Europe

L e 17 février, la bataille d’Avdiivka s’est achevée par une lourde défaite pour l’Ukraine. Après des mois de résistance, le nouveau commandant en chef de l’armée ukrainienne, le général Oleksandr Syrskyi, a annoncé que ses troupes quittaient la ville « pour éviter un encerclement et préserver la vie et la santé des soldats ».

Ce repli a viré à la débâcle. Les forces ukrainiennes étaient déjà presque complètement encerclées et ont dû fuir à pied à travers champs, sous le feu de l’artillerie russe. La chute de cette ville est une victoire décisive pour la Russie, après la prise de Bakhmout, au printemps dernier, et l’échec total de la contre-offensive ukrainienne cet été.

Une guerre d’attrition

Depuis l’automne 2022, l’armée russe s’est montrée fidèle au principe selon lequel l’objectif des opérations militaires n’est pas de conquérir des territoires, mais de briser la capacité de l’ennemi à combattre. Elle profite de sa supériorité numérique et matérielle pour saigner l’armée ukrainienne. Ce faisant, elle a été grandement aidée par la stupidité des dirigeants de Kiev, qui ont refusé de céder le moindre pouce de terrain et ont sacrifié des unités entières dans des offensives perdues d’avance devant Bakhmout ou sur le front de Zaporijia.

Aujourd’hui, l’armée ukrainienne est exsangue. Pour tenter d’enrayer les assauts russes qui se multiplient sur tout le front, ses chefs ne peuvent plus compter que sur une poignée d’unités solides – dont la brigade d’assaut « Azov », héritière directe de l’unité paramilitaire fasciste du même nom. Ses soldats sont jetés d’un point chaud à l’autre sans jamais réussir à arrêter durablement la marée montante des assauts russes. Ils ont été envoyés à Avdiivka quelques jours à peine avant que Syrskyi n’annonce en catastrophe son évacuation.

L’impasse dans laquelle est plongée l’armée ukrainienne s’ajoute au poids des défaites passées et vient affaiblir encore plus le moral déjà défaillant de la population et des soldats. Les vidéos montrant des civils « mobilisés » de force par la police, dans les rues, se multiplient sur les réseaux sociaux, tandis que les cimetières militaires s’étendent sans cesse. Cette situation a mis le régime de Kiev sous tension et a provoqué une crise politique qui a culminé avec le renvoi du chef d’état-major Valeryi Zaluzhnyi par le président Zelensky.

Les Occidentaux dans l’impasse

La défaite de l’Ukraine semble aujourd’hui inéluctable, même si certains politiciens bourgeois occidentaux n’osent pas encore le reconnaître ouvertement – ou sont trop stupides pour le comprendre. Mi-février, la tête de liste du PS pour les élections européennes, Raphaël Glucksmann, exigeait que la France « passe en mode économie de guerre ». De son côté, Emmanuel Macron annonçait qu’il n’excluait plus l’envoi de troupes françaises en Ukraine. Faute d’un bilan présentable en matière d’économie et de politique intérieure, Macron essaye d’aguicher les électeurs en leur proposant une guerre contre la Russie !

Tout cela n’est pas sérieux. Macron a d’ailleurs été immédiatement désavoué par les dirigeants de l’OTAN et de l’UE. Ils ont rappelé qu’il n’était pas question d’envoyer des troupes en Ukraine. Les dirigeants bourgeois les plus sensés se disent même qu’il est temps d’arrêter les frais.

Sur fond d’austérité et de crise économique, les défaites ukrainiennes nourrissent l’opposition à la guerre dans l’opinion publique française. Par exemple, un sondage publié le 17 février indiquait que le soutien à l’envoi d’armes en Ukraine avait reculé de 10 points depuis le mois de juin 2023. Ce n’est pas étonnant : alors que le gouvernement multiplie les annonces de coupes budgétaires dans l’éducation et la santé, il est peu probable que les appels de Glucksmann à « mobiliser l’épargne des Français » pour la guerre contre la Russie suscitent beaucoup d’enthousiasme au-delà d’une poignée de détraqués et de fanatiques.

Une telle situation est grosse de crises politiques. En Slovaquie, le rejet de la guerre et de l’austérité a permis à l’aventurier bourgeois Robert Fico de revenir au pouvoir, au grand dam des dirigeants de l’UE. En Allemagne, l’AfD (extrême droite) est le seul parti à s’opposer explicitement à l’envoi d’armes en Ukraine, ce qui a contribué à le hisser à la deuxième place dans les sondages d’opinion, devant les « socialistes » du SPD et les Verts.

Les dirigeants européens cherchent un moyen de se sortir du piège dans lequel ils se sont eux-mêmes jetés. S’ils multiplient les annonces grandiloquentes – le Danemark s’est déclaré prêt à offrir « toute son artillerie » à Kiev –, il s’agit souvent des promesses creuses. L’Ukraine n’a reçu que 30 % des obus que lui avaient promis les pays de l’UE, et le grand « Sommet » convoqué par Macron, à Paris, pour augmenter l’aide européenne à l’Ukraine, n’a débouché sur rien de concret.

Après avoir été poussé par les Occidentaux dans une guerre perdue d’avance avec la Russie, le peuple ukrainien paie aujourd’hui les conséquences du désastre, alors même que ses « protecteurs » impérialistes se préparent à l’abandonner en rase campagne.

Depuis le 27 octobre, les mécaniciens des ateliers de réparation de Tesla, en Suède, sont en grève pour obtenir une convention collective. Face à Elon Musk, le patron milliardaire de cette entreprise, les travailleurs en lutte peuvent s’appuyer sur une vague de solidarité qui dépasse les frontières de la Suède.

Le système Tesla

Tesla se vante d’offrir à ses salariés « des conditions équitables et un bon environnement de travail ». La réalité est tout autre : le salaire moyen d’un mécanicien chez Tesla est inférieur à la moyenne nationale dans cette branche d’industrie, de même que les contributions patronales aux caisses de retraite. Les travailleurs de Tesla sont particulièrement exploités. Par exemple, la productivité individuelle de chaque employé est soumise à un système de notation allant de 1 à 5, et ceux dont la note tombe à 1 sont menacés de licenciement.

