Afghanistan

La chute de Kaboul aux mains des talibans a marqué la fin d’une des plus longues guerres impérialistes de l’histoire. Pour nombre d’Afghans, ce fut aussi le signal d’une course effrénée pour tenter de fuir le régime barbare instauré par les nouveaux maîtres de Kaboul. Abandonnés par les puissances impérialistes, des milliers de personnes se sont ruées vers l’aéroport, où les troupes occidentales évacuaient leurs propres citoyens – et quelques Afghans sélectionnés avec soin.

Hypocrisie des impérialistes

Les réactions officielles des impérialistes ont été unanimes : la chute de Kaboul est « une tragédie ». Macron, lui, a aussi exprimé tout haut ce que d’autres dirigeants impérialistes pensent tout bas. Il a appelé l’Europe à « anticiper et [se] protéger contre les flux migratoires irréguliers importants » que la situation en Afghanistan va entraîner.

Quant au retour au pouvoir des talibans, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a commencé à en relativiser la gravité. Dès le 17 août, il expliquait qu’il ne fallait pas juger les talibans sur leur passé, mais sur leurs actes à venir, et notamment sur la création – ou non – d’un gouvernement « inclusif »

A l’époque où Le Drian était ministre de la Défense (de 2012 à 2017), il présentait les talibans comme les pires ennemis de la civilisation : il lui fallait alors justifier la guerre menée par l’OTAN en Afghanistan. Aujourd’hui que cette guerre est perdue, Le Drian se montre ouvert au « dialogue » avec les ennemis d’hier. Après avoir subi les guerres impérialistes pendant des décennies, les femmes, les travailleurs et les pauvres d’Afghanistan sont aujourd’hui abandonnés par ceux qui prétendaient, en 2001, vouloir leur apporter la « démocratie » et les « Droits de l’Homme ».

La révolution de Saur et le « Djihad du Dollar »

L’Afghanistan est souvent présenté comme une sorte de trou noir de la civilisation, irrémédiablement arriéré et dominé par les rivalités claniques ou ethniques. Or, s’il est vrai que l’Afghanistan est aujourd’hui dominé par des cliques archi-réactionnaires, la faute en revient d’abord aux grandes puissances impérialistes.

En avril 1978, la dictature conservatrice de Mohammed Daoud Khan était renversée par un soulèvement de jeunes officiers membres du Parti communiste afghan. Le nouveau régime instauré par cette « Révolution de Saur » [1] met en place une série de réformes progressistes. Une réforme agraire commence à confisquer les terres des grands propriétaires terriens pour les distribuer aux paysans pauvres ; la vente des petites filles et les mariages forcés sont interdits ; l’éducation primaire devient obligatoire pour les filles.

Cependant, ce régime est d’inspiration stalinienne : la révolution s’effectue « d’en haut » – et le Parti communiste, comme le gouvernement, se comportent de façon bureaucratique. Tous deux sont d’ailleurs traversés de violentes luttes de fractions, qui débouchent parfois sur des assassinats. Reste que les réformes progressistes suscitent l’adhésion d’une large couche de la population urbaine, mais aussi d’une partie des paysans pauvres.

Les grands propriétaires terriens et le clergé réactionnaire résistent avec acharnement. Une guérilla contre-révolutionnaire (les moudjahidin) harcèle le gouvernement de Kaboul. Dès l’été 1979, elle reçoit une aide importante des impérialistes. Avec l’appui d’autres puissances occidentales (dont la France), les Etats-Unis mettent en place un programme de soutien massif à la guérilla islamiste. Des camps d’entraînement gérés par la CIA sont organisés au Pakistan. Des mercenaires islamistes – dont un certain Oussama Ben Laden – sont recrutés par le gouvernement pro-américain d’Arabie Saoudite. La CIA imprime des « abécédaires djihadistes » pour les distribuer aux enfants afghans. Ce « Djihad du Dollar » ne va cesser de monter en puissance grâce à l’aide impérialiste.

Tout ceci s’accompagne d’une vaste campagne de propagande à laquelle s’associe, lamentablement, la gauche réformiste. Bernard-Henri Levy visite des maquis djihadistes, qu’il décrit comme des havres de paix et de liberté. Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) écrit même des livres pour défendre les moudjahidin contre les accusations de sexisme – absolument fondées – dont ils sont la cible.

L’intervention soviétique et le premier régime taliban

A Moscou, la bureaucratie stalinienne panique : elle redoute que les chefs de Kaboul ne perdent le contrôle de la situation et que la crise ne s’étende aux Républiques soviétiques d’Asie centrale. L’armée soviétique envahit l’Afghanistan en décembre 1979. Le président, Hafizullah Amin, est assassiné et remplacé par un stalinien plus fidèle à Moscou.

Dix ans plus tard, la crise générale du régime stalinien, en URSS, pousse Moscou à jeter l’éponge : les troupes soviétiques se retirent du pays en 1989. L’aide américaine s’étant tarie, les moudjahidin échouent cependant à renverser le régime, qui bénéficie toujours d’un certain soutien populaire. Il est néanmoins de plus en plus isolé après la chute de l’URSS (1991). En 1992, il finit par tomber face à une nouvelle offensive de la rébellion islamiste.

A peine rentrés dans la capitale, les moudjahidin se déchirent et une nouvelle guerre civile éclate entre les fractions islamistes rivales. Le nouveau régime trouve quand même le temps d’abolir la plupart des réformes progressistes conquises par la révolution de Saur, notamment en matière de droits des femmes. Et c’est finalement la faction la plus intégriste – les talibans – qui l’emporte en 1996, grâce au soutien des généraux pakistanais.

Ces anciens « combattants de la liberté » instaurent une dictature barbare : dans leur « Emirat islamique d’Afghanistan », les femmes sont cloîtrées, la musique et les cerfs-volants (entre autres) sont interdits, les minorités religieuses sont persécutées, les athées et les homosexuels sont massacrés. Tout ceci ne les empêche pas de conclure des accords commerciaux avec le gouvernement américain. Néanmoins, leurs rapports avec Washington se dégradent après avoir accueilli, en Afghanistan, Oussama Ben Laden et d’autres vétérans du « Djihad du Dollar » reconvertis dans la lutte contre leur ancien protecteur américain.

L’invasion impérialiste de 2001

Après les attentats contre les Twin Towers, le 11 septembre 2001, Bush, Chirac et Blair déclarent la soi-disant « guerre contre le terrorisme », contre Ben Laden et ses protecteurs talibans. Au passage, l’invasion de l’Afghanistan par les armées de l’OTAN vise à instaurer un régime favorable aux Etats-Unis dans ce pays clé d’Asie centrale. En décembre 2001, les talibans sont chassés de Kaboul et une coalition hétéroclite d’ex-moudjahidin est placée au pouvoir par les troupes occidentales. Les talibans prennent le maquis et entament une longue campagne de guérilla contre les troupes de l’OTAN, qui ne parviendront jamais à contrôler l’ensemble du pays.

Il faut dire que le nouveau régime de Kaboul est particulièrement corrompu et réactionnaire. Il est presque uniquement composé de technocrates expatriés, de seigneurs de guerre et de chefs traditionnels, tous prêts à vendre leur pays au plus offrant. Comme nous l’écrivions en 2001, « aucune quantité d’aide américaine ne sera suffisante pour stabiliser la situation. Réduit à l’état de ruine, l’Afghanistan est un puits sans fond dans lequel des milliards de dollars seront versés sans aucun résultat. En outre, puisque le gouvernement “large” contient des groupes et des individus très différents, tous tendront la main pour exiger leur part du gâteau. Rien de tout cela ne bénéficiera aux pauvres d’Afghanistan, qui apprendront vite à haïr le gouvernement et ses protecteurs étrangers » [2].

La guerre est extrêmement meurtrière et parsemée de crimes infâmes. Des hôpitaux et des habitations civiles sont régulièrement bombardés par l’aviation impérialiste. Des soldats de l’OTAN tuent des civils au hasard, « pour s’amuser ». Malgré une débauche d’argent et des centaines de milliers de morts, la coalition impérialiste se révèle incapable d’enrayer la progression des talibans. A partir de 2010, ces derniers prennent le contrôle de districts entiers du pays.

Dans l’impasse, Washington décide – à partir de 2014 – d’engager le retrait des troupes occidentales en vue d’abandonner la suite des opérations aux seules troupes afghanes. Peu motivées, celles-ci subissent des pertes énormes sans parvenir à ralentir la progression des talibans. Finalement, Trump décide de jeter l’éponge et de mettre fin à la plus longue guerre de l’histoire des Etats-Unis. Privé de l’appui direct des troupes américaines et dépourvu de tout soutien populaire, le régime s’effondre en août dernier. Les talibans reprennent le pouvoir.

Quelle résistance ?

Après cette débâcle, les puissances impérialistes essaient de préserver leurs intérêts, sur le dos du peuple afghan, notamment en gardant la porte ouverte à des accords commerciaux avec le nouveau régime. Le Drian n’est pas le seul à tenter de présenter les talibans sous un jour positif. Une réunion officielle des ministres de l’OTAN a réclamé, elle aussi, un gouvernement « inclusif ». Que les talibans intègrent dans leur gouvernement quelques séides du précédent régime – et les chancelleries occidentales pourront proclamer que les talibans « ont changé » !

En réalité, la progression des talibans a été ponctuée de massacres. Selon plusieurs témoignages, de nombreuses adolescentes ont été enlevées et mariées de force. Des jeunes ont été tués parce qu’ils avaient des tatouages. Des membres de la minorité chiite des Hazaras ont été massacrés comme « infidèles ». Le nouvel « Emirat Islamique » ne sera pas plus débonnaire que l’ancien. Il s’agira d’une dictature barbare et obscurantiste.

