Asie

Plus de 350 délégués et militants se sont réunis à Lahore, les 2 et 3 mars derniers, pour le Congrès national de Lal Salaam (« Salut rouge »), qui est la section pakistanaise de la Tendance Marxiste Internationale (TMI). Toutes les régions du pays étaient représentées.

Rob Sewell, du Secrétariat International de la TMI, a ouvert la première session du Congrès sur les perspectives mondiales. Son exposé – comme l’ensemble des interventions des délégués – a souligné la profonde crise du capitalisme et la nécessité de doter la classe ouvrière de partis révolutionnaires dignes de ce nom. Une camarade du Sri Lanka ayant participé au mouvement insurrectionnel de l’été 2022, dans son pays, a expliqué : « Je peux témoigner du fait qu’il n’y a rien de plus puissant que la mobilisation révolutionnaire d’un peuple. La seule chose qui manquait, c’était un parti révolutionnaire ».

La deuxième session du Congrès portait sur les perspectives pour le Pakistan. Dans son exposé introductif, Adam Pal, dirigeant de Lal Salaam, a détaillé l’extrême gravité de la crise du capitalisme dans ce pays soumis à la tyrannie des multinationales, du FMI et d’une bourgeoisie corrompue. Chaque année, des dizaines de milliers de Pakistanais tentent de fuir leur pays. 30 millions de Pakistanais ont été déplacés par les inondations. La misère et la faim gagnent sans cesse du terrain. Le capitalisme pakistanais n’a rien de mieux à offrir aux masses.

Adam Pal a rappelé que de nombreuses luttes ouvrières ont éclaté au Pakistan, ces douze derniers mois. Notre section pakistanaise y a pris part et a même dirigé plusieurs d’entre elles.

Le Congrès a aussi discuté des idées de Lénine – mort il y a 100 ans – et des tâches organisationnelles des communistes pakistanais. A diverses reprises, tout au long du Congrès, nos camarades se sont levés pour chanter : « l’obscurité passera, un soleil rouge se lève ! ».

Longue vie à Lal Salaam !

Après des décennies de croissance, l’économie chinoise a commencé à ralentir au milieu des années 2010. En 2020, la pandémie a précipité une crise profonde qui a mis à nu les pires aspects du capitalisme chinois et du régime dictatorial de Xi Jinping. La jeunesse chinoise a été frappée de plein fouet, et aujourd’hui la crise ne lui laisse pas d’autres voies que le désespoir ou la révolte.

Flambée du chômage

En mars dernier, le nom de Kong Yiji a connu un regain de popularité sur le web chinois. Tirée de la littérature chinoise du début du XXe siècle, cette figure d’un lettré pauvre et sans ressources est aujourd’hui utilisée pour décrire la vie de nombreux jeunes diplômés qui ne trouvent aucun emploi décent. La vidéo d’un chanteur amateur qui utilisait ce personnage pour critiquer la situation actuelle et se moquer de l’hypocrisie du régime a été vue des millions de fois sur le réseau social Bilibili – avant d’être censurée par le régime.

Comme à leur habitude, les autorités chinoises ont réagi de façon à la fois autoritaire et paternaliste. Le 16 mars, la chaîne d’Etat CCTV a même publié un article qui appelait les jeunes à « ravaler leur égo » et à « être plus autonomes ». Cet article affirmait aussi que l’époque de Kong Yiji était « depuis longtemps terminée, [car] l’économie est en reprise [et] le marché de l’emploi s’améliore ».

Pourtant, les chiffres brossent un tableau très différent. Le marché de l’immobilier est en crise, la production industrielle est en repli, la croissance du PIB continue de ralentir. Dans ce contexte, le chômage des jeunes augmente sans cesse. D’après les chiffres officiels, il serait passé – dans les villes – de 17 à 21 % au cours du seul premier semestre 2023. Mais ces chiffres officiels sous-estiment énormément la réalité. Par exemple, il suffit de travailler une heure par semaine pour ne plus être considéré comme un « chômeur ». D’après les calculs d’un économiste de l’Université de Pékin, 46,5 % des jeunes auraient été privés d’emploi au mois de mars 2023. C’est peut-être une exagération, mais quand bien même la réalité se situerait entre ce chiffre et celui du gouvernement, la tendance est clairement à la flambée du chômage des jeunes.

Dans le même temps, les licenciements se multiplient. Les trois principales entreprises chinoises du numérique, Baidu, Alibaba et Tencent, ont à elles seules licencié 28 000 travailleurs en 2022. D’autres secteurs sont concernés. Ford a licencié plus de 1300 salariés en mai dernier, et des plans sociaux massifs sont en préparation dans le secteur financier.

Désespoir ou révolte

Les jeunes nés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000 ont grandi dans un contexte où la Chine s’insérait toujours plus dans le marché mondial, après le rétablissement du capitalisme dans ce pays. L’économie chinoise connaissait des rythmes de croissance très élevés. En cristallisant toutes les contradictions du capitalisme chinois, la pandémie de Covid a brisé les illusions optimistes accumulées par des dizaines de millions de jeunes Chinois.

Les jeunes sont aujourd’hui la catégorie d’adultes la plus exposée aux problèmes psychologiques, avec un taux de dépression de près de 24 % parmi les 18-24 ans, contre 12 % parmi les 25-34 ans. Sans surprise, de nombreux jeunes cherchent le salut dans l’émigration. En avril 2022, pendant le confinement de Shanghai, les recherches en ligne sur « comment émigrer au Canada » ont fait un bond de 2846 %.

Des listes de conseils sur la façon de vivre en dépensant le moins d’argent possible sont largement partagées en ligne et soulignent l’impasse dans laquelle est plongée la jeunesse chinoise. Une des listes les plus populaires, les « six commandements », conseille de s’abstenir de fumer, de boire de l’alcool, de commander de la nourriture à emporter, mais aussi de se marier, d’avoir des enfants et même d’avoir des relations amoureuses !

Cependant, ces manifestations de désespoir ne sont qu’un des aspects de l’état d’esprit de la jeunesse chinoise. En novembre dernier, au moins 207 universités situées dans 21 provinces différentes ont connu des mobilisations dans le cadre du mouvement initié par les travailleurs de l’usine Foxconn, qui eux aussi étaient pour la plupart assez jeunes. Ce mouvement massif a contraint le régime à reculer et à abandonner la politique « Zéro Covid ».

Cette mobilisation de masse était une illustration flagrante de la frustration et de la colère qui fermentent dans les profondeurs de la société chinoise. Du fait de la crise, l’exploitation et l’oppression que le régime capitaliste de Xi Jinping fait subir à la population vont devenir de plus en plus évidentes et insupportables. La lutte des classes va s’intensifier, et une partie significative de la jeunesse va rechercher une voie révolutionnaire pour sortir de l’impasse. En Chine comme ailleurs, elle ne manquera pas de s’orienter, tôt ou tard, vers les idées et les méthodes du marxisme révolutionnaire.

Fin novembre, la Chine a été le théâtre de mobilisations inédites contre les mesures de confinement. Même si elles sont restées d’une ampleur limitée, en termes quantitatifs, leur potentiel a effrayé le régime et l’a obligé à renoncer à sa politique de « zéro Covid ». Ceci a immédiatement déclenché une vague de contaminations qui semble importante.

L’impasse du « zéro Covid »

La politique de « zéro Covid » impliquait des mesures draconiennes et souvent ubuesques. Lors de confinements locaux, des ouvriers étaient confinés non dans leurs logements, mais dans les usines, de façon à maintenir la production. Dans d’autres cas, les travailleurs étaient tout simplement licenciés.

Dans certaines circonstances, les tests PCR quotidiens étaient obligatoires, ce qui obligeait les habitants à faire la queue des heures durant, y compris pendant les tornades ! Pour les capitalistes qui produisent les tests, c’est une source d’énormes profits. Mais la gestion désastreuse des laboratoires privés a débouché sur d’innombrables « faux positifs », et donc sur autant de confinements individuels extrêmement sévères et totalement injustifiés.