Quant aux « avantages » financiers dont bénéficient les salariés, ils doivent être relativisés. Le programme qui permet aux salariés d’acheter des actions de l’entreprise à un prix favorable signifie qu’une partie de leurs revenus est soumise aux aléas du marché. Par ailleurs, cet « avantage » est réservé aux salariés qui ont déjà quatre ans d’ancienneté. Pour le patron de Tesla, ce système est surtout un moyen de maintenir des salaires très bas, puisque ceux-ci sont censés être compensés par les revenus des actions.

« Négociations »

Depuis de longues années, la bourgeoisie suédoise fait peser tout le poids de la crise économique sur les épaules de la classe ouvrière. Sous le gouvernement social-démocrate de Stefan Löfven (2014-2021), la loi de sécurité de l’emploi, qui protégeait les salariés contre les licenciements abusifs, a été assouplie. Le droit de grève a été limité. Les salaires réels (rapportés à l’inflation) ont chuté de près de 10 %.

Le mouvement ouvrier suédois n’a pas sérieusement résisté à ces attaques. Pourtant, d’un point de vue objectif, la classe ouvrière suédoise n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Mais cette force n’est pas mobilisée par les dirigeants des syndicats, qui préfèrent multiplier les parodies de « concertations » avec le patronat. Celles-ci se terminent toujours de la même manière : les dirigeants syndicaux promettent de ne pas organiser de grève et, « en échange », n’obtiennent rien de concret. L’an dernier, les dirigeants syndicaux se sont même opposés à des augmentations de salaire ! Toujours est-il que les capitalistes ont tout à gagner à jouer le jeu des « concertations » stériles avec les dirigeants syndicaux.

Pendant six ans, la direction du syndicat des mécaniciens, « IF Metall », a essayé de convaincre Elon Musk des intérêts de cette méthode. Elle a tenté de le convaincre de négocier une convention collective. En vain : le milliardaire redoute qu’en accordant une convention collective aux travailleurs de Tesla en Suède, il encourage les salariés de son entreprise dans d’autres pays – où plusieurs mobilisations ont déjà eu lieu. En Allemagne, par exemple, un vaste mouvement de syndicalisation dans la « Gigafactory Berlin-Brandenburg », où Tesla emploie 11 000 personnes, a permis d’obtenir une augmentation de salaire de 4 %. En ne cédant rien aux grévistes suédois, Musk entend donner un avertissement à tous les autres.

Par ailleurs, dans son refus des conventions collectives, Musk joue le rôle d’« avant-garde » de la classe dirigeante suédoise, pour ainsi dire. S’il l’emportait, d’autres patrons pourraient à leur tour rejeter ces conventions. Mais c’est une tactique à double tranchant pour la bourgeoisie suédoise. Par son obstination, Musk provoque délibérément la classe ouvrière, qui pourrait échapper au contrôle de ses dirigeants syndicaux.

Grève de solidarité

Si la mobilisation des travailleurs de Tesla n’a touché pour l’instant qu’une partie des salariés de l’entreprise en Suède, elle a suscité une vague de solidarité de la classe ouvrière suédoise. Dans tous les ports suédois, les dockers refusent de décharger les voitures de Tesla, les agents d’entretien ne nettoient plus les ateliers, et les postiers refusent de livrer les plaques d’immatriculation nécessaires à la mise en circulation des nouvelles voitures ! Cette solidarité a même touché d’autres pays. Depuis le 20 décembre, les syndicats danois, norvégiens et finlandais bloquent toutes les importations de voitures Tesla par navire ou par camion. C’est un exemple remarquable de la puissance de la classe ouvrière mondiale : quand les travailleurs décident collectivement de paralyser une entreprise, même l’un des hommes les plus riches du monde ne peut rien y faire !

Il faut maintenant étendre la grève, et commencer par mobiliser tous les travailleurs de Tesla en Suède. Mais pour cela, la direction du mouvement doit montrer qu’elle est prête à lutter jusqu’à la victoire, sans se limiter à la seule question de la convention collective. Le premier pas vers la victoire sera de rompre enfin avec la logique de la négociation et de la collaboration de classe, qui n’a apporté à la classe ouvrière suédoise que des reculs et des défaites.

Le capitalisme est à l’agonie. En Palestine, en Ukraine et dans de nombreux pays à travers le monde, des millions de personnes sont plongées dans une horreur sans fin. L’économie mondiale a subi une série de chocs brutaux. Les classes dirigeantes sont terrifiées par la perspective d’une nouvelle récession. Pendant ce temps, des dirigeants de la gauche réformiste et des organisations ultra-gauchistes se lamentent sur le soi-disant « déclin de la conscience de classe ».

A l’inverse, les marxistes sont optimistes, car ils sont armés d’une théorie qui leur permet de distinguer, sous la surface des événements, un processus de profonde radicalisation politique. Dans un pays après l’autre, du Sri Lanka aux Etats-Unis, la classe ouvrière se réveille et commence à lutter pour défendre ses conditions d’existence face à la crise du capitalisme. De plus en plus de jeunes rejettent les idées réformistes des dirigeants tels que Corbyn, Mélenchon, Sanders – et se tournent vers Marx et Lénine.

C’est dans ce contexte qu’un millier de communistes venus de toute l’Europe – et au-delà ! – se sont rassemblés à Londres, le week-end dernier, pour le Revolution Festival organisé par la section britannique de la Tendance marxiste Internationale. Cette année, cet événement a permis de souligner la croissance rapide de notre organisation – en particulier depuis le lancement cet été de notre campagne « Tu es communiste ? Rejoins-nous ! », qui s’adresse précisément aux couches les plus radicalisées de la jeunesse et de la classe ouvrière.

