Etats-Unis

L es prochaines élections présidentielles américaines se tiendront en novembre 2024. Sauf problème de santé majeur, Joe Biden (ou ce qu’il en reste) et Donald Trump seront candidats. Cette élection, qui opposera les deux présidents les plus détestés de l’histoire moderne des Etats-Unis, résume à elle seule la profonde crise de régime dans laquelle s’enfonce la première puissance mondiale.

Ascension et déclin

Pendant des décennies, les médias bourgeois ont présenté les Etats-Unis comme un havre de stabilité politique et sociale. Toute la période des Trente Glorieuses, puis la reprise économique consécutive à la chute de l’URSS, accrurent les profits d’un impérialisme américain qui étendait son emprise à des niveaux inédits.

Cette période d’expansion permettait à la bourgeoisie américaine de faire certaines concessions à une partie de la classe ouvrière. C’était la base matérielle du fameux « rêve américain ». Mais cette idée que, dans le pays de l’Oncle Sam, n’importe quel citoyen peut gravir toute l’échelle sociale grâce à son travail, fut frappée de plein fouet par la crise de 2008, les politiques d’austérité, la pandémie, les fiascos militaires, les catastrophes climatiques et bien d’autres expressions de l’impasse du capitalisme.

La société américaine est désormais traversée par une profonde crise sociale. De manière générale, les conditions de vie de la classe ouvrière se dégradent sous l’impact de la crise du capitalisme. Depuis 2014, l’espérance de vie recule – après des décennies d’augmentation. La jeunesse est la première touchée. D’après les « Centres de contrôle et de prévention des maladies », une lycéenne américaine sur trois a déjà envisagé le suicide en 2021.

Crise économique

De nombreux chiffres soulignent le déclin du capitalisme américain. En 1960, son économie concentrait 40 % de la production mondiale. En 2023, elle n’en concentre plus que de 17 %. La dette totale – publique et privée – est passée de 2000 milliards de dollars dans les années 1970 à 93 500 milliards fin 2022, soit le double du cumul des dettes de tous les pays européens. Durant une bonne partie du XXe siècle, les Etats-Unis étaient les premiers créditeurs du monde. Aujourd’hui, ils en sont les premiers débiteurs.

L’inflation a bondi à 8 % en 2022. Pour l’atténuer, la Réserve fédérale (FED) a augmenté plusieurs fois ses taux d’intérêt au cours de l’année 2023, au risque de provoquer une récession. Il est vrai que celle-ci a été évitée – pour le moment.

La bourgeoisie et les médias américains se réjouissent de la croissance actuelle, qui a atteint 3,3 % au dernier trimestre 2023. Ils ne manquent pas de souligner que l’Europe est dans le marasme et l’Allemagne en récession. « Au royaume des aveugles les borgnes sont rois » – mais aux Etats-Unis, il n’y a que les rois, ou plutôt les bourgeois qui profitent de cette croissance. Les travailleurs américains n’en tirent aucun bénéfice. Dans leurs portefeuilles et sur leurs comptes en banque, ils ne « voient » pas la croissance.

Impérialisme

Le corollaire de la crise du capitalisme américain est le déclin relatif de son l’impérialisme. C’est l’un des principaux facteurs de déstabilisation des relations internationales.

Nous parlons d’un déclin relatif car l’impérialisme américain reste – de loin – le plus puissant de la planète. Néanmoins, l’armée américaine est forcée de se retirer d’anciennes positions et ne peut plus être mobilisée aux quatre coins du monde chaque fois que les intérêts américains y sont menacés. Après le fiasco des interventions en Irak et en Afghanistan, la classe ouvrière américaine est très réfractaire aux guerres impérialistes – notamment parce qu’elles coûtent très cher alors que, dans le même temps, les travailleurs subissent des politiques d’austérité. Moins de 25 % de la population était favorable à une intervention directe des Etats-Unis en Ukraine.

Ce déclin relatif de l’impérialisme américain se reflète dans toute une série de revers militaires. Depuis 2020, nous avons assistés à la débandade de l’armée américaine en Afghanistan, à la défaite en cours de l’OTAN dans sa guerre par procuration en Ukraine – et à l’impuissance des bombardements contre les Houthis, au Yémen.

Tout ceci ouvre un espace à des impérialismes rivaux tels que la Russie et la Chine, qui développent leurs propres sphères d’influence en Afrique et au Moyen-Orient. La présence économique chinoise progresse même au Mexique. Ce faisant, les entreprises chinoises atteignent le marché américain en contournant les droits de douane imposés par Washington.

Polarisation

Depuis la crise de 2008, la dégradation des conditions de vie de millions de jeunes et de travailleurs américains provoque un regain de la lutte des classes. Mais la polarisation à l’œuvre dans la société s’est surtout manifestée – de manière limpide – dans la sphère politique, et ce dès les élections de 2016.

Lors des primaires démocrates, la campagne de Bernie Sanders – qui défendait une « révolution politique contre les milliardaires » – a suscité beaucoup d’enthousiasme dans la jeunesse. Le parti démocrate a eu recours à tous les stratagèmes pour faire gagner Hilary Clinton, aux primaires, mais cela n’a pas effacé la signification de l’énorme popularité de Sanders.

Dans le même temps, l’élection de Trump exprimait cette même radicalité de manière très déformée. Sa démagogie « anti-système » cristallisait l’exaspération d’une partie de la classe ouvrière. Et loin d’imposer le « fascisme », comme l’annonçaient beaucoup d’esprits superficiels, le mandat de Trump a renforcé l’instabilité et la polarisation politiques.

En 2020, l’assassinat de George Floyd par un policier fut « le meurtre de trop ». Cela fit remonter à la surface les terribles conditions de vie des travailleurs noirs. Le magnifique mouvement « Black Lives Matter » a mobilisé, au total, plus de 26 millions de personnes de toutes les origines. Ce fut la mobilisation la plus massive de l’histoire des Etats-Unis. La classe dirigeante était sur la défensive – et Trump, paniqué, se terra dans un bunker.

Biden et le « moindre mal »

Dans la foulée de ce mouvement, le soi-disant « moindre mal » représenté par Biden l’emportait face à Trump aux élections de novembre 2020. Mais depuis, les attaques contre les travailleurs se sont poursuivies. 21 Etats ont supprimé ou restreint l’accès à l’IVG. La construction du mur, à la frontière avec le Mexique, n’a pas été interrompue. Et bien sûr, la police américaine continue d’assassiner des noirs. Dans le même temps, en 2023, la grande banque américaine JP Morgan a connu la meilleure année de toute son histoire.

Biden avait été élu sur un programme de « paix ». Il annonçait vouloir établir une relation stable avec la Russie et promettait de ne pas intervenir au Moyen-Orient. Il a fait exactement le contraire. Son soutien au massacre des Gazaouis lui vaut désormais le surnom de « Genocide Joe ». Toutes les illusions qui persistaient à l’égard des Démocrates, sur les questions militaires, ont été anéanties. De récents sondages révèlent que moins de 17 % des Arabes, aux Etats-Unis, prévoient de voter Biden. En 2020, 64 % d’entre eux lui avaient donné leur voix. Avec 37 % de popularité, Biden est le Président le plus détesté de l’histoire moderne des Etats-Unis.

