Belgique

Nous vivons véritablement une époque de changements brusques et de tournants soudains. Ce qui semblait solide hier se liquéfie aujourd’hui ; ce qui paraissait inébranlable il y a encore quelque temps  est secoué de la tête aux pieds en quelques jours ; l’impossible devient possible et l’inimaginable réalité. La Belgique, pays où la vitesse des changements se mesurait naguère en années, voire en décennies, n’échappe pas à ce processus. 

Le résultat du dernier sondage publié dans l’Echo [1] reflète  un mouvement caractéristique des temps de tempête politique. Pour la première fois, le Parti du Travail de Belgique (PTB) est donné premier parti en Wallonie, troisième à Bruxelles ; grâce à une percée plus modeste mais nette en Flandre, le parti de Raoul Hedebouw pourrait devenir le premier parti de Belgique. Il serait alors à égalité avec la N-VA. Selon les sondages, le PTB obtiendrait 24,9 % en Wallonie, 14,1 % à Bruxelles et 7,3 % en Flandre, ce qui porterait son nombre de députés à 26 (dont 6 en Flandre). Exactement le même nombre de sièges que la N-VA.

Une tendance lourde

C’est tout simplement historique. Jamais un parti à gauche de la social-démocratie n’a obtenu un tel appui électoral. Les communistes du PCB/KPB ont connu des poussées fortes en 1932 et 1936 doublant, voir triplant leur score pour atteindre 6,6 % et 9 députés. Les luttes sociales insurrectionnelles de 1932 et 1936, sur lesquelles le POB (le PS de l’époque) avait perdu la mainmise, et l’avènement du fascisme en Allemagne ont alors mené beaucoup de travailleurs vers le PCB. Juste après la Seconde Guerre mondiale, le rôle des communistes dans la résistance, le prestige de l’Union soviétique victorieuse de l’Allemagne nazie et le puissant désir de changement social et politique décuplent son score. En 1946, il obtient alors 23 élus au parlement, soit 12,7 % des voix.

Aujourd’hui, la percée du PTB s’inscrit dans une tendance générale de rejet du statu quo et de l’austérité en Europe, qui a porté Podemos en Espagne, la France insoumise en France ou Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. L’année 2008, celle de l’éclatement de la nouvelle crise du capitalisme, est un moment charnière dans la politique mondiale. Elle a inauguré un changement profond dans la conscience de la population, en particulier parmi les jeunes travailleurs, étudiants, précaires et chômeurs. Aux Etats-Unis, ce changement d’attitude explique l’envolée de Bernie Sanders, la popularité du « socialisme » et un puissant regain de l’activisme social.

En revanche, les partis socialistes réformistes de droite sont partout en crise, voire en voie de disparition, comme le PASOK ou le PS français. Tout comme le PVDA hollandais (les socialistes des Pays-Bas) qui n’est plus que le 5e parti du pays, en France, le PS n’est pas la victime de scandales du style Publifin mais du rejet par sa base de la politique libérale et austéritaire qu’il a menée depuis des décennies. Au-delà des scandales, il existe donc une raison plus forte au déclin des PS : leurs politiques pro-capitalistes, qui frappent de plein fouet leur base sociale, désormais prête à chercher une alternative politique.

Les conditions belges

Il existe aussi des conditions typiquement belges à l’origine du succès du PTB. En premier lieu, 30 années de participation gouvernementale ininterrompue des partis socialistes aux niveaux fédéral et régional, des gouvernements d’austérité qui ont aliéné la base traditionnelle des socialistes.

Puis il y eut, depuis 2014, 2 ans et demi de luttes syndicales – sans pareil au cours des trois dernières décennies –  contre le gouvernement homogène de droite. Ces luttes interprofessionnelles, aussi bien dans le Nord que dans le Sud du pays, ont incarné l’énorme mécontentement lié à la détérioration des conditions de travail et de vie de la population travailleuse et précarisée. Le PS et le SP.a (Socialisten en Progressieven anders - Parti socialiste flamand) étaient largement absents de ces mobilisations ; le PTB s’y trouvait comme un poisson dans l’eau. Suite à l’échec de ces combats, dû essentiellement à la stratégie de conciliation des directions syndicales, le mouvement a reflué. Mais le mécontentement demeure, lui, intact. On assiste ainsi aujourd’hui à un phénomène bien connu de déplacement du terrain de lutte vers le politique, sans pour autant abandonner complètement le terrain syndical : les travailleurs tentent de réaliser politiquement ce qu’ils avaient voulu obtenir sur le plan syndical.

C’est dans ce contexte que le PTB commence sa forte montée dans les sondages, qui révèlent également que le gouvernement fédéral perd sa majorité dans le pays ; quant aux socialistes, le PS dégringole, et le SP.a fait essentiellement du surplace, jusqu’à un dernier sondage qui le plonge en dessous des 10 %, un autre record historique. La crise couve chez les socialistes flamands où plusieurs ténors demandent une discussion sur la stratégie du parti. Quoi qu’il en dise, il est vrai que le SP.a est largement invisible et inaudible sur le terrain politique et social.

Des récents scandales à la crise existentielle du PS

Les scandales à répétition dans lesquels le PS est englué (les rémunérations des administrateurs de Publifin, du Samusocial etc.), la lenteur de sa réaction et ses divisions internes ont fini de lui porter le coup de grâce. Depuis l’affaire Publifin, le PS s’écrase totalement dans les sondages : il n’obtiendrait plus que 16 % des suffrages contre 32 % il y a 3 ans en Wallonie. Une perte de 50 %. A Bruxelles, l’hémorragie est encore plus forte : le PS tombe à 10,9 % alors qu’il atteignait 25,6 % en 2014. En cas de nouvelles élections le PS n’aurait plus que 11 élus, le PTB …20. En Flandre, le SP.a se fait talonner par le PVDA. Le SP obtiendrait 7 sièges au parlement fédéral et le PVDA, 6.

En interne, le PS est coupé en deux parties presque égales et opposées sur la question de la « gouvernance ». Cette division touche essentiellement l’appareil et le réseau d’élus et de mandataires de toutes sortes. Un groupe d’opposition, #grouponsnousetdemain,  s’est d’ailleurs constitué essentiellement avec  des hommes et des femmes d’appareil, autour du décumul intégral des mandats. C’est une mesure du désespoir qui règne au PS : seule cette revendication est perçue comme pouvant libérer le parti du cancer de l’arrivisme et du carriérisme.  Pour la première fois, la disparition même du parti (au moins dans sa forme actuelle) est sérieusement prise en considération, aussi bien par les éditorialistes que par les responsables du parti.

