Le 18 mars 1962, le général de Gaulle annonçait la fin des opérations militaires en Algérie et la tenue d’un référendum sur l’autodétermination du pays. Après sept années de guerre, l’Algérie obtenait son indépendance.

En France, la mémoire de cette guerre est l’objet d’une « bataille » entre différentes tendances de la bourgeoisie, qui vacillent entre le repentir hypocrite (Hollande, Macron, etc.) et les déclarations colonialistes (Sarkozy, Zemmour, etc.).

La colonisation

La colonisation de l’Algérie par la France commence avec la conquête de 1830. Celle-ci n’est pas une affaire facile pour l’armée française. La résistance organisée par l’Emir Abdelkader dure jusqu’à la fin des années 1840, et des révoltes éclatent régulièrement jusqu’au début du XXsiècle. Comme toutes les conquêtes coloniales, cette campagne s’accompagne de massacres abominables qui soulèvent l’opinion publique jusqu’en France.

Très vite, Paris encourage l’émigration vers sa colonie, depuis la France mais aussi depuis d’autres pays européens. En 1954, au début de la guerre d’indépendance, le nombre d’Européens vivant en Algérie – « les pieds noirs » – avoisine le million d’habitants. Contrairement à une idée reçue, nombre d’entre eux sont assez pauvres. Leur niveau de vie moyen est inférieur à celui de la métropole. A côté d’une importante couche de petits commerçants et de fonctionnaires, il existe même une petite classe ouvrière d’origine européenne.

Au-dessus de ces petits colons, une poignée de grands propriétaires terriens ont accaparé les meilleures terres au détriment de la grande masse des paysans algériens. La population « indigène », qu’on désigne alors comme « musulmane », est principalement composée de millions de paysans pauvres ou sans terres, mais aussi d’un embryon de prolétariat et d’une petite bourgeoisie en ascension. En 1954, les musulmans constituent les neuf dixièmes de la population, mais sont privés de la plupart des droits civiques.

Pour la bourgeoisie française, l’Algérie est d’abord une réserve de matières premières et de produits agricoles pour l’exportation. En conséquence, elle n’investit pratiquement pas dans le développement technique de l’économie, qui reste très arriérée par rapport à la métropole et manque cruellement d’infrastructures modernes.

Le mouvement indépendantiste algérien se développe dès le début du XXsiècle. Il s’efforce de gagner le soutien du mouvement ouvrier français. La direction de la SFIO (socialiste) défend l’idée d’une colonisation « humanitaire » et « civilisatrice », mais le Parti Communiste (fondé en 1920) adopte une position résolument favorable au droit à l’indépendance. En plein accord avec les positions de l’Internationale Communiste (avant sa dégénérescence stalinienne), le PCF aide à organiser politiquement les travailleurs algériens en métropole – et sa branche algérienne s’ouvre aux indigènes. Sous l’impulsion de Léon Trotsky, qui suit alors le développement du mouvement communiste français, des dirigeants locaux sont même exclus du parti pour avoir refusé d’y laisser rentrer des musulmans.

Ainsi, nombre de dirigeants des mouvements de libération algériens sont d’abord passés, dans les années 1920, par les rangs communistes. Messali Hadj, le fondateur du premier parti indépendantiste algérien, l’Etoile Nord-Africaine, était à ses débuts un militant communiste. Cependant, après sa stalinisation, le PCF multiplie les erreurs et trahisons vis-à-vis des luttes anticoloniales. Lors du Front Populaire (1936), il approuve l’interdiction de l’Etoile Nord-Africaine par le gouvernement de Léon Blum, ainsi que l’arrestation de plusieurs de ses dirigeants. Le lien entre les organisations du mouvement ouvrier français et le mouvement de libération algérien est alors rompu.

De Sétif à Diên Biên Phu

Après la Deuxième Guerre mondiale, l’espoir d’une « démocratisation » des colonies est très fort parmi la population indigène, qui a payé un lourd tribut à la guerre impérialiste au sein des troupes coloniales françaises. En mai 1945, des milliers d’Algériens manifestent dans la ville de Sétif, à l’appel des organisations indépendantistes, pour réclamer l’égalité des droits civiques et une amélioration de leurs conditions de vie. Le mouvement est brutalement réprimé par la police, l’armée et des milices de colons qui tuent et torturent les indigènes. En quelques semaines, la répression fait plusieurs milliers de morts – jusqu’à 30 000, selon les estimations de certains historiens.