Trump, saison 2 ?

Une majorité de la classe dirigeante américaine redoute une nouvelle élection de Trump. Sa démagogie et son caractère incontrôlable ne sont pas bons pour les intérêts généraux de la bourgeoisie américaine.

Le 4 avril dernier, Trump comparaissait devant un tribunal pénal : une première pour un Président dans toute l’histoire des Etats-Unis. A ce jour, il traîne 91 chefs d’inculpation. Mais loin de l’affaiblir, ces poursuites judiciaires sont devenues un argument supplémentaire dans sa rhétorique « anti-système ». Il se réjouit de prendre la pose devant les appareils photo des policiers.

Trump a remporté sa sixième victoire consécutive lors des primaires républicaines, dont l’avant-dernière en Caroline du Sud, un fief de Nikki Haley, sa seule opposante. Une voie royale vers sa nomination lui est ouverte. Mais surtout, le rejet massif de Biden, dans la population américaine, est tel que Trump est désormais le favori de ce scrutin. Les derniers sondages lui donnent 2 à 5 points d’avance sur Biden. Bien sûr, il ne s’agit que de sondages. Mais n’oublions pas qu’en 2020 les sondages avaient largement sous-estimé le score de Trump, face à Clinton.

Luttes des classes et communisme

Le régime politique de la première puissance mondiale traverse la crise la plus grave de son histoire. Par exemple, la confiance moyenne dans le Congrès atteint le chiffre historiquement bas de 7 % ! Si Trump est élu, sa démagogie réactionnaire serait exposée au grand jour, une nouvelle fois, mais dans une situation bien plus instable qu’en 2016. La crise de régime atteindra de nouveaux sommets.

Depuis trois ans, le pays connaît un puissant retour de la question de classe, qui s’exprime notamment dans une lutte pour la syndicalisation. Chez Amazon et Starbucks, par exemple, de jeunes travailleurs y sont poussés par les attaques du patronat. De même, le nombre de grèves augmente chaque année. Toutes les conditions sont réunies pour de puissants mouvements des travailleurs américains.

Cependant, il n’existe aucune alternative politique visible et crédible permettant de cristalliser la colère de millions de jeunes et de travailleurs exaspérés par la crise du capitalisme. Les Socialistes Démocrates d’Amérique (DSA), qui ont connu une période de forte croissance grâce aux succès de Sanders et à l’opposition à Trump, se sont largement dégonflés suite à leur refus de rompre avec le Parti démocrate. Quant à Sanders lui-même, après avoir donné un blanc-seing à Biden lors de son élection de 2020, il défend désormais le « droit d’Israël à se défendre », c’est-à-dire de massacrer les Gazaouis. Il est profondément discrédité.

58 % des Américains rejettent les deux candidats à l’élection de novembre prochain. Dans le même temps, tous les sondages soulignent la montée des idées communistes dans la jeunesse américaine. Une enquête publiée au Canada, en février 2023, montrait que 20 % des Américains âgés de 18 à 34 ans pensent que le communisme est « le meilleur système économique ».

C’est dans ce contexte que la section américaine de notre Internationale vient de changer de nom. Elle s’appelle désormais les « Communistes Révolutionnaires d’Amérique ». Son objectif est clair : construire un parti révolutionnaire en s’adressant résolument aux millions de jeunes Américains qui se tournent vers les idées du communisme.

Ces six derniers mois, notre section américaine a pratiquement doublé ses effectifs. Pour donner une idée du type d’Américains qui rejoignent notre organisation aux Etats-Unis, voici le message envoyé par l’un d’entre eux, lorsqu’il a pris contact avec nos camarades : « Je hais le capitalisme de tout mon être. Je refuse que ce système infâme m’entraîne dans sa chute – ou alors je mourrai en le combattant. Pas besoin de me convaincre : je veux seulement qu’on me donne les moyens d’agir et qu’on me forme ». Ce camarade a frappé à la bonne porte !

Cet automne, aux Etats-Unis, plus de 46 000 travailleurs de Stellantis, Ford et General Motors ont participé à une grève d’une ampleur historique.

Ces seize dernières années, les salaires des ouvriers américains de ces trois poids lourds de l’industrie automobile ont baissé, en moyenne, de 10 dollars de l’heure. Par contre, au cours des quatre dernières années, les rémunérations des dirigeants ont augmenté de 40 %.

Ces trois entreprises utilisent une grille salariale très complexe qui pénalise particulièrement les nouveaux salariés, dans le but de faire baisser les salaires moyens et de faire pression sur le reste des travailleurs.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, cette année, l’élection interne au Syndicat des travailleurs de l’automobile (UAW) ait débouché sur la victoire d’un candidat relativement radical : Shawn Fain. Ce dernier avait fait campagne en défendant la nécessité de lutter pour mettre fin aux grilles salariales et obtenir des augmentations de salaire.

Grève massive

La grève a débuté fin septembre dans les plus petites usines et les centres de distribution de pièces, qui sont généralement les secteurs les plus précarisés. Puis elle s’est étendue aux usines les plus importantes des trois groupes. Les revendications étaient simples : des augmentations de salaire de 40 %, la fin des grilles salariales et de meilleures primes de retraites.

La mobilisation a bénéficié du soutien massif de la population américaine : 3 personnes sur 4 déclaraient soutenir le mouvement. La colère des ouvriers de l’automobile fait écho à celle d’un nombre croissant de travailleurs aux Etats-Unis. Signe de cette radicalisation, les syndicats sont plus populaires que jamais : 67 % de la population déclarent les soutenir, contre 48 % en 2009.

La classe dirigeante américaine est bien consciente de cette colère profonde et s’efforce de la désamorcer ou, à défaut, de la canaliser vers des chemins plus sûrs. Après avoir fait voter une loi pour interdire la grève des travailleurs du rail, l’an dernier, Joe Biden a décidé de jouer cette fois-ci la carte de « l’ami des syndicats » : il s’est rendu sur un piquet de grève pour apporter son « soutien » à l’UAW. Les Démocrates espèrent capter la colère des masses à leur profit lors des élections présidentielles de 2024. Malheureusement, au lieu de dénoncer l’hypocrisie de Biden, les dirigeants de l’UAW ont joué son jeu. Shawn Fain s’est même pris en photo avec le président sur le piquet de grève.

L’impact économique de la grève a été énorme. General Motors aurait perdu jusqu’à 130 millions de dollars en une semaine lorsque son usine d’Arlington s’est mise en grève. Mi-octobre, les usines canadiennes des trois groupes ont commencé à rallier le mouvement. Sous l’impulsion de l’UAW, des entreprises plus petites, comme le constructeur de poids lourds Mack Trucks, se sont aussi mises en grève pour obtenir des augmentations de salaire.

Une victoire en demi-teinte

Ford a été la première entreprise à proposer un accord. Stellantis et General Motors ont rapidement suivi et se sont alignées sur la position de Ford, qui proposait une augmentation de salaire de 25 % échelonnée sur quatre ans, la modification des grilles salariales et des primes supplémentaires pour les retraités. L’UAW a accepté ces conditions et la grève s’est achevée fin octobre.

Alors que la grève était massive et a durement touché aux portefeuilles des trois géants de l’industrie automobile, elle s’est soldée par une victoire en demi-teinte. Les grilles salariales ont été simplifiées, mais elles existent toujours. Quant aux promesses d’augmentation des salaires, elles sont bienvenues, mais ne permettront pas de compenser l’inflation de ces dernières années.

Le problème était la tactique adoptée par la direction de l’UAW. Au lieu de mettre en grève toutes les usines en même temps – sachant que 97 % des 150 000 syndiqués de l’UAW avaient voté pour la grève –, le syndicat a opté pour une grève « par appel » : certaines usines étaient appelées à se mettre en grève une semaine, puis d’autres usines la semaine suivante, etc. La première semaine de grève a mobilisé moins de 10 % des syndiqués ! L’effet principal de cette tactique fut de désorienter les travailleurs qui, bien souvent, ne savaient souvent pas s’ils feraient grève la semaine suivante. Par ailleurs, les premiers à partir en grève étaient déjà épuisés lorsque les derniers sont entrés dans la lutte. Cette dispersion a affaibli la grève et renforcé la position des patrons dans les négociations.

Cette lutte est terminée, mais d’autres se préparent. Comme l’expliquent nos camarades américains de Socialist Revolution, la classe ouvrière doit renouer avec ses traditions militantes. Dans les années 1930 et 1940, sous l’impulsion de militants communistes et trotskystes, les syndicats avaient mené des luttes très dures, marquées notamment par des grèves massives et des occupations d’usines. Seule une lutte résolue contre le système capitaliste et ses représentants – y compris Biden et les Démocrates – permettra de défendre et d’améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs américains.

Après des mois de grève, la lutte des acteurs et des scénaristes d’Hollywood semble approcher de son dénouement. Le 26 septembre, le syndicat des scénaristes (la WGA) a annoncé avoir conclu un accord avec les représentants du patronat du secteur (l’AMPTP). Le contenu exact de l’accord, présenté comme « exceptionnel » par les négociateurs de la WGA, est toujours inconnu à l’heure où nous écrivons ces lignes. Il ne sera rendu public que s’il est approuvé par l’ensemble des travailleurs que représente le syndicat. Dans tous les cas, il ne concernera que les scénaristes ; de son côté, le syndicat des acteurs (la SAG-AFTRA) poursuit la grève.

Précarité à Hollywood

La mobilisation exige le strict encadrement de l’utilisation des IA, pour éviter que celles-ci ne remplacent purement et simplement une partie des acteurs et des scénaristes. L’autre revendication centrale porte sur la défense des salaires face aux conditions imposées par les plateformes de streaming telles que Netflix.

Dans leurs reportages sur cette grève, les journalistes se sont trop souvent focalisés sur les acteurs militants les plus connus, au risque de donner une image déformée des conditions de travail de la très grande majorité des travailleurs de ce secteur. Dans l’industrie du divertissement, le travail est irrégulier, éphémère et le plus souvent mal payé. 87 % des acteurs affiliés à la SAG-AFTRA gagnent moins de 26 000 dollars par an, qui est le minimum légal pour souscrire à une assurance santé aux Etats-Unis.

La situation s’est aggravée, ces dernières années, avec le développement des plateformes de streaming. Les contrats sont désormais plus courts et les périodes de chômage des acteurs plus longues. Le streaming s’est aussi accompagné d’une forte baisse des « résidus », ces bonus financiers que les acteurs et les scénaristes touchent lorsque leurs émissions ou leurs films sont diffusés à la télévision. Arrachés au patronat du secteur après une grève dans les années 1960, les résidus permettent aux acteurs les plus précaires de toucher un revenu entre deux contrats. Menacés dans les années 1980 par le développement de la VHS, les résidus avaient été sauvés par une mobilisation des syndicats des acteurs. Mais lorsque les plateformes de streaming ont commencé à se développer, leurs patrons ont décidé que les résidus ne les concernaient pas, puisqu’il s’agissait de diffusions « à la demande », et non de rediffusions.

Au passage, Netflix en a profité pour imposer à ses acteurs une grille salariale correspondant au minimum syndical. Les plateformes concurrentes n’ont eu qu’à s’aligner sur cette grille. L’acteur Matt McGorry, par exemple, a expliqué avoir dû garder un emploi alimentaire pendant le tournage de la série Orange is the new black, alors même que la série rencontrait un succès énorme et qu’il y jouait un rôle assez important.

En ce qui concerne l’exigence d’une stricte régulation des IA, elle répond à la crainte – parfaitement fondée – que les studios y aient recours pour rédiger des scripts de série et générer des voix, voire des acteurs. Un représentant de l’AMPTP, le syndicat patronal, expliquait franchement ses intentions en ces termes : « les acteurs d’arrière-plan devraient pouvoir être numérisés, payés pour une journée, [puis] être utilisés pour l’éternité sans consentement ni compensation ». Pour les acteurs les moins connus, cette perspective est un cauchemar, qui les réduirait au rôle d’appendices des IA. Les patrons d’Hollywood tentent de réaliser le rêve dystopique de nombreux capitalistes : une industrie (et ses profits) sans travailleurs.

Mobilisation déterminée

La mobilisation a été un immense succès grâce à la détermination des grévistes. Les piquets de grève ont complètement paralysé la production d’Hollywood pendant plusieurs mois, et ont coûté quelque 5 milliards de dollars aux capitalistes du secteur. Les acteurs et les scénaristes ont également bénéficié d’un soutien massif et d’un contexte favorable. La presse a mentionné les dons énormes faits à la caisse de grève par quelques célébrités millionnaires : Dwayne Johnson, par exemple, a fait le plus gros don individuel de l’histoire du syndicat.

Mais le mouvement s’est aussi développé dans le contexte général d’une vague de grèves en Californie, l’Etat qui a concentré près de la moitié des grèves cette année, dans le pays. La grève d’Hollywood a donc bénéficié de la solidarité de nombreux travailleurs en lutte. Des syndicats d’enseignants, d’infirmiers, de travailleurs de l’hôtellerie ou encore de routiers ont affirmé leur solidarité et nombre de leurs militants se sont rendus sur les piquets de grève.

Si la grève n’est pas finie pour les acteurs, cette mobilisation a déjà démontré que seule la lutte paie. Même si le détail de l’accord n’est pas encore connu, il semble que les patrons des studios ont été contraints de faire des concessions significatives, aussi bien en termes de salaires que de protection des scénaristes face aux IA. Cette grève ultra-médiatisée peut et doit être un encouragement à la lutte pour tous les travailleurs dont les conditions de vie sont menacées par la crise du capitalisme.

Le 4 avril dernier, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, un ancien président – Donald Trump – a comparu devant un tribunal pénal. Cet épisode judiciaire est une nouvelle illustration de l’instabilité croissante du système politique américain.

Qui veut la peau de Donald Trump ?