Cette politique de « zéro Covid » était vouée à l’échec. Tant qu’elle restait limitée à un petit nombre de pays, pendant que le virus circulait dans le reste du monde, de nouveaux foyers ne pouvaient pas manquer d’apparaître en Chine. Si le régime chinois s’est accroché à cette politique très stricte et répressive, c’est essentiellement pour défendre son prestige face aux autres grandes puissances impérialistes. De ce point de vue, c’est un fiasco qui fragilise le régime aux yeux du peuple chinois.

Mobilisations

Fin novembre, des milliers de travailleurs de l’usine Foxconn, à Zhengzhou, se sont révoltés contre le non-paiement d’une prime qui leur avait été promise. Ils ont réussi à repousser les vigiles de l’entreprise, mais aussi la police. Cette mobilisation leur a permis d’arracher quelques concessions. Presque au même moment, une vague de colère faisait suite à l’annonce d’un incendie meurtrier, à Urumqi, au cours duquel les opérations de sauvetage semblent avoir été entravées par les mesures de confinement. Selon le gouvernement, il y aurait eu 10 victimes ; d’autres sources donnent des chiffres bien plus élevés (jusqu’à 44 morts). Ces deux événements ont sonné le signal d’un mouvement à l’échelle de tout le pays.

Des manifestations se sont déroulées dans près de 19 provinces, jusqu’au cœur de Shanghai et de Pékin. La jeunesse et les étudiants y ont joué un rôle central, avec des mobilisations dans quelque 80 universités. Certaines manifestations étaient dirigées à la fois contre le régime et contre le capitalisme. Des cortèges étudiants ont régulièrement chanté L’Internationale, au grand désarroi des journalistes occidentaux.

L’ampleur du mouvement a contraint le régime à reculer. Dans un premier temps, des administrations municipales ont annoncé qu’elles levaient certaines mesures de confinement, et en particulier les tests PCR quotidiens. Puis, le 7 décembre, le gouvernement central annonçait l’adoption de « 10 nouvelles mesures » signant l’abandon, de facto, du « zéro Covid ».

De Charybde en Scylla

Ce tournant de 180 degrés visait à calmer la colère des masses. Mais l’apaisement, dans les rues, ne peut être que provisoire. Si les tests PCR quotidiens ne sont plus obligatoires, ils restent exigés pour accéder à de nombreux services publics (entre autres). Or désormais, ces tests ne sont plus remboursés. Ceci alimentera la colère de travailleurs chinois déjà confrontés aux conséquences du ralentissement économique.

Surtout, le relâchement rapide des mesures de contrôle sanitaire a provoqué une explosion du nombre de nouveaux cas, très au-delà de ce que le système de santé chinois est capable d’absorber. Au plan national, la Chine compte quatre lits de soins intensifs pour 100 000 personnes. C’est très insuffisant pour supporter une puissante vague de contaminations. Au début de la pandémie, le régime pouvait mettre en scène la construction, en 13 jours, de deux hôpitaux à Wuhan. Il ne pourra pas réaliser le même tour de force à l’échelle de tout le pays. Quoi qu’il en soit, les soins de qualité, très coûteux, sont hors de portée de la majorité des travailleurs chinois.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, la Chine semble confrontée à une vague de contaminations semblable à celles qui ont balayé les grandes puissances occidentales en 2020. Comme ce fut le cas dans ces pays, la vague va mettre à nu toutes les contradictions de classe, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins et la sécurité des conditions de travail.

Loin de renouer avec la stabilité, le capitalisme chinois se dirige vers une nouvelle période d’intenses troubles sociaux. La crise sanitaire aggrave l’exaspération provoquée par le ralentissement économique et le caractère dictatorial du régime. Au fur et à mesure que les problèmes s’accumulent, la défiance à l’égard du gouvernement grandit. Tôt ou tard, la jeunesse et les travailleurs chinois descendront à nouveau dans les rues, à une échelle encore plus vaste qu’en novembre et décembre derniers.

Cet article a été écrit le 27 novembre. Depuis, les manifestations ont continué. Les événements se développent vite, et il reste à voir comment le mouvement évoluera dans les prochains jours.


A peine un mois après le spectacle pompeux du XXe congrès du Parti Communiste Chinois, la colère qui fermentait dans les profondeurs de la société chinoise est en train de faire irruption à la surface. Le 23 novembre, l’usine géante de Foxconn située à Zhengzhou dans le Henan a été le théâtre d’un violent affrontement entre la police et des ouvriers qui protestaient contre le détournement de leurs salaires. Dans les jours qui ont suivi, des manifestations massives ont éclaté dans de nombreuses villes, pour protester contre les mesures draconiennes de confinement du régime. Celles-ci cristallisent tout le mécontentement accumulé dans la société chinoise. Comme nous l’avions prédit, la crise profonde du capitalisme chinois a commencé à pousser les masses dans la lutte.

Combat chez Foxconn

Les travailleurs de l’usine Foxconn ont été les premiers à se mettre en mouvement. Cette usine géante compte près de 130 000 ouvriers logés directement dans les locaux. Son propriétaire, l’entreprise taïwanaise Foxconn, assemble près de 70 % des iPhone produits dans le monde.

Cette usine a été gratifiée du titre d’« avant-garde ouvrière » l’année dernière par la fédération syndicale affiliée au régime. Elle est en réalité un enfer d’exploitation pour ses travailleurs. Fin octobre, des dizaines de milliers de travailleurs avaient déjà fui les lieux de peur d’y être confinés après l’apparition d’un foyer de COVID. Pour faire des économies, la direction avait en effet renoncé à faire appliquer des mesures sanitaires, mais s’apprêtait à enfermer les travailleurs dans l’usine. Après ce premier coup de semonce, l’émeute du 23 a été provoquée par le vol pur et simple d’une partie des salaires des ouvriers.

Ceux-ci avaient en effet signé des contrats promettant une prime mensuelle de 30 000 yuans payables dès le premier mois de travail. Ils se sont très vite rendu compte que ces primes ne leur seraient pas versées pour le premier mois. Cela a suscité la colère de nombreux travailleurs, qui comptaient sur ces primes pour les fêtes du Nouvel An lunaire.

Le 22 novembre, des ouvriers se sont rassemblés pour protester contre ce vol pur et simple. Ils ont été la cible d’une violente répression de la part des vigiles de l’entreprise, auxquels ils ont opposé une vaillante résistance. Le personnel de sécurité de Foxconn ayant été débordé, les autorités locales du PCC ont envoyé la police réprimer la mobilisation. Mais celle-ci était d’une telle ampleur que le gouvernement provincial du Henan a dû dépêcher en urgence des renforts de police depuis les villes voisines de Luoyang, Kaifeng, Zhumadian et Xuchang.

Cela n’a pas suffi à écraser la révolte. Les combats de rue entre la police et les ouvriers se sont étendus à l’ensemble de l’usine, malgré l’envoi de nouveaux renforts de police. La direction a finalement dû capituler et a promis de payer 10 000 yuans à tout travailleur qui accepterait de quitter l’usine immédiatement.

Les informations sur cette lutte se sont rapidement diffusées dans le pays. La lutte des travailleurs de Foxconn était une démonstration qu’il était possible de lutter, de s’opposer au régime, et d’obtenir des concessions. Cela a servi d’inspiration à toute une couche des masses chinoises, qui sont descendues dans les rues pour protester contre les mesures draconiennes de confinement.

Soulèvement contre les confinements

Dans un premier temps, les mesures strictes de confinement mises en place par le PCC ont permis de contenir le COVID bien mieux que dans les pays occidentaux. Mais, comme nous l’avons déjà expliqué dans de précédents articles, maintenir une stratégie « Zéro COVID » dans un seul pays n’est pas tenable. La Chine ne peut pas se couper du reste du monde et l’apparition de nouveaux variants du virus rend inévitable l’éclosion de nouveaux foyers.

