelait « le processus moléculaire de la révolution » se développe, préparant les bases pour une puissante explosion, qui ne menacera pas uniquement le projet européen, mais le capitalisme européen lui-même.

Une véritable solidarité ne peut exister que sur la base d’une véritable égalité. Ce n’est pas la « fraternité européenne » en général, mais l’unité de classe de tous les travailleurs du continent qui sauvera l’Europe de cette catastrophe. Nous devons combattre pour une Europe des travailleurs : libérée des frontières, des banques privées et des patrons.

« Travailleurs de tous les pays, unissez-vous ! »

Article paru le 25 mars 2020 sur In Defence of Marxism.


Depuis qu’elle est devenue l’épicentre de la pandémie du coronavirus, l’Europe est maintenant confrontée à sa plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale. Tous les piliers de la soi-disant « intégration européenne » commencent à s’écrouler sous cette pression.

Au moment précis où la solidarité et la coordination internationale sont des plus nécessaires, les Etats européens ferment leurs frontières et refusent d’apporter leur aide, tandis que la récession qui s’annonce laisse entrevoir la perspective d’une rupture non seulement de l’euro, mais aussi de l’Union européenne telle que nous la connaissons.

Fermeture des frontières

La liberté de circulation à la fois vers et à l’intérieur de l’espace « Schengen » a été suspendue, mais pas à la suite d’une intervention coordonnée de l’UE. Avant même que la Commission européenne ne ferme les frontières extérieures de la zone euro le 17 mars, de nombreux gouvernements européens avaient déjà décidé unilatéralement de fermer leurs frontières nationales, empêchant même l’entrée depuis les autres Etats membres.

Dès le 13 mars, la République tchèque avait annoncé qu’elle fermerait ses frontières et, au moment de la rédaction de cet article, 21 des 26 Etats membres de l’espace Schengen ont fermé la leur, dont l’Allemagne, l’Italie et la France. Il s’agit d’une mesure tout à fait inédite ; même au plus fort de la crise des migrants de 2015, les restrictions de circulation dans l’espace Schengen étaient rares et de très courte durée.

La gravité de cette crise qui, dans les faits, a supprimé la libre circulation des personnes, a été minimisée comme étant une mesure d’urgence temporaire. Mais il convient de rappeler les paroles que Jean-Claude Juncker – commissaire européen – a prononcées au milieu de la crise des migrants :

« Moins de Schengen signifie moins d’emplois, moins de croissance économique. Sans Schengen, sans la libre circulation des travailleurs, sans la liberté de se déplacer pour les citoyens européens, l’euro perd tout son sens. »

Aucune date n’a été fixée pour la réouverture des frontières nationales et la Commission européenne n’a pas le dernier mot sur le sujet ; elle ne peut qu’exprimer son opinion sur les mesures prises par les gouvernements de l’UE. Cela signifie que le sort de la libre circulation en Europe, ainsi que celui de l’euro et du marché unique, repose entre les mains de 26 nations, toutes se démenant pour assurer leurs propres intérêts, sous la pression constante des tendances nationalistes et protectionnistes dans leur pays.

Compte tenu de la durée prévue de la pandémie et des terribles conséquences qu’elle commence déjà à avoir, les chances d’un retour rapide et ordonné au statu quo semblent extrêmement faibles. Il suffirait qu’un petit groupe refuse de réintroduire la pleine liberté de circulation avec le reste de l’Union pour que Schengen n’existe plus. Rien que cela pourrait être une menace existentielle pour l’UE.

Fermeture du marché

La libre circulation des personnes n’est pas la seule des fameuses « Quatre Libertés » menacées depuis l’arrivée du coronavirus. La libre circulation des marchandises a peut-être été perturbée plus intensément que cette dernière. Plusieurs Etats membres ont imposé des restrictions sur l’exportation d’équipement médical ; l’Allemagne allant même jusqu’à bloquer l’exportation de masques, suscitant des protestations de la part des autres Etats membres.

Le libre-échange transfrontalier est le fondement économique de l’Union européenne. Sans lui, il n’y a pas de marché unique. Que l’économie la plus puissante d’Europe prenne des mesures aussi évidentes pour le réduire est une indication de l’ampleur de cette crise. À l’avenir, cela conduira également au développement de mesures protectionnistes dans l’ensemble du bloc commercial, car les plus petits Etats vont chercher à protéger leurs propres intérêts avant tout.

On pourrait se demander s’il existe encore une Union européenne, étant donné que ses principes fondamentaux ont, dans les faits, été abolis. Mais cela reviendrait à ne pas prendre en compte une part essentielle de la nature de l’UE. En réalité, l’UE ne se montre pas fidèle à ses règles, que l’on peut contourner ou enfreindre au bon vouloir des principales puissances économiques. Elle n’est pas non plus fidèle à ses institutions. En fin de compte, l’UE n’est qu’un accord entre les puissances de l’Europe pour créer une union servant au mieux leurs intérêts communs. Mais face à une crise de cette ampleur, cet accord a déjà commencé à se déliter.

Solidarité

Le conflit croissant au sein de l’UE a semé la panique chez les représentants les plus clairvoyants du capitalisme européen, soulevant un chœur d’appels à « l’unité » et à la « solidarité » dans l’ensemble de l’UE. Le comité de rédaction du Financial Times a même publié un communiqué plaidant auprès des dirigeants européens pour qu’ils « parlent et à agissent d’une seule voix », en expliquant que « sans coopération ni répartition des charges, les principes d’une union toujours plus réduite n’ont aucun sens ».

Il semble qu’en cas de crise – et ce ne serait pas la première fois –, la « solidarité » européenne soit encore plus inaccessible que les respirateurs et les masques médicaux ; comme le peuple italien l’a récemment découvert. Aujourd’hui, c’est l’Italie qui a été la plus touchée par le coronavirus, avec à ce jour plus de 5 000 morts confirmés [plus de 11 000 au 30 mars, NDT]. Peinant à maintenir un service de santé débordé, les autorités italiennes ont lancé un appel au reste de l’UE pour obtenir du matériel médical dès février. Pas un seul pays européen n’a répondu à l’appel. Avec de tels amis, qui a besoin d’ennemis ?

En fin de compte, ce n’est pas l’Allemagne ni la France, mais la Chine qui est venue en aide à l’Italie, en faisant parvenir un avion rempli d’experts médicaux et 31 tonnes de fournitures, y compris des équipements de protection – ni plus ni moins que ce que l’Etat allemand avait empêché de faire passer au-delà de ses frontières. Le fait que la Chine soit capable d’intervenir de cette manière démontre non seulement le déclin infamant du capitalisme européen, mais aussi la division croissante entre les Etats riches du nord de l’Europe et des pays comme l’Italie, qui se rapprochent de plus en plus de la Chine.

L’Italie n’est pas non plus le seul pays européen à se tourner vers la Chine durant cette crise. Le président serbe, dont le pays négociait l’entrée dans l’UE depuis 2009, a récemment fait une déclaration stupéfiante dans laquelle il condamnait l’Europe pour avoir refusé d’exporter des fournitures médicales et déclarait : « La solidarité européenne n’existe pas. C’est un conte de fées. [..] Seule la République populaire de Chine peut nous aider dans cette situation, et j’ai écrit une lettre au président Xi Jinping dans laquelle j’ai demandé de l’aide »

pourtant, ce n’est que le début de la crise. Alors que la situation désastreuse de l’Italie se reproduit sur tout le continent, les forces centrifuges au cœur du projet européen risquent de causer une scission. Même aujourd’hui, on ne peut pas exclure complètement que, sous la pression des événements, l’UE puisse se diviser. Mais les dirigeants de l’Europe, plus particulièrement les capitalistes de France et d’Allemagne, feront de grands efforts pour éviter que cela ne se produise. Toutefois, ce qu’ils ne peuvent pas empêcher, c’est le marasme à venir qui pèsera sur l’économie européenne et l’euro avec elle.

Crise économique

À mesure que le virus s’est propagé, l’activité économique mondiale s’est mise à l’arrêt. Les chaînes d’approvisionnement ont été perturbées et la demande s’est effondrée, alors que de plus en plus de pays prennent des mesures de distanciation sociale pour lutter contre le virus.

L’Europe est entraînée dans une profonde récession. L’Indice des Directeurs d’Achats européen, qui trace les conditions du marché, est tombé à son plus bas niveau depuis sa création en 1998. Goldman Sachs a estimé que l’économie de la région diminuera de 11 % (ce qui représente une chute vertigineuse) au prochain trimestre.

Face à l’effondrement économique, les Etats ont mis en place d’énormes plans de relance, selon le modèle keynésien, dans l’espoir de soulager, au moins, les pires effets de la crise. La France a annoncé un « plan de sauvetage » de 45 milliards d’euros, tandis que l’Italie prévoit d’augmenter ses dépenses de 25 milliards d’euros. Même le gouvernement allemand, habituellement si économe, a annoncé 150 milliards d’euros d’emprunts supplémentaires pour tenter de lutter contre la crise.