Trump est accusé d’avoir payé des témoins pour dissimuler ses aventures extra-conjugales avant les élections de 2016, mais aussi d’avoir falsifié des documents comptables pour cacher ces paiements – ce qui aux Etats-Unis est un « crime », d’un point de vue judiciaire.

Sans surprise, Trump a plaidé non coupable pour les 34 chefs d’accusation qui le visent. La prochaine audience se tiendra le 4 décembre. Une procédure de jugement pourrait alors être déclenchée. Elle pourrait durer pendant des années, ce qui toutefois n’empêcherait pas Trump d’être candidat aux élections présidentielles de novembre 2024.

Des sources judiciaires ont laissé entendre que Trump pourrait aussi être poursuivi pour avoir tenté d’interférer dans les élections de 2020, en Géorgie, mais aussi pour son rôle dans les émeutes du 6 janvier 2021, et enfin pour avoir conservé des documents officiels classifiés dans sa résidence privée de Mar-A-Lago.

Dès la sortie du Palais de Justice, le principal avocat de Trump s’est dit choqué par ce qu’il considère comme un « abus de pouvoir ». Pourtant, il est peu probable que le juge se serait risqué à poursuivre Trump sans disposer d’éléments très solides. Dans ce type de procédure, une condamnation requiert l’unanimité des jurés.

Au cours de sa carrière, Trump a réussi à échapper à toutes sortes de poursuites judiciaires. Il a même survécu à deux tentatives de destitution lorsqu’il était président. La multiplication des poursuites judiciaires contre lui, aujourd’hui, est le signe qu’une bonne partie de la classe dirigeante, y compris nombre d’élus du Parti républicain, cherche à l’écarter de la vie politique.

L’ex-président est un gros capitaliste et un réactionnaire patenté. Mais son aventurisme et son caractère incontrôlable en font une menace pour la grande bourgeoisie américaine. Contrairement aux politiciens bourgeois « normaux », Trump n’hésite jamais à faire passer ses propres intérêts personnels avant ceux du capitalisme américain.

Cette procédure judiciaire n’a rien à voir avec « l’égalité de tous devant la loi », qui est une fiction dans une société divisée en classes sociales. Tant qu’il ne nuisait pas aux intérêts de la bourgeoisie, Trump a pu violer la loi impunément, et ce pendant de nombreuses années. Les poursuites qui le visent aujourd’hui sont avant tout un rappel à tous les politiciens bourgeois que certaines choses ne seront pas tolérées par la classe dirigeante.

Contre Trump : lutter pour le socialisme !

Trump annonçait des émeutes s’il était inculpé, mais elles ne se sont pas concrétisées. La débâcle de l’invasion du Capitole, en janvier 2021, a refroidi une bonne partie de ses partisans. Un sondage de CNN montre que 60 % des Américains approuvent l’inculpation, même si près des trois-quarts d’entre eux pensent, à juste titre, que des considérations politiques – et non judiciaires – jouent un rôle central dans cette procédure.

Ceci dit, Trump conserve beaucoup d’influence sur la base du Parti républicain. L’establishment républicain, qui essaie de reprendre le contrôle du parti, a été contraint de défendre l’ancien président pour ne pas s’aliéner leurs électeurs.

Quant aux Démocrates, certains commentateurs affirment qu’ils font le calcul suivant : des poursuites pourraient donner à Trump l’aura d’un « martyr » et, ainsi, l’aider à remporter les prochaines primaires républicaines. Or les Démocrates s’imaginent qu’ils gagneront plus facilement les prochaines élections face à Trump que face à n’importe quel autre candidat. Mais au vu du bilan désastreux de Joe Biden, cela reste à prouver !

Ces événements ne peuvent qu’approfondir la polarisation de la politique américaine et aggraver la méfiance – justifiée – des masses envers les institutions bourgeoises. Le problème est qu’il n’existe, à ce stade, aucune alternative politique de gauche et de masse, aux Etats-Unis. Nombre de dirigeants « socialistes », tels Alexandria Ocasio-Cortez ou Bernie Sanders, s’alignent sur les Démocrates au nom du « moindre mal » et de la lutte contre Trump. Grave erreur ! C’est la crise du capitalisme qui a créé la popularité de Trump, lequel ne peut pas être efficacement combattu dans le cadre du Parti démocrate, qui est un parti bourgeois. Cette erreur favorise Trump ou prépare l’émergence d’un « nouveau » Trump. Pour vaincre l’extrême-droite trumpiste, il faut lui opposer un programme anti-capitaliste et radical.

Le caractère éminemment politique de ces poursuites doit aussi sonner comme un avertissement pour le mouvement ouvrier américain. Si la classe dirigeante n’hésite pas à utiliser la justice contre l’un de ses propres membres, comment traitera-t-elle un candidat socialiste ? Raison de plus pour construire un parti socialiste de masse, aux Etats-Unis, c’est-à-dire un parti capable non seulement de résister aux offensives de la bourgeoisie, mais aussi de mobiliser la classe ouvrière américaine pour la conquête du pouvoir.

Une vague de syndicalisation balaye les Etats-Unis et suscite l’enthousiasme de travailleurs du monde entier. L’entrepôt de Staten Island, dans l’Etat de New York, est le premier site américain d’Amazon à s’être doté d’un syndicat : l’ALU (« Amazon Labor Union »). Chaque semaine, les salariés de dizaines de Starbucks demandent à rejoindre les Travailleurs Unis de Starbucks (« Starbucks Workers United »). Un premier groupe de salariés d’un Apple Store a demandé, lui aussi, à rejoindre un syndicat. Entre janvier et avril derniers, 589 nouveaux syndicats ont demandé à être enregistrés auprès du Bureau National du Travail. C’est deux fois plus que l’an passé sur la même période.

Ces luttes pour l’organisation syndicale des travailleurs font partie d’un processus global. La crise du capitalisme écrase la classe ouvrière et la pousse à comprendre qu’elle ne peut compter que sur ses propres forces pour se défendre. Cela marque le réveil de la classe ouvrière américaine, après des décennies de relative atonie. C’était inévitable, à un certain stade. Comme l’écrivait Marx en 1847 : « Les conditions économiques avaient d’abord transformé la masse du pays en travailleurs. La domination du capital a créé à cette masse une situation commune, des intérêts communs. Ainsi cette masse est déjà une classe vis-à-vis du capital, mais pas encore pour elle-même. Dans la lutte, […] cette masse se réunit, elle se constitue en classe pour elle-même. Les intérêts qu’elle défend deviennent des intérêts de classe. Mais la lutte de classe à classe est une lutte politique. »

L’impact de la crise

Pendant des décennies, les travailleurs américains ont subi des reculs constants. Alors que la productivité du travail a augmenté de 70 % entre 1979 et 2019, les salaires n’ont augmenté que de 12 %. Cette période correspond aussi à un déclin du syndicalisme américain. Le taux de syndicalisation est passé de 20,1 % en 1983 à 10,5 % en 2018.