Face à ces massacres, l’attitude des dirigeants officiels du mouvement ouvrier français est criminelle. Des élus de la SFIO, en Algérie, organisent eux-mêmes des milices de colons pour traquer les manifestants. Quant à la direction du PCF, elle traite de « provocateurs hitlériens » les indépendantistes qui ont organisé les manifestations pacifiques de Sétif. Pour la direction du PCF, la priorité est alors de maintenir à tout prix le gouvernement d’« union nationale » installé à Paris et qui compte plusieurs ministres « communistes ». Les Algériens, mais aussi les Malgaches (massacrés par dizaines de milliers en 1947) et les Indochinois vont en faire les frais. Pour reprendre le contrôle de ses colonies après le chaos de la guerre mondiale, l’impérialisme français accentue la répression et tente de reprendre militairement le contrôle du Vietnam.

Le 7 mai 1954, les troupes françaises sont finalement écrasées par celles du Viet-Minh à Diên Biên Phu. Le colonialisme français est ébranlé, ce qui encourage le mouvement indépendantiste algérien à passer à l’offensive. Depuis les massacres de 1945, le mouvement s’est radicalisé sous les coups de la répression. La plupart des anciens dirigeants qui, comme Messali Hadj, prônaient une ligne modérée, ont été écartés au profit d’une nouvelle couche de jeunes dirigeants qui regardent vers l’Egypte de Nasser, dans laquelle ils voient un modèle de « révolution nationale ».

Le 1er novembre 1954, une nouvelle organisation, le Front de Libération Nationale (FLN), annonce le début d’une guerre de libération et mène une vague d’attentats contre des infrastructures françaises en Algérie. Le gouvernement déploie l’armée et réprime les organisations indépendantistes et communistes algériennes. Dans le même temps, pour ajouter la carotte au bâton, Paris met en œuvre de timides réformes visant à moderniser l’Algérie et accorde quelques droits civiques aux indigènes. Mais c’est à la fois trop peu et trop tard.

Le 20 août 1955, une insurrection éclate dans le Constantinois, à l’initiative du FLN. De nombreux colons sont assassinés par les insurgés. La répression est terrible ; l’armée et la police rasent des villages entiers et raflent des civils qui sont abattus à la mitrailleuse et enterrés dans des fosses communes. Le conflit entre dans une nouvelle phase. 60 000 jeunes Français ayant fini leur service militaire sont rappelés sous les drapeaux. Cela donne lieu, en France, à des grèves et des sabotages. En 1956, le gouvernement SFIO, appuyé par les députés PCF, donne carte blanche à l’armée pour rétablir l’ordre en Algérie. Les libertés individuelles y sont suspendues. Des populations entières sont déplacées à des fins de contrôle, tandis que la torture, les viols et les exécutions sommaires deviennent monnaie courante. Les services secrets français organisent des attentats à l’explosif contre la population civile des quartiers musulmans. Tous ces crimes sont perpétrés sous l’autorité d’un gouvernement « socialiste » entièrement soumis à la classe dirigeante française.

Le mouvement ouvrier français et le FLN

La SFIO défend alors l’idée d’un colonialisme « progressiste » et s’oppose résolument à toute perspective d’indépendance. Proche de la SFIO, François Mitterrand est ministre de l’Intérieur, en 1956 ; il est l’un des plus chauds partisans de la « fermeté » face aux indépendantistes. De son côté, la direction du PCF défend le droit à l’indépendance, verbalement, mais dans les faits se place systématiquement à la remorque de la SFIO. Les dirigeants « communistes » espèrent reprendre place dans un gouvernement d’alliance avec les socialistes, et donc évitent tout ce qui pourrait y faire obstacle. Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de De Gaulle, en 1958, pour que le PCF commence enfin à clairement s’opposer à cette guerre, sans pour autant avancer une perspective révolutionnaire.

Le PCF aurait pu et dû défendre une autre politique, comme il l’avait fait – entre autres – lors des guerres coloniales des années 1920, dans le Rif marocain et en Syrie. Il avait apporté un soutien critique aux indépendantistes syriens et marocains, mené plusieurs campagnes de mobilisation contre la guerre (dont une grève générale, en 1926) et organisé des cellules spéciales de propagande antimilitariste au sein de l’armée française. En 1954, au lieu d’appuyer la guerre de la bourgeoisie française contre le peuple algérien, il fallait mobiliser massivement les travailleurs contre la guerre et défendre la perspective d’une Algérie socialiste unie dans une libre coopération avec une France socialiste. Cela aurait contribué à dépasser les clivages nationaux hérités de l’oppression coloniale. Le problème est qu’à l’époque, la direction du PCF – complètement stalinisée – avait abandonné toute perspective révolutionnaire.

Dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, les atermoiements et l’opportunisme des dirigeants du PCF laissent le champ complètement libre aux nationalistes algériens. Dirigé par des intellectuels nationalistes, le FLN défend la fiction d’une unité du peuple algérien par-delà toute distinction de classe. S’il fonde sa stratégie sur le terrorisme et la guérilla contre l’occupant, l’objectif n’est pas tant de vaincre l’armée française que de faire pression sur le gouvernement, dans la perspective de négociations. De même, si le FLN appelle parfois les travailleurs algériens à faire grève, ce n’est pas dans la perspective d’une mobilisation révolutionnaire, mais pour démontrer – à l’ONU, notamment – son autorité sur le peuple algérien. Jamais le FLN ne tente sérieusement de faire appel à la solidarité de la classe ouvrière française ou aux « petits colons » pauvres. Ces derniers auraient pu être gagnés à la lutte contre le système colonial qui les maintenait dans la misère. Au contraire, en multipliant les attentats contre des civils français, le FLN les a jetés dans les bras des grands propriétaires terriens.

La bataille d’Alger

A la fin de l’année 1956, les effectifs de l’armée française en Algérie atteignent des sommets (470 000 hommes) et la répression pousse des milliers d’Algériens à prendre le maquis. Alors que le FLN multiplie les attentats, les exactions des militaires deviennent si nombreuses que même le chef de la police d’Alger démissionne en signe de protestation. Des cadavres d’Algériens torturés et jetés vivants à la mer sont retrouvés régulièrement sur les plages d’Alger. Dans la ville, la situation est explosive, et une bonne partie des quartiers musulmans est sous le contrôle des indépendantistes. Le gouvernement décide donc de « pacifier » la ville : c’est le début de la « bataille d’Alger », une gigantesque opération policière menée par l’armée. 24 000 Algériens sont arrêtés, dont des familles entières. Des milliers d’entre eux sont torturés et des centaines sont exécutés. Cependant, moins d’un an après cette « victoire » française, le FLN a repris le contrôle des quartiers dont il avait été chassé.

En France, le retour en métropole des premiers appelés s’accompagne de la multiplication des témoignages sur les tortures pratiquées par l’armée française. Malgré la censure, les révélations se succèdent et touchent profondément l’opinion de la classe ouvrière française. La situation devient progressivement inextricable pour la bourgeoisie métropolitaine. Une fraction de celle-ci est bien consciente que seules des concessions d’ampleur permettront d’arrêter la guerre. Pour arracher la population musulmane à l’influence du FLN, il faudrait concéder l’égalité civique aux musulmans, mais aussi une large autonomie à l’Algérie. Or, chaque pas dans cette direction provoque la colère des colons, qui commencent à s’organiser politiquement.

La révolte des colons et la naissance de la Ve république

Exaspérés par les hésitations des gouvernements successifs, des généraux préparent un coup d’Etat militaire. En mai 1958, d’importantes manifestations de « pieds noirs » et de partisans de l’Algérie française éclatent en Algérie et dans certaines villes de France. Soutenue par l’armée et la police, la petite bourgeoisie coloniale prend le contrôle des villes et fonde des « comités de salut public » qui exigent la formation d’un nouveau gouvernement à Paris.

En France, le gouvernement réagit au coup d’Etat en instaurant l’état d’urgence en métropole, avec l’appui du PCF. Une fois de plus, la direction du Parti Communiste se place à la remorque du gouvernement. Pour repousser le putsch, il aurait fallu, au contraire, dénoncer la duplicité du gouvernement, qui a soutenu et appuyé les militants de l’Algérie française jusqu’à ce qu’ils échappent à son contrôle. Il fallait également mobiliser la classe ouvrière, l’organiser et l’appeler à prendre en main la situation, plutôt que de donner des « pouvoirs spéciaux » supplémentaires au gouvernement. De fait, les mesures prises, officiellement, pour réprimer la tentative de coup d’Etat, serviront surtout à museler le mouvement ouvrier, une fois que le putsch aura réussi.