Pourquoi nous sommes communistes

Alan Woods, le rédacteur en chef de la revue théorique de la TMI, In Defence of Marxism, a donné le coup d’envoi du week-end en demandant à son auditoire « Etes-vous communistes ? ». La réponse a été un retentissant « Oui ! » Après l’introduction d’Alan, des interventions de plusieurs camarades venus du Brésil, d’Italie ou encore du Canada ont souligné le caractère international de notre lutte et de notre organisation.

Samedi soir, Rob Sewell a cité Léon Trotsky pour souligner les tâches qui attendent les communistes de Grande-Bretagne : « Les contradictions qui minent l’organisme social de l’Angleterre s’aggraveront inévitablement. Nous ne nous chargeons pas de prédire quelle sera l’allure de ce processus, qui mettra à s’accomplir sans doute des années, mais en aucun cas des décennies. La perspective générale est telle que l’on doit avant tout se poser la question suivante : "Un parti communiste assez fort, assez lié aux masses pour tirer au moment voulu toutes les conclusions pratiques nécessitées par la crise en voie d’aggravation, aura-t-il le temps de se former en Angleterre ?" » (Où va l’Angleterre ?, 1926).

Il a ensuite souligné que nous étions actuellement engagés dans la construction d’un tel parti et a annoncé que notre section britannique venait d’atteindre 1101 membres. Il a souligné que l’objectif était maintenant de doubler ce chiffre d’ici les prochaines élections législatives, qui se tiendront au plus tard en janvier 2025. Ce travail marquera une étape importante dans la construction d’une force communiste de masse en Grande-Bretagne.

Comme l’a expliqué Rob, ces conquêtes de notre organisation sont le fruit de notre enthousiasme et de notre audace. Mais une audace encore plus grande sera nécessaire pour toucher et gagner à nous les couches révolutionnaires de la jeunesse. Comme l’a dit Marx : « Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets ». Nous devons au contraire être comme un phare clairement visible par tous ceux qui veulent combattre le capitalisme.

C’est pour cette raison que notre organisation britannique va changer de nom. Le vieil uniforme usé de Socialist Appeal va être remplacé par une nouvelle tenue, plus adaptée à la marche en avant que nous voulons entamer. Au mois de mai prochain se tiendra le congrès de fondation du Parti Communiste Révolutionnaire, section britannique de la TMI. Et pour préparer ce pas en avant, nos camarades bénéficieront dès le mois de janvier d’un nouveau journal : The Communist. Ces deux annonces ont provoqué une explosion d’enthousiasme dans la salle. L’Internationale et Bandiera Rossa ont alors retenti.

L’école du communisme

Nous sommes déterminés à construire une puissante organisation communiste en Grande-Bretagne comme à l’échelle internationale. Ses fondations doivent reposer sur la théorie révolutionnaire du marxisme, qui concentre l’expérience de l’histoire et des luttes de classes. Cela a été souligné tout au long du Revolution Festival. Nos idées sont la seule chose qui justifie notre existence en tant qu’organisation indépendante. Notre rôle est de maîtriser ces idées pour pouvoir ensuite les transmettre et les utiliser.

Tout le festival a donc été pensé comme une « école du communisme », et ses 36 ateliers ont couvert de nombreux sujets, du coup d’Etat de Pinochet au Chili en 1973 à la lutte des Palestiniens en passant par le soi-disant « marxisme noir » inventé par des universitaires américains. Tous ces ateliers ont été la démonstration de l’immense appétit des camarades pour la théorie. Les salles étaient pleines à craquer d’auditeurs attentifs et de nombreuses interventions excellentes ont été faites.

Les idées ont besoin d’une organisation pour pouvoir devenir une « force matérielle », comme le disait Marx. Sous le capitalisme, cela requiert de l’argent, le « nerf de la guerre ». La collecte organisée le samedi soir visait à répondre à ce besoin. Elle a montré la détermination des camarades et l’esprit de sacrifice qui les anime. Des délégués de chaque section locale ont pris la parole pour annoncer les sommes que chacune avait collectées. Cela a été l’occasion de mesurer les progrès de l’organisation, et son développement dans des villes et des régions où elle n’était auparavant pas présente. Au total, plus de 210 000 livres sterling ont été collectées, bien au-delà des 160 000 qui avaient été fixés comme objectif.

Se préparer au pouvoir

Atteindre un millier de membres (1101 pour être exact) représente une grande réussite, dont nos camarades britanniques peuvent être fiers. En intervenant en première ligne de chaque lutte et chaque mouvement de masse, nous devenons un point de référence pour les travailleurs et les jeunes qui cherchent une issue révolutionnaire à la crise du capitalisme.

Mais comme l’a fait remarquer Alan dans sa conclusion du Revolution Festival, notre taille reste modeste et largement insuffisante par rapport aux tâches qui nous attendent. Le message est donc clair : nous devons construire l’organisation pour pouvoir jouer un rôle dans les événements titanesques qui se préparent. Il n’y a pas de temps à perdre. Comme le disait Ted Grant, le fondateur de la Tendance Marxiste Internationale : « L’audace révolutionnaire peut tout. L’organisation doit se présenter consciemment et se voir comme le facteur décisif de la situation. Il ne manquera pas d’occasion de nous transformer en une organisation de masse dans le flot de la révolution ».

Et donc, si vous êtes communistes, et que vous n’êtes pas encore organisé, qu’attendez-vous ? Rejoignez les communistes de la TMI, dès aujourd’hui !

Lorsqu’Evgueni Prigojine a lancé sa tentative de putsch, le 23 juin dernier, nombre de commentateurs occidentaux annonçaient le début d’une guerre civile qui pouvait balayer le régime de Poutine et mettre fin à la guerre en Ukraine. Quelques heures plus tard, l’offensive du chef de Wagner s’effondrait – et la dictature de Poutine en sortait renforcée, au moins provisoirement.

