Je me prénomme Séb et je suis cheminot. J’ai pour mission de remettre les trains en état, pour permettre aux usagers d’aller au travail, de partir en week-end, etc.

Je vis à 90 km de mon lieu de travail. Le prix de la vie et des loyers oblige une grande partie d’entre nous à s’éloigner de la région parisienne. De toute façon, il y a tellement de fermetures d’ateliers que les mutations qui pourraient nous rapprocher de nos familles sont quasiment impossibles.

Ma journée commence à 4h30. Le réveil sonne. Comme je mets un certain temps à l’entendre, ma femme me bouscule pour que je réagisse. Et comme d’habitude, il me faut environ une heure pour me préparer (enfin, pour arriver à comprendre ce qui m’arrive).

5h30. Départ de la maison, en voiture : direction la gare pour la première étape de la journée. Puis je fais une heure de train jusqu’à la Gare de l’Est, qui n’est pas ma gare d’arrivée. Je marche alors d’un pas cadencé jusqu’à la Gare du Nord, pour ne pas rater ma correspondance. Après m’être fait bousculer un nombre de fois incalculable, je m’installe dans le RER et c’est reparti pour 30mn.

Arrivé sur mon lieu de travail, à Villeneuve-Saint-Georges, je montre ma carte d’accès, et direction le vestiaire. Je m’habille d’un beau bleu de travail que personne n’enviera en fin de semaine, tellement il sera noir et sale. A 7h45, je rejoins mon équipe pour prendre un petit café et mes consignes de la journée.

A 8h, je prépare mes outils et me dirige vers le train que je dois remettre en état de rouler. La matinée se passe comme d’habitude : démontage, remontage, nettoyage. On commence par lever le train de 200 m de long grâce à un système de vérins. On démonte tous les bogies (roues + essieux + système de freinage…) pour nous permettre d’accéder aux organes que nous devons remplacer. Normalement, on utilise un pousse-bogie qui nous permet de déplacer 13 bogies d’un atelier de 250 m de long à un autre atelier, de façon à pouvoir faire l’entretien de ceux-ci dans un environnement adapté. La liaison entre deux bogies se fait par le biais d’un outillage spécifique qui, une fois sur deux, ne résiste pas et finit par casser. Étant donné le prix de cet outillage, sa réparation ou ses commandes se font dans un délai très long, ce qui nous oblige à pousser manuellement, à deux personnes, des bogies de 7 tonnes, sur 200 mètres de rails.

11h45 : c’est l’heure du repas. On se retrouve entre collègues pour un moment de détente. Certains lisent, d’autre jouent aux cartes ou dorment un peu. A 13h, la porte du local s’ouvre et on nous signale qu’il est temps d’y retourner. Nous voilà repartis pour une après-midi de mécanique. On finit par entrer dans une sorte de « train-train » qui se lit sur tous les visages.

Mon après-midi va consister à démonter 6 moteurs de traction, pesant chacun en moyenne 2 tonnes. On doit démonter chaque moteur en une demi-heure avec des clés et des cliquets. Éventuellement, on utilise des machines pneumatiques de 4 kg qui ne supportent pas plus d’une semaine le rythme – et qui sont sans arrêt en réparation.

16h. Nous voilà de retour au bureau du chef pour signaler les problèmes rencontrés, lui rendre compte des tâches effectuées et l’informer du travail restant pour les collègues de nuit. 16h10 : départ pour le vestiaire, pour une douche bien méritée – qui, désormais, nous est gracieusement accordée sur notre temps de travail. Cela me permet de ne pas rater mon train qui, lui, ne m’attendra pas.

A 16h30, une annonce sur le quai me dit que mon train est supprimé. Nous ne sommes pas une gare prioritaire : ses usagers sont majoritairement des cheminots. Donc, en cas de problème sur la ligne, notre arrêt est très souvent supprimé, pour pallier le retard que pourraient avoir les autres usagers. Bref, me voilà avec un quart d’heure de retard, ce qui va m’obliger à courir entre les gares pour ne pas rater le train qui me permettra de retrouver mon domicile.

A 18h30, je retrouve ma voiture. 20 minutes plus tard, me voilà enfin arrivé sur le lieu que j’avais hâte de retrouver depuis mon départ, le matin même.

Mais la journée n’est pas finie. Il faut encore que ma concubine et moi préparions le dîner, que l’on s’occupe de notre petit garçon qui n’a qu’une hâte : jouer avec nous. Il demande toute l’attention dont il a besoin. J’avoue que cela n’est pas toujours facile, car les journées sont longues. A 21h, on met le petit au lit. On peut souffler un peu en vaquant, chacun de son côté, à nos occupations du soir. Vers 22h - 22h30 : mise en route du réveil, pour une nuit de repos bien méritée.

Je pourrais vous dire que j’attends le week-end avec impatience. Mais quelqu’un a dit qu’il fallait travailler plus pour gagner plus. Alors, pour que les fins de mois ne soient pas trop difficiles, je fais une astreinte par mois. La dernière en date m’a occupé environ 30 heures, du vendredi 16h30 au dimanche soir. Ce qui ne me laisse pas beaucoup de temps pour ma famille. Il y a aussi le travail de nuit qui nous est imposé par l’entreprise. C’est rentré dans les mœurs et ne choque plus personne, chez nous, car les jeunes sont demandeurs, de façon à augmenter leur salaire pour vivre presque correctement.

Voilà donc une journée de cheminot qui vit loin de son lieu de travail. Je ne l’ai pas choisi : c’est une nécessité pour vivre correctement. Alors, j’échangerais volontiers ma place contre celle de celui qui a dit que les cheminots sont des nantis. J’aimerais voir combien de temps il pourrait tenir à ce rythme. Certes, des gens vivent dans des situations bien pires que la mienne. Mais je pense que pour un « fainéant de cheminot toujours en grève », j’ai déjà un emploi du temps bien chargé !

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