La combinaison d’une augmentation rapide des dépenses publiques, d’une baisse du PIB et des recettes fiscales aura un impact énorme sur les finances des Etats de l’UE, déjà sévèrement endettés. Selon une estimation de Capital Economics, les déficits budgétaires augmenteront de 10 à 15 % dans toute la région, faisant craindre une répétition de la crise de la dette souveraine de la zone euro en 2009, qui avait failli voir la Grèce quitter l’euro.

Cette fois-ci, cependant, l’épicentre de la crise n’est pas la Grèce, mais l’Italie, la troisième économie européenne et un membre fondateur de l’UE. Les rendements obligataires italiens avaient commencé à augmenter début mars. Si rien n’avait été fait, cela aurait pu coûter si cher à l’Italie d’emprunter de l’argent qu’elle n’aurait pas été en mesure de maintenir sa dette existante de 2 060 milliards d’euros, sans parler d’emprunter davantage.

Avec cette perspective désastreuse à l’esprit, la Banque Centrale Européenne (BCE) a annoncé un programme d’achat d’obligations de 750 milliards d’euros, destiné à réduire le coût d’emprunt des Etats membres en difficulté, et à stabiliser la monnaie commune. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, changeant spectaculairement de position – précédemment belliciste – a annoncé qu’il n’y a « aucune limite à notre engagement à l’euro ». Mais aucune mesure de relance de la BCE, aussi forte soit-elle, ne suffira à sauver l’euro de la crise à venir.

De nouvelles attaques

Aucun des problèmes de fond du système, révélés par la crise de 2009, n’ont été résolus après plus d’une décennie de « redressement ». En réalité, la plupart des Etats européens sont accablés de dettes toujours plus lourdes. En 2009, la dette publique italienne s’élevait à 116,6 % du PIB ; en 2018, elle était de 134,8 %. On estime que cette crise pourrait ajouter 20 à 50 points supplémentaires au ratio dette/PIB de l’Italie, ce qui l’amènerait au niveau de la Grèce.

Il n’est encore question que de la dette publique. La dette des entreprises privées a grimpé en flèche depuis 2009, les entreprises étant devenues dépendantes au crédit à taux réduit employé pour sortir la zone euro de la dernière crise. En fin de compte, l’achat d’une dette supplémentaire – ce qui est tout ce que le programme de la BCE promet – ne pourrait au mieux que retarder une crise encore plus profonde, et pas de nous en affranchir.

En outre, la récession mondiale à venir frappera probablement l’Europe encore plus durement qu’en 2008/09. L’Allemagne, de loin l’économie la plus forte d’Europe, est sortie relativement indemne de la dernière crise, portée par sa puissante économie d’exportation. Maintenant, cette force s’est transformée en son contraire – l’industrie manufacturière étant en chute libre depuis des mois – avant même que l’épidémie n’ait commencé.

En Allemagne, au beau milieu de la crise la plus forte depuis la Seconde Guerre mondiale, la classe dirigeante ne sera pas disposée à financer une extension illimitée du crédit bon marché aux économies plus faibles du sud de l’Europe. Tout comme en 2009, les capitalistes allemands – et autres capitalistes du Nord – se lamenteront de devoir payer les dettes de ces « paresseux » d’Italiens, de Grecs, de Portugais, etc. En fait, ce discours haineux sera encore plus intense dans le climat actuel, avec les chrétiens-démocrates allemands en crise et sous la pression du parti nationaliste AfD (Alternative pour l’Allemagne).

Comme toutes les autres institutions européennes, la zone euro a – dans les faits – interrompu ses propres règles, permettant une « flexibilité maximale » quant à ses règles budgétaires, de façon à ce que les Etats membres puissent réagir au coronavirus. Mais ce ne sont que des mesures temporaires. A un certain stade, pas si éloigné, les travailleurs italiens devront payer pour la « générosité » douteuse dont les banquiers auront fait preuve durant cette crise.

Afin de ramener son déficit budgétaire aux 3 % requis, le gouvernement italien devra procéder à de nouvelles coupes dans le service public et à des remises en cause des conditions de travail, alors que la population est sous le choc du coronavirus. Il en résultera une crise sociale et politique qui pourrait marquer la fin de l’euro.

Un sondage italien, réalisé les 12 et 13 mars, montre que plus des deux tiers des Italiens pensent désormais que l’appartenance à l’UE est « désavantageuse », contre 47 % en novembre 2018. Si, après avoir été abandonnés en pleine détresse, les travailleurs italiens sont alors contraints de payer la facture de la crise, l’« It-exit » deviendra presque inévitable. Cela signifierait la fin de l’UE telle que nous la connaissons.

Pour une Europe socialiste

Le fait que toutes ces crises se produisent exactement au même moment n’est pas simplement un effet secondaire du coronavirus. Dans l’ensemble, cette crise révèle les contradictions implicites du projet européen. Ce à quoi nous assistons, c’est une nouvelle phase dans la détérioration de l’UE, qui poursuit la même trajectoire depuis de nombreuses années.

Contrairement aux préjugés des libéraux, l’unification de l’Europe sur une base capitaliste n’est ni possible ni progressiste. En temps de crise du capitalisme, il est inévitable que chaque Etat-nation cherche à protéger ses propres intérêts, au détriment de tous les autres. Aujourd’hui, nous le constatons avec la véritable mascarade qu’est « l’unité » européenne, confrontée à une crise humanitaire et économique qui coûtera des centaines de milliers de vies et détruira des millions d’existences.

L’avenir de l’humanité exige que nous trouvions une alternative à cette horreur sans fin. Les ressources et la technologie de l’Europe pourraient être immédiatement mobilisées pour faire face à la crise sanitaire et subvenir aux besoins de sa population et du reste du monde, si les chaînes de production et de distribution étaient planifiées sur une base rationnelle et démocratique. Mais sous le capitalisme, c’est impossible, que ce soit dans un seul pays ou à l’échelle internationale.

Sous le règne des banquiers, l’Europe a été ruinée. L’heure est à une Fédération socialiste des Etats européens !

Partis traditionnels balayés, progression de l’extrême droite : les dernières élections européennes ont été une nouvelle illustration de la profonde crise politique en Europe. On retrouve les mêmes tendances fondamentales sur tout le continent, même si les résultats peuvent diverger suivant les contextes concrets. Voyons cela en nous appuyant sur les cas de l’Espagne, de l’Italie, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France et de la Belgique.

La défaite des vieux partis

Le premier élément marquant est la défaite de la plupart des grands partis traditionnels de la bourgeoise européenne. Il s’agit même parfois d’un effondrement, comme dans le cas de LR en France (8,4 %) ou encore des Conservateurs britanniques, qui passent de 23,5 % en 2014 à 9 % cette fois-ci. En Italie, le Parti Démocrate (« centre gauche ») et le parti de Berlusconi, Forza Italia (droite) ont perdu, chacun, près de la moitié de leurs suffrages de 2014 : ils chutent respectivement à 22 % et 8 %. En Allemagne, la chute des deux grands partis traditionnels se poursuit : la Démocratie Chrétienne (CDU-CSU, droite) recueille 29 % des voix, contre 35 % en 2014 ; le Parti social-démocrate (SPD) tombe à 15 %, contre 27 % en 2014.

Ce phénomène a les mêmes causes fondamentales dans tous les pays. Les partis en question (de droite comme « de gauche ») payent le prix de plusieurs années de gestion du capitalisme en crise, sous la forme de plans d’austérité, de coupes massives dans les dépenses publiques et d’attaques brutales contre les droits des travailleurs. Sur tout le continent, il y a un rejet des partis qui se sont partagés le pouvoir, depuis le début de la crise, et qui ont appliqué ces politiques réactionnaires.

En Grande-Bretagne, ce phénomène a été encore renforcé par la gestion calamiteuse du Brexit par le gouvernement de Theresa May. Cette situation a conduit le Parti Conservateur – le plus vieux parti politique d’Europe – au bord du gouffre.

Ce rejet du système politique officiel – et des institutions de l’UE – s’est aussi manifesté, une fois de plus, par une abstention massive : près de 50 % à l’échelle européenne. En Grande-Bretagne et en Italie, l’abstention a augmenté par rapport à 2014. Dans d’autres pays, comme la France ou l’Espagne, elle a un peu baissé, mais en restant à des niveaux très élevés. Les politiciens qui se félicitent d’une « participation exceptionnelle » à ces élections se moquent du monde. Par exemple, le parti de Macron n’a réuni que 11,2 % des inscrits.

L’extrême droite à l’offensive

L’extrême-droite est arrivée en tête dans plusieurs pays : la Lega de Matteo Salvini en Italie (34 %), le RN en France (23 %) et le Parti du Brexit de Nigel Farage en Grande-Bretagne (31 %).

La victoire de ces démagogues « anti-système » constitue l’autre face de l’effondrement des grands partis traditionnels.

Comme d’habitude, les progrès de l’extrême-droite ont provoqué une avalanche de mises en garde contre la « vague brune » qui s’apprêterait à submerger l’Europe. Par exemple, le secrétaire général du PCF, Fabien Roussel, déclarait que le score du RN, en France, constituait un « danger pour la République ».

Il va sans dire que le RN est un parti archi-réactionnaire et un ennemi de la classe ouvrière. Il faut le combattre fermement. Mais, d’une part, il n’est pas vrai que nous sommes au seuil d’une dictature fasciste. Mais surtout : comment combattre le RN ? En faisant « l’unité de la gauche », nous répondent Roussel et d’autres dirigeants de la gauche réformiste. « L’unité de la gauche » sur quel programme ? Le programme du PS et des Verts, c’est-à-dire le programme de gestion du capitalisme qui déçoit les masses et, en conséquence, renforce l’extrême droite ?

Par ailleurs, dans certains pays, l’extrême droite a reculé. En Allemagne, le parti xénophobe AfD a fait moins de 11 % des voix, soit nettement moins qu’aux dernières élections régionales. En Espagne, le parti néo-franquiste Vox n’a pas réussi sa percée. Il n’a obtenu que 6,2 % des suffrages, alors que beaucoup de sondages lui promettaient de dépasser les 10 %. De fait, Vox a été contré par une poussée massive vers la gauche.

Les limites de la gauche radicale

Lorsque l’extrême droite fait des percées électorales, c’est le signe sûr que la « gauche radicale » est incapable d’apparaître comme une alternative crédible au statu quo et à l’austérité. En Italie, par exemple, la gauche a virtuellement disparu – après avoir passé de nombreuses années à soutenir les gouvernements austéritaires du Parti Démocrate. Cette situation, à gauche, a laissé un espace béant dans lequel la Lega s’est engouffrée en se présentant comme la seule véritable alternative. Ce processus se retrouve ailleurs. La faiblesse de la gauche radicale est d’ailleurs un trait quasi-général de ces élections.

En Allemagne, Die Linke est tombé à 5,5 %, tandis qu’en Espagne Unidos Podemos a fait à peine 10 %. Dans les deux cas, ces formations ont refusé de se distinguer clairement de la gauche « gestionnaire », social-démocrate. Pendant des années, Die Linke a géré des gouvernements régionaux en alliance avec le SPD, alors même que ces gouvernements appliquaient des politiques d’austérité – et que, surtout, le SPD participait alors à un gouvernement de coalition avec la droite, au niveau fédéral. Incapable de rompre avec le SPD, Die Linke chute avec lui.

De même, en Espagne, Unidos Podemos (UP) a passé toute la dernière période à faire pression sur le PSOE pour qu’il lui accorde une place au sein du gouvernement Sanchez. En se présentant comme une force auxiliaire du gouvernement, UP ne pouvait pas bénéficier de la nette poussée vers la gauche que connaît actuellement l’Espagne. Placés devant l’alternative entre le PSOE et UP, la majorité des électeurs de gauche ont voté directement pour le PSOE – ou se sont abstenus.

A contrario, l’exemple du Parti du Travail (PTB) en Belgique montre que la défaite n’était pas une fatalité pour la gauche radicale. En menant une campagne offensive sur un programme qui, bien que réformiste, était néanmoins radical et clairement en rupture avec les politiques d’austérité et avec le statu quo politique, le PTB a réalisé un bon score, avec 14 % du côté francophone (trois fois plus qu’en 2014). Il a même progressé du côté flamand ! Le PTB a gagné le premier eurodéputé de son histoire, alors même que les partis traditionnels de la gauche réformiste chutaient. C’est cet exemple que doit suivre la gauche radicale en Europe, si elle veut enrayer la croissance des partis d’extrême-droite et rallier à elle la masse des abstentionnistes, pour mener la lutte contre le capitalisme et la misère qu’il répand dans tout le continent !

Les élections européennes se tiendront le 26 mai, en France, dans un contexte social explosif. Le mouvement des gilets jaunes aura un profond impact sur la campagne électorale. Les revendications que ce mouvement a fait émerger, ces quatre derniers mois, s’imposeront dans les débats. Tous les partis en lice devront au moins faire semblant d’en tenir compte. Cela dit, il n’est pas certain que cela suffise pour passionner les électeurs, dont la majorité considère, à juste titre, que l’UE n’est pas une solution à leurs problèmes. Aux élections européennes de 2014, l’abstention avait atteint 59 % des inscrits.

Le parti de Macron (LREM) espère que l’abstention sera très élevée, le 26 mai, car les abstentionnistes seront plus nombreux dans les couches les plus pauvres et exploitées de la population, c’est-à-dire parmi les électeurs qui sont les plus hostiles à la politique du gouvernement. Macron table donc sur une victoire par défaut. Est-ce inévitable ? Non. Une alternative de gauche radicale à l’UE susciterait beaucoup d’enthousiasme dans la masse de la population.

Qu’est-ce que l’UE ?

Il faut commencer par définir correctement l’UE, en partant d’un point de vue de classe. L’UE n’a rien à voir avec les grands principes sur lesquels elle prétend se fonder : « la paix », « la démocratie », « l’union des peuples », etc. Ces principes servent à masquer la véritable nature de l’UE, qui est entièrement subordonnée aux intérêts du grand Capital européen, c’est-à-dire des banques et des multinationales européennes (surtout allemandes et françaises). « Tout le reste n’est que littérature », comme l’ont appris les travailleurs grecs, en juillet 2015, lorsque la troïka (UE, BCE et FMI) a exigé d’eux – sous la menace d’une expulsion de l’UE – qu’ils renoncent à leurs revendications sociales et acceptent de subir de nouveaux plans d’austérité. Autant pour « la démocratie » et « l’union des peuples » européens !

Quant au prétendu pacifisme de l’UE, c’est une mauvaise plaisanterie : ces dernières décennies, la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Italie – entre autres – ont directement participé à de nombreuses interventions impérialistes en Afrique et au Moyen-Orient.

Historiquement, l’UE s’est constituée après la Seconde Guerre mondiale dans le but de peser, économiquement et politiquement, face aux géants américain, russe, puis japonais. D’emblée, il s’agissait d’une alliance entre les bourgeoisies allemande et française pour défendre leurs parts de marché. Autrement dit, l’UE s’est constituée, puis s’est élargie, conformément aux intérêts exclusifs des grands capitalistes européens. Elle n’a donc rien de progressiste.

La désintégration européenne

Lénine expliquait que l’unification de l’Europe sur la base du capitalisme est une « utopie réactionnaire ». Une utopie car c’est impossible, compte tenu de la rivalité entre les bourgeoisies européennes – et une utopie réactionnaire car la tentative d’y parvenir quand même ne peut se réaliser qu’au détriment des travailleurs du continent.

Le caractère réactionnaire de l’intégration européenne est apparu à de nombreuses reprises, et notamment dans les différents « traités européens » qui préconisent une stricte austérité budgétaire, les privatisations et la casse des services publics. Sur ce point, l’exactitude de la formule de Lénine est claire. Cependant, pendant toute une période, cette formule a pu paraître erronée en ce qui concerne l’impossibilité d’unifier l’Europe sur la base du capitalisme. Pendant des décennies, en effet, l’intégration européenne n’a cessé d’avancer, comme en ont témoigné l’adoption de la monnaie unique et l’élargissement de l’UE à 27 pays.

Mais en réalité, les succès de l’intégration européenne reposaient sur une longue phase de croissance économique, laquelle permettait aux rivalités nationales de passer au second plan. Et comme nous l’expliquions à l’époque, ces mêmes rivalités nationales devaient nécessairement ressurgir à l’occasion d’une grave crise économique. C’est exactement ce qui s’est produit. La crise de 2008 a marqué le début d’un processus de désintégration européenne. Le Brexit en est un exemple. Les conflits suscités par la crise migratoire – et la suspension de facto des accords de Schengen – en sont un autre. La crise du capitalisme européen renforce sans cesse les tendances centrifuges au sein de l’UE. Une nouvelle récession mondiale pourrait même aboutir à sa dislocation, au milieu des récriminations mutuelles.

Pour une Europe socialiste !

Est-ce à dire que nous, marxistes, sommes opposés à l’unification du continent européen ? Absolument pas. Nous sommes pour l’unité de l’Europe, mais sur la seule base à la fois possible et progressiste – sur la base du socialisme. Le préalable à une authentique unification économique et politique de l’Europe, c’est la rupture avec le capitalisme. Cette position nous distingue non seulement de la droite, bien sûr, mais aussi des principales organisations de la gauche française.

