Brésil

Le 8 janvier, des partisans du président sortant Jair Bolsonaro ont envahi et saccagé plusieurs bâtiments publics dans la capitale du Brésil. Nous publions ci-dessous une déclaration de nos camarades de la section brésilienne de la TMI. L’original en portugais est disponible sur leur site.


L’invasion du Congrès National, du Palais Planalto [le palais présidentiel] et de la Cour Suprême hier par des groupes « bolsonaristes » – qui contestent le résultat des élections et réclament une intervention de l’armée – doit être condamnée fermement et combattue par le mouvement ouvrier et les organisations populaires et étudiantes.

Il ne s’agit pas ici de dire que la classe ouvrière aurait un quelconque intérêt à défendre les institutions de l’Etat bourgeois. Notre position est déterminée par le fait que cette attaque vient de l’extrême-droite, qui veut remplacer ces institutions par quelque chose d’encore pire. Ces extrémistes de droite démoralisés, cette poussière humaine, se comportent de façon complètement aventuriste, en pillant et en saccageant. Ces méthodes sont complètement étrangères à celles des luttes de la classe ouvrière.

Il est évident que l’invasion de ces bâtiments n’a été possible que grâce à la complicité des forces de répression de l’Etat. La foule réactionnaire, qui a été transportée à Brasilia par près d’une centaine de bus, a même été escortée jusqu’à la Praça dos Três Poderes [Place des trois pouvoirs] par la police militaire du district fédéral de la capitale.

Des vidéos montrent des policiers fraterniser avec les bolsonaristes et les regarder piller et saccager sans réagir. Ces événements ont été annoncés et organisés au vu et au su de tous, et ce, de nombreux jours à l’avance. Les forces de l’Etat ne peuvent pas prétendre avoir été prises par surprise.

Le comportement de la police à cette occasion contraste de façon frappante avec celui qu’elle adopte face aux mobilisations populaires dans la capitale fédérale. Pour prendre un exemple récent, en 2017, les mobilisations des travailleurs et des jeunes contre les contre-réformes du gouvernement Temer ont été la cible d’une répression féroce. Brasilia a été soumise à une occupation policière et les manifestations ont été attaquées au moyen de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc – des hélicoptères avaient même survolé les manifestations en les bombardant de gaz et en braquant leurs mitrailleuses !

La classe ouvrière ne doit pas compter sur les forces de l’Etat pour résoudre la situation actuelle. Il s’agit d’institutions de l’Etat capitaliste, dont leur comportement a favorisé le développement et les manœuvres de ces conspirateurs d’extrême-droite. La classe ouvrière et la jeunesse ne peuvent compter que sur leurs propres forces, leurs propres organisations, leur propre unité et leur indépendance de classe.

Le gouvernement Lula-Alckmin, d’unité nationale avec la bourgeoisie, a proposé aux représentants de la droite et même de l’extrême-droite de participer au gouvernement. Le ministre de la Défense, José Múcio, qui est théoriquement chargé de défendre le gouvernement face à une menace de coup d’Etat, a affirmé que les rassemblements de bolsonaristes devant les casernes militaires, pour appeler à un coup d’Etat, étaient une « expression démocratique ».

Comment pourrait-il en être autrement ? Múcio est membre du parti pro-Bolsonaro PTB. Lorsqu’il fut nommé au gouvernement de Lula, il déclara même avoir voté pour Bolsonaro. Dans le même temps, la ministre du Tourisme, Daniela Carneira, est liée à des milices d’extrême-droite organisées par d’anciens policiers de Rio de Janeiro. Elle est par-dessus le marché membre du parti de l’ex-juge Sergio Moro, l’ancien ministre de la Justice de Bolsonaro ! Cette voie mène à la défaite ! Lula devrait saisir cette opportunité pour réorienter tout le gouvernement, en commençant tout d’abord par en expulser les ministres bolsonaristes.

Il faut mobiliser dans les entreprises, les écoles, les quartiers et les usines pour écraser la droite putschiste et permettre de satisfaire les revendications du peuple, en commençant par abroger toutes les attaques des précédents gouvernements contre les droits et les conquêtes de la classe ouvrière.

La confédération des syndicats (CUT) et les organisations syndicales et populaires doivent mobiliser pour vaincre l’extrême-droite et écraser Bolsonaro et ses partisans. Ces organisations devraient, par exemple, coordonner la résistance contre les tentatives des bolsonaristes d’occuper les raffineries de pétrole et de remettre en place des barrages routiers.

L’UNE, l’UBES, l’ANPG [les trois principaux syndicats étudiants du Brésil] et toutes les organisations étudiantes doivent organiser des assemblées générales dans les écoles et les universités, et mobiliser pour la lutte contre la droite et pour les revendications de la jeunesse.

Une mobilisation unitaire des travailleurs peut ouvrir la voie à des victoires de notre classe, à des avancées dans la lutte pour le socialisme, et ainsi défendre les droits et les libertés démocratiques des jeunes et des travailleurs contre ceux qui voudraient restaurer un régime de terreur dans le pays.

  • Il faut démasquer et punir les organisateurs et les financiers des actions putschistes de Brasilia ! Confisquer les entreprises et les richesses de ceux qui les ont financés !
  • Il faut dissoudre la Police Militaire !
  • Pour l’unité, l’organisation et une mobilisation indépendante de la classe ouvrière ! Pour vaincre la droite putschiste, et défendre nos libertés démocratiques !
  • Toutes les forces dans les mobilisations des syndicats et du mouvement social contre les attaques de l’extrême-droite ! Tous au rassemblement du 11 janvier à Brasilia !

Le 30 octobre dernier, au Brésil, Luiz Ignacio Lula – le candidat du Parti des travailleurs (PT) – a remporté les élections présidentielles d’une courte tête : 50,9 %. Son adversaire, le président sortant Jair Bolsonaro (extrême droite), a déjoué tous les sondages au premier tour, puis a progressé de 6 millions de voix entre les deux tours, contre 2,6 millions pour Lula.

Ce résultat reflète l’énorme polarisation de la société brésilienne, d’une part, et d’autre part la défiance d’une large fraction des masses exploitées à l’égard de Lula, non sans raison.

Démagogie contre modération

Bolsonaro a reçu le soutien enthousiaste de l’industrie agroalimentaire, qui a largement bénéficié de sa politique – désastreuse, sur le plan environnemental. De même, une bonne partie de l’appareil d’Etat l’a soutenu. Le jour du scrutin, la police fédérale a tenté d’empêcher des électeurs pro-Lula d’accéder aux bureaux de vote. Mais surtout, Bolsonaro a déployé une démagogie « radicale », pendant la campagne électorale. Face à la modération de Lula, il s’est présenté comme le candidat « anti-système ». C’est ce qui lui a permis de gagner les suffrages des couches les plus arriérées de la classe ouvrière.

La situation sociale du Brésil est désastreuse. 33 millions de Brésiliens sont sous-alimentés, pendant que le nombre de multimillionnaires ne cesse d’augmenter. Si Lula avait fait campagne sur un programme de rupture avec l’ordre établi, il aurait privé Bolsonaro d’une bonne partie de son électorat le plus populaire.

Mais non : le candidat du PT s’est contenté de bénéficier du rejet que suscite Bolsonaro dans une large fraction de la jeunesse et de la classe ouvrière. Il a fait campagne sur un programme de défense des « institutions », ces mêmes institutions bourgeoises qui l’ont injustement condamné à 18 mois de prison, en 2018. Lula s’est ingénié à montrer qu’il était digne de la confiance de la classe dirigeante brésilienne, mais aussi des impérialistes. Biden et Macron se sont d’ailleurs publiquement réjoui de sa victoire, car ils voyaient dans Bolsonaro un dangereux facteur d’instabilité politique et sociale.

Lula a été jusqu’à prendre comme candidat à la vice-présidence le très droitier Gerardo Alckmin, connu pour sa brutale répression d’un mouvement social à São Paulo, en 2013, et pour avoir soutenu le putsch constitutionnel contre Dilma Rousseff (PT), en 2016.