S’il est possible que le PS prenne la voie du Pasok grec ou du PS français, un scénario à l’espagnole n’est pas à exclure : l’ancien secrétaire général du PSOE, éjecté suite à un coup d’état de l’appareil, y a finalement repris les rênes avec un discours de gauche. Magnette, ou une autre personnalité, pourrait jouer ce rôle. Avec les scandales à répétition, Magnette a vu s’évaporer l’effet positif de sa campagne contre la CETA ; mais même à l’époque, les sondages qui semblaient le plébisciter n’indiquaient pas pour autant que le PS sortait de l’ornière. La tentation d’imiter Macron est présente au PS, comme dans d’autres partis en Wallonie.  Elle pourrait prendre plusieurs formes et contenus : une scission droitière du PS, un regroupement au centre, etc. Mais pour que cela se réalise,  il faudra probablement attendre les prochaines échéances électorales de 2018 et de 2019. Il est vrai que le PS, contrairement aux autres PS en Europe, a maintenu des liens encore forts avec la population ouvrière et la FGTB (de clientélisme, mais aussi de soutien réel).  Ils se sont néanmoins de plus en plus distendus au fil des politiques d’austérité et des mesures pro-capitalistes approuvées par le PS, jusqu’à se rompre maintenant. Il n’est donc pas certain que le PS puisse se ressaisir ou qu’un Magnette puisse jouer le rôle d’un Jeremy Corbyn.  Certes, dans son dernier livre, Nouvelles Conquêtes, Elio Di Rupo reprend certaines revendications de gauche comme la semaine de 4 jours. Mais son auteur, tout comme le Parti Socialiste, marqué au fer par 30 années de coalition avec la droite, manque totalement de crédibilité pour pouvoir rebondir avec de telles revendications.

Le PTB occupe le terrain

Si le MR et le cdH sont également impliqués dans les scandales évoqués précédemment, le PS se trouve bien à l’épicentre de la tempête. Son électorat et sa base sont beaucoup moins enclins à pardonner de telles dérives que ceux du MR : on ne tolère pas ce genre de conduite d’un parti créé – il y a très longtemps – pour changer le système et pas pour s’y vautrer. Le PS et le SP.a, tout comme les organisations syndicales, mutuelles etc., en s’approchant de l’appareil d’Etat capitaliste, voire en s’y intégrant, n’en ont pas modifié la nature. Bien au contraire, ce sont eux qui ont changé, s’identifiant avec cet Etat, défendant ses intérêts, le présentant comme l’aboutissement d’une politique socialiste. Les cadres, les dirigeants des partis socialistes, ainsi que ceux des syndicats, ont également intégré les normes et valeurs de ce même appareil d’état : carriérisme, salaires élevés et autres privilèges.

Le PTB, dont les élus ne gagnent pas plus qu’un travailleur et dénoncent depuis longtemps les profiteurs à tous les niveaux politiques, sort très renforcé de ces crises. Il est remarquable que les scandales qui engloutissent le PS ne profitent ni à la droite ni à l’extrême droite, mais à la gauche de la gauche. Ceci n’est pas le fruit du hasard : c’est le résultat du positionnement du PTB et de son travail sur le terrain. Le MR recule, le cdH aussi, tout comme l’Open VLD, le CD&V et la N-VA, les partis du gouvernement et de la droite chrétienne démocrate. En dehors de la forte poussée du PTB, seuls le Vlaams Belang, Défi, Ecolo et Groen progressent encore dans les sondages, mais beaucoup plus faiblement. En cela, le panorama politique en Belgique ressemble à celui que l’on voit dans le reste de l’Europe, celui d’une polarisation croissante entre la gauche et la droite. En Flandre, il faudrait ajouter aussi la victoire retentissante du PVDA contre la Turteltaks qui vient d’être annulée par la Cour Constitutionnelle.  Cette Turteltaks, ainsi nommée d’après la ministre régionale flamande libérale Turtelboom, augmentait en moyenne la facture d’électricité de 100 euros par ménage. Là où les autres partis d’opposition comme le SP.a et Groen se sont limités à critiquer cette loi sans la combattre, le PVDA en a fait sa campagne centrale. L’annulation de la Turteltaks est largement perçue comme une victoire du PVDA.

Evidemment, un sondage n’est pas un résultat électoral. Dans plus d’un an auront lieu les élections communales et, l’année d’après, en 2019, se tiendront les élections fédérales. En politique, c’est un long, très long, intervalle. Surtout aujourd’hui. Mais les progrès du PTB, quelle qu’en soit l’ampleur exacte, représentent selon nous une tendance lourde dans la politique et la lutte des classes en Belgique.

Les partis de droite et la social-démocratie ont pendant un temps tenté de se consoler en croyant qu’il s’agissait d’un épiphénomène, un coup de sang aussi soudain que de courte durée, alors que rien n’indique que le PTB ait maintenant atteint un plafond (ni qu’il restera longtemps à ce niveau).  Maintenant, ils commencent sérieusement à s’en inquiéter. Dans son édito de samedi 1er juillet 2017, l’Echo décrit la percée du PTB comme une « catastrophe » ; les idées du PTB sont des « illusions habiles et socialement destructrices ». Le pays est « exposé à tous les possibles. Même aux pires ». Ce n’est ici qu’un exemple de la campagne qui va déferler sur PTB dans les prochains mois et années.

Pressions sur le PTB

La campagne haineuse contre le PTB et le marxisme en général va s’accentuer en même temps que la pression sur le parti pour qu’il mette « de l’eau dans son vin rouge ». Il sera appelé à se montrer « responsable ». Une partie même de l’électorat, voire des membres du PTB et les dirigeants syndicaux « amis » s’attendent à ce que le PTB entre dans le gouvernement, au moins au niveau régional.  Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB Wallonne déclarait récemment voir d’un bon œil une coalition PS-PTB-Ecolo en Wallonie. Le PTB résiste, pour l’instant, à cette pression. Et c’est une bonne chose. Il met correctement l’accent sur la nécessité de s’organiser, de se mobiliser à la base et de ne pas avoir d’illusions dans les possibilités immédiates de changement au sein du gouvernement.

Mais d’autres dangers le guettent. Un opportunisme électoral pointe son nez. D’abord sur des questions qui semblent « périphériques », comme la solidarité d’une partie de la communauté marocaine avec les révoltes dans le Rif. La non-participation du PTB à la manifestation du 8 juillet en solidarité avec la révolte du Rif est significative d’une volonté de ne pas « fâcher » une partie de son électorat.

Les campagnes publiques du PTB, les revendications que le parti met en avant, sont également de plus en plus découplées de la nécessité d’un changement socialiste de la société. Le socialisme, le « but final », n’est pas perçu comme une « question pratique » à placer au cœur des toutes les luttes aujourd’hui et maintenant. « Cela ne rapporte pas de voix » nous confie un militant du PTB. « Mais la revendication des nationalisations se trouve toujours dans nos documents en ligne » indique un autre.  Sous le terme « socialisme » nous entendons la nationalisation des moyens de production sous le contrôle démocratique des travailleurs et l’instauration d’une économie planifiée pour satisfaire les besoins sociaux et écologiques urgents. C’est une rupture avec le capitalisme et la construction d’une société socialiste.