LREM et Les Républicains défendent l’UE parce qu’ils défendent les intérêts de la bourgeoisie française, qui a bénéficié et bénéficie toujours énormément de l’UE (malgré les problèmes que lui pose la domination allemande). Quant au RN de Marine Le Pen, plus il se rapproche du pouvoir, plus il veut complaire à la bourgeoisie française – et plus il abandonne sa démagogie anti-UE. Ainsi, Marine Le Pen renvoie la « sortie de la zone euro » aux calendes grecques, désormais, après en avoir longtemps fait une « mesure d’urgence ».

A gauche, la plus grande confusion règne, hélas. Pendant de longues années, le PS et le PCF ont défendu la perspective d’une « Europe sociale »… sur la base du capitalisme. C’est toujours leur position. Certes, le PCF critique l’UE de façon bien plus sévère que ne le fait le PS, lequel a soutenu tous les traités européens (que le PCF a combattus). Mais ici s’arrête, au fond, la divergence entre le PS et le PCF. Ni l’un ni l’autre ne défend la nécessité de rompre avec le capitalisme européen. Même si le programme du PCF, en surface, est plus radical que celui du PS, il se réduit au projet de « réformer l’UE » pour soumettre ses institutions aux intérêts des peuples. C’est aussi absurde que le serait le projet de « réformer le Medef » au profit des travailleurs.

Le mouvement de Benoît Hamon (Générations) défend une position proche de celle du PCF. Quant à la France insoumise, elle tente de développer une position plus solide que celle du PCF et de Générations – mais sans vraiment y parvenir, à notre avis. Nous y reviendrons en détail dans le prochain numéro de Révolution. Ici, soulignons seulement que Mélenchon accorde trop d’importance aux traités européens, dans son argumentation et son programme. « Toutes nos misères écologiques et sociales ont leur origine dans le contenu de ces traités », expliquait-il dans Libération, le 10 mars dernier. Conclusion de Mélenchon : il faut soit arracher une « renégociation des traités » (plan A) soit, à défaut, « sortir des traités » (plan B). Problème : le plan A (la position du PCF, au fond) est illusoire. Quant au plan B, il laisse ouverte la question : sur quelle base économique et sociale faut-il « sortir des traités » ? Car une « sortie des traités » sur la base du capitalisme ne règlera rien aux problèmes des travailleurs de notre pays – tout comme un « frexit », d’ailleurs. Pour être plus claire et plus offensive, la campagne de la FI devrait donc partir de cette idée simple, mais indiscutable : il n’y aura pas de solution aux problèmes des travailleurs sur la base du capitalisme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE.

Le 23 octobre dernier, la Commission européenne rejetait le budget présenté par le gouvernement italien. Ce budget prévoyait un déficit public de 2,4 %, alors que le précédent gouvernement italien, lui, travaillait à un déficit de 0,8 %. La Commission a menacé l’Italie de sanctions. Ce bras de fer a débouché, le 19 décembre, sur un « accord » prévoyant un déficit de 2,04 %.

Le séisme du 4 mars

Pour comprendre ce conflit, il faut revenir au séisme politique des dernières élections italiennes, le 4 mars 2018. Ulcérées par les effets de la crise et des politiques d’austérité, les masses ont sanctionné les partis « de gouvernement » (le PD et Forza Italia) et ont voté pour les deux partis de l’actuelle coalition gouvernementale : le Mouvement 5 Etoiles (M5E, « populiste ») et la Ligue (extrême droite). En conséquence, la bourgeoisie italienne a perdu le contrôle direct du gouvernement, ce qui témoigne de la profondeur de la crise politique et sociale.

Le M5E est un parti petit-bourgeois qui oscille en permanence entre la gauche et la droite. Il est arrivé en tête aux élections du 4 mars grâce à sa démagogie et à un programme de mesures sociales telles qu’un « revenu de citoyenneté » de 780 euros par mois (dans un pays où il n’y a pas d’assurance chômage). Le M5E a aussi promis la fin du travail précaire et l’abrogation de la loi Fornero, cette contre-réforme des retraites mise en place par le gouvernement Monti (2011-2013).

Contradictions

Les millions de travailleurs qui ont voté pour le M5E attendent du gouvernement qu’il applique ce programme. Mais la bourgeoisie italienne et l’UE ne l’entendent pas de cette oreille. Et le ministre Matteo Salvini, de la Ligue, a beau multiplier les discours démagogiques contre l’UE, il veille aux intérêts du capitalisme italien. Par exemple, suite à l’effondrement du pont Morandi, à Gênes, le M5E avait proposé la nationalisation de l’entreprise Autostrade, propriétaire des autoroutes italiennes. Cette mesure était soutenue par 81 % des Italiens. Mais Salvini s’y est opposé et le gouvernement y a renoncé.

Chaque fois que les ministres du M5E proposent une mesure « sociale », les capitalistes font pression pour qu’elle soit abandonnée. Ils le font via l’UE, les quelques ministres qu’ils contrôlent (Tria et Milanesi) et la Ligue. Or les dirigeants du M5E, à commencer par Di Maio, le ministre du Travail, sont incapables de résister à de telles pressions.

Dans une récente interview au Financial Times, Di Maio déclarait : « Nous pensons pouvoir réduire considérablement la dette publique tout en augmentant le budget. […] Nous pouvons changer les règles de l’austérité et de l’investissement […] Nous allons expliquer à la communauté financière que nous ne voulons pas quitter la zone euro. » C’est le vieux rêve réformiste d’une conciliation des intérêts des capitalistes et des travailleurs. Ce rêve s’est brisé en 2015 en Grèce, lors de la capitulation sans conditions de Tsipras face à l’offensive des bourgeoisies européennes.

Désillusion

L’accord du 19 décembre avec la Commission européenne est une reculade flagrante du gouvernement : la réforme des retraites et le revenu de citoyenneté ont été reportés (ce qui ne satisfait pas l’UE, cependant : elle veut une capitulation totale). De même, les mesures prises contre le travail précaire sont très insuffisantes. En revanche, les capitalistes sont choyés : le budget « populaire » du gouvernement maintient les exonérations fiscales accordées aux riches et aux grandes entreprises.

En conséquence, les masses vont commencer à perdre leurs illusions dans ce gouvernement. A cela s’ajoute leur rejet croissant de l’UE. Désormais, à peine 44 % de la population soutient l’appartenance de l’Italie à l’UE ! C’est un danger pour les classes dirigeantes du continent, à quelques mois des élections européennes (mai 2019). L’Italie n’est pas la Grèce ; c’est la troisième économie d’Europe. Une sortie de l’Italie de la zone euro porterait un coup fatal à l’UE.

Lutte des classes

En Italie, de nombreux « intellectuels de gauche » méprisent les masses, auxquelles ils reprochent d’avoir voté pour le M5E et la Ligue. Les mêmes « intellectuels » affirment que l’Italie est au bord du fascisme. Autrement dit, ils ne comprennent rien à la situation réelle.

Depuis Mussolini, la base de masse du fascisme – la petite-bourgeoisie – a fondu comme neige au soleil. Il est vrai que Salvini s’appuie sur la propagande raciste et l’appareil d’Etat. Mais en l’absence de réformes sociales, les provocations et les mesures répressives finiront par provoquer des mobilisations de masse, en particulier de la jeunesse.

Les marxistes italiens ont confiance en l’avenir. Ils ont vu dans le mouvement des gilets jaunes, en France, une anticipation de ce qui se prépare dans leur pays. Depuis les dernières élections, de larges couches de la population – d’habitude passives – se politisent. Face à l’incapacité du gouvernement à résoudre leurs problèmes, les travailleurs finiront par se mobiliser. De grandes luttes se préparent, au cours desquelles la classe ouvrière italienne renouera avec ses traditions révolutionnaires.

Un nouvel épisode de la crise migratoire a secoué l’été européen. Les dirigeants des pays de l’UE ont donné le lamentable spectacle de leurs négociations interminables pour savoir où allaient accoster les navires ayant secouru des migrants en Méditerranée. A chaque fois, les nouveaux « pestiférés », épuisés, traumatisés, sans vivres, sont priés d’attendre que se concluent les comptes d’apothicaire et les calculs politiciens. Cette gestion cynique révèle à nouveau la profonde crise politique de l’UE.

Le rôle de Salvini

Le principal changement dans la situation migratoire en Europe, ces derniers mois, c’est la plus grande fermeté de l’Italie, incarnée par son nouveau ministre de l’intérieur, Matteo Salvini. Depuis sa prise de fonction en juin dernier, le chef de la Ligue (extrême-droite) refuse le droit d’accoster dans des ports italiens à certains bateaux d’ONG, mais aussi à des bateaux de la marine italienne ayant secouru des migrants.

En réalité, Salvini n’a pas l’intention de fermer tous les ports de manière permanente. Certains navires ont été autorisés à débarquer en toute discrétion. En campagne électorale permanente, Salvini instrumentalise certains cas à des fins de propagande. C’est de la pure démagogie. Il a par exemple « créé » le cas du navire militaire Diciotti, fin août, en refusant aux migrants qu’il transportait de débarquer. Ce faisant, il cherchait à détourner l’attention du débat sur la renationalisation des autoroutes qui prenait forme en Italie, suite à l’effondrement du viaduc de Gênes.

