La représentation des salariés dans les entreprises est remise en cause par le nouveau ministre du Travail, François Rebsamen [en photo avec Pierre Gattaz]. En ouvrant la porte au gel et au relèvement des « seuils sociaux », le ministre a suscité l’hostilité de la CGT et les louanges du MEDEF, ce qui devient une habitude pour les membres de ce gouvernement. Sous prétexte de lutte contre le chômage, il s’agit en réalité d’une offensive contre les conditions de travail des salariés et la capacité de résistance des syndicats. C’est pourquoi il est nécessaire de connaitre ces seuils sociaux pour mