Espagne

En imposant les élections du 21 décembre, en Catalogne, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy voulait infliger une défaite décisive aux indépendantistes. Cette stratégie a échoué. Sur fond de participation record (82 %), le bloc indépendantiste (JuntsxCat, ERC et CUP) a renouvelé sa majorité.

Le bloc indépendantiste

Au sein de ce bloc, la liste JuntsxCat, dirigée par le président sortant de la Catalogne, Carles Puigdemont, réalise 21,65 % des voix, soit à peine mieux que l'ERC (21,4 %). Mais comparé aux élections précédentes, cela représente un net recul pour Puigdemont et un net progrès pour l'ERC – soit un glissement vers la gauche de l'électorat indépendantiste.

Ceci dit, les anti-capitalistes de la CUP (le troisième parti de ce bloc) réalisent un mauvais score : 4,45 % des voix (4 sièges), contre 8,21 % en 2015 (10 sièges).

Le score décevant de la CUP appelle une explication, car ce parti a fait une bonne campagne, basée sur l'engagement à respecter la volonté du peuple catalan – exprimée lors du référendum du 1er octobre – et sur la nécessité de lier la lutte pour une République catalane à la lutte contre le capitalisme. Mais différents facteurs ont joué contre cette liste. Premièrement, il y a le souvenir des erreurs passées des dirigeants de la CUP, lorsqu'ils ont soutenu le budget anti-social des indépendantistes bourgeois. Deuxièmement, la CUP avait bénéficié, en 2015, d'une partie de l'électorat de l'ERC, car ce dernier n'avait pas alors de liste indépendante ; ces électeurs sont revenus vers l'ERC, cette fois-ci. Troisièmement, la CUP ne s'est pas suffisamment distinguée des indépendantistes bourgeois (Puigdemont) et petit-bourgeois (ERC) lors des événements cruciaux d'octobre. Elle n'est pas assez apparue comme offrant une direction alternative.

Reste que la CUP a joué un rôle important dans la formation des CDR (« Comités pour la Défense du Référendum », puis « Comités pour la Défense de la République »), qui constituent précisément le type de structures permettant de donner une expression organisée, militante et indépendante des nationalistes bourgeois, au mouvement de masse pour une République catalane. C'est la bonne voie !

Catalan election data

Le bloc de l'article 155

En face des indépendantistes, le « bloc de l'article 155 » est constitué de tous ceux (PP, Cs et PSC) qui appuient la répression violente de toute auto-détermination nationale, comme le prévoit l'article 155 de la Constitution espagnole (héritée du franquisme).

Avec 4,2 % des voix et 3 sièges, le Parti Populaire (PP) est laminé – et Rajoy, comme Premier ministre, fragilisé. Avec 13,9 % des voix et 17 sièges, le « social-démocrate » PSC sauve sa peau, mais pas son honneur. Celui qui prend clairement la tête de ce bloc réactionnaire, c'est le parti de « centre-droit » Ciudadanos (Cs), qui recueille 25 % des voix et obtient 37 sièges. En combinant chauvinisme espagnol et démagogie « sociale », les dirigeants de Cs ont non seulement pris des voix au PP, mais ils ont réussi à percer dans l'électorat hispanophone des grandes villes catalanes – y compris dans la classe ouvrière.

Cela souligne, en creux, la nécessité de lier la lutte pour une République catalane à la lutte contre l'austérité et contre le capitalisme espagnol. En mettant au premier plan les intérêts de classe des travailleurs catalans et hispanophones (en Catalogne et dans toute la péninsule), il serait possible de démasquer la démagogie « unioniste » et « sociale » de Ciudadanos, qui prétend défendre « tous les Espagnols », mais soutient surtout les politiques d'austérité du gouvernement Rajoy, lesquelles frappent l'écrasante majorité de la population.

Enfin, mentionnons le mauvais résultat de Podemos (7,45 % des voix et 8 sièges), qui, en prétendant se tenir au-dessus des deux parties en lutte, s'est retrouvé nulle part. Les militants de Podemos, en Catalogne et dans tout l'Etat espagnol, devront en tirer les leçons.

Perspectives

La victoire du bloc indépendantiste est un coup contre Rajoy et le régime espagnol dans son ensemble. Mais le bloc de l'article 155 n'est pas pour autant disposé aux concessions. Plusieurs dirigeants indépendantistes demeurent en prison ou poursuivis. De leur côté, Puigdemont et les dirigeants de l'ERC n'insistent plus sur la nécessité de respecter le mandat du 1er octobre dernier. Or la CUP avait annoncé, avant l'élection, qu'elle ne soutiendrait pas un gouvernement renonçant à la lutte pour la République.

Les principales leçons de ces derniers mois sont claires. Puigdemont et les dirigeants de l'ERC sont organiquement incapables de lutter jusqu'au bout pour une République catalane. Celle-ci ne pourra être conquise que dans le cadre d'une lutte révolutionnaire contre l'ensemble du régime espagnol, en lien avec la lutte pour le socialisme. Ce que résume le mot d'ordre des camarades espagnols de la Tendance Marxiste Internationale : « Pour une Catalogne socialiste, étincelle de la révolution ibérique ! »

La République proclamée par le Parlement catalan, le 27 octobre dernier, fut mort-née. L'Etat espagnol s'était préparé à l'écraser ; le gouvernement catalan, lui, n'avait aucun plan et aucune stratégie pour la défendre. Pour autant, cela n'a pas marqué la fin du mouvement.

Les Comités pour la Défense de la République (CDRs) ont joué un rôle central lors de la grève générale du 8 novembre contre l'arrestation de huit ministres catalans. Ils ont montré la voie à suivre.

Des ministres du gouvernement catalan et des dirigeants des deux partis qui le constituent (le PDeCAT, nationaliste bourgeois, et l'ERC, nationaliste petit-bourgeois) reconnaissent désormais ouvertement que, face à la répression brutale de l'Etat espagnol, ils n'étaient pas prêts à défendre la proclamation de la République catalane. Sans doute ne s'imaginaient-ils pas que le mouvement irait aussi loin. Au mieux, leur stratégie était désespérée, c'est-à-dire fondée sur l'espoir que la brutalité de l'Etat espagnol contre un mouvement pacifique provoquerait l'intervention de la « communauté internationale » (l'UE), laquelle pousserait alors l'Etat espagnol à négocier. Mais comme c'était prévisible, l'UE a apporté un soutien sans faille à Rajoy et à la défense de la Constitution espagnole (y compris à son article 155, c'est-à-dire, en l'occurrence, la suppression des institutions catalanes).

PuigdemontDe son côté, l'Etat espagnol était prêt à tout pour mettre un terme à ce qu'il considère comme une menace contre l'ensemble du régime de 1978. Il a eu recours à l'article 155 de la Constitution pour dissoudre le gouvernement et le parlement catalans, puis a imposé des élections anticipées. Il a mobilisé l'Audience nationale (une haute cour de justice héritée du franquisme) pour arrêter et incarcérer huit membres du gouvernement catalan, qui sont accusés de rébellion et de sédition. Par ailleurs, des mandats d'arrêt visent le président catalan, Carles Puigdemont, et quatre autres membres du gouvernement catalan, qui sont tous actuellement en Belgique.

D'après de récentes révélations, le gouvernement espagnol avait mis sur pied une opération spéciale visant à prendre d'assaut le Parlement catalan – par les airs, la terre et les égouts – si le président catalan s'y était barricadé au lendemain de la proclamation de la République, le 27 octobre. Selon le secrétaire général de l'ERC, le gouvernement espagnol avait envoyé au gouvernement catalan un message annonçant l'intervention des forces armées, si nécessaire, pour faire appliquer l'article 155.

Les procédures judiciaires engagées contre des membres du gouvernement et du parlement catalans sont extrêmement vindicatives, fondées sur des articles du Code pénal datant de Franco et politiquement motivées. Par exemple, les membres de la présidence du Parlement catalan ont été sommés de dire s'ils respectaient la Constitution espagnole –  sous la menace d'être placés en détention provisoire.

L'arrestation de ministres catalans a provoqué une réaction de masse, dans les rues. Le 8 novembre, une grève générale a eu lieu à l'appel de petits syndicats. Le même jour, les Comités pour la Défense de la République (CRDs) ont organisé des piquets de grève massifs – bloquant les principales autoroutes et gares ferroviaires – ainsi que de grandes manifestations à travers toute la Catalogne. Le 11 novembre, un million de personnes manifestaient à Barcelone pour réclamer la libération des prisonniers politiques.

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Les CDRs sont le prolongement des Comités pour la Défense du Référendum, qui ont organisé l'ouverture et la défense des bureaux de vote lors du référendum du 1er octobre dernier. On en compte désormais plus de 280 sur l'ensemble de la Catalogne ; ils ont développé une structure de coordination nationale. Le 8 novembre, ils ont organisé le blocage d'une cinquantaine d'axes autoroutiers et stations de train.

Cela montre la voie à suivre dans cette lutte : l'organisation de masse, d'en bas, indépendamment des vacillations des partis bourgeois et petit-bourgeois du gouvernement catalan, lesquels ont démontré leur incapacité à diriger le mouvement.

Les élections catalanes du 21 décembre sont désormais au centre de l'attention. Trois partis représentent le « bloc pour l'article 155 ». Il s'agit des partis qui ont soutenu le coup d'Etat contre les institutions catalanes : le Parti Populaire (PP) de Rajoy, le parti nationaliste espagnol de droite Ciudadanos et le « social-démocrate » PSC (la branche catalane du PSOE, le PS espagnol). Lors de son élection à la tête du PSOE, en mai dernier, Pedro Sanchez avait prétendu incarner le virage à gauche de la base de ce parti, mais sa direction nationale s'est révélée loyale au régime de 1978 : elle soutient entièrement les attaques de Rajoy contre la Catalogne. Ces partis vont tenter de mobiliser et capitaliser le vote pro-espagnol en Catalogne.

Toujours en Belgique, le président catalan Puigdemont se présentera, mais pas sous l'étiquette de son parti discrédité (PDeCAT). Il sera à la tête d'une prétendue « liste large », « Junts per Catalunya » (Unis pour la Catalogne), composée de membres de son parti, pour l'essentiel. Les sondages lui prédisent un revers. Son parti ne parle plus d'indépendance ou de République catalane. Dans une interview accordée au journal belge Le Soir, Puigdemont a même admis que, selon lui, « une autre solution que l'indépendance serait acceptable ». Le gros du soutien électoral à la coalition « Junts pel Sí » (PDeCAT + ERC) devrait bénéficier à l'ERC, ce qui marquerait un tournant à gauche au sein du bloc indépendantiste dirigeant. L'ERC se présentera seul, tout en intégrant à sa liste quelques figures indépendantistes.

La CUP, parti indépendantiste et anticapitaliste, aura sa propre liste « de gauche, pour une rupture et l'indépendance », conformément aux décisions de sa récente Conférence nationale, à laquelle ont participé 1200 membres de ce parti.

Il y aura une forte mobilisation du camp indépendantiste, en réponse à la répression de l'Etat espagnol. Même parmi les électeurs plutôt partisans d'une solution fédérale, un certain nombre protestera en votant pour des partis indépendantistes.  

Catalunya en Comú (Catalogne en Comun), une coalition dirigée par la maire de Barcelone, Ada Colau, et qui comprend la branche catalane de Podemos, les Verts (ICV) et l'équivalent catalan de la Gauche Unie (EuiA), affiche son opposition aussi bien à l'indépendance qu'à l'article 155. Le secrétaire général de Podemos en Catalogne, Albano Dante-Fachin, a été poussé à la démission par la direction nationale de Podemos. Les partis de « Catalunya en Comú » ont eu tendance à mettre sur le même plan le comportement de l'Etat espagnol et celui du gouvernement catalan. Or en réalité, le gouvernement catalan a tenté d'exercer le droit à l'auto-détermination (fut-ce de façon cynique et inconsistante), alors que l'Etat espagnol a eu recours à la répression brutale pour l'en empêcher. Les deux choses ne se valent pas.

Il est assez probable que ces élections aboutiront à un résultat semblable à celui des élections du 27 septembre 2015, qui avaient été perçues comme un plébiscite pour l'indépendance et marquées par une participation élevée : 77 %, soit 10 points de plus que les élections précédentes. En 2015, les partis indépendantistes avaient recueilli, au total, 47,5 % des voix, ce qui leur avait donné une majorité absolue au Parlement. Les partis ouvertement opposés à l'indépendance avaient recueilli, eux, 39 % des voix.

Dans le bloc nationaliste espagnol, Ciudadanos espère arriver en tête et propose déjà au PP et au PSC de former ensemble une « coalition constitutionnelle », après les élections. Mais il est peu probable qu'ils gagnent assez de sièges pour cela. Le gouvernement espagnol redoute que les élections débouchent sur une nouvelle majorité pro-indépendance – et a déjà indiqué que l'article 155 s'appliquerait jusqu'à ce que soit formé un gouvernement catalan respectant la Constitution espagnole de 1978. Or celle-ci, bien sûr, nie clairement le droit à l'auto-détermination. Des dirigeants du PP catalan et de Ciudadanos ont carrément demandé l'illégalisation des partis et programmes indépendantistes.

Du fait du caractère réactionnaire et anti-démocratique du régime de 1978, l'exercice du droit à l'auto-détermination, en Espagne, devient une tâche révolutionnaire. Les dirigeants catalans bourgeois et petit-bourgeois ne veulent pas recourir à des méthodes révolutionnaires ; ils en sont d'ailleurs organiquement incapables. La seule manière de faire avancer la lutte pour une République Catalane – qui pourrait marquer le début de la fin du régime de 1978 –, c'est le recours aux méthodes révolutionnaires, aux mobilisations de masse et à l'auto-organisation du peuple. Les CDRs représentent un pas important dans cette direction.