Cet épisode a donné un prétexte au Kremlin pour resserrer les rangs. Une vague de répression s’est abattue sur les militaires soupçonnés de complicité avec Prigojine, mais aussi sur nombre d’opposants ou de critiques. Des militants de gauche ont été arrêtés, comme l’universitaire Boris Kagarlitsky [1], mais aussi des nationalistes. Par exemple, l’ancien chef paramilitaire russe de la guerre du Donbass de 2014, Igor Girkin, a été arrêté car il critiquait le « manque de fermeté » du Kremlin dans la conduite de la guerre en Ukraine. Près de deux mois après son coup d’Etat raté, c’est Evgueni Prigojine lui-même qui mourrait dans le crash très suspect de son avion.

L’échec de la contre-offensive ukrainienne

Après le succès des offensives ukrainiennes de septembre 2022, la guerre a pris un tour plus favorable à la Russie, suite à plusieurs mesures prises par le Kremlin. La mobilisation de 300 000 réservistes a permis de réduire – voire d’éliminer – l’infériorité numérique dont souffrait l’armée russe face aux troupes ukrainiennes. L’évacuation de Kherson et de toute la rive droite du Dniepr a raccourci la ligne de front et l’a rendue plus défendable par les Russes. L’offensive menée à Bakhmut par les troupes de Wagner, au printemps dernier, a infligé de fortes pertes aux forces ukrainiennes en engageant très peu de troupes régulières russes. Dans le même temps, de vastes travaux de fortification ont permis à l’armée russe de constituer des lignes de défense solides dans la région de Zaporojie, où ne manquerait pas de s’engager la contre-offensive ukrainienne.

Dans le camp de l’OTAN, la contre-offensive ukrainienne a été précédée par de longs mois d’une propagande qui en vantait d’avance les mérites et le succès. D’après ces laudateurs de Kiev et les médias occidentaux, il s’agissait non seulement de percer les lignes russes, mais aussi de marcher jusqu’à la mer Noire et, ainsi, de couper en deux les territoires occupés par la Russie. Certains annonçaient même la « libération de la Crimée » dès l’été 2023. Pour réaliser ce tour de force, l’armée ukrainienne allait pouvoir s’appuyer sur les troupes fraîches formées en Occident et sur les armes livrées par les pays de l’OTAN, y compris des chars modernes « Léopard-2 ».

Après plusieurs reports, la contre-offensive ukrainienne a commencé le 4 juin. Loin du scénario annoncé par les « experts » occidentaux, il s’agissait d’une suite d’assauts très meurtriers et globalement infructueux. Sans appui aérien, les colonnes ukrainiennes ont avancé vers les lignes russes à travers des champs de mines et sous le feu nourri de l’artillerie et de l’aviation. Les pertes ukrainiennes ont été énormes. Le 17 août, sur ABC News, un volontaire américain servant dans l’armée ukrainienne expliquait que les pertes de son unité avoisinaient les 85 %. Au total, les morts et les blessés de la contre-offensive se chiffrent probablement en dizaines de milliers.

Les équipements militaires occidentaux ont souffert, eux aussi. Sur la cinquantaine de « Léopard-2 » livrés à l’Ukraine, une quinzaine – au moins – auraient été détruits ou gravement endommagés en l’espace de quelques semaines. En outre, plusieurs blindés occidentaux ont été capturés en état de marche par les troupes russes et exposés au public en Russie : une véritable humiliation pour l’OTAN.

Le résultat global de la contre-offensive est dérisoire. Les assauts ukrainiens n’ont entamé les lignes russes qu’en quelques points. En quatre mois, seuls quelques villages totalement détruits par les combats ont été repris aux Russes. Dans ces conditions, le moral des troupes ukrainiennes a beaucoup souffert, de l’aveu même de la presse ukrainienne. Le 22 juillet, le Kyiv Post écrivait : « des soldats de première ligne nous disent que leurs unités souffrent d’un moral très bas à cause des pertes constantes et de plus en plus élevées, du manque de soutien et des faibles gains de l’offensive d’été (...) ».

Dès le 10 septembre, le chef d’Etat-major des Etats-Unis, le général Mark Milley, affirmait à la BBC qu’il ne restait « probablement plus que 30 à 45 jours de météo adaptée au combat ». Dès la fin du mois de septembre, les pluies, la boue et les premières neiges de l’automne, la fameuse Raspoutitsa (« le temps des mauvaises routes », en russe), ont énormément compliqué les déplacements de matériels lourds sur les plaines ukrainiennes. La pluie va aussi gonfler le débit du Dniepr, que l’armée ukrainienne aura donc plus de mal à franchir. En bref, il est très peu probable que l’Ukraine remporte des victoires majeures au cours des prochains mois.

Crise en Occident

Pour les classes dirigeantes des puissances occidentales, cette impasse militaire se combine au coût politique et économique de la guerre. Alors que la crise économique et l’inflation font des ravages, il est de plus en plus difficile de justifier les milliards d’euros et de dollars investis dans une guerre qui semble perdue. Cet été, pour la première fois, un sondage a indiqué qu’une majorité d’Américains s’opposaient à toute aide supplémentaire à Kiev. Alors que les élections présidentielles approchent aux Etats-Unis, cette évolution de l’opinion publique est devenue un élément central dans la lutte que mènent Donald Trump et les Républicains contre Joe Biden. Les représentants républicains au Sénat ont même exclu l’aide à l’Ukraine du budget négocié en urgence, le 30 septembre, pour éviter une mise à l’arrêt de l’administration fédérale.

Ce phénomène est encore plus marqué en Europe, car les sanctions contre la Russie ont eu des effets très négatifs sur l’économie européenne. En coupant l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe, les sanctions ont aggravé la crise économique et accentué la poussée inflationniste (qui cependant a d’autres causes). Les dirigeants européens ne pourront pas tenter de résoudre cette crise sans renouer avec la Russie. Cette situation met sous pression la plupart des classes dirigeantes européennes, dont une partie cherche à mettre fin, d’une façon ou d’une autre, à la guerre en Ukraine. C’est ce qui explique les prises de position publiques de Nicolas Sarkozy, mi-septembre. Il déclarait notamment : « Nous avons besoin des Russes et ils ont besoin de nous ».