Face à cela, comment le peuple afghan peut-il résister ? Le 16 août, le journal de Bernard-Henri Levy, La Règle du jeu, a publié un appel solennel à la résistance, signé du fils du moudjahidin Massoud et inspiré par Amrullah Saleh, l’ex-vice-président du pays. Cet appel parle d’un combat « sans retour » et affirme que ses signataires ne céderont « jamais » face aux talibans. Pourtant, dès le lendemain, Saleh s’est déclaré prêt à « cesser le combat » (qu’il n’avait pas vraiment commencé) à condition que les talibans fassent preuve d’ouverture sur la « forme de l’Etat » et la composition du gouvernement. Massoud a fait de même. Privés de toute perspective d’aide militaire étrangère, ces « combattants de la liberté » semblent donc privilégier l’hypothèse d’un gouvernement « inclusif ».

Le peuple afghan ne doit rien attendre des puissances impérialistes qui ont ravagé le pays avant de l’abandonner à des hordes réactionnaires. Il ne doit compter que sur ses propres forces. Dès le 18 août, des manifestations éclataient à Jalalabad et à Kaboul. Arrivés au pouvoir par défaut, les talibans pourraient être chassés par un mouvement de masse des travailleurs et des pauvres. La solution est à chercher dans le retour aux traditions révolutionnaires des années 1970 – expurgées du stalinisme. En balayant le capitalisme en même temps que les talibans, le peuple afghan pourrait enfin s’atteler à la construction d’un Afghanistan laïque, démocratique et socialiste.


[1] D’après le mois du calendrier afghan au cours duquel elle a eu lieu.

[2] Ted Grant et Alan Woods, Afghanistan : Fools rush in (décembre 2001).

Cet article a été écrit le 16 août 2021.


La plus longue guerre de l’histoire des Etats-Unis s’est achevée dans la honte et l’humiliation pour l’impérialisme américain. Vingt ans après l’invasion de l’Afghanistan, la plus puissante force militaire que le monde ait connue a subi une défaite totale face à une bande de fanatiques religieux arriérés.

La chute de Kaboul le 15 août 2021 a marqué la fin d’une offensive éclair qui a vu les Talibans conquérir la moitié du pays en sept jours, jusqu’à finir par occuper aujourd’hui tout le pays. Il n’y a pourtant pas si longtemps, le président américain Joe Biden assurait que les Taliban ne prendraient pas plus la capitale afghane que le reste du pays, et qu’un gouvernement de « réconciliation nationale » allait se mettre en place, comme cela avait été convenu avec les djihadistes afghans.

Il y a à peine un mois, Biden déclarait encore avec assurance : « La probabilité que les Talibans envahissent tout et conquièrent l’ensemble du pays est hautement improbable. Nous avons fourni à nos partenaires afghans tous les outils – laissez-moi insister : tous les outils, la formation et l’équipement d’une armée moderne. »

Aujourd’hui, toutes ces promesses se sont révélées vides. Les troupes américaines n’avaient même pas encore achevé leur retrait que les Talibans sont passés à l’assaut. La rapidité de leur offensive a jeté le gouvernement déjà chaotique de Kaboul dans une panique complète.

D’après les responsables américains, le régime afghan, son armée et sa police étaient censés prendre en charge la gestion du pays lorsque les Etats-Unis se seraient retirés. Mais le régime n’en a été nulle part capable. L’armée afghane, qui prétendait compter près de 300 000 hommes entraînés et armés par les Américains, s’est désintégrée face à des islamistes équipés seulement d’armes légères et qui, selon les estimations les plus généreuses, ne comptent pas plus de 75 000 combattants à plein temps. Les villes sont tombées les unes après les autres et les soldats gouvernementaux se sont rendus en masse, parfois en vendant leurs armes aux Talibans au passage.

Alors que la ligne de front se rapprochait de Kaboul, le gouvernement a annoncé qu’il négociait un transfert pacifique du pouvoir, qui devait garantir les droits fondamentaux des Afghans. Le président Ashraf Ghani a même annoncé qu’un tel accord avait été conclu et devait aboutir à un gouvernement de transition composé à la fois de représentants des Talibans et de l’ancien régime.

Avant même que les détails de cet accord n’aient eu le temps d’être rendus publics, la nouvelle était arrivée que Ghani avait fui le pays. Le président s’est adressé une dernière fois à la nation pour l’exhorter à se battre jusqu’au bout, avant de faire ses valises en catastrophe et de monter dans un avion en route pour le Tadjikistan et un exil confortable. Son régime corrompu et réactionnaire s’est effondré comme un château de cartes.

Au cours de la semaine écoulée, le contraste a en effet été frappant entre les déclarations tonitruantes des généraux et des politiciens du régime – qui juraient tous de se battre jusqu’au bout – et leur absence totale de résistance le moment venu. Dans une ville après l’autre, tous ces héros autoproclamés ont purement et simplement abandonné le pouvoir aux Talibans avant de fuir le pays ou, dans certains cas, d’offrir leurs services au nouveau régime. Le ministre de la Défense Bismillah Mohammedi aurait ainsi fui avec ses fils aux Emirats Arabes Unis. Homayoon Hamayun, l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale et un ancien partisan de Ghani, a pour sa part affirmé que les Talibans venaient de le nommer Chef de la police de Kaboul.

Alors que les masses étaient bercées d’un faux sentiment de sécurité par les mensonges officiels, des accords se nouaient en coulisse entre les responsables de l’ancien régime et les Talibans. Dans les heures qui ont précédé la chute de Kaboul, une délégation de seigneurs de guerre et d’hommes d’affaires originaires du nord du pays s’est rendue au Pakistan – le principal soutien financier des Talibans. On peut sans risque présumer qu’il s’agissait pour eux de négocier leurs futures places dans l’ordre nouveau. Certains affirment même que les impérialistes américains ont également participé à des négociations semblables, pour s’assurer que leur évacuation de Kaboul serait relativement pacifique et éviter ainsi une humiliation encore plus grande.

A l’approche des Talibans, des milliers d’Afghans se sont rués sur les services consulaires américains pour obtenir un visa et une place dans un avion vers l’étranger. Nul doute que les efforts de la majorité d’entre eux ont été vains. A partir de samedi, l’aéroport de Kaboul a été envahi par une foule de gens désespérés qui tentaient de fuir le pays en catastrophe. D’autres ont tenté de fuir en voiture. Cela a provoqué la paralysie complète du trafic routier dans la capitale.

Cette panique s’explique aisément. Malgré les déclarations officielles des Talibans, qui s’engagent à respecter les droits des femmes et à accorder leur pardon à tous ceux qui ne leur résisteront pas, des témoignages décrivent de nombreux meurtres de femmes et d’intellectuels. A Herat, les étudiantes ont été chassées de l’université et les employées de banque renvoyées chez elles. A Kandahar, des Talibans auraient fouillé des maisons à la recherche de journalistes ayant travaillé pour des journaux étrangers. Dans les jours et les semaines qui viennent, cette répression va continuer au fur et à mesure que les Talibans tenteront de renforcer leur pouvoir.

Les porte-parole des Talibans mettent aujourd’hui en scène leur soi-disant modération. « Nous avons changé » disent-ils. « Nous avons beaucoup appris du passé », etc. Aucune confiance ne peut être accordée à ces déclarations qui ne visent qu’à apaiser la communauté internationale et, ainsi, à réduire le risque d’une intervention militaire étrangère.

L’hypothèse d’une telle intervention est pourtant bien improbable. Joe Biden l’a dit : il n’y aura pas de retour en arrière. Ses ennemis politiques en ont profité pour l’accuser d’avoir « trahi les Afghans ». Il a vainement tenté de se défendre en rappelant que c’est son prédécesseur, Donald Trump, qui a pris la fatidique décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan. Cette controverse ne satisfait personne et ne change rien de toute façon, puisque ni les Républicains, ni les Démocrates ne proposent sérieusement d’organiser une nouvelle intervention militaire.

Certes, le nombre de soldats américains déployés en Afghanistan a gonflé, passant en une semaine de mille à six mille hommes. Cet afflux de troupes ne vise néanmoins pas à combattre les Talibans, mais à faciliter l’évacuation des quelque vingt mille citoyens américains qui se sont retrouvés piégés à Kaboul. Les Etats-Unis ne vont rien faire pour tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui menacés par les Talibans.

Une telle situation n’était pourtant pas censée se produire. Le retrait américain d’Afghanistan devait être une affaire bien ordonnée. D’après Biden, il ne devait pas y avoir de répétition de l’évacuation en catastrophe de Saïgon en 1975, cette débâcle humiliante qui avait marqué la fin de la guerre du Vietnam :

« Les Talibans ne sont pas l’armée sud… nord-vietnamienne. Ils ne sont pas du tout comparables en termes de capacités. Il ne peut exister de situation où l’on verrait des gens évacués depuis les toits de l’ambassade des Etats-Unis en Afghanistan. La situation n’est pas du tout comparable. »

En réalité, ce à quoi nous assistons est précisément une répétition du scénario de Saïgon, jusqu’au détail des hélicoptères décollant en urgence de l’ambassade américaine. La seule différence notable est que la situation est d’une certaine façon pire que celle de 1975. La débandade gouvernementale est telle que dans la plupart des cas, les Talibans ont progressé de district en district sans rencontrer la moindre opposition.

Il y a à peine quelques mois, alors qu’il annonçait le retrait américain d’Afghanistan, Biden avait promis qu’il assurerait la survie du régime afghan, qu’il empêcherait une résurgence de la domination islamiste sur le pays et qu’il protégerait les droits des femmes. Il devait réussir tout cela tout en maintenant ses troupes à une distance raisonnable. Il est néanmoins vite devenu évident que les Etats-Unis pouvaient à peine garantir la sécurité de leurs propres employés, sans même parler de celle du peuple afghan.

Finalement, beaucoup de ceux qui avaient eu les moyens de se payer un billet d’avion vers l’étranger n’ont même pas pu décoller puisque l’armée américaine avait bloqué l’aéroport de Kaboul au profit de ses propres vols d’évacuation. Bien sûr, ce sort a été réservé aux gens des classes moyennes et aisées. La plupart des Afghans ne peuvent même pas se payer le taxi jusqu’à l’aéroport. Pour ceux-là, il n’y avait pas grand-chose à faire, à part attendre et se préparer à de nouvelles et terribles souffrances.

L’immense foule qui s’était rassemblée à l’aéroport depuis que les Talibans avaient pris le contrôle de la ville a fini par envahir les pistes dans une tentative désespérée de fuir le pays. Ils savaient en effet parfaitement que le simple fait d’être vu en train de revenir de l’aéroport pouvait signer leur arrêt de mort. Mais plutôt que de les accueillir à bras ouverts, les soldats américains ont tiré en l’air pour essayer de les empêcher de monter à bord des avions. Lundi, deux hommes ont même été tués par des soldats américains, tandis que trois autres seraient morts en tombant de l’avion auquel ils s’étaient accrochés au décollage. Voilà comment l’impérialisme américain traite ses « alliés » : ils lui servent de chair à canon tant qu’il en a besoin et il s’en débarrasse sans ménagement lorsqu’ils deviennent inutiles.

Comment les Talibans l’ont-ils emporté ?

Le gouvernement Biden n’a pas perdu de temps pour rejeter la responsabilité de cette tragédie sur le peuple afghan lui-même : celui-ci aurait refusé de se défendre lui-même. En vérité, la façon même dont Washington a géré le retrait américain a lourdement fait pencher le rapport de forces en faveur des Talibans. En annonçant la date du retrait américain de longs mois à l’avance, Biden a donné le feu vert aux Talibans pour passer à l’attaque, ainsi que le temps nécessaire pour préparer leur offensive.

Mais la duplicité des Américains est allée encore plus loin. En février, lors des négociations, les Américains ont accédé à toutes les demandes des Talibans sans obtenir la moindre concession de leur part. Cela a gonflé le moral des islamistes, tout en envoyant un signal clair à l’armée afghane. Les généraux et les politiciens afghans se sont ensuite précipités pour tenter de conclure leurs propres accords avec les Talibans.

Puis, malgré plusieurs avertissements du Pentagone, Biden a refusé d’accélérer le retrait américain. Cette longue transition n’a fait qu’amplifier le chaos général, au grand profit des djihadistes. A chaque étape, l’incompétence et l’impréparation des Américains, ainsi que leur capitulation face à toutes les demandes des Talibans, ont accéléré la désintégration de l’armée et du régime de Kaboul.

L’Etat afghan depuis 2001 n’a jamais été autre chose qu’un pantin de l’impérialisme américain, un outil pour faciliter l’occupation de l’Afghanistan, qui a causé des centaines de milliers de morts et des souffrances énormes pour les masses, en même temps qu’un appareil répressif parfaitement impopulaire et détesté. Il était formé des opportunistes les plus réactionnaires, technocrates expatriés, seigneurs de guerre et chefs traditionnels, prêts à vendre leur pays au plus offrant. Pour eux, le régime n’était qu’un moyen de s’enrichir. Sous leur domination, la majorité du peuple était confinée dans une misère noire tandis que les services publics les plus élémentaires étaient inaccessibles sans pots de vin.

Forte sur le papier de près de 300 000 hommes, l’armée afghane était composée pour une bonne part de « soldats fantômes ». C’est-à-dire de soldats fictifs dont le seul but était de faire atterrir les soldes supplémentaires dans les poches d’officiers malhonnêtes. Au final, l’armée afghane n’a jamais eu d’autre rôle que de fournir une couverture à l’impérialisme américain. Dans les rares cas où elle arrivait à jouer un rôle opérationnel, elle agissait plus comme une force d’occupation que comme une armée « nationale ». Pas étonnant, donc, que, privé de l’appui américain, cet appareil décrépit se soit effondré dès le premier choc.

Les masses afghanes haïssent les Talibans. Mais personne n’accordait la moindre confiance au régime corrompu imposé par les Etats-Unis, et personne n’était prêt à risquer sa vie pour le défendre. Les Talibans au contraire sont des fanatiques endurcis qui voient la mort en martyr comme une récompense suprême.

Ce mouvement réactionnaire a été soutenu et entretenu pendant des décennies par la classe dirigeante pakistanaise, qui rêve depuis longtemps de dominer l’Afghanistan. Ces dernières années, les Talibans ont aussi bénéficié d’un soutien croissant de l’Iran, de la Chine et de la Russie, qui sont tous inquiets de l’instabilité croissante qu’implique le retrait américain et espèrent arriver à contenir les islamistes à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan en échange de contreparties politiques et économiques. Cela ne sera pas forcément facile. Les Talibans ne sont pas un mouvement centralisé, pas plus qu’ils ne sont dirigés par des hommes parfaitement rationnels qui peuvent être contrôlés aisément. L’impérialisme américain en a fait plusieurs fois l’expérience.

Sur qui compter ?

Le cynisme des impérialistes occidentaux est aujourd’hui évident. Les mêmes personnes qui parlaient en continu des soi-disant « valeurs occidentales » telles que la « démocratie » et les « droits de l’homme », se retirent aujourd’hui de l’Afghanistan en abandonnant leurs supplétifs locaux aux bons soins d’une bande de barbares arriérés. Tant « qu’aider les gens » voulait dire bombarder et envahir un pays pauvre, aucune dépense n’était superflue. Mais si cela signifie sauver des vies humaines en les aidant à fuir le déferlement d’un régime meurtrier, cela change du tout au tout.

En 2001, l’impérialisme américain et ses alliés de l’OTAN ont envahi l’Afghanistan en promettant d’en extirper l’islamisme et de bâtir une nation moderne et démocratique. Au bout de vingt ans, après des dépenses faramineuses, des centaines de milliers de morts et le sacrifice d’une génération entière, l’Afghanistan n’a pas avancé d’un pouce dans cette direction. Après avoir ravagé le pays pendant vingt ans, ces lâches s’enfuient et abandonnent le peuple afghan à la démence des Talibans.

Les masses afghanes ne peuvent dépendre des puissances occidentales, pas plus que des classes dirigeantes de Russie, de Chine ou d’Iran qui essaient de manipuler la situation à leur profit depuis les coulisses. Elles ne peuvent compter que sur leurs propres forces, qui, une fois mobilisées, sont plus puissantes que toutes les armées. Toute leur histoire le prouve.

Le peuple afghan est passé par les pires épreuves, mais a toujours triomphé de la réaction. Nous sommes sûrs que, cette fois-ci encore, il finira par se lever et nettoiera son pays de toute trace d’obscurantisme, de réaction et d’impérialisme.

Les manifestations massives qui ont éclaté à Kaboul et dans de nombreuses villes d’Afghanistan, bravant les bâtons et parfois les balles des forces de sécurité, soulignent l’impasse où se trouvent les puissances impérialistes. La répression des manifestants a provoqué plusieurs dizaines de morts et de blessés graves. Parfois les policiers et les militaires de l’Armée Nationale Afghane (ANA) sont passés ouvertement du côté des manifestants. A plusieurs reprises, les militaires d’origine afghane ont même tourné leurs armes contre les soldats américains.

La cause immédiate de ce mouvement fut la décision de jeter des exemplaires du Coran dans l’incinérateur d’une base militaire, sous les yeux d’un groupe d’ouvriers afghans. De l’aveu des autorités militaires elles-mêmes, cet acte relevait de la « stupidité ». Mais ce serait une erreur de penser que l’offense faite à la religion explique à elle seule l’ampleur des mobilisations. Celles-ci ne font que révéler l’opposition quasi unanime des peuples d’Afghanistan – indépendamment de leur attitude envers les Talibans – à la présence des forces armées des Etats-Unis et de leurs alliés, dont la France.

L’invasion du pays a eu lieu en 2001, dans la foulée de l’attentat contre le World Trade Center. De par sa position géographique, l’Afghanistan était – et demeure – un enjeu stratégique majeur pour les grandes puissances. L’attentat du 11 septembre 2001, dans lequel aucun afghan n’était directement impliqué, a fourni le prétexte de l’invasion, dont le véritable objectif était de « sécuriser » le pays conformément aux intérêts militaires et économiques des Etats-Unis. Mais comme nous l’expliquions à l’époque, l’hostilité de la population afghane signifiait que pour « tenir » l’Afghanistan, il faudrait un quadrillage militaire du pays tout entier. Une « victoire » des impérialistes en Afghanistan ne pouvait pas se réduire à la prise de Kaboul. Elle impliquait la possibilité, à terme, de retirer les forces armées étrangères – ou de n’en laisser que quelques contingents, avec un gouvernement solidement installé et veillant à la protection des intérêts impérialistes. Or, une victoire de ce genre était, dès le départ, absolument impossible. Georges W. Bush, qui était certainement le président américain le plus borné et obtus de l’histoire, croyait pouvoir tout faire avec des bombes et des marines. Il projetait de placer non seulement l’Afghanistan, mais l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale sous la botte de l’impérialisme.