Tout en rompant avec sa direction bourgeoise et petite-bourgeoise, le mouvement pour une République catalane doit aussi adopter un programme clairement anti-capitaliste et anti-austéritaire. Ce sera la seule manière de gagner des sections de la classe ouvrière catalane hispanophone, qui jusqu'à présent se tient à distance du mouvement. Cela permettrait aussi de susciter la sympathie et la solidarité des travailleurs et de la jeunesse de toute l'Espagne, ce qui est nécessaire pour vaincre l'Etat espagnol.

Pour une République Socialiste Catalane, étincelle de la révolution ibérique !

Jorge Martin, le 20 novembre 2017

Après une semaine de voltes-faces, d’indécision et de tentatives de dernière minute de trouver une solution négociée, la République catalane a été déclarée le 27 octobre dernier. Des dizaines de milliers de personnes ont pris la rue pour célébrer l’indépendance à Barcelone et dans d’autres villes catalanes.

Comme prévu, l’État espagnol a répliqué en limogeant le gouvernement catalan, en dissolvant le Parlement catalan et en déclenchant des élections pour le 21 décembre. La table était mise pour une confrontation majeure, mais les nationalistes bourgeois et petits-bourgeois catalans ont fui la scène. Dès le 30 octobre, l’État espagnol était prêt à reprendre le contrôle total sans avoir à briser une seule fenêtre.

Au début de la semaine dernière, tout indiquait que Puigdemont n’aurait pas d’autre choix que de déclarer l’indépendance. Le gouvernement espagnol avait annoncé une série de mesures contre l’autonomie catalane en vertu de l’article 155 de la Constitution, et allait les faire approuver par le Sénat espagnol le 27 octobre, avec l’appui total de Ciudadanos et du Parti socialiste espagnol (PSOE). Puigdemont avait tenté à plusieurs reprises d’ouvrir un dialogue avec Rajoy et de chercher la médiation de l’Union européenne, mais à chaque fois, il s’est buté à des refus catégoriques.

Mercredi dernier, une rencontre du groupe Junts pel Sí (JxSi) du Parlement catalan (qui inclut le PDECAT de Puigdemont, l’ERC de Junqueras et quelques indépendants) avait donné au président catalan son appui total à une déclaration d’indépendance. Plus tard pendant cette soirée, l’ERC, le PDECAT et l’Assemblée nationale catalane (ANC) ont tenu de grosses réunions pour expliquer à leurs membres et sympathisants que le plan était de déclarer la République catalane le vendredi.

Lors de cette même soirée, une manifestation était organisée par les comités de défense du référendum de Barcelone, afin de mettre de la pression en faveur de la déclaration de la République. Le rassemblement était tenu à la Plaça Sant Jaume mais le gouvernement catalan avait décidé de fermer le Parc de la Ciutadella, où le Parlement catalan est situé. Comme lors du 10 octobre, le gouvernement catalan voulait s’assurer de ne pas se réunir sous la pression directe des masses.

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Puis, il y eut une hésitation. Une rencontre de l’état-major du mouvement pro-indépendance s’était prolongée jusqu’au jeudi matin, mais il semblait que le plan était toujours de déclarer l’indépendance. Cependant, la nuit avait été constellée de coups de téléphone et de discussions agités, avec comme médiateur le président basque Urkullu, du Parti nationaliste basque (PNV). Urkullu est dans une situation délicate. Il a un accord avec Rajoy selon lequel le PNV donne au PP les voix nécessaires au Parlement espagnol pour faire passer son budget, en échange de quoi il obtient des concessions sur le plan fiscal pour l’administration basque. Cependant, le conflit catalan a mis ce pacte à rude épreuve. Le PNV se trouve dans une situation difficile, où il doit soutenir le gouvernement espagnol pendant que celui-ci supprime les droits démocratiques des Catalans. Il est donc dans l’intérêt des capitalistes basques et dans l’intérêt politique du PNV que l’on parvienne à un accord.

La base du compromis laissait entendre que Puigdemont appellerait à de nouvelles élections pour le Parlement catalan, plutôt que de déclarer l’indépendance. En échange, il semble qu’il ait demandé l’immunité et la remise en liberté des « deux Jordi » (les dirigeants de l’ANC et d’Omnium, détenus sans possibilité de mise en liberté sous caution pour des accusations de sédition). Le matin du jeudi 26 octobre, il semblait qu’une telle entente se dessinait. Puigdemont annonçait qu’il allait faire une déclaration à midi. Les marchés boursiers espagnols connaissaient une embellie.

Cependant, un certain nombre de facteurs ont fait échouer l’entente. D’abord, il y a la nature réactionnaire de la classe dirigeante espagnole, pour laquelle l’unité de l’Espagne est un principe sacro-saint, l’un des piliers du régime de 1978. De son point de vue, toute concession sur cette question menace l’édifice tout entier. Donner une porte de sortie à Puigdemont aurait pu être interprété comme un signe de faiblesse. Rajoy est sous la pression de l’aile droite de son propre parti et de Ciudadanos, qui tous deux voient dans le féroce nationalisme espagnol un bon moyen de gagner des votes. Au final, la promesse d’une entente négociée par l’entremise d’Urkullu avec le gouvernement espagnol ne s’est pas concrétisée.

De plus, à mesure que les nouvelles sortaient sur le fait que Puigdemont allait annoncer des élections plutôt que de déclarer la République, la pression a commencé à monter dans son propre camp. Deux députés du PDECAT ont annoncé qu’ils renonçaient à leur siège et déchiraient leur carte de membre. L’allié du PDECAT dans le JxSi, l’ERC, parlait déjà d’une trahison. Puigdemont ressemblait au duc d’York dans ce pieux proverbe anglais : après avoir fait marcher ses troupes jusqu’au sommet de la montagne, il était maintenant difficile de les convaincre d’en redescendre. Sans compter que des dizaines de milliers d’étudiants étaient dans la rue pour demander que la République soit proclamée. La grève étudiante avait été appelée à l’avance et les manifestants ont reçu la nouvelle du recul de Puigdemont alors que la marche était sur le point de partir de la Plaça Universitat. L’ambiance a tourné à la colère. Les manifestants ont lancé des cris à l’endroit de Puigdemont (« prends garde PDECAT, notre patience a ses limites »). La manifestation s’est rendue jusqu’à la Plaça Sant Jaume, à l’extérieur du Palais de la Generalitat, et les étudiants ont juré qu’ils n’allaient pas quitter les lieux tant que la République n’aurait pas été proclamée.

D’abord, Puigdemont a retardé son annonce d’une heure. Ensuite, il a dit qu’elle n’allait pas avoir lieu. Puis elle a été déplacée du Palais vers le Parlement pour 17 heures, juste avant le début de la session parlementaire. Au moment de prendre la parole, l’entente était à l’eau. Malgré cela, au lieu d’annoncer avec audace qu’il allait de l’avant avec la proclamation de la République, il a de nouveau esquivé la question en annonçant qu’il avait envisagé d’appeler à de nouvelles élections, mais n’avait pas réussi à obtenir une entente, et ensuite en affirmant qu’il allait laisser le Parlement décider, et ce sans faire de proposition concrète. C’était un autre signe de ce qui s’amenait.

Finalement, le vendredi 27 octobre, le Parlement catalan a déclaré l’indépendance avec 70 voix pour, deux abstentions et 10 votes contre, après que le PP, Ciudadanos et le PSOE aient quitté la session parlementaire en guise de protestation. Des dizaines de milliers de personnes qui étaient à l’extérieur dans l’attente de la décision suivaient le vote avec grande attention, et se sont exclamées de joie. Les célébrations se sont poursuivies à la Plaça Sant Jaume. Pour ces gens, la République catalane était née et ils étaient prêts à la défendre.

Presque simultanément, le Sénat espagnol approuvait les mesures de l’article 155 demandées par le gouvernement. Rajoy procédait à l’annonce de mesures précises : le limogeage du gouvernement catalan, de son président, de son vice-président et de tous les consellers (ministres), le congédiement du chef de la police catalane, la dissolution du Parlement catalan et le déclenchement d’élections pour le 21 décembre. Le gouvernement catalan serait alors dirigé directement par Madrid, avec les différents ministres du gouvernement espagnol prenant en charge les ministères correspondants en Catalogne.

C’était là un véritable coup d’État, mais Rajoy avait fait des changements par rapport à son plan initial. Plutôt qu’une intervention directe qui aurait duré six mois, celle-ci devait permettre de tenir des élections anticipées en Catalogne le plus rapidement possible. De toute évidence, la classe dirigeante espagnole avait peur de déclencher un mouvement de protestation de masse et voulait légitimer les mesures dans les plus brefs délais.

La réponse de la « communauté internationale » ne s’est également pas fait attendre. L’UE, l’OTAN, l’OCDE, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le département d’État américain se sont tous empressés de déclarer leur soutien total à la « légalité espagnole » et à l’unité de l’Espagne et de rejeter la déclaration d’indépendance. Les espoirs des dirigeants nationalistes bourgeois et petits-bourgeois catalans d’aller chercher une quelconque reconnaissance internationale ont été anéantis, comme c’était à prévoir.

À la fin de la journée le 27 octobre, deux structures institutionnelles différentes, la République catalane et la monarchie espagnole existaient en même temps. Une situation comme celle-là ne pouvait pas durer. L’un des deux devait nécessairement l’emporter sur l’autre. L’État espagnol a alors commencé à prendre des mesures, l’une après l’autre, afin de s’assurer que la légalité espagnole l’emporte. Et qu’ont fait les dirigeants de la République catalane ? En gros, rien du tout, à part des déclarations vagues sur la « résistance démocratique ».

Le soir du 27 octobre, le gouvernement catalan, qui s’était réuni pour décider d’une série de mesures pour appliquer la déclaration d’indépendance, a fini par ne prendre aucune décision. Pas une. Le 28 octobre, l’État espagnol a congédié le chef de la police catalane, Pere Soler, et son commissaire principal, Trapero. La première chose à faire lors d’un coup d’État, c’est de s’assurer de contrôler les corps d’hommes armés. Les deux hommes ont respecté les ordres et, dans une déclaration écrite, ont recommandé aux autres policiers catalans de suivre les ordres également. Qu’a fait le gouvernement catalan ? Rien.

Les représentants du PDECAT et de l’ERC qui sont membres du Congrès et du Sénat espagnols n’ont pas renoncé à leurs sièges dans ce qui était pour eux, dans les faits, un parlement étranger.

Toute la fin de semaine, le gouvernement catalan, censé être occupé à construire une nouvelle République, n’a rien fait. À vrai dire, le président Puigdemont a publié une déclaration dans laquelle il appelait à une « opposition démocratique » aux mesures de l’article 155. C’est tout. Aucun appel à la résistance, aucun plan concret sur comment résister, aucune mesure prise par le gouvernement. Et le drapeau espagnol flottait toujours au-dessus du Palais de la Generalitat.

Le vice-président catalan, Junqueras (membre de l’ERC) a signé un article pour mettre ses rangs en garde. Il y affirmait : « Dans les prochains jours, nous aurons à prendre des décisions qui ne seront pas toujours faciles à comprendre. » Il était clairement en train de préparer le terrain pour le recul qui avait déjà été décidé.

Entretemps, des centaines de milliers de personnes (300 000 selon la police locale) ont marché lors d’une manifestation totalement réactionnaire à Barcelone en défense de l’unité espagnole. La marche était appelée par le groupe Société civile catalane (un groupe louche dont les fondateurs ont des liens avec l’extrême droite, mais qui a depuis tenté de redorer son image) et avait l’appui sans réserve du PP, de Ciudadanos ainsi que de la branche catalane du PSOE. La marche était soutenue par une demi-douzaine d’organisations ouvertement d’extrême droite, fascistes, néonazis et racistes qui ont ensuite attaqué la Generalitat et lancé un certain nombre d’attaques racistes et fascistes. La manifestation était grosse, mais avait réduit de taille par rapport à celle du 8 octobre en soutien à l’unité espagnole.

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Évidemment, ce n’était pas une manifestation fasciste. Les groupuscules fascistes sont une petite minorité, bien qu’au cours des dernières semaines ils se soient déchaînés, avec la connivence et la complicité de l’État espagnol, et ils doivent être combattus. Le gros de la manifestation était composé des électeurs des partis de droite venus des quartiers des classes supérieures de Barcelone, des enfants de riches de Pedralbes, Sarrià-Sant Gervasi, ainsi que des couches arriérées des quartiers ouvriers de Barcelone et des villes de la « ceinture rouge ». De façon scandaleuse, l’ancien secrétaire général du Parti communiste, Francisco Frutos, était l’un des orateurs principaux et a fait un discours pour critiquer le « racisme identitaire » devant une marée de drapeaux espagnols et de votants des partis nationalistes réactionnaires.

Le lundi matin 30 octobre, le nouveau chef de la police catalane, suivant les instructions du ministre espagnol responsable de la police, a annoncé que les ministres limogés seraient autorisés à regagner leurs bureaux, mais seulement pour récupérer leurs objets personnels. S’ils refusaient, la police devait écrire un rapport et l’envoyer au bureau du procureur.

La présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, qui avait annoncé qu’une rencontre ordinaire des porte-paroles aurait lieu le 31 octobre, l’a annulée et a admis que le Parlement avait été dissous.

Une rencontre de l’organe dirigeant de l’ERC a décidé que le parti « serait présent le 21 décembre », soit le jour des élections appelées par Rajoy avec l’article 155. Peu après, le PDECAT a annoncé de façon claire qu’il allait aussi participer à ces élections. Ces décisions, ainsi que les autres que nous verrons au cours des prochains jours, représentent une abdication complète de ces partis devant le coup d’État mené par l’État espagnol contre la démocratie catalane, et un refus de défendre la République qu’ils ont proclamée le 27 octobre.