Le socialisme, un but « pratique »

Rosa Luxemburg, marxiste allemande, donnait à son époque une réponse juste [2] à ceux qui voulaient séparer les luttes pratiques des réformes du socialisme :

« On déclare : ce qu'on dit du but final constitue un beau passage dans notre programme, qu'il ne faut certainement pas oublier, mais qui n'a aucun rapport direct avec notre lutte pratique. Peut-être même se trouve-t-il un certain nombre de camarades qui pensent qu'une discussion sur le but final n'est qu'une discussion académique. Je prétends, au contraire, qu'il n'existe pas pour nous, en tant que parti révolutionnaire, prolétarien, de question plus pratique que la question du but final. Car, réfléchissez-y ; en quoi consiste, en fait, le caractère socialiste de notre mouvement ? La lutte pratique proprement dite se divise en trois parties principales : la lutte syndicale, la lutte pour les réformes et la lutte pour la démocratisation de l'Etat capitaliste. Est-ce que ces trois formes de notre lutte sont, en fait, du socialisme ? Absolument pas !

« Qu'est-ce qui fait alors de nous, dans notre lutte quotidienne, un parti socialiste ? C'est seulement le rapport de ces trois formes de lutte pratique avec notre but final. C'est uniquement le but final qui donne son esprit et son contenu à notre lutte socialiste et en fait une lutte de classe. Et, par but final, nous ne devons pas entendre, comme l'a dit Heine, telle ou telle représentation de la société future, mais ce qui doit précéder toute société future, c'est-à-dire la conquête du pouvoir politique.

« J'estime que la question de savoir si nous pourrons, une fois au pouvoir, socialiser la production, et si elle est déjà assez concentrée pour cela, est une question académique. Pour nous, il ne fait aucun doute que nous devons tendre vers la prise du pouvoir politique. Un parti socialiste doit être toujours à la hauteur de la situation. Il ne doit jamais reculer devant ses propres tâches. C'est pourquoi nous devons clarifier complètement notre conception de ce qui est notre but final. Nous le réaliserons, envers et contre tout. »

La lutte de classe des prochains mois et années, aussi bien sur le terrain syndical que politique, exige non seulement de présenter un programme de réformes sociales et politiques à la hauteur des dégâts causés par le capitalisme, mais elle exige surtout de placer la nécessité d’une rupture avec le capitalisme et d’une révolution socialiste au centre de notre combat « pratique ». Les deux ne sont pas dissociables.

Révolution (Belgique)


[1] http://www.lecho.be/actualite/tablet/Le-PTB-pourrait-devenir-le-premier-parti-de-Belgique/9909817

[2] https://www.marxists.org/francais/luxembur/works/1898/rlux_18981003.htm

Alors que « compromis » et « modération » semblaient inscrits dans son code génétique, la Belgique vit actuellement un niveau de confrontation sociale rarement vu auparavant.

Le pays est éreinté par l’austérité et littéralement malade de la pression croissante qui sévit sur ses lieux de travail : ce n’est pas un hasard si les Belges sont les plus gros consommateurs d’antidépresseurs de l’Union Européenne et souffrent d’une épidémie de burnouts, qui est au travailleur moderne ce que la silicose était au travailleur du XIXe siècle.

La tension et la douleur accumulées commencent à s’extérioriser, donnant parfois lieu à de violentes confrontations avec les patrons ou la police, mais également à de plus en plus de grèves spontanées et radicales.

Le gouvernement arrivé au pouvoir en 2014, complètement à droite pour la première fois depuis plus de deux générations, ne cache pas ses velléités thatchériennes : contre-réformes profondes et volonté de casser les syndicats. Mais il a dû faire face à un an et demi de luttes syndicales générales : 21 journées nationales d’action, dont la plus grande grève générale de 24h depuis la Seconde Guerre mondiale et deux manifestations nationales qui ont rassemblé 120 000 et 100 000 travailleurs.

Alors qu’une importante partie des travailleurs avait déjà fait grève pendant 4 ou 5 jours depuis l’automne 2014, on a assisté à une courte accalmie en novembre dernier, aussitôt interprétée par le gouvernement et le patronat comme une défaite infligée au mouvement.

Les attaques terroristes perpétrées par l’Etat Islamique à Paris en novembre donnèrent un prétexte supplémentaire à la plupart des dirigeants syndicaux pour arrêter la lutte. Elles permirent également de tester un état d’urgence, qui ne dit pas son nom, avec une présence militaire massive dans les rues de Bruxelles.

Mais tout ceci n’a que partiellement affecté la lutte des classes : dès janvier par exemple, les cheminots se mirent de nouveau en grève pendant 2 jours.

La seconde attaque terroriste du 22 mars frappa violemment Bruxelles et créa une commotion considérable. Mais contrairement à ce qui prévalut en France pendant un moment après les attaques, le gouvernement belge fut incapable d’instaurer dans la société et dans ses propres rangs la sorte d’« unité nationale » dont il avait besoin. Au contraire, les semaines qui suivirent furent le théâtre d’incessantes accusations entre les différentes composantes de l’appareil sécuritaire. Il y eut ainsi de violents échanges entre le ministre de l’Intérieur et certains de ses chefs de police ; la ministre de la Mobilité, responsable de la sécurité à l’aéroport de Zaventem fut forcé de démissionner suite à la publication de documents révélant son incurie face aux mises en garde de l’Union Européenne au sujet de la sécurité. Le mécontentement alla aussi croissant chez les bagagistes des aéroports qui partirent spontanément en grève, de même que les douaniers, les aiguilleurs du ciel et la police de Bruxelles Nationale. La Belgique, « Etat failli », devint le centre des inquiétudes et débats.

La manifestation nationale en hommage aux victimes des attaques terroristes, semblable à celles organisées dans les autres pays frappés de la sorte, fut annulée sous la pression du maire de Bruxelles et du ministre de l’Intérieur pour des raisons… de sécurité. Au lieu d’accompagner cette manifestation, la police autorisa de facto un groupe de hooligans racistes et d’extrême droite à marcher dans le centre de Bruxelles, provoquant ainsi des heurts avec la population locale immigrée.  Une semaine plus tard, une centaine de manifestants antifascistes et antiracistes, ainsi que le président de la Ligue des Droits de l’Homme, furent arrêtés par la police bruxelloise. Ceci provoqua de nouveau un débat national et un conflit entre le chef de la police et le maire de Bruxelles.

C’est face à ces tensions que le gouvernement a choisi de renforcer son paquet de mesures d’austérité (coupe dans les pensions des travailleurs du service public) et d’introduire une version belge de la détestée loi française « El Kohmri » : son pendant belge s’appelle « loi Peeters » et prévoit de mettre fin à la semaine de 38 heures et à la journée de travail de 8 heures, pour introduire la semaine de 45 et 50 heures et la journée de 9 à 11 heures.

Une éditorialiste du journal centriste bruxellois Le Soir a même mis en garde le gouvernement du rythme, du calendrier et des méthodes de cette nouvelle offensive : « Dans leur vie “normale”, les Belges ont encaissé depuis quelques jours les Panama papers en parallèle aux réformes fondamentales de leur pension et de l’organisation de leur temps de travail – annoncées dans les deux cas en contournant la négociation sociale qui a toujours joué le rôle d’amortisseur. C’est beaucoup. » Et en effet, cela fait beaucoup à avaler pour les travailleurs…

Ces nouvelles attaques ont contraint les syndicats à établir un nouveau plan d’action qui a commencé par une manifestation nationale le 24 mai, réunissant 80 000 travailleurs. La prochaine étape aura lieu le 24 juin, jour pour lequel le syndicat socialiste, avec le soutien de certains syndicats chrétiens, a appelé à la grève générale. La loi Peeters sera soumise au vote entre septembre et octobre : un nouvel appel à manifester a été lancé pour le 24 septembre et l’ensemble des syndicats appelle à une grève générale le 7 octobre.