Les masses chinoises ont dû payer au prix fort les mesures de confinement contre le COVID. Celles-ci ont lourdement perturbé leurs vies quotidiennes et conduit à de nombreuses pertes d’emploi. Le régime a de plus maintenu ces mesures bien plus longtemps que la plupart des autres pays. Il tente aujourd’hui de changer son fusil d’épaule, mais le caractère bureaucratique du régime signifie que ce changement ne peut que faire peser plus de souffrances sur les masses.

Après le XXe congrès du PCC, le régime a réduit les quarantaines appliquées aux étrangers à 5 jours au lieu de 7. Mais il a néanmoins continué à demander aux bureaucrates locaux d’appliquer strictement les règles des politiques « Zéro COVID ».

Au fur et à mesure que les restrictions de déplacement étaient levées, les cas de COVID ont naturellement recommencé à augmenter. Sous pression du pouvoir central, les bureaucrates locaux ont répondu à ces nouveaux foyers par une multiplication frénétique de confinements localisés aux règles particulièrement draconiennes. La bureaucratie espérait que les masses se plieraient à ses diktats sans réagir, mais celles-ci étaient déjà à bout. Quelque chose devait inévitablement casser… et c’est ce qui s’est produit.

A Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang, un incendie dans un immeuble d’habitation a causé au moins 10 morts (certains rapports affirment qu’il y aurait eu en réalité près de 44 victimes). Cette catastrophe a été le catalyseur d’un déferlement de colère. Beaucoup ont en effet pointé du doigt les strictes mesures de confinement imposées dans le quartier, qui auraient lourdement compliqué les opérations de sauvetage et causé de nombreux morts supplémentaires.

C’en était trop pour les masses, qui sont rapidement passées de plaintes sur les réseaux sociaux à des manifestations d’ampleur. Comme lors de nombreuses mobilisations précédentes, les manifestations ont été initiées par quelques individus en colère, qui ont pris un grand risque personnel en défiant les autorités. Leur exemple a entraîné des masses gigantesques. Des milliers de personnes sont descendues dans les rues, défiant toutes les mesures de confinement, et marchant jusqu’à la mairie d’Urumqi.

Le déferlement de colère sur Internet a pris de telles proportions que le strict système de censure mis en place par le régime a été complètement débordé. Partout, des failles sont apparues et, en quelques jours, des rassemblements de solidarité et des manifestations spontanées se sont répandus dans de nombreuses grandes villes à travers tout le pays : Nanjing, Chongqing, Chengdu, Shanghai, Guangzhou, Wuhan, et Pékin.

La jeunesse a été à la pointe de ces mobilisations. Des mobilisations étudiantes massives ont eu lieu dans 79 universités, situées dans 15 provinces (sur 23). A Nanjing, des rassemblements nocturnes ont été organisés par les élèves de l’Ecole supérieure de journalisme, en violation de toutes les mesures de confinement. Les étudiants ont chanté l’hymne national et l’Internationale. Des rassemblements similaires se seraient aussi produits à Pékin et dans d’autres universités.

En dehors des universités, des citoyens ordinaires ont aussi manifesté. A Pékin, l’Internationale a été chantée par les manifestants durant une bonne partie de la nuit. A Shanghai, une foule s’est rassemblée dans une rue portant le nom de la ville d’Urumqi, avant d’être dispersée par la répression policière. Les arrestations n’ont pas eu l’effet escompté et ce rassemblement illégal s’est reproduit le lendemain.

La situation évolue rapidement, mais cette mobilisation est d’ores et déjà la plus importante qu’ait connue le pays depuis trois décennies.

La rébellion est dans l’air

Les marxistes soutiennent pleinement la lutte des masses contre les mesures draconiennes de confinement. Au final, celles-ci visent avant tout à maintenir le pouvoir dictatorial de la bureaucratie. C’est d’autant plus vrai que Xi Jinping a joué une bonne partie de sa réputation et de son autorité politique sur le succès des mesures de confinement.

Le régime est aussi mis en difficulté par la plus faible efficacité du vaccin « Sinovac » par rapport aux vaccins occidentaux. Cela est dû en grande partie au protectionnisme des puissances occidentales, qui ont refusé de partager la technologie du mRNA, mais le régime a encore aggravé la situation en refusant d’acheter des vaccins efficaces en Occident pour des considérations de prestige.

Mais le prestige et l’autorité du régime se disloquent. Les gens ont subi autant qu’ils le pouvaient sans que le COVID ne soit éliminé. Alors que les grandes entreprises ont bénéficié de nombreuses réductions fiscales et de subventions massives, les gens ordinaires n’arrivent plus à acheter de la viande et ont parfois du mal à trouver à manger durant les confinements.

Même si le régime se prétend « communiste », il n’y a pas trace de communisme en Chine. Les travailleurs n’ont aucun contrôle sur leurs entreprises, ni sur la société en général. Cette absence de contrôle de la base a mené à une accumulation de contradictions et de maladresses de la part de la bureaucratie et, en conséquence, à des souffrances supplémentaires pour les masses.

S’il existait en Chine une véritable démocratie ouvrière, la lutte contre la pandémie aurait bénéficié de l’investissement direct des masses. Cela aurait permis de minimiser les contaminations et de vacciner massivement tout en garantissant les emplois, les salaires et l’accès aux produits de première nécessité. Les gens ordinaires auraient eu accès à toutes les informations nécessaires et auraient été associés à l’effort collectif de défense de la santé publique. Au lieu de cela, on a assisté à une avalanche frénétique de mesures coûteuses et hasardeuses imposées à la population par la bureaucratie.

Aucune confiance dans les libéraux !

Arrivé à ce point, nous voudrions formuler un avertissement pour le mouvement. Pour l’instant, il ne semble pas que des éléments libéraux-bourgeois tentent d’intervenir dans le mouvement, mais cela peut changer. Le mouvement doit les rejeter avec vigueur, ainsi que tous ceux qui proposent d’appeler les puissances occidentales à l’aide. C’est précisément cette erreur qui a mené le mouvement de 2019 à Hong-Kong à la défaite. Il est probable que les gouvernements occidentaux apportent une « solidarité » hypocrite à ce mouvement « pour la démocratie », mais ces tentatives d’approche doivent être repoussées énergétiquement. L’impérialisme occidental n’est pas du côté des travailleurs chinois. Il ne cherche qu’à affaiblir la Chine, principal concurrent des Etats-Unis sur la scène mondiale, pour défendre ses propres intérêts impérialistes.

Nous devons aussi ne nourrir aucune illusion dans la capacité du PCC à se réformer. Le régime peut être contraint à des concessions, mais cela ne sera pour lui qu’une manœuvre visant à gagner du temps et à désarmer le mouvement, pour pouvoir ensuite réprimer tous ceux qui auront été à la pointe des mobilisations. L’idée qu’une évolution vers un véritable socialisme puisse être possible dans le cadre du régime doit être absolument exclue.

Pour l’instant, la majorité des rassemblements avancent des mots d’ordre qui se concentrent sur la fin des confinements, ou sur leur « humanisation ». Les appels à la chute du régime ou de Xi Jinping, ou les revendications libérales sur la liberté de la presse par exemple, restent très minoritaires. Si le régime choisit de réprimer férocement ces mobilisations, toute une génération de jeunes et de travailleurs sera forcée d’en tirer des leçons.

La répression tout comme le recours à des concessions sont des solutions risquées pour le régime. S’il est contraint d’offrir des concessions, cela serait une preuve qu’il n’est pas aussi tout-puissant qu’il le prétend et cela pourrait donner confiance aux masses pour réclamer plus. La répression, quant à elle, pourrait rajouter de l’huile sur le feu et provoquer de nouvelles couches de la population à passer à l’action.

Quelle que soit la façon dont évolue le mouvement, les couches les plus avancées de la jeunesse et de la classe ouvrière en tireront la leçon que des réformes démocratiques ne suffiront pas à régler les problèmes auxquels elles font face. La seule voie possible se trouve dans le renversement du régime du PCC et l’établissement d’une véritable démocratie ouvrière socialiste.

Le mouvement ne peut pas espérer que le régime reconnaisse sa défaite. Xi Jinping a concentré tous les pouvoirs et entend bien les garder. Il finira forcément par riposter aux mobilisations. Des arrestations et même parfois de véritables rafles de militants sont d’ores et déjà signalées dans certaines villes.

Ce mouvement n’en a pas moins relâché à l’air libre une somme de colère accumulée dans la masse des travailleurs et des jeunes. L’appareil de répression et de censure permettait au régime de projeter une image de stabilité et de solidité… jusqu’à ce que tout rejaillisse à la surface. L’instabilité apparaît clairement et une différenciation de classe se développe, sur la base des inégalités nourries par des décennies de développement capitaliste.

Tant que la transition capitaliste semblait fonctionner – et créer des emplois, développer la société et les forces productives – les masses pouvaient sentir que, malgré les inégalités croissantes, la situation s’améliorait, que l’on vivait mieux qu’avant et elles pensaient que cela allait continuer. Mais ce processus a atteint ses limites.

La croissance à deux chiffres appartient au passé. Toutes les contradictions du capitalisme poussent aujourd’hui les masses sur la voie de la lutte des classes. Mais les 40 dernières années de transition et de développement du capitalisme ont produit la plus grande classe ouvrière de la planète, forte de centaines de millions de travailleurs. Cette force gigantesque commence à s’éveiller. Les bureaucrates du PCC, tout comme les capitalistes chinois ou étrangers, ont de bonnes raisons de trembler.

Début août, la visite à Taïwan de la porte-parole de la Chambre des représentants américains, Nancy Pelosi, a provoqué un regain de tension en mer de Chine. Aux yeux du gouvernement chinois, Taïwan est une province « sécessionniste » ; il considère donc les démonstrations de soutien de Washington à Taipei comme des provocations (ce qu’elles sont effectivement).

En amont de cette visite, après une succession d’avertissements et de menaces toujours plus explicites, le gouvernement chinois a organisé des exercices militaires autour de l’île. En vain. Accompagnée d’une Task Force de la marine américaine, Pelosi a fini par atterrir à Taïwan pour une visite symbolique de moins de 24 heures. Cette provocation visait à humilier Pékin, mais aussi à rassurer les alliés des Etats-Unis dans la région en leur envoyant un message clair : l’impérialisme américain y est encore bien présent, et ne se laissera pas marcher sur les pieds.

En réaction, la Chine a annoncé de nouveaux exercices militaires autour de Taïwan et s’est retirée de plusieurs programmes de coopération diplomatique avec Washington, notamment sur la question de l’armement nucléaire nord-coréen. Cette nouvelle poussée de fièvre est le dernier épisode de la confrontation croissante entre les Etats-Unis et la Chine. Cela fait des décennies que la situation diplomatique et militaire n’a pas été aussi tendue, dans le Pacifique.

Le déclin de l’impérialisme américain

Cette confrontation est la conséquence de l’évolution de ces deux grandes puissances au cours de la dernière période. Les Etats-Unis restent la première puissance impérialiste au monde, mais elle subit un déclin relatif. De son côté, la Chine est devenue la deuxième puissance économique et militaire au monde. Elle concurrence de plus en plus les Etats-Unis dans le Pacifique, qui était auparavant l’un des prés carrés de Washington.

Dans les années 1960, les Etats-Unis représentaient près de 40 % du PIB mondial. Ce chiffre est tombé aux alentours de 30 % en 2000 – et aujourd’hui à 24 %. A l’inverse, la croissance chinoise a été vertigineuse. L’économie chinoise ne pesait que 1,3 % du PIB mondial en 1980, contre 15 % aujourd’hui.

Fatalement, cette dynamique s’est reflétée dans la politique extérieure des deux puissances. Dans les années 1990 et 2000, après la chute de l’Union soviétique, les Etats-Unis sont intervenus dans toute une série de pays, du Panama à l’Irak en passant par l’Afghanistan, la Yougoslavie ou Haïti, sans que rien ne semble pouvoir leur résister. Désormais, la situation est différente : les fiascos sanglants et coûteux des aventures militaires en Irak et en Afghanistan ou l’impuissance américaine en Syrie, notamment, ont montré que la puissance militaire des Etats-Unis n’était pas infaillible. Tout cela a aussi rendu l’opinion publique américaine très hostile à la perspective de nouvelles aventures militaires.

Si les Etats-Unis restent la première puissance impérialiste au monde, ils n’ont plus les moyens d’intervenir partout où ils le souhaitent pour y imposer leur volonté, que ce soit par la force des armes ou par la pression du dollar.

L’ascension de l’impérialisme chinois

Depuis la crise de 2008, la Chine s’est lancée dans une politique étrangère expansive qui vise à gagner des sphères d’influence économique et diplomatique, ainsi que des points d’appui militaires et politiques. C’est la conséquence « naturelle », pour ainsi dire, de son développement capitaliste. Ses capacités productives ont très fortement augmenté, en particulier au cours de la dernière décennie. La Chine produit aujourd’hui près de 56 % de l’acier mondial et davantage de voitures que les Etats-Unis et le Japon combinés. Or, le marché intérieur chinois est très insuffisant pour absorber cette production. Pour éviter de sombrer dans une crise de surproduction massive, le capitalisme chinois doit donc mener une politique impérialiste agressive, de façon à garantir des débouchés à ses marchandises et ses investissements.

C’est ce qui explique les plans massifs d’investissements à l’étranger du régime chinois, dont les fameuses « Nouvelles routes de la Soie ». En Afrique, les entreprises chinoises sont venues concurrencer – et parfois même déloger – leurs rivales françaises dans le secteur minier, dans le secteur pétrolier et dans les infrastructures. En Asie centrale, dans l’océan Indien et dans le Pacifique, les investissements chinois concurrencent de plus en plus ceux provenant des Etats-Unis. Pour sécuriser les voies commerciales par lesquelles les entreprises chinoises exportent leurs produits vers l’Europe ou l’Amérique, des ports ont été achetés par Pékin. Ce fut le cas par exemple en Grèce et au Sri-Lanka.

Cette expansion économique s’est accompagnée d’une offensive diplomatique. Des alliés traditionnels des Etats-Unis, comme le Pakistan ou les Philippines, ont commencé à se rapprocher de Pékin. Par ailleurs, la marine chinoise cherche à se doter de points d’appui pour garantir ses capacités d’intervention dans l’océan Indien et le Pacifique. Une base navale chinoise a d’ores et déjà été installée à Djibouti ; une autre serait en construction au Cambodge. Au printemps dernier, la Chine a signé un traité de sécurité mutuelle avec les îles Salomon, ce qui pourrait lui permettre d’installer une nouvelle base militaire dans cette région hautement stratégique, à proximité de l’Australie.

La Chine a aussi massivement renforcé ses capacités militaires. Il y a douze ans, sa marine ne comptait aucun porte-avion. Elle pourra bientôt en aligner trois et a dépassé la marine américaine en ce qui concerne le tonnage de sa flotte de surface. Son aviation a été modernisée : de nouveaux modèles de chasseurs sont entrés en service pour remplacer les vieux avions hérités de la guerre froide. Un nouveau bombardier furtif ultra-moderne devrait entrer en service en 2025. En théorie, il serait capable de frapper toutes les bases américaines du Pacifique.

L’armée chinoise multiplie les démonstrations de force. Sa marine envoie aujourd’hui des navires patrouiller dans l’océan Indien ou dans l’Atlantique, tandis que de vastes exercices militaires sont régulièrement organisés, notamment autour de Taïwan.