Cette politique de modération a été la ligne du PT dès les premiers jours du mandat du président sortant. En 2019, lorsqu’un mouvement de masse a commencé à se développer sur la base du mot d’ordre « Fora Bolsonaro ! » (« Bolsonaro, dehors ! »), les dirigeants du PT ont exhorté les manifestants à rentrer chez eux et à « respecter le mandat démocratique de Bolsonaro ».

L’avenir du « bolsonarisme »

La bourgeoisie espérait une « transition ordonnée ». Mais dès l’annonce des résultats, des partisans de Bolsonaro ont spontanément bloqué des routes à travers tout le pays. De son côté, Bolsonaro est resté silencieux pendant 45 heures. Lorsqu’il a finalement pris la parole, le 2 novembre, il n’a pas apporté son soutien aux barrages routiers, mais il s’est bien gardé de reconnaître sa défaite. Face à la passivité des forces de police, souvent dirigées par des partisans de Bolsonaro, des électeurs de Lula se sont mobilisés pour dégager des barrages routiers, avec succès.

De nombreux électeurs de Lula ont en mémoire ses mandats présidentiels de 2003 à 2011. La croissance économique, à l’époque, lui avait permis d’augmenter les salaires et de mettre en œuvre un certain nombre de réformes progressistes – tout en défendant le pouvoir, les intérêts et les privilèges de la classe dirigeante (et des impérialistes). Mais cette époque de croissance, précisément, est révolue.

Quelques jours avant le second tour, Lula a publié une « Lettre pour le Brésil de demain », dans laquelle il parle de « démocratie » et d’« espoir », tout en affirmant qu’il est « possible de combiner responsabilité fiscale, réduction de la dette publique, responsabilité sociale et développement durable. » Dans le contexte actuel de profonde crise du capitalisme, la « responsabilité fiscale » et la « réduction de la dette publique » ne pourront se traduire que par des politiques d’austérité et des attaques contre la classe ouvrière. En refusant de s’attaquer au capitalisme lui-même, Lula se condamne à appliquer le programme réactionnaire de la classe dirigeante.

Une telle politique donnera du grain à moudre à la démagogie de Bolsonaro, qui prétend défendre le « peuple » contre le « statu-quo ». L’extrême-droite a été battue dans les urnes, mais elle n’est pas morte, et elle risque de progresser si aucune alternative aux politiques d’austérité ne vient de la gauche. Comme l’a montré l’épisode des barrages routiers, les masses brésiliennes ne peuvent pas faire confiance aux institutions de la bourgeoisie brésilienne. Elles ont besoin d’un programme de classe indépendant pour jeter l’extrême-droite – et le capitalisme – dans les poubelles de l’histoire.

Au Brésil, la pandémie est hors de contrôle. Pour le seul mois de mars 2021, les chiffres officiels annonçaient 66 500 morts, soit deux fois plus que lors du pire mois de 2020 (juillet). Le mois d’avril s’annonce déjà comme une hécatombe, avec une moyenne quotidienne qui approche les 3000 victimes. A l’heure où nous écrivons ces lignes, 375 000 Brésiliens sont morts du Covid, au total, un bilan que seuls les Etats-Unis dépassent.

Crise sanitaire, économique et sociale

Dans la plupart des Etats brésiliens, les hôpitaux sont saturés. Face à la pénurie de lits, les patients se voient attribuer une place en réanimation en fonction de leurs chances de survie. Chaque jour, des personnes meurent sans avoir été prises en charge, faute de place à l’hôpital.

La situation économique et sociale s’est énormément dégradée. Le PIB du Brésil a chuté de 4,1 % en 2020. Le pays compte environ 14 millions de chômeurs, mais ce chiffre officiel ne tient pas compte des travailleurs qui ont renoncé à chercher un emploi, ni du secteur informel. Toutes les formes de pauvreté augmentent rapidement. 10 millions de Brésiliens souffrent d’insécurité alimentaire. Depuis un an, l’inflation s’est envolée ; elle atteint désormais 6,1 %.

Inaction

Aucune politique sérieuse de lutte contre la pandémie n’a été engagée par le gouvernement archi-réactionnaire de Jair Bolsonaro. Il a constamment minimisé le problème. C’est d’ailleurs ce qui a contribué à l’apparition du variant brésilien, particulièrement virulent et contagieux.

Bolsonaro balaye les critiques d’un revers de main. Récemment interrogé sur l’aggravation de la crise sanitaire, il répondait froidement : « ça suffit avec ces histoires (...). Vous allez pleurer jusqu’à quand ? ».

Ceci dit, Bolsonaro n’est pas le seul responsable de cette situation. Sa politique est subordonnée aux intérêts des grands capitalistes. Les gouverneurs et les maires – dont beaucoup se présentent comme des « opposants » au gouvernement – servent les mêmes intérêts. Les politiciens brésiliens, qui ont fait trop peu et trop tard pour contenir la pandémie, ont surtout cherché à préserver les profits de la bourgeoisie. Dans la plupart des régions où le système de santé s’est effondré, les entreprises, les restaurants et les bars restent ouverts au public. Dans les grandes villes, les transports en commun sont toujours aussi bondés aux heures de pointe.

La campagne de vaccination brésilienne est un fiasco. A ce jour, seuls 5,5 % de la population ont reçu une dose – et seulement 2 % ont reçu deux doses. Bien sûr, le Brésil pâtit de la course mondiale aux doses de vaccin, qui voit les plus grandes puissances impérialistes se servir en premier. Mais la politique de Bolsonaro a entraîné des retards dans les commandes de vaccin.

La situation est si mauvaise que, désormais, la bourgeoisie brésilienne s’inquiète de l’incompétence du gouvernement. Elle comprend que la vaccination de masse est indispensable pour permettre une certaine reprise économique. Elle regarde avec anxiété ce qui se passe au Paraguay, où la mauvaise gestion de la pandémie a provoqué des mobilisations massives et spontanées contre le gouvernement de Mario Abdo Benítez, un allié de Bolsonaro.

Lula et la bourgeoisie

Dans ce contexte, un juge de la Cour suprême a décidé d’annuler les condamnations de l’ex-président Lula, du Parti des Travailleurs (PT). Or ces condamnations – qui s’appuyaient sur une farce juridique – le rendaient inéligible.

Prononcées en 2018 dans le cadre de l’opération « anti-corruption » Lava Jato (« Lavage auto »), les condamnations avaient pour objectif de discréditer le PT et, surtout, d’empêcher Lula de se présenter à l’élection présidentielle de la même année. Plus largement, l’objectif de l’opération Lava Jato était de démoraliser et de criminaliser les organisations de travailleurs en général.

Le résultat fut l’élection de Jair Bolsonaro en octobre 2018. L’opération Lava Jato, autrefois utile aux capitalistes et donc encensée par les grands médias, est désormais critiquée par les mêmes. Face à la crise et à l’incompétence du gouvernement Bolsonaro, la bourgeoisie réalise qu’elle pourrait avoir besoin de Lula, de nouveau, pour contrôler et canaliser la colère des masses. Lorsque Lula était au pouvoir, entre 2003 et 2011, il a défendu les intérêts fondamentaux des capitalistes brésiliens, tout en profitant de la croissance économique pour faire des concessions à la masse des Brésiliens les plus pauvres.

Lula déclarait récemment : « Les hommes d’affaires et les banquiers brésiliens devraient prier, chaque jour, prier pour que je dirige à nouveau le pays ». C’est une façon, de sa part, de dire à la bourgeoisie : « même du point de vue de vos intérêts de classe, je suis la meilleure option. »

Cependant, ce dont la jeunesse et les travailleurs ont besoin, au Brésil, ce n’est pas d’un gouvernement « de gauche » qui s’engage à défendre les intérêts de la classe dirigeante. Ils ont besoin d’un gouvernement qui place à l’ordre du jour l’expropriation des « hommes d’affaires et banquiers » dont parle Lula.  

La section brésilienne de la Tendance Marxiste Internationale a subi une attaque en ligne venant d’un individu anonyme qui tentait de réduire au silence nos idées révolutionnaires. La TMI souhaite témoigner de sa solidarité et de son soutien le plus total aux camarades brésiliens d’Esquerda Marxista et au camarade Johannes Halter, qui a reçu des menaces personnelles et à l’encontre de sa famille. Nous demandons à tous nos lecteurs de soutenir la campagne en écrivant des messages de solidarité à Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser..