L’unité de façade de l’OTAN commence à se fissurer sous le coup de la crise économique. Le 20 septembre, le gouvernement polonais annonçait qu’il n’enverrait plus d’aide militaire à l’Ukraine, alors qu’il était l’un des premiers contributeurs. Ce revirement s’explique simplement : après le début de la guerre, l’UE a levé les barrières douanières sur le blé ukrainien, ce qui a durement frappé le secteur agricole polonais. Sous pression de son opinion publique, le gouvernement de Varsovie a dû sacrifier Kiev pour ne pas perdre une partie de sa base électorale.

En Slovaquie, le parti du démagogue de droite Robert Fico a remporté les élections le 1er octobre, après avoir fait campagne en promettant d’arrêter tout envoi d’aide à l’Ukraine. Sur fond de profonde crise économique, ce scénario pourrait se répéter dans d’autres pays européens. En Allemagne par exemple, le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD) s’est opposé, depuis le début de la guerre, à tout envoi d’armes en Ukraine. Il prône un rapprochement avec la Russie. L’AfD est désormais le deuxième parti dans les sondages, devant le SPD (sociaux-démocrates).

Une guerre impérialiste

Comme nous l’expliquons depuis le début, cette guerre n’est pas menée pour sauvegarder l’indépendance de l’Ukraine ou pour défendre les « valeurs » de la démocratie occidentale. Elle oppose deux impérialismes rivaux : l’impérialisme russe et l’impérialisme américain, le plus puissant de la planète, qui utilise l’Ukraine comme une arme contre la Russie. Cet été, le sénateur américain Mitt Romney a résumé cela à sa manière, dans un tweet : « Soutenir l’Ukraine affaiblit un adversaire, renforce notre sécurité nationale, et ne requiert pas de verser du sang américain ». L’administration Biden n’a pas beaucoup apprécié la franchise de Mitt Romney, précisément parce qu’elle exposait les véritables objectifs de l’impérialisme américain.

Désormais que la défaite se profile et que le coût de la guerre devient trop important pour les impérialistes, les Ukrainiens vont connaître le même sort que les Kurdes de Syrie. Ces derniers ont été soutenus tant qu’ils étaient utiles à l’impérialisme américain, avant d’être abandonnés lorsqu’Erdogan a envahi une partie de la Syrie.

Mi-août, face au piétinement de la contre-offensive ukrainienne, Stian Jenssen, le chef de cabinet du secrétaire général de l’OTAN, a brisé un tabou en affirmant que l’Ukraine pourrait céder des territoires à la Russie pour mettre fin à la guerre. Le gouvernement ukrainien a protesté et Jenssen a dû revenir sur ses propos. Il avait pourtant dit tout haut ce que de nombreux diplomates occidentaux pensent tout bas.

Ce changement de cap a même commencé à se faire sentir dans la presse occidentale. Un nombre croissant d’articles a commencé à souligner que la victoire ukrainienne n’était pas garantie, que les pertes ukrainiennes étaient très lourdes – et même… que des néo-nazis combattent dans les rangs ukrainiens ! Il y a à peine quelques mois, les mêmes journaux rejetaient catégoriquement toutes ces évidences. Mais comme dit le proverbe : « celui qui paye l’orchestre choisit la musique ». Or l’impérialisme occidental doit préparer l’opinion publique à une défaite.

Quelle que soit la façon dont finira cette guerre, cela ne mettra pas fin à la crise économique mondiale, que ce conflit n’a fait qu’exacerber. Les travailleurs vont devoir continuer à en payer le prix, tandis que le capitalisme agonisant provoquera de nouvelles guerres et de nouvelles souffrances. Seule une révolution socialiste permettra d’en finir avec « l’horreur sans fin du capitalisme », selon la formule de Lénine.


[1] Lire notre déclaration à ce propos.

Depuis 2014, au moins 27 000 migrants sont morts en mer Méditerranée. Le nouvel accord européen sur les réfugiés, conclu en juillet dernier, a été présenté par les dirigeants européens comme un moyen d’en finir avec cette hécatombe. En réalité, il s’agissait seulement de trouver un compromis entre les exigences de pays tels que l’Italie et la Grèce, dans lesquels arrivent le plus grand nombre de migrants, et celles des pays du centre de l’UE, dont les bourgeoisies refusent d’accueillir plus de migrants et, par ailleurs, ne veulent pas payer davantage.

La forteresse Europe

Face à l’aggravation de la crise du capitalisme, les classes dirigeantes de l’Union européenne rejettent sur les migrants la responsabilité des problèmes économiques et sociaux. Après avoir fui l’extrême pauvreté et les conséquences des aventures militaires occidentales, les migrants d’Afrique et du Moyen-Orient sont la cible d’une campagne raciste et d’un harcèlement policier toujours plus intenses.

Le nouvel accord européen instaure un renforcement des contrôles aux frontières de l’UE et une sélection préalable des migrants demandant le statut de réfugié. Si les fonctionnaires des services frontaliers estiment qu’une demande a peu de chances d’aboutir, le migrant sera expulsé sans même pouvoir déposer sa demande auprès des services d’accueil des réfugiés. Cette nouvelle procédure s’appliquera même aux familles et aux mineurs isolés.

Les migrants seront refoulés hors d’Europe ne seront pas nécessairement renvoyés dans le pays où ils résidaient auparavant. Par exemple, le gouvernement italien a pour habitude d’envoyer tous les migrants vers des pays d’Afrique du Nord, comme la Libye ou la Tunisie.

Le ministre allemand des Affaires étrangères a eu le front de décrire cet accord comme « une politique européenne commune d’asile reposant sur la solidarité ». Mais la « solidarité » en question ne concerne pas les migrants ; elle signifie seulement que l’UE veut partager les frais d’accueil des migrants entre les différents pays européens. Chaque pays devra accueillir un certain nombre de migrants – et payer 20 000 euros d’amende par migrant qu’il refusera d’accueillir.