Depuis mars et avril, l’humeur de la population a radicalement changé. Suite aux attaques terroristes, un sondage révélait que le sentiment dominant n’était pas la peur, mais bien la colère. La colère contre les terroristes, bien sûr, mais aussi une colère indéterminée, diffuse. Certains secteurs de la classe ouvrière commençaient à exprimer leur rage...

La première manifestation en fut la grève d’une journée des gardiens de prison, protestant contre l’annonce d’une coupe de 10 % du budget pénitentiaire. Le lendemain, les gardiens des prisons les plus surpeuplées et avec le moins de personnel, à Bruxelles et dans le sud du pays, refusèrent de reprendre le travail. Spontanément, ils décidèrent de continuer le mouvement « au finish », une grève générale illimitée qui a encore lieu aujourd’hui. La plupart des délégués syndicaux et la base des travailleurs font également preuve d’une remarquable intransigeance : des propositions, voire des concessions partielles faites par le gouvernement, et qui auraient été acceptées par le passé, ont été radicalement rejetées. Dans certaines prisons, les policiers qui remplaçaient les gardes ont également commencé une grève spontanée, forçant ainsi le gouvernement à avoir recours à des militaires.

A leur tour, les travailleurs du rail ont démarré une grève spontanée qui dura 10 jours et qui peut reprendre d’ici peu, après la manifestation nationale du 24 mai, et qui touche aussi bien le Nord flamand que le Sud wallon. Mais dans le Nord, les dirigeants syndicaux sabotent activement la grève, ce qui n’est pas le cas dans le Sud ou à Bruxelles : il y a donc paralysie totale du rail dans le Sud, et seulement des perturbations dans le Nord. Ce caractère inégal du mouvement est instrumentalisé par le gouvernement qui affirme que seuls les Wallons fainéants et enclins à la grève sont en train de protester.

Mais les faits montrent le contraire : le mardi 31 mai, les services publics de tout le pays ont manifesté. Dans le Nord et dans le Sud, cette journée fut accompagnée de grèves des transports publics. Mais l’opinion publique, quoique très volatile, se retourne en grande majorité contre le gouvernement et sa politique, aussi bien en Flandre qu’en Wallonie.

Selon des sondages, si des élections avaient lieu aujourd’hui, les partis au gouvernement perdraient très largement leur majorité parlementaire. Et, fait notable, le parti de gauche PTB/PVDA (ancienne organisation maoïste et maintenant parti réformiste de gauche) gagne beaucoup de terrain : il pourrait augmenter son nombre de députés de 2 à 10, ce qui ferait de lui le troisième parti du sud de la Belgique, devant le CDH (les chrétiens démocrates) et Ecolo. C’est la première fois qu’un parti à la gauche du Parti Socialiste atteint cette position, ce qui témoigne du virage marqué à gauche d’une partie des travailleurs.

Au Nord, le PVDA pourrait également gagner des voix et atteindre environ 5 % ; mais le plus gros changement a lieu en faveur du parti d’extrême droite Vlaams Belang, aux dépens du parti nationaliste flamand N-VA, actuellement au gouvernement.

D’autres données indiquent toutefois qu’en Flandre, 45 % de la population soutient le nouveau plan d’action syndicale, tout comme un tiers de l’électorat du parti CD&V (les chrétiens démocrates au pouvoir), un quart pour le parti libéral (au pouvoir également), et même 16 % de l’électorat de la droite nationaliste N-VA. Sous leurs pieds, le sol devient de plus en plus instable.

Ce sont maintenant les chauffeurs de bus du Sud qui ont décidé de faire grève, les éboueurs, les services publics à Liège, les postiers des deux côtés de la frontière linguistique, de même que les magistrats, en grève cette semaine pour la première fois depuis 1917. La perspective d’une grève générale illimitée est sur les lèvres de nombreux militants et travailleurs. Les grévistes ont également radicalisé leurs demandes : plutôt que l’une ou l’autre concession, c’est la chute du gouvernement qui gagne aujourd’hui en popularité.

Ce n’est pas un hasard si un éditorial bourgeois pointe du doigt la France pour expliquer le développement des grèves spontanées (les travailleurs seraient même infectés du « virus révolutionnaire français ») : la lutte engagée par les travailleurs français contre la loi El Kohmri inspire bien les travailleurs belges, notamment du sud francophone. Mais le mouvement belge a sa propre dynamique.

Il se caractérise par des grèves spontanées et explosives, par la diffusion de l’idée d’une grève générale totale et par l’intransigeance des travailleurs à la base. Ceci touche directement les dirigeants syndicaux, qui choisissent, pour certains, de soutenir le mouvement, et pour d’autres, de s’y opposer.

On ignore ce qu’il adviendra lors des prochains jours et des prochaines semaines, et qui dépend beaucoup du cours des événements en France. Mais l’idée d’une grève générale spontanée flotte partout et le gouvernement belge commence à se fissurer. Il y a quelques jours, le ministre de la Mobilité a annoncé être prêt à retirer les mesures qui avaient déclenché la vague de grève : il a été immédiatement attaqué par les autres partis et la presse de droite, qui ont souligné à juste titre qu’un retrait des mesures, même temporaire, encouragerait les mouvements de grève dans les autres secteurs.

Quoi qu’il arrive, en Belgique aussi le génie de la lutte des classes est sorti de sa lampe !

Encore une fois, nous avons vu hier matin le meurtre impitoyable de personnes innocentes, au beau milieu de leur vie quotidienne. Les marxistes condamnent ces actes de terreur, de la même manière qu'ils condamnent le massacre de milliers de personnes en Syrie et dans les autres pays déchirés par la guerre. Voici le communiqué publié par la section belge de la Tendance Marxiste Internationale.


Notre solidarité va d’abord et avant tout vers les familles des victimes des attentats terroristes à Bruxelles. Le premier constat qui s’impose est que, quel que soit le niveau de sécurité (policiers et militaires), rien n’a pu arrêter ces attaques barbares et lâches. Malgré la présence des patrouilles de para-commandos à l’aéroport et dans les métros, et la surveillance accrue de la police depuis les attentats parisiens en novembre, il est impossible de les arrêter de cette façon-là. L’arrêt généralisé voulu hier par le gouvernement a paralysé une bonne partie de la ville. Maintenir ce « lockdown » mettrait à l’arrêt tout Bruxelles.