La vérité est la première victime de la guerre. La réalité de la situation sur le terrain contredit totalement la présentation qui en a été faite depuis le début. Pendant 11 ans, les communiqués des gouvernements et des généraux sur place prétendaient qu’ils allaient de « percée » en « percée », en passant par des « points de basculement » et des « tournants » innombrables. Et pourtant, tous les indicateurs du rapport de force sur le terrain – le nombre de morts et de blessés chez les militaires américains (+164 % entre 2010 et 2011), les attentats (+113 %) et les mutineries au sein de l’ANA – racontent une tout autre histoire, et ce malgré le renforcement massif des effectifs alliés. Le magazine Rolling Stone a publié des extraits d’un rapport préparé par le Lieutenant-Colonel Davis, que les autorités militaires ont refusé de rendre public. Davis écrit que « si les citoyens pouvaient connaître la situation sur le terrain, ils verraient le gouffre qui existe entre ce qui est dit par nos dirigeants et la réalité qui se cache derrière ». Il a interviewé des centaines d’officiers et de soldats du rang. Pour Davis, il est évident que les insurgés gagnent du terrain sur tous les fronts. Quant à l’ANA, il la décrit comme « une organisation à peine opérationnelle, qui collabore souvent avec l’ennemi ».

Le retrait programmé des forces américaines et françaises signe la défaite des puissances impérialistes. Pendant que les militaires sur place se font tuer par les Talibans, leurs gouvernements sont en train de négocier avec les chefs de ces mêmes Talibans au Qatar. C’est une capitulation qui ne dit pas son nom. Ces négociations n’aboutiront à rien de positif du point de vue des impérialistes. Quand ils quitteront l’Afghanistan, l’ANA va tout simplement s’effondrer. Le gouvernement corrompu de Karzaï – qui, lui aussi, discute avec les Talibans – tombera également. Il ne restera plus rien de leur passage en Afghanistan, si ce n’est la dévastation provoquée par plus d’une décennie de destructions, de souffrances et de mort. Sarkozy, comme Obama, déclare devant les cercueils des soldats tués qu’ils ne sont pas morts en vain. Mais hélas, ce n’est pas vrai. Ils sont morts dans une guerre menée dans l’intérêt exclusif des impérialistes. Leur courage serait digne d’une meilleure cause.

L’attentat contre le World Trade Centrer, à New York, en 2001, a servi de prétexte à l’invasion de l’Afghanistan par les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France. Cette invasion répondait avant tout aux objectifs économiques, politiques et militaires des puissances  impérialistes – Etats-Unis en tête. Du fait de sa position géographique, le contrôle de ce vaste pays est un enjeu stratégique majeur, pour toutes les grandes puissances.

C’est pour cette raison que, dans les années 80, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, en collaboration avec l’Arabie Saoudite, ont mené une guerre « sainte » contre la présence de l’URSS en Afghanistan et pour renverser le régime « communiste » issu de la révolution de 1978. En 1985, Ronald Reagan reçut une délégation de fondamentalistes afghans, à la Maison Blanche. Il les présenta aux journalistes en ces termes : « Ces messieurs sont l’équivalent moral des pères fondateurs de l’Amérique ». Notons au passage qu’à l’époque, Bernard Kouchner était, lui aussi, un fervent partisan de ces prétendus « combattants de la liberté ».

Les fondamentalistes ont fini par prendre le pouvoir, en 1992. Les massacres qu’ils perpétraient ne suscitaient aucun commentaire négatif, dans les capitales occidentales. L’un de ces réactionnaires sanguinaires, le commandant Massoud, était même érigé en héros international. Cependant, une fois maîtres de Kaboul, les fondamentalistes n’avaient plus tellement besoin des Etats-Unis, qui en ont perdu le contrôle. D’où la nécessité, pour les impérialistes, de monter une nouvelle invasion, celle des talibans, en 1994-1997. A leur tour, les talibans furent présentés au monde entier comme des gens aux mœurs impeccables, et donc susceptibles de « mettre de l’ordre » et de garantir la stabilité du pays. La victoire des talibans fut vivement acclamée par les puissances occidentales. Mais les talibans, à leur tour, ne tardèrent pas à se retourner contre leurs « alliés » occidentaux.

L’invasion de 2001 poursuivait les mêmes objectifs que les opérations militaires précédentes. Sous couvert de croisade contre le terrorisme, il s’agissait d’une intervention impérialiste visant à placer l’Afghanistan sous le contrôle des impérialistes. Aussi La Riposte s’est-elle opposée à cette intervention, à l’époque – à la différence des instances dirigeantes et des parlementaires du PS et du PCF. Aujourd’hui, huit ans plus tard, la situation en Afghanistan confirme, dans leurs grandes lignes, les perspectives que nous avions élaborées au moment de l’invasion.

Une guerre perdue d’avance

Les Etats-Unis ne peuvent pas gagner cette guerre. Certes, on aurait tort de sous-estimer la puissance de feu de la première puissance mondiale. Dans une guerre « conventionnelle » en terrain ouvert, cette puissance de feu est dévastatrice pour les forces armées adverses. Mais dans le contexte géographique et social de l’Afghanistan, et compte tenu des méthodes de combat des miliciens talibans, cette supériorité militaire n’est pas déterminante.

Quel est le bilan de ces huit années de guerre ? C’est un bilan de mort et de destruction. Plusieurs millions de civils ont été déplacés. Des dizaines de milliers ont été tués ou blessés. La misère s’est aggravée, dans les villes comme partout ailleurs. La fabrication et l’exportation de drogues se sont massivement développées. Par exemple, la culture du pavot s’étendait sur 165 000 hectares de terre, en 2006, puis sur 193 000 hectares en 2007 – soit 28 000 hectares supplémentaires en l’espace d’à peine un an !

L’argent en provenance des grandes puissances a transformé la corruption des milieux gouvernementaux, des chefs de tribus, des soldats et des policiers en un véritable business de grande échelle. Hamid Karzai lui-même est un trafiquant notoire, comme la presse capitaliste est forcée de l’admettre. La méthode des alliés, qui consiste à proposer de généreuses récompenses pour chaque « terroriste » livré aux autorités militaires, a généré une forme de trafic hautement rentable, chez les seigneurs de guerre « amis ». Parmi les personnes incarcérées et torturées par les alliés, nombreux sont victimes de cette filière. Le mythe de la « démocratie » afghane n’a pas survécu à la fraude massive qui a marqué les dernières élections, au vu et au su de tous. Les soldats américains, britanniques, français et autres ne meurent ni pour la démocratie, ni pour un monde meilleur. Ils meurent pour perpétuer le pouvoir de gangsters tels que Karzai. Ils meurent pour des oléoducs, pour les intérêts des grandes compagnies pétrolières, des fabricants d’armes et autres profiteurs de guerre. Ils meurent pour que les gouvernements qui les ont plongés dans ce bourbier ne perdent pas la face.

Sur le plan opérationnel, les armées d’occupation ne pourront jamais faire mieux que « tenir » Kaboul et quelques autres villes, au prix d’une présence militaire massive et avec l’aide des quelques seigneurs de guerre qui veulent bien louer leur neutralité – pour un moment, et à des prix toujours plus exorbitants. L’envoi de 30 000 soldats supplémentaires, à l’initiative d’Obama, n’y changera rien. Certes, la puissance de feu des occupants peut prévenir une offensive générale des talibans contre Kaboul. Mais dès que les troupes étrangères se retireront, cette offensive aura lieu, et il ne se trouvera aucune force conséquente pour y résister. La majorité de l’armée formée par les alliés passera directement à l’ennemi, tout comme les seigneurs de guerre qui, jusqu’à présent, utilisent l’argent des alliés pour renforcer leur propre puissance militaire.

Les « grandes offensives » lancées périodiquement ne peuvent rien changer à cette situation. Quand une offensive est lancée, les talibans se mettent à l’abri, se fondent dans la population locale ou se replient vers des zones inaccessibles aux forces occidentales. Une fois la vague passée, ils reviennent occuper le terrain. Même avec dix fois plus d’effectifs, une armée d’occupation ne peut pas tenir un territoire dont la population lui est hostile. C’était vrai au Vietnam, comme l’ont appris les impérialistes français et américains. C’était vrai en Algérie, également. Ce simple fait voue à l’échec cette aventure impérialiste. Si par « victoire », on entend la possibilité de mettre fin à l’occupation en laissant sur place un gouvernement et un Etat stables et capables de défendre les intérêts stratégiques des impérialistes, alors une telle victoire est totalement exclue. Les peuples d’Afghanistan peuvent être pour ou contre les talibans, mais pratiquement aucun Afghan n’est favorable à l’occupation de leur pays par des puissances occidentales.

Le devoir internationaliste du mouvement syndical, du PCF et de toute la gauche, en France, est parfaitement clair : il faut s’opposer résolument à la guerre impérialiste en Afghanistan – et exiger l’arrêt des bombardements perpétrés par l’aviation française, ainsi que le retrait immédiat des troupes d’occupation.

Habituellement, les gouvernements font peu de cas des soldats tués à la guerre. Moins on en parle, mieux les gouvernements se portent. Tel fut le cas, ces dernières années, avec les soldats français tués ou blessés en Afghanistan. Cependant, lorsque dix soldats ont perdu la vie lors d’un affrontement avec des talibans, le 18 août dernier, Sarkozy a interrompu ses vacances pour se rendre en Afghanistan et s’adresser aux troupes françaises. Une grande cérémonie a été organisée aux Invalides. Les soldats tués se sont vus attribués la Légion d’honneur à titre posthume. D’autres cérémonies officielles ont eu lieu dans la foulée. Les familles des soldats ont été reçues à l’Elysée. La presse et l’industrie audio-visuelle ont été fortement mobilisées.

Le but de cette grande opération politico-médiatique était de convaincre l’opinion publique qu’il venait de se passer quelque chose d’exceptionnel. Comme si, normalement, des incidents de ce genre ne devaient pas se produire, dans une guerre.