Le rôle de la Tunisie

Cet été, l’UE a conclu un accord avec la Tunisie sur la question des migrants. Dorénavant, la Tunisie jouera pour l’UE le même rôle que la Turquie de l’autre côté de la Méditerranée. En échange d’un financement européen de plus de 200 millions d’euros, la police tunisienne sera chargée de procéder à une première sélection des migrants pour expulser elle-même ceux dont elle estimera qu’ils ont peu de chances d’obtenir un statut de réfugié en Europe.

La police tunisienne a d’ores et déjà fait la démonstration du zèle qu’elle est prête à déployer dans la protection des frontières européennes. Début juillet, plusieurs centaines de migrants – y compris des femmes enceintes et des enfants – ont été raflés dans le port de Sfax et abandonnés dans le désert, près de la frontière algérienne.

Le régime tunisien de Kaïs Saïed utilise les migrants comme des boucs émissaires pour tous les problèmes que connaît la Tunisie : la dette publique s’élève à près de 80 % du PIB, l’inflation frôle les 10 % et le taux de chômage dépasse les 15 %. Ces derniers mois, les grèves se sont multipliées, notamment dans les secteurs de la santé et des transports.

En février, alors que son gouvernement venait d’annoncer une baisse des subventions d’Etat sur des produits de première nécessité, Saïed affirmait que les migrants « déstabilisent la Tunisie par leurs activités criminelles » et que tout cela faisait partie d’un sombre projet de « remplacement ethnique » de la population tunisienne. La bourgeoisie de Tunis a bien appris les leçons de rhétorique raciste auprès de ses homologues européens !

Bienvenue aux réfugiés !

Cet accord n’empêchera pas de nombreux migrants de mourir en mer Méditerranée. Au contraire. En augmentant la répression et la surveillance, il rendra la traversée plus périlleuse et provoquera donc encore plus de drames.

Lorsqu’ils arrivent en Europe, les migrants attendent des mois, voire des années, dans des centres de réfugiés surpeuplés, où ils sont parfois victimes d’attaques commises par des groupes d’extrême droite. Avec ce nouvel accord, les migrants qui parviendront à traverser les frontières de l’UE auront une vie encore plus précaire, et ceux qui seront refoulés seront exposés aux violences de la police tunisienne ou des seigneurs de guerre libyens.

Loin d’être les responsables des problèmes sociaux et économiques que subissent les travailleurs européens, les migrants sont, comme eux, des victimes du capitalisme. La misère et les guerres qu’ils fuient sont des conséquences des prédations impérialistes des bourgeoisies des grandes puissances, notamment européennes. En France comme ailleurs, la gauche et le mouvement ouvrier doivent défendre l’accueil des réfugiés sur la base d’un programme de rupture avec le capitalisme et les politiques d’austérité, car seul un tel programme permettra de fournir un logement, un emploi et une situation dignes à tous ceux qui en ont besoin, quelle que soit leur origine.

Samedi 16 septembre à Trieste, des camarades de Sinistra Classe Rivoluzione, la section italienne de la TMI, tenaient un stand dans le cadre de notre campagne « Tu es communiste ? Rejoins-nous ! » lorsqu’ils ont été soudainement attaqués par des fascistes qui ont renversé la table et frappé les camarades, avant de s’enfuir. Quelques heures auparavant, la page nationale d’une autre organisation fasciste avait publié l’image d’une affiche de notre campagne.

Cela ne nous surprend pas. Le rôle des fascistes a toujours été d’attaquer ceux qui s’organisent pour défendre les droits des travailleurs, des jeunes, des femmes et des migrants. C’est encore plus vrai aujourd’hui, alors qu’ils jouent le rôle de chiens de garde des politiques réactionnaires du gouvernement Meloni.

Il est évident que même les fascistes ont noté le succès de notre campagne « Tu es communiste ? » En moins d’une semaine, plus de 15 000 affiches et stickers ont été collés dans toute l’Italie. Depuis la rentrée, nos camarades sont intervenus dans plus de 200 lycées. Beaucoup de lycéens ont saisi cette occasion d’exprimer leur haine du capitalisme et leur volonté de lutter pour l’avènement d’une autre société. Nous recevons en permanence des demandes d’adhésion à notre organisation.

La construction d’une puissante organisation communiste est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. C’est précisément la tâche que s’est donnée la Tendance Marxiste Internationale, pas juste à Trieste mais dans le monde entier. Le fait que les fascistes s’en inquiètent et nous attaquent ne nous rend que plus déterminés à continuer.

Nous apportons toute notre solidarité aux camarades qui ont été agressés. Nous appelons tous ceux qui le peuvent à venir participer au rassemblement antifasciste qui se tiendra jeudi à Trieste.

Contre le fascisme !

Contre le capitalisme !

Rejoignez-nous !

 

Boris Kagarlitsky, un intellectuel et universitaire de gauche bien connu en Russie, a été arrêté le 25 juillet par le FSB, le service de sécurité russe, sur la base d’une enquête l’accusant de « justifier le terrorisme ». Il a été transféré à Syktyvkar, la capitale de la République Komi, ou un tribunal a décidé de le placer en détention préventive. Il pourrait rester incarcéré jusqu’au 24 septembre.

Kagarlitsky est un militant de gauche connu qui a été emprisonné pour ses idées socialistes sous le régime stalinien, incarcéré par le régime capitaliste d’Eltsine et est aujourd’hui arrêté par Poutine.

En 2014, il avait critiqué le régime de Kiev issu du mouvement de Maidan et s’était opposé à son « Opération anti-terroriste » contre le Donbass. L’année dernière, il avait adopté une position internationaliste ferme d’opposition à l’invasion russe de l’Ukraine. En conséquence, les autorités russes ont officiellement déclaré qu’il était un « agent étranger ».

Après la mutinerie de Prigojine, le régime de Poutine a lancé une vague d’arrestations, visant des officiers de l’armée, des critiques issus de la droite tsariste, et maintenant des critiques de gauche. Poutine veut s’assurer qu’il n’existe pas de point de référence autour duquel une opposition pourrait se rassembler.