Samedi 12 septembre, un pirate informatique a menacé Johannes Halter, le modérateur du profil Instagram d’Esquerda Marxista. Le pirate a menacé de divulguer au groupe qui l’avait engagé dans ce but l’adresse et toutes les données personnelles de Johannes Halter, ainsi que celles des membres de sa famille. D’abord, il a dit avoir été engagé par « quelqu’un », puis a dit « le groupe de personnes qui m’ont engagé », suivi de « nous allons le faire ». Que cet individu soit un pirate criminel impliqué dans du chantage, un mercenaire au service d’un groupe d’extrême droite ou un membre d’un groupe anti-communiste, Esquerda Marxista n’est pas intimidée et cette personne va répondre de ses actes. À la fin de cet article se trouve un lien vers la page Instagram qui a été menacée.

D’après le pirate, celui-ci a été engagé pour faire chanter Johannes Halter afin de le contraindre à désactiver le profil. Le pirate a utilisé le nom de code « Asag » et a appelé depuis un numéro WhatsApp américain, +1(509)587-0987. Le profil Instagram d’Esquerda Marxista reste actif et continue de diffuser des idées révolutionnaires. C’est une nouvelle attaque contre Esquerda Marxista, qui a déjà eu affaire à plusieurs tentatives d’intimidation et de piratage de son site internet.

Esquerda Marxista et ses dirigeants ont déjà subi plusieurs actions en justice, arrestations, et attaques de la police à cause des idées et des actions qu’ils défendent. Ils ont également dû faire face à des menaces contre leurs membres, à des agressions physiques de la part de groupes d’extrême droite au cours de manifestations, et à des attaques informatiques contre les militants et leurs locaux. La Livraria Marxista (librairie marxiste) que la section gère à São Paulo, a déjà été la cible de plusieurs descentes de police, vols et actes de vandalisme.

Ce sont les méthodes typiques des agents de l’Etat, des réactionnaires, des fascistes et de semi-fascistes pour faire avance leur programme et leurs idées. A l’inverse, la méthode de lutte communiste a toujours été de défendre ses idées ouvertement, dans la lutte de masse. Par conséquent, nous appelons toutes les organisations des travailleurs, ainsi que les intellectuels et les militants qui croient aux libertés démocratiques et aux droits de la liberté d’expression et d’organisation, à prendre la parole et à dénoncer cette basse tentative de la vermine réactionnaire, qui n’a eu aucun scrupule à menacer les parents d’un militant.

Ce n’est pas un hasard si cet acte de chantage contre Esquerda Marxista et son journaliste survient alors que le député fédéral Eduardo Bolsonaro (PSL – SP) propose le projet de loi 4425/2020. Cette proposition du fils du président met sur le même plan l’apologie du nazisme et la défense du communisme, et propose la criminalisation égale des deux côtés politiques.

Cette attaque contre Esquerda Marxista est une conséquence de la politique réactionnaire de Jair Bolsonaro, de la clique dégénérée autour de lui, et de ses partisans. Dans le climat actuel, il y a des encouragements permanents à la violence contre la presse, contre des journalistes, et contre le moindre adversaire politique ou parti d’opposition. Ce n’est pas un hasard si, avant même qu’il soit élu, Jair Bolsonaro désignait le communisme comme son principal ennemi.

Nous réitérons notre appel à rejoindre la campagne de dénonciation de cette attaque contre la liberté d’expression et d’organisation. Dénoncez l’attaque, et faites votre possible pour avoir le plus grand impact sur les sites internet, les réseaux sociaux et les forums de discussion !

Plus bas, vous trouverez un audio du maître chanteur.


La page Instagram et la page Facebook d’Esquerda Marxista


 

 

 

 

 

 

 

Au Brésil, le gouvernement de Bolsonaro est fracturé, traversé par des scissions et des crises. La classe dirigeante est désespérément divisée sur la gestion de la pandémie de coronavirus et face à l’effondrement économique auquel le pays est confronté. Article publié le 24 avril 2020 par Esquerda Marxista.


Le dimanche 19 avril, Bolsonaro a participé à une manifestation qui revendiquait une intervention militaire, la fermeture du Congrès, la fin de la distanciation sociale et la réouverture des entreprises et des commerces. Cela a provoqué l’indignation des ministres de la Cour suprême (STF), des représentants du congrès, des sénateurs (dont le président de la chambre des représentants, Rodrigo Maia) du secteur des affaires, des médias et d’autres couches de la bourgeoisie.

Bolsonaro n’a pas seulement assisté à la manifestation. Lors d’un discours, il a déclaré qu’il ne voulait « rien négocier » avec le congrès. Usant de sa démagogie habituelle, il a aussi proclamé : « maintenant le peuple a le pouvoir ». Cet épisode a contribué à accentuer l’isolement du gouvernement ; il s’isole des masses, mais aussi des autres couches de la bourgeoisie.

Les jours suivants, les tensions se sont intensifiées de manière significative. Lorsque des journalistes l’interrogèrent quant à sa participation à la manifestation, Bolsonaro a attaqué la presse, a déclaré qu’il n’avait jamais rien dit allant à l’encontre de la démocratie, et a conclu en paraphrasant Louis XIV : « je suis la constitution ».

Cependant, comme disait Marx, « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire, deux fois (…) la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ». En déclarant « l’Etat c’est moi », le Roi-Soleil parlait du pouvoir de la monarchie absolutiste française et de la force de l’Etat moderne, né sous son règne. Dans le cas de Bolsonaro, c’est le cri de désespoir d’un homme qui a échoué à devenir « le nouveau Bonaparte » – celui qui devait rivaliser avec d’autres institutions (et même ses propres ministres) pour gouverner.

Deux éléments centraux contribuent à l’exacerbation des tensions. Premièrement, le désaccord quant à la manière de faire face à la pandémie de COVID-19 et à ses conséquences sociales et économiques. Deuxièmement, comment faire face à la crise économique elle-même, qui a déjà un impact et approfondira les dommages causés au Brésil.

La pression amène l’exécutif à se confronter directement aux autres pouvoirs de l’Etat. Un bras de fer est engagé pour le contrôle du pays. Ces divergences existaient déjà auparavant. Par exemple, sur la question de la publication des « amendements parlementaires » : après la validation par le congrès de financements pour la réalisation de travaux, la question était de savoir si ceux-ci seraient placés sous le contrôle de l’exécutif ou du congrès lui-même. À côté de cela, il existe plusieurs conflits avec la justice concernant différentes procédures impliquant des membres de l’ancien parti de Bolsonaro – le parti social libéral (PSL) – qui viennent de l’aile du parti qui a rompu avec Bolsonaro et ses enfants, sous accusations de corruption et d’accointance avec la milice. Maintenant, pour le gouvernement, les choses vont de mal en pis.

Bolosonaro critique fortement les mesures de distanciation sociale, même si elles sont loin d’être aussi strictes que dans d’autres pays, comme la Chine, l’Italie ou l’Allemagne. Avec cette rhétorique, il cherche à se dédouaner des conséquences économiques de la crise, mais aussi à s’adresser aux petites et moyennes entreprises et aux commerces de détail. En effet, ceux-ci font faillite à cause des mesures de quarantaine mises en place par les Etats.

Début avril, Bolsonaro a déjà subi une défaite lorsque la Cour suprême a interdit au gouvernement d’aller à l’encontre des décisions prises par les gouverneurs et les maires. Ces derniers mettaient en place des mesures d’isolement social, fermaient les écoles et commerces, afin de lutter contre la propagation du coronavirus.

Au Congrès national, la dernière défaite de Bolsonaro a été le vote d’une aide de 90 milliards de reais, afin d’aider les Etats et les municipalités. L’aide a été préparée par la chambre des représentants contre la volonté du président. Elle consiste en un remboursement d’impôts aux Etats et aux municipalités en raison des mesures de quarantaine et de distanciation sociale.