Sarkozy s’est engagé dans une « stratégie de communication » qui peut lui sembler avantageuse, à court terme. Mais elle ne manquera pas de se retourner contre lui dans les semaines et les mois à venir. Ce n’est pas un hasard si plusieurs dirigeants de son camp ont estimé qu’il en faisait trop. Après tout, il ne sera pas facile de relancer des cérémonies de la même envergure chaque fois que des soldats français seront tués. Car la vérité, c’est que la mort des 10 soldats n’avait absolument rien de surprenant. D’autres soldats français impliqués dans la guerre en Afghanistan seront tués : c’est absolument inévitable. C’est la réalité de la guerre, d’autant plus que la coalition est en train de la perdre.

Sarkozy a pris la parole à plusieurs reprises, à ce sujet. Comme d’habitude, il a surtout parlé de lui-même, de sa solitude, du poids de sa charge, de son sens du devoir – et ainsi de suite. Devant les cercueils des soldats, il a répété les mensonges officiels destinés à dissimuler les véritables intérêts en jeu dans cette guerre. Il a prétendu que les soldats français ne sont pas morts vain, qu’ils livraient une guerre pour « la liberté du monde ». Mais Sarkozy sait pertinemment que cette guerre n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme, avec la démocratie ou avec la liberté du monde. C’est une guerre impérialiste, une guerre pour la domination économique et militaire de la région par les Etats-Unis – mais aussi par d’autres puissances impérialistes moins importantes, dont la France. C’est une guerre pour le contrôle des ressources naturelles et des marchés, une guerre pour le profit, tout comme la guerre en Irak.

L’invasion de l’Afghanistan a été lancée en septembre 2001, à l’époque du gouvernement Jospin. Dispersés par le choc initial, les talibans ont commencé à réinvestir le terrain dès le printemps 2002. D’innombrables villages suspectés d’abriter des talibans – à tort ou à raison – ont été bombardés par la coalition. Au fil des années, plusieurs offensives terrestres supposées nettoyer les zones tombées sous le contrôle des talibans n’ont donné aucun résultat tangible. En six mois, les alliés ont largué des milliers de bombes et tiré environ 200 000 obus. Depuis 2001, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents ont été tués. L’aviation française a largement participé à cette activité meurtrière, qui n’a rien fait pour « gagner les âmes et les cœurs » des Afghans.

Aujourd’hui, les talibans contrôlent aux moins les deux tiers de l’Afghanistan, au sud et à l’est. Ils s’approchent désormais de la capitale. Ils contrôlent les alentours de Kaboul, au-delà d’un périmètre de quelques dizaines de kilomètres. Armes et argent affluent en masse du Pakistan et d’ailleurs. Les provinces non-pachtounes, vers le nord, sont réputées plus calmes. Les seigneurs de guerre puissamment armés qui contrôlent ces régions ne sont pas encore engagés dans une lutte ouverte contre les occupants. Mais c’est juste une question de temps. A un certain stade, ils se mettront d’accord avec les talibans sur le partage du butin qu’apportera la défaite de la coalition, et se joindront à eux. En attendant, ils continueront d’encaisser l’argent et les autres avantages qui sont le prix de leur neutralité temporaire. Comme le disait un représentant de l’Empire britannique à l’époque de sa tentative infructueuse de coloniser l’Afghanistan : « On ne peut jamais acheter le soutien d’un Afghan. On ne peut que le louer un certain temps. » Rappelons que, pendant les années 90, les talibans et Ben Laden étaient eux-mêmes considérés, à Washington, Paris et Londres, comme des alliés de premier choix.

La population afghane n’est pas enthousiaste à l’égard des talibans. Mais elle est résolument hostile à l’occupation de son pays par les puissances étrangères. Dans ces conditions, une victoire des forces de la coalition est totalement exclue. De nombreux généraux de la coalition – notamment américains et britanniques – le reconnaissent ouvertement. Malgré le ton patriotique qui caractérise la presse américaine, on peut y lire, semaine après semaine, des articles faisant état de la situation désespérée dans laquelle se trouvent les Etats-Unis et leurs alliés. La seule perspective réaliste, pour la coalition, est celle d’un long, coûteux et futile enlisement dans une guerre d’usure – qui, après d’innombrables morts et souffrances, se soldera par une défaite.

Du point de vue de l’impérialisme américain, son implication dans cette guerre répond à une certaine logique. Mais que fait la France là-dedans ? La France est une puissance impérialiste, certes. Mais ses dépenses militaires ne représentent qu’un vingtième de celles des Etats-Unis, et les moyens militaires dont elle dispose sont relativement dérisoires. Même dans l’hypothèse d’une victoire – laquelle, nous l’avons dit, est impossible –, l’impérialisme français ne pourrait espérer que quelques miettes, en termes de marchés et autres butins de guerre. Il en était ainsi pour les alliés des Etats-Unis en Irak. Du temps de Tony Blair, les capitalistes britanniques se plaignaient d’avoir été oubliés dans la répartition des fruits du pillage systématique de l’Irak.

C’est le gouvernement Jospin qui a lancé la France dans cette folle aventure. Il pensait qu’en s’affichant aux côtés de la plus grande puissance mondiale, l’impérialisme français paraîtrait plus fort qu’il ne l’est en réalité. Par ailleurs, il espérait que les Américains cèderaient une petite part du butin de guerre aux impérialistes français, lesquels ne pouvaient prétendre qu’au rôle de hyène nettoyant la carcasse abandonnée par le lion américain. Quoiqu’il en soit, le fait est que nous devons à un gouvernement de gauche l’implication de la France dans le bourbier afghan – avec, malheureusement, la bénédiction de la direction du PCF, à l’époque. Il a fallu attendre les 10 soldats tués du mois d’août dernier pour que la direction du PCF change sa position et se prononce pour le retrait des troupes françaises.

Le prestige joue un rôle important dans le comportement des représentants du capitalisme. Et c’est surtout pour des raisons de prestige – celui de Sarkozy et celui de la France, comme puissance mondiale – que le dispositif militaire français a été renforcé, en Afghanistan. Cette décision n’obéit à aucune logique militaire proprement dite. Si, malgré leur écrasante supériorité en termes de puissance de feu et de logistique militaire, les Etats-Unis et leurs alliés reculent devant l’ennemi depuis sept ans, ce n’est certainement pas l’envoi de quelques centaines de soldats français supplémentaires qui inversera la tendance. Il en serait exactement de même si Sarkozy envoyait 5 ou 10 000 soldats en Afghanistan. Comme en Irak, le problème des impérialistes ne réside pas dans des moyens militaires insuffisants, mais dans leur absence totale de base sociale, dans la population.

Du point de vue de l’impérialisme français, il n’y a que deux options possibles : renforcer encore et encore son contingent militaire sur place, c’est-à-dire jeter des milliers d’hommes et des milliards d’euros dans un puit sans fond – ou bien se retirer, avec pertes et fracas, avant la débâcle. Sarkozy est pris à son propre piège. A la spirale du déclin économique et de la régression sociale s’ajoute l’enlisement des troupes françaises dans une guerre perdue d’avance. Dans ce contexte, la gauche et le mouvement syndical doivent expliquer les véritables objectifs des impérialistes en Afghanistan et mobiliser massivement la jeunesse et les travailleurs sur le mot d’ordre : troupes françaises hors d’Afghanistan !

Devant le parlement de la Grande-Bretagne, Sarkozy a annoncé sur un ton fanfaron le renforcement de la présence militaire française en Afghanistan. Il s’agirait d’environ mille soldats supplémentaires. Fillon a parlé de « quelques centaines ». Quoiqu’il en soit,  cette augmentation des effectifs devrait s’accompagner d’un redéploiement des troupes françaises actuellement à Kaboul vers les zones de combat les plus dangereuses, notamment dans le sud du pays.

La guerre en Afghanistan fait rage depuis 7 ans. Pour quel résultat ? Après la dispersion des talibans, lors de l’invasion initiale, ceux-ci n’ont cessé de renforcer leur position et leurs capacités militaires, d’une année sur l’autre. Ces derniers mois, de nombreux représentants du haut commandement de la coalition ont reconnu publiquement la possibilité bien réelle d’une défaite militaire en Afghanistan.

Comme l’expliquait le Time Magazine du 31 janvier dernier : « La guerre oubliée en Afghanistan est sous les projecteurs, cette semaine, avec la publication de trois rapports indépendants [sur l’Afghanistan]. Après avoir dépensé 25 milliards de dollars pour tenter de battre les talibans, cette milice islamiste radicale […] est de plus en plus présente dans plusieurs régions du pays. Les attentats sont de plus en plus nombreux […] et les talibans financent leur guerre par les profits générés par le commerce de l’opium. L’année dernière, le pays a produit 93% de la production mondiale d’opium, tandis que l’aggravation de l’insécurité a entraîné une baisse de 50% de l’investissement international.

« Les talibans tuent de plus en plus d’Américains. De 2002 à 2004, ils tuaient, en moyenne, un soldat américain par semaine. Depuis 2007, ce chiffre a plus que doublé. Près de 500 soldats américains ont péri dans cette guerre. […] Une publication récente du Conseil Atlantique déclare : "Que personne ne s’y trompe, l’OTAN n’est pas en train de gagner la guerre en Afghanistan. Si cette réalité n’est pas comprise, et si aucune décision n’est prise en conséquence, l’avenir de l’Afghanistan sera sombre, et aura des répercussions [négatives] à l’échelle régionale et globale." »

Le 6 mars dernier, une dépêche d’Associated Press faisait état d’un rapport sur le moral des soldats américains et sur la multiplication des cas de maladies mentales dans les unités combattantes. L’étude, qui portait sur 900 soldats en service en Afghanistan, s’appuyait sur des informations recueillies auprès de médecins, infirmiers, psychologues et psychiatres travaillant auprès des troupes. Elle constate un taux d’incidence de dépression et d’autres maladies mentales de 30%. Sur l’ensemble des forces américaines, 121 cas de suicide ont été constatés en 2007, soit une hausse de 20% par rapport à 2006. Le nombre de morts au combat ne cesse de croître. 83% des soldats déclarent avoir été la cible de tirs de mortier ou de projectiles explosifs similaires. A peine 11% des soldats interrogés déclarent que le moral de leur unité est « bon » ou « très bon ».

Le général américain James Jones dirigeait les opérations de l’OTAN en Afghanistan, jusqu’à sa récente retraite. Il porte un regard très sévère sur la situation de la coalition. « Nous sommes en perte de vitesse, dit-il. Les secteurs sous le contrôle des insurgés sont aujourd’hui plus nombreux qu’ils ne l’étaient il y a deux ou trois ans. » On pourrait rapporter des dizaines de citations similaires émanant de commandants des forces de la coalition. Il est clair que les Etats-Unis et leurs alliés – dont la France – sont en train de perdre la guerre en Afghanistan.

Derrière l’écran de fumée de la « guerre contre le terrorisme », la guerre en Afghanistan est une guerre impérialiste, tout comme la guerre en Irak. Elle fait partie de la stratégie globale de l’impérialisme américain pour le contrôle des ressources pétrolières et de leur acheminement à travers cette région de très haute importance stratégique. En 2001, Jacques Chirac, avec l’appui du gouvernement PS-PCF de l’époque, avait décidé de participer à la guerre en Afghanistan, et ce bien que l’impérialisme français n’avait pas grand chose à y gagner. Dans notre texte Les Etats-Unis dans le bourbier afghan, publié en octobre 2001, nous écrivions : « Lorsque Jospin dit : "à côté des Etats-Unis, oui, derrière les Etats-Unis, non", il ignore, ou feint d’ignorer, que la place qu’occupera la France "à côté" des Etats-Unis sera délimitée à Washington et non à Paris – et que, dans la mesure où la France est présente, elle le sera plus que jamais "derrière" les objectifs américains, puisqu’elle ne pèse pas assez pour imposer quoi que ce soit à son puissant "allié". Bush et Powell, dans un élan de générosité, proclament qu’ils auront sans doute davantage besoin de la France "plus tard", c’est-à-dire lorsqu’il s’agira de mettre en place des forces d’occupation sur le terrain. A ce moment-là, la France "solidaire" sera invitée à participer à une mission dangereuse, coûteuse et de longue durée, pendant que les Etats-Unis récolteront les avantages stratégiques et économiques de leur victoire. Cependant, ces calculs présument de la victoire des Etats-Unis, laquelle est pourtant loin, très loin, d’être acquise. »

Jusqu’à présent, en dehors  des opérations de police et de formation militaire, dans le calme relatif de la capitale, la participation de la France à la guerre a essentiellement consisté en bombardements aériens appuyant les troupes américaines au sol. Mais face à l’enlisement des soldats américains et à l’effondrement de leur moral, le gouvernement des Etats-Unis a fait lourdement pression pour une « meilleure répartition » des engagements au sol entre les pays membres de la coalition.

L’arrivée de troupes françaises supplémentaires n’aura absolument aucun effet sur l’évolution de la situation militaire, sur le terrain. La seule chose qui changera sera le nombre de soldats français qui seront tués, blessés et mutilés au cours des combats. Ce sont eux qui paieront – au prix fort – la note de cette opération.

L’implication plus importante de la France dans la guerre en Afghanistan n’a rien à voir avec les « droits de l’homme » ou la « démocratie ». A l’abri des regards, des contreparties ont forcément été négociées avec l’administration américaine. Par exemple, la décision de Sarkozy n’est peut-être pas sans rapport avec l’autorisation accordée à Total de participer à la prospection et l’exploitation de ressources pétrolières en Irak, notamment à Majnoun.

La politique de Sarkozy vis-à-vis de l’Afghanistan place les partis de gauche devant leurs responsabilités. L’attitude de la direction du Parti Socialiste, dont les préoccupations principales portent sur des formalités parlementaires, est totalement insuffisante. Le « débat parlementaire » tant réclamé n’aura absolument aucune conséquence pratique – comme la quasi-totalité des débats de ce genre. Même s’il y avait eu un vote, on sait pertinemment que la majorité de l’Assemblée est pour Sarkozy. Les interventions à l’Assemblée Nationale ne servent à rien si elles n’appellent pas à la mobilisation des jeunes et des travailleurs pour s’opposer à cette guerre.

L’attitude ambiguë des dirigeants et parlementaires du PCF ne vaut guère mieux. Ils s’opposent au renforcement du contingent français, mais ne réclament pas le retrait des troupes et du dispositif aérien français actuellement engagés dans cette guerre impérialiste. Les militants communistes se souviendront que le texte d’orientation présenté par la direction du parti, lors du dernier congrès, exigeait le retrait des troupes américaines d’Irak, mais passait la guerre en Afghanistan sous silence. Ce mutisme prolonge la position scandaleuse de Robert Hue et de la direction du parti en 2001. Robert Hue avait soutenu l’invasion de l’Afghanistan et l’adhésion de la France à la coalition impérialiste. Cette faute doit être franchement et ouvertement reconnue. Le PCF devrait exiger haut et fort le retrait pur et simple des troupes françaises en Afghanistan.

Les Etats Unis sont engagés sur le théâtre d’opération afghan depuis qu’ils sont parvenus à renverser le gouvernement des Talibans, fin 2001. Mais malgré tous leurs efforts, ils ont été incapables d’y établir un semblant de stabilité. Ils ont créé une apparence d’ordre à Kaboul, où est installé le gouvernement « national ». Mais hors de la capitale, ils contrôlent peu de choses, voire rien du tout. Les forces américaines ne contrôlent même pas un territoire équivalent à celui que contrôlait l’armée soviétique dans les années 1979-1989. Et en fait, les Etats-Unis ne cherchent même pas réellement à contrôler l’intégralité du territoire afghan.

Les Etats Unis entretiennent la fiction d’un « Afghanistan uni », sans fournir de troupes pour soutenir le pouvoir central. La Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (ISAF), conduite par l’OTAN, patrouille seulement à Kaboul et ses proches environs, tandis que les divers chefs de guerre régionaux et leurs milices contrôlent leurs territoires respectifs.

En conséquence, au lieu d’être défaits, Al-Qaida et ses sympathisants demeurent libre d’aller et venir et de mener des actions de guérilla « coup de poing ». Bien qu’Al-Qaida ne puisse plus utiliser l’Afghanistan comme base d’entraînement importante, elle est toujours active et se sert du pays comme base opérationnelle pour envoyer des combattants en Irak. Au regard des nombreuses affirmations de Blair et Bush selon lesquelles l’invasion de l’Irak se justifiait par la présence d’Al-Qaida, c’est assez ironique. En réalité, Al-Qaida n’était pas en Irak avant l’invasion - mais l’est certainement aujourd’hui !

Il est vrai que, depuis le 11 septembre, Al-Qaida n’est pas parvenue à mener d’action majeure contre un objectif américain. Mais elle s’est attaquée à des cibles « mineures », comme à Casablanca, Bali, Nadjaf, Riyad, etc. Surtout, Al-Qaida a clairement participé aux attaques contre les forces américaines en Irak. Tout ce que l’impérialisme américain est parvenu à faire, c’est étendre l’instabilité à d’autres parties de la région, en particulier au Pakistan. La région montagneuse de la frontière pakistano-afghane est poreuse, relativement peu surveillée, et ouverte à l’ethnie Pachtoune qui vit le long de la frontière. Al-Qaida a, en toute probabilité, déplacé ses principales forces dans cette région, où il est difficile d’opérer pour les troupes américaines.

Une offensive contre Al-Qaida serait pour l’administration Bush un excellent moyen de faire oublier à l’opinion américaine le désordre sanglant qui règne en Irak. Mais il y a un problème. Al-Qaida a des bases au Pakistan, qui est un allié important des Etats-Unis - et aussi un pays extrêmement instable. Washington a récemment commencé à renforcer sa pression sur Islamabad. Avec sa traditionnelle arrogance menaçante, l’impérialisme américain fait pression sur son « allié » Musharraf. Au fond, il lui dit : « ou vous vous occupez d’Al-Qaida, ou bien nous le faisons à votre place ! » Cela jette la panique dans les cercles dirigeants d’Islamabad.

Les Etats-Unis veulent une action décisive contre les Talibans, Al-Qaida et leurs sympathisants au Pakistan. Des évènements de taille ne tarderont pas à se produire dans la région. La frontière pakistano-afghane est une zone montagneuse, idéale pour les actions de guérilla. La frontière est elle-même poreuse, et permet des infiltrations constantes de la guérilla. L’hiver et la montagne excluent le déploiement de chars et d’autres équipements requis dans une guerre conventionnelle moderne. Ainsi, l’avantage technologique américain est considérablement réduit. Surtout, leurs ennemis peuvent compter sur l’appui et la sympathie de la population locale Pachtoune.

Ceci dit, le retour du printemps créera des conditions plus favorables à une nouvelle offensive américaine. Une intervention militaire américaine dans le nord du Pakistan provoquera une tempête. Les Pachtounes supportent péniblement les activités de l’impérialisme américain sur leurs terres. Depuis longtemps, les territoires de la frontière nord-ouest sont une zone dans laquelle l’armée pakistanaise ne peut s’aventurer sans risque. Toute tentative d’y lancer une offensive de grande envergure serait une aventure sanglante et très risquée.

Dans le but de prévenir une intervention américaine au Pakistan, Musharraf parle d’une offensive militaire pakistanaise majeure contre Al-Qaïda et ses soutiens dans les zones tribales. Mais cela créera de graves menaces pour son régime. Les fondamentalistes l’accusent déjà de trahison au sujet de ses tentatives de trouver un accord avec l’Inde sur la question du Cachemire. Une intervention dans la frontière nord-ouest accentuerait la fureur des fondamentalistes, qui ont des points d’appuis au sommet de l’armée et dans le nid de réaction que sont les services secrets pakistanais (l’ISI).

L’agression des États-Unis, la première puissance militaire mondiale, contre l’Afghanistan, l’un des pays les plus arriérés et misérables du monde, inflige de terribles souffrances à une population déjà meurtrie par des décennies de guerre, par la famine et par la sécheresse. L’usage de bombes à fragmentation et d’armes radioactives refoulent des centaines de milliers de familles désespérées vers les frontières, où elles sont le plus souvent réduites à la mendicité.

A première vue, il semble qu’il n’y ait pas de mystère sur l’issue d’une guerre qui oppose le colosse militaire américain, appuyé par une large coalition de puissants États, aux cohortes disparates de guerriers dont dispose le régime des Talibans. Cependant, l’instabilité de tous les pays avoisinants, au Moyen-Orient et à travers le monde arabo-musulman, conjuguée avec les particularités sociologiques et géographiques de l’Afghanistan, sont tels que les États-Unis s’enfoncent progressivement dans une impasse politique et militaire.

Pour les États-Unis, la seule façon de remporter ne serait-ce qu’un semblant de victoire, c’est-à-dire de parvenir à une situation où les pertes ont au moins l’apparence de peser moins lourd que les gains, serait de mener une guerre “éclair” de courte durée, et de se retirer, résultats en main, avant que le fracas des armes n’ait pu mettre le feu aux poudres dans d’autres pays, et notamment au Pakistan. Or, ceci est, depuis le début, impossible, sauf dans le cas invraisemblable où les forces américaines parviennent rapidement à localiser et capturer, ou tuer, Ben Laden. A ce moment-là, devant l’effrayante perspective d’un enlisement durable et coûteux en Afghanistan et de la déstabilisation progressive du Pakistan, Bush et Powell brandiraient le cadavre de Ben Laden en trophée, et mettraient sans doute fin à l’intervention. Les prières de l’État-major américain à ce sujet n’ayant, pour l’instant, pas été entendues, il nous semble que c’est précisément l’enlisement des États-Unis qui se profile désormais comme la perspective la plus probable.

La poursuite de cette guerre s’accompagnera inéluctablement d’un affaiblissement de l’emprise des États-Unis sur pratiquement tous les maillons de sa “chaîne stratégique”. Non pas en raison du terrorisme, car, bien au contraire, des attentats comme celui qui a détruit le World Trade Center ne peuvent que renforcer l’impérialisme américain, mais parce que la menace des bouleversements sociaux qui couve dans ces régions y rendra infiniment plus difficile la sauvegarde de ses intérêts économiques et stratégiques.

Dans cette guerre, il y a, d’une part, les objectifs déclarés de l’administration américaine, et, d’autre part, ceux qu’impose, que cela plaise ou non à Bush et Powell, la situation concrète qui existe en Afghanistan. Pour que l’Afghanistan soit ramené dans la zone d’influence des États-Unis, et pour que l’appui principal de l’impérialisme américain dans la région, à savoir le Pakistan, conserve son emprise sur au moins la partie sud du pays, il faudrait non seulement installer un gouvernement qui veille aux intérêts américains, mais encore faire en sorte que celui-ci puisse s’imposer sur l’ensemble du territoire, et tout particulièrement sur les régions peuplées par les Pachtounes.

A la différence de la guerre contre l’Irak, en 1990, les bombardements aériens sont d’une efficacité extrêmement limitée, étant donné que l’Afghanistan ne présente que très peu d’objectifs militaires. Les bombardements n’ont d’utilité que dans la mesure où ils facilitent une intervention terrestre, sans laquelle aucun des objectifs qui permettraient à Bush de sauver la face ne peut être atteint. Mais si, du point de vue des États-Unis, une opération au sol constitue le point de départ de toute “solution” possible, elle est en même temps le point de départ d’énormes complications d’ordre militaire et politique.

La presse américaine a fait largement état des désaccords, en termes de stratégie et d’objectifs, qui divisent âprement l’État-major américain, dont certains représentants comprennent que l’intervention est en train de créer une situation nettement plus grave que celle qui existait auparavant. Sur un point, cependant, les stratèges américains sont unanimes. Pour tous, dans l’hypothèse où les forces armées américaines parviennent à chasser les Talibans de Kaboul et d’une partie importante de l’Afghanistan, une occupation militaire du pays par les États-Unis est hors de question. Ils veulent à tout prix éviter de se retrouver dans la situation qu’a connu, dans les années 80, l’armée soviétique.

Cependant, on voit difficilement comment Bush pourrait réaliser les objectifs qu’il a lui-même définis - à savoir le démantèlement d’Al- Quaïda en Afghanistan, l’arrestation ou la mort de Ben Laden, et le renversement du régime des Talibans - sans mettre en place un quadrillage militaire de la majeure partie du pays. Les Talibans ne sont pas assez fous pour se laisser prendre dans une guerre conventionnelle contre la puissance militaire des États-Unis. Les petits groupes de commandos américains qui ont mené des opérations au sol n’ont rencontré pratiquement aucune résistance. Et pour cause : les forces talibanes se retirent, se cachent, puis ressortent lorsque les marines remontent dans leurs hélicoptères. Pareillement, si une offensive d’envergure était lancée contre une ville par une force terrestre, les Talibans l’abandonneraient pour se mettre à l’abri dans les montagnes. En Afghanistan, la connaissance du terrain et la complicité de la population sont des atouts infiniment plus importants que la puissance destructrice des armes.

Depuis leur défaite au Vietnam, les États-Unis ont toujours cherché à éviter un engagement militaire au sol. Les débâcles militaires qu’ils ont connues au Liban et en Somalie où, exceptionnelle-ment, ils ont tenté des interventions terrestres, n’a servi qu’à confirmer leur aversion pour de telles aventures. Et pourtant, l’intervention en Afghanistan, pour avoir ne serait-ce que la possibilité de réussir, obligera les États-Unis à s’écarter de cette doctrine et à investir le terrain militairement.

Même si Kaboul devait tomber entre les mains des États-Unis, quel gouvernement pourraient-ils y installer ? Aucun gouvernement non pachtoune ne pourrait s’imposer en Afghanistan. Jusqu’au 7 octobre, jour du déclenchement de la guerre, l’État-major américain a tenté, en vain, de rallier les tribus pachtounes situées entre Kaboul et la frontière pakistanaise. Cependant, avec l’approche de l’hiver, et sous la pression du patriotisme belliqueux dont l’administration avait elle-même enflammé les États-Unis, Bush a pensé qu’il ne pouvait plus reporter le lancement de la guerre. Les bombardements, une fois commencés, ont rapidement dressé l’ensemble des Pachtounes contre les États-Unis, non seulement en Afghanistan, où ils sont 6 millions, mais aussi au Pakistan, où ils sont deux fois plus nombreux. Abdullah Huq, qui avait pour mission d’acheter le ralliement de tribus pachtounes pour le compte des États-Unis, a été tué dès son entrée sur le territoire afghan, probablement après avoir été “donné” aux Talibans par des agents de renseignement pakistanais.

L’Alliance du Nord

Il y a quatre ou cinq ans seulement, le gouvernement américain fustigeait les Talibans pour leur incapacité à anéantir la soi-disant “Alliance du Nord”. Aujourd’hui, face à une population hostile sur la majeure partie du pays, l’administration américaine a subitement changé son fusil d’épaule pour appuyer l’Alliance contre ses anciens protégés.

Les bandes armées rivales qui forment ensemble l’Alliance ne sont pas réellement unies. Aucun des groupes ethniques, au sein de l’Alliance, n’a pu se doter d’un chef incontesté. Les Tadjiks sont partagés entre plusieurs dirigeants, parmi lesquels l’ancien président Rabbani, Ismaël Khan (dont les troupes sont principalement engagées dans la province de Ghor), et Mohammed Fahim. Quant aux Ouzbeks, ils sont divisés entre les partisans d’Adbul Malik et ceux de Rachid Dostom. Malik avait trahi Dostom en 1997, l’obligeant à quitter son bastion de Mazar-i-Charif et à s’exiler en Turquie. De la même façon, les Hazaras (chiites) sont partagés entre Karim Khalili, le chef du Hezb-i-Wahdat, et Mohammed Mohaqqiq. Quelle que soit la solidité de l’entente entre ces multiples composantes, l’Alliance ne peut avoir qu’une portée militaire relativement limitée. Sur une force de 15 000 hommes environ, seule une fraction est réellement opérationnelle. Face aux troupes talibanes, supérieures en nombre, les effectifs de l’Alliance sont insuffisants. A cette faiblesse militaire de l’Alliance s’ajoute celle, encore plus rédhibitoire, due à sa composition ethnique. Essentiellement composée de Tadjiks et d’Ouzbeks, fortement minoritaires en Afghanistan, l’Alliance ne pourrait en aucun cas s’imposer aux autres ethnies, et notamment aux Pachtounes.

Une offensive de l’Alliance contre Kaboul serait particulièrement meurtrière, des deux côtés, et n’aurait de chance de réussir que dans la mesure où elle serait appuyée par la puissance de feu américaine. A supposer que les troupes de l’Alliance investissent Kaboul, elles se trouveraient en face d’une population hostile. Le souvenir des atrocités commises par les troupes de Massoud, entre 1992 et 1996, est encore vif dans les esprits. Pour les habitants de la capitale, cette période n’était pas moins noire que celle vécue, depuis, sous les Talibans. Nous ne nous attarderons pas ici sur la façon dont les médias tentent de redorer l’image du réactionnaire fondamentaliste Massoud et de ses héritiers, présentés tout d’un coup comme des “démocrates” et des “modérés. Aujourd’hui, les “nordistes” bénéficient d’un traitement presque aussi flatteur que celui dont faisait l’objet les Talibans eux-mêmes, il y a quelques années, lorsqu’ils étaient encore dans le camp du “Bien”.