Salvini n’est que le chien de garde de la bourgeoisie italienne, un rôle que l’extrême-droite endosse à merveille chaque fois qu’elle accède au pouvoir. Il sait que son « gouvernement du changement » ne pourra pas répondre aux fortes attentes sociales des travailleurs italiens, qui ont voulu « renverser la table » aux dernières élections. Il utilise le racisme comme une arme de diversion massive. Mais le succès de cette démarche ne peut être que provisoire.

Rivalités

Pour Salvini comme pour ses alliés (et rivaux) du Mouvement 5 Etoiles (M5S), la politique des coups d’éclat sert aussi à donner plus de force à l’Italie dans les négociations au sein de l’UE sur la question des migrants. Ils défendent – en vain – un système permanent de répartition des migrants. Ils demandent la renégociation du Règlement de Dublin, qui impose l’accueil initial des migrants aux seuls pays méditerranéens.

Cependant, le groupe des pays d’Europe centrale est fermé au principe même d’accueillir des migrants. Et en 2016, l’Allemagne, véritable arbitre et payeur, avait obtenu du régime turc d’Erdogan – contre 6 milliards d’euros – qu’il coupe la route migratoire des Balkans à la source. A présent qu’elle est affaiblie et sous pression de l’extrême-droite, Angela Merkel est encore moins disposée à rechercher un système permanent d’accueil, a fortiori si cela implique de nouvelles dépenses. Elle renvoie pour le moment les solutions « viables » à un hypothétique avenir meilleur.

C’est pourquoi le sommet européen du 29 juin dernier n’a rien réglé. La « crise migratoire » confirme le constat d’une fracturation de l’UE, qui est incapable de surmonter le moindre déséquilibre dans ses fondations.

Inhumanité partagée

Un point les met tous d’accord : ils veulent renforcer la fermeture des frontières extérieures de l’UE. En conséquence, plus de 600 migrants se sont noyés en juillet – et près de 17 000 depuis 2014, selon l’Organisation Internationale pour les Migrations. Mais cela ne trouble pas la conscience des bourgeoisies européennes, qui répètent ne pas pouvoir « accueillir toute la misère du monde » – qu’elles ont pourtant contribué à créer.

Salvini est détestable, mais Macron l’est tout autant. Jamais avare en leçons de morale, Jupiter s’est muré dans un silence olympien quand il a fallu recevoir l’Aquarius et d’autres navires refusés par l’Italie. Sa loi « Asile et immigration », adoptée cet été, condamne des milliers de migrants à rester illégalement sur le territoire, surexploités et persécutés.

Le mouvement ouvrier ne peut pas se contenter d’une dénonciation morale. Au-delà de leurs rivalités, c’est un même système que défendent toutes les bourgeoisies européennes. Les Salvini ou Orban ne se distinguent des libéraux à la Macron que parce qu’ils ont séché depuis longtemps leurs larmes de crocodile. Quant à nous, nous devons promouvoir l’unité de classe entre travailleurs « locaux » et immigrés. Par exemple, il y a 11 millions de logements vides en Europe. Cela suffirait à garantir des logements bon marché aussi bien pour les pauvres et les SDF d’Europe que pour les migrants. La question n’est pas : « des logements pour nous ou pour eux ». Il y en a assez pour tous. Il faut donc s’en prendre à la spéculation immobilière et à la course aux profits en général. L’antiracisme est un anticapitalisme !

L’accord sur les réfugiés entre l’Union Européenne et la Turquie est entré en vigueur le 19 mars dernier. L’Etat turc recevra 6 milliards d’euros de l’UE pour lui sous-traiter la gestion directe des réfugiés et demandeurs d’asile en provenance du Moyen-Orient. En outre, le président turc Erdogan a reçu de vagues promesses sur la libéralisation de la politique des visas pour les citoyens turcs en Europe, ainsi que sur la relance du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.

La bourgeoisie européenne n’espérait qu’une chose : la déportation forcée, en Turquie, des migrants entrés en Grèce (donc dans l’UE) à la date prévue par l’accord. Ce lamentable spectacle a bien commencé, dès le 19 mars. ONG et volontaires ont été expulsés des îles grecques. Les centres d’accueil ont été transformés en camps fermés préparant la déportation des migrants.

La promesse de « couloirs humanitaires » prévoyant d’échanger un Syrien expulsé contre un Syrien « acceptable » révèle toute l’hypocrisie de la classe dirigeante européenne. Outre le caractère scandaleux de cette distinction entre Syriens, le chiffre maximum annoncé est ridiculement bas (72 000 personnes). D’autre part, c’est une promesse creuse. Qu’ils soient d’extrême-droite ou sous la pression de cette dernière, les gouvernements européens refusent d’accueillir les demandeurs d’asile déjà présents dans l’UE. Certains ont réintroduit des contrôles aux frontières, menaçant le Traité de Schengen et sa libre-circulation des personnes.

Une prison à ciel ouvert

Des milliers de réfugiés ont donc commencé à être déportés vers la Turquie. Les dirigeants européens qualifient ce pays de « sûr ». Mais selon Amnesty International, les camps de réfugiés s’y caractérisent par la plus grande misère : manque d’eau potable ou de services hygiéniques ; des enlèvements y ont lieu. En outre, les autorités turques continuent d’expulser vers la Syrie des centaines de réfugiés.

Les dirigeants de l’UE font mine d’ignorer que les droits de l’homme sont systématiquement violés par l’Etat turc. La minorité kurde y est persécutée. La guerre civile déclenchée par Erdogan s’apparente toujours plus à un « nettoyage ethnique ».

Les dirigeants européens espèrent que des personnes fuyant l’enfer syrien, irakien ou afghan accepteront de vivre dans des camps de concentration à ciel ouvert, dans un pays autoritaire déchiré par la guerre civile et le terrorisme. Comment un projet affichant un tel mépris des souffrances des réfugiés pourrait-il réellement fonctionner ? Avant même d’être déportés en Turquie, les réfugiés verront les « hotspot » (centre d’accueil) prévus sur les îles grecques se transformer en de véritables prisons. Des révoltes sont prévisibles.

La réaction la plus probable des migrants reste la recherche d’autres routes, bien que plus dangereuses, que celle des îles grecques, comme en Mer Noire. Les arrivées sur ces îles ont déjà commencé à se réduire, depuis le 20 mars. Au lieu de lutter contre les « passeurs », cet accord les rendra encore plus riches.

Politiser la solidarité

Dans ce contexte, les tensions aux frontières intérieures de l’UE pourraient s’accroître, au point de détruire Schengen, voire l’UE elle-même. La « crise des réfugiés » est un problème du seul point de vue des capitalistes, mais c’en est un sérieux. Le capitalisme européen en crise n’a que l’austérité à offrir à sa propre population. Dès lors, les classes dirigeantes n’ont pas la moindre intention de garantir une existence digne à des centaines de milliers d’êtres humains fuyant la barbarie. Les gouvernements européens préféreront signer d’autres « accords de la honte », malgré leur coût.

Le mouvement européen de solidarité avec les réfugiés doit franchir une nouvelle étape, au-delà de l’objectif – certes important – de l’aide immédiate. Un mouvement politique est nécessaire, qui s’attaque à la racine du problème, s’oppose à toutes les guerres impérialistes et revendique le contrôle de l’économie, afin de mettre les sommes colossales accumulées par les banques et les multinationales au service de l’aide aux réfugiés.

Depuis des années, des millions de réfugiés se pressent aux portes de l’Europe, chassés de leurs pays par les conséquences de la crise du capitalisme et des interventions impérialistes (notamment françaises et britanniques). Face à cette crise humanitaire, les dirigeants des États européens font preuve d’un cynisme écœurant. Plusieurs pays, dont la France, ont rétabli des contrôles aux frontières, afin de limiter l’accès aux seuls citoyens européens.

Les réfugiés qui affluent à Calais espèrent atteindre le Royaume-Uni, pour rejoindre leur famille ou parce qu’ils espèrent simplement y vivre une vie décente. Mais pour nombre d’entre eux, l’étape de Calais s’avère infranchissable.

Le Royaume-Uni ne fait pas partie de l’espace Schengen. Les contrôles à la frontière se font au départ de la France. Londres se plaint de l’inefficacité des contrôles français – et Paris se lamente des sommes colossales investies pour appliquer la politique migratoire britannique. Londres a ainsi financé la construction de deux clôtures, pour un total de 35 millions d’euros. Par ailleurs, 1700 CRS sont stationnés en permanence à Calais, pour empêcher les réfugiés de quitter la « jungle » ou pour « étanchéifier le tunnel ».