Aujourd’hui, la jeunesse est particulièrement frappée par la crise. Les emplois précaires sont devenus la norme. Il est très difficile d’acheter un logement et les loyers ne cessent d’augmenter. Le Covid-19 a encore aggravé la situation. Par exemple, les ventes en ligne ont explosé avec la pandémie, ce qui a soumis les travailleurs d’Amazon à une pression gigantesque. Des salariés ont été contraints d’uriner dans des bouteilles pour ne pas quitter leur poste et tenir le rythme exigé par la direction. De manière générale, les travailleurs du secteur tertiaire ont été célébrés comme des « héros », pendant la pandémie, mais leurs salaires et leurs conditions de travail sont restés misérables. Pendant ce temps, les PDG des 500 plus grandes entreprises américaines ont reçu, en 2021, des « bonus » de 14,2 millions de dollars, en moyenne.

A cela s’ajoute une inflation de 8,5 % : du jamais vu depuis le début des années 80, aux Etats-Unis. Combinés, ces facteurs créent une situation explosive.

L’évolution de la conscience de classe

Ces dernières années, de nombreux sondages ont régulièrement souligné un intérêt croissant et massif des jeunes Américains pour le socialisme et le communisme. L’appréciation que les travailleurs portent sur les syndicats est également très significative. Malgré leur faiblesse organisationnelle, le taux de popularité des syndicats est de 68 % dans l’ensemble de la population : un record depuis le milieu des années 60. Chez les jeunes de 18 à 34 ans, le chiffre grimpe à 77 %.

La récente vague de syndicalisation bénéficie d’une approbation massive. 75 % des Américains pensent que les travailleurs d’Amazon ont eu raison de constituer un syndicat. Ce chiffre grimpe à 83 % chez les 18-34 ans. Fait remarquable : il atteint 71 % chez les partisans de Donald Trump – ce qui prouve, au passage, que nombre d’entre eux pourraient être gagnés à une politique de classe, s’il existait un parti ouvrier pour la défendre.

Tous ces chiffres suffisent à réfuter la rengaine selon laquelle « la classe ouvrière a complètement changé » – quand elle n’aurait pas carrément « disparu ». Certes, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour constater que la classe ouvrière a beaucoup évolué, ces derniers 150 ans. Le secteur tertiaire, en particulier, s’est énormément développé au cours des dernières décennies. Et la dynamique de la lutte de classe est apparue dans ce secteur. Les travailleurs de la restauration, de la vente, de la logistique, etc., vendent tous leur force de travail contre un salaire – et participent, eux aussi, à la formation d’une plus-value (le profit capitaliste). En conséquence, ces travailleurs finissent par comprendre la nécessité de s’organiser pour se défendre face à la cupidité des patrons.

Ce qui se passe aux Etats-Unis est un démenti apporté à tous les cyniques qui affirmaient, par exemple, qu’il était « impossible » de créer des syndicats dans la restauration rapide. Les militants de la « Starbucks Workers United » sont en train de démontrer qu’ils avaient tort. Depuis que les travailleurs du Starbucks de Buffalo ont réussi à organiser un syndicat, leurs collègues dans plus de 200 établissements, à travers le pays, ont engagé la lutte dans la même direction.

Ce qui se passe chez Amazon est emblématique de la lutte des classes à notre époque. Face à Jeff Bezos, deuxième fortune mondiale, la campagne de syndicalisation a été menée par Chris Smalls. Ce dernier avait été licencié par Amazon après avoir organisé un débrayage pour dénoncer le manque de protections face au Covid-19. Détail intéressant : on a appris que les dirigeants d’Amazon s’étaient félicités du fait que Smalls devienne le symbole de la syndicalisation, car ils estimaient qu’il n’était « ni intelligent, ni éloquent ». Leur mépris s’est retourné contre eux. Depuis la victoire de Staten Island, plus de 50 entrepôts d’Amazon ont contacté l’ALU pour qu’elle les aide à former un syndicat.

D’importantes leçons

Ce qui est remarquable, ce n’est pas seulement la formation de syndicats chez Amazon, Starbucks et dans d’autres entreprises. C’est aussi et surtout la façon dont ces victoires ont été obtenues.

L’an dernier, les travailleurs d’Amazon avaient subi une défaite lors d’une première tentative de syndicalisation à Bessemer, dans l’Alabama. Cette première campagne syndicale chez Amazon souffrait d’une faiblesse : elle ne s’appuyait sur aucune revendication spécifique. Dans ces conditions, beaucoup de travailleurs étaient sceptiques.

La même dynamique s’est répétée lors d’une campagne ratée de syndicalisation dans la province canadienne de l’Alberta. Le vice-président du syndicat local avait même affirmé : « Nous ne sommes pas là pour que vous ayez vos 30 dollars de l’heure. Nous sommes ici pour aider à améliorer l’environnement de travail, et voir si on peut négocier des augmentations de salaire… Mais nous ne pouvons rien garantir ». Difficile d’imaginer un discours moins motivant !

La campagne de Staten Island était très différente. L’ALU a formulé des revendications claires : un salaire de 30 dollars de l’heure, deux pauses de 30 minutes (payées) et une heure de pause repas (payée, elle aussi). Il ne s’agissait pas uniquement de lutter pour créer un syndicat, mais aussi, et surtout de lutter pour obtenir des résultats concrets, sur la base de revendications audacieuses. Et ce fut un succès !

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas plus « réaliste » – ou « plus raisonnable » – d’organiser la lutte sur la base de petites revendications. Au contraire. Les travailleurs ne prennent pas le risque de perdre du temps, des forces et de l’argent dans une bataille menée pour des changements mineurs : le jeu n’en vaut pas la chandelle. Ils sont plus disposés à lutter pour des revendications audacieuses, qui valent la peine.

L’autre caractéristique fondamentale de la campagne de l’ALU, ce fut l’implication de la base. Après son licenciement, Chris Smalls a posé sa tente près de l’entrepôt Amazon JFK8, pendant près de dix mois. Lui et Derrick Palmer, un employé de l’entrepôt, ont alors consacré leur temps à discuter avec les travailleurs, à répondre à leurs questions et à les impliquer dans la lutte.

Un article du journal The City explique bien comment les choses se sont déroulées : « Alors que Smalls passe le plus clair de ses jours dehors à JFK8 ou à l’arrêt de bus, Palmer continue de travailler au sein du bâtiment, discutant avec les autres travailleurs et se rendant à la salle de pause pour rassembler des soutiens durant son temps libre, lorsqu’il ne travaille pas au département de l’empaquetage…

« Avec une poignée d’autres syndicalistes, les deux hommes ont passé les dernières semaines au téléphone. Ils ont appelé chaque travailleur de JFK8 susceptible de participer au vote sur la syndicalisation, soit environ 8300 employés.

« Certains travailleurs appelés ont demandé à rencontrer les syndicalistes en personne pour discuter de la campagne de syndicalisation. Leurs questions ont souvent trait aux cotisations syndicales [la propagande patronale prétend que ces cotisations sont disproportionnées et inutiles]. Smalls déclare à ce propos : “Une fois qu’on a répondu à leurs questions, il est plus facile de les convaincre, car ils comprennent alors qu’Amazon leur ment”. »

Trop souvent, les campagnes de syndicalisation sont menées de façon bureaucratique, sans mobiliser la masse des travailleurs, précisément parce que nombre de dirigeants syndicaux ne leur font pas confiance. A l’inverse, le succès de l’ALU montre ce qui peut être accompli lorsqu’on mobilise la base, lorsqu’on permet aux travailleurs de prendre en main la lutte, et lorsqu’on formule des revendications audacieuses.