Au moment d’écrire ces lignes, il a été annoncé que le président Puigdemont est à Bruxelles avec des membres de son gouvernement. Fondamentalement, cela ne change rien. Pendant ce temps, le procureur de l’État espagnol a déposé des accusations contre le président catalan, le vice-président et tous les consellers, en plus de la présidente et des porte-paroles des partis au Parlement catalan, pour rébellion, sédition, usage abusif des fonds publics et autres accusations connexes. Il s’agit d’un avertissement sérieux, étant donné qu’une sentence de 30 ans de prison peut être imposée pour rébellion. Par ailleurs, ces crimes (rébellion et sédition) proviennent du Code pénal espagnol qui a été hérité en entier, sans amendement, de celui de Franco. Cela en dit long sur le caractère véritable de la soi-disant « transition » espagnole vers la démocratie, qui a laissé intact l’appareil d’État de l’époque de la dictature. De plus, même selon ce code pénal réactionnaire, l’accusation de rébellion est infondée, puisque ce crime suppose un « soulèvement violent », chose qui n’est clairement pas arrivée.

Les politiciens bourgeois et petits-bourgeois catalans se sont allés assez loin dans leur défiance envers l’État espagnol, mais l’ont toujours fait à reculons, poussés en avant par la pression combinée du refus de l’État espagnol de faire des concessions et de l’irruption des masses sur la scène (le 20 septembre, le 1er et le 3 octobre).

Le comportement de ces politiciens bourgeois et petits-bourgeois correspond pleinement à leur nature, comme nous l’avions averti à de nombreuses reprises. L’exercice du droit à l’autodétermination dans les conditions concrètes de l’Espagne est une tâche révolutionnaire qui ne peut être accomplie que par des moyens révolutionnaires (ou comme sous-produit d’un mouvement révolutionnaire). C’est la dernière chose que veulent les dirigeants du PDECAT, et les dirigeants de l’ERC ont agi tout le long comme auxiliaires du PDECAT (bien qu’en réalité il soit beaucoup plus fort que ce dernier sur le plan électoral, dans un rapport de 3 pour 1).

L’attitude de ces nationalistes bourgeois et petits-bourgeois correspond à la virgule près aux mots de Marx dans son 18 Brumaire :

« S’il fallait s’attendre à une lutte véritable, il était vraiment original de déposer les armes avec lesquelles il fallait mener cette lutte. Mais les menaces révolutionnaires des petits bourgeois et de leurs représentants démocrates ne sont que de simples tentatives d’intimidation de l’adversaire. Et quand ils sont acculés, quand ils se sont suffisamment compromis pour se voir contraints de mettre leurs menaces à exécution, ils le font d’une manière équivoque qui n’évite rien tant que les moyens propres au but et cherche avidement des prétextes de défaite. L’ouverture éclatante annonçant le combat se perd en un faible murmure dès la que le combat doit commencer. Les acteurs cessent de se prendre au sérieux et l’action s’écroule lamentablement comme une baudruche que l’on perce avec une aiguille. »

Nous devons souligner qu’à la gauche du JxSi, personne n’a pris en main la tâche d’organiser la défense de la République catalane dans les rues par la mobilisation, la désobéissance et le renforcement des comités de défense du référendum. Les travailleurs des médias d’État catalans avaient déjà averti qu’ils n’accepteraient aucun directeur imposé. Le principal syndicat des enseignants du secteur public, USTEC-STEs avait aussi promis de résister à toute intervention dans le système d’éducation. Le principal syndicat de la fonction publique catalane (le CATAC) avait également rejeté l’article 155, mais n’était pas allé jusqu’à appeler à la désobéissance. Il existait une possibilité claire de mener une lutte pour défendre la République. Si le gouvernement catalan avait agi de manière audacieuse et décisive et s’il avait appelé les masses à la défendre, il y aurait eu une lutte sérieuse et la direction qu’elle aurait prise n’est pas évidente.

Malheureusement, même la CUP, le parti le plus à gauche et le plus conséquent parmi les partis indépendantistes, est demeurée généralement silencieuse et n’a donné aucune directive ou direction au mouvement. Il semble que même dans la semaine précédant la déclaration d’indépendance, il s’empêtrait dans des discussions avec le JxSi sur les tactiques, plutôt que de lancer des appels directs aux masses par-dessus la tête du gouvernement. Les slogans qu’il avait avancés étaient corrects : « Du pain, des logements et du travail – la République maintenant », et il a joué un rôle décisif en contribuant à la formation des comités de défense de la République et à leur coordination à l’échelle nationale. Le parti semble ne pas avoir eu de stratégie indépendante concrète avec laquelle prendre la tête du mouvement, et il s’est retrouvé à simplement réagir aux décisions prises par le gouvernement catalan.

Nous devons tirer des leçons précises de cette expérience. La lutte pour le droit à l’autodétermination et pour la République catalane ne peut être menée que par des moyens révolutionnaires, à travers la mobilisation de masse. Elle ne peut donc pas être victorieuse sous la direction des politiciens petits-bourgeois, mais seulement sous celle de la classe ouvrière. Afin que cela soit possible, ce combat ne peut pas se limiter à une lutte pour des droits démocratiques et nationaux, mais doit être lié à des revendications sociales qui ne peuvent être satisfaites que par l’expropriation de la classe capitaliste. Étant donné que la lutte pour la République catalane menace tout l’édifice du régime de 1978, il lui faut chercher à forger des liens avec les travailleurs de l’État espagnol tout entier. Ces idées peuvent être résumées par notre slogan : pour une République socialiste catalane, étincelle de la révolution ibérique !

450 000 personnes (selon la police locale) ont manifesté, avant hier, dans les rues de Barcelone, et des dizaines de milliers dans d'autres villes de la Catalogne, pour demander la libération des deux Jordis (dirigeants catalans arrêtés pour « sédition ») et rejeter la mise en œuvre de l'article 155 de la Constitution, annoncée le matin même par le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy.

A la fin du Conseil des ministres, Rajoy a détaillé les mesures que son gouvernement proposera au Sénat de voter en fin de semaine. Il s'agit d'un véritable coup d'Etat contre la démocratie en Catalogne. Rajoy veut dissoudre le parlement catalan (avant six mois, dès que la situation « sera normalisée »), démettre le président, le vice-président et les ministres du gouvernement catalan, soumettre celui-ci au contrôle de Madrid et limiter les pouvoirs du parlement catalan en attendant de nouvelles élections (le parlement ne pourra pas élire de président, ne pourra pas voter la défiance contre Madrid, et toutes ses lois seront soumises au droit de veto du Sénat espagnol).

En plus de ces mesures générales, le gouvernement espagnol aura des pouvoirs spéciaux pour contrôler la police catalane, mais aussi les finances, les télécommunications et – au nom de la « neutralité » – les médias publics catalans.

C'est un scandale absolu qui donnera au Parti Populaire (8,5 % des voix en Catalogne) un contrôle total sur le gouvernement catalan.

Plusieurs dirigeants du PP ont déclaré que lorsque des élections se tiendraient en Catalogne, les partis qui proposent l'indépendance ne seraient pas autorisés à se présenter. Si tu ne peux pas gagner des élections, élimine tes adversaires !

Les mesures proposées par Rajoy avaient été approuvées, en amont, par le PS espagnol (PSOE), Ciudadanos (centre droit) et, bien sûr, le Roi Felipe VI. Autrement dit, les mesures visant la démocratie catalane ne sont pas seulement l'initiative du gouvernement du PP ; elles constituent une réaction défensive de l'ensemble du régime de 1978.

Le procureur général de l'Etat espagnol a également prévenu le président catalan que s'il répondait à ces mesures par une déclaration d'indépendance, il serait poursuivi pour « rébellion » (passible de 30 ans de prison) et pourrait être emprisonné avant d'être jugé. La même menace vise l'ensemble des ministres et parlementaires catalans associés à une éventuelle déclaration d'indépendance.

Ces mesures ont été à juste titre dénoncées comme un coup d'Etat contre la démocratie par les partis du gouvernement catalan (PDECAT et ERC), ainsi que la CUP (indépendantiste de gauche) et les Comuns (coalition de gauche incluant Podemos). Des maires membres du PSC (le PSOE catalan) ont signé une lettre ouverte s'opposant à ces mesures ; le maire PSC de Santa Coloma a démissionné du comité fédéral du PSOE.

La brutalité des mesures annoncées soumet à rude épreuve l'alliance, au conseil municipal de Barcelone, entre la maire Ada Colau et le PSC. Par ailleurs, le PNV, un parti nationaliste bourgeois basque, qui soutient le gouvernement du PP, s'est également prononcé contre ces mesures.

La manifestation d'hier était massive. Les trains pour Barcelone étaient bondés et le trajet de la manifestation était déjà rempli de monde avant même qu'elle ne commence. L'humeur des manifestants était à la colère et à la défiance. Etaient présents un certain nombre de dirigeants politiques qui, pourtant, sont opposés à l'indépendance de la Catalogne et s'étaient prononcés contre une déclaration d'indépendance unilatérale.

A 19h30, après la manifestation, le président du parlement catalan, Carles Puidgemont, s'est exprimé par l'intermédiaire de sa porte-parole, Carme Forcadell, pour dénoncer les mesures annoncées par Rajoy et signifier que le parlement catalan ne céderait pas.

A 21h, le président catalan a fait une déclaration télévisée au cours de laquelle il a dénoncé les mesures et annoncé qu'il allait convoquer le parlement catalan pour en discuter. Cependant, il n'a ni déclaré l'indépendance, ni annoncé qu'il allait demander au parlement de le faire. Il n'a pas davantage expliqué les mesures qu'il comptait prendre pour résister aux menaces de Rajoy.

Il y a beaucoup de pression, à la base du mouvement, pour que l'indépendance soit déclarée et que soient prises des mesures de désobéissance civile massive. On évoque une nouvelle grève générale. Les Comités pour la Défense du Référendum (CDRs), qui ont mobilisé dans toute la Catalogne pour la manifestation d'hier, demandent la proclamation de la République catalane.

Cette lutte est entrée dans une semaine cruciale. Malgré son indécision, le gouvernement catalan n'a que très peu de marges de manœuvre. Dans sa dernière lettre publique à Rajoy, mardi dernier, Puidgemont a annoncé que si l'article 155 était utilisé, il serait obligé de déclarer l'indépendance.

La question est : si la République catalane est déclarée, comment peut-elle être défendue ? Il est parfaitement clair que l'Union Européenne, dans laquelle les dirigeants du PDECAT et de l'ERC placent tant d'espoir, n'interviendra jamais pour défendre les droits démocratiques des Catalans – ou de quelque manière qui puisse ébranler le statu quo.

Une République ne pourra être réalisée que par des moyens révolutionnaires. Si le gouvernement catalan et sa majorité parlementaire étaient conséquents, ils devraient déclarer l'indépendance et organiser la résistance, se barricader dans leurs bureaux et appeler le peuple à défendre les bâtiments gouvernementaux et les institutions démocratiques à travers des mobilisations de masse, la désobéissance civile et une grève générale révolutionnaire paralysant l'économie.

La CUP et les CDRs ont le devoir d'avancer cette perspective et de commencer à la construire, indépendamment de ce que fait ou ne fait pas le gouvernement catalan. Les politiciens bourgeois et petit-bourgeois ont maintes fois démontré leur indécision. Des gens tels que Mas, Santi Vila et consorts sabotent le mouvement à chacune de ses étapes. On ne doit pas attendre de voir ce qu'ils vont faire.

Les dirigeants d'Unidos Podemos ont une grave responsabilité. Leur position, ces dernières semaines, a été scandaleuse ; ils ont appelé au « dialogue » et ont renvoyé dos à dos, comme « irresponsables », les deux parties du conflit. Ils auraient dû expliquer le caractère anti-démocratique du régime instauré en 1978. Ils auraient dû organiser la lutte pour défendre les droits démocratiques du peuple catalan, en liant cela à la lutte contre l'austérité capitaliste, pour des emplois, des logements, du pain et la fin du régime de 1978.

Une opportunité révolutionnaire s'est ouverte en Catalogne. La question, c'est : est-ce qu'une direction politique saura s'élever à la hauteur de l'enjeu ?

Les marxistes soutiennent inconditionnellement le droit à l'auto-détermination du peuple catalan. Nous sommes partisans d'une République catalane socialiste, qui peut être l'étincelle provoquant un mouvement révolutionnaire dans toute l'Espagne.

Nous publions ci-dessous une déclaration de la Tendance Marxiste Internationale sur la crise en Espagne. Le référendum d’indépendance de la Catalogne met à l’épreuve le régime espagnol de 1978. Il rencontre une répression féroce de la part de ce dernier. La TMI soutient le droit à l’autodétermination du peuple catalan.


 

 

Pour une République socialiste catalane,
l’étincelle qui déclenchera la révolution ibérique !

  1. La convocation par le parlement catalan d’un référendum sur l’indépendance le 1er octobre a ouvert la crise constitutionnelle la plus sérieuse depuis la restauration de la démocratie bourgeoise en 1977. La répression de la part de l’Etat espagnol et du gouvernement de Rajoy à Madrid a provoqué un mouvement de masse, dans la rue, qui prend une tournure insurrectionnelle.

  2. Ce référendum sur l’autodétermination survient après des années de blocage, par l’Etat espagnol et par le gouvernement de droite de Rajoy, de toutes les tentatives de la Catalogne de décider de son propre avenir. La constitution catalane de 2006 (Estatut), dont le contenu a été édulcoré par le parlement espagnol, ratifiée par un référendum, a finalement été bloquée par la Cour Constitutionnelle espagnole à la demande du Parti Populaire (PP). En fin de compte, quelques articles clés de l’Estatut ont été déclarés anticonstitutionnels par le Tribunal constitutionnel. 35 autres lois approuvées par le Parlement catalan ont aussi été considérées comme illégales par la Cour.