Confrontation impérialiste

A la fin des années 2000, la montée en puissance de la Chine a poussé l’administration Obama – dans laquelle Joe Biden jouait déjà un rôle central – à opérer un « pivot » de la politique étrangère américaine depuis le Moyen-Orient et l’Europe vers l’Asie orientale et le Pacifique. Il s’agissait de concentrer les forces de l’impérialisme américain face à son principal rival : le nouvel impérialisme chinois. Washington s’est donc attelé à renforcer ses alliances dans la région, mais aussi à mettre ses alliés en ordre de bataille face à Pékin, au risque de froisser d’autres alliés. Ainsi, c’est la conclusion d’une alliance avec l’Australie et le Royaume-Uni qui a sonné le glas d’un contrat de vente de sous-marins français à l’Etat australien.

La « menace chinoise » est devenue un thème récurrent de la diplomatie américaine. Cette année, l’OTAN l’a même officiellement placée parmi ses premières préoccupations. Par ailleurs, pour tenter de contenir l’expansion de l’économie chinoise, une série de mesures protectionnistes ont été mises en place dès la première présidence Obama. Donald Trump a accentué cette politique en multipliant les barrières douanières visant les marchandises et les investissements chinois.

Pour les classes dirigeantes américaine et chinoise, cette confrontation est aussi l’occasion de distraire l’attention de leur opinion publique, dans un contexte où les deux pays sont frappés par une profonde crise économique, sociale et politique. La crise économique mondiale et la pandémie ont lourdement affecté leurs économies. L’économie chinoise ralentit nettement, et elle est criblée de dettes colossales, à l’image de la gigantesque entreprise immobilière, Evergrande, qui se retrouve au bord de la faillite tous les trois mois, c’est-à-dire à chaque échéance de ses créanciers.

Du fait de la croissance vertigineuse des inégalités sociales en Chine, le gouvernement de Xi Jinping est confronté à une contestation croissante. Avant la pandémie de 2020, le nombre de grèves augmentait chaque année depuis la fin des années 2000. Par ailleurs, la crise met aussi à nu les multiples contradictions qui traversent le pays, notamment sur la question nationale, comme on a pu le voir dans le Xinjiang ou en Mongolie-Intérieure.

Aux Etats-Unis, la crise économique a provoqué le début d’un réveil de la classe ouvrière. Les douze derniers mois ont été marqués par une vague de grèves durant l’automne 2021 (le « Striketober ») et par un mouvement de syndicalisation très significatif. Sur le plan politique, le Parti républicain est complètement divisé, Biden est déjà très impopulaire et un nombre croissant d’Américains déclarent ne pas se sentir représentés par le système politique. Pékin, comme Washington, ont donc intérêt à agiter la menace de « l’ennemi extérieur » et à flatter le nationalisme pour détourner l’attention des masses. Par exemple, la visite de Pelosi à Taïwan n’était pas sans rapport avec les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre prochain, aux Etats-Unis.

Une nouvelle guerre mondiale ?

Taïwan occupe une place centrale dans cette confrontation. Pour le régime chinois, il s’agit d’une question de prestige national, mais aussi d’un impératif stratégique. Le contrôle de Taïwan permet à la Chine de véritablement contrôler les mers qui bordent ses côtes. Pour les Etats-Unis, l’île est un symbole qui leur permet de se poser en « défenseurs de la liberté et de la démocratie » contre la dictature chinoise. Taïwan occupe aussi une place économique cruciale du fait de sa position dominante dans la production de semi-conducteurs. Dès lors, il est tout à fait possible qu’une guerre finisse par éclater autour de cette question. En accumulant les provocations ou en poussant Taïwan à déclarer formellement son indépendance, Washington pourrait finir par placer le régime chinois dans une situation où celui-ci ne verrait pas d’autre issue que d’envahir l’île. C’est exactement ce qui s’est passé avec la Russie dans le cas ukrainien.

Cette situation amène beaucoup de personnes à craindre que n’éclate un affrontement direct, et potentiellement nucléaire, entre les Etats-Unis et la Chine. Après tout, en 1914 et en 1939, c’était l’ascension de l’impérialisme allemand – au détriment de ses rivaux anglais et français – qui a mené à l’éclatement de guerres mondiales. Un tel enchaînement pourrait-il se reproduire à court terme ? C’est très improbable, notamment du fait de l’existence de l’arme nucléaire. Une confrontation directe entre Washington et Pékin ferait courir le risque d’une annihilation mutuelle, ce qui ne serait dans l’intérêt d’aucune des deux classes dirigeantes.

Dans le cas d’une invasion de Taïwan par l’armée chinoise, les Etats-Unis se limiteront très probablement à des sanctions massives, sans prendre le risque d’envoyer directement des troupes sur le terrain. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Ukraine. Pour autant, même sans arme nucléaire, les retombées économiques d’un tel développement seraient catastrophiques pour la classe ouvrière internationale, qui devrait payer le prix des aventures guerrières des puissances impérialistes.

Comme le disait déjà Lénine il y a plus d’un siècle, le capitalisme est une « horreur sans fin ». Il est absurde d’espérer mettre fin aux guerres impérialistes sans renverser ce système criminel. La classe ouvrière en a le pouvoir, aussi bien en Chine, à Taïwan, aux Etats-Unis qu’ailleurs dans le monde. Sans elle, pas une roue ne tourne, pas une ampoule ne brille et pas un porte-avion ne navigue. Dans le contexte d’aggravation de ses conditions de vie, elle ne manquera pas de se mobiliser massivement contre les classes dirigeantes et leurs menées impérialistes.

Article publié le 3 août 2022 sur marxist.com.


Après des jours de spéculations et de tergiversations, la présidente de la Chambre des représentants américains, Nancy Pelosi, a atterri le 2 août à Taïwan dans un avion de l’US Air Force. Cette visite de la troisième personnalité la plus importante de l’appareil d’Etat américain est une provocation vis-à-vis de la Chine, qui considère l’île comme partie intégrante de son territoire. Cela pourrait semer le chaos dans toute la région.

Que venait faire Pelosi à Taïwan ?

Malgré tous ses grands discours sur le soutien à la « démocratie » taïwanaise, Pelosi défend en réalité les intérêts égoïstes de l’impérialisme américain et, au passage, les intérêts encore plus égoïstes du parti démocrate. Celui-ci est paniqué par l’approche des élections américaines de novembre prochain, qui promettent d’être désastreuses pour les démocrates. Comme Joe Biden, Pelosi est profondément impopulaire et, comme lui, elle veut « jouer les durs » sur la scène internationale pour distraire l’attention de la situation économique calamiteuse des Etats-Unis. C’est pour cela qu’elle s’est lancée dans cette visite à Taïwan, qui est une véritable humiliation pour la Chine.

Lorsque le voyage de Pelosi en Asie a été annoncé et que des rumeurs ont commencé à courir sur une possible étape à Taïwan, le gouvernement chinois a multiplié les avertissements et les menaces. La classe dirigeante chinoise n’a pas laissé passer cette occasion de mettre en avant « l’ennemi américain » pour, eux aussi, détourner l’attention de la crise sociale grandissante. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian a affirmé que « l’Armée Populaire de Libération [APL – le nom officiel de l’armée chinoise] ne restera pas passive. La Chine prendra des mesures fortes et résolues pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. » Dans les six jours qui ont précédé l’arrivée de Pelosi à Taipei, trois ministères chinois différents ont publié pas moins de neuf avertissements pour condamner son éventuelle visite. Pelosi les a tous ignorés.

Cette visite s’explique aussi par la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’impérialisme américain. Son déclin relatif a été récemment mis en lumière par plusieurs défaites humiliantes qui ont ébranlé son prestige international. Après une défaite et la fin chaotique d’une guerre longue de deux décennies en Afghanistan, les Etats-Unis voient planer sur eux le spectre d’un autre échec, cette fois dans la guerre par procuration qu’ils mènent en Ukraine contre la Russie.