« La révolution est là » (Chris Smalls)

Nous partageons totalement l’enthousiasme des militants de l’ALU. Ils ont réussi quelque chose qui semblait impossible à beaucoup de gens. Après la puissante grève des enseignants en 2018 et 2019, la mobilisation de Black Lives Matter en mai-juin 2020 (le plus grand mouvement de masse de l’histoire du pays) et la vague de grèves de l’automne dernier (le « Striketober »), l’actuelle vague de syndicalisation est une nouvelle étape du réveil de la classe ouvrière américaine.

Bien sûr, le patronat ne laissera pas les travailleurs s’organiser et lutter sans leur opposer une résistance acharnée. Des luttes colossales sont à l’ordre du jour. Mais comme le disait Marx, c’est à travers ces luttes qu’un nombre croissant de travailleurs en viendra à tirer des conclusions politiques radicales, à comprendre que le système capitaliste doit être renversé et remplacé par une société qu’ils dirigeront.

Nous laissons le dernier mot au magazine américain Newsweek : « Les salaires, le prix d’achat des maisons ou des loyers, le prix de la nourriture, les rapports entre les employeurs et les employés ainsi que le destin des petites entreprises face aux monopoles vont devenir des questions essentielles. La question des classes sociales, qui a longtemps dominé l’Europe, arrive chez nous pour prendre sa revanche [...]. Karl Marx doit sourire dans sa tombe, à Hampstead Heath. »

Aux Etats-Unis, la fuite d’un « mémo » interne de la Cour Suprême, début mai, a révélé la possibilité d’une remise en cause de la jurisprudence Roe v. Wade (1973), qui rend constitutionnelle la liberté de recourir à un avortement. Dans le même temps, Joe Biden ne respecte pas sa promesse d’inscrire le droit à l’avortement dans la loi, malgré une majorité Démocrate au Congrès.

Si ce droit est remis en cause, les femmes les plus riches trouveront facilement les moyens d’avorter dans les meilleures conditions. Ce sont les femmes pauvres, les femmes de la classe ouvrière, qui devront prendre des risques considérables.

Dès que le « mémo » de la Cour Suprême a été connu, de grandes manifestations ont été organisées à travers le pays. Nos camarades américains, organisés autour du journal Socialist Revolution, sont intervenus dans une douzaine de villes. Ils y ont constaté l’ampleur de la colère des jeunes et des travailleurs présents, mais aussi l’absence d’une direction dotée d’un programme et d’une stratégie à la hauteur de la situation. Les organisateurs officiels des manifestations avaient beaucoup d’illusions dans la politique du Parti Démocrate (qui est un parti bourgeois) et dans les intentions de la Justice bourgeoise américaine.

Sur les manifestations, nos camarades ont défendu un point de vue de classe. Ils ont souligné que l’ensemble du mouvement ouvrier – à commencer par le mouvement syndical – devait se mobiliser pour défendre non seulement le droit à l’avortement, mais aussi un accès sécurisé, gratuit et universel à tous les services de santé publique, sur la base d’un système de santé socialisé et national. Ils ont lié cette question à la nécessité de construire un authentique parti de masse des travailleurs, aux Etats-Unis. Enfin, ils ont expliqué que pour se débarrasser de la Cour Suprême et de toutes les autres institutions réactionnaires du régime capitaliste américain, il faudrait en finir avec le système capitaliste lui-même.

L’accueil très chaleureux que nos camarades ont reçu, sur ces manifestations, est à lui seul une indication de l’intensification à venir de la lutte des classes aux Etats-Unis.

Une nouvelle crise est venue secouer la politique américaine, pourtant déjà bien polarisée. Une fuite vient de rendre public un projet rédigé par le juge Samuel Alito au nom de la majorité de la Cour suprême. Il révèle que cette institution réactionnaire se prépare à invalider l’arrêt historique « Roe contre Wade ». Cet arrêt de 1973 avait déclaré que la Constitution américaine protégeait la liberté pour une femme enceinte de recourir à une IVG sans avoir à subir de restrictions gouvernementales excessives. L’argument du juge Alito est simple : puisque la question de l’avortement n’est pas explicitement désignée comme une prérogative fédérale dans la Constitution, elle relève des droits des différents Etats et le pouvoir fédéral ne doit pas avoir son mot à dire à ce sujet. Roe v. Wade est donc d’après lui « inconstitutionnel » et le droit à l’avortement ne devrait pas être protégé par l’Etat fédéral.

Une question de classe

Le fait que ce projet, théoriquement secret, ait été rendu public par un lanceur d’alerte illustre les profondes divisions qui existent au sommet de la société américaine. La classe dirigeante se déchire en cherchant un moyen de résoudre les insolubles contradictions inhérentes au capitalisme. Une partie de la classe dirigeante cherche à enrayer la poussée de la lutte des classes en mettant en scène une soi-disant « guerre culturelle » sur des questions comme l’avortement ou le racisme. Une autre craint les mobilisations de masse que cela pourrait susciter. Cette division est un signe de faiblesse de la part des défenseurs du statu-quo capitaliste. Pour autant, cela ne change rien au fait que, pratiquement du jour au lendemain, des dizaines de millions de femmes vivant dans le pays le plus riche du monde pourraient être projetées dans une barbarie digne des siècles passés.

Sans cette protection fédérale, les femmes enceintes qui choisiront de se faire avorter devront recourir à des établissements souvent très chers, peu sûrs et non réglementés, mettant en danger leur santé, voire leur vie, mais aussi leurs économies. Les femmes riches pourront toujours trouver un moyen d’avoir accès à des médecins privés de qualité, hors de l’Etat ou même à l’étranger si nécessaire. Mais pour les femmes pauvres de la classe ouvrière, c’est une autre histoire. Et elles ne seront pas les seules à en souffrir. Leurs compagnons, leurs enfants, etc. devront aussi payer le prix de ce recul social. Cette attaque particulièrement odieuse contre les femmes de la classe ouvrière est en fait une attaque contre tous les travailleurs.

Le rôle nuisible des démocrates

Malgré tous leurs beaux discours sur les droits des femmes, les démocrates ont joué un rôle particulièrement nuisible sur cette question. Ils ont facilité les reculs subis depuis des décennies par le droit à l’avortement. En 1973, l’actuel président Joe Biden, qui n’était alors qu’un sénateur démocrate parmi d’autres, avait déclaré publiquement qu’il ne pensait pas qu’« une femme a un droit exclusif de choisir ce qui doit arriver à son corps ». En 1977, il a même pesé de tout son poids pour empêcher que le gouvernement fédéral ne puisse aider au financement des avortements, spécifiquement dans les cas de viol et d’inceste. De manière plus générale, Obama et Biden ont tous deux promis durant leurs campagnes électorales (en 2008 pour Obama et en 2020 pour Biden) que, s’ils étaient élus, ils feraient du droit à l’avortement une loi fédérale, afin d’empêcher que la Cour suprême ne puisse revenir sur l’arrêt « Roe contreWade ». Ils ne l’ont jamais fait, alors même qu’ils contrôlaient (et contrôlent encore) la Chambre des représentants, le Sénat et la Maison-Blanche.