Aussi longtemps que le Moyen-Orient reste une plaie purulente, cette menace continuera. « Nos » gouvernements occidentaux sont responsables du chaos au Moyen-Orient en croyant qu’ils pouvaient envahir impunément des pays, renverser des régimes, les bombarder et puis retrouver une stabilité. Ces actions ont eu l’effet inverse. En ne faisant rien pour résoudre le problème de l’aliénation de la population immigrée et des jeunes de la troisième et de la quatrième génération, en n’éradiquant pas le racisme, le chômage, la pauvreté et l’oppression. En semant guerre et violence dans le Moyen-Orient, ils ont créé un terreau fertile pour le fondamentalisme religieux. Ce phénomène ne peut aller qu’en s’amplifiant.

Ces nouvelles attaques serviront à justifier des lois encore plus répressives au nom de la lutte contre le terrorisme. La moitié des 18 mesures antiterroristes annoncées par le gouvernement belge après les attentats de Paris en novembre menace TOUS les citoyens, en commençant par les organisations de travailleurs et les groupes progressistes. Ceci a été dénoncé par des syndicats importants, des associations d’avocats et d’autres groupes progressistes. Schengen aussi sera mis sous pression. Le renforcement des contrôles aux frontières externes et internes de l’Union Européenne, fragiliseront encore plus l’Europe et exacerbera encore plus les tensions entre les différents pays.

Ces attentats seront utilisés pour justifier et cacher les actes barbares commis contre les réfugiés en Grèce et sur les autres frontières de l’Union. Pour pouvoir brutaliser impunément les réfugiés, il est nécessaire de les criminaliser, de les présenter comme incompatibles avec « nos valeurs » (égalité homme/femme par exemple) et nos « normes ». Des centaines de familles croupissent en ce moment dans la boue et meurent par millier en mer dans le vain espoir d’échapper à la guerre créée par cette même Europe.

Les partis de droite tenteront de tirer profit de ces attaques terroristes. Ces attentats serviront aussi de paratonnerre afin de détourner l’attention de la population des vraies causes de la crise que nous vivons. C’est aussi un moyen idéal pour essayer de freiner ou arrêter la lutte des classes comme récemment en France et en Belgique. Les jeunes en particulier s’opposent de plus en plus au système capitaliste. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que la classe ouvrière se mette en mouvement partout en Europe. 

Ces attaques serviront aussi à justifier de nouveaux bombardements sur la Syrie, renforçant la crise des réfugiés. Le nombre de réfugiés ne s’arrêtera pas maintenant que leur patrie est devenue un enfer. Ils n’auront pas d’autres alternatives que de se masser aux frontières de l’UE.  

Cette barbarie s’imprime dans la conscience de millions de travailleurs et de jeunes, en particulier les plus jeunes. Ils lèvent les yeux et ne voient qu’un monde sans avenir, avec un chômage grandissant, des attaques incessantes contre tout ce qui a été obtenu dans le passé dans l’enseignement, la santé, le logement et les salaires, et des guerres sans fin.

Il n’y a pas moyen de résoudre ces problèmes aussi longtemps que les gouvernements servent les intérêts d’une minorité de riches. Arrêtons de chipoter, ce système ne peux pas être réparé. Il doit disparaître. On s’imagine facilement ce qu’il arrivera s’il réussit à se survivre.

Il s’agit de réunir les multiples luttes des travailleurs et des jeunes pour une meilleure vie, un monde meilleur et de les faire converger vers un seul objectif : celui de mettre fin à ce système une fois pour toutes et de jeter les bases d’une nouvelle société, le socialisme. Non, ce n’est pas une utopie, c’est la seule alternative concrète à la barbarie.

Depuis samedi le niveau 4 d’alerte terroriste s’applique dans la capitale belge et la commune de Vilvoorde, soit le plus haut niveau possible en Belgique, qui décrit la menace comme « sérieuse et imminente ». Bruxelles vit pratiquement un état de siège.

Ce niveau a déjà été atteint en 2007, mais c’est la première fois que les mesures prises ont une influence si radicale sur la vie publique d’une ville. Un attentat tel que celui qui a meurtri Paris le 13 novembre serait en préparation à Bruxelles. Après l'explosion de l'avion russe sur le Sinaï, l'attaque dans le sud de Beyrouth, la prise d’otages sanglante au Mali, les djihadistes se tourneraient vers la capitale de la Belgique. Les grands centres commerciaux sont fermés, les activités publiques ont été annulées, des bars ont été fermement invités à baisser leurs volets, le métro et le prémétro ne fonctionnent plus, les écoles ont fermé leurs portes. D'importants contingents parachutistes patrouillent avec la police dans les rues de Bruxelles. Des véhicules blindés de l'armée sont situés dans des endroits stratégiques de la ville. En quelques heures, les rues se sont vidées. Bruxelles tourne au ralenti et ressemble à une ville morte, devenue l’otage des mesures anti-terroristes du gouvernement.

La psychose associée à ces mesures est grande. Elle est alimentée par les médias publics et privés et entretenue par le gouvernement. La peur est un bon moyen pour que la population s’autocensure. Le gouvernement n’a alors plus besoin de recourir à des mesures policières plus strictes. La police de Saint-Gilles, à la demande du bourgmestre (maire) PS Charles Picqué, a ainsi tenté d’interdire une conférence sur la Syrie, organisée par la LCR. Et encore, le niveau d’alerte terroriste n’était à ce moment-là qu’au niveau de 3. Le motif invoqué est que la police ne pouvait pas garantir la sécurité de l'activité. « Pour votre propre sécurité, veuillez-vous abstenir d’organiser de telles activités » est le message. Un bel exercice d’intimidation. Une belle victoire pour Daesh et d'autres terroristes !

C’est la première fois depuis longtemps que le gouvernement, les bourgmestres, l'armée et la police sont intervenus si profondément dans la vie publique de la ville. Contrairement à la France, la Belgique ne dispose pas d’un régime d’exception comparable à « l’état d'urgence ». Même si elle dispose d’un « état de guerre », ce dernier peut difficilement être invoqué aujourd'hui car il suppose que l'armée belge soit en  conflit avec une armée étrangère. L'état d'urgence « à la française » accroît considérablement les pouvoirs des préfets, qui sont nommés par le gouvernement. Comme lors de la révolte des banlieues en 2005, ils peuvent déclarer un couvre-feu, interrompre la libre circulation des personnes, mais aussi empêcher la permanence dans un territoire donné de « quiconque cherche à faire obstacle, d’une quelconque manière, à l’action des pouvoirs publics », formule très générale et qui pourra donc s’appliquer à des militants du mouvement ouvrier. Ce pouvoir peut s’exercer aussi bien sur un individu que sur un groupe. D’autres dispositions précisent la menace potentielle contre nos droits démocratiques : perquisitions sans mandat des autorités judiciaires, assignations à résidence de personnes présumées dangereuses, limitations du droit de réunion et d’organisation collective… Concrètement, le gouvernement et ses préfets se donnent les moyens de suspendre l’activité, non seulement de terroristes potentiels, mais aussi de structures politiques, syndicales ou associatives n’ayant rien à voir avec le djihadisme.

Comme en France ?

