Burkina Faso

Le 23 janvier dernier, des soldats dirigés par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba ont pris le contrôle d’une base militaire à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Quelques heures plus tard, le président Roch Kaboré était aux mains des putschistes. Le lendemain, l’armée annonçait à la télévision que Kaboré avait été démis de ses fonctions, que le Parlement était dissous et que la constitution était suspendue.

Le lieutenant-colonel Damiba a justifié son coup d’Etat par l’impuissance de Kaboré face à l’insurrection islamiste qui ravage le nord-est du pays. Mais les militaires voulaient aussi – et surtout – enrayer la fermentation révolutionnaire qui se développe dans la société.

En octobre 2014, un mouvement révolutionnaire de masse a renversé le dictateur Blaise Compaoré, qui était au pouvoir depuis 1987. Puis, en 2015, les masses se sont de nouveau mobilisées pour faire échec à une tentative de coup d’Etat contre-révolutionnaire organisée par des partisans de Compaoré. Après ces épisodes, la situation sociale est restée explosive.

Au cours des mois qui ont précédé son renversement, le gouvernement de Kaboré a été confronté à des manifestations de plus en plus importantes. Celles-ci ne visaient pas seulement l’impuissance du pouvoir face aux attaques terroristes, mais aussi la corruption du régime et une situation économique désastreuse. La possibilité d’un renversement révolutionnaire du régime était réelle. L’armée est donc intervenue pour couper l’herbe sous le pied des manifestants – et tenter de reprendre le contrôle de la situation.

Chaos impérialiste

Pour comprendre la situation actuelle, dans le pays, il faut remonter à l’intervention de l’OTAN en Libye, en 2011. Sous prétexte de renverser la dictature de Kadhafi, cette agression impérialiste visait à enrayer la vague révolutionnaire du « Printemps arabe » de 2010-2011. Loin de stabiliser la région, elle y a semé le chaos. La Libye est aujourd’hui aux mains de milices islamistes qui se livrent à d’innombrables atrocités, y compris la traite d’esclaves.

Dans le même temps, la chute de Kadhafi a nourri l’insurrection islamiste dans le Sahel, en lui fournissant une base arrière, des armes et des combattants endurcis dans la guerre civile libyenne. A partir de 2013, les djihadistes ont étendu leur zone d’influence depuis le nord du Mali vers le sud et l’ouest du Niger, mais aussi le nord et l’est du Burkina Faso. Ils ont profité de la crise économique et des tensions qu’elle suscitait, entre les communautés rurales de ces régions, pour recruter des centaines de combattants.

En 2013, la France est intervenue pour tenter de reprendre le contrôle de la situation en déployant des milliers de soldats et en appuyant les armées de la région. Sans succès : différentes sources estiment que, dans trois pays du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger), le nombre d’attaques terroristes a quintuplé entre 2016 et aujourd’hui.

Cette crise a aussi généré une catastrophe humanitaire : sur les 20 millions d’habitants que compte le Burkina Faso, 1,5 million ont été déplacés à cause de l’insurrection islamiste. Pour toutes ces raisons, mais aussi à cause des nombreux crimes commis par les troupes impérialistes et leurs séides locaux, l’intervention française est largement impopulaire dans la région.

Le coup d’Etat du 23 janvier dernier, au Burkina Faso, est similaire à celui d’août 2020 au Mali – et à celui de septembre 2021 en Guinée. Dans les trois cas, l’armée est intervenue pour éviter que la colère des masses ne fasse chuter un gouvernement impopulaire. L’intervention des militaires a été facilitée par l’absence d’opposition cohérente au gouvernement, capable de proposer aux masses un programme et une politique réellement différents de ceux menés par ces régimes en crise.

Au Mali et au Burkina, les coups d’Etat visaient aussi à sauver l’armée elle-même. En effet, les soldats doivent combattre l’insurrection islamiste sans équipements adéquats ni stratégie pertinente. Ils subissent des offensives meurtrières sans pouvoir riposter efficacement. Au Burkina Faso, en novembre, une attaque djihadiste contre une garnison isolée a fait 32 morts. La colère grondait dans les rangs et menaçait de faire imploser l’armée elle-même.

Potentiel révolutionnaire

Le soulèvement d’octobre 2014 a été un tournant dans l’histoire du Burkina Faso. Après avoir vécu sous la botte de Compaoré pendant 27 ans, les masses sont entrées en action et ont renversé sa dictature. Par leur lutte, elles ont obtenu d’importantes concessions économiques, gagné un certain nombre de droits démocratiques et renoué avec l’histoire révolutionnaire du pays, notamment autour de la figure de Thomas Sankara.

Cependant, contrairement à Sankara en son temps, les militaires rebelles du Burkina d’aujourd’hui ne s’opposent ni à l’impérialisme, ni au capitalisme. Ils n’ont par conséquent aucune solution à offrir contre la misère, la corruption – ou contre l’insurrection islamiste, qui se nourrit précisément de ces maux.

Le potentiel révolutionnaire des masses de la région est immense. Ce n’est qu’en s’appuyant sur leurs propres forces qu’elles pourront balayer les régimes corrompus, les groupes terroristes et les impérialistes qui ravagent la région.