La « jungle » de Calais

A cinq kilomètres du centre de Calais, la « jungle » rassemble plus de 6000 personnes, d’après les associations d’aide aux réfugiés (4000 selon la préfecture). Elle fut initialement présentée comme un espace où les réfugiés seraient « tolérés ». Mais il s’agit surtout d’un moyen de les surveiller en les parquant tous au même endroit. La préfecture a annoncé le démantèlement d’une partie du bidonville, mais assure qu’il ne s’agit que d’un « déplacement » et non d’une « évacuation ». En un sens, c’est exact : cela ne fera que déplacer le problème, aucune alternative crédible n’étant proposée aux réfugiés, à part des conteneurs insalubres baptisés « Centre d’accueil et d’orientation » – ou l’expulsion pure et simple.

Face à cette situation, la maire de Calais, Natacha Bouchart (LR), demande l’expulsion de tous les réfugiés qui ne sont pas demandeurs d’asile. Mais les demandes d’asile au Royaume-Uni ne peuvent être déposées et examinées… qu’au Royaume-Uni. Demander l’asile à Calais n’aurait de sens que pour s’installer en France. Les réfugiés de Calais sont donc coincés, avec un statut illégal, dans un pays qu’ils veulent simplement traverser. Et en attendant, ils sont exposés aux attaques racistes venant de toutes parts.

Attaques racistes et policières

Des groupes racistes se sont organisés, se présentant comme des « résistants » et des « patriotes » en lutte contre un « ennemi extérieur ». Les agressions contre les réfugiés sont de plus en plus fréquentes, le plus souvent dans une totale impunité. La police elle-même multiplie les actes de violence gratuite, sans avoir besoin de se justifier.

Les politiciens de droite utilisent cette crise pour détourner l’attention des travailleurs des véritables causes de la misère et du chômage croissants, en France. Les réfugiés sont les boucs-émissaires de la crise économique et sociale. Ils sont traités comme des criminels. Natacha Bouchart a même réclamé l’intervention de l’armée. Dans le même temps, les militants associatifs qui se mobilisent pour aider les réfugiés sont assimilés à des provocateurs responsables des protestations des réfugiés contre les mauvais traitements dont ils sont victimes. Comme si les réfugiés ne se rendaient pas compte par eux-mêmes de leurs souffrances et de ses causes !

Calais, avec sa jungle, ses groupes racistes et ses politiciens réactionnaires, symbolise un système agonisant qui traite ses victimes comme des criminels. Celles-ci, françaises ou étrangères, doivent s’unir pour se défendre et combattre pour un monde meilleur. 

L’accord de Schengen, considéré comme l’un des deux piliers de l’Union Européenne (avec l’union monétaire), est au bord de l’effondrement. Sa suspension imminente marque une étape majeure dans la crise de l’UE.

Un million de réfugiés ont fui vers l’Europe en 2015, dont 90 % en provenance de Syrie, d’Irak ou d’Afghanistan. C’est le plus grand mouvement de personnes déplacées depuis la Seconde Guerre mondiale. En réponse, la Hongrie a construit un mur sur sa frontière sud, le Danemark saisit les biens des migrants, la Suède veut expulser 80 000 demandeurs d’asile – et 7 pays de l’UE ont rétabli des contrôles aux frontières.

Les accords signés à Schengen en 1985 – et entrés en vigueur dix ans plus tard – établissaient la « libre circulation des personnes et des marchandises » en Europe. Mais face à l’actuel afflux de migrants, la liste des pays qui ont suspendu le traité Schengen de manière « temporaire » ne cesse de s’allonger, en particulier le long de la route occidentale des Balkans. En ce sens Schengen est déjà de facto suspendu. 27 ans après la célébration par la bourgeoisie de la chute du mur de Berlin, de nouveaux murs s’érigent au sein de ce prétendu « espace de liberté » qu’est l’Union Européenne.

Bouc-émissaire

Les classes dirigeantes européennes ont trouvé un bouc-émissaire : la Grèce, qui « ne respecte pas ses obligations ». Ses îles à proximité de la côte turque accueillent des milliers de réfugiés qui tentent d’entrer en Europe au péril de leur vie. Or pour le moment, aucun réfugié débarquant en Grèce ne dispose d’un accès direct à d’autres pays de l’espace Schengen, puisque l’Albanie, la Macédoine et la Bulgarie n’en font pas partie. Par conséquent, des amendements à Schengen visant la Grèce n’auront aucun effet immédiat sur le mouvement des réfugiés. Il s’agit davantage d’un geste de vengeance symbolique.

Les plans européens traduisent bien le véritable objectif de Schengen : loin d’être un principe général de « libre circulation », il s’agit plutôt d’un mécanisme pour contrôler le mouvement des travailleurs – migrants ou non. L’UE veut faire de la Grèce une « zone tampon » pour protéger le reste de l’Europe de la crise des réfugiés. D’où les récentes tensions le long de la frontière gréco-macédonienne. En une saisissante illustration des contradictions européennes, Bruxelles exige d’un pays extérieur à l’UE (la Macédoine) de fermer sa frontière afin de retenir de force des personnes au sein d’un État-membre de l’UE (la Grèce) – contre la volonté de cet État ! Outre que cela ravive les tensions historiques entre ces deux pays, cela revient à pousser de facto la Grèce hors de l’espace Schengen.

L’UE tente également de convaincre la Turquie d’empêcher l’afflux de migrants. Mais Erdogan, le président turc, a déjà fait savoir qu’il ne se contenterait pas des 3 milliards d’euros promis par l’UE à cet effet.

La désintégration européenne

Historiquement, le processus de « construction européenne » est né de la nécessité, pour les bourgeoisies européennes, de surmonter les entraves de l’État-nation et les limites des marchés nationaux. Cette association d’impérialismes visait en même temps à se protéger de la concurrence des nouveaux géants économiques tels que les États-Unis et le Japon.

Aujourd’hui, l’intégration européenne pâtit de l’inversion du processus d’intégration économique mondiale (« la mondialisation »), conséquence de la crise du capitalisme. Cela a notamment pour conséquence d’accentuer les contradictions entre la puissance économique allemande et les autres États-membres de l’UE.

Par ailleurs, alors que la crise de surproduction continue de frapper l’Europe, les économies du continent sont menacées par le risque d’une nouvelle récession – accompagnée d’une guerre commerciale avec les autres grandes économies mondiales. Dans ce contexte instable, la réintroduction de frontières intérieures ferait chuter davantage le commerce au sein de l’UE, accélérant aussi bien le risque de récession économique que le processus de désintégration politique.

Surproduction de forces de travail

Sous le capitalisme en crise, la démagogie nationaliste est souvent l’apanage des petites et moyennes bourgeoisies, en particulier celles dont les débouchés sont limités au marché national. Ces capitalistes tempêtent contre les restrictions de l’UE et la concurrence étrangère. Mais pourquoi la grande bourgeoisie est-elle opposée à l’importation de main-d’œuvre bon marché ?

La réponse est qu’il y a déjà une surproduction de main d’œuvre. Le monde compte 200 millions de chômeurs, selon l’OIT, et officiellement 18 millions dans la zone euro (et davantage en réalité). Les capitalistes sont dans l’incapacité de « tirer parti de cette riche ressource de capital humain », pour reprendre le langage froid de Christine Lagarde (FMI). Dans les conditions actuelles de crise, l’immigration signifie surtout, pour la classe dirigeante, davantage de dépenses sociales, alors que le problème des dettes publiques demeure. Dans les calculs des grands capitalistes, cet inconvénient pèse plus lourd que les avantages d’une baisse des salaires moyens.

Bien sûr, cela n’empêche pas les capitalistes de profiter de l’afflux de main-d'œuvre bon marché. Les lois anti-immigrés ont précisément pour objectif de précariser au maximum les travailleurs en situation « illégale » : pas de syndicat, pas de grève ; l’immigré doit accepter l’exploitation la plus brutale. La bourgeoisie fait d’une pierre deux coups : la propagande et les politiques racistes renforcent les partis de droite, divisent la classe ouvrière – et, dans le même, exercent une pression à la baisse sur les misérables salaires de la main-d’œuvre immigrée.

Dans ce contexte, les politiciens bourgeois se lancent dans une surenchère réactionnaire et nationaliste, et ce d’autant qu’ils sont concurrencés – en France, en Allemagne, en Italie, etc. – par des partis d’extrême droite offensifs. La démagogie nationaliste est d’autant plus efficace que lorsque le chômage est très élevé et que les dirigeants réformistes de la gauche et du mouvement ouvrier ne proposent aucune alternative crédible.

L’ensemble du phénomène, cependant, contribue à déstabiliser davantage la situation sociale et politique, avec la montée des tensions internes aux États-membres – et entre États membres. Les concessions faites au gouvernement de Cameron, avant son référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE, laissent entrevoir une législation européenne « à la carte ». En même temps, les risques liés au processus de désintégration de l’UE apparaissent clairement aux capitalistes les plus conscients. Ils redoutent que la suspension de Schengen précipite la fin de l’Euro et de l’UE en général, ce qui ne manquerait pas de plonger l’Europe – et le monde – dans une profonde récession économique.

