Yémen

Six ans de guerre au Yémen ont mené le pays au seuil d’une catastrophe humanitaire. La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite a imposé d’horribles souffrances au peuple yéménite. 16 millions de personnes souffrent de malnutrition. 400 000 enfants risquent de mourir de faim. La situation s’aggrave de jour en jour, mais les impérialistes refusent d’aider leurs victimes.

La « générosité » des impérialistes

Début mars, l’ONU a organisé une conférence de « donateurs » – pour le Yémen – dont l’objectif était de lever 3,85 milliards de dollars auprès d’une centaine de gouvernements. Elle n’en a levé que 1,7 milliard, soit 1 milliard de moins que lors d’une conférence semblable, l’an passé.

Suite à cet échec, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, a publié une déclaration cinglante : « Des millions d’enfants, de femmes et d’hommes yéménites ont désespérément besoin d’aide pour survivre. Réduire l’aide est une condamnation à mort. Le mieux que l’on puisse dire de l’argent collecté aujourd’hui, c’est qu’il s’agit seulement d’un acompte. »

De nombreux pays ont réduit leurs promesses d’aides par rapport à l’année précédente. Après avoir massivement profité des ventes d’armes à l’Arabie saoudite depuis le début de la guerre, le Royaume-Uni va verser 101 millions d’euros : à peine la moitié de ses dons de l’an passé.

Les Etats-Unis vont verser 191 millions de dollars, en légère augmentation par rapport à l’an passé. Mais cela reste une somme misérable. Le plan de Biden pour stimuler l’économie prévoit 110 milliards de dollars pour soutenir les entreprises américaines. Par ailleurs, le budget annuel de la défense américaine s’élève à 730 milliards de dollars. Pour l’administration Biden, il est plus urgent de bombarder la Syrie que de nourrir les enfants affamés du Yémen.

La Commission européenne a promis 116 millions de dollars, en plus des contributions des pays membres. Mais à titre de comparaison, l’UE dépense 22,7 milliards d’euros, chaque année, pour la « sécurité » aux frontières et le « traitement » de l’immigration. Pour l’UE, garder les masses affamées hors de ses frontières est plus important que de contribuer à mettre fin à la famine.

Avec 430 millions de dollars, la monarchie saoudienne est la plus grande donatrice. Mais c’est une goutte d’eau face aux 100 milliards de dollars dépensés par Riyad dans cette guerre interminable.

Hypocrisie

Si ces pays impérialistes ne s’ingéraient pas dans les affaires yéménites, il n’y aurait pas besoin d’aide internationale. La famine qui frappe le peuple du Yémen est une catastrophe fabriquée par l’impérialisme.

Depuis 2017, les Saoudiens et leurs alliés ont imposé un blocus sur les zones contrôlées par les Houthis, c’est-à-dire là où vit la majorité de la population. Pendant une longue période, ils ont même empêché l’envoi d’aide humanitaire. Dans le même temps, la coalition a bombardé les infrastructures essentielles et détruit l’économie du pays. Désormais, 80 % des Yéménites ne survivent que grâce aux aides.

Les bombes utilisées par les Saoudiens leur ont été fournies par les gouvernements américain, anglais et français, en parfaite connaissance de cause. Pour faire bonne figure, certains dirigeants impérialistes ont réclamé que la guerre soit plus… « humanitaire » ! Comble de l’hypocrisie : Biden a récemment décrété l’interdiction de vendre des armes destinées à la guerre au Yémen, mais pas de vendre des armes à l’Arabie Saoudite en général. L’industrie de l’armement pourra donc continuer à approvisionner les Saoudiens en armes et en munitions, tout en prétendant ne pas savoir ce que ces derniers vont en faire.

Pour les dirigeants saoudiens, cette guerre vise à mettre fin à l’influence iranienne à leur frontière sud, un objectif partagé par les puissances impérialistes. La majorité du commerce international pétrolier passe devant la côte yéménite. La coalition impérialiste préfère voir le Yémen écrasé sous les bombes plutôt que de permettre à l’Iran d’y avoir une influence significative.

Cependant, l’Arabie Saoudite a déjà perdu cette guerre. Les milices houthis ne se contentent pas de résister ; elles menacent désormais la ville de Marib, un point clef de la production pétrolière du pays. Les membres de la coalition, dont les Etats-Unis, cherchent un accord à l’amiable, mais cela n’est pas possible sans la participation des Houthis. Ce serait une humiliation pour les dirigeants saoudiens en général – et pour le Prince héritier Mohammed Ben Salmane en particulier. Une telle issue pourrait provoquer une crise politique dans le royaume.

Il est probable que les impérialistes finiront par trouver une sorte de compromis, comme en Irak et en Syrie. Mais comme dans ces deux pays, la « paix » ne mettra pas fin aux souffrances. La conférence des donateurs souligne que personne ne donnera d’argent pour réparer les infrastructures, les usines et les habitations. L’avenir du Yémen sous le capitalisme ne peut être qu’une misère perpétuelle. Ce cauchemar sans fin doit être un rappel supplémentaire de la nécessité de renverser l’impérialisme et le capitalisme.  