Le régiment de sécurité présidentiel (RSP) du Burkina Faso a réalisé un coup d’État le 17 septembre dernier. Une semaine plus tard, le général Gilbert Dendiéré, à la tête des putschistes, a dû renoncer au pouvoir. Il s’agissait d’une tentative désespérée d’en revenir à « l’ancien régime ». Le RSP est une milice d’élite liée au président déchu Blaise Compaoré. Après 27 années de pouvoir au service des impérialistes et de la bourgeoisie locale, Compaoré a été renversé par une insurrection de masse en octobre 2014. Le gouvernement « de transition » dirigé par un militaire, Isaac Zida, a reçu l’appui des impérialistes. Mais il s’est révélé d’une faiblesse et d’une instabilité chroniques.

La tentative du RSP de profiter de cette instabilité a échoué. Les troupes régulières sont restées loyales au gouvernement de Zida. Ceci dit, les troupes loyalistes ont tardé à réagir. Le facteur essentiel qui les y a poussées, finalement, se trouvait ailleurs que dans les casernes : tout le pays s’est soulevé dès l’annonce du coup d’État. Les syndicats de travailleurs ont immédiatement organisé une grève générale. Dans les villages, les communautés paysannes ont pris des armes de fortune et organisé une forme de guérilla. Les putschistes étaient complètement isolés.

Effervescence révolutionnaire

Depuis le renversement révolutionnaire de Compaoré, les masses du « Pays des Hommes Intègres » ont fait irruption dans l’arène de l’Histoire. Leurs colères et frustrations, accumulées pendant des décennies, se sont libérées. Elles exercent une pression constante sur tout pouvoir en place. Et c’est cette pression qui explique l’instabilité et les crises du gouvernement de transition.

Ces 12 derniers mois, les grèves et les manifestations de travailleurs, d'étudiants et de pauvres se sont multipliées. A travers le pays, des révoltes spontanées ont éclaté sur des questions clés comme la propriété de la terre, les relocalisations forcées de population, la corruption, les conflits fonciers, les conflits miniers et l’état des équipements publics.

Les tensions les plus vives concernent l’industrie minière de l’or. C’est la première ressource exportée par le pays (1,4 milliard d’euros par an). Mais le boom minier n’a pas contribué au développement local. D’autres secteurs de l’économie sont au cœur de la révolte : les transports, le tourisme ou l’industrie paysanne du coton. Encouragés par le soulèvement populaire d’octobre 2014, les villageois et les travailleurs sont passés à l’action pour améliorer leurs conditions vies.

« Le Balai citoyen » et l’héritage sankariste

En octobre 2014, une organisation militante récente – Le Balais citoyen – avait joué un rôle clé dans la mobilisation insurrectionnelle de la jeunesse. Mais après la chute de Compaoré, les dirigeants du Balai citoyen ont appelé à cesser la mobilisation, alors que le pouvoir était entre les mains des masses. Cela a permis au régime – dont Zida faisait partie – de retomber sur ses pieds. En septembre dernier, les masses auraient pu prendre le pouvoir, de nouveau. Mais elles n’avaient toujours pas de direction révolutionnaire.

Ceci dit, le « Balai citoyen » reflète les pressions des masses. Il revendique l’héritage de Thomas Sankara, président du pays entre 1983 et 1987. Ce dernier nationalisa les mines et mena une réforme agraire. Il réalisa le programme le plus révolutionnaire de l’histoire du continent africain. Il parlait d’étendre la révolution au reste de l’Afrique. Cela en fit l’ennemi public n°1 des élites dirigeantes du continent et de leurs maîtres impérialistes. Il fut assassiné en 1987 par les hommes de Blaise Compaoré, avec le soutien direct du gouvernement français.

Sankara disait : « On peut tuer un homme, mais on ne peut pas tuer ses idées ». Les idées de Sankara et l’expérience révolutionnaire du Burkina suscitent la sympathie de la jeunesse dans toute l’Afrique. Des mouvements semblables au Balai citoyen commencent à émerger au Sénégal (« Y en a marre »), mais aussi au Zimbabwe et au Congo-Kinshasa.

La France maintient le Burkina sous sa coupe depuis son « indépendance », en 1960, via sa présence militaire, ses multinationales et le Franc CFA. Les impérialistes français ont offert un exil doré à Compaoré – tout en cherchant à consolider le nouveau pouvoir. Mais ils ne contrôlent plus les événements.

Zida lui-même cherche à calmer les masses. Des élections présidentielles devaient se dérouler en octobre, sanctionnant la mise à l’écart définitive du RSP de tout le processus électoral. Le putsch manqué a repoussé l’échéance au 29 novembre. Quoiqu’il arrive, aucun parti bourgeois ne pourra résoudre les problèmes des Burkinabés. Du mouvement de la jeunesse et des travailleurs doit émerger une direction qui, prolongeant l’héritage de Sankara, mettra à l’ordre du jour la lutte de toute l’Afrique pour le socialisme. Cela passe par le renversement des valets régionaux de l’impérialisme, qu’ils aient l’étiquette de dictateurs ou de « démocrates ».

Cet article a été publié quelques jours avant le coup d'Etat le 17 septembre. Les élections prévues le 11 octobre sont reportées à une date ultérieure de cette année 2015, mais ce texte reste toujours pertinent.