Si les Etats-Unis restent la plus puissante force impérialiste au monde, ils ne peuvent plus imposer leur volonté au reste de la planète comme c’était le cas dans les années 90 et 2000. Leurs rivaux se sont renforcés et commencent à étendre leurs propres zones d’influence. C’est particulièrement le cas de la Chine, la deuxième puissance économique et militaire au monde. Pékin a ainsi étendu son influence commerciale et politique aux dépens des Etats-Unis, particulièrement dans leur ancien « pré carré » de l’Océan Pacifique.

La visite de Pelosi faisait partie d’une tournée de visites aux principaux alliés des Etats-Unis en Asie Orientale et en Asie du Sud-Est. Dans ce cadre, l’ajout de la brève escale à Taïwan était une provocation pour la Chine. Il s’agissait de signifier à la Chine que les Etats-Unis restent l’acteur dominant de la politique mondiale et ne sont pas décidés à reculer devant un jeune rival aux dents longues. Pour que cela soit encore plus évident, la marine américaine a positionné à proximité de Taïwan une flotte complète, avec même un porte-avion, pendant la visite de Pelosi.

Cette démonstration de force a été néanmoins fragilisée par les désaccords qui ont été ouvertement exprimés par d’autres ailes de l’appareil d’Etat américain. Le cabinet de Joe Biden tout comme le Pentagone se sont en effet opposés au voyage de Pelosi à Taïwan, car ils craignaient que cela ne débouche sur une confrontation avec une puissance nucléaire, et ce, alors qu’ils sont toujours pris dans le bourbier ukrainien. Après les premières annonces de sa possible visite à Taïwan, Pelosi ne pouvait plus renoncer, car cela serait apparu comme un recul face à la Chine – et aurait été exploité à fond par les républicains dans leur campagne électorale.

Taïwan et l’impérialisme américain

La visite de Pelosi a été aussi l’occasion pour les politiciens bourgeois taïwanais de proclamer leur loyauté vis-à-vis des Etats-Unis, qui se présentent comme les « défenseurs de la démocratie taïwanaise ». De telles affirmations de la part de Washington sont complètement ridicules quand on pense au soutien sans faille qu’apportent les Etats-Unis à la dictature saoudienne et à ses innombrables crimes, ou encore à l’abandon des Kurdes face aux persécutions d’Erdogan. Même à Taïwan, la féroce dictature de Chiang Kai-shek et de ses successeurs a été soutenue à bout de bras par Washington pendant des décennies. Ce n’est que dans les années 1970, lorsque leurs intérêts les ont poussés à un rapprochement avec Pékin contre l’Union soviétique, que les politiciens américains en sont arrivés à la situation étrangement ambiguë qui prévaut aujourd’hui : ils ne reconnaissent pas officiellement Taïwan comme un Etat indépendant, mais le soutiennent néanmoins face à la Chine.

Taïwan a pris une importance particulière ces dernières années, du fait de la crise économique, du chaos qui règne sur les marchés ainsi que de l’avalanche récente de mesures protectionnistes. Pékin comme Washington veulent assurer leur approvisionnement du fait de l’explosion de la demande en appareils électroniques durant la pandémie. Or, Taïwan produit la majeure partie des microprocesseurs de la planète et est le second producteur de semi-conducteurs au monde (après la Chine et devant la Corée du Sud).

Les Etats-Unis ont massivement investi dans le développement de leur propre industrie de puces semi-conductrices pour réduire leur dépendance vis-à-vis de Taïwan, mais une telle politique est longue et coûteuse. Washington a aussi contraint l’entreprise taïwanaise TSMC à réduire ses exportations vers la Chine et à implanter des usines aux Etats-Unis – ce qui revient à transférer aux américains toutes leurs technologies de production de semi-conducteurs. Pour Pelosi et ses semblables, la « défense de la démocratie » n’est en fait qu’un prétexte pour justifier la soumission des masses taïwanaises à la volonté de l’impérialisme américain.

La réaction de la Chine

A l’annonce de la possible visite de Pelosi, les dirigeants du Parti Communiste Chinois se sont retrouvés sous pression : soit ils mettaient à exécution leurs menaces, soit ils prenaient le risque de fragiliser leur propre prestige. C’est d’autant plus vrai que pour distraire l’attention de la crise et du COVID, ils ont ces dernières années développé une intense propagande militariste et nationaliste, notamment à propos de Taïwan.

Le fait que Pelosi ait maintenu sa visite malgré les menaces de Pékin a été une humiliation pour le régime chinois. Celui-ci a été obligé de réagir pour tenter de sauver la face. Après l’annonce de restrictions sur l’importation de milliers de produits taïwanais, le régime chinois a organisé d’importants exercices militaires autour de Taïwan, dans ce qui apparaît comme une préparation à un blocus de l’île, tandis que de nombreux appareils de l’APL pénétraient l’espace d’identification aérien taïwanais.

Comme l’a montré la guerre en Ukraine, dans le contexte actuel d’intensification des conflits entre puissances impérialistes, les événements peuvent prendre leur propre logique. Nous ne pouvons pas nous reposer sur le caractère « raisonnable » des classes dirigeantes, de quelque bord que ce soit. La visite de Pelosi était par exemple une provocation insensée qui met en danger les habitants de deux rives du Détroit de Taïwan, et cela en grande partie au nom des intérêts purement électoraux du parti démocrate américain.

Il est tout à fait envisageable que la Chine aille plus loin qu’elle ne l’a déjà fait dans ses mesures de rétorsion contre Taïwan, même s’il est impossible de dire quelle forme exacte de telles mesures pourraient prendre. Pékin pourrait par exemple imposer un blocus naval de l’île, et lancer ainsi un défi aux marines américaines et japonaises.

Dans leur déclin, l’impérialisme américain et le capitalisme mondial ne font que plonger d’une crise à l’autre, plaçant à chaque fois d’innombrables vies au bord du gouffre. La classe ouvrière d’Asie, des Etats-Unis et du monde entier ne pourront espérer sortir de ce chaos sans fin qu’en renversant leurs classes dirigeantes respectives.

Depuis la fin du mois de mars, des manifestations massives secouent le Sri Lanka. Elles réclament la démission du président Gotabaya Rajapaksa et de son frère, le premier ministre Mahinda Rajapaksa. Ni la répression, ni l’instauration d’un couvre-feu n’ont dissuadé le peuple de descendre dans la rue.

Un régime en crise

Cette mobilisation a été provoquée par la profonde crise économique. Le Sri Lanka est endetté à hauteur de 51 milliards de dollars – et, en conséquence, ne peut plus importer nombre de produits de première nécessité. Les prix à la consommation ont donc explosé, tandis que des pénuries touchent tous les secteurs de l’économie.

Le 4 avril, sous l’impact de l’explosion sociale, le gouverneur de la Banque Centrale et 26 membres du gouvernement démissionnaient. Le président et son frère se retrouvaient seuls au gouvernement. Le lendemain, 42 députés faisaient défection : le pouvoir perdait sa majorité parlementaire.

La classe dirigeante sri-lankaise fait face à un dilemme. Elle a besoin d’un gouvernement doté d’un minimum de légitimité, ne serait-ce que pour entamer des négociations avec le FMI sur la dette du pays. Mais il y a un problème : l’impopularité de « Gota » (le président) est telle que la plupart des partis refusent de participer à son gouvernement. Or le président refuse de partir. En outre, aucun parti bourgeois n’a réussi, pour l’instant, à tirer profit du mouvement de masse pour prendre la place des frères Rajapaksa. Les chefs de l’opposition parlementaire ont beau exprimer publiquement leur « soutien » aux manifestants, ceux-ci les ont chassés des cortèges lorsqu’ils tentaient de s’y greffer.

Les mots d’ordre des manifestations expriment clairement ce rejet de tous les partis politiques de l’establishment sri-lankais : « Gota doit partir ! » y voisine avec « les 225 [députés] doivent partir ! ». Autrement dit, les masses comprennent que tous les partis siégeant au Parlement représentent une seule et même classe dirigeante, qui s’est enrichie sur leur dos et qui est la première responsable de la crise actuelle.