L’arrestation de Kagarlitsky est une menace et un avertissement pour toutes les forces communistes et de gauche qui s’opposent au régime réactionnaire de Poutine. Il n’y a pas besoin de partager les idées de Kagarlitsky pour s’opposer à la répression étatique qui le frappe. C’est un devoir élémentaire de solidarité entre camarades.

La Tendance Marxiste Internationale souhaite exprimer sa solidarité internationaliste avec Kagarlitsky et exige sa libération immédiate. Nous appelons toutes les organisations communistes et du mouvement ouvrier à travers le monde à se mobiliser pour la liberté de Boris Kagarlitsky.

Londres, 27 juillet 2023

Depuis 1991 et la restauration du capitalisme dans les pays de l’ex-URSS, il n’y avait pratiquement pas eu de luttes de la classe ouvrière dans les pays baltes. Cela commence à changer, comme l’a montré l’annonce d’une grève nationale de trois jours en Lettonie.

La « vieille taupe »

Selon les chiffres de l’OCDE, entre l’an 2000 et 2010, la Lettonie a connu chaque année une moyenne de zéro jour de grèves pour 1000 travailleurs. Si ce chiffre est à prendre avec des pincettes, notamment parce qu’il n’inclut pas les grèves illégales et celles du secteur public, il reste néanmoins frappant.

Ni l’effondrement de l’économie après la dislocation de l’URSS (en 1992, le PIB letton a chuté de 32 %), ni le départ de près du tiers de la population depuis 1991, ni la crise de 2008 n’avaient eu d’impact sur la lutte des classes. C’était principalement le résultat de l’intense vague nationaliste que la bourgeoisie a suscitée pendant et après le processus d’indépendance du pays. Cette vague s’est notamment manifestée par une virulente campagne de propagande contre l’importante minorité russophone.

Sous la surface, la « vieille taupe » de l’histoire n’en sapait pas moins les fondations de la société lettone. La crise économique, la pandémie et la guerre en Ukraine – trois conséquences de la crise organique du capitalisme – ont bouleversé la situation.

Outre la flambée des prix de l’énergie, les travailleurs et la jeunesse du pays sont frappés de plein fouet par une inflation généralisée. Les prix des biens de consommation ont augmenté de 20,3 % entre février 2022 et février 2023. Inévitablement, cette situation a poussé une fraction de la classe ouvrière à entrer dans la lutte.

Manœuvres gouvernementales

En septembre 2022, le principal syndicat des enseignants du pays, LIZDA, avait annoncé une grève pour protester contre l’aggravation continue des conditions de travail et la chute du salaire réel des enseignants. Quelques jours avant le début de la grève, le gouvernement a conclu un accord avec la direction de LIZDA, qui a renoncé à la mobilisation en échange d’un certain nombre de concessions, dont une promesse de hausses des salaires.

Mais début février, lorsque le Premier ministre Krisjanis Karins a présenté son budget pour 2023, il a annoncé que cette hausse des salaires serait doublée d’une « optimisation du réseau scolaire », c’est-à-dire des coupes budgétaires et une aggravation des conditions de travail. Par ailleurs, ces augmentations seront inférieures à l’inflation et ne concerneront qu’une partie des enseignants. LIZDA a calculé que près d’un quart d’entre eux n’en bénéficierait pas du tout. Cerise sur le gâteau, Karins a ajouté que ces hausses de salaire ne seront pas immédiates, mais s’étaleront sur trois ans, jusqu’en décembre 2025.

C’était une violation des promesses faites aux dirigeants de LIZDA. Ceux-ci ont répondu par un ultimatum : ils laissaient au gouvernement jusqu’au 15 mars pour amender le budget dans le sens de l’accord de septembre.

Le gouvernement a alors prétendu qu’il était prêt à augmenter les salaires des enseignants, mais qu’il faudrait, dans ce cas, augmenter la TVA ou couper dans le budget militaire, dans les pensions de retraite ou dans le budget de la santé. C’est une tentative évidente de monter les travailleurs les uns contre les autres. Par ailleurs, en mettant le budget de la défense dans l’équation, le gouvernement agite l’épouvantail de la « menace russe », au nom de laquelle les travailleurs devraient se serrer la ceinture.

Traditions révolutionnaires

Le gouvernement n’a jamais eu l’intention de respecter ses engagements vis-à-vis de LIZDA. Son objectif était de gagner du temps pour manœuvrer et monter une campagne de propagande présentant les enseignants comme des « profiteurs » et des « privilégiés ». Par conséquent, LIZDA a appelé à une grande manifestation, le 24 avril, et à trois jours de grèves à la fin du mois. Signe de l’échec de la propagande gouvernementale, le syndicat des travailleurs de la santé, LAB, a appelé à la grève aux côtés des enseignants.

A l’heure où nous écrivons ces lignes (20 avril), la grève n’a pas encore commencé, mais sa simple annonce marque déjà un profond changement. La « paix entre les classes » qu’a connue le capitalisme letton – c’est-à-dire, en réalité, la guerre unilatérale du patronat contre les travailleurs – était le fruit de l’effondrement du stalinisme. Cette période touche à sa fin.

La crise du capitalisme force des couches croissantes de la classe ouvrière lettone à lutter pour défendre leurs conditions de vie. Dans la lutte, elles seront progressivement amenées à renouer avec les grandes traditions révolutionnaires du mouvement ouvrier letton – et à tirer des conclusions radicales : les ressources qui sont nécessaires à leur bien-être existent, mais elles sont accaparées par une petite minorité d’exploiteurs. Il faut donc arracher les grands moyens de production des mains de ces profiteurs !

Lénine écrivait qu’en Grande-Bretagne, « plus qu’ailleurs, la bourgeoisie possède l’habitude et l’art de gouverner. » [1] S’il était vivant, il éclaterait de rire à la vue du gouvernement conservateur de Rishi Sunak, qui roule de crise en crise. Depuis la démission forcée de Liz Truss en octobre dernier, les difficultés économiques n’ont pas été résolues, les grèves et manifestations massives se poursuivent, le parti conservateur accumule les scandales et les divisions internes.

