Le 26 mars dernier a été votée la réforme du copyright au niveau européen. Elle vise à l’adapter à l’ère de la diffusion numérique à grande échelle. Cette réforme a beaucoup fait parler d’elle, surtout à cause de son article 13, qui concerne les plateformes telles que YouTube ou Facebook.

Protéger la création... ou les profits ?

La nouvelle réglementation vise à protéger les ayants droit d’œuvres musicales ou autres, en imposant un contrôle de leur utilisation dans les vidéos, articles ou podcasts postés sur internet. En pratique, si un vidéaste ne possède pas l’autorisation d’utiliser une œuvre, sa vidéo devra être supprimée. Cette réglementation ne fait aucune distinction entre l’utilisation d’extraits pour une œuvre originale (par exemple pour une vidéo de critique de film) et la diffusion simple de l’œuvre originale en streaming.

Cette réforme est soutenue par le lobby des sociétés de gestion des droits d’auteurs, qui s’offusquent que des créateurs indépendants puissent utiliser gratuitement leur propriété. Bien sûr, elles se cachent derrière l’argument de la protection des artistes – qu’elles traitent pourtant comme des vaches à lait le reste du temps. En effet, la « protection » qu’apportent ces sociétés est toute relative. A l’exception d’une minuscule poignée d’artistes richissimes, les auteurs sont aussi les victimes de ces sociétés, qui vivent des énormes commissions qu’elles leur prennent.

Algorithmes et liberté de création

Point particulièrement inquiétant, la réforme prévoit que les plateformes – qui touchent de l’argent sur les vidéos, notamment via la publicité – devront faire la police à leurs frais, faute de quoi elles devront payer des amendes. Certes, la réforme précise que les détournements, parodies, etc. resteront autorisés dans le cadre des lois nationales. Mais ce n’est pas là une garantie très solide. En effet, YouTube a déjà l’habitude de s’appuyer sur des algorithmes pour trier entre vidéos « légales » ou « illégales » – et supprimer d’office les vidéos jugées « non conformes ». Dans ce cas, si un vidéaste veut faire valoir ses droits auprès de YouTube, il doit monter tout un dossier pour prouver sa bonne foi : un travail long et fastidieux qui reste en grande partie réservé à ceux qui peuvent employer des gens pour le faire à leur place, ou qui sont sous contrat avec une société gérant leur chaîne YouTube. Si la réforme est adoptée, YouTube continuera sur cette lancée et préférera recourir aux algorithmes et à des suppressions à priori plutôt que d’embaucher des gens dans un service chargé de vérifier que les vidéos respectent les lois.

Hypocrisie

En attendant, la direction de YouTube a lancé un appel à ses utilisateurs pour qu’ils s’opposent à la réforme au nom de la « liberté de création ». Quelle hypocrisie de la part d’une entreprise qui force cette même création à passer à travers le filtre d’algorithmes boiteux ! La véritable préoccupation des patrons de YouTube est ailleurs : ils ne veulent pas être contraints de passer des accords avec les sociétés de gestion des droits d’auteurs, car ils y perdraient une part de leurs profits.

Quant aux créateurs, ils se retrouvent coincés entre YouTube et les sociétés de gestion, qui tous s’engraissent sur leurs dos.

Aujourd’hui, le droit d’auteur est une nécessité vitale pour les artistes qui souhaitent vivre de leur production. Mais en « protégeant » un auteur, ce droit restreint aussi la liberté de création de tous ceux qui suivent. En effet, l’emprunt, l’hommage ou la parodie sont indissociables de la création artistique. En transformant les œuvres d’art en marchandises, le capitalisme impose à la création artistique des limites uniquement motivées par la quête de profit. Seule une société libérée du capitalisme permettra de libérer pleinement la création artistique – et, au passage, de rendre le droit d’auteur superflu.