Le renversement révolutionnaire de Blaise Compaoré le 3 octobre 2014 fut un tournant fondamental pour le Burkina Faso. Tout le pays s’est soulevé. Les frustrations accumulées depuis des décennies se sont libérées. Après avoir subi le joug du régime de Compaoré durant 27 ans, les masses du « Pays des Hommes Intègres » ont changé l’Histoire de manière spectaculaire. Le gouvernement de transition, faisant suite au vide laissé par le départ de Compaoré, était un régime instable en proie à de nombreuses crises. Ce n’était, au fond, que la conséquence des pressions exercées par les masses. Aujourd’hui, après des mois de crise, la classe dirigeante tente désespérément de faire passer la situation pour quelque chose qui aurait un caractère démocratique bourgeois. Mais les élections, programmées pour le 11 octobre, ne changeront rien de fondamental pour les masses. Il ne s’agira là que d’une nouvelle étape dans la lutte.

Vague de grèves

Après sa chute, Blaise Compaoré a laissé un pays en proie aux grèves quotidiennes, aux manifestations et aux mobilisations de masse des ouvriers, des étudiants et des pauvres. A travers tout le pays, des questions clés comme la propriété de la terre, les relocalisations forcées de population, l'agriculture, les conflits fonciers, les conflits miniers, la corruption et l'état des équipements publics étaient très souvent au centre des révoltes spontanées. Au cours de la dernière année, il y a eu une explosion de grèves et de manifestations de masse. Encouragés par le soulèvement populaire, les villageois et les travailleurs sont passés à l'action de masse pour améliorer leurs vies.

Le 8 avril, une coalition nationale contre la corruption et le coût élevé de la vie a organisé une manifestation de masse à Ouagadougou. Cette coalition comprenait les syndicats, les associations étudiantes et des groupes de la population civile. Plus de 50 000 personnes ont défilé dans les rues. Les écoles et les universités ont été obligées de fermer car la ville entière était bloquée.

Encore une fois, le 22 avril, les manifestants ont barricadé la route Ouagadougou-Kaya à Ziniaré, bloquant le trafic dans les deux directions. Le 30 avril, dans la ville de Sabce, à 90 kilomètres au nord de la capitale, les habitants ont demandé la nomination d'un nouveau maire après avoir chassé de force l'ancien. Puis, le 1er mai, une manifestation encore plus importante a bloqué la capitale : les manifestants exigeaient que le gouvernement de transition prenne des mesures immédiates pour régler le problème de la vie chère.

Au cours de la dernière année, de nombreux différends ont secoué l'industrie minière du pays. Les mines d'or se sont développées rapidement dans les pays d’Afrique de l’Ouest. Selon le FMI, les exportations d'or y représentent les trois quarts des exportations au cours des cinq dernières années. Le métal a remplacé le coton comme principale source de revenus du pays. Des centaines de milliers de mineurs artisanaux travaillent dans cette industrie. Le pays a exporté 36 tonnes d'or l'an dernier, d'une valeur de 1,4 milliard de dollars. Mais ce boom minier a alimenté les tensions sociales, car il ne contribue guère au développement local. C’est ce qui a alimenté pendant de nombreuses années un profond ressentiment dans les communautés locales.

Mais la révolution a donné un nouvel élan aux luttes des travailleurs et des communautés. En décembre, les travailleurs ont occupé la mine d'or d’Avocet Inata et en ont bloqué l'accès pour la direction. En février, des manifestants ont détruit des machines et mis le feu à des véhicules à la mine de Tambao, située sur l'un des plus grands gisements de manganèse du monde. La société Pan Africa Minerals, affiliée à la Timis Mining Corp basée à Londres, a été accusée d'avoir illégalement obtenu un permis d'exploitation. Le gouvernement a été contraint d'ordonner que la production soit arrêtée en mars, afin de mener une enquête sur la façon dont la licence avait été accordée.

L’humeur dans l'industrie minière a été bien comprise par un administrateur de Semafo Inc, deuxième société la plus importante du pays : « L'insurrection a vraiment été un catalyseur pour des mouvements sociaux importants dans le secteur minier, on le sent bien. Les gens disent “le moment est venu”. Ils pensent que “si nous pouvons chasser quelqu'un qui a été au pouvoir pendant 27 ans, nous pouvons chasser le directeur général” ».

D’autres grandes grèves ont secoué le pays au cours de la dernière année. Une grève nationale de 48 heures, organisée par le syndicat des transports (l'UCRB) les 30 et 31 mars, a causé des pénuries de carburant, des coupures d'électricité et des difficultés d'approvisionnement à travers le pays. L'UCRB a appelé à la grève pour exiger la mise en œuvre de l'accord de convention collective qui avait été signé en décembre 2011. Il a également exigé la fin du harcèlement policier des travailleurs sur la route ; une réduction des délais de contrôle pour les camions à la frontière du Togo (actuellement jusqu'à sept jours) ; une réduction de la durée de la formation ; et une réduction du coût des permis de conduire. Au final, toutes les revendications des travailleurs furent accordées. Il existe de nombreux exemples de cet état d'esprit militant à travers le pays.

