La classe dirigeante française a toujours utilisé la propagande patriotique pour consolider son pouvoir. En juin 1848, déjà, elle écrasait l’insurrection des travailleurs parisiens au nom de « l’unité nationale », en criant : « vive la France ! ». Depuis, toutes les périodes les plus réactionnaires de l’histoire de France ont été précédées et accompagnées d’une véritable débauche de discours et de manifestations nationalistes.

Le but principal du patriotisme et du nationalisme est d’affaiblir la conscience de classe, dans l’esprit des travailleurs, en créant l’illusion d’une communauté d’intérêts de « toute la nation » – riches comme pauvres, exploiteurs comme exploités. Aujourd’hui, en France, cette manœuvre se prolonge d’une stratégie de division du mouvement ouvrier suivant des lignes ethniques. L’éloge de la « nation » est une forme de propagande raciste à peine voilée. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs nettement levé ce voile en créant un « Ministère de l’immigration et de l’identité nationale ».

Ségolène Royal et les symboles nationaux

Comme le montre leur histoire, les grandes organisations de la classe ouvrière ne sont pas immunisées contre le poison du chauvinisme et du nationalisme. Ces organisations n’existent pas dans le vide. Elles subissent la pression de l’opinion publique « officielle ». Elles sont pénétrées par le souffle corrupteur du capitalisme – en particulier à leurs sommets. Le nationalisme y est, à des degrés divers, le complément naturel du réformisme. Ces sont les deux facettes d’une même capitulation politique aux intérêts de la classe dirigeante.

L’actuelle direction du Parti Socialiste se caractérise par une complète soumission aux intérêts fondamentaux du capitalisme français. Son programme ne peut même pas être sérieusement qualifié de réformiste – faute de véritables réformes. Aussi a-t-elle cherché à recouvrir ce néant d’éléments du folklore nationaliste : la Marseillaise et le drapeau tricolore. Plutôt que d’arracher le masque nationaliste de Sarkozy et de tracer une ligne nette entre les classes sociales, Royal a tenté de concurrencer la droite sur le terrain de « l’identité nationale ». Mais les travailleurs influencés par la propagande nationaliste auront, comme toujours, préféré l’original à la copie.

Les dirigeants du Parti Socialiste ont essayé de justifier les propos de Ségolène Royal de la façon suivante : « Nous ne mettons pas, dans le drapeau tricolore et la Marseillaise, le même contenu que la droite. Ce sont les symboles des révolutionnaires de 1793, et c’est à cela que nous faisons référence ». On entend ce même argument chez certains militants communistes. Que vaut-il ?

C’est bien sous le drapeau tricolore que la bourgeoisie – grâce à l’action des masses révolutionnaires – brisa la résistance de l’ordre féodal, en 1793. Cependant, la révolution française ne mit pas un terme à l’oppression de classe. En ouvrant la voie au développement du système capitaliste, elle donna jour à une nouvelle forme d’exploitation : celle du salariat par les propriétaires capitalistes. En 1793, la classe ouvrière, au sens moderne du mot, n’existait que sous une forme très embryonnaire. Mais au XIXe siècle, sous l’impulsion économique du capitalisme, cette classe se développe très rapidement et commence à intervenir avec des revendications et des organisations indépendantes, et donc nécessairement avec ses symboles propres. Le drapeau rouge et L’Internationale correspondent à l’émergence du mouvement ouvrier comme une force sociale séparée de la bourgeoisie et opposée à elle. Ils symbolisent la tradition communiste et internationaliste du mouvement ouvrier, et permettent de marquer d’une façon simple – un chant, une bannière – le ralliement des opprimés à la cause du socialisme.

Dès juin 1848, la jeune classe capitaliste levait le drapeau tricolore sur les cadavres des travailleurs parisiens, dont l’insurrection fut impitoyablement matée. Au lendemain de cette défaite sanglante, Karl Marx tirait la conclusion suivante : « Le triomphe momentané de la force brutale est payé […] par la scission de la nation française en deux nations, la nation des possédants et la nation des travailleurs. La république tricolore n’arbore plus qu’une seule couleur, la couleur des vaincus, la couleur du sang, elle est devenue la république rouge. »

Ces lignes de Marx prirent tout leur sens 23 ans plus tard, lors de la Commune de Paris (1871), dont Engels parla en ces termes : «  Le peuple de Paris arborait le drapeau rouge, en défi à la fois au drapeau tricolore français qui flottait à Versailles et au drapeau tricolore allemand qui flottait sur les forts occupés par les Prussiens. [...] Ce qui fait la grandeur historique de la Commune, c’est son caractère éminemment international. C’est ce défi hardiment jeté à tout sentiment de chauvinisme bourgeois. La classe ouvrière de tous les pays ne s’y est pas trompée. Que les bourgeois célèbrent leur 14 juillet ou leur 22 septembre. La fête de la classe ouvrière, partout et toujours, sera le 18 mars ! »

N’est-ce pas clair ? Après les révolutions de 1848 et de 1871, le drapeau tricolore passe définitivement dans le camp des oppresseurs. Les travailleurs, lorsqu’ils se soulèvent, lui opposent désormais leur drapeau, celui de l’internationalisme et du socialisme – le drapeau rouge, qui déclare la guerre aux capitalistes et ne connaît pas de frontières.

Au passage, on voit combien est fausse l’idée selon laquelle « il ne faut pas abandonner le drapeau tricolore à la classe dirigeante ». Bien au contraire ! Non seulement les socialistes et les communistes doivent abandonner aux capitalistes ce drapeau souillé de tous leurs crimes, mais notre rôle est précisément de lutter contre tout ce dont l’histoire a chargé ce drapeau : l’impérialisme, la haine raciale, la répression des organisations ouvrières, etc. Il faut tracer une ligne nette entre les idées, les principes, les symboles de notre classe – et ceux de la classe dirigeante. C’est la seule façon efficace de contrer la propagande nationaliste de cette dernière.

Trahisons

Chaque fois que, dans l’histoire, les dirigeants des grandes organisations du salariat ont agité le drapeau tricolore, c’était pour trahir la cause des travailleurs. Ce fut le cas en 1914, lorsque les dirigeants de la SFIO – l’ancêtre du PS – ont brusquement rallié la « cause nationale » de la guerre impérialiste, c’est-à-dire les intérêts et les objectifs de la classe capitaliste française. Et lorsqu’en 1936, la direction du PCF a imposé La Marseillaise et le drapeau tricolore dans ses cortèges et réunions publiques, elle donnait suite à un accord signé entre Staline et les impérialistes français, en vertu duquel l’Internationale Communiste s’engageait à ne pas gêner « la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sécurité. » En d’autres termes, la direction du PCF renonçait officiellement à renverser le capitalisme français, au seuil de la deuxième guerre mondiale.

A l’époque où l’Internationale Communiste était dirigée par Lénine et Trotsky, il eut été inconcevable qu’une de ses sections nationales brandisse un autre drapeau que le rouge. Ceci-dit, la question du drapeau ne dépasse pas, pour ainsi dire, le domaine du symptôme. En levant le drapeau de l’adversaire, les dirigeants socialistes et communistes n’ont fait qu’illustrer leur renoncement à transformer la société. Et c’est avant tout cette transformation révolutionnaire de l’ordre social que nous devons inscrire sur notre bannière, dans notre propagande et dans toute notre activité au sein de la jeunesse et du salariat. Pour cela, nos grandes organisations de gauche doivent abandonner, non seulement les symboles, mais surtout les idées réformistes et nationalistes – et renouer avec les seules idées à la hauteur de notre combat : celles de l’internationalisme révolutionnaire.

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