Les temps ont bien changé depuis l’époque de Lénine. La Grande-Bretagne était alors une puissance mondiale de premier plan. Aujourd’hui, elle ressemble à « un marché émergent qui se transforme en un marché submergé », selon la formule de Larry Summers, ex-secrétaire au Trésor américain. Ces dernières années, le déclin du capitalisme britannique s’est accéléré d’une façon impressionnante.

Poussés par la recherche de profits à court terme, les capitalistes britanniques ont préféré spéculer plutôt que d’investir dans la production industrielle. La classe dirigeante fonce vers le désastre – et entraîne avec elle le reste de la population.

Inégalités vertigineuses

Les plus riches s’enrichissent encore. Les compagnies énergétiques annoncent des profits inouïs : 32 milliards de livres pour Shell en 2022 (le double de 2021, et un record en 115 ans d’existence) ; 23 milliards pour BP. Les gros actionnaires de magnats de l’énergie se gavent de dividendes sans bouger leurs petits doigts.

Pendant ce temps, des millions de travailleurs se débattent pour payer leurs factures : infirmiers, ambulanciers, personnels de ménage et du soin, éboueurs – et bien d’autres encore.

Des récits poignants circulent, dans les médias, qui révèlent les effets de la crise sur la classe ouvrière britannique, et en particulier sur sa santé. Nombre de ces histoires sont reprises par la presse internationale, qui est choquée par l’effondrement du niveau de vie en Grande-Bretagne.

Voici ce qu’on pouvait lire dans un article du New York Times, le 30 janvier : « Quand ses deux fils lui demandent des friandises qu’elle n’a plus les moyens de leur offrir, Aislinn Corey, enseignante de maternelle à Londres, étend une couverture sur le sol et joue au “jeu du pique-nique”. Elle prend une orange ou une pomme, rapportée de la banque alimentaire de son école, et découpe trois tranches qu’elle partage. “On fait ça comme une activité”, dit-elle, “pour qu’ils ne sachent pas que Maman est en difficulté.” Elle dit que les dîners se réduisent souvent à des pâtes, et qu’elle doit parfois sauter un repas pour que ses enfants mangent à leur faim. »

Voilà comment vivent des millions de familles de travailleurs britanniques. Et les choses empirent avec la hausse continue des prix. En avril, les factures d’énergie vont encore augmenter très nettement, pendant que les géants des énergies fossiles continueront d’encaisser des profits colossaux.

Classes moyennes et crise de régime

La crise frappe aussi les classes moyennes. Un vieux politicien conservateur, Lord Andrew Tyrie, déplorait récemment « une insatisfaction publique généralisée vis-à-vis du capitalisme. » Il poursuivait : « Les gens se sentent aliénés. Ils ont le sentiment de vivre dans une économie déloyale, gérée pour les autres et non pour eux. Ce sentiment est profondément ancré dans les classes moyennes, qui sont les nouveaux vulnérables. » Intéressant aveu d’un représentant de l’establishment !

Les classes moyennes étaient autrefois un pilier du capitalisme britannique et du parti conservateur. Aujourd’hui, elles courent à la ruine. Dans le même temps, des secteurs du salariat peu habitués à la lutte – infirmiers, avocats, directeurs des écoles – se mobilisent. C’est lourd d’implications révolutionnaires.

Comme l’expliquait Lénine, la révolution est à l’ordre du jour lorsque la société est dans une impasse, c’est-à-dire lorsque la classe ouvrière ne peut plus vivre comme avant – et que la classe dirigeante ne peut plus gouverner comme avant.

Au plus bas dans les sondages, le gouvernement conservateur vit sous la menace constante d’une fronde de son aile populiste et pro-Brexit. Tôt ou tard, la classe dirigeante britannique devra s’en remettre à son équipe de rechange : Keir Starmer et les autres dirigeants de l’aile droite du parti travailliste.

Starmer et sa clique sont entièrement dévoués aux intérêts du capital. Le dirigeant du parti travailliste se déclare « contre l’austérité », mais a déjà annoncé son intention de respecter la « discipline fiscale » – c’est-à-dire de mener des politiques austéritaires. Il fera donc payer la crise à la classe ouvrière.

Au vu de la colère croissante des travailleurs et de la gravité de la situation économique, le prochain gouvernement travailliste sera en crise dès le premier jour. Les capitalistes se préparent donc à faire un cadeau empoisonné à Starmer. Quant aux travailleurs, ils y puiseront une précieuse leçon sur la nature du réformisme. Dans les conditions actuelles, le capitalisme ne peut plus se permettre d’accorder des réformes significatives qui améliorent durablement la situation des travailleurs. Ce système a besoin de contre-réformes. La question de son renversement se posera chaque jour de façon plus aiguë.


[1] « Le pacifisme anglais et l’aversion anglaise pour la théorie ». Œuvres complètes, tome 21.

Nous sommes fiers d’annoncer la publication du premier numéro du journal de la Tendance Marxiste Internationale en Irlande : Marxist Voice. C’est une étape importante dans la construction d’une organisation marxiste en Irlande.

Ce numéro comprend des articles sur la théorie économique de Marx, sur la crise du logement et de la santé dans le pays, sur les rapports entre la lutte de libération nationale de l’Irlande et la révolution socialiste, sur le dérèglement climatique et sur divers évènements internationaux.

Marxist Voice traitera des problèmes les plus pressants auxquels font face les jeunes et les travailleurs irlandais. Comme l’affirme son éditorial : « Si l’on veut mettre fin à la pauvreté, au mal-logement et à la misère, tout comme au sectarisme, à la division raciste et la partition [entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud], il faudra unir la classe ouvrière pour renverser le capitalisme dans toute l’Irlande. »

Comme son nom l’indique, l’objectif de ce journal est de faire entendre une voix marxiste en Irlande, et de la faire connaître à des couches toujours plus larges de la classe ouvrière et de la jeunesse, jusqu’à ce que les idées révolutionnaires du marxisme deviennent les idées motrices de l’ensemble du mouvement ouvrier.

On leur souhaite le plus grand succès !