Après des décennies à se soumettre aux règles du jeu, il est clair que celles-ci sont truquées depuis le début. Le fait même que « Roe contre Wade » risque d’être annulé montre à quel point est futile cette confiance dans la légalité bourgeoise au lieu de la lutte de classe et tous les espoirs placés dans la Cour suprême, la Constitution, le parti démocrate et toutes les structures de la démocratie bourgeoise américaine. Ces espoirs déçus sont le fruit de la politique du « moindre mal » et de la collaboration de classe que prône une bonne partie de la gauche américaine. Ces institutions sont au service de la classe des exploiteurs dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux des travailleurs. Aucun droit n’est véritablement garanti pour la majorité de la classe ouvrière si leur défense repose entre les mains de la classe dirigeante et de ses institutions. Il faut en tirer les leçons : la voie à suivre ne passe pas par la collaboration entre les classes, mais par l’indépendance de classe et la formation d’un parti ouvrier de masse.

Le droit de choisir ce que l’on fait de son corps est un droit démocratique fondamental. En ce sens, nous défendons l’arrêt « Roe contre Wade ». Mais nous pensons qu’un droit aussi important ne devrait pas dépendre de juges, de tribunaux et de fonctionnaires non élus, pas plus que de l’interprétation forcément subjective et souvent fluctuante d’un document rédigé il y a plus de 200 ans par des esclavagistes. De plus, nous ne voulons pas juste avoir le « droit » à l’avortement. Le « droit » de devoir conduire 12 heures d’affilée jusqu’au centre d’avortement le plus proche de chez soi, le « droit » de payer une procédure très cher, en perdant une journée de travail, et peut-être même son emploi, n’est pas un vrai « droit ». C’est pourquoi la TMI se bat non seulement pour que les droits reproductifs complets, y compris l’avortement soient protégés, mais aussi pour un accès réel et universel à ces droits, pour que toutes celles qui le souhaitent puissent y recourir gratuitement, dans des hôpitaux en bonne condition, là où elles vivent et dans le cadre d’un système de santé socialisé et organisé à l’échelle nationale.

Devons-nous descendre dans la rue pour manifester et faire la démonstration de notre colère ? Les dirigeants des syndicats doivent-ils mobiliser leurs membres pour soutenir nos sœurs de classe qui sont attaquées ? Oui, évidemment. Mais manifester ne suffira pas. En fin de compte, les droits ne valent pas plus que le papier sur lequel ils sont écrits, s’ils ne sont pas soutenus par une force – en l’occurrence, par la mobilisation de la classe ouvrière en lutte pour le pouvoir politique et économique. S’ils voulaient vraiment défendre leurs membres et le reste de la classe ouvrière, les dirigeants syndicaux appelleraient à une grève générale et mobiliseraient toutes leurs ressources pour qu’elle devienne réalité.

Cette nouvelle en provenance de la Cour suprême doit être un signal d’alarme pour tous les travailleurs. Voici la « nouvelle normalité » de la vie sous le capitalisme (qui est, en réalité, un retour à l’« ancienne normalité »). Ce système en phase terminale ne peut ralentir sa chute qu’en reprenant tous les acquis que la classe ouvrière avait conquis dans ses luttes du passé. Alors oui, nous devons manifester, mais avant tout, nous devons nous préparer à la lutte des classes, à la guerre de classes et à la révolution socialiste. La route ne sera pas facile, mais il n’y en a pas d’autres.

Début avril, la classe ouvrière américaine a remporté une victoire historique. Elle a porté un coup très dur à la direction d’Amazon, propriété de Jeff Bezos et bastion de l’hostilité patronale aux syndicats. Le centre de distribution JFK8, dans l’arrondissement new-yorkais de Staten Island, est devenu le premier site américain d’Amazon à se doter d’un syndicat : 2654 travailleurs y ont voté pour s’organiser au sein du tout nouvel ALU : « Amazon Labor Union » (Syndicat des Travailleurs d’Amazon). 2131 salariés ont voté contre. Un vote similaire est en cours à l’entrepôt de Bessemer (Alabama). Cela se produit en même temps qu’une vague de syndicalisation chez Starbucks, qui marque une véritable révolution dans le secteur tertiaire.

Ceci dit, il faut souligner que le vote s’est joué à une faible majorité. Des décennies de propagande anti-syndicale ont eu un impact : beaucoup de travailleurs craignent de perdre leur emploi. Les dirigeants syndicaux devront démontrer les avantages d’un syndicat dans la pratique, c’est-à-dire par des luttes victorieuses. En arrachant de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, le centre JFK8 pourrait montrer la voie à l’ensemble de la classe ouvrière américaine.

De nos jours, de telles victoires ne seront possibles qu’au moyen de méthodes très combatives – et non avec les méthodes que défendent actuellement les directions syndicales, qui prônent la collaboration de classes et s’efforcent de cantonner la lutte aux seules actions juridiques. C’est précisément le patronat qui a favorisé cette tactique pendant des décennies, dans le but de contenir les luttes de classes dans des limites qui leur convenaient. Ceci ne peut mener qu’à la défaite des travailleurs. Historiquement, les grandes victoires des travailleurs n’ont pas été arrachées en se pliant aux lois de l’Etat bourgeois, mais grâce à la solidarité de classe et par des actions combatives frappant le portefeuille des patrons.

Il fut un temps où les syndicats étaient illégaux, comme tous les types de grèves. La classe ouvrière n’en a pas moins fait ce qu’elle devait faire. Aujourd’hui encore, la législation américaine interdit les grèves de solidarité, les grèves politiques, les grèves avec occupation, c’est-à-dire toutes les grèves qui ont un réel impact, qui arrêtent la production et neutralisent les briseurs de grève. Dans les années à venir, les travailleurs d’Amazon peuvent montrer la voie et marcher dans les pas de leurs héroïques prédécesseurs, qui ont arraché la journée de huit heures.

Les conditions de vie et l’avenir de chaque travailleur américain sont en danger. Les dirigeants syndicaux peuvent et doivent inverser la tendance au profit du mouvement ouvrier. Ils doivent préparer une action massive de solidarité avec les travailleurs d’Amazon et de Starbucks, ainsi qu’une campagne nationale de syndicalisation dans tous les secteurs de l’économie. En dernière analyse, le mouvement ouvrier doit agir de façon indépendante pour défendre ses propres intérêts – et ce non seulement sur le front économique, contre des entreprises ou des capitalistes individuels, mais aussi sur le front politique. C’est la seule façon de vaincre le pouvoir concentré des capitalistes, d’abroger toutes les lois anti-syndicales et de mener des politiques dans l’intérêt de tous les travailleurs, contre l’ensemble du système capitaliste.

A l’aube du 1er avril, la classe ouvrière américaine a remporté une victoire historique. Elle a porté un coup très dur à Amazon, le deuxième plus gros employeur des Etats-Unis, propriété de Jeff Bezos, deuxième homme le plus riche du monde, et bastion de l’hostilité patronale aux syndicats. Le centre de distribution JFK8, situé dans l’arrondissement new-yorkais de Staten Island, est devenu le premier site américain d’Amazon à se doter d’un syndicat, après qu’une majorité de 2654 voix contre 2131 a voté pour s’organiser au sein du tout nouvel ALU, l’Amazon Labor Union (en français, le syndicat des travailleurs d’Amazon). Un vote similaire est encore en cours à l’entrepôt de Bessemer (Alabama). Cela se produit en même temps qu’une vague de syndicalisation chez Starbucks, qui marque une véritable révolution dans le secteur tertiaire.

Cette victoire syndicale à New York pourrait ouvrir une nouvelle ère offensive pour le mouvement ouvrier. Cette perspective ne pourra cependant se réaliser que par un travail conscient. La lutte pour une convention collective solide n’est qu’un début, d’autant plus qu’Amazon fera tout ce qui est en son pouvoir pour faire traîner les choses et épuiser la détermination des travailleurs syndiqués et de leurs sympathisants.

Il est important de souligner que la victoire à Staten Island s’est jouée à une faible marge, et que les résultats sont encore incertains à Bessemer. Des décennies de défaite et de propagande anti-syndicale ont eu un impact et les travailleurs sont encore nombreux à craindre pour leurs emplois et leur survie. Les dirigeants syndicaux doivent argumenter en faveur de la lutte, pas avec de belles paroles ou des appels nostalgiques aux grandes heures du syndicalisme, mais avec des victoires concrètes. Le centre JFK8 peut montrer la voie à l’ensemble de notre classe, par l’exemple d’une bataille victorieuse pour les salaires et les conditions de travail.

Mais à notre époque de crise du capitalisme, de telles victoires ne peuvent être arrachées que par des méthodes combatives de lutte de classes [1], et pas en poursuivant celles que défendent actuellement les directions syndicales, qui prônent la collaboration de classes et tentent de détourner la lutte vers la seule action judiciaire. Ce sont précisément les patrons qui ont développé ces tactiques pendant des décennies, pour contenir les luttes de la classe ouvrière dans des limites qui leur convenaient. Cette voie ne peut mener qu’à la défaite des travailleurs. Historiquement, les grandes victoires des travailleurs n’ont pas été faites en se pliant aux lois des capitalistes, mais grâce à la solidarité de classe et par des actions combatives qui attaquaient les patrons là où ça leur fait mal, au portefeuille.

A une époque, même les syndicats étaient illégaux, et il en allait de même pour tout type de grève. La classe ouvrière n’en a pas moins fait ce qu’elle devait pour survivre. Aujourd’hui encore, les grèves de solidarité, les grèves politiques, les grèves avec occupation, c’est-à-dire toutes les grèves qui ont un réel impact, qui arrêtent la production et repoussent les briseurs de grève, toutes sont interdites. Dans les années à venir, les travailleurs d’Amazon et Starbucks doivent montrer la voie, et marcher dans les pas de nos prédécesseurs héroïques, qui ont arraché la journée de huit heures et établi le CIO [2]. Les conditions de vie et l’avenir de chaque travailleur américain sont en danger. Nous devons prendre en main notre destinée, avec l’actuelle direction syndicale ou sans elle. Les dirigeants de l’AFL-CIO et d’autres gros syndicats ont tout ce qu’il faut pour inverser la tendance au profit du mouvement ouvrier. Ils devraient être en train de préparer le terrain pour une action massive de solidarité et des campagnes chez Amazon et Starbucks, et une campagne nationale de syndicalisation dans tous les secteurs de l’économie. En dernière analyse, le mouvement ouvrier doit agir de façon indépendante pour défendre ses propres intérêts, pas seulement sur le front économique, contre des entreprises ou des capitalistes spécifiques, mais également sur le front politique. C’est la seule façon de faire face et de vaincre le pouvoir concentré des capitalistes, pour abroger toutes les lois anti-syndicales, et mener des politiques qui soient dans l’intérêt de tous les travailleurs, contre l’ensemble du système capitaliste.


[1] Lire l’article publié par nos camarades américains il y a un an : « Leçons de Bessemer : seul le syndicalisme de lutte de classes peut vaincre Amazon ! » (en anglais)

[2] En français, le Congrès des organisations industrielles. Confédération syndicale historique aux Etats-Unis, unifiée en 1955 avec une autre confédération, l’AFL, pour former la principale confédération syndicale américaine, l’AFL-CIO, mentionnée dans le paragraphe suivant. (NDT)

Socialist Revolution, la section américaine de la Tendance Marxiste Internationale (TMI), réunissait son Congrès les 9 et 10 octobre derniers, à Pittsburgh (Pennsylvanie). Cette section de la TMI a vu ses effectifs doubler au cours des 18 derniers mois. Les 170 camarades présents au Congrès représentaient 50 villes et 29 Etats. De nombreux groupes locaux n’existaient pas il y a à peine deux ans.

La camarade Laura Brown a ouvert le Congrès en détaillant cette croissance des forces du marxisme aux Etats-Unis. Ensuite, elle a demandé une minute de silence en hommage aux camarades qui nous ont quittés du fait de la gestion criminelle de la pandémie par la classe dirigeante.

Crise et lutte des classes

Après les salutations des autres sections de la TMI, transmises par vidéo, John Peterson a introduit la discussion sur le document d’orientation du Congrès : Perspectives pour la révolution socialiste aux Etats-Unis. Pendant que des milliardaires s’amusent dans l’espace, la majorité de la population américaine voit son niveau de vie baisser. Ceci ne peut que provoquer une intensification de la lutte des classes. L’actuelle vague de grèves qui déferle, dans le pays, est un avant-goût de ce qui se prépare pour les années à venir.

A la fin de cette première journée, une campagne nationale d’augmentation des cotisations a été lancée. C’est une question vitale : les capitalistes ne financeront pas l’organisation qui les renversera tous. La construction d’un parti révolutionnaire exige donc des sacrifices financiers de la part de ses membres.

Vers la jeunesse !

Le deuxième jour du Congrès a été consacré aux tâches organisationnelles. Depuis la crise économique mondiale de 2008, le marxisme est perçu de façon positive par un nombre croissant de jeunes et de travailleurs. D’après un sondage récent, 30 % des jeunes nés après 1997 en ont une idée positive ! En soi, c’est un tournant majeur dans la vie politique américaine.

Cependant, la plupart de ces jeunes sont encore isolés et relativement passifs. La tâche centrale de nos camarades américains consiste à gagner les meilleurs d’entre eux et de construire une force organisée, disciplinée, capable d’implanter les idées marxistes dans la classe ouvrière. La résolution organisationnelle adoptée par le Congrès détaille les défis que cela pose en termes de formation politique, de diffusion du journal et d’interventions dans la lutte des classes, notamment.

Après un tel événement, les adieux furent difficiles, mais les camarades sont repartis avec une motivation redoublée, nourrie par l’urgence des tâches à venir – et par une solide confiance dans la capacité des travailleurs à prendre le pouvoir.