Une réforme de la constitution ?

Depuis le début du mouvement, l’opposition libérale avance l’idée d’une réforme démocratique du régime, comme solution à la crise. Il est exact que la constitution sri-lankaise donne beaucoup plus de pouvoir au président qu’au parlement. Cependant, ce mot d’ordre de « réforme constitutionnelle » n’est qu’une manœuvre de l’opposition visant à canaliser l’énergie des masses vers la voie électorale et parlementaire. Si l’opposition parle aujourd’hui de changer la constitution, c’est uniquement parce qu’elle est terrifiée par le mouvement des masses. Elle cherche à tout prix à leur faire quitter la rue. Alors, les partis d’opposition pourraient se concentrer sur les négociations pour former un nouveau gouvernement.

La constitution sri-lankaise reflète la faiblesse de la classe dirigeante, qui est extrêmement corrompue et discréditée. Mais de son côté, la classe ouvrière n’est pas suffisamment consciente et organisée, à ce stade, pour prendre le pouvoir. C’est le contexte idéal pour l’instauration de ce que les marxistes appellent un régime « bonapartiste ». Dans ce type de régime, l’appareil d’Etat et le pouvoir, incarnés par un « homme fort », s’émancipent – dans une certaine mesure – de la tutelle de la bourgeoisie, tout en continuant à défendre les intérêts fondamentaux de celle-ci. Si un tel régime peut apporter une certaine stabilité à la domination de la classe dirigeante, la situation devient inextricable lorsque « l’homme fort » se transforme lui-même en un facteur de déstabilisation, comme c’est le cas aujourd’hui au Sri Lanka.

L’organisation du mouvement

Le mouvement actuel a un immense potentiel révolutionnaire, mais il a aussi un point faible : il n’avance pas d’alternative concrète au régime actuel. En 2001, l’Argentine a connu une situation similaire : après l’imposition de politiques d’austérité drastiques sur les ordres du FMI, un mouvement spontané des masses a bloqué le pays et l’a rendu ingouvernable. Cinq présidents se sont succédé en l’espace de deux semaines. Cependant, en l’absence d’alternatives et d’un débouché pour le mouvement, les masses ont épuisé leur énergie et ont fini par rentrer chez elles. Le gouvernement argentin a alors imposé de nouvelles politiques d’austérité, pour faire peser tout le poids de la crise sur les épaules des travailleurs.

Aujourd’hui, la situation au Sri Lanka est similaire. Si rien n’est fait pour organiser le mouvement et lui donner une perspective révolutionnaire claire, les masses finiront par s’épuiser et la classe dirigeante pourra reprendre l’initiative.

Les travailleurs et les pauvres ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Elles doivent s’organiser et mettre sur pied leur propre pouvoir, face à celui de la bourgeoisie. Sur les lieux de travail et dans les quartiers, des comités de travailleurs et de pauvres doivent être formés pour coordonner la lutte. Seule une telle organisation, structurée à l’échelle nationale et combinée à une grève générale, permettrait de renverser ce régime pourri et de le remplacer par le pouvoir révolutionnaire des travailleurs et de toutes les couches opprimées de la population sri-lankaise.

N ous sommes heureux d’annoncer que The Spark, la section taïwanaise de la Tendance Marxiste Internationale, vient de lancer un journal papier : Nouvelle Jeunesse. C’est un pas en avant important pour les forces du marxisme à Taïwan. Ce journal bimestriel leur permettra de trouver une plus large audience dans la jeunesse et le mouvement ouvrier de l’île. Nouvelle Jeunesse défendra les idées et le programme révolutionnaires du marxisme, tout en proposant une analyse sérieuse de l’actualité nationale et internationale.

Taïwan est pris en tenaille entre les impérialismes chinois et américain, dans le contexte d’une crise générale du système capitaliste. Pour justifier sa politique réactionnaire, le gouvernement taïwanais – dirigé par le Parti Démocrate Progressiste (PDP, droite) – profite de la légitime hostilité des masses envers le nationalisme agressif du gouvernement de Pékin. L’objectif du gouvernement du PDP est de placer Taïwan sous la protection de l’impérialisme américain – c’est-à-dire, finalement, sous sa dépendance.

Par ailleurs, le PDP a repris à son compte la rhétorique anti-communiste qu’utilisait auparavant la dictature du Kuomintang – le parti nationaliste de Chiang Kai-shek – pour faire taire toute opposition et lutter contre le mouvement ouvrier. Les luttes ouvrières, quelle que soit leur taille, sont stigmatisées comme étant le fait d’« agents du Parti Communiste Chinois ».

Dans ces conditions, la première tâche de nos camarades est de répondre vigoureusement aux calomnies de la bourgeoisie taïwanaise – et de défendre une perspective internationaliste. Comme ils l’expliquaient dans leur déclaration fondatrice, en 2020 : « Pour atteindre l’objectif d’une véritable libération de l’île de Taïwan, celle-ci doit être libérée du capitalisme et de sa classe dirigeante. L’ennemi principal des travailleurs taïwanais est dans leur propre pays. Toute la classe dirigeante, ses partis politiques et son Etat, la République de Chine [nom officiel de Taïwan], doivent être renversés et remplacés par une démocratie ouvrière, qui sera un pas vers le renversement du capitalisme dans toute la région. Les travailleurs taïwanais ont les mêmes intérêts que les travailleurs chinois, japonais, coréens et au-delà. Seule une lutte menée à l’échelle internationale peut garantir la victoire sur la classe capitaliste de la région, vers la formation d’une Fédération Socialiste d’Asie orientale, qui groupera les travailleurs par-delà leurs nations sur une base volontaire, fraternelle et égalitaire. »

Le soulèvement de janvier dernier fut l’événement le plus important de l’histoire récente du Kazakhstan. Il a été déclenché par l’annonce d’une hausse soudaine et brutale des prix du Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL), qui est souvent utilisé pour le chauffage. Des manifestations et une grève massive des travailleurs de l’industrie ont éclaté dans la région de Janaozen, avant de s’étendre à la plus grande partie du pays et de faire vaciller le régime. Réprimé férocement, ce mouvement a laissé des traces. Après des décennies de « stabilité » capitaliste, une nouvelle période de luttes s’est ouverte au Kazakhstan.

Un régime pétrolier

Le régime de Nazarbaïev et Tokaïev n’était pas différent des autres ex-républiques soviétiques d’Asie Centrale. A la chute de l’URSS, une couche de bureaucrates staliniens convertis au nationalisme et au capitalisme y a privatisé l’économie au profit des grandes entreprises étrangères (et d’elle-même). Depuis, l’économie du Kazakhstan s’est appuyée quasi-exclusivement sur ses immenses ressources minérales, et en particulier sur ses réserves pétrolières, qui sont exploitées par des entreprises américaines et européennes. Toutes les autres branches de l’économie kazakhe se sont progressivement atrophiées.

Les entreprises étrangères ont pu compter sur Nazarbaïev pour réprimer le mouvement ouvrier. La plupart des syndicats et des partis d’opposition ont été interdits. Les revendications des travailleurs se sont souvent heurtées à une répression féroce. En 2011, une longue grève des travailleurs du pétrole de Janaozen a été réprimée dans le sang par la police (14 morts et 86 blessés, officiellement).

Bien sûr, pour se maintenir pendant trois décennies, le régime ne s’est pas uniquement appuyé sur la police et l’armée. Même si les richesses extraites du sous-sol kazakh se sont principalement dirigées vers les coffres des entreprises étrangères et les poches des dirigeants kazakhs, une petite partie a contribué à améliorer sensiblement le niveau de vie de la population – et donc à assurer la stabilité du régime.