Sans surprise, l'ensemble de la droite et les partis du gouvernement français ont voté la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 25 février. Mais il est tout simplement scandaleux que les élus du Parti communiste aient fait de même. L'interdiction de manifestation s’est appliquée ce week-end à une manifestation de solidarité avec les réfugiés au cœur de Paris. Plusieurs centaines de militants ne s’y sont pas soumis et ont défié l’interdiction. Suite à cette manifestation, cinquante-huit personnes ont été arrêtées et risquent jusqu'à six mois d'emprisonnement et une amende allant jusqu'à 7500 euros, selon le communiqué de la police. « Liberté » dites-vous ?

A Toulouse, 10 000 personnes sont descendues dans les rues en solidarité avec les victimes, mais aussi contre le racisme, contre l'état d'urgence et contre l'« union nationale » (à savoir l'alliance entre la gauche et la droite). La marche était l'initiative de la CGT, la FSU et d'autres associations. Le fait que la direction nationale de la CGT, après de longues hésitations, dénonce l'état d'urgence et l'unité nationale est un facteur majeur dans la situation politique. En Belgique, il semble que les syndicats n’aient rien à dire à propos de la « lutte contre le terrorisme ». Ils pourraient s’inspirer de la CGT française qui a rejeté à la fois « l'union nationale », l‘extension de « l’état d’urgence » et l'interdiction des manifestations, dans un communiqué daté de jeudi dernier. La CGT maintient donc son appel pour une journée d’action nationale le 2 décembre en solidarité avec les salariés licenciés d'Air France.

Le gouvernement belge prépare plusieurs initiatives législatives dans les prochaines semaines pour faire voter des lois similaires à celles en vigueur en France. C’est ce que nous avons retenu du discours résolu du Premier ministre, Charles Michel, jeudi dernier au parlement : dix-huit mesures ont été annoncées, avec un coût total de 400 millions d'euros. Cette dépense en sécurité est relativement plus importante qu’en France, où François Hollande a estimé le prix de ses nouvelles mesures à 600 millions d’euros. Le gouvernement tente de manipuler la situation à Bruxelles et l'opinion publique pour qu’elle accepte la restriction de ses droits et de ses libertés démocratiques. Au nom de la lutte contre le terrorisme, des mesures sont prises et testées, qui, plus tard, seront utilisées contre la grogne sociale et les actions du mouvement ouvrier.

Crédibilité du gouvernement

La légitimité du gouvernement, et dans un sens plus large celle de l'appareil d'Etat, est désormais en jeu. Pour l'instant, les gens accordent beaucoup de crédit à la police, à l'armée et aux politiques antiterroristes. La crainte d'attaques terroristes constitue le facteur clé pour comprendre cette confiance dans la police et l’armée : les gens cherchent à se protéger et se tournent vers les forces de sécurité. Cela est tout à fait compréhensible. La sympathie pour la police est en augmentation. Depuis quelques jours, le nombre d'abonnés à la liste de diffusion du Centre de crise est passé de 12 000 à 20 000. Le nombre de personnes abonnées au compte Twitter de la police fédérale a triplé. Ce n’est pas un hasard non plus si de nombreuses personnes ont suivi les conseils de la police de ne pas diffuser des informations sur les actions antiterroristes en cours. De leur côté, ces services comprennent aussi que l’occasion est trop belle pour ne pas être saisie et redorent ainsi leur blason terni.

« La population a beaucoup de compréhension pour les mesures prises, la question est : pour combien de temps ? […] Les maigres résultats de dimanche soir, même pas une arme à feu, ne font pas l’affaire de l’enquête » [1]. S’ils ne réussissent pas rapidement et très rapidement une « percée », l'opinion publique, une partie du moins, pourrait se retourner contre le gouvernement et contre les forces de sécurité. Souvenons-nous de la grande crise de régime de 1996-1997, avec l'affaire Dutroux. La grande majorité de la population s’est alors détournée des institutions (gendarmerie, police, justice, gouvernement) qui prétendent exister pour nous protéger, mais qui avaient alors d’autres priorités... 

Si le gouvernement veut garder une certaine crédibilité, il est impératif qu’il fasse une percée rapide dans la lutte contre le terrorisme. Les perquisitions et arrestations nocturnes de dimanche ont accouché d'une souris. Parmi la vingtaine de personnes arrêtées, une seule est inculpée. Aucune arme ni explosif n’a été retrouvé. Salah Abdeslam, soupçonné d’être le cerveau des attaques de Paris, est toujours en fuite. Face à la critique, le gouvernement prétend maintenant avoir déjoué une série d’attentats à Bruxelles grâce à ses actions dimanche…

Une des caractéristiques d'une situation comme celle d'aujourd'hui est la fluidité de l'opinion publique : elle peut rapidement basculer dans un sens ou un autre. Les Bruxellois tolèrent beaucoup pour l’instant, mais la tension monte, tout comme l'incompréhension face aux contradictions de la politique menée. Un exemple : le Conseil national de sécurité a maintenu le niveau 4 et l’a prolongé jusqu'au lundi 30 novembre à Bruxelles. Mais les écoles et le métro seront progressivement remis en service. Une journaliste de la radio publique bruxelloise (VivaCité) soulignait cette situation pour le moins « paradoxale ». La CGSP Cheminots Bruxelles a fait aussi écho au mécontentement et à la peur du personnel de la SNCB  face au manque de sécurité dans les grandes gares à un moment où le niveau d’alerte est pourtant maintenu.

L’escroquerie de l’union nationale

Les idées de la N-VA, le plus à droite des partis de gouvernement, alimentent le ministre de l'Intérieur et le ministère de la Défense. Ses représentants semblent mener à la baguette les politiques antiterroristes du gouvernement. Mais ils se rendent aussi compte que, sans résultats tangibles, ils seront les premiers sous le feu des critiques. Pour préparer le terrain, la N-VA, tout en prêchant l’union nationale pour les autres partis et organisations sociales, vient de dynamiter ladite union : dans une lettre ouverte au nom de la N-VA, Karl Vanlouwe pointe la responsabilité des « politiciens francophones » et de « l’islamo–socialisme » dans le terrorisme en Belgique. Une manœuvre de diversion, une raison de plus pour que la gauche ne reste pas silencieuse.

L'union nationale autour de la politique antiterroriste est une escroquerie politique. Son objectif est d'arrêter la lutte sociale au nom de la lutte contre le terrorisme. La gauche se range derrière la politique de la droite, comme si le clivage entre gauche et droite ne s’appliquait pas à la lutte contre le terrorisme. Le PS et le sp.a (Socialistische Partij Anders) sont tombés à pieds joints dans ce piège… Les dirigeants syndicaux de la FGTB et de la CSC également. La décision de suspendre les manifestations dans les prochaines semaines revient à déclarer une trêve sociale unilatérale de la part de la FGTB et probablement aussi de la CSC. La question est la suivante : est-ce que le gouvernement suspend aussi ses plans de destruction sociale ? Est-ce que le patronat a décidé d'arrêter d'attaquer les travailleurs ? Non, naturellement pas. Pire encore, ce gouvernement essaie de diviser les gens en opposant les musulmans aux non-musulmans, aux réfugiés, etc. Tout comme le gouvernement français, notre gouvernement se prépare à limiter les libertés et les droits démocratiques au nom de la lutte contre le terrorisme. Ce n'est pas le moment de ne plus descendre dans la rue. Ce n'est pas le moment de relâcher la pression et nos protestations. Bien au contraire. A Bruxelles les syndicats ne semblent rien avoir à dire au sujet du niveau d’alerte 4 et les mesures qui y sont associées. Heureusement qu’une partie de la population se rebiffe, comme le montre l’initiative « Bruxelles est à nous ». Un autre signe positif est la grève générale très réussie à Charleroi et dans le Hainaut contre la politique du gouvernement, le lundi 23 novembre. Pourtant, la pression pour un report a été grande : à Namur, les syndicats ont malheureusement plié et changé la date initialement prévue.