  3. De 2011 à 2015, la Catalogne était partie intégrante d’une vague de mouvements de masse contre l’austérité qui a remis en cause la légitimité des institutions de la démocratie bourgeoise en Espagne. A l’époque, le CiU, parti nationaliste bourgeois catalan, était au pouvoir en Catalogne, avec à sa tête le président Artur Mas. Ce gouvernement d’austérité a appliqué avec zèle les coupes dans la santé, l’éducation et les dépenses sociales avec le soutien total du PP à Madrid. En 2011, des milliers de manifestants ont d’ailleurs encerclé le parlement régional pour éviter que le budget d’austérité soit voté. Certains membres du parlement ont même dû être transportés à l’intérieur par hélicoptère. Le gouvernement du CiU a répondu par la répression à ces manifestations. Ce parti est aussi englué dans une série de scandales qui le poursuivent encore aujourd’hui.

  4. Pour se sauver, lui et son parti, le président catalan Mas s’est placé à la tête du mouvement pour la souveraineté catalane. Ce dernier a pris des proportions de masse (des millions de personnes prennent la rue chaque année lors de la Journée Nationale Catalane), mais avec une direction nationaliste bourgeoise de droite.

  5. De l’autre côté du conflit, le PP au gouvernement à Madrid, tout aussi embourbé dans des scandales de corruption, applique une politique de répression et de coupes. Il a fait le pari d’attiser le nationalisme espagnol réactionnaire pour gagner des voix.

  6. La possibilité de l’arrivée au pouvoir en Espagne de Podemos et d’un changement de la situation politique nourrissait l’espoir d’une grande partie de la société catalane. Lors des élections espagnoles successives, la coalition dirigée par Podemos est arrivée en tête en Catalogne. Mais vu l’impossibilité d’une majorité pour Podemos au parlement de Madrid, le sentiment indépendantiste a repris le dessus comme alternative aux problèmes de l’austérité et au manque de démocratie. Le soutien à l’idée de l’indépendance catalane est alors passé de 10-15 % à presque 50 % de soutien dans la population.

  7. La nature de ce mouvement est contradictoire. D’un côté, une direction opportuniste incarnée par le parti catalan bourgeois nationaliste PDECAT (héritier du CiU, suite à une scission et un changement de direction) ; de l’autre, une base de masse, motivée essentiellement par le rejet du régime réactionnaire espagnol, de la suppression des droits catalans - promue par le gouvernement de Rajoy-, de l’armée, de la monarchie, etc.

  8. Le régime existant aujourd'hui en Espagne remonte à la Constitution de 1978. A ce moment-là, l'ancien régime négocia un accord avec les dirigeants des partis ouvriers, particulièrement avec Santiago Carrillo du Parti Communiste et Felipe Gonzalez du Parti Socialiste, pour empêcher d'arriver au pouvoir le mouvement révolutionnaire, en plein essor, des travailleurs et de la jeunesse contre la dictature de Franco. Ce pacte, connu sous le nom de « Transition », était une trahison des véritables aspirations des travailleurs pour la démocratie et la révolution sociale. Il garantissait à l’appareil d’Etat l'impunité pour les crimes du régime de Franco, l'imposition de la monarchie et du drapeau espagnol (deux symboles franquistes) et la négation du droit à l'autodétermination pour les nationalités opprimées. L’article 2 de la constitution de 1978 mentionne l'unité indivisible de la nation espagnole, dont un autre article précise qu'elle doit « être garantie par les forces armées ».

  9. Pour la classe dirigeante réactionnaire espagnole, qui n'a jamais été capable de mener à bien l'unification nationale sur des bases progressistes, mais seulement par une répression ouverte et brutale, l'exercice du droit à l'autodétermination apparaît, assez justement, comme une menace contre l'ensemble du régime de 1978. C'est ce qui explique la réaction de l'Etat espagnol au référendum catalan.

  10. Le pari des nationalistes bourgeois de droite du PDECAT a toujours été risqué, mais il leur a permis de se maintenir au pouvoir pendant un certain temps, en s'attachant le soutien des nationalistes de gauche de l'ERC et même des indépendantistes anticapitalistes de la CUP, en promettant de convoquer un référendum d'autodétermination.

  11. En 2014, l'Etat espagnol interdit un référendum d'autodétermination, qui fut ensuite transformé en un vote consultatif. Suite à cette interdiction, le gouvernement catalan convoqua des élections anticipées en 2015 en les présentant comme un plébiscite pour l'indépendance. Les partis pro-indépendance obtinrent une majorité des sièges, mais échouèrent de peu à atteindre la majorité des voix, avec seulement 48,8 % des suffrages.

  12. Finalement, le 6 septembre 2017, grâce aux voix du bloc pro-indépendance, à l'abstention du CQSP (la coalition catalane entre Podemos et la Gauche Unie) et à l'absence de tous les autres partis qui avaient quitté la salle, le parlement catalan a fait passer une loi convoquant un référendum sur l'indépendance pour le 1er octobre. Le parlement prit cette décision tout en sachant pertinemment que c’était un défi lancé à la loi espagnole.

  13. En quelques heures, le tribunal constitutionnel suspendit cette loi, en attendant un examen de sa constitutionnalité. Cela marqua le début d'une vague de répression par l’État espagnol visant à empêcher le référendum de se dérouler.

  14. Les députés du Parlement catalan qui ont présenté la loi sur le référendum ont été inculpés, les réunions publiques en dehors de la Catalogne en soutien au référendum ont été interdites à la demande des juges. Plus de 700 maires catalans ont été convoqués (et ont menacé d'être arrêtés) pour avoir déclaré leur souhait d'organiser le référendum. Les membres de la nouvelle commission électorale ont été punis par des amendes de 12 000 euros par jour. Quatorze hauts fonctionnaires du gouvernement catalan ont été arrêtés par la Garde civile dans leurs maisons ou sur le chemin du travail et ont été inculpés. Les finances du gouvernement catalan ont été saisies par l'État espagnol. Les imprimeries ont été perquisitionnées. Les médias se sont vu interdire de diffuser des informations sur le référendum. Les sites internet du référendum ont été fermés et leurs sites miroirs hébergés à l'étranger ont été bloqués. Les militants qui ont distribué des tracts sur le référendum ont été arrêtés et leur propagande a été confisquée. Les bulletins de vote ont été saisis, etc. C'est l'attaque la plus flagrante sur les droits démocratiques fondamentaux depuis quarante ans (peut-être comparable à l'offensive contre les droits démocratiques du peuple basque et de ses organisations).

  15. Cette réaction brutale de la part de l’État espagnol contre le souhait des Catalans d’organiser un référendum sur leur avenir (un droit qui est soutenu par plus de 70 % de la population) montre la nature profondément réactionnaire du régime de 1978 et ses limites quant aux droits démocratiques.

  16. La répression a sérieusement compromis la tenue du référendum, mais elle a en même temps provoqué une réaction massive dans les rues. Le 20 septembre, des dizaines de milliers de personnes ont encerclé le ministère catalan de l’Economie dont les membres étaient recherchés par la Garde civile. La Garde civile a été incapable de quitter le bâtiment pendant plus de 20 heures, et n’a pu le faire qu’à l’aube le lendemain, la foule s’étant amenuisée, et avec l’aide de la police anti-émeute catalane.

  17. Le même jour, des milliers de personnes ont résisté à la tentative de la police de perquisitionner le siège de la CUP (le parti anticapitaliste et pro-indépendance) et l’en ont empêchée. A Reus, après avoir harcelé des militants qui collaient des affiches, la police n’a rien pu faire contre plus d’un millier des personnes qui sont arrivées pour un collage d’affiches massif. Des manifestations semi-spontanées ont eu lieu dans les villes de Catalogne.

  18. La répression de l’État a désormais généré une dynamique qui donne l’initiative à la rue. Des Comités de défense du référendum ont commencé à jaillir dans les quartiers et les villes. Les dockers de Barcelone et Tarragone ont voté pour le blocage des navires qui hébergent les policiers amenés en Catalogne pour empêcher le référendum. Les universités sont en grève illimitée et les étudiants occupent le bâtiment principal de l’université de Barcelone. Les principaux syndicats des CCOO et de l’UGT ont publié des déclarations contre la répression, mais un certain nombre de syndicats plus petits (CGT, COS, IAC) ont appelé à la grève générale en Catalogne pour le 3 octobre (la date la plus proche permise par les lois syndicales).

  19. La classe dirigeante espagnole a provoqué un mouvement de masse dans les rues qui non seulement menace la stabilité du gouvernement de Rajoy, mais qui ouvre aussi des brèches sérieuses dans l’édifice du régime de 1978. Cependant, ils ne peuvent pas battre en retraite. Ils doivent rétablir l’ordre, tel qu’ils l’entendent. Toute concession faite avant le 1er octobre impliquerait la fin du gouvernement du PP. Ils ont maintenant ouvert une enquête pour « sédition » contre les organisateurs du mouvement du 20 septembre et ils ont pris les commandes de la police catalane, les Mossos. Privée de ses ressources et du contrôle de l’ordre public, il ne reste plus grand-chose de l’autonomie catalane.

  20. Les nationalistes bourgeois catalans ont libéré un mouvement de masse qui les terrifie. Cependant, ils ne peuvent plus revenir en arrière ni entamer des négociations qui seraient comprises comme la liquidation du mouvement et qui provoqueraient la fin de leur gouvernement.

  21. C’est la tâche des marxistes révolutionnaires, voire de tous les démocrates conséquents, de soutenir pleinement le référendum catalan du 1er octobre. Celui-là n’est rien d’autre que l’exercice basique du droit démocratique à l’autodétermination.

  22. Nous devons cependant avertir que cet exercice du droit à l’autodétermination a des implications révolutionnaires dans le contexte espagnol, et il ne peut être imposé que par des moyens révolutionnaires. On ne peut pas se fier à la bourgeoisie nationaliste catalane pour le faire. Ce n’est que la mobilisation du peuple dans la rue qui peut garantir la tenue du référendum du 1er octobre. La classe ouvrière y a un rôle crucial à jouer.

  23. A ce stade, la seule porte de sortie réside dans la propagation des comités de défense du référendum à tous les quartiers, à toutes les écoles, à toutes les universités et à toutes les usines pour prendre en main les aspects logistiques du référendum, ainsi que pour défendre le référendum contre l’État espagnol et ses forces répressives. De tels comités de défense devraient se connecter à l’échelle locale, départementale et nationale à travers des représentants élus. Pendant que l’État espagnol procède lentement mais sûrement à briser l’autonomie gouvernementale catalane, une assemblée nationale des représentants des comités devrait être convoquée comme représentant légitime du peuple catalan.

  24. Plusieurs slogans (pour une grève générale, pour l’établissement de comités de défense, sur la nécessité de mobilisation de masse) ont été avancés par les camarades de la CUP et il faut les féliciter pour cela. Dans le passé, ils ont pris des décisions que nous avons considérées comme erronées, comme leur soutien à la formation du gouvernement Puigdemont, ainsi que leur vote pour le budget d’austérité de ce dernier. Nous les encourageons à rompre de manière décisive avec la politique de collaboration de classe. La lutte pour une république catalane ne peut pas être victorieuse sans rupture nette avec la bourgeoisie nationaliste catalane qui, elle, n’ira jamais jusqu’au bout. Comme les camarades de la CUP le disent, nous devons les écarter tous (les banquiers, les capitalistes, les politiciens corrompus, peu importe qu’ils s’habillent des couleurs nationalistes catalanes ou espagnoles).

  25. La lutte pour l’autodétermination ne peut pas être victorieuse sans qu’on obtienne le soutien de la majorité de la classe ouvrière. Beaucoup de travailleurs en Catalogne parlent l’espagnol comme première langue et s’identifient à un degré ou à un autre en tant qu’Espagnol. Naturellement, ils se méfient d’un mouvement dirigé par la bourgeoisie nationaliste du PDECAT qui a imposé l’austérité et des coupes et qui représente les intérêts de la classe capitaliste. La lutte pour une république catalane doit être reliée à la lutte contre l’austérité capitaliste, à la lutte pour des emplois, pour des services de santé, pour l’éducation et pour les droits des travailleurs.

  26. Ceci serait également le meilleur moyen de gagner le soutien des travailleurs du reste de l’Espagne, ce qui contribuerait à affaiblir l’appareil répressif de l’Etat espagnol. Il y a déjà eu des manifestations importantes en soutien au droit à l’autodétermination de la Catalogne et en défense des droits démocratiques à Madrid, en Andalousie, au Pays Basque et ailleurs.

  27. Une grande responsabilité revient à Podemos et à la Gauche Unie dans tout cela. Ils ont fait un excellent travail en défense du droit à l’autodétermination. Par contre, ils ont reculé face au référendum du 1er octobre. En mettant en avant des excuses légalistes, ils ont refusé de le soutenir, mais prônent un « référendum négocié ». Ceci est cependant utopique, car la classe dirigeante espagnole a été claire dans son refus de céder. Podemos et la Gauche Unie devraient soutenir pleinement le référendum du 1er octobre (peu importe ces limitations), car il représente le défi le plus sérieux que le régime de 1978 ait jamais connu. Ils devraient expliquer que la lutte du peuple catalan est également la lutte des travailleurs du pays tout entier, que c’est la lutte contre la monarchie, contre le gouvernement PP et contre l’appareil d’Etat réactionnaire hérité, intact, du régime de Franco. Pour renforcer la position de la classe ouvrière, ils devraient accueillir favorablement, soutenir et utiliser tout ce qui peut affaiblir l’Etat espagnol.

  28. L’organisation catalane de Podemos, PODEM, soutenue par la majorité de ses membres, a pris la décision courageuse de soutenir le référendum du 1er octobre et d’appeler à une participation maximale. Ceci leur a apporté beaucoup de sympathie et de soutien au sein de la gauche du mouvement indépendantiste. Il y a une convergence croissante entre l’aile gauche, l’aile anticapitaliste du mouvement pour l’indépendance et l’expression politique du mouvement des « indignados ». Cette convergence forme la base d’une lutte pour une république catalane qui représente une rupture nette avec les politiques d’austérité. Ceci ne peut être accompli qu’en rompant avec le capitalisme et en prenant la direction d’une transformation socialiste de la société.