La démagogie protectionniste

Cette situation explique le développement des thèses protectionnistes chez nombre de politiciens. C’est à la fois de la démagogie électoraliste et le reflet direct des aspirations d’une section de la classe dirigeante, au moins chez les perdants du « libre marché » européen. Cependant, le protectionnisme n’offre aucune solution aux problèmes du capitalisme. Une spirale de mesures protectionnistes aurait des conséquences très graves sur l’économie mondiale. C’est précisément de telles mesures qui ont transformé la crise des années 30 en Grande Dépression. Les masses de tous les pays n’ont rien d’autre à en attendre que le chômage et la grande pauvreté.

Les partisans du protectionnisme se présentent souvent comme les champions de la classe ouvrière. Mais ils la trompent. Ils profitent de l’absence d’une alternative révolutionnaire et internationaliste, au sommet des grandes organisations du mouvement ouvrier. Faute d’une telle alternative, une section de la classe ouvrière (généralement la plus pauvre) et les éléments déclassés peuvent être provisoirement attirés par la démagogie nationaliste.

La réponse progressiste à l’existence d’une main-d’œuvre bon marché, hyper-exploitée, n’est pas la lutte contre les immigrés. Il faut au contraire organiser cette main d’œuvre dans les syndicats et unir tous les travailleurs – par-delà des divisions nationales, ethniques ou religieuses – dans une même lutte contre les capitalistes de tous les pays et leur système en crise.

Perspectives

Qu’ils soient partisans du protectionnisme ou du libre-échange, les capitalistes n’ont pas de solution à l’impasse actuelle. La suspension de Schengen et le retour des frontières intérieures font partie d’un processus global qui voit chaque classe capitaliste nationale tenter de se cacher derrière les frontières de son État. C’est une étape décisive sur la voie du déclin historique de l’Union Européenne.

Cependant, il y a un autre élément de cette équation. La crise économique et sociale entraînera inévitablement une intensification de la lutte des classes à l’échelle continentale. Tous les pays européens seront confrontés, tôt ou tard, à des grandes vagues de manifestations, de grèves – et à une polarisation politique vers la droite et vers la gauche, comme on l’a vu en Grèce, en Grande-Bretagne et en Espagne. Tous les pays européens seront affectés par des processus semblables, au cours desquels les jeunes et les travailleurs commenceront à tirer des conclusions très radicales.

« La société capitaliste est et a toujours été une horreur sans fin » (Lénine)

La crise des réfugiés met en évidence certaines des horreurs de la société capitaliste. Elle révèle aussi le contraste entre la solidarité élémentaire des travailleurs et les calculs froids, cyniques, des dirigeants bourgeois en Europe et au-delà.

Les images d’hommes, femmes et enfants qui fuient les horreurs de la guerre civile, la faim et la destruction, qui meurent en mer ou dans des camions, qui s’exposent aux fils barbelés, aux polices antiémeutes, aux camps de détention, aux expulsions forcées – ces images choquent des millions de personnes et les poussent à réfléchir aux causes fondamentales de cette situation, ainsi qu’à ses remèdes.

Notre premier devoir est d’expliquer les origines de cette crise. Les réfugiés fuient des pays qui ont sombré dans la guerre civile. Le plus grand nombre de ceux qui passent par la Grèce et la Hongrie viennent de Syrie, d’Afghanistan et du Kosovo. Les guerres et l’ingérence impérialistes sont directement responsables de la situation catastrophique dans ces pays.

La défaite du soulèvement populaire en Syrie et le développement d’une insurrection réactionnaire furent le résultat de l’intervention des Etats du Golfe, de l’Arabie Saoudite et des impérialismes américains, britanniques et français. L’ascension de l’Etat Islamique est la conséquence directe de l’intervention impérialiste en Irak. La guerre civile en Afghanistan trouve sa source dans la guerre impérialiste commencée en 2001 – et avant cela dans le soutien et le financement des moudjahidines par l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. La situation au Kosovo est, au fond, la dernière conséquence du démembrement réactionnaire de la Yougoslavie, il y a plus de 20 ans – démembrement qui fut fomenté et encouragé par l’impérialisme allemand.

Les impérialistes sont responsables de la situation actuelle, qui pousse des millions de personnes à fuir leur pays ; mais ils ne sont pas disposés à en assumer les conséquences.

Le bombardement de la Lybie – sous couvert d’« urgence humanitaire » – a provoqué l’effondrement de son Etat. De grandes parties du territoire sont dirigées par les fondamentalistes islamiques. Certes, le régime de Kadhafi était une dictature brutale. Il collaborait avec la politique migratoire réactionnaire de l’UE (en échange de subsides) et maintenait des migrants d’Afrique subsaharienne dans d’infâmes camps de détentions. Cependant, nous avons toujours souligné qu’il appartenait aux masses libyennes de renverser Kadhafi. Chaque fois que des tels régimes ont été renversés par des interventions impérialistes, cela a débouché, non sur des « démocraties modernes », mais sur la barbarie. La chute de Kadhafi a simplement abouti à l’émergence d’autres forces réactionnaires et au démembrement du pays. Cela a ouvert une route vers les îles italiennes, qui ne sont pas très loin des côtes libyennes.

De notre point de vue, il n’y a aucune différence fondamentale entre réfugiés et migrants. Tous fuient les horreurs engendrées par le capitalisme dans leur pays d’origine. Certains y sont victimes de la guerre civile et d’atteintes aux droits de l’homme ; d’autres tentent d’échapper à la faim et à la misère. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une combinaison des deux – la misère engendrée par la guerre, la violation des droits de l’homme les plus élémentaires : avoir un toit sur la tête et un repas sur sa table.

Aujourd’hui comme hier, la réponse de l’Union Européenne a consisté à construire des murs et d’autres systèmes de contrôle de plus en plus sophistiqués. En 15 ans, l’UE a dépensé 1,6 milliard d’euros dans des barrières physiques et économiques pour empêcher les migrants d’entrer. Quatre grandes multinationales ont bénéficié de ces contrats juteux : Airbus, Thales, BAE et Finmeccanica. Ces entreprises figurent toutes parmi les 10 plus grands industriels de l’armement. Au cours de la même période, l’UE et les pays de l’espace Schengen ont dépensé 11 milliards d’euros dans des expulsions coordonnées (qui ne représentent qu’une petite partie de la totalité des expulsions). Les capitalistes se félicitent de la chute du mur de Berlin, mais ils construisent des murs à Ceuta, à Mellila, en Serbie, en Bulgarie – et désormais en Hongrie. De grandes quantités d’argent sont également dépensées pour subventionner des camps de détention hors de l’UE.

C’est cette politique d’Europe forteresse qui pousse des centaines de milliers de migrants et de réfugiés dans les bras de « passeurs ». C’est un business très lucratif. D’après certaines estimations, les migrants ont payé 1 milliard d’euros par an sur les 15 dernières années – et 30 000 sont morts. Depuis le début de l’année, plus de 2500 se sont noyés dans la Méditerranée. Plus l’Europe renforce ses frontières, plus les voies d’entrée illégales deviennent dangereuses. Les médias bourgeois concentrent leur feu sur les passeurs, comme s’ils étaient la seule cause du problème. Certes, il s’agit de gangs criminels qui n’ont aucun égard pour la vie humaine et ne s’intéressent qu’au profit qu’ils tirent de leur activité. C’est d’ailleurs une caractéristique du capitalisme en général. Mais ce ne sont pas les passeurs qui créent les réfugiés et les migrants. Ils profitent simplement d’un mouvement migratoire – et des tentatives de l’UE de l’interrompre en élevant des barrières toujours plus hautes et infranchissables.

Sur cette question, la véritable attitude des politiciens bourgeois était bien résumée par le Premier ministre britannique David Cameron, l’an dernier, lorsqu’il a expliqué qu’il fallait mettre un terme aux opérations de recherche et de secours dans la Méditerranée, car cela « crée un appel d’air » et « encourage davantage de migrants à tenter cette dangereuse traversée ». Et ils ont effectivement interrompu ces opérations. L’ancienne mission européenne de recherche et de secours, qui était dirigée par l’Italie, a été remplacée par la mission « Triton », qui se limite à des opérations de « garde-côte ».

Cela ne signifie pas que les capitalistes sont contre l’immigration. De leur point de vue, les travailleurs migrants sont très utiles. A un pôle, ils sont une source de main-d'œuvre hautement qualifiée dont la formation n’a rien coûté aux patrons européens. A l’autre pôle, les migrants fournissent une main-d'œuvre illégale qu’une section de la classe dirigeante exploite brutalement, sans aucun égard pour le droit du travail, ce qui par ailleurs exerce une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires. Les migrants constituent enfin de parfaits boucs-émissaires pour justifier les coupes dans les services publics, le manque de logements sociaux – et toute la régression sociale dont la crise du capitalisme et les politiques d’austérité sont les véritables causes. Le mouvement ouvrier doit répondre par une politique d’unité de classe claire et une lutte commune pour de meilleures conditions de vie et de travail.