Cependant, en dépit de certains conflits, le congrès soutient les mesures économiques du gouvernement, les attaques contre les travailleurs, ainsi que les décisions de la banque centrale de faire des « transactions » impliquant des titres pourris sur le marché financier. Cet amendement à la constitution a également autorisé l’octroi de crédits illimités, placés sous le contrôle direct de Bolsonaro, sous prétexte de « lutter contre l’épidémie ». Le problème est que Bolsonaro veut bien plus que cela.

Allant à l’encontre de la constitution, la Cour suprême a validé la mesure provisoire permettant de réduire les salaires en réduisant le temps de travail, ainsi que l’annulation des contrats de travail avec de très faibles allocations chômage. Sur les 33 millions de travailleurs sous contrats, trois millions sont déjà touchés par la mesure, soit 10 % du nombre total de travailleurs. Le nombre de ceux qui ont perdu leur emploi n’est pas encore sorti, mais sera encore plus élevé. Sans surprise, la bourgeoisie fait pression pour que cette mesure se poursuive « après la crise ».

Les Paladins de la démocratie

La bourgeoisie a compris le message de Bolsonaro et s’acharne contre le président depuis dimanche. Dans son éditorial du 23 avril, l’Etat de San Paolo explique son point de vue :

« La démocratie est menacée lorsqu’un président utilise l’audience et l’importance institutionnelle de son poste, afin d’attaquer d’autres pouvoirs, comme Bolsonaro le fait ; elle est menacée lorsque des militants virtuels, certains siégeant au palais Planalto (palais présidentiel), manipulent l’opinion publique avec des mensonges de toutes sortes pour démoraliser l’opposition ; elle est menacée lorsque le président criminalise le système politique, en suggérant que “la volonté du peuple” doit être exclusivement représentée par lui-même et doit être satisfaite sans aucune discussion. »

D’autres journaux, inquiétés par cette « volonté du peuple » citée dans le discours du président, se sont attelés à expliquer que le congrès national en était déjà l’expression. Ce raisonnement, partagé par la quasi-totalité de la presse traditionnelle, exprime une idée centrale : il faut préserver la « démocratie », c’est-à-dire les institutions bourgeoises.

Destitution

La destitution de Bolsonaro a de nouveau fait la une des journaux, accompagnée des préoccupations unanimes des commentateurs concernant son successeur. Personne ne peut imaginer l’allure que prendrait un nouveau gouvernement ni imaginer un remplaçant capable de contrôler la situation. Mais la bourgeoisie n’écarte pas cette possibilité et cette carte pourrait être utilisée si c’est la seule issue pour sauver le système.

Dans cette tâche, la classe dominante a des alliés de poids. Le principal est Luiz Inácio Lula da Silva. Lula, qui encore hier affirmait que ce n’était pas le moment pour le slogan « Fora Bolsonaro » (dehors Bolsonaro), propose désormais non seulement de répondre à l’appel de la bourgeoisie, mais a aussi rejoint l’ancien Président Fernando Henrique Cardoso « sur le podium » le 1er mai pour parler contre Bolsonaro – et pour, bien sûr, défendre la démocratie. La position du Parti des Travailleurs (PT) a changé radicalement. Il cherche maintenant à limiter l’espace pour un mouvement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse en créant une barrière contre l’explosion révolutionnaire que tout le monde prédit. Le message de Lula est franc :

« Nous devons commencer à dire “Fora Bolsonaro”, car nous ne pouvons pas le laisser détruire la démocratie. Les institutions devraient déjà avoir réagi ».

Lula et le (PT) ont repris le slogan « Fora Bolsonaro » par pur opportunisme, car ils cherchent à sauver les institutions – ce que la bourgeoisie veut – mais par une autre méthode supposément plus radicale. Le véritable but de ce traître de la classe ouvrière est d’utiliser son autorité pour canaliser le mécontentement populaire contre Bolsonaro et sauver l’Etat bourgeois. La manœuvre a pour but de créer un « front démocratique », qui – agissant à l’intérieur des institutions actuelles – cherche à destituer le président par la voie parlementaire, sapant la nécessité d’une lutte révolutionnaire.

Les dirigeants actuels de la classe ouvrière se déplacent rapidement vers la droite, et c’est la seule voie qu’ils vont suivre, peu importe à quel point ils semblent « révolutionnaires ».

Le « bon » bourgeois et la classe ouvrière

Au milieu de ces crises, les bourgeois, qui seraient inquiets pour la population, usent du discours qu’il serait temps de penser au pays, à la pandémie, etc. Il nous faut comprendre que cette bourgeoisie plus « rationnelle » ne cherche qu’à se sauver elle-même et, de ce fait, n’est pas à l’abri des pressions du marché.

Des gouverneurs comme João Doria (PSDB) de São Paulo essaient de mettre en place le confinement pour réduire l’impact de la pandémie. Il sait que sa réputation et sa carrière politique sont en jeu. Il sait également que même s’il peut contenir l’inquiétude de la population et minimiser le nombre de décès, beaucoup mourront quand même. Par contre, le capital constant (les machines et équipements) sera conservé, ce qui veut dire que la production pourra reprendre bientôt malgré tout. Doria a présenté son plan pour la reprise des activités commerciales et des petites entreprises. Il a en même temps déclaré qu’il pourrait être nécessaire de retarder cette décision si le nombre de morts augmente.

A l’inverse, dans l’Etat de Santa Catarina, le gouverneur Carlos Moisés (PSL) autorise l’ouverture des centres commerciaux et des autres activités commerciales. Cela va provoquer de grands rassemblements et créer un environnement qui va aider le virus à s’étendre. Le gouverneur du district fédéral a importé des kits de test pour le virus et commence à faire redémarrer la production. A Rio de Janeiro, après avoir annoncé une reprise partielle, le gouverneur a été forcé de reculer à cause du nombre de morts.

La première motivation de toutes ces personnes est de sauver le capitalisme. Ils s’appuient sur les manœuvres du PT et la passivité des directions syndicales, qui ont signé et validé les accords sur les baisses de salaires. Les patrons qui ont été capables d’arrêter la production vont sentir à un certain moment l’impact de l’effondrement de l’économie mondiale et vont devoir redémarrer la production pour survivre. Avec ou sans la pandémie, ils vont essayer de reprendre leurs activités.

La plus grosse inquiétude de cette couche de la classe dirigeante est l’impact politique de cette pandémie. Aucun bourgeois sensé ne veut faire face à la fureur généralisée de ceux qui perdent leur travail, qui perdent de la famille et des amis, ou qui risquent leur vie pour maintenir les profits des patrons. Comme nous l’expliquions dans un autre article :

« Dans ces conditions, la “grippe” de Trump et Bolsonaro – pour ne nommer que deux manifestations politiques de la décadence de la bourgeoisie – pose des problèmes d’une telle ampleur qu’il ne s’agit plus pour la bourgeoisie d’admettre une baisse des profits, mais plutôt d’éviter immédiatement, à n’importe quel prix, une rupture dans l’ordre social à l’échelle nationale et internationale. En plus des morts qui auraient pu être évitées, en plus de la souffrance causée par le chômage qui explose, à moyen et long terme, l’addition sera présentée aux travailleurs. »

Les images des fosses communes creusées à Manaus dans l’Etat d’Amazonas ont marqué profondément la conscience des masses. Ces images rappellent les scènes des camions de l’armée, transportant les morts du coronavirus en Italie ; ou les images des corps jetés dans la rue en Equateur parce que le nombre de victimes de la maladie est supérieur à ce que peuvent supporter non seulement le système de santé, mais aussi les pompes funèbres.

Toute cette souffrance sera imputée au capitalisme, et les patrons le savent.

Moro quitte le gouvernement

Mardi 21 avril, la justice a lancé une nouvelle offensive contre Bolsonaro. Le ministre de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a décidé de donner suite à la demande du procureur de la République, Augusto Aras, d’ouvrir une enquête pour investiguer sur « les faits relatifs aux actes criminels » impliquant l’organisation des événements du dimanche 19 avril. On sait depuis le commencement des enquêtes de la commission parlementaire sur les Fake News que les enfants de Bolsonaro sont directement liés à la création et à la promotion de pages pro-Bolsonaro qui attaquent la justice et le Congrès et qui appellent à des manifestations pro-gouvernementales.