Les troupes nordistes ne pourraient finalement tenir Kaboul que dans le cadre d’un gouvernement de façade opérant sous la direction d’une administration américaine (ou de l’ONU). Cependant, dès que les forces armées étrangères se retireraient, les nordistes perdraient le contrôle de la capitale.

L’Alliance du Nord n’existerait pas sans l’appui du régime des Mollahs en Iran, de Poutine, pour qui toute nuisance causée aux Talibans contribuerait à affaiblir les milices intégristes en Ouzbékistan et en Turkménistan, et enfin de l’Inde, qui s’en sert comme d’un rempart à la pénétration pakistanaise en Afghanistan. Or, si tous ces pays ont leurs raisons de vouloir affaiblir les Talibans, aucun n’est favorable à l’installation d’une force militaire américaine en Afghanistan.

L’intention de l’État-major américain est de se servir des troupes de l’Alliance - mieux vaut envoyer à l’abattage des Ouzbeks et des Tadjiks que les “braves guerriers” américains - dans une offensive contre Kaboul, ou tout au moins pour contraindre les Talibans à affecter des unités au front du nord, au détriment d’autres zones de combat. Mais, en même temps, les généraux américains se méfient de l’Alliance, qu’ils considèrent, à juste titre, comme étant inextricablement liée à un bloc rangé contre le Pakistan, c’est-à-dire contre l’allié incontournable des États-Unis dans la région. Et la méfiance est réciproque. Les commandants de l’Alliance, et à plus forte raison ses “soldats”, davantage rompus au banditisme et à l’extorsion qu’aux techniques guerrières, n’ont pas très envie de servir de chair à canon et de se retrouver désarmés et renvoyés dans la Vallée de Panchir dès qu’on n’aura plus besoin d’eux, sans même avoir eu la possibilité de saccager la capitale, comme ils l’ont fait du temps de Rabbani et Massoud.

En même temps que la complexité du terrain militaire, ethnique, et politique de l’Afghanistan suscite les pires angoisses des stratèges américains, l’évolution de la situation au Pakistan, en Palestine et en Arabie Saoudite, sans parler d’autres pays comme l’Algérie ou l’Égypte, devient extrêmement préoccupante à leurs yeux. L’Inde, une puissance très importante, a repris le pilonnage des bases pakistanaises dans le Cachemire, et n’a aucune intention de faire les frais d’un nouveau marchandage entre Washington et Islamabad.

Le Pakistan

Au Pakistan, la pression sur le régime Moucharraf augmente sans cesse. Les réfugiés misérables qui affluent dans le pays, remplis d’amertume et portant morts et blessés dans leurs bras, provoquent un sentiment de révolte dans la population pakistanaise. Moucharraf a lourdement insisté auprès des émissaires de la Maison Blanche - dont Tony Blair - sur l’impérieuse nécessité d’une guerre de courte durée. Les occidentaux balayent la demande “irréaliste” du général d’un revers de main. En vérité, Moucharraf comprend certainement beaucoup mieux que ses homologues occidentaux que la bombe à retardement pakistanaise pourrait exploser à tout moment. A terme, à travers bien des retournements qui pourraient, dans un premier temps, favoriser les partis religieux, cette instabilité ouvrira les vannes d’une situation révolutionnaire au Pakistan. N’oublions pas que, dans ce pays, le mouvement ouvrier occupe une position incomparablement plus importante qu’en Afghanistan, comme il a eu l’occasion de le montrer au monde entier lors des puissantes grèves révolutionnaires de 1968-1969.

L’Arabie Saoudite

L’Arabie Saoudite ressemble, elle aussi, à une véritable poudrière. Malgré les immenses ressources pétrolières du pays, la classe dirigeante l’a conduit au bord de la ruine. L’endettement croissant de l’État et des entreprises auprès des banques étrangères aurait atteint, selon l’OCDE, près de 300 milliards de dollars. Le déclin du niveau de vie du plus grand nombre, la stagnation économique et le caractère totalitaire du régime ont fini par miner une classe dirigeante profondément divisée sur la question de la manière de conserver son emprise sur la société saoudienne.

Historiquement, le régime a tenté d’exploiter les croyances religieuses du peuple pour augmenter le prestige de la caste parasitaire au pouvoir. Aujourd’hui, cette démarche est en train de se retourner contre lui. Sa collaboration avec les États-Unis (ainsi, de fait, qu’avec Israël), y compris pendant la guerre du Golfe l’a grandement affaiblie. La justification officielle de la présence de bases américaines en Arabie Saoudite invoque la nécessité de la protéger contre une attaque éventuelle de l’Irak. En réalité, il s’agit avant tout de garantir l’accès des États-Unis aux ressources pétrolières, dans l’hypothèse de la chute du régime en place. Dans ce cas, les États-Unis occuperaient militairement les zones côtières du pays. Mais l’existence de ces bases est vécue comme un blasphème et une humiliation insupportables par une partie très importante de la population. Enfin, la crédibilité de nombreuses personnalités de la famille royale, comme gardiens de la foi islamique, a été sérieusement entamée par le comportement de ceux-ci, et notamment par leur penchant pour les prostituées “de luxe” dans les grands hôtels de Paris et de Londres - un détail de la vie de ces pieux individus qui est, aujourd’hui, de notoriété publique.

L’agence Stratfor Global Intelligence, qui fournit des bulletins de renseignement aux gouvernements et aux grands groupes industriels et financiers, a récemment fait état de la situation alarmante qui existe dans le pays. Selon le bulletin Stratfor du 23 octobre dernier : “Lors d’une conférence sur le thème de la sécurité qui a eu lieu dans l’est du pays, le prince Nayef, Ministre de l’Intérieur, a mis en garde le personnel des forces armées contre toute fraternisation avec des groupes islamistes oppositionnels. L’Agence de Presse Saoudienne, à titre officiel, a rendu compte des propos du prince. Cet événement, très inhabituel compte tenu du secret qui entoure généralement les efforts du régime pour déjouer des mouvements d’opposition, s’explique par l’inquiétude croissante de la famille royale à l’égard de la fiabilité des forces armées.

La guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis a révélé une faille qui s’ouvre dans la société saoudienne, et le malaise de la population, notamment dans le sud-ouest, pourrait s’avérer dangereux pour le gouvernement de Riad. L’hostilité de la population à la coopération entre Riad et Washington, mise en évidence par les protestations récentes, a poussé le régime à reconsidérer l’installation de troupes américaines en Arabie Saoudite. Les divisions de la famille royale sur cette question posent un problème aux États-Unis, mais l’émergence d’une opposition intégriste pourrait forcer la main du régime, et le contraindre à l’expulsion des forces américaines et à une prise de distance à l’égard Washington.

Le gouvernement saoudien a de bonnes raisons de s’inquiéter. Les extravagances irresponsables de la famille royale ont fait grandir le mécontentement de la population. Dans le sud-ouest, une série d’incidents indique que ce mécontentement ne cesse de s’affirmer. Un soulèvement populaire contre le régime paraît peu probable en Arabie Saoudite. Cependant, une rébellion au sein des forces armées dans le sud-ouest est une possibilité réelle.”

L’agression menée par les États-Unis, et soutenue par ses alliés - dont les gouvernements “socialistes” de Jospin, Blair et Schröder - est supposée être une guerre contre l’organisation terroriste de Ben Laden et contre les Talibans. Cependant, comment le déluge de bombes qui s’abat sur les civils afghans empêchera des organisations terroristes de fonctionner demeure le secret bien gardé des gouvernements en question. Bush, Blair, et Jospin font semblant de découvrir les méfaits des Talibans, mais ces derniers étaient plutôt bien vus quand leur fanatisme réactionnaire était au service de leurs intérêts dans la région. A peine quelques semaines avant la guerre, des représentants de ce “régime criminel” étaient accueillis au Quai d’Orsay, dans une ambiance plutôt chaleureuse.

Face aux conditions de vie insupportables que génère le capitalisme dans le monde arabo-musulman, il n’est pas étonnant que certaines personnes, en désespoir de cause, se tournent vers le terrorisme. Mais le terrorisme ne résoudra rien pour les peuples opprimés du monde. La seule force capable d’en finir avec cette oppression est celle des travailleurs du Pakistan, ou encore, par exemple, de l’Iran, de l’Égypte, et de l’Algérie. Le vrai pouvoir de changer les choses est là, et nulle part ailleurs. La situation dans tous les pays du monde arabo-musulman  prépare d’énormes événements. Nous en avons eu un avant-goût avec les événements qui ont ébranlé le régime algérien au printemps dernier, lesquels, malgré la pause temporaire que marque le mouvement, représentent le début d’un processus révolutionnaire. A son tour, le Pakistan pourrait bien être le lieu de la prochaine conflagration sociale.

Les immenses richesses que recèlent les pays de l’Afrique du nord, du Moyen-Orient et de l’Asie centrale suffiraient à en faire un véritable paradis sur terre, pour peu qu’elles soient arrachées des mains qui les détiennent actuellement, c’est-à-dire qu’elles soient nationalisées et soumises à une gestion démocratiquedans l’intérêt de la collectivité. A la place de la division des peuples, de part et d’autre des frontières arbitrairement dessinées par les colonisateurs, le socialisme permettrait une coopération économique et un épanouissement culturel de tous, dans le cadre d’une fédération librement consentie. Le capitalisme est responsable de toute cette souffrance, de cette misère, de ces régimes corrompus et répressifs, de ces inégalités flagrantes, auxquels s’ajoutent, lorsque les maîtres actuels du monde la décrètent, l’horreur indicible de la guerre. Bush présente le carnage en cours comme “la première guerre du 21e siècle”. Sur la base du système actuel, elle ne sera certainement pas la dernière.