L’actuelle crise des réfugiés n’est pas vraiment liée au nombre de personnes cherchant un asile en Union Européenne. L’Allemagne est le pays qui a reçu le plus grand nombre de demandes d’asile, mais ce nombre est moins élevé qu’au début des années 90, à l’époque de l’éclatement de la Yougoslavie. La crise actuelle est liée aux écœurantes dissensions entre « partenaires » européens, dissensions qui portent sur le prix politique et financier de l’afflux de migrants. Au fond, c’est un nouvel épisode de la crise de l’UE elle-même.

La Grèce et l’Italie sont les deux premières destinations des migrants et réfugiés qui traversent la Méditerranée. Cela va très bien aux gouvernements des autres pays de l’UE. La dernière « crise » a commencé lorsque les migrants ont commencé à s’organiser et à passer en force à travers les frontières de la Macédoine, de la Serbie et de la Hongrie, où ils ont tenté de poursuivre leur voyage vers l’Allemagne ou la Suède, les deux pays qui reçoivent le plus grand nombre de demandes d’asile (en nombre absolu dans le cas de l’Allemagne, relativement à la population dans le cas de la Suède).

En Allemagne, la question de l’immigration exerce une pression politique sur Merkel. Elle demande que d’autres pays prennent leur « juste part » du nombre de réfugiés. La Grande-Bretagne a répondu, en somme, qu’elle n’en accueillerait aucun, mais qu’elle était prête à doubler ce chiffre sous la pression. Dans toute l’Europe, les gouvernements de droite subissent la pression de partis qui défendent des idées ouvertement nationalistes, racistes et anti-immigrés. En réalité, ces idées ne reflètent pas l’opinion de la majorité des travailleurs. Elles ne gagnent un certain soutien que sur la base d’une propagande médiatique constante – et, surtout, parce que les dirigeants du mouvement ouvrier (partis et syndicats) n’y répondent pas, ou pas correctement.

Ces derniers jours, nous avons assisté à une vague massive de solidarité et de soutien concret aux réfugiés. Cet été, en Grèce, les touristes et habitants des îles ont aidé les réfugiés provenant de Turquie. En ex-Yougoslavie, les gens se souviennent de leur propre histoire ; ils ont aidé les réfugiés à Belgrade et dans d’autres villes. Même dans l’ambiance réactionnaire qui existe actuellement en Hongrie, des douzaines de volontaires ont aidé les réfugiés en gare de Budapest. Des milliers de personnes ont manifesté contre la politique réactionnaire d’Orban. Dans les stades de football d’Autriche et d’Allemagne, les supporters ont brandi des bannières de soutien aux réfugiés. Le mouvement a été particulièrement fort en Autriche : 30 000 personnes ont manifesté à Vienne, avant d’organiser le soutien pratique et matériel des réfugiés qui arrivaient en train. A présent que les autorités hongroises ont bloqué les trains, des volontaires autrichiens organisent des convois de voitures et de bus pour aller chercher les réfugiés.

En Espagne, face à l’inaction du gouvernement du PP, la mairie de Barcelone (Unité Populaire) a pris des initiatives pour organiser l’accueil des réfugiés. L’appel du conseil municipal a rencontré un énorme écho ; des centaines de personnes se sont portées volontaires. Cela a entraîné la formation d’un réseau de comités locaux d’accueil des réfugiés.

En Grande-Bretagne, 100 000 personnes – à ce jour – se sont engagées à participer à une manifestation de soutien aux réfugiés, le 12 septembre à Londres. D’autres manifestations seront organisées à travers le pays. En l’espace de deux jours, une pétition demandant que la Grande-Bretagne accueille davantage de réfugiés a rassemblé 400 000 signatures.

Partout, cela devient une question politique de première importance. C’est évidemment une réaction directe aux images, diffusées ces derniers jours, de l’enfant syrien gisant sur une plage turque et des 71 personnes mortes asphyxiées dans un camion en Autriche.

Mais il y a plus que cela. Ce mouvement de solidarité fait partie d’un profond courant de méfiance et d’opposition à l’égard des politiciens bourgeois et de l’establishment. C’est le même courant qui a suscité le phénomène Podemos en Espagne, l’énorme impact de la campagne de Corbyn en Grande-Bretagne, ou encore les grandes manifestations contre l’austérité vues durant la dernière période.

Le mouvement de soutien aux réfugiés peut menacer les fondements mêmes du système capitaliste. Cependant, pour qu’il se développe, deux choses sont nécessaires.

Premièrement, il faut mobiliser la pleine puissance de la classe ouvrière et de ses organisations. Les syndicats ont le nombre et les moyens d’organiser la solidarité pratique sur des bases sérieuses. Ce sont des travailleurs qui conduisent les trains bloqués et pilotent les avions qui servent aux expulsions. Il faut faire pression pour rompre la passivité des dirigeants des organisations officielles des travailleurs. Le mouvement de solidarité a déjà élaboré ses propres structures organisationnelles, à juste titre. Mais pour qu’il aille plus loin, il est crucial qu’il implique la classe ouvrière organisée.

Deuxièmement, les arguments politiques doivent être précisés et développés. L’instinct de solidarité humaine est un bon point de départ. Mais il faut répondre efficacement à la propagande raciste des grands médias. Qui doit payer ? Il faut être clair là-dessus. La classe dirigeante utilise et continuera d’utiliser la question des réfugiés pour diviser la classe ouvrière et lui faire porter le chapeau des coupes drastiques dans les dépenses publiques. Nous disons : NON, les réfugiés sont bienvenus – et c’est aux capitalistes, aux banquiers, aux marchands d’armes de payer. Ils ont trouvé des milliers de milliards d’euros pour sauver les banques ; pourquoi ne pourraient-ils pas trouver des milliards d’euros pour accueillir les migrants et réfugiés ?

D’où viendra l’argent pour financer les écoles, les logements et les soins dont ils ont besoin ? Une première mesure consisterait à taxer les marchands d’armes qui ont fait d’énormes profits dans les guerres impérialistes. Par ailleurs, tous les logements vides que possèdent les banques et multinationales doivent être expropriés, sans compensation, pour héberger les réfugiés et les SDF locaux. C’est aux capitalistes de payer les conséquences des guerres et de l’exploitation impérialistes.

Le mouvement de solidarité qui traverse l’Europe est une réponse à tous les cyniques et démagogues de droite qui dépeignent les travailleurs comme des individus égoïstes et cupides. Les travailleurs ne sont pas stupides. Ils voient bien qui est responsable de cette crise humanitaire. Ils voient la contradiction flagrante d’un système qui a trouvé les moyens de financer des guerres en Irak, en Lybie, en Afghanistan, etc., mais qui prétend ne pas avoir les moyens d’aider les millions de personnes fuyant les conséquences de ces mêmes guerres.

Le mouvement ouvrier et ses organisations doivent également apporter une réponse à la pauvreté croissante en Europe, où une section significative des travailleurs et de la jeunesse a vu son niveau de vie reculer. Le chômage augmente ; les salaires et les retraites ont baissé. Si le mouvement ouvrier ne livre pas ce combat, les démagogues de droite vont en profiter pour opposer les pauvres d’Europe aux migrants et réfugiés. La classe dirigeante utilisera cette question pour diviser les travailleurs. Nous ne devons pas le permettre.

La société dispose d’assez de ressources pour répondre aux besoins de ceux qui fuient les guerres et la faim. D’après de récentes données, il y a 11 millions de logements vides en Europe. Cela suffirait à garantir des logements bon marché aussi bien pour les pauvres et les SDF d’Europe que pour les migrants. La question n’est pas : « des logements pour nous ou pour eux ». Il y en a assez pour tous.

Si des millions de gens ont faim à travers le monde, si des centaines de milliers meurent de maladies soignables, si des centaines de millions n’ont pas accès à une éducation et une santé de base, ce n’est pas à cause des flux migratoires. C’est à cause d’un système qui repose sur la course aux profits. Il y a assez de ressources pour résoudre tous ces problèmes. L’expropriation des grandes multinationales, sous le contrôle démocratique des travailleurs, permettrait de satisfaire les besoins du plus grand nombre – et non plus la soif de profits d’un petit nombre de parasites que personne n’a élus.

Les nombreuses guerres locales et civiles en cours sont la conséquence de la crise du système capitaliste. La guerre est terriblement profitable… pour une poignée de capitalistes ultra-riches. Mais elle inflige de terribles souffrances aux masses. Tant que le capitalisme survivra, ces souffrances perdureront. C’est un puissant argument en faveur de la lutte internationale des travailleurs pour le renversement du capitalisme et pour le socialisme mondial.

Tendance Marxiste Internationale