Deux jours plus tard, le ministre de la Cour Suprême, Celso de Mello, a fixé un délai de 10 jours à Rodrigo Maia pour lui soumettre des informations sur une demande de destitution contre Bolsonaro.

Le même jour, le 23 avril, Bolsonaro a décidé de limoger le Directeur général de la police fédérale, Maurício Valeixo, le lieutenant le plus fiable du ministre de la Justice, Sérgio Moro. Le lendemain, Moro, le ministre qui a donné de la légitimité au gouvernement, a démissionné. Les conséquences politiques pourraient être désastreuses pour le gouvernement de Bolsonaro.

L’ancien ministre de la Justice a salué l’autonomie donnée à la police fédérale par les anciens gouvernements de Lula et Dilma. La grande alliance nationale pour la défense de l’Etat de droit démocratique (c’est-à-dire de l’Etat bourgeois) rassemble le PT, le PSDB et même Moro.

La crise mondiale du capitalisme précipitée par la pandémie de coronavirus secoue le monde entier. Il n’y a pas un seul pays qui sortira indemne de cette situation. Pendant que la bourgeoisie est divisée dans ces tentatives de sauver son régime, la classe ouvrière souffre du chômage, de la pauvreté, des morts du Covid-19, etc.

Pendant que les dirigeants de gauche cherchent à semer la confusion et à empêcher les masses de s’organiser elles-mêmes indépendamment de la bourgeoisie, la tâche des marxistes dans la période est précisément d’aider les masses à s’organiser. Pour cela, nous devons nous atteler à la construction des comités d’action Fora Bolsonaro, organiser des meetings en ligne et gagner le maximum de travailleurs radicalisés et de jeunes à la Gauche marxiste. Nous entrons dans une période de révolution et de contre-révolution, pour laquelle la seule issue est la révolution socialiste. Notre tâche est de préparer la direction qui, avec la classe ouvrière, mettra fin au capitalisme.

Jorge Martin, le 29 octobre 2018.


Bolsonaro a remporté le second tour des élections présidentielles brésiliennes avec 55 % des voix, l’emportant sur Haddad – le candidat du Parti des Travailleurs (PT) – qui en a obtenu 45 %. Le moindre espoir d’un miracle de dernière minute a été écrasé. Ce résultat est un revers pour la classe ouvrière et les pauvres. Nous devons comprendre ce qu’il signifie, ce qui a mené à cette situation et quelle stratégie devrait suivre le mouvement ouvrier confronté à ce gouvernement réactionnaire.

Le deuxième tour de la campagne présidentielle a été extrêmement polarisé. Il y a eu une mobilisation de la base d’une partie de la gauche pour tenter de stopper Bolsonaro, et des dizaines de milliers de personnes étaient présentes à de grands rassemblements pour Haddad à Sao Paulo, San Salvador de Bahía, etc. Dans un avant-goût de ce qui attend les Brésiliens sous le gouvernement Bolsonaro, la police, suivant les ordres du tribunal électoral, a mené une grande campagne pour empêcher les meetings publics « contre le fascisme » dans les universités et les locaux syndicaux, en enlevant les drapeaux antifascistes des facs et des campus et même en saisissant les journaux syndicaux. Tout cela a été fait au nom de « l’équité électorale » dans la mesure où ces actions étaient considérées comme de la « propagande électorale » enfreignant la loi. Encouragés par la rhétorique de Bolsonaro, il y a eu des agressions de militants de gauche de la part de petites bandes fascistes, dont le meurtre de Moa do Katendê, un maître de capoeira.

Le mouvement ouvrier doit répondre vigoureusement à ces attaques, notamment par l’organisation de comités d’auto-défense syndicale et des rassemblements étudiants, et rejeter toute forme de censure ou de restriction de la liberté d’expression.

Le Brésil de Bolsonaro : un régime fasciste ?

Cependant, ceux qui aujourd’hui se lamentent de la victoire du « fascisme » au Brésil font erreur. Le fascisme est un régime politique basé sur la mobilisation des masses petites-bourgeoises enragées sous la forme de bandes armées, dans le but d’écraser les organisations de la classe ouvrière. Historiquement, le fascisme est arrivé au pouvoir après que la classe ouvrière a été vaincue lors de plusieurs révolutions manquées à cause de l’absence d’une direction correcte. Sur la base de ces défaites et des opportunités manquées, la démoralisation et les bandes fascistes ont pu écraser les organisations de travailleurs.

Ce n’est pas la situation du Brésil aujourd’hui. Bolsonaro ne s’appuie pas sur des bandes fascistes armées. Il y a en effet des groupuscules fascistes au Brésil, et ils seront encouragés par cette victoire. Ils sont dangereux et doivent être combattus de front. Mais la classe ouvrière brésilienne n’a pas été vaincue ; en fait, elle n’a pas encore commencé à agir de façon significative.

Souvenons-nous que cela fait deux ans que Trump a été élu aux États-Unis. À l’époque, de nombreux commentateurs libéraux et certains à gauche ont aussi parlé de la victoire du fascisme aux États-Unis. Trump est sans le moindre doute un politicien réactionnaire et sa politique représente une attaque contre les travailleurs, les femmes, les homosexuels, les migrants... Mais ce serait une erreur que de décrire la situation américaine comme une dictature fasciste. En réalité, les groupes suprémacistes blancs aux États-Unis qui ont tenté de prendre la rue suite à l’élection de Trump ont trouvé sur leur route des mobilisations de masse qui les ont largement dépassés en nombre. Il y a eu une série de grèves des enseignants très militantes (et victorieuses) dans un grand nombre d’États. Il y a une plus grande polarisation de la société sur la droite, mais aussi sur la gauche.

Ce que nous verrons probablement au Brésil est la continuation d’un processus (qui avait déjà commencé avant l’élection) menant à l’apparition de caractéristiques bonapartistes au sein de l’État. Ç’avait été évident avec l’utilisation d’un juge comme arbitre politique lors de l’opération Lava Jato, dirigée contre Lula, l’emprisonnant et lui interdisant de se présenter aux élections, etc. Mais en même temps, la base pour un régime avec des caractéristiques bonapartistes est très faible, dans les conditions de grave crise économique et avec le discrédit généralisé de tous les partis traditionnels et des institutions de la classe dirigeante.

Resultats election Bresil 2018

Comment cela a-t-il pu se produire ?

Les commentateurs libéraux et certains à gauche sont restés médusés devant le résultat de cette élection. Ils ne parviennent pas à comprendre. Comment est-ce possible ? Un démagogue d’extrême droite a été élu démocratiquement. Comment des millions de personnes ont pu voter pour quelqu’un défendant ouvertement des points de vue si odieux ?

Ils ont recours à toutes sortes d’explications qui n’expliquent rien : c’est la faute des réseaux liés aux églises évangéliques, ou de la campagne de fake news sur WhatsApp. Il en va de même quand la classe dirigeante essaie d’« expliquer » les grèves et les révolutions comme étant le fait d’« agitateurs communistes ». Déjà, dans les années 1990, il y a eu au Brésil une immense campagne de propagande contre Lula : « ce n’est qu’un métallo sans expérience ni la moindre qualification », « c’est un communiste », « il n’a même pas de diplôme universitaire ». Cela, cependant, ne l’a pas empêché de finalement remporter l’élection, avec 61 % des voix.

En Grande-Bretagne, nous avons vu une campagne sans précédent de diabolisation de Jeremy Corbyn où l’ensemble de l’establishment a lancé les accusations les plus invraisemblables et outrageantes contre lui (il serait antisémite, un ami du Hamas, un amoureux du terrorisme, une marionnette de Poutine, etc.). Rien de tout ça n’a vraiment eu d’impact. Au contraire, il a gagné en soutien sur la base de son programme de renationalisation, d’éducation gratuite, de logement pour tous...

Dans les faits, la victoire de Bolsonaro est un produit de la crise prolongée du Parti des Travailleurs (PT). Quand Lula a été élu pour la première fois en 2002, il a été investi sous la forme d’une alliance avec les partis bourgeois. Il a nommé Meirelles, un banquier venu des États-Unis, comme président de la Banque Centrale, respecté les accords avec le FMI et mené une politique d’austérité fiscale. Il a aussi porté une contre-réforme sur le système des retraites. Ce n’est pas le lieu de faire un bilan complet de son gouvernement, mais il suffit de dire qu’il n’a représenté aucun défi fondamental pour le pouvoir de l’impérialisme ni pour la classe dirigeante brésilienne. Cependant, il a pu profiter de la stabilité relative découlant d’une période de croissance économique.