Pas de paix sociale, repartir à l'offensive

Le mouvement syndical a une responsabilité énorme pour reprendre immédiatement sa lutte contre ce gouvernement. L'état de siège actuel à Bruxelles ainsi que les mesures restreignant les droits et libertés démocratiques méritent une approche très critique. Il ne suffit pas de se limiter à des mots, à des communiqués ou conférences : des actions de masses s’imposent. Partout en Europe, il existe une tendance lourde vers le renforcement de l'appareil d'Etat, vers un Etat fort et vers la réduction du contrôle démocratique sur les tribunaux et la police. Toutefois, elle peut être freinée, et même repoussée, par la mobilisation de masse. Les syndicats feraient bien aussi de dénoncer le terreau social et économique qui alimente le terrorisme dans les quartiers populaires et de pointer la responsabilité des aventures impérialistes de la Belgique, de la France et d'autres pays au Moyen-Orient. Le mouvement syndical dispose du plus grand « réseau » de faiseurs d'opinions dans le pays, c’est-à-dire les délégués syndicaux et les militants. Le syndicat devrait les aider dans leurs actions sur leur lieu de travail contre les préjugés racistes, dans leur lutte pour l'unité et pour un changement radical de la société. L’heure n’est pas aux atermoiements ou à la dilution de nos principes.


[1] De Standaard, 24 novembre 2015.

« C’est la grève la plus forte qui n’ait jamais eu lieu », a commenté Marie-Hélène Ska, la secrétaire générale du syndicat chrétien CSC. Elle a raison. L'arrêt de travail national lundi 15 décembre a sans doute été la plus « générale » des grèves générales de 24 heures dans la riche histoire des grèves en Belgique.

Cette grève est l'aboutissement de six semaines de lutte intense qui ont commencé par une manifestation massive de 120 000 travailleurs à Bruxelles, suivie par trois grèves régionales. Les travailleurs s’opposent à la politique réactionnaire du gouvernement fédéral le plus à droite depuis la Seconde Guerre mondiale.

Ce gouvernement est composé des nationalistes flamands de droite de la N-VA, des partis libéraux des deux régions linguistiques et du Parti démocrate-chrétien flamand. Son programme et ses méthodes sont inspirés par le thatchérisme, et il est clairement déterminé à entrer en confrontation ouverte avec le mouvement ouvrier.

Les deux partis socialistes – le SP.a flamand et le PS francophone — au pouvoir depuis un quart de siècle, ont été évincés du gouvernement fédéral. Les mesures gouvernementales comprennent le report de l'âge de la retraite à 67 ans, la fin des régimes de retraite anticipée, un « saut d'index » (qui consiste à ne pas appliquer l'échelle mobile des salaires), un gel des salaires et de nombreuses autres attaques qui représentent de la dynamite dans le système social belge.

A lui seul, le « saut d'index » coûtera à un travailleur ayant 30 ans aujourd’hui, une somme cumulée d’environ 30 000 euros à la fin de sa carrière. Le nouveau système de pensions pour les travailleurs de la fonction publique représentera une perte nette mensuelle comprise entre 100 et 200 euros et certains perdront jusqu'à 450 euros nets par mois. Les chômeurs malades perdront jusqu'à 269 euros par mois. Ces attaques ne sont pas nouvelles. Une politique d'austérité à grande échelle a déjà été menée par le gouvernement précédent dirigé par le Premier ministre socialiste Elio Di Rupo. Mais la politique du premier gouvernement de droite homogène depuis 25 ans a brutalement accéléré le rythme et la portée du programme en faveur du patronat.

La plus « générale » des grèves générales

Le 15 décembre, rien ne bougeait en Belgique que ce soit par air, par eau ou par route. Les pilotes des ports ont arrêté le travail dès le dimanche à 17 heures, rendant impossible tout mouvement dans ou hors des ports. Quelques heures plus tôt, les autorités néerlandaises de la navigation avaient bouclé tout le trafic vers le port d'Anvers pour des « raisons de sécurité », étendant de facto la grève de 24 heures en une grève de 48 heures.

Tout le trafic sur les canaux s’est aussi arrêté. Ensuite, les 10 000 dockers des ports de Gand, Zeebrugge et Anvers ont arrêté le travail. À 22 heures, les contrôleurs de la circulation aérienne ont bouclé l'espace aérien au-dessus de la Belgique pour tous les transports civils. Dans le même temps, tout le trafic ferroviaire a été paralysé pendant une journée complète. Aucun des 3 800 trains transportant chaque jour 750 000 voyageurs n’a roulé.

Le lundi matin, tous les transports en commun, c’est-à-dire les tramways, les bus et le métro, sont restés dans les dépôts. Les syndicats de chauffeurs routiers avaient également appelé à participer à la grève générale et ils ont été entendus : très peu de camions ont été vus sur les routes. Tous les secteurs économiques ont été paralysés ou ont travaillé à un niveau minimum. Le plus grand complexe pétrochimique d'Europe, basé dans le port d'Anvers, a été fermé hermétiquement par des piquets de grève. La même chose s’est produite dans les services publics, les écoles, les grands magasins et les banques les plus importantes.

Même la Banque Nationale de Belgique était en grève. Certaines villes avaient l'air désertes. La circulation générale dans le pays était comparable à un dimanche à 7 heures du matin. Le front commun des trois syndicats – la FGTB/ABVV socialiste, la CSC/ACV chrétienne et la CGSLB/ACLVB libérale – a également mis en place des barrages devant toutes les zones industrielles et les routes principales qui y mènent. Cette tactique est nécessaire pour aider les travailleurs dans les petites et moyennes entreprises sans présence syndicale à participer à la grève.

Un autre aspect important a été le développement d'un mouvement réunissant les travailleurs culturels, les artistes, etc. avec les syndicats dans un front appelé « Hart Boven Hard/Tout Autre Chose ». À leur initiative, des piquets volants à vélo ont été organisés. A Anvers, un millier de personnes ont participé à ces piquets cyclistes. Beaucoup d'artistes et de chanteurs ont non seulement exprimé leur solidarité, mais ont aussi composé des chansons, faisant ainsi écho à une tradition remontant aux premières années du mouvement ouvrier ou aux moments forts de la lutte de classe dans le passé.

Les étudiants ont également soutenu la grève des travailleurs, notamment à cause de la décision du gouvernement flamand d'augmenter les frais de scolarité de 50 %. Les étudiants étaient en fait les premiers à protester dans les rues. On peut aussi noter le fait que différentes écoles, comme celles qui forment les futurs travailleurs sociaux, ont organisé des « Teach-in » pendant la grève sur des thèmes sociaux et politiques plus larges.