  29. La Tendance Marxiste Internationale déclare son soutien entier au droit à l’autodétermination du peuple catalan et au référendum du 1er octobre. Un vote OUI est un vote contre le régime de 1978. Notre slogan est celui d’une République socialiste catalane qui déclencherait un changement révolutionnaire qui se propagera à travers toute la péninsule ibérique.

Pour le droit à l’autodétermination du peuple catalan !
Pour une défense du référendum du 1er octobre par des moyens révolutionnaires !
Pour des mobilisations de masse dans les rues, pour des comités de défense partout, pour une grève générale !
A bas la répression de l’État espagnol, à bas le régime de 1978 !
Pour une République socialiste catalane !
Pour la révolution ibérique !

L’Espagne n’a jamais vécu une authentique révolution bourgeoise et, aujourd’hui, d’importantes tâches de la révolution démocratique restent en suspens : l’abolition de la monarchie, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’éradication des restes de l’appareil d’Etat franquiste… Mais le problème le plus pressant est sans conteste celui de la question nationale.

Sous Franco, la culture et la langue des minorités nationales d’Espagne, les catalans, les basques et les galiciens, furent attaquées et persécutées. Bien que la chute de la dictature leur ait apporté une autonomie significative, la question de leurs relations avec l’Espagne n’a pas reçu de réponse sérieuse, et tous leurs appels à l’autodétermination ont été rejetés avec arrogance par l’Etat central. Pour la classe dirigeante espagnole, rétrograde et brutale, l’unité du pays a toujours été un principe sacro-saint devant être défendu par le fer et le feu. L’unité de l’Espagne ne s’est pas faite sur les bases de la démocratie et du développement économique, mais au moyen de la coercition.

La crise économique de 2008, avec l’instabilité politique et le renouveau de la lutte des classes qui l’ont accompagnée, a compliqué la question nationale, tout particulièrement en Catalogne où un puissant mouvement pour l’autodétermination se développe depuis 2013. L’actuel gouvernement catalan, dominé par un bloc nationaliste, a annoncé qu’il tiendrait un référendum sur l’indépendance le 1er octobre prochain. Il est ainsi entré sur une trajectoire de collision frontale avec le gouvernement de droite madrilène. Tenir tête au gouvernement espagnol n’est pas une tâche facile — les bourgeois et petits-bourgeois nationalistes qui constituent le gouvernement catalan pourront-ils mettre leur menace à exécution ?

La bourgeoisie, la petite-bourgeoisie et la question nationale catalane

La bourgeoisie de catalogne, une des régions les plus industrialisées d’Espagne, est historiquement opposée à celle plus rétrograde de Madrid. Cependant, bien qu’ils aient utilisé le nationalisme pour renforcer leurs positions vis-à-vis de Madrid, les bourgeois catalans n’ont jamais réellement visé l’indépendance, et ont toujours soigneusement évité une confrontation frontale avec l’Etat espagnol. Ils dépendent économiquement du marché espagnol et — en tant que grands propriétaires dont la priorité est avant tout de protéger leurs propres privilèges — sont échaudés par les aventures révolutionnaires. Et, plus important que tout, le principal ennemi de la classe dirigeante catalane n’est pas le gouvernement central, mais le prolétariat. Confrontés à la menace des travailleurs, ils se sont toujours rangés derrière Madrid. Leur objectif a toujours été d’avoir un plus grand poids dans la politique espagnole. Dans une époque d’impérialisme et de capitalisme monopolistique, la bourgeoisie est devenue une classe conservatrice et réactionnaire incapable de mener à bien les tâches démocratiques les plus élémentaires — celles qui furent accomplies par les bourgeois révolutionnaires des 17e et 18e siècles.

Le cynisme et la démagogie de la bourgeoisie catalane furent incarnés au début du vingtième siècle par le nationaliste libéral Francesc Cambó, qui dirigeait la Ligue régionaliste. Durant l’été 1917, il tenta d’organiser une assemblée constituante contre le régime despotique des Bourbons, pour des réformes démocratiques et l’autonomie de la Catalogne. Il tenta d’impliquer le mouvement ouvrier dans cette entreprise, et de renforcer l’appel à cette assemblée grâce à la menace d’une grève générale. L’assemblée entama des négociations avec les socialistes et les syndicats anarcho-syndicalistes.

Les préparatifs pour la grève rencontrèrent un succès inattendu. L’humeur des libéraux devint de plus en plus sombre, à mesure qu’ils réalisaient être en train de conjurer des forces qu’ils ne contrôlaient pas. Cambó et ses soutiens libéraux et nationalistes tournèrent le dos aux travailleurs et abandonnèrent le projet d’une assemblée constituante. Quand la grève éclata en août 1917, ils la dénoncèrent et soutinrent la répression brutale du gouvernement, qui fit plus de cent morts. Comme Cambó l’a admis lui-même dans ses mémoires, face à la menace du bolchevisme « la question des libertés dût être mise en suspens pour quelque temps » (Francesc Cambó, Memòries, p.329). Cette déclaration incarne parfaitement la mentalité de la bourgeoisie catalane — et, par extension, celle des bourgeois démocrates en général. Dans les années d’agitation révolutionnaire et de lutte des classes qui suivirent la grève de 1917, les bourgeois nationalistes catalans devinrent les ennemis les plus féroces et violents des travailleurs, organisant des bandes paramilitaires et soutenant le coup d’Etat militaire de Primo de Rivera en 1923 — coup qui fut préparé dans les manoirs des industriels de Barcelone. Sans surprise, Cambó soutiendra l’insurrection fasciste de Franco en 1936.

Le cynisme de la bourgeoisie trouve son complément dans la couardise de la petite-bourgeoisie démocrate et nationaliste, terrifiée tout autant par la révolution que par la contre-révolution. Le meilleur représentant historique de la petite-bourgeoisie catalane fut probablement Lluís Companys, un avocat syndicaliste qui prit de l’importance dans les années 1930 comme dirigeant de la Gauche Républicaine de Catalogne (ERC). A l’été 1934, le pays était dans un état de fermentation avancé alors qu’augmentait l’influence du parti fasciste de Gil Robles. En octobre, la décision du Premier ministre Alejandro Lerroux d’intégrer les fascistes dans son cabinet donna naissance à un puissant mouvement d’insurrection à travers le pays. Cette révolte connut son apogée dans les Asturies, où les travailleurs prirent le pouvoir pendant deux semaines.

En Catalogne, le mouvement était mené par Companys, président de la région, qui proclama la république catalane en grande pompe. La petite-bourgeoisie nationaliste était à l’initiative puisque la principale organisation des travailleurs, l’anarcho-syndicaliste CNT, avait tourné le dos à l’insurrection pour un motif sectaire, l’assimilant à une affaire « politique ». Pendant que les travailleurs des Asturies combattaient les contre-révolutionnaires jusqu’à la mort, Companys se rendit sans le moindre combat, appelant les masses à rester dans leurs maisons, abandonnant à l’instant même où le gouvernement envoyait des troupes à Barcelone. Telle est la mentalité de la petite-bourgeoisie démocrate, en Catalogne et partout ailleurs ! Comme Marx l’expliquait à propos des démocrates français de 1848 :

« Si elle appelait aux armes au Parlement, elle ne devait pas se conduire parlementairement dans la rue. Si l’on se proposait sérieusement une démonstration pacifique, il était stupide de ne pas prévoir qu’elle serait accueillie belliqueusement. S’il fallait s’attendre à une lutte véritable, il était vraiment original de déposer les armes avec lesquelles il fallait mener cette lutte. Mais les menaces révolutionnaires des petits bourgeois et de leurs représentants démocrates ne sont que de simples tentatives d’intimidation de l’adversaire. Et quand ils sont acculés, quand ils se sont suffisamment compromis pour se voir contraints de mettre leurs menaces à exécution, ils le font d’une manière équivoque qui n’évite rien tant que les moyens propres au but et cherche avidement des prétextes de défaite. L’ouverture éclatante annonçant le combat se perd en un faible murmure dès que le combat doit commencer. Les acteurs cessent de se prendre au sérieux, et l’action s’écroule lamentablement comme une baudruche que l’on perce avec une aiguille. » (Karl Marx, Le 18 brumaire de L. Bonaparte)

Companys fut emprisonné et condamné à mort par Lerroux, et connut plus tard une fin tragique aux mains du régime franquiste. Ce serait tout de même injuste de le comparer aux petits-bourgeois nationalistes, grotesques et médiocres, de la Catalogne d’aujourd’hui.

La coalition actuelle

Le gouvernement actuellement aux commandes de la région catalane est une coalition. Elle implique deux partis nationalistes importants, le Parti démocrate européen catalan (PDeCAT) et la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), avec la participation d’organisations de la société civile et de figures publiques. Ce gouvernement minoritaire est consolidé de l’extérieur par la Coalition Unité Populaire (CUP), de gauche et pro-indépendance. Le PDeCAT est le nouveau nom de la Convergence Démocratique de Catalogne (CDC), qui représente traditionnellement la bourgeoisie catalane. Fondé en 1974, il devait défendre à Madrid les intérêts des capitalistes catalans. Initialement, dans le milieu des années 1970, la bataille pour les droits démocratiques en Catalogne était menée par le mouvement ouvrier, par les partis communistes et socialistes et les syndicats, mais leur capitulation durant la transition vers la démocratie ouvrit la voie à l’essor du nationalisme bourgeois et petit-bourgeois.

Le CDC (maintenant PDeCAT) servait à renforcer, au parlement, les gouvernements minoritaires du PP et du PSOE en échange de telle ou telle concession. C’est une formation de droite, liée à l’establishment catholique, et corrompue jusqu’à la moelle. Ce parti fait l’objet d’une enquête pour s’être pendant des années systématiquement octroyé une commission de 3 % sur des contrats publics. Les mesures d’austérité qu’il a menées ces dernières années dans la région catalane sont inégalées, même par le gouvernement du PP. Dans les faits, le CDC pouvait compter sans inquiétude sur les votes du PP pour faire passer des projets de loi d’austérité au parlement catalan. Sa forme chauvine et xénophobe de nationalisme rejette la responsabilité des malheurs de la Catalogne sur les « Andalous paresseux ». En 2011, il participa à une messe organisée par le gouvernement du PP pour commémorer les martyrs « catholiques » de la Guerre Civile. C’est également un parti répressif qui a toujours fermement tenu la bride aux dissidents. En 2011, il utilisa la police régionale de Catalogne pour saper le mouvement des Indignés à Barcelone. Vu ces antécédents, on peut douter du fait qu’une Catalogne indépendante gouvernée par ces réactionnaires représenterait un réel progrès par rapport au règne du PP.

C’est justement au lendemain du mouvement des Indignés que le CDC est entré en crise, alors qu’il s’effondrait dans les sondages. A ce stade, son dirigeant et président de Catalogne, Arthur Mas, commença à radicaliser sa rhétorique nationaliste. Le parti n’avait jamais appelé à l’indépendance de la Catalogne, mais Mas prit cette direction pour tenter de regagner en popularité. Ceci conduisit à des tensions au sein du CDC, et même à des scissions — leur partenaire historique, Unió, les abandonna. Dans un contexte de crises économique, sociale et politique profondes, les représentants des capitalistes peuvent acquérir une indépendance relative vis-à-vis de leurs maîtres et s’embarquer dans des aventures démagogiques risquées pour sauver leurs carrières politiques. Nous avons pu observer un phénomène similaire avec le Brexit. En Catalogne, le CDC de Mas s’appuie de plus en plus sur la petite-bourgeoisie radicalisée, au détriment des grands capitalistes qui sont majoritairement hostiles à l’indépendance. En 2012, Mas commença à évoquer l’idée d’un référendum unilatéral sur l’indépendance. En novembre 2014, une consultation symbolique sur ce sujet fut organisée avec l’opposition au gouvernement central, lequel commença dans la foulée à persécuter des politiciens du CDC, Mas compris.

Ce tournant sécessionniste du CDC coïncidait avec un mouvement de masse pour l’autodétermination, qui connut son apogée le 11 septembre 2014, le jour de la fête nationale de Catalogne, quand au moins deux millions de Catalans (sur une population de 7,5 millions) descendirent dans les rues de Barcelone pour demander un référendum sur l’indépendance. Des sondages annoncèrent pour la première fois qu’une majorité de Catalans étaient en faveur de la sécession. Ce mouvement avait un caractère contradictoire. Il était en partie dû à la crise économique profonde et la recherche de changements politiques et sociaux, ce qui rendit de nombreux Catalans sensibles à l’idée d’indépendance. Dans le même temps, il fut nourri par les provocations du nouveau gouvernement PP, élu en novembre 2011, et par le caractère réactionnaire de la Cour Constitutionnelle. En 2010, cette cour révoqua de récentes dispositions légales qui donnaient une plus grande autonomie à la Catalogne et reconnaissaient son statut de nation. Au sein de ce mouvement, massif et interclasses, les objectifs nationalistes réactionnaires de certains coexistaient avec des sentiments progressistes. Beaucoup étaient écœurés par les provocations de Rajoy, du roi et de l’ensemble de l’establishment espagnol et aspiraient à la liberté et à une république de Catalogne socialement avancée.

Politiquement, le principal bénéficiaire de ce mouvement de masse ne fut pas le CDC, mais le parti de centre gauche ERC. L’ERC est plus fermement en faveur de l’indépendance et ne partage pas le caractère réactionnaire et corrompu du CDC. C’est le parti de Companys, le parti de la petite-bourgeoisie catalane de gauche et démocrate. Arthur Mas réussit à exploiter leur couardise pour les attirer dans un front nationaliste, sauvant ainsi la peau du CDC, renommé PDeCAT en 2016. Dans une démonstration classique de peur et d’indécision petite-bourgeoise, l’ERC se sentit incapable de tenir à lui seul les rênes de l’Etat espagnol, et se jeta dans les bras de Mas. C’est là une nouvelle démonstration saisissante du fait que la petite-bourgeoisie, classe intermédiaire et de second rang, ne peut pas être autonome, mais doit en dernière analyse suivre la bourgeoisie ou le prolétariat.