Quand Dilma Rousseff a été élue en 2010, la situation avait déjà commencé à changer. Sa politique était similaire à celle initiée par Lula, mais un pas plus à droite. Son collaborateur était le politicien bourgeois Michel Temer. Elle a nommé le chef des propriétaires terriens et des éleveurs son ministre de l’Agriculture et un agent officiel du FMI son ministre des Finances. La différence principale était qu’elle a dû faire face à une crise économique et pas à la croissance. Suivant le ralentissement de l’économie chinoise, l’économie brésilienne est entrée dans une récession sérieuse entre 2014 et 2016, dont elle ne s’est toujours pas remise.

Destitution dilma rousseffDéjà, en 2013, il y avait eu des manifestations massives de la jeunesse contre l’augmentation des frais de transport, auxquelles les gouverneurs régionaux ont répondu par une brutale répression, qui avait reçu le soutien total du gouvernement national. Le mouvement de juin 2013 a reflété l’opposition globale faite à l’ensemble de l’establishment par une couche croissante de la jeunesse, mais aussi des travailleurs. Le PT, qui était au pouvoir depuis plus d’une décennie, était perçu comme une part de cet establishment contre lequel la jeunesse se dressait. Plutôt que de changer sa politique, Dilma annonça un ensemble de privatisations et de mesures d’austérité. Les manifestations de 2013 ont été suivies par des manifestations de masse en 2014 contre les Jeux Olympiques, elles aussi réprimées violemment. Afin de gérer ces manifestations, le gouvernement Dilma introduit une série de lois (sur les organisations criminelles, l’anti-terrorisme...) qui ont drastiquement réduit le droit de protester et de manifester.

L’élection de 2014 et la destitution de Dilma

L’élection de 2014 a marqué un tournant dans ce processus. Dilma a fait en sorte de l’emporter au second tour en s’appuyant sur la mobilisation du vote PT de la classe ouvrière, sur la base de la lutte contre la politique droitière du candidat bourgeois, Aécio Neves. Cependant, elle a trahi ses propres électeurs en s’appliquant ensuite à mettre en œuvre la politique que Neves défendait : l’austérité, des coupes budgétaires, des privatisations et des attaques contre les droits des travailleurs.

Son taux de popularité qui avait dépassé 60 % en 2012-2013 s’effondra à 8 % en 2015 – le plus bas parmi tous les présidents depuis la restauration de la démocratie. C’est à ce moment, constatant sa faiblesse, que les politiciens bourgeois de son gouvernement commencèrent à entreprendre de la retirer du pouvoir par sa destitution.

Lula Manifestation IncarcerationEnsuite, quand ils virent le danger que représentait Lula devenant candidat et remportant les élections (étant donné que beaucoup de gens se souvenaient de lui comme ayant dirigé dans une période de croissance, sans compter son lien avec les traditions historiques, révolutionnaires, du PT), la justice est intervenue contre lui avec une accusation de corruption. Il a été déclaré coupable, bien qu’aucune preuve véritable n’ait été produite en faveur du crime dont on l’accusait. Ils ont ensuite étendu plus loin les limites de leur propre capacité à rendre justice en l’empêchant de se présenter. Même à ce moment, cependant, alors que Lula était en tête dans les sondages, il y avait plus de gens pour dire qu’ils ne voteraient pour personne plutôt que pour lui, révélant un dégoût global du système politique dans son ensemble.

On peut donc dire, par conséquent, que le bilan des gouvernements PT – reposant sur le vote du prolétariat pour rester au pouvoir et la mise en place d’une politique capitaliste en alliance avec les partis bourgeois – a détruit la réputation du parti et brisé une grande partie de ses liens avec la classe ouvrière organisée, pavant la voie pour la victoire de Bolsonaro. Même quand les politiciens bourgeois étaient occupés à retirer Dilma du pouvoir, le PT et les syndicats n’ont pas organisé la moindre défense sérieuse. Il y eut des rassemblements et des manifestations, beaucoup de menaces, mais aucune campagne sérieuse de mobilisation croissante et soutenue.

La situation a empiré quand l’impopulaire gouvernement Temer a continué et intensifié les attaques contre la classe ouvrière. Il y eut d’immenses rassemblements « Fuera Temer » (Dehors Temer) et finalement une grève générale en avril 2017. Les travailleurs brésiliens et la jeunesse ont montré qu’ils étaient prêts à se battre, mais leurs dirigeants n’ont pas mené ni encouragé cette lutte, et de fait, tout le potentiel d’une riposte s’est dissipé.

Bien sûr, Bolsonaro s’est intelligemment servi des réseaux sociaux et des réseaux des églises évangéliques pour diffuser son message, un mélange de mensonges, de demi-vérités, d’une haine hystérique du « communisme du PT » et un appel à « rendre à nouveau le Brésil grand ». Ces méthodes, ceci dit, n’ont eu un tel impact qu’à cause de la politique désastreuse du PT et de son bilan de gouvernement.

Il y avait, bien sûr, d’autres facteurs, tels que la terrifiante crise économique au Venezuela (qui est en dernière analyse le résultat de la tentative de réguler le capitalisme plutôt que de l’abolir), qui a été utilisé efficacement contre le PT (dont les leaders n’avaient en premier lieu jamais vraiment soutenu la révolution bolivarienne).

« Défense de la démocratie » ?

La politique et la stratégie de Haddad au second tour étaient suicidaires. Pendant que Bolsonaro faisait des gestes – tels que promettre un supplément de Noël aux bénéficiaires de la Bolsa Familia, une prestation sociale – pour récupérer les électeurs les plus pauvres qui avaient soutenu le PT au premier tour, Haddad a accompli un virage à droite, dans une vaine tentative de capter le prétendu électorat du centre. Au premier tour, il s’était présenté comme le candidat de Lula, et le visage de ce dernier était largement incorporé à tout le matériel de propagande électorale. Au second tour, Lula a été enlevé des photographies et le rouge du parti remplacé par les couleurs du drapeau national.

Confronté à un candidat « anti-establishment », comme se présentait Bolsonaro lui-même, Haddad pensait pouvoir le vaincre en étant le candidat… de l’establishment ! Il se présentait comme le candidat de la démocratie, enjoignant à l’unité de tous les démocrates (y compris les mêmes partis bourgeois qui avaient poignardé Dilma dans le dos). La seule façon dont il aurait pu récupérer sa base perdue aurait été de mettre en place une campagne sérieuse dénonçant le programme économique de Bolsonaro (privatisations, attaques contre les retraites et autres) et de proposer comme alternative la lutte pour défendre les droits et la condition de la classe ouvrière avec une ligne anti-capitaliste claire. À la place, nous avons eu des appels abstraits à « défendre la démocratie » au dialogue et à la compréhension, et à « renforcer la Constitution ».

Il y avait déjà un taux d’abstention très élevé au premier tour : 20,3 % dans un pays où le vote est obligatoire, le plus haut taux depuis 1998. Au second tour, il était encore plus élevé, 21,3 % (31 millions), avec en plus 9,5 % (11 millions) qui ont voté blanc ou se sont abstenus, ce qui révèle qu’une couche significative de l’électorat rejette Bolsonaro mais ne pouvait non plus se résoudre à voter pour Haddad.

La politique économique de Bolsonaro

Les commentateurs capitalistes se réjouissent de la victoire de Bolsonaro et l’encouragent à mener à bien son programme électoral de privatisations à grande échelle et d’une contre-réforme totale du système des retraites.

« Les marchés ont nourri l’espoir que Mr Bolsonaro tienne ses promesses de réforme économique, particulièrement la révision du coûteux système des retraites brésilien et la privatisation des entreprises nationalisées » disait le Financial Times (29/10/2018). Il ajoute à cela la citation d’une note de Goldman Sachs : « En dernière instance, l’administration est confrontée au défi, à travers la combinaison d’une politique disciplinée et de réformes structurelles, d’accélérer l’ajustement fiscal et de dynamiser l’esprit animal et entrepreneurial, pour finalement libérer le potentiel piégé significatif de l’économie. »

La classe dirigeante juge tous les gouvernements selon une seule règle simple : jusqu’où celui-ci peut porter ses intérêts de classe.

