Depuis la rédaction de cet article (le 6 novembre), les défaites ont continué à s'accumuler pour l'Arménie, jusqu'à pousser la Russie à intervenir et à imposer un cessez-le-feu aux deux parties le 10 novembre. Cet accord a mis fin à la guerre mais n'a rien résolu sur la durée. La restitution de territoires à l'Azerbaidjan va s'accompagner d'un exode de populations arméniennes et les nouvelles frontières du Karabakh en font un Etat encore moins viable qu'auparavant. Comme nous le disions dans cet article, le capitalisme et l'impérialisme n'ont rien à offrir aux peuples du Caucase, sinon la promesse de futures souffrances.


La guerre qui oppose l’Arménie et l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh, depuis la fin du mois de septembre, a déjà fait plusieurs milliers de morts. Des commentateurs superficiels – ou qui veulent masquer les véritables intérêts en jeu – parlent d’une « malédiction caucasienne », comme il y avait autrefois une prétendue « malédiction balkanique ». En réalité, cette guerre s’enracine dans les profondes contradictions engendrées par les crimes de l’impérialisme et du stalinisme.

Les origines du conflit

Pendant des siècles, Azéris et Arméniens ont vécu côte à côte, sans problèmes. C’est l’irruption de l’impérialisme dans la région, au XIXe siècle, qui a transformé ces peuples en pions dans les affrontements entre grandes puissances. Les nationalistes arméniens, soutenus par la Russie, affrontaient les nationalistes azéris, soutenus par la Turquie, puis par la Grande-Bretagne. Le génocide de centaines de milliers d’Arméniens par la Turquie, à partir de 1915, poussa des dizaines de milliers de réfugiés vers le Caucase et le Karabakh.

Cependant, le développement du capitalisme créait aussi une classe ouvrière multi-ethnique. Dans les usines de Bakou (capitale de l’Azerbaïdjan), les ouvriers azéris, géorgiens et arméniens travaillaient ensemble, luttaient ensemble. Après la révolution d’Octobre 1917, les dirigeants bolcheviques s’efforcèrent de régler le problème du Caucase en créant une Fédération Socialiste de Transcaucasie, dans laquelle chaque nationalité était libre de se développer culturellement de façon autonome, tandis que le rapprochement entre les peuples de la région était facilité.

La dégénérescence bureaucratique de la révolution russe changea la donne. Pour protéger son pouvoir et ses privilèges, la bureaucratie stalinienne mit en œuvre le vieux principe : « diviser pour mieux régner ». En 1936, la République soviétique de Transcaucasie fut divisée en trois Républiques distinctes. Comme il était impossible de tracer des frontières ethniquement cohérentes, chacune de ces Républiques hérita de fortes minorités nationales. Le Haut-Karabakh, peuplé majoritairement d’Arméniens, échut à l’Azerbaïdjan.

Plus sa dégénérescence progressait, plus la bureaucratie des différentes Républiques devenait nationaliste. En Azerbaïdjan, cela se traduisit par des mesures discriminatoires contre les Arméniens – et même par l’organisation de massacres d’Arméniens à Bakou, en 1990. Les nationalistes arméniens du Karabakh répliquèrent en massacrant ou en chassant les Azéris de la région. A la chute de l’URSS, en 1991, les différentes bureaucraties nationales se muèrent en bourgeoisies nationales. Une véritable guerre éclata. Elle fit près de 40 000 morts et des centaines de milliers de réfugiés, avant que ne s’instaure une « paix armée ».

Manœuvres impérialistes

Le Caucase a toujours été un point chaud des rivalités impérialistes. Or, la crise économique mondiale en 2008 a exacerbé les tensions. Le président turc Erdogan, en particulier, a poussé au déclenchement de la guerre actuelle. Pour essayer de restaurer sa popularité affaiblie par la crise de l’économie turque, il a multiplié les aventures militaires – en Syrie, en Libye et désormais dans le Caucase. Il s’appuie sur le nationalisme « pan-turc », qui affirme que l’Azerbaïdjan et la Turquie seraient « deux pays, mais un seul peuple ». La Turquie a donc apporté une aide militaire considérable à l’Azerbaïdjan : drones, conseillers militaires, mais aussi des milliers de mercenaires syriens recrutés dans les camps de réfugiés de la frontière turco-syrienne.

De son côté, l’Arménie ne peut compter que sur un soutien vacillant de son protecteur traditionnel, la Russie. En effet, le Kremlin craint qu’en intervenant trop ouvertement du côté de l’Arménie, il ne jette définitivement l’Azerbaïdjan dans les bras de la Turquie. Pour autant, Moscou ne peut pas rester passif face à la perspective d’une défaite totale de l’Arménie. Celle-ci héberge la seule base militaire russe du Sud-Caucase. Par ailleurs, elle est membre de l’alliance militaire dirigée par Moscou, l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Un abandon de l’Arménie risquerait de coûter cher à la Russie.

La France est aussi intervenue, à plusieurs reprises, pour apporter un soutien diplomatique à l’Arménie. Cependant, Macron verse des larmes de crocodile. Il se fiche complètement du sort des populations du Karabakh. Cette crise n’est pour lui qu’une nouvelle occasion de poursuivre son affrontement avec Erdogan, après la Libye[1].

Contrairement au discours dominant, cette guerre ne peut pas être résumée à la seule agression de l’Azerbaïdjan contre la « petite » Arménie. Une victoire de l’Arménie ne règlerait aucun problème ; elle ne mettrait pas un terme à la division de la région. Le mouvement ouvrier ne doit pas choisir une puissance impérialiste contre une autre, ni l’un ou l’autre de leurs pions locaux. Comme la révolution russe l’a montré à ses débuts, seule une révolution socialiste apportera une solution aux problèmes du Caucase. Une Fédération socialiste abattrait les frontières qui divisent les travailleurs et les transforment en source de profits – ou en chair à canon – pour leurs exploiteurs.

Pour la paix et la fraternité entre les travailleurs !

Pour une Fédération socialiste du Caucase !


[1]     Voir notre article : Manœuvres impérialistes en Libye.

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