Les élections en Catalogne de septembre 2015 furent présentées comme un référendum d’indépendance, à travers le vote pour le bloc nationaliste (Junts pel Sí, « Ensemble pour le oui »). Il était donc supposé être un vote pour l’indépendance. Cependant, ce front ne gagna qu’une simple majorité des votes, ce qui ne fut pas considéré comme suffisant pour proclamer immédiatement l’indépendance. En fait, la situation politique en Catalogne et en Espagne avait changé de manière significative avant septembre 2015. L’essor de Podemos, qui mettait en avant une alternative de classe radicale, a partiellement coupé l’herbe sous les pieds du mouvement nationaliste. La défense (incohérente) par Podemos du droit à l’autodétermination a rencontré un vif soutien en Catalogne et au Pays basque. Bien que Mas ait été capable de gagner les élections de 2015, le soutien massif pour l’indépendance qui existait en 2014 s’était quelque peu essoufflé.

Mas a dû faire avec l’abstention de huit des députés de la CUP, un parti de gauche radical et pro-indépendance qui a refusé d’entrer dans le bloc nationaliste. Sur le papier, la CUP est un parti anticapitaliste et révolutionnaire. Sa montée en puissance, avec 8 % des votes en 2015, provenant principalement de jeunes électeurs, est un symptôme bienvenu de la radicalisation de la jeunesse catalane. Cependant, l’establishment nationaliste a réussi à intimider et à obtenir la soumission de la CUP, révélant ainsi la faiblesse politique et théorique de ce parti. Le débat autour de l’inféodation à ce gouvernement divisa la CUP en deux. Il a mis en lumière de profondes divisions entre sa base prolétarienne, urbaine et de gauche, et son aile petite-bourgeoise plus nationaliste issue des petites villes. Les nationalistes ont finalement accepté de retirer la figure haïe du très droitier Arthur Mas, mais les mêmes arrangements déplorables persistent sous son successeur, Carles Puigdemont, également issu du PDeCAT. Dans les faits, Mas continue ouvertement de tirer les ficelles. La nature du pacte grotesque avec la CUP a été très bien résumée par Mas lui-même, dans une récente interview :

« On pourrait penser que le PDeCAT est dans une situation fragile par rapport à la CUP, mais ce serait une erreur. Laissez-moi vous donner quelques exemples. La CUP avait posé comme condition à son soutien au budget 2017 que toutes les taxes soient augmentées, mais cela n’a pas été fait, aucune taxe n’a augmenté. Cela a été un fiasco pour la CUP. Bien qu’ils en aient fait grand bruit. Autre exemple : ils demandaient que les subventions aux écoles privées soient supprimées, mais elles n’ont pas été touchées. En réalité, malgré leurs coups de colères, rien n’a changé. Si vous vous fiez au bruit fait par la CUP, vous pouvez imaginer qu’elle obtient ce qu’elle veut. Mais la réalité est très différente. » (La Vanguardia, 09/07/2017)

Derrière le prétexte des « intérêts nationaux » de la Catalogne, la CUP a en réalité été entraînée dans un humiliant accord de collaboration de classe. Elle a fini par soutenir un gouvernement dirigé par un parti bourgeois corrompu, dont le soutien à l’indépendance est au mieux douteux, et dont le budget est fait de coupes austéritaires. Mas et Puigdemont avaient ainsi promis de faire des pas décisifs en direction de l’indépendance dans le mois qui suivrait la formation du gouvernement, mais il ne s’est rien produit de tel. Puigdemont, supposément à la tête d’une administration provisoire censée préparer la sécession, continue de gouverner comme par le passé et passe des lois réactionnaires contre les travailleurs. En fait, au parlement national de Madrid, Le PDeCAT a aidé le gouvernement minoritaire de Rajoy, l’ennemi juré de l’indépendance de la Catalogne, à faire passer de nombreux projets de loi réactionnaires, comme la contre-réforme sur les dockers. Au sommet du PP comme du PDeCAT les intérêts de classe des capitalistes surpassent le nationalisme. Il n’est pas étonnant que les sentiments pro-indépendance aient décliné dans les sondages, bien en dessous des 50 %, depuis que Puigdemont a été assermenté. Dans ces conditions, l’alliance entre le PCeCAT et l’ERC, ainsi que leur pacte avec la CUP, ont été compromis, et Puigdemont a été contraint d’annoncer un référendum exécutoire sur l’indépendance pour le 1er octobre 2017.

Le référendum

La nécessité de ce référendum pourrait laisser songeur, là où les élections de septembre 2015 étaient présentées comme un plébiscite sur l’indépendance. Mais il y a peu de logique à trouver dans les pirouettes improvisées des nationalistes bourgeois, en dehors de leur volonté de sauver leurs carrières et leurs réputations dans le court-terme. Les évènements de juin et juillet ont ensuite confirmé la couardise et la démagogie du PDeCAT et de l’ERC. Désigné comme organisateur du référendum, Oriol Junqueras, le dirigeant de l’ERC, a rencontré le refus de la plupart des conseillers du PDeCAT (équivalent régional d’un ministre) de signer des déclarations collectives qui auraient « mis en danger leur propriété ». Des déclarations qui les auraient en fait exposés à des amendes et des sanctions de la part de l’Etat espagnol. En outre, le gouvernement catalan a été jusqu’ici incapable d’acheter les bulletins de vote pour ce référendum, en raison d’intimidations de l’Etat espagnol qui a menacé d’intervenir dans les finances de la Catalogne si l’argent public était engagé dans ce plébiscite. Le gouvernement de Catalogne joue à cache-cache avec Madrid. Voici donc les gens qui préparent la bataille contre l’Etat espagnol ! Ces incidents ridicules ont provoqué une purge de trois conseillers et le remplacement de la direction de la police catalane, par des nationalistes jusqu’au-boutistes. Il est très probable que les semaines à venir verront se multiplier ces démissions, purges et autres conflits. Les sections petites-bourgeoises les plus radicalisées du PDeCAT sont remontées contre les sections plus « respectables », bien plus étroitement liées au monde des affaires.

Les prochaines actions du gouvernement catalan sont facilement prévisibles. Il compte adopter un projet de loi sur le référendum en août (ce dernier n’ayant jusqu’ici été qu’annoncé, il doit être encore formellement promulgué). La Cour Constitutionnelle de Madrid annulera immédiatement ce projet de loi, mais Puigdemont espère répondre à cela par une démonstration de force massive lors de la fête nationale de Catalogne, le 11 septembre. Ce qu’il se passera ensuite reste incertain. Il semblerait que Puigdemont et Mas espèrent tous deux une séquence de répression bien dramatique, accompagnée de l’arrestation de dirigeants politiques catalans et la suspension de l’autonomie de la Catalogne. Cela fournirait l’excuse justifiant l’annulation du référendum tout en sauvant la face, en clamant que tout aura été tenté. Ils pourront alors tenter de tenir une consultation symbolique comme en 2014, ou organiser quelques manifestations de protestations. En réaction, une répression décisive de la part de Madrid est une possibilité à prendre très au sérieux. En effet, Rajoy ne peut pas autoriser la tenue de ce référendum — notamment parce que l’abstention de toute une section des adversaires de la sécession, qui considère ce référendum comme illégitime, pourrait donner une victoire à l’indépendance. De plus, le PP est dans un gouvernement minoritaire et est tiré vers sa droite par le parti chauvin Ciudadanos. Les mesures de répression devront être proportionnelles à la résolution des nationalistes, qui ne sera, de manière prévisible, pas très prononcée.

La manière dont se dérouleront les évènements conditionnera les réactions de l’opinion publique. Il est concevable qu’à moyen terme le mouvement sécessionniste soit sapé par ses tergiversations et perde de son attractivité, bien que dans le même temps une section des nationalistes puisse se radicaliser, probablement sous la bannière de l’ERC. L’impact des évènements catalans sur la politique nationale est également imprévisible, mais Rajoy, en minorité et menacé par des scandales de corruption, n’est pas en position de force pour tirer profit de ces futurs développements.

Jusqu’ici Rajoy a joué d’une stratégie patiente et réfléchie, évitant les provocations inutiles. L’Etat central a contré les mouvements de Puigdemont sans dévoiler tout son jeu. La fermeté de Madrid et les hésitations de Barcelone sont le reflet des forces de classes en mouvement. Le gouvernement central s’en tient fermement aux principes chauvins de l’unité nationale et de la défense de l’Etat, avec le soutien inconditionnel de l’impérialisme espagnol et européen. Les nationalistes catalans, poussés dans des directions contradictoires par la situation, sont entraînés dans un cul-de-sac et sentent bien que leurs maîtres, les bourgeois catalans, vont leur faire faux bon. Une classe sociale réactionnaire prétend accomplir des tâches révolutionnaires, et cela ne peut aboutir qu’à une farce.

Le seul moyen de contrecarrer la coercition venant du gouvernement central est de mobiliser les masses catalanes. Le gouvernement catalan pourrait facilement appeler des milliers de Catalans à descendre dans la rue et inciter les masses à prendre l’initiative, mais Puigdemont et sa clique sont terrifiés devant ce genre de scénario imprévisible. Cependant, il y a déjà des éléments incontrôlables dans la situation actuelle et, confronté à des provocations significatives du gouvernement central, le noyau dur du mouvement nationaliste pourrait prendre la rue en masse.

Unidos Podemos

Unidos Podemos (UP, l’alliance entre Podemos et la Gauche Unie) pourrait potentiellement devenir un facteur majeur dans le déroulement de la question nationale espagnole. Comme dit précédemment, ils ont coupé l’herbe sous le pied des sentiments nationalistes à la fois en Catalogne et au Pays basque, par la combinaison d’un programme de gauche progressiste et la défense du droit à l’autodétermination. Cependant, le positionnement du parti sur ce dernier point a été incohérent. Pablo Iglesias et Alberto Garzón, les dirigeants respectifs de Podemos et de la Gauche Unie, ont pris position contre le référendum d’octobre, déclarant qu’il est illégal et qu’il lui manquait la reconnaissance internationale (sans surprise, l’UE et les Etats-Unis ont désavoué le référendum, se tenant au coude à coude avec les forces réactionnaires du chauvinisme et de l’impérialisme espagnol).

Iglesias et Garzón proposent de patienter jusqu’à ce qu’ils arrivent au pouvoir, quand ils réformeront la constitution et assureront aux Catalans la tenue d’un référendum équitable, avec une supposée « reconnaissance internationale ». Cette position sans courage n’offre pas de perspectives aux Catalans qui veulent voter dès maintenant, repoussant le plébiscite à un futur indéterminé, et elle est de plus utopique dans les termes. Deux tiers des députés sont requis pour réformer la constitution, et il est quasiment impossible que UP et ses alliés puissent avoir jamais une telle majorité. Ada Colau, la maire de gauche de Barcelone, et son parti ont également pris un positionnement ambigu et sans courage, une regrettable reculade par rapport à leur ligne originelle qui proposait la tenue unilatérale d’une assemblée constituante et d’un référendum d’indépendance. Seule la branche catalane de Podemos a pris une position plus courageuse. Suite à une consultation interne, ils appellent le peuple à participer au scrutin, même s’ils n’y voient qu’un acte de protestation symbolique et non un plébiscite authentique et contraignant.

La position timide d’UP est un reflet de l’approche légaliste d’Iglesias et Garzón vis-à-vis des changements sociaux ainsi que de leur foi en la démocratie bourgeoise et la diplomatie, mais aussi de leur peur d’une confrontation avec le chauvinisme des responsables espagnols. Il est également possible que ce soit une tentative d’Iglesias de s’attirer la sympathie du nouveau dirigeant du PSOE, Pedro Sánchez, qui se tient sur la gauche de ses prédécesseurs. Sánchez est bien sûr contre le référendum, mais est en faveur d’une réforme constitutionnelle et d’une transformation de l’Espagne en une fédération multinationale. Les travailleurs qui soutiennent les socialistes ne seront pas gagnés par une imitation des attitudes réformistes et de l’inconsistance des dirigeants du PSOE, mais au contraire en étant très exigeant envers ces derniers.

Le droit à l’autodétermination pour les Catalans ne pourra pas être obtenu dans le cadre de la démocratie bourgeoise. La tâche principale des dirigeants d’UP n’est pas d’appeler au respect de la législation de l’Etat espagnol, haï par des millions de Catalans et d’Espagnols, mais de soutenir un référendum unilatéral. Au niveau national, ils doivent dénoncer le caractère réactionnaire du gouvernement central et de la constitution espagnole, et dans le même temps, en Catalogne, ils doivent soutenir le référendum et appeler le peuple à y participer tout en dénonçant la couardise et le cynisme des nationalistes bourgeois catalans. Un tel bras de fer avec l’Etat central représenterait une rupture avec l’ensemble du système capitaliste et impérialiste, et s’il était poursuivi avec cohérence le mouvement ne pourrait que prendre une orientation anticapitaliste. Si Podemos mobilisait courageusement ses forces pour le soutien au plébiscite et en opposition à la répression de l’Etat central, il pourrait renverser la situation et pousser Rajoy et Puigdemont entre le marteau et l’enclume. Podemos aujourd’hui, comme la CNT en 1934 (mais cette fois sur la base d’une argumentation réformiste trouillarde), laisse la voie complètement dégagée pour que les nationalistes bourgeois et petits-bourgeois prennent l’initiative.

La classe ouvrière de Catalogne est actuellement divisée sur la question nationale, en partie parce qu’il n’existe pas d’alternative de classe clairement énoncée. Une ligne ferme soutenant le référendum d’octobre, mais s’opposant aux nationalistes bourgeois pourrait s’attirer la sympathie des millions de Catalans qui veulent voter et défier Rajoy. Cela pourrait les gagner à l’idée que les travailleurs de toute l’Espagne ont un intérêt commun, et qu’ensemble ils pourraient renverser le régime réactionnaire de Madrid. Une récente enquête du Centre des Etudes d’Opinion, l’organisme de sondage du gouvernement catalan, a révélé que 41 % des Catalans sont en faveur de l’indépendance et 49 % y sont opposés. Mais plus important, il montre que 67,5 % veulent participer à ce référendum.