Un tournant important aura lieu quand Bolsonaro tentera de mettre en place son programme, dirigé par l’économiste ultra-libéral « Chicago boy » Paulo Guedes, et qu’il fera face à la résistance organisée de la classe ouvrière, qui n’a pas été vaincue. Comme pour le gouvernement Macri en Argentine, Bolsonaro sera confronté à une vague d’actions syndicales, de mobilisations massives et de grèves générales contre sa politique économique. Qui plus est, sa position n’est pas aussi forte qu’il n’y paraît, car il doit faire passer sa législation par un parlement extrêmement fragmenté où il y a 30 partis différents avec lesquels il devra faire des compromis.

La tâche désormais n’est pas de s’abandonner au désespoir mais plutôt de se préparer pour les batailles à venir. Ce qu’il nous faut en premier lieu est une compréhension claire de comment nous en sommes arrivés là, afin que puisse débuter le processus de reconstruction d’un mouvement combatif de la classe ouvrière.

Il y a aussi des leçons plus générales à tirer de l’expérience brésilienne. Les gouvernements de gauche menant une politique de droite ne feront que préparer le terrain à une victoire de la réaction. On ne peut pas combattre l’extrême droite en appelant à la défense d’un système pris dans la crise du capitalisme et qui l’a lui-même engendrée.

Lula Da Silva, président de la République brésilienne entre 2003 et 2011, a été condamné en appel à 12 ans de prison pour « corruption », sans preuve. Le 4 avril dernier, la Cour suprême rejetait sa demande d’habeas corpus, c’est-à-dire son droit constitutionnel de ne pas être emprisonné sans jugement définitif. Trois jours plus tard, Lula était incarcéré.

Procès politique

La Constitution brésilienne dispose que « personne ne peut être déclaré coupable avant qu’une condamnation définitive ne soit prononcée ». Lula devrait donc être libre, puisque ses voies de recours ne sont pas toutes épuisées. Le texte est clair, mais les juges ne l’entendent pas ainsi. Ce n’est pas étonnant : cette affaire n’est pas seulement juridique, mais surtout politique.

Le système judiciaire n’a rien d’impartial. Il est au service de la classe dirigeante ; il est aussi notoirement corrompu, au Brésil. En 2012, déjà, une vaste campagne avait été menée pour criminaliser le Parti des Travailleurs (PT). Des dirigeants du PT ont été emprisonnés, sans preuve, dans le but de démoraliser et criminaliser la lutte des salariés. A l’époque, la section brésilienne de notre Internationale (la Gauche marxiste) avait participé à la résistance et défendu l’idée d’un front uni contre la criminalisation du mouvement ouvrier. Mais Luis Inàcio Lula et Dilma Roussef avaient choisi de ne rien faire. Ils ont laissé des dirigeants du PT se faire arrêter, sans y opposer de résistance.

Offensive bourgeoise

Officiellement, Lula est victime de l’opération « Lava Jato » (« lavage express »), qui vise à « nettoyer » – en apparence – un système politique pourri, dans le but de le sauver du discrédit et de la colère populaires. Les arrestations surmédiatisées de politiciens et d’hommes d’affaires veulent donner l’impression que « la loi est la même pour tous », que « les puissants aussi vont en prison ».

Dans le cas de l’incarcération de Lula, l’objectif politique est très clair. Ancien ouvrier métallurgiste, syndicaliste et fondateur du PT, Lula est toujours très populaire. L’emprisonner est un moyen de l’éliminer de l’élection présidentielle d’octobre 2018, dont il est – de très loin – le favori.

Lorsque Luiz Inàcio Lula, puis Dilma Rousseff (PT) ont dirigé le pays, ils ont mené une politique conforme aux intérêts de la bourgeoisie brésilienne. Mais celle-ci, justement, a choisi de mettre un terme à l’ère de la collaboration de classe avec le PT. Il est en effet devenu clair, pour la classe dirigeante, que le PT n’est plus capable de contrôler les masses. La profonde crise du capitalisme pousse donc la bourgeoisie à prendre elle-même les rênes de l’appareil d’Etat, dans le but d’attaquer durement la classe ouvrière.

C’est dans ce même sens que va la multiplication des violences de l’extrême-droite contre les militants de gauche, mais aussi les menaces venant d’une fraction de l’armée. Juste avant le procès de Lula, le général Eduardo Villas Bôa a déclaré qu’il ne « tolérerait pas l’impunité » et que l’armée brésilienne « porte une attention particulière à ses missions institutionnelles ». C’était une menace ouverte de coup d’Etat militaire – si Lula n’était pas emprisonné.

Pour un front uni des travailleurs

La TMI et sa section brésilienne s’opposent fermement à la condamnation et à l’incarcération de Lula. Nous défendons son droit à être candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2018. Pour autant, cela ne nous oblige en rien à soutenir la direction du PT. Lorsque le PT était au pouvoir, il a attaqué les droits des travailleurs et a capitulé face à la bourgeoisie et à l’impérialisme. Un nouveau gouvernement du PT, en octobre 2018, n’apporterait rien de nouveau.

Nous soutenons le candidat du PSOL (Parti socialisme et liberté). Nous nous opposons à l’idée d’un « front pour la démocratie », c’est-à-dire à une alliance électorale conclue entre des partis ouvriers (PT, PSOL) et des partis bourgeois. Une telle « alliance » mènerait forcément une politique pro-patronale !

Le front uni des travailleurs dont nous avons besoin ne doit pas défendre la politique et le bilan des dirigeants du PT. Il doit unir les organisations ouvrières qui veulent rompre avec l’austérité. Il doit s’opposer fermement au système judiciaire corrompu, à l’emprisonnement de Lula et aux attaques contre les libertés démocratiques.

Face à la situation économique et politique, la colère des masses ne cesse d’augmenter. Le chômage reste élevé, les salaires diminuent. Tout cela entraîne des mobilisations de nombreux secteurs du salariat et de la jeunesse. Les révoltes, grèves et manifestations se multiplient dans tout le Brésil. Pour repousser l’offensive actuelle de la classe dirigeante et du gouvernement Temer, qui vise à affaiblir et démoraliser la classe ouvrière brésilienne, il faut commencer par refuser toute nouvelle forme de collaboration de classe. Il faut construire une alternative politique de gauche qui défend réellement les intérêts des travailleurs – et qui les mènera au pouvoir.

L’année 2018 a commencé sur fond de luttes sociales massives dans le monde. D’immenses manifestations ont eu lieu en Iran, remettant en cause la République islamique. En Tunisie, la jeunesse s’est mobilisée contre le chômage et l’austérité. Ces mouvements sociaux illustrent bien la grande instabilité politique qui touche tous les pays.

Au Brésil, la crise du capitalisme s’aggrave. La bourgeoisie brésilienne n’a pas d’autre choix que d’intensifier ses attaques contre les conditions de vie déjà très dures de la majorité des travailleurs. Le taux de chômage, officiellement de 12 %, est en réalité bien plus élevé ; les services publics se dégradent ; les salaires baissent et la violence policière est permanente dans les quartiers populaires. Les travailleurs brésiliens ne supporteront pas cette situation indéfiniment. Début 2017, le Brésil a connu la plus grande grève générale de son histoire, qui n’a été stoppée que par la trahison de la direction du mouvement, effrayée à l’idée d’une confrontation ouverte avec la bourgeoisie.

Lula et le PT

Le gouvernement Temer, ouvertement corrompu, est très impopulaire, et les institutions sont décrédibilisées. Les élections présidentielles d’octobre 2018 approchent, mais la bourgeoisie n’a pas encore trouvé son candidat, alors que les sondages montrent que l’ex-président Lula est toujours populaire. Mais cela ne signifie pas que le Parti des Travailleurs (PT) a regagné la confiance des travailleurs brésiliens, perdue pendant les nombreuses années de politiques d’austérité menées par des gouvernements du PT. Cette popularité est une réponse des travailleurs contre l’offensive générale de la droite. Aujourd’hui, Lula et le PT gardent la même ligne politique réformiste que lorsqu’ils étaient au pouvoir. S’ils reviennent au gouvernement, ils continueront à appliquer servilement la politique que le patronat leur dictera. Cependant, la bourgeoisie veut continuer à gouverner directement, et cherche donc à écraser Lula, en utilisant le système judiciaire pour l’empêcher de se présenter aux élections. Ce faisant, elle pren  d le risque de provoquer les travailleurs.