En octobre dernier, le Programme Alimentaire Mondial déclarait que le Yémen se trouvait au bord de la pire crise humanitaire de la planète, « avec près de 18 millions de personnes qui ne savent pas comment obtenir leur prochain repas, alors que plus de 8 millions d’entre elles sont au bord de la famine ». Et pourtant, rien ne semble pouvoir mettre un terme à ce désastre.

L’Arabie Saoudite : guerre et provocations

La guerre au Yémen a commencé comme une guerre civile, en septembre 2014. Elle opposait le gouvernement central (soutenu par l’Arabie Saoudite) à une alliance improbable entre l’ancien président Saleh (renversé lors du printemps arabe de 2011) et ses anciens ennemis, le mouvement intégriste chiite des Houthis. Ceux-ci parvinrent à prendre le contrôle de la capitale Sana’a en septembre 2014, puis de la grande ville du sud, Aden, en mars 2015.

Appuyée sur une économie de pure rente pétrolière et un régime politique archaïque et tyrannique, la classe dirigeante saoudienne s’inquiète beaucoup de la montée en puissance de l’Iran. Cette crainte est devenue l’axe central de sa politique. Les chiites saoudiens sont persécutés par le régime et considérés comme des « ennemis de l’intérieur ». Par ailleurs, Riyad a soutenu l’Etat islamique en Syrie et en Irak, dont les régimes sont jugés « pro-iraniens ». De même, en enlevant le Premier ministre libanais, en novembre 2017, le régime saoudien cherchait à déclencher une guerre civile au Liban, dont le Hezbollah pro-iranien aurait fait les frais. Mais ces manœuvres ont échoué – et l’influence de Téhéran en est même sortie renforcée.

« Restaurer l’Espoir »

Pour Mohamed Ben Salmane, le nouvel homme fort du régime saoudien, la guerre au Yémen était l’occasion de porter un coup à « l’influence iranienne » en frappant les Houthis. En mars 2015, une coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis a commencé à bombarder le Yémen. Cette agression militaire, baptisée « Restaurer l’Espoir », est parvenue à repousser les Houthis au nord du pays. La coalition cible les infrastructures, les zones d’habitation, les écoles et les hôpitaux. Près de la moitié des centres médicaux du pays sont à l’arrêt. En août dernier, une frappe aérienne détruisait un bus scolaire. Trente enfants furent tués.

Macron Ben SalmaneEt tout cela avec l’aide des puissances occidentales. Des avions français, américains et britanniques ont mené des missions de repérage et de reconnaissance de cibles pour le compte de la coalition. Les armes sont fournies par les industries occidentales. Des frégates saoudiennes « made in France » font le blocus des ports yéménites et condamnent la population à la famine. Entre 2008 et 2017, l’Arabie Saoudite a été le deuxième plus gros client des marchands d’armes français, pour un montant total de 11 milliards d’euros. Aucun bain de sang ne semble pouvoir faire évoluer la politique française en la matière. Après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, sur ordre direct de Ben Salmane, plusieurs gouvernements européens – dont l’Allemagne – ont été contraints par leur opinion publique de dénoncer les contrats d’armements avec Riyad. Mais Emmanuel Macron a « tenu bon », déclarant qu’il s’agissait là d’une « pure démagogie ».

Une guerre sans issue

Au Yémen, en tout cas, les armes françaises n’apportent pas la victoire dont les dirigeants saoudiens rêvaient. Contraints de se replier dans leur bastion du nord, les Houthis résistent et arrivent même à frapper des bases à l’intérieur de l’Arabie Saoudite. En soulignant la faiblesse de Riyad, cette situation a poussé les Emirats Arabes Unis à jouer leur propre partition, malgré leur statut d’« alliés ». Ils appuient les sécessionnistes du Sud-Yémen, qui ont chassé d’Aden les troupes du président Hadi, l’homme de Riyad. En échange de cet appui, les Emirats ont obtenu des concessions importantes sur la stratégique île de Socotra, qui bloque l’entrée de la Mer rouge. Le Yémen est donc aujourd’hui coupé en trois.

Une solution négociée reste peu probable, à court terme, car il s’agirait d’un aveu d’échec et d’une humiliation pour la clique dirigeante saoudienne. La guerre risque donc de se prolonger, plongeant chaque jour un peu plus le Yémen dans la barbarie. L’inévitable défaite qui attend les saoudiens a de grandes chances de pousser à un point d’ébullition les contradictions sociales et politiques qui s’accumulent aujourd’hui, dans le Royaume. Ni la guerre, ni la répression ne sauvera la dynastie dégénérée des Saoud.

La situation du Yémen doit sonner comme un avertissement pour les masses de tout le Moyen-Orient. Malgré l’héroïsme déployé pendant la Révolution arabe de 2011, les travailleurs yéménites, dépourvus d’organisation, ne sont pas parvenus à prendre le pouvoir. La voie a été ouverte à une multitude de groupes réactionnaires qui règlent aujourd’hui leurs comptes sur le dos de la population yéménite. Aucun espoir n’est à attendre d’aucune faction capitaliste au Moyen-Orient !