L’humeur des masses peut changer très rapidement dans les semaines à venir en fonction du caractère et de l’évolution de la campagne, et des actions de Madrid. Dans la mesure où le référendum est soutenu par le PDeCAT et l’ERC, beaucoup de travailleurs s’en éloigneront. Une partie significative du prolétariat catalan, en particulier à Barcelone et sa ceinture industrielle, est de langue espagnole et, tout en étant hostile à Rajoy, est tout autant repoussés par le PDeCAT, parti de bigots et de bourgeois. Quoi qu’il en soit, les analyses montrent que, bien qu’il y ait un soutien limité pour l’indépendance, la majorité des Catalans veut avoir son mot à dire sur ses relations avec l’Espagne et se méfie du gouvernement central.

Podemos est né au cœur des luttes sociales de masse de 2011-2014, qui n’étaient pas seulement une rébellion contre des inégalités et des injustices économiques, mais étaient également un mouvement de libération contre un régime oppressif, rétrograde et corrompu. Pour apporter une réponse à ces aspirations économiques et politiques, Podemos doit rompre avec ce système économique d’exploitation qu’est le capitalisme et avec le système politique bourgeois, oppressif et pourrissant, il doit abandonner sa foi dans la légalité bourgeoise et se battre pour la liberté en adoptant des méthodes révolutionnaires. Le droit à l’autodétermination est une tâche révolutionnaire, tâche qui, dans une époque de décomposition capitaliste et impérialiste, incombe non aux lâches nationalistes bourgeois, mais à leurs fossoyeurs, à la gauche radicale et à la jeunesse et aux travailleurs en lutte.

A notre avis, les travailleurs d’Espagne seront plus fort s’ils marchent ensemble dans la lutte contre les capitalistes et leur appareil d’Etat oppressif. La transformation socialiste de la société ne pourra pas se faire dans les limites étroites de telle ou telle région, mais doit s’étendre à la péninsule ibérique dans son ensemble et, finalement, à l’Europe et au-delà. Cependant, une authentique alliance des travailleurs d’Espagne doit être volontaire et démocratique, construite sur la base de la liberté et du respect mutuel. Cela implique que les organisations de gauche et de la classe ouvrière d’Espagne doivent garantir aux peuples de la péninsule le droit à l’autodétermination, jusqu’à la sécession si nécessaire. Le conflit actuel sur la Catalogne est une occasion de mettre en œuvre ce principe et de consolider l’unité de la classe ouvrière autour du combat contre le chauvinisme espagnol et l’oppression d’Etat.

La remise inconditionnelle de l’arsenal de l’ETA [1] à un groupe de vérificateurs internationaux, annoncée pour le 8 avril, est un pas consécutif de leur décision manifeste, datant de plus de 5 ans, d’abandonner définitivement la lutte armée. Par cet acte, l’ETA et l’ensemble de la Gauche Abertzale, la gauche indépendantiste basque, réaffirment leur volonté de lutter pour leurs objectifs en employant des moyens purement politiques.

Il est important de souligner que le gouvernement du PP (Parti Populaire) de Mariano Rajoy a complètement méprisé les pas en avant réalisés par l’ETA depuis 5 ans. Il a refusé de mettre sur la table tout type de négociation ou de dialogue avec eux, ou avec certains de leurs représentants, ne serait-ce que pour orienter un fait si important comme l’est la fin définitive de la lutte armée de l’ETA.

Cette situation contraste vivement avec ce qui s’est passé dans des processus similaires au cours de ces dernières années dans d’autres parties du monde où les Etats se sont impliqués dans les négociations directement avec les groupes armés (l‘IRA en Irlande du Nord, les FARC en Colombie), pour aborder l’abandon de la lutte armée, l’élimination de leur arsenal d’armes, la réinsertion dans la vie civile des activistes desdits groupes et la situation des prisonniers. C’est d’autant plus surprenant que les gouvernements antérieurs du PP et du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) avaient accepté de s’assoir à la table des négociations avec l’ETA il y a des années, alors que l’organisation n’avait pas évoqué sa volonté de renoncer définitivement et inconditionnellement à l’activité armée.

Le gouvernement espagnol n’a pas seulement refusé de négocier avec l’ETA la remise de ses armes, mais il a aussi délibérément entravé cette remise, et ce en collaboration avec l’Etat français. Par exemple, en détenant en décembre 5 personnes près de Bayonne qui agissaient comme médiateurs civils pour la remise des armes qui va se tenir à présent. 

Le gouvernement n’applique même pas la loi concernant le rapprochement des prisonniers vers leurs lieux d’origine pour faciliter le contact avec leurs familles. Ainsi, la grande majorité des prisonniers de l’ETA se trouvent dans des prisons en dehors d’Euskadi [2] et de Navarre, obligeant les familles à se déplacer à des centaines de milliers de kilomètres pour pouvoir leur rendre visite. A leur arrivée, il arrive que leur permis de visite soit refusé, que les visites soient annulées pour de faux prétextes. Au fil des années, 16 personnes sont mortes dans des accidents de voiture sur le chemin pour aller voir leurs proches en prison, d’après l’organisation Exterat [3]

Ces ardents défenseurs de la retransmission de la messe catholique dominicale sur la télévision publique, ces champions des supposées valeurs chrétiennes de l’humanité comme la réconciliation et le pardon, ne sont pas seulement insensibles et revanchards face à la séparation douloureuse des familles et de leurs enfants, conjoints, frères et sœurs incarcérés. Ils montrent aussi qu’ils sont d’absolus hypocrites dans leurs croyances religieuses, en plus de faillir de façon flagrante aux lois en vigueur, protégées par les tribunaux espagnols.

Nous pouvons en déduire que la droite espagnole (le PP et Ciudadanos), n’a aucun intérêt à la résolution du « conflit basque ». Elle espère au contraire continuer à tirer profit de l’activité etarra [4] du passé et ce avec deux objectifs en tête. Le premier est de maintenir au premier plan la thématique du « terrorisme » pour détourner l’attention de la population des véritables problèmes sociaux provoqués par la crise du capitalisme et l’action réactionnaire du gouvernement et du PP. Le second est de maintenir leur base électorale d’appui parmi les couches les plus politiquement arriérées de la population, exploitant et exacerbant avec démagogie le thème des victimes de l’ETA.

D’autres secteurs importants de l’appareil de l’Etat participent à cette stratégie qui consiste à maintenir l’ETA comme un danger permanent. Il s’agit principalement des corps policiers et des services secrets, l’actuel CNI. L’activité etarra a toujours été instrumentalisée, non seulement pour augmenter le niveau général de la répression et endurcir le Code pénal si cher à la droite espagnole, mais aussi pour justifier l’impunité policière, les privilèges spéciaux pour les hauts responsables de la police, et l’existence de fonds réservés qui échappent à tout contrôle et desquels de nombreux chefs de la police et de la garde civile ont tiré profit durant des décennies dans d’obscures affaires (les cas Perote, Roldán, Paesa, Villarejo, pour ne mentionner que les plus connus).

Le régime de 1978 n’est pas seulement un régime réactionnaire et caduc qu’il faut dépasser, c’est aussi le régime du « deux poids deux mesures » et de l’hypocrisie. Ceux qui, à droite, se montrent durs et vindicatifs sur le thème des victimes de l’ETA, sont les mêmes qui ne condamneront jamais le soulèvement fasciste de Franco en 1936 ni l’assassinat de centaines de milliers de personnes causés par la répression postérieure, durant 40 ans. Les représentants politiques de la dictature et de l’appareil d’Etat, les ministres notoires de Franco – comme Fraga, Fernando Suárez, ou Antonio Carro, entre autres – eux qui ont les mains tachées de sang pour avoir signé des peines de mort sous la dictature, n’ont pas été jugés, ils n’ont purgé aucun de leurs crimes et sont devenus députés du PP sous la « démocratie ».

Ce n’est pas un hasard si l’ETA est née en pleine dictature franquiste et s’est nourrie dans la première quinzaine de son existence des crimes sanglants du franquisme et de la répression pratiquée contre le peuple basque pendant les premières années de la « Transition [5] ». Tous les grands médias parlent des 800 victimes de l’ETA, mais ils oublient qu’il y a eu 188 assassinats durant la Transition (ouvriers, étudiants, nationalistes basques de gauche) dans ce qui fut une pratique de terrorisme d’Etat aux mains de la police, la garde civile et les tueurs fascistes entre 1976 et 1982. Très peu de leurs assassinats furent jugés et condamnés, et la majorité d’entre eux le furent pour des peines dérisoires. Il en fut de même avec le terrorisme d’Etat pratiqué par les GAL sous le gouvernement de Felipe González, qui commirent 24 assassinats ; sans parler des centaines de cas de torture sur les détenus, hommes et femmes (comprenant viols et abus sexuels), de l’entourage de la gauche abertzale.

Cette politique répressive continue aujourd’hui, avec les tortures, l'interdiction d’organisations politiques et de solidarité de la gauche abertzale, la fermeture de médias alternatifs, etc., et qui oblige de nombreux jeunes et activistes abertzales à vivre en clandestinité.

Il ne s’agit pas seulement d’Euskadi et de la Navarre. Au cours des dernières années, les amoureux de la démocratie et de la coexistence pacifique dans le gouvernement du PP, se sont démarqués en restreignant les droits démocratiques – durement conquis – avec la criminalisation généralisée dans tout l’Etat espagnol de tous ceux qui décident de lutter contre les fléaux de ce système ou de ceux qui, depuis des positions de gauche font des chansons, des blagues et des commentaires sur les réseaux sociaux. Pendant ce temps, de notables dirigeants du PP, des journalistes réactionnaires et fascistes ont tout loisir de proférer, dans les médias, des insultes et des calomnies les plus dévoyées contre des dirigeants de la gauche et les victimes de la répression franquiste, sans persécution aucune de la part de la police.

Le plus grave est que le vieil appareil d’Etat franquiste s’est maintenu intact jusqu’à nos jours. Il ne fut jamais purgé des fascistes et des réactionnaires. Face à lui, les mêmes chefs de la police et de l’armée, les mêmes tortionnaires et membres des services secrets, les mêmes juges et fiscalistes franquistes. Le plus lamentable de tout cela est que les dirigeants du PSOE et du PCE (Parti Communiste d’Espagne), suite à la chute de la dictature, n’ont jamais élevé la voix pour exiger son épuration, se convertissant en complices, tout comme ils furent complices de la droite pro-franquiste dans sa politique d’impunité face aux crimes du franquisme et de la « Transition ».

La remise inconditionnelle par l’ETA de tout son arsenal est aussi la constatation finale de l’échec des méthodes de la soi-disant « lutte armée », pratiquée pendant 50 ans par cette organisation, sans être parvenue – comme ce fut le cas de l’IRA en Irlande du Nord – à aucun de ses objectifs. De plus, les méthodes de l’ETA se sont montrées contreproductives vu qu’elles ont été utilisées par les gouvernements successifs et l’appareil de l’Etat pour renforcer ce même appareil d’Etat et renforcer la répression, réduire les droits démocratiques (durcissement du Code pénal, restriction du droit de manifester et de la liberté d’expression, interdiction arbitraire de partis politiques, fermeture de médias, etc.). L’activité armée de l’ETA a joué pendant des décennies un rôle pernicieux en émoussant les extraordinaires luttes du peuple basque pour leurs droits démocratiques et nationaux, favorisant la stratégie de la réaction qui consistait en l’introduction de tout type de préjugés nationaux et moralistes pour isoler la lutte du peuple basque de ses frères de classe dans le reste de l’Etat espagnol. De fait, la disparition de l’activité armée de l’ETA et les avancées de la lutte des masses – comme on l’a vu en Catalogne – était la condition première pour qu’une défense des droits démocratiques et nationaux d’Euskadi, de Catalogne et de Galice – comme le droit à l’autodétermination – puisse rencontrer un écho favorable croissant au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse du reste de l’Etat espagnol, comme c’est en train de se dérouler après avoir été diabolisée pendant des décennies.

Nous approuvons le fait que l’ETA et la gauche abertzale optent pour la voie politique dans la lutte pour leurs objectifs, comme l’a clairement défendu le dirigeant de Bildu (coalition de la gauche nationaliste basque), Arnaldo Otegi. Selon nous, cette voie politique doit être basée sur les méthodes de la lutte et de l’agitation politique de masse, les manifestations, les grèves, et, à un certain stade, un mouvement révolutionnaire de masse. Il serait erroné de canaliser l’action politique par des méthodes réformistes classiques, relevant plus du « crétinisme parlementaire », que ce soit en enfermant le programme politique à l’intérieur des limites du capitalisme, ou en cherchant un front commun avec la bourgeoisie basque. Celle-ci est toujours disposée à trahir le mouvement s'opposant à la bourgeoisie espagnole, pour mieux défendre ses affaires et intérêts de classe, jusqu'à soutenir le gouvernement du PP. Ce dernier a ainsi reçu l’appui du PNV (parti nationaliste de droite, principal parti de la bourgeoisie basque) pour le décret infâme du PP attaquant les droits des dockers, dont des dockers basques.

La classe ouvrière et la jeunesse basque ont toujours été à l’avant-garde des luttes et de la conscience politique de l’Etat espagnol, au cours des 40 dernières années. C’est au Pays basque que la lutte a été le plus loin contre la dictature et durant la Transition.  Euskadi et la Navarre sont les territoires de l’Etat espagnol où le vote favorable à la constitution de 1978 a recueilli le moins d’appui populaire, où le rejet de l'intégration dans l’OTAN fut massif lors du référendum de mai 1986. Ce n’est pas un hasard non plus si lors des élections législatives du 20 décembre 2015 et du 26 juin 2016, Podemos et Unidos Podemos y obtinrent leur plus grand pourcentage de vote de tout l’Etat espagnol. Dans le cas d’Euskadi, elles furent même la première force électorale du territoire.