En finir avec le réformisme

L’année 2018 s’annonce riche en mouvements sociaux et en mobilisations pour les travailleurs du Brésil. Quelle que soit l’issue des élections présidentielles, les révolutionnaires doivent participer aux luttes aux côtés des travailleurs et des jeunes Brésiliens, élever leur niveau de conscience et construire une organisation révolutionnaire. C’est le seul moyen de résoudre la crise de la direction du mouvement social brésilien. C’est le combat d’Esquerda Marxista, notre section brésilienne.

Le président brésilien, Michel Temer, est impliqué dans une affaire de « corruption passive » qui lui aurait rapporté 135 000 euros. Cependant, la demande de mise en accusation vient d’être rejetée par le Parlement. Les mêmes députés avaient approuvé la destitution de l’ex-présidente Dilma Roussef (PT) en 2016. Ainsi fonctionne la « justice » capitaliste. La priorité du patronat brésilien est de lancer des contre-réformes drastiques. C’est la mission de Temer ; il fallait donc le maintenir à son poste.

Nous ne défendons pas la politique menée par les gouvernements de Lula et Dilma, entre 2003 et 2016. Ils ont capitulé face aux exigences de la bourgeoisie brésilienne. Le PT vient d’élire une nouvelle direction, mais sa politique n’a pas changé. Ce parti se refuse toujours à la moindre autocritique des gouvernements Lula et Dilma – et se contente d’une timide bataille institutionnelle contre le putschiste Temer. Mais il est significatif que, malgré cela, la classe dirigeante brésilienne fasse tout pour empêcher Lula de se présenter à la prochaine élection présidentielle (octobre 2018).

En juillet, Lula a été condamné à neuf ans de prison pour corruption et blanchiment d’argent. Une confirmation de cette condamnation en appel invaliderait sa candidature à la présidentielle. Là encore, la « justice » brésilienne joue un rôle directement politique. Son problème n’est pas la corruption de Lula, mais le fait qu’il conserve une certaine popularité dans les masses – et pourrait bien remporter l’élection, s’il peut se présenter. A l’inverse, s’il en est empêché, cela pourrait précipiter une explosion sociale.

Néanmoins, après des années de trahison, le PT demeure profondément discrédité. L’opposition au gouvernement Temer se construit surtout dans la rue et dans les luttes, comme on l’a vu lors de la puissante grève générale d’avril dernier, qui a impliqué 35 millions de salariés. Depuis 2013, un processus de radicalisation a pénétré toute la société – en particulier la jeunesse, qui est en première ligne des mobilisations. Cela pourrait aboutir à une cristallisation politique autour du PSOL (Parti pour le socialisme et la liberté), qui est plus à gauche que le PT. Nos camarades d’Esquerda marxista (« Gauche marxiste ») et son organisation de jeunesse Liberdade e Luta (« Liberté et lutte ») constituent une tendance officielle du PSOL. Ils y développent un programme marxiste qui, dans le contexte actuel, rencontre un écho croissant.

Le vendredi 28 avril, les travailleurs et les syndicats brésiliens ont organisé avec succès la première grève générale depuis plus de deux décennies. Il s’agissait de protester contre les mesures d’austérité, en particulier contre la réduction drastique des pensions de retraite effectuées par le gouvernement corrompu de Temer.

Les travailleurs se sont mis en grève par millions et ont manifesté dans les grandes villes du Brésil. La grève générale a touché presque tous les secteurs de la classe ouvrière brésilienne : des travailleurs municipaux à ceux des transports publics, des taxis, des banques, des postes, des écoles aux universités et à l’industrie métallurgique...

Les routes, chemins de fer et aéroports étaient bloqués dans les grandes villes comme Sao Paulo, qui semblait littéralement paralysée. A Brasilia une foule en colère a tenté de marcher vers la maison du président Temer, mais a été arrêtée par la police à coups de flashballs et de grenades assourdissantes. La classe dirigeante brésilienne a cherché à multiplier les affrontements violents pour empêcher la contestation de s’étendre. La police brésilienne, connue pour sa férocité, a violemment attaqué les cortèges.

Cette répression n’a pas entamé la détermination des manifestants, qui ont défilé aux cris de « Dehors Temer et le Congrès National [1] ! ». Le journal Brasil de Fato a dénombré 35 millions de grévistes, ce qui en ferait la plus grande grève de l’histoire du Brésil.

Illégitimité et corruption

Temer cherche à relativiser ce succès, arguant que la grève ne serait le fait que de « petits groupes » et a promis qu’il poursuivrait sa politique d’austérité. Rien d’étonnant à cela. Mais en réalité la grève générale vient affaiblir davantage un gouvernement déjà très discrédité, dont le soutien s’est effondré à un maigre 10 % selon les sondages.

Il apparaît de manière toujours plus évidente que Temer et sa caste de politiciens corrompus défendent les seuls intérêts du capitalisme brésilien. Or celui-ci subit la crise mondiale, en particulier suite à la baisse de la demande en matières premières de la Chine et des pays développés. Les quelques réformes progressistes du passé sont désormais intolérables pour les capitalistes brésiliens qui réclament des attaques brutales contre les droits et le niveau de vie des travailleurs pour mieux défendre leurs propres profits et privilèges.

Un secteur de la classe dirigeante a choisi d’organiser la destitution parlementaire de Dilma et rompre avec le PT, malgré sa servilité, en raison de ses liens historiques avec la classe ouvrière. Cependant, le caractère illégitime de cette manœuvre a sauté aux yeux des masses, et fait tomber le masque de démocratie bourgeoise qui cache de plus en plus mal la dictature du capital.

Les révélations sur la corruption généralisée ont aggravé le discrédit du gouvernement aux yeux des masses. Une enquête a ainsi mis au jour un réseau de blanchiment d’argent et de corruption lié à l’entreprise publique Petrobras et à un certain nombre de politiciens. Les scandales ne touchent plus seulement le PT mais s’étendent à tous les partis politiques. La gangrène de l’État brésilien est claire pour tout le monde.

Lutte de classe

Dans le même temps, il est impossible de maintenir une vie décente pour la majorité des travailleurs et des pauvres. La moitié de la population brésilienne, soit plus de 100 millions de personnes, reçoit un salaire annuel inférieur à 4000 dollars. La récession, depuis deux ans, a fait grimper le taux de chômage à 15 %. Ce contexte explique le succès de la grève générale, après les grèves « sauvages » de certains secteurs ces derniers mois. Cela reflète la radicalisation qui s’est produite dans la classe ouvrière et montre que les travailleurs commencent à prendre les choses en main, face à la corruption et à l’absence de perspective.

En paralysant les grandes villes, la grève générale a aussi démontré le rôle fondamental de la classe ouvrière dans la société et exposé son potentiel révolutionnaire. La réorganisation de la société par les travailleurs eux-mêmes – le socialisme – est la seule perspective viable pour arrêter la régression permanente imposée par le capitalisme en crise.

Ces idées sont celles que nos camarades d’Esquerda marxista (« Gauche marxiste »), la section brésilienne de la TMI, ont défendues au sein du mouvement – comme à Joinville –, où ils ont organisé plus de 7000 manifestants en collaboration avec un syndicat local (Sinsej). Les mouvements de jeunesse socialistes comme Liberdade e Luta (« Liberté et lutte »), promu par nos camarades, connaissent aussi un succès croissant. C’est une anticipation de la période à venir, qui verra des couches toujours plus larges de la classe ouvrière s’investir dans la lutte de classes et ouvrir une époque de bouleversements révolutionnaires au Brésil.


[1] Le Congrès national est le nom du parlement brésilien, formé du sénat fédéral et de la chambre des députés.