Cependant, cette situation était subordonnée aux cours du pétrole, qui ont fortement fluctué dans les années 2010. En conséquence, alors que le revenu moyen annuel était passé de 500 dollars à 4 500 dollars entre 2000 et 2014, il est retombé à un peu plus de 3 500 dollars en 2019. Dans le même temps, les prix à la consommation n’ont pas cessé de grimper. Le niveau de vie de la population a donc connu une baisse quasiment continue depuis le milieu des années 2010.

Dans certaines régions, cette pression économique s’ajoute à un chômage endémique causé à la fois par le sous-développement et par la législation kazakhe. La loi est taillée spécifiquement pour satisfaire les besoins des entreprises étrangères ; elle leur permet de licencier massivement avec une grande facilité. Ainsi, l’entreprise Tengizchevroil (une filiale de Chevron) avait prévu de licencier 40 000 personnes dans la seule région d’Atyraou, en 2022.

Perspectives

Dans ce contexte général, l’annonce de la hausse du prix du GPL a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la colère populaire. Les grèves et les manifestations ont semé la panique dans l’appareil d’Etat. Le président Tokaïev a dû faire des concessions (notamment d’importantes augmentations de salaire) et écarter l’ancien président, Nazarbaïev, des cercles du pouvoir, après l’avoir désigné comme bouc émissaire des problèmes du pays. Dans le même temps, il a réprimé les manifestations et s’est servi du soutien démonstratif de la Russie – mais aussi des grandes puissances impérialistes, qui veulent « stabiliser » le Kazakhstan pour protéger leurs investissements. L’intervention russe servait donc aussi les intérêts de Washington et de Pékin.

Le régime n’en reste pas moins extrêmement fragile. Les augmentations de salaire vont être minées par l’inflation et par les conséquences de la crise économique mondiale, qui frappe durement le Kazakhstan. De nouvelles attaques contre le niveau de vie des travailleurs ne tarderont pas. Tokaïev a ordonné que les forces de répression soient renforcées, mais elles ne pourront pas éternellement étouffer la colère des masses. Comme le disait Talleyrand : « On peut construire un trône avec des baïonnettes, mais il est difficile de s’asseoir dessus ».

Pour que les grandes mobilisations à venir soient victorieuses, il faudra tirer les leçons du soulèvement de janvier dernier. Un des éléments clés qui expliquent la survie du régime est qu’aucune organisation n’a été capable d’unifier le mouvement. Les syndicats se sont trop souvent cantonnés à des revendications économiques ; ils ont abandonné les questions politiques et démocratiques à l’« opposition » bourgeoise libérale, qui était aussi terrifiée du mouvement que le régime.

Il a manqué une organisation capable d’avancer une perspective de classe permettant d’unir les revendications économiques et démocratiques – et de diriger l’énergie des masses vers une lutte ouverte contre le régime et l’impérialisme. C’est à la construction d’une telle organisation que doit s’atteler aujourd’hui la classe ouvrière du Kazakhstan.

Au terme d’un an d’une lutte massive, les paysans indiens ont remporté une importante victoire sur le gouvernement réactionnaire de Narendra Modi. Ils l’ont contraint à annoncer, le 19 novembre dernier, le retrait de ses trois lois réactionnaires sur l’agriculture, qui auraient poussé dans la misère des millions de petits exploitants agricoles.

Une lutte acharnée

Ces trois lois s’inscrivaient dans la continuité des réformes libérales menées par le gouvernement Modi. Elles menaçaient de jeter les petits agriculteurs dans l’arène de l’agrobusiness mondial en abolissant le prix d’achat minimum des produits agricoles, fixé jusqu’à présent par la loi. Celle-ci garantissait aux fermiers de pouvoir écouler leur production à un prix suffisant pour survivre.

En septembre 2020, les paysans indiens ont donc engagé une lutte acharnée pour défendre leur existence même. Sous la bannière du Samyukt Kisan Morcha (SKM), un front rassemblant près de 40 syndicats d’agriculteurs, des groupes d’action ont marché sur la capitale, New Delhi, depuis les campagnes. Un sit-in permanent s’y est installé.

Leur mobilisation a suscité la solidarité dans différentes couches de la société, et particulièrement dans la classe ouvrière. Sous pression, le gouvernement Modi a entamé, dès le mois de janvier 2021, une série de « négociations » avec les dirigeants du mouvement. Il cherchait à gagner du temps dans l’espoir que la mobilisation s’essouffle. Mais après onze rencontres infructueuses, la direction du mouvement a dénoncé cette imposture.

Les paysans ont maintenu leur sit-in jour et nuit, malgré les arrestations, les charges de la police et les assassinats commis par les nervis de Modi. On estime que 700 paysans ont trouvé la mort au cours de cette longue lutte. De leur côté, les grands médias indiens ont tout tenté pour discréditer le mouvement, en l’accusant notamment de « communautarisme ».

Le 26 janvier 2021, le « Jour de la République », qui célèbre l’indépendance de l’Inde, des centaines de milliers de paysans ont marché jusqu’à New Delhi et ont occupé le Fort Rouge, un site historique qui symbolise la lutte pour l’indépendance du pays. Cette action a entraîné dans la lutte de nouvelles couches de paysans, notamment depuis l’Etat d’Uttar Pradesh. Le mouvement a pris alors un essor irrésistible. C’est cette remarquable endurance qui a forcé Modi à jeter l’éponge, le 19 novembre dernier.

La banqueroute des partis traditionnels

Tous les grands partis d’opposition ont joué un rôle lamentable pendant cette mobilisation. Ils ont d’abord pris soin de se distancier de la lutte des paysans. Ils n’ont commencé à s’en rapprocher que lorsque la lutte s’est développée à l’échelle nationale.

Certains ont changé leur position du tout au tout, sous la pression des masses. Le parti d’extrême-droite Shiromani Akali Dal (SAD) a tout d’abord soutenu Modi et sa loi. Mais il a dû opérer un demi-tour complet sous la pression de sa base paysanne.

Le vieux Congrès National Indien – un parti bourgeois – n’a pas soutenu les paysans. Et pour cause : lorsqu’il dirigeait le pays, ce parti avait commencé à mettre en place des mesures qui ouvraient la voie aux lois réactionnaires de Modi.

Quant aux dirigeants staliniens du Parti Communiste d’Inde Marxiste (CPI-M), ils se sont tenus à l’écart de la mobilisation et sont considérés par les paysans comme leurs ennemis. Il faut dire qu’en 2007, alors qu’il dirigeait l’Etat du Bengale, le CPI-M avait tenté d’exproprier des agriculteurs pour permettre l’implantation d’une usine chimique. Face à la résistance des paysans, le CPI-M avait envoyé la police, qui avait abattu 14 personnes.

Au fond, tous ces partis sont d’accord avec la réforme de Modi ; ils ne se distinguent de sa politique pro-capitaliste que sur la forme. Ce n’est pas grâce à eux, ni grâce à la Cour suprême, que les paysans ont vaincu Modi. C’est uniquement en comptant sur leurs propres forces.

Unité des travailleurs et des paysans !

La Tendance Marxiste Internationale a soutenu les fermiers depuis le premier jour de leur mouvement. Nous avons publié des interviews des dirigeants syndicalistes paysans du Punjab. Les militants indiens de la TMI sont intervenus dans différentes organisations ouvrières et syndicales pour les appeler à soutenir la lutte des paysans.

Nos camarades et nos sympathisants, en Inde, sont intervenus dans cette lutte avec des idées et des perspectives révolutionnaires. Ils ont reçu un très bon accueil. Ils ont notamment souligné la nécessité d’unir la lutte des paysans à celle des ouvriers, et de préparer une grève générale pour faire tomber le gouvernement Modi. Enfin, nos camarades ont expliqué que les paysans et les ouvriers indiens ont besoin d’un parti qui défende un programme révolutionnaire de transformation socialiste de la société.

Félicitations aux paysans indiens pour leur victoire !

Résistons aux prochaines attaques de Modi et de ses maîtres capitalistes !

Paysans et ouvriers, unissons-nous dans la lutte !