Face à la menace de coup d’Etat, une partie des centristes et des socialistes se tourne vers le général de Gaulle. En réalité, ce dernier est de mèche avec les militaires factieux et réclame qu’on lui cède le pouvoir – ce qui est justement la revendication d’une partie des putschistes. Incapables d’envisager la mobilisation des travailleurs contre les généraux, les dirigeants socialistes jettent l’éponge. Le 29 mai 1958, De Gaulle est au pouvoir. Les généraux et les colons jubilent. Ils s’imaginent que le nouveau régime va mener la guerre « jusqu’au bout ».

Les dernières années de la guerre

Très vite, cependant, le régime autoritaire de De Gaulle se retrouve placé dans la même impasse que son prédécesseur. Radicalisée par la répression, la population algérienne soutient massivement le FLN. La bourgeoisie métropolitaine veut en finir avec une aventure très coûteuse qui menace sa stabilité politique et son économie. Révoltée par les exactions et la torture, la classe ouvrière s’oppose de plus en plus à une « sale guerre » dans laquelle des milliers de jeunes appelés perdent la vie. De Gaulle cherche alors une solution négociée avec le FLN et reconnaît, en 1959, le droit à l’autodétermination de l’Algérie.

La petite bourgeoisie coloniale se sent trahie et tente de reproduire le coup de force de mai 1958. En avril 1961, une tentative de coup d’Etat soulève les colons radicalisés d’Algérie, appuyés par plusieurs généraux, les parachutistes et la Légion étrangère. Mais la majorité de l’armée ne suit pas et le régime gaulliste reprend le contrôle de la situation. Les putschistes irréductibles créent alors l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), une organisation terroriste d’orientation fasciste, qui multiplie les attentats meurtriers des deux côtés de la méditerranée. Malgré leurs coups de main, la guerre entre en réalité dans sa phase terminale, et De Gaulle n’a pas d’autre choix que de négocier avec le FLN.

Les dernières années du conflit ne seront pas les moins sanglantes. Pour éviter que le FLN ne négocie en position de force, le régime gaulliste commence à utiliser, en métropole, les méthodes réservées jusque-là à l’Algérie. La police mène des rafles massives parmi les travailleurs algériens, en France. La torture sévit dans les commissariats parisiens. Le 17 octobre 1961, une manifestation pour la paix – appelée par le FLN – est réprimée dans le sang, en plein cœur de Paris. La police tire à balles réelles et jette des manifestants blessés dans la Seine. A l’automne 1961, la répression menée par la police parisienne fait des centaines de morts.

Le 18 mars 1962, les accords d’Evian signée par le FLN et le gouvernement français mettent fin à la guerre. L’Algérie devient une république indépendante dirigée par le FLN. Une politique de réforme agraire et de nationalisations partielles est menée pour tenter de développer le pays – mais sans pour autant renverser le capitalisme, ni rompre avec les entreprises françaises les plus importantes. Si elle permet d’améliorer le niveau de vie des masses, cette politique d’économie mixte va aussi enrichir une bureaucratie corrompue qui confisque le pouvoir. Après l’indépendance, les dirigeants du FLN se déchirent dans des luttes bureaucratiques pour le pouvoir. En 1965, le colonel Boumédiène instaure une dictature militaire dont les héritiers sont toujours à la tête de l’Etat. Aujourd’hui, les entreprises étrangères, notamment françaises, dominent encore l’Algérie. C’est contre cette situation que les masses algériennes se sont soulevées ces dernières années.

La classe ouvrière algérienne est plus puissante que jamais. Seule une révolution socialiste permettrait de développer le pays et de le débarrasser de la domination des généraux et des puissances impérialistes. En France, le mouvement ouvrier doit voir plus loin que les hypocrites déclarations de « repentir » d’une partie de la bourgeoisie. Macron verse des larmes de crocodile sur les crimes de la guerre d’Algérie, mais défend les entreprises françaises que la colonisation a enrichies et envoie des troupes défendre leurs intérêts dans le Sahel. Le mouvement ouvrier doit balayer cette hypocrisie. Il nous faut dénoncer les crimes passés du colonialisme français, mais nous devons aussi nous attaquer à ses héritiers, à ceux qui ont bénéficié de la souffrance des Algériens et des jeunes conscrits français, à ceux qui envoient encore aujourd’hui des expéditions militaires défendre leurs intérêts et leur domination de classe. Ce n’est qu’en expropriant les grands capitalistes français, dont la richesse repose sur des siècles d’exploitation des travailleurs (coloniaux et français), que nous pourrons en finir avec l’héritage de la barbarie coloniale.

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