L'activité économique a fortement ralenti au cours de l'année 2014, avec une croissance du PIB réel estimée à 4 % (contre une moyenne sur cinq ans de 6,5 %). Les prix internationaux des deux principaux produits d'exportation du pays, l’or et le coton, ont fortement baissé. Le secteur du tourisme a subi également une baisse significative en raison de la crise de l'Ebola, présent dans la région. En outre, la récente dépréciation du taux de change, causée par la dévaluation de la monnaie chinoise, se traduit par l'augmentation des coûts d'importation. Selon le FMI, la production minière va diminuer en 2015 et la production de coton va voir ses rendements chuter suite à la baisse, en 2014, des prix au niveau international.

Tous ces développements ont entraîné une forte baisse des recettes fiscales en 2014. Au cours de la dernière année, les recettes ne s’élevaient qu’à 80 % des prévisions budgétaires. Le gouvernement a réagi par une énorme réduction de l'investissement public. Ce qui à son tour est susceptible de conduire à un nouveau ralentissement économique. Mais instaurer l’austérité en attaquant les travailleurs, dans cette période de regain révolutionnaire, est une recette idéale pour une nouvelle et toujours plus profonde explosion de la lutte des classes.

La crise du régime

Honoré Traoré
Honoré Traoré

Les évènements du 30 octobre 2014 ont été comme un séisme pour la classe dirigeante. En l’espace de quelques heures, les masses révoltées ont renversé à la fois Compaoré et son successeur désigné, Honoré Traoré. Le pouvoir était entre les mains des masses. Mais les dirigeants de « Balai Citoyen » n’avaient aucune perspective concernant la suite à donner au départ de Compaoré. C’est cette coalition d’activistes qui avaient mobilisé la jeunesse, laquelle fut en première ligne de la révolte. Leur appel à cesser les mobilisations de masses, dans les jours qui suivirent le départ du dictateur, ne servit qu’à semer la confusion. Cela permit au régime de retomber temporairement sur ses pieds.

Isaac Zida
Isaac Zida

Le pouvoir tomba entre les mains d’Isaac Zida, un colonel du Régiment de Sécurité Présidentiel. Il suspendit immédiatement la constitution. Mais cela provoqua de nouvelles manifestations, deux jours seulement après le début de la révolution. Sentant le sol se dérober sous ses pieds, il dut manœuvrer très prudemment. Ainsi le 19 novembre, deux semaines plus tard, des partis d’oppositions, des groupes de la société civile et des dirigeants religieux promurent un civil et diplomate, Michel Kafando, en tant que président par intérim d’un gouvernement de transition, mais — très important — ils gardèrent Zida dans le double rôle de Premier Ministre et de Ministre de la Défense. La constitution fût aussi rétablie, Kafando et Zida se voyant confier la tâche de diriger le pays vers des élections démocratiques, prévues le 11 octobre de cette même année. Pour s’auto-attribuer des gages visibles de « démocratie », Zida se démit de ses fonctions militaires et est depuis resté un civil.

Depuis le tout début, le gouvernement Kafunda-Zida a été un gouvernement de crise. De profondes divisions se sont développées à l’intérieur même du régime. C’est une conséquence directe de la pression exercée par le mouvement de masse. Craignant un deuxième soulèvement de masse, la faction « Zida » a combattu les membres dirigeants du dernier gouvernement « Compaoré ». Zida a bien compris que si les éléments les plus obtus et réactionnaires de la faction loyaliste à Compaoré venaient à retrouver le pouvoir après les élections, cela aurait l’effet d’une provocation envers le mouvement de masse. La section la plus intelligente du pouvoir sait qu’à ce stade les réserves du mouvement révolutionnaire sont intactes. Les attentes des masses sont élevées. L’insurrection d’Octobre est encore fraiche dans leurs esprits. C’est le facteur principal ayant présidé à la succession des évènements pendant cette dernière année. Ainsi donc, la faction « Zida » veille prudemment à éviter toute provocation qui pourrait amorcer une seconde vague de la révolution.

Mais la purge interne au régime a donné lieu à des luttes intestines féroces qui, à leurs tours, ont déstabilisé encore plus le régime. Dans la dernière période, un combat clé a eu lieu autour de la liste des candidats aux élections. Fin aout, le Conseil Constitutionnel validait « l’éligibilité » de 16 candidats. Mais le processus de validation de ces listes a été pénible et disputé. En avril, le gouvernement de transition changeait la loi électorale pour exclure quiconque avait soutenu la proposition de Comparoé, juste avant la révolution, visant à le maintenir au pouvoir. Sur cette base, le Conseil Constitutionnel déclarait 52 personnes inéligibles pour ces élections. Cette décision incluait Eddie Constance Komboïgo, le dirigeant du parti CDP de Compaoré (Congrès pour la Démocratie et le Progrès).

Tout ceci a eu pour effet de favoriser des candidats qui étaient dans les rangs de l’opposition durant le gouvernement Compaoré. Même si ces candidats dans leur majorité s’opposaient bien à l’époque à Compaoré, en réalité ils représentaient seulement une aile différente du même régime. La plupart des candidats sont toujours issus de l’ère Compaoré. Par exemple, l’un des favoris de ces élections, Roch Marc Kaboré, était un membre loyal du régime avant de prendre ses distances et de former le MPP (Mouvement Populaire pour le Progrès), juste avant la révolution. Kaboré a des liens forts avec le monde des affaires. Un autre des favoris, Zéphirin Diabré, a fondé son Union pour le Progrès et le Changement (UPC) en 2010, après avoir servi Compaoré en tant que ministre des Finances.

Tout en jouant sur les lois électorales, le gouvernement de transition a arrêté les membres dirigeants de l’administration Compaoré. Se justifiant par la lutte contre la corruption, le régime de transition a visé de nombreux membres du cabinet de l’ère Compaoré, sous l’accusation de détournement de fonds publics. Les deux cas les plus remarquables sont ceux de Jean Bertin Ouédraogo, un ancien ministre des Infrastructures, et Jérôme Bougouma, un ancien ministre de la Sécurité, qui ont été arrêtés en aout et envoyés à la prison principale d’Ouagadougou, la capitale. Peu après, l’ancien ministre du Commerce, Arthur kafando, a comparu sous la charge de corruption. Huit autres ministres sont sous le coup d’accusations.

La menace d'un coup d'Etat

En excluant un grand nombre de personnes très influentes du processus électoral, la faction Zida a réussi à marginaliser toute une partie de l'establishment politique, notamment celle issue du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Celle-ci est en grande partie constituée des mêmes personnes qui furent responsables de la plupart des crimes économiques et politiques sous le gouvernement précédant.

Le RSP est une unité paramilitaire détestée, créée pour protéger Blaise Compaoré pendant ses 27 années au pouvoir. L'unité fut créée pour contrebalancer l'armée régulière. Le coup d'État de gauche de 1983 a été porté par des soldats de la base, eux-mêmes dirigés par des officiers subalternes à l'instar de Thomas Sankara. Compaoré était aussi un des dirigeants du coup d'Etat. Plus que quiconque, il savait que dans l'objectif de consolider la contre-révolution de 1987, il avait besoin de neutraliser les officiers subalternes. Il a délibérément affaibli les forces armées régulières en les provisionnant avec un minimum de ressources. La situation est devenue si grave qu'après une mutinerie déjouée, en 2011, il a pendant un temps confisqué toutes les munitions.

D'autre part, il a créé le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), puisant ses membres parmi les éléments les plus réactionnaires de l'armée. Cette unité était dotée d'énormes ressources. Elle a reçu le meilleur entraînement, le meilleur équipement et des prestations supérieures à l'armée régulière, avec le soutien de l'armée des Etat-Unis. Ceci a été confirmé récemment par un porte-parole du Commandement des Etats-Unis pour l'Afrique (AFRICOM). Le RSP n'a jamais été intégré à la chaîne de commandement militaire. A la place, l'unité était directement rattachée au président.

Sous Compaoré, le rôle du RSP est passé de celui d'une unité de gardes du corps à celui d’une milice personnelle du président. Il est devenu un bastion de la contre-révolution. Des critiques et des journalistes d'investigation ont été kidnappés, assassinés ou ont simplement disparu.

L'exemple le plus frappant est l'assassinat du journaliste d'investigation Norbert Zongo en 1988. Zongo enquêtait sur l’assassinat, en plein palais présidentiel, du chauffeur du frère cadet de Blaise Compaoré, François. Le 13 décembre 1998, le corps de Zongo est découvert, criblé de balles, ainsi que ceux de quatre autres hommes, dans la carcasse d'une voiture brûlée à cent kilomètres d'Ouagadougou. Cette découverte macabre a provoqué un large dégoût au sein de la société burkinabée. Les manifestations de masse qui ont suivi, ainsi que les mutineries de 2011 dans l'armée, indiquent que le Burkina Faso se trouvait déjà dans une situation pré-révolutionnaire à cette époque. En août 2000, cinq membres du RSP ont été accusés de l'assassinat de Zongo. Cependant, ces accusations ont été abandonnées et le frère de Compaoré, François, n'a jamais eu de procès malgré les preuves qu'il était directement impliqué dans l'assassinat de Zongo.

Lors de son accession au pouvoir, en novembre dernier, Isaac Zida et son gouvernement de transition étaient sous la pression des masses qui réclamaient justice pour les crimes passés. Il a fait beaucoup de promesses, dont celle de traduire en justice les assassins des personnalités politiques de l'ère Compaoré. Ceci l'a placé en conflit direct avec des personnes très influentes du régime.

Chaque tentative de traduire ces personnes en justice s'est heurtée au mur qu'est le RSP. La confrontation entre le RSP et Zida a atteint un seuil critique. Zida a menacé de dissoudre le régiment et d’affecter ses agents à d'autres postes. En réponse, le régiment a exigé que le président Michel Kafando démette immédiatement Zida de ses fonctions.

Le 4 février, le RSP a bloqué l'entrée du palais présidentiel et a ouvertement menacé de virer Zida de son bureau. Ceci a plongé le gouvernement de transition dans une crise. Y voyant une évidente menace pour la révolution, les masses ont répondu par de grandes manifestations, le 7 février. Des milliers de personnes ont défilé dans les rues, avec des slogans appelants à la dissolution du RSP. La vue du peuple révolutionnaire remplissant la place de la Révolution à Ouagadougou a suffi aux officiers du RSP et à Zida pour mettre un terme à leur confrontation.

Cependant, la tension entre Zida et le RSP a rapidement refait surface lorsque sont apparus des rapports faisant état que des soldats d'élite planifiaient d'arrêter Zida après son retour d'une visite à Taiwan, le 28 juin. Ces rapports étaient suffisamment sérieux pour que Zida atterrisse dans une base militaire plutôt qu'à l'aéroport d’Ouagadougou. Plus tard, Zida a annoncé qu'un complot contre lui avait été déjoué, tandis que les commandants du RSP ont accusé Zida d'avoir inventé un faux coup d'État.

Depuis lors, le régime est sur la corde raide. Cela a incité le président Kafondo à intervenir et à nommer un « conseil des sages » en charge de faire la médiation entre le RSP et le premier ministre. Le RSP a ensuite annoncé qu'il se « mettait entièrement entre les mains du président ». Mais un officier supérieur a mis en garde : « S'il ne prend pas les bonnes décisions ou s'il prend trop de temps, nous serons contraints de nous retirer et de laisser agir les soldats comme bon leur semble. Nous ne pouvons pas les calmer indéfiniment. »

Ceci est un avertissement inquiétant, non seulement contre Zida, mais contre la révolution elle-même. Tant que le moteur des événements est la force des masses, la révolution ira de l'avant. Mais si le RSP n'est pas dissout et que la révolution stagne, il peut être utilisé comme une force de déstabilisation sérieuse. Toutefois, ceci ne doit pas être exagéré. Pendant l'insurrection de 2014, le RSP était impuissant à agir contre le mouvement des masses. Elles l'ont tout simplement balayé quand il tentait d'empêcher les manifestants de pénétrer à l'intérieur des bâtiments présidentiels. Ceci montre que dans une situation révolutionnaire, quand les masses commencent à agir de manière décisive, aucune force de répression ne peut les arrêter.

La redécouverte de l’héritage de Sankara

« On peut tuer un homme, mais on ne peut pas tuer ses idées ». Sankara.

Le célèbre héros révolutionnaire Thomas Sankara a été assassiné lors du coup d’Etat mené par Blaisé Compaoré le 15 octobre 1987. Compaoré était soutenu par les dirigeants de la Côte d’Ivoire et par l’impérialisme français. Après quatre ans au pouvoir, Sankara avait réalisé le programme révolutionnaire le plus avancé de l’histoire du continent africain. Ses politiques d’expropriation des terres et de nationalisations de secteurs clés de l’économie cassèrent les reins de la classe dirigeante du pays. Les réformes agraires firent plus que doubler la production de blé, ce qui rendit le pays complètement autonome. Tout ceci fit de lui l’ennemi le plus important des élites dirigeantes du continent, ainsi que de leurs maitres impérialistes.

Bien que le Burkina Faso soit un petit pays, la révolution de Sankara eut un impact majeur sur un certain nombre de pays africains. Sankara devint de plus en plus populaire au sein de la jeunesse africaine. Il était suivi par d’immenses foules partout où il allait. Mais ses attaques contre le capitalisme et les impérialismes français et américain le mirent en conflit autant avec les impérialistes qu’avec la bourgeoisie réactionnaire africaine.

Ces dirigeants furent horrifiés lorsque Sankara commença à parler d’étendre la révolution à travers les pays africains. Il créa des cours de justice qui pouvaient poursuivre des contre-révolutionnaires qui n’étaient pas poursuivis dans d’autres pays africains. Son discours au sommet de l’Organisation pour l’Unité Africaine à Addis Abeba en 1987, où il appela les pays africains à suivre l’exemple burkinabé et à répudier la dette du FMI, fit de lui un homme très dangereux pour les impérialistes et pour l’élite africaine. Voyant sa popularité grandir auprès des masses, ils commencèrent à lui empêcher l’entrée dans leurs pays. Trois mois après ce fameux discours en Ethiopie, il était assassiné.

Mais, pour la classe dirigeante, tuer Sankara n’était pas suffisant. Tout fut mis en œuvre pour le déshonorer et finalement l’effacer de la mémoire du peuple burkinabé. Le nouveau régime de Compaoré a travaillé sans relâche pour salir sa mémoire. Tout a été fait pour minimiser son héritage. Ceux qui osaient chercher la vérité ont été souvent torturés et assassinés. De cette manière, les circonstances exactes de la mort de Sankara n’ont jamais été révélées et toutes les tentatives de résoudre cette affaire ont été étouffées. Le meurtre de Sankara et la volonté de rendre justice sont, pour cela, très importants pour les masses. C’est une exigence clé de la révolution.

Le 25 mai, après qu’un ordre judiciaire a été donné, treize tombes ont été ouvertes au cimetière Dagnoen pour établir si les restes qui y ont été enterrés comprenaient ceux de Sankara et des autres qui furent tués avec lui, lors du coup d’Etat. Mais l’exhumation du corps de Sankara va de pair avec la restauration de son héritage. Ouagadougou est inondé de posters, vidéos et images de Sankara.

Cela ne s’arrête pas au Burkina Faso. A travers le continent africain, l’héritage de Sankara est redécouvert. Les activistes de Balai Citoyen ont collaboré avec leurs pairs du Sénégal, du Congo (RDC) et du Burundi. Par exemple, il y avait le 15 mars, parmi ceux arrêtés et déportés pendant les protestations étudiantes contre les plans de Joseph Kabila pour retarder les élections et rester au pouvoir, au Congo (RDC), de jeunes dirigeants des groupes Y’en a marre et Balai Citoyen, respectivement sénégalais et burkinabais. Y’en a marre menait le mouvement de masse qui, en 2012, fit tomber le président sénégalais de plus en plus autoritaire, Abdoulaye Wade. Comme Balai Citoyen, Y’en a marre cite Thomas Sankara comme un exemple révolutionnaire.

Les partis Sankaristes

Comme nous l’avons vu, au moment de son assassinat, Thomas Sankara allait vers une expansion de la révolution aux autres pays africains. Mais il fut mis fin à sa vie courte et intense avant qu’aucun parti révolutionnaire ne soit construit. C’est pourquoi, avec son meurtre, les masses furent complètement désorganisées. Ceci permit aux contrerévolutionnaires de Blaise Compaoré de liquider rapidement et systématiquement toute résistance.

Mais depuis la mort de Thomas Sankara, de nombreux partis politiques qui disent croire à l’idéologie « sankariste » ont émergé. Bien qu’ils aient été généralement divisés, sur la scène politique. Plus d’une douzaine de partis « sankaristes » différents furent formés au Burkina Faso après sa mort ; la plupart d’entre eux n’étant guère plus que des groupuscules sankaristes. Le 25 mai, dix de ces partis ont convenu d’un accord d’unité et ont présenté Benewende Sankara (aucun lien de parenté avec Thomas Sankara) comme candidat présidentiel aux élections à venir.

Quoi qu'il en soit, le groupe de tradition sankariste le plus connu est Balai Citoyen. C’est le mouvement populaire guidé par les artistes Sams’K Le Jah, Serge Bambara Smockey et d’autres — musiciens et activistes sociaux. Le mouvement a joué un rôle crucial dans la mobilisation de la jeunesse à une échelle massive, à l’approche de l’insurrection d’octobre. Bien que ce ne soit pas un parti politique, Balai Citoyen a mobilisé les masses autour de problèmes sociaux tels que la corruption, les coupures de courant et l’augmentation du prix du carburant. Il est probable qu’il joue un rôle important dans la lutte à venir.

Une nouvelle période

Il est clair que les élections d’octobre ne vont rien résoudre de fondamental pour les masses du Burkina Faso. Il est probable que revienne au pouvoir le même gang pourri qui a gouverné le pays pendant ces 28 dernières années. Mais il est également clair que le système capitaliste est incapable de répondre aux besoins urgents des masses. Aucun des partis politiques en compétition lors de ces élections n’a de programme qui traite les crises alimentaire, du logement et de l’emploi.

D’un autre côté, les masses ont montré qu’elles sont résolues à combattre. La révolution a mené à une nouvelle ère de lutte dans la société burkinabée. Les attentes des masses sont plus importantes et elles font pression avec agressivité pour que leurs vies s’améliorent. Par une lutte féroce, les travailleurs ont arraché d’importantes concessions aux patrons. D’énormes sections de la population, particulièrement la jeunesse, ont redécouvert l’histoire révolutionnaire de Sankara. La jeune génération espère un changement au Burkina Faso. Dans ce contexte, le Burkina Faso est prêt pour une explosion de la lutte des classes dans la prochaine période.

Le régiment de sécurité présidentiel (RSP) du Burkina Faso a réalisé un coup d’Etat dans la nuit du 16 au 17 septembre, dans la capitale Ouagadougou.

Reuters et Al Jazeera rapportent qu’hier après-midi, des soldats appartenant au RSP ont fait irruption dans une réunion du conseil des ministres et ont séquestré le président de transition, Michel Kafando, ainsi que son premier ministre Isaac Zida. Les faits ont ensuite été confirmés par le président du Parlement par intérim, Cheriff Sy. D’autres membres du gouvernement ont été pris en otages : le ministre des Travaux Publics, le ministre du Travail et le ministre de la Sécurité Sociale. Plus tard, les soldats du RSP ont tiré à plusieurs reprises sur la population qui avait commencé à protester devant le palais présidentiel.

Le coup d’Etat a été confirmé ce matin, jeudi 17 septembre, par un porte-parole du RSP à la radio et à la télévision.

Un article publié la semaine dernière sur le site de la TMI (et bientôt en français) explique bien le processus ayant abouti au coup d’Etat. Les putschistes reprochent au Premier ministre, Isaac Zida, d’avoir écarté les éléments les plus réactionnaires des « loyalistes » de la période Compaoré, alors que des élections étaient prévues pour le 11 octobre prochain. Zida avait pris cette décision dans le but d’éviter une nouvelle révolte massive, un an après l’explosion révolutionnaire qui avait précisément renversé cette fraction du régime [1].

Les protestations à Ouagadougou après le coup d’EtatLe porte-parole du RSP a déclaré : « Nous avons mis en place un ''Conseil national de la démocratie'', dont la tâche est d’organiser des élections démocratiques inclusives ». Mais pour les masses, ce coup d’Etat est une provocation flagrante. Le « Balai citoyen », le mouvement qui avait organisé la révolte en octobre dernier, appelle à des mobilisations de masse. En outre, la Confédération nationale des travailleurs, le plus grand syndicat du pays, a convoqué une grève générale. Les heures et les jours prochains seront déterminants. Déjà parviennent les nouvelles d’affrontements sur la « Place de la Révolution ».

La clé de la situation réside dans la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse révolutionnaires.

Vive la révolution burkinabé ! 


[1] voir notre article de l’époque : Le réveil révolutionnaire du Burkina Faso

Blaise Compaoré a été poussé à la démission par une explosion révolutionnaire du peuple burkinabé. Après 27 ans de pouvoir, le président déchu du Burkina Faso voulait modifier la Constitution pour briguer un cinquième mandat. Telle fut la cause immédiate du soulèvement des masses, qui, par leur nombre et leur détermination, ont fait très clairement comprendre à Compaoré qu’il devait démissionner sans tarder. Mais il y avait des causes plus profondes à cette magnifique irruption de la jeunesse, des travailleurs et des pauvres : une misère endémique, l’enrichissement d’une minuscule élite sur le dos d’un peuple au dénuement effroyable, la corruption généralisée, la domination du pays par les impérialistes français et américains – sans oublier les grandes traditions révolutionnaires de ce peuple.

Le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro 2 de la garde présidentielle, vient de s’autoproclamer chef de l’Etat. Il a apparemment le soutien du chef d’Etat-major des armées, Nabéré Traore, qui pourtant revendiquait pour lui-même ce titre quelques heures plus tôt… Un autre nom circule, celui du général à la retraite Kouamé Lougué. Ce qui est clair, c’est qu’en l’absence d’une direction révolutionnaire des masses, les forces armées vont assumer le pouvoir et s’efforcer de consolider le régime.

A Ouagadougou, place de la Nation – rebaptisée Place de la Révolution – un correspondant du Monde rapporte le propos très significatif d’un manifestant, après la déclaration d’Isaac Zida : « Tout le monde est déçu, on ne comprend pas, déplore Désiré... C’est le même système qu’ils veulent maintenir et là nous on en a marre, toute la jeunesse en a marre. C’est pas seulement le départ du président qu’on veut, mais aussi de tout son système. »

C’est le cœur de la question. L’armée annonce un rapide « retour à l’ordre constitutionnel », c’est-à-dire au pillage du pays par une classe dirigeante corrompue et soumise aux intérêts des impérialistes français et américains. S’ils prennent le pouvoir, les partis bourgeois d’opposition à Compaoré ne changeront rien à cette situation. Ils se serviront au passage : voilà tout. Ce n’est pas ce que veut le peuple burkinabé. Il ne doit pas laisser le pouvoir lui échapper. Tout le pouvoir au peuple insurgé ! La mobilisation ne doit pas cesser. Des comités d’action doivent être organisés et coordonnés au niveau local, régional et national, pour transférer le pouvoir effectif au peuple révolutionnaire.

L’héritage de Thomas Sankara

Les masses du Burkina Faso ont de grandes traditions révolutionnaires. Le nom de Thomas Sankara est dans tous les esprits. Arrivé au pouvoir en 1983 sur la base d’un coup d’Etat de gauche, ce dirigeant exceptionnel a mis en œuvre le programme le plus radical de toute l’histoire du continent africain.

Le gouvernement de Sankara nationalisa toutes les terres et ressources minérales du pays. Il engagea une profonde réforme agraire qui permit au pays d’accroître rapidement sa production agricole et d’en finir avec sa dépendance alimentaire. Il coupa les liens avec le FMI et la Banque Mondiale, qui écrasaient – et écrasent encore – les pays d’Afrique sous le mécanisme infernal de la dette. Il investit massivement dans l’éducation et la santé publiques. Il améliora le sort des femmes, interdit l’excision et les mariages forcés. Il déclarait : « La révolution et la libération des femmes vont de pair. L’émancipation des femmes n’est pas pour nous une question de charité ou de compassion. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution ».

Thomas Sankara fut assassiné en 1987 lors du coup d’Etat qui porta Blaise Compaoré au pouvoir, avec le soutien direct de l’impérialisme français. Au fil des années, Compaoré liquida tous les acquis de la révolution burkinabé, renoua avec le FMI et la Banque Mondiale, privatisa tout ce qui pouvait l’être et devint l’un des « médiateurs » privilégiés des impérialistes dans les affaires de la région.

Le peuple burkinabé n’a pas oublié la révolution de 1983-87. Ses aspirations anti-capitalistes et anti-impérialistes sont toujours vivantes. Le Burkina Faso est l’un de pays les plus pauvres du continent. Depuis la crise mondiale de 2008, la chute du prix du coton et d’autres matières premières a eu un impact sévère sur son économie déjà très fragile. Sur la base du capitalisme et sous la domination des impérialistes, les masses du Burkina sont condamnées au chômage et à la misère. Si elles parviennent à renverser le capitalisme et chasser les impérialistes, elles provoqueront toute une série de révolutions dans le continent africain.

Vive la révolution burkinabé ! Vive le « printemps noir » !