La lutte pour les droits démocratiques et nationaux est indissociable de la lutte pour le socialisme. Seule la classe ouvrière pourra mener cette lutte à son terme contre tout type d’exploitation et d’oppression, et s’assurer la pleine satisfaction de leurs droits démocratiques les plus avancés. Cela doit commencer par le droit du peuple basque à décider pour lui-même de la relation qu’il veut maintenir avec les autres peuples de l’Etat espagnol, dont le droit à former un état indépendant.

Pour arriver à cela, c'est ensemble dans la lutte que nous sommes forts. Il s’agit de consolider l’unité de la lutte de la classe ouvrière et de la jeunesse basque avec ses frères de classe du reste de l’Etat pour vaincre notre ennemi commun, le capitalisme et ses soutiens – les bourgeoisies espagnole et basque – pour avancer vers le socialisme et résoudre définitivement la question nationale basque.


[1] ETA : Euskadi Ta Askatasuna / Pays basque et liberté, branche armée du MLNV (mouvement de libération national basque), fondée en 1959

[2] Euskadi : Communauté autonome du Pays basque comprenant 3 des 7 provinces basques (Alava, Biscaye, Guipuzkoa)

[3] Etxerat : Association d’aide aux prisonniers politiques et à leurs proches et familles

[4] Etarra :  terme qui associe un fait, une personne à l’ETA

[5] Transition : Période allant environ de la mort de Franco (1975) à la première alternance politique (1982)

Le deuxième congrès national de Podemos s’est tenu à Madrid les 11 et 12 février. Ses débats ont suscité de l’intérêt aux quatre coins du monde. Né en 2014 dans la foulée de grandes luttes sociales et du mouvement des Indignés, ce parti est une référence pour des millions de personnes – et pas seulement en Espagne.

Le congrès s’est soldé par une nette victoire des positions défendues par le dirigeant historique, Pablo Iglesias, réélu secrétaire avec 89,1 % des voix. Sa liste au Conseil National a recueilli 51 % des voix et son document politique 55 %. Si on y ajoute les 11 et 13 % du courant « Anticapitalistas », il est clair que Podemos s’ancre à gauche. Avec 34 % des voix, l’aile droite du parti – autour d’Íñigo Errejón – sort vaincue, malgré le soutien que lui apportaient les grands médias et la bourgeoisie du pays.

L’affrontement Iglesias – Errejón

Avant le congrès, une campagne médiatique lénifiante a tenté de discréditer Podemos en résumant ses débats à une simple « lutte des places ». Dans le même temps, le soutien des médias aux idées d’Errejón – contre le « radicalisme » d’Iglesias – visait à transformer Podemos en un parti qui, s’il parvient au pouvoir, capitulerait aisément sous la pression de la classe dirigeante, comme Syriza en Grèce.

Mais, au contraire, les débats du congrès furent le reflet de l’intensification de la polarisation de classe en Espagne. C’est le mérite d’Iglesias d’anticiper, en particulier, les conséquences de la faiblesse du gouvernement de droite de Rajoy, qui est soutenu par les socialistes du PSOE et les « centristes » de Ciudadanos. Le gouvernement sera toujours plus impopulaire à mesure que s’imposeront les contre-réformes, l’austérité et les diktats de l’UE. Iglesias défend la présence de Podemos au Parlement comme un relais des luttes sociales – et celles-ci comme la source décisive du développement futur de Podemos. A l’inverse, Errejón proposait des manœuvres parlementaires avec le PSOE et Ciudadanos, pour démontrer la « gouvernabilité » de Podemos. Cette volonté a été mise en minorité par l’instinct de classe de ses militants et l’expérience concrète des dernières années.

De fait, Podemos a obtenu ses meilleurs résultats électoraux lorsqu’il ancrait son message à gauche, en liant revendications sociales et démocratiques – et en désignant comme ennemi central l’oligarchie économique incarnée par l’Ibex 35 - les multinationales cotées à la bourse de Madrid. Pendant le congrès, Errejón a soutenu que le léger recul électoral de Podemos, en juin 2016, était le fruit du virage à gauche du parti et de son alliance avec Izquierda Unida (la « Gauche Unie »). Or c’est exactement le contraire : suite à l’impasse des élections de décembre 2015, Podemos aurait dû relancer la mobilisation de masse contre Rajoy et ses politiques d’austérité, en déplaçant ainsi le débat dans la rue et la lutte des classes, au lieu de l’enfermer au Parlement.

La position des marxistes

Nos camarades de Lucha de clases, la section espagnole de la TMI, sont actifs dans Podemos et ont apporté un soutien critique aux positions d’Iglesias. Ils ont présenté leurs propres contributions, qui ont fait de bons scores à Madrid. Ils ont insisté sur la place centrale des travailleurs dans le processus de changement et sur la nécessité d’exproprier les secteurs clés de l’économie, sous le contrôle démocratique des salariés. Ils ont aussi souligné la nécessité d’une organisation plus démocratique de Podemos, de façon à permettre un débat politique plus solide à la base. Par exemple, les documents en débat ne sont parvenus aux militants que trois semaines avant le congrès.

Au lendemain du congrès, la presse bourgeoise a relancé sa campagne de « diabolisation » de Podemos. Elle est affolée par le retour déclaré du parti vers les mouvements sociaux. Des mobilisations de masse vont inévitablement se développer contre Rajoy et ses politiques d’austérité. Et c’est bien sur ce terrain que se jouera l’avenir de Podemos.

Pour la neuvième fois, les juridictions internationales viennent de condamner l’Espagne pour sa pratique de la torture et pour ne pas mener d’enquêtes suite aux plaintes des prisonniers basques détenus dans ses prisons. Le gouvernement régional basque a récemment révélé un rapport qui précise les faits : plus de 4000 personnes auraient été torturées entre 1960 et 2013, certaines à plusieurs reprises. L’Etat espagnol nie se livrer à la torture, mais s’en sert effectivement pour obtenir des aveux, ce qui lui permet à la fois de contourner ses propres lois contre cette pratique et de condamner les militants de la cause basque à de lourdes peines.

Le cas de Nekane Txapartegi illustre cette situation scandaleuse. Cette journaliste basque, détenue à Zurich, fait l’objet d’une demande d’extradition déposée par l’Espagne. La Suisse pourrait céder à cette demande pour éviter un gel diplomatique avec l’Espagne, qui reproche à Nekane d’avoir collaboré avec l’ETA en 1999. Mais sa condamnation est fondée sur des aveux prononcés sous la torture, alors qu’elle était détenue dans les sous-sol d’un commissariat de Madrid, sans contacts avec ses proches et ses avocats. Comble de l’horreur, Nekane a été asphyxiée, frappée, dénudée et violée à plusieurs reprises par les agents espagnols.

La prison et la torture sont des moyens utilisés par l’Etat espagnol pour maintenir une chape de plomb sur la société basque, qui est majoritairement favorable à l’auto-détermination. Cette répression est inacceptable. Nous apportons notre soutien à Nekane comme à tous les prisonniers politiques basques, dont nous exigeons la libération. La jeunesse basque aspire à une vie sans répression.

Free Nekane !

L’Espagne connait depuis près d’un an une crise politique qui met les nerfs de la classe dirigeante à vif. Après deux élections législatives (en décembre 2015, puis en juin dernier), le Parlement n’avait toujours pas de majorité gouvernementale. Cette situation alarmait d’autant plus les dirigeants, à l’échelle mondiale, que le montant colossal de la dette publique espagnole (1100 milliards d’euros, 100 % du PIB) est une bombe à retardement dans les fondations de l’économie européenne.

L’austérité et l’incapacité des politiciens à résoudre les problèmes des masses aggravent sans cesse la crise de régime. Tous les piliers de l’ordre traditionnel depuis la fin de la dictature franquiste – monarchie, Eglise, bipartisme – sont minés par des scandales et discrédités. Tel est la cause fondamentale de la profonde crise interne que traverse le PS espagnol (PSOE). Ce pilier – avec le Parti Populaire (PP, droite) – du bipartisme semble engagé dans un affaiblissement irréversible. En conséquence, « Unidos Podemos » – l’alliance entre Podemos et la « Gauche Unie » [1] – est en position d’émerger comme la seule alternative de gauche crédible.

Guerre civile dans le PSOE

Le PSOE est secoué depuis plusieurs semaines par une véritable guerre civile, après que l’aile droite a mené un putsch contre le dirigeant du parti, Pedro Sanchez (photo). Ce dernier avait annoncé vouloir soumettre aux adhérents du PSOE sa proposition de former un « gouvernement de gauche ». Ce faisant, Sanchez cherchait à sauver sa carrière politique et à prévenir un effondrement de son parti.

Cependant, la position de Sanchez était un obstacle aux projets de la classe dirigeante, qui a désespérément besoin d’un solide gouvernement pro-austérité. Le gouvernement du PP a mené une politique d’austérité féroce, ces dernières années, mais il n’a atteint aucun de ses objectifs en termes de réduction des déficits. Or l’UE demande à l’Espagne 15 milliards d’euros de coupes budgétaires au cours des deux prochaines années. La bourgeoisie a donc besoin d’un gouvernement doté d’un soutien ferme au Parlement, pour adopter la prochaine loi budgétaire.

Sanchez ne voulait pas soutenir un tel gouvernement, qui suppose une alliance des députés du PSOE avec ceux du PP. Il comprenait que ce gouvernement deviendrait rapidement très impopulaire, ce qui aggraverait le déclin du PSOE. D’où sa proposition d’un « gouvernement de gauche ». Pour autant, Sanchez savait bien que sa proposition était impossible à réaliser. Après avoir proposé une alliance avec Podemos et Ciudadanos [2] – sans y croire, tant leurs programmes sont opposés – Sanchez a repris la proposition de Podemos, qu’il avait pourtant rejetée au printemps dernier : un gouvernement PSOE-Podemos soutenu par les nationalistes catalans. Cela impliquait d’accepter la possibilité d’un référendum sur l’auto-détermination de la Catalogne, référendum que défend Podemos. Sanchez y était opposé jusqu’alors, car cette question est un tabou inviolable pour la classe dirigeante espagnole, dont les dirigeants du PSOE reflètent toujours les intérêts, en dernière analyse. Surtout, la classe dirigeante ne peut tolérer aucune discussion sur la possibilité d’un gouvernement de coalition incluant Podemos.

C’est dans ce contexte que la droite du PSOE a organisé un putsch contre Sanchez. Il a été mené par la présidente PSOE de l’Andalousie, Suzana Diaz, qui défend la position d’un soutien des députés du PSOE à un gouvernement PP-Ciudadanos. Elle a ordonné à ses partisans de démissionner de l’Exécutif fédéral du parti, afin d’en annuler le mandat. Mais Sanchez, qui luttait pour sa survie politique, a refusé ces démissions et a engagé des manœuvres contre la droite du parti. Malgré les intentions carriéristes de Sanchez, ses manœuvres ont été interprétées à la base comme le refus intransigeant d’un soutien du PSOE à un gouvernement du PP. La mobilisation militante qui s’en est suivie a mis en difficulté Suzana Diaz et ses « rebelles », mais aussi Sanchez lui-même.

Ce dernier ne voulait pas d’une réelle mobilisation de la base. Il a demandé aux adhérents de ne pas se rendre au siège du parti, à Madrid, lors d’un Exécutif fédéral décisif, le 1er octobre. Des centaines de militants du PSOE y ont tout de même afflué pour soutenir Sanchez. Après d’interminables discussions dans un climat irrespirable, le camp de Suzana Diaz l’a emporté par 132 voix contre 107. Au lieu de faire appel à la base, Sanchez a accepté sa défaite, a annoncé sa démission et a insisté sur sa loyauté à l’égard de la nouvelle direction.

La social-démocratie en crise

Finalement, avec la reprise en main de la droite du parti, le PSOE a décidé le 23 octobre de s'abstenir au Parlement, laissant ainsi la coalition entre le PP et Ciudadanos former un gouvernement.

Le PSOE est engagé sur la voie d’une « PASOK-isation » [3]. Comme ailleurs, la social-démocratie espagnole paye le prix de son soutien direct ou tacite à l’austérité. Cette situation inquiète au plus haut point les classes dirigeantes, car elle favorise l’émergence des forces de la « gauche radicale », telle Unidos Podemos en Espagne.

Les pressions sur Podemos vont donc s’intensifier. Ce parti est d’ailleurs traversé par un vif débat entre les partisans d’une modération du programme (autour d’Íñigo Errejón), dans le but de conquérir les électeurs « centristes » – et ceux qui, autour de Pablo Iglesias, défendent la nécessité d’un programme de gauche radical. Ce dernier a déclaré récemment qu’il appellerait à la mobilisation jusqu’à la grève générale si le PP parvenait à former un nouveau gouvernement.

Iglesias a raison : Unidos Podemos a besoin d’une stratégie audacieuse d’opposition parlementaire liée à des mobilisations dans la rue contre toutes les attaques visant les droits démocratiques et les conditions de vie des travailleurs. Cela accélèrerait les contradictions internes à la base et dans l’électorat du PSOE. Mais Podemos doit aussi expliquer que des réformes progressistes ne pourront pas être menées dans les limites du capitalisme espagnol. Comme l’expliquent dans Podemos nos camarades de Lucha de Clases, la section espagnole de la TMI, l’expropriation des grandes entreprises de l’IBEX35 (bourse de Madrid) est une étape incontournable dans la lutte contre les politiques d’austérité.


[1] La principale force politique de la « Gauche Unie » (Izquierda Unida) est le Parti Communiste Espagnol (PCE).
[2] Ciudadanos est un parti « centriste » – en fait, de droite – que la bourgeoisie espagnole a utilisé pour tenter de contrer l’ascension de Podemos.
[3] Du fait de sa politique d’austérité drastique, le PASOK (le PS grec) a chuté de 44 % des voix en 2009 à moins de 5 % des voix en 2015.