Depuis le 26 mars, des chasseurs saoudiens bombardent des cibles stratégiques au Yémen : grands axes routiers et infrastructures clés. Mi-avril, on dénombrait déjà plus de 500 morts et 1700 blessés. L’Arabie Saoudite est appuyée par une large coalition de pays sunnites, dont l’Egypte, ainsi que par les membres du Conseil de Coopération du Golfe (1), à l’exception de l’Oman.

Pendant des années, l’Arabie Saoudite a soutenu le dictateur du Yémen Ali Abdallah Saleh, qui fut finalement renversé lors du « printemps arabe ». Les Saoudiens, comme tous les dictateurs et despotes des pays du Golfe, ont alors manœuvré pour placer à la tête du régime Abd Rabbo Mansour Hadi, ancien vice-président pendant 17 ans.

Cependant, le soutien populaire de Hadi s’est rapidement évaporé – le temps, pour les masses, de réaliser que le nouveau président n’avait pas l’intention d’en finir avec la corruption, le népotisme, le tribalisme et l’extrême pauvreté qui frappe 60 % de la population. Au contraire, Hadi a appliqué un programme d’austérité qui a aggravé les conditions de vie des plus démunis. Pour gouverner, Hadi s’est appuyé sur certaines tribus, notamment via le parti Al-Islah, affilié aux Frères musulmans, tout en en marginalisant d’autres, comme les zaydites et les Houthis, qui comptent pour 40 % de la population yéménite.

Dans ce contexte, la rébellion houthie a pris le contrôle de larges territoires dans le nord du pays. Leurs slogans, contre l’impérialisme américain, la corruption, la pauvreté et l’austérité, sont entrés en résonance avec les aspirations de nombreux jeunes pauvres du nord, à majorité chiite. Lorsqu’en janvier dernier les Houthis ont pris le contrôle de Sanaa, la capitale, ils n’ont pas rencontré de grande résistance de la part des soutiens du « président légitime ».

Dans le sud, Hadi ne jouit guère d’une position plus favorable. Sa politique de collaboration avec l’impérialisme américain – qu’il autorisait à utiliser des drones – a jeté de larges franges de la population dans les bras des sécessionnistes et des islamistes radicaux.

Le rôle de l’Iran

Pour l’Arabie Saoudite, il est inconcevable que le Yémen se désintègre et tombe sous la coupe de l’Iran. En finançant les Houthis et en envoyant sur place des « Gardiens de la Révolution », l’Iran cherche à étendre sa zone d’influence. La menace d’une frontière commune avec un pays dirigé par des chiites et soutenu par l’Iran a décidé le régime saoudien à intervenir militairement. L’inaction aurait été interprétée comme une marque de faiblesse et aurait pu motiver la minorité chiite du royaume à se soulever.

L’offensive de l’Arabie saoudite est un message clair envoyé à Téhéran. Si, jusqu’à présent, le conflit entre les deux puissances régionales se déroulait par l’intermédiaire de pays tampons comme l’Irak, la Syrie, le Pakistan ou l’Afghanistan, l’emploi des forces armées marque un tournant majeur.

Ce n’est pas un hasard si l’opération militaire a commencé quelques jours avant la date butoir de signature d’un accord entre les Etats-Unis et l’Iran sur la question nucléaire. Les Etats-Unis soutiennent hypocritement l’intervention saoudienne, après avoir appuyé Ali Abdallah Saleh pendant 30 ans, puis Hadi, et travaillé avec les Houthis pour lutter contre Al-Qaïda. Cependant, la défense de leurs intérêts au Moyen-Orient, notamment la lutte contre Daech et Al-Quaïda, passe par un assouplissement de leurs relations avec l’Iran. Si, au nord de l’Irak, les Kurdes ont été en mesure de repousser l’Etat islamique, les Iraniens sont les seuls alliés fiables des Etats-Unis dans le reste du pays.

En intervenant militairement, l’Arabie Saoudite adresse un message d’avertissement à Washington. Cependant, cette campagne saoudienne apparaît comme un acte désespéré. Son armée est faible et le Yémen est un terrain de combat difficile. Après six guerres menées par Saleh contre les Houthis, ceux-ci sont toujours debout. Le peuple du Yémen est un peuple fier qui méprise par-dessus tout l’impérialisme saoudien. Une occupation se solderait inévitablement par un renforcement des positions des Houthis et d’Al-Quaïda. Et quand bien même les Saoudiens évinceraient les Houthis du pouvoir, ce serait pour les remplacer par un gouvernement instable, sous perfusion permanente, qui serait rapidement confronté à de nouveaux soulèvements.

Cette nouvelle aventure militaire illustre à la fois la fragilité du régime saoudien et les contradictions insolubles auxquelles l’impérialisme américain se trouve confronté. Douze ans après l’invasion américaine de l’Irak, la région est plus instable que jamais. Les interventions impérialistes aggravent le chaos. Seule une nouvelle vague révolutionnaire ouvrira la perspective d’en finir à la fois avec les guerres, les régimes corrompus et la misère des masses.


(1) Arabie saoudite, Koweït, Bahreïn, Oman, Emirats arabes unis et Qatar.