L’unité de la classe coupe l’herbe sous les pieds du nationalisme

Tout aussi important est le fait que l’extension et l'intensité du mouvement de grève ont été très semblables des deux côtés de la frontière linguistique. La thèse des nationalistes flamands de droite, d'après lesquels la Belgique serait un pays formé de deux démocraties différentes — une démocratie flamande et une démocratie francophone, est rejetée par le mouvement des travailleurs.

En réalité, ce mouvement de la classe ouvrière est révélateur de l’existence de deux autres « démocraties » en Belgique, à savoir celle des riches et celle des travailleurs et des pauvres. Au cours des trois journées de grève régionale qui ont précédé la grève nationale du 15 décembre, deux provinces flamandes et deux provinces francophones étaient chaque fois à l’arrêt le même jour.

Dans la ville d'Anvers, dirigée par un bourgmestre réactionnaire, Bart De Wever, qui est aussi le président de la N-VA, la grève régionale a été très impressionnante. Anvers est ainsi redevenue une « Union town », comme le titre de la chanson de Tom Morello. Dans une autre province flamande, la Flandre Orientale, 500 piquets de grève se sont formés devant des usines, impliquant un total de 8 000 travailleurs. Jamais une grève n’avait touché autant d'usines dans cette province.

La lutte des classes a clairement coupé l’herbe sous les pieds de nombreuses années de propagande nationaliste de division. A travers ce mouvement, la classe ouvrière redevient à nouveau consciente de son existence en tant que classe sociale distincte ayant des intérêts communs indépendamment de la langue ou de l'origine nationale. La portée de la grève générale a montré que, malgré le chômage de masse, le travail précaire, la sous-traitance, etc., la classe ouvrière reste une force puissante une fois qu'elle commence à se mettre en mouvement.

Mais ce mouvement est beaucoup plus qu'un mouvement syndical contre les coupes dans les budgets et l'austérité. Sur les piquets, les travailleurs commencent d’abord par se plaindre des conditions générales de travail avant de parler des mesures gouvernementales. Une remise en cause générale de la société capitaliste imprègne le mouvement de grève.

Dans le même temps, la grève est une réaction contre toutes les concessions et les reculs qui leur ont été imposés par les patrons et acceptés par les dirigeants des syndicats et de nombreux délégués syndicaux. « Nous n’allons pas payer plus pour leur crise » devient une réaction commune parmi les travailleurs. Ce n’est pas par hasard si la revendication d'un « impôt sur la fortune » a le soutien de 85 % de la population flamande. Plus significatif encore, plus de 70 % des électeurs de la N-VA sont en faveur de cette revendication. Dans un pays où 12 000 nouveaux millionnaires se sont ajoutés à la liste l'an dernier, où les PDG et les propriétaires d’entreprises paient littéralement moins d'impôts que leur chauffeur ou leur femme d’ouvrage, cette revendication a acquis une grande popularité.

C’est aussi la principale demande programmatique du Parti du Travail de Belgique (PTB), un parti de gauche encore petit, mais en pleine croissance. En soi, un impôt sur la fortune ne mettrait évidemment pas fin à l'austérité ou à la crise du capitalisme. Les partis socialistes (flamand et francophone) ont de grandes difficultés à s’adapter à leur rôle d'opposition. Bien qu'ils soutiennent officiellement les syndicats, ils manquent de légitimité — particulièrement aux yeux de nombreux travailleurs avancés – notamment parce que le gouvernement régional wallon, dirigé par le Parti Socialiste, est impliqué dans des politiques similaires.

« Si peu belge » ?

Le gouvernement a tenté d'intimider les travailleurs en mobilisant l’ensemble des forces de police, soit 12 000 agents, dont 500 étudiants encore en formation de police. A Anvers, l’État a même demandé l'aide de la police des Pays-Bas qui lui a prêté 17 fourgons, dans un témoignage émouvant de solidarité entre deux appareils répressifs...

En fait, le langage de guerre de Jan Jambon, le ministre N-VA de l'Intérieur, contre les syndicats a eu un effet boomerang et a contribué à renforcer la détermination des travailleurs. Dans le même temps, il a poussé les travailleurs à réfléchir à ce qu’est devenu le modèle belge, tellement vanté, de concertation et de consensus social.

Pour beaucoup de gens, la forte polarisation sociale et politique, le refus du gouvernement de négocier avec les syndicats et la mobilisation massive de la police semblent tellement « peu belges » ! En fait, cette idée qu’une lutte des classes aiguë est « peu belge » repose sur l'ignorance de l'histoire du mouvement ouvrier. Depuis le XIXe siècle, le pays a connu de nombreuses grèves générales, la plus célèbre étant la grève générale longue de 35 jours au cours de l'hiver de 1960-61 (voir la vidéo).

En fait, cette tendance au durcissement des relations sociales, liée à la politique de confrontation délibérée avec les travailleurs et les syndicats, en particulier sur le lieu de travail, et à l'abandon de facto des politiques de consensus social, a commencé il y a de nombreuses années. La base matérielle de cette tendance est bien sûr la crise du capitalisme.

La dépendance de l'économie belge aux exportations ne fait qu'ajouter à cette évolution. Il faut du temps aux travailleurs pour faire le point et en tirer toutes les conclusions politiques nécessaires. Ceux qui ont le plus de difficultés à comprendre ce processus sont bien entendu les dirigeants des syndicats. Ils continuent de s’accrocher désespérément aux mécanismes de négociations et d’espérer naïvement des solutions « gagnant-gagnant ». En réalité, ils vivent dans le passé.

Le gouvernement et les patrons ne sont pas prêts à céder, mais ils aimeraient neutraliser les dirigeants syndicaux à travers une parodie de négociations, une sorte de jeu d'ombre du dialogue social. De nombreux travailleurs aux piquets de grève, y compris certains dirigeants syndicaux, ne se font néanmoins pas d'illusion dans ce « dialogue social ». Ils savent que c’est un piège et veulent continuer à frapper « au finish » jusqu’à la chute du gouvernement.

Plusieurs centrales syndicales ont déjà appelé à la poursuite des grèves et des manifestations. Une nouvelle grève générale pourrait être à l'ordre du jour en janvier ou en février 2015. L'armistice social tacite sera de courte durée.

Les six semaines de crise sociale ont également eu un effet politique spectaculaire. 20 % seulement de la population apporte son soutien au gouvernement fédéral, le score le plus bas réalisé depuis que ce type de sondages existe en Belgique. En Flandre, les partis gouvernementaux ont perdu 11 % de leur soutien. Le Parti démocrate-chrétien flamand, le seul parti au sein du gouvernement ayant des liens avec le mouvement ouvrier via le syndicat chrétien, est sous une forte pression. Un cinquième de ses électeurs disent qu'ils regrettent leur vote.

Les opinions et les attitudes politiques sont en train de changer rapidement dans les conditions actuelles. Cela rend la situation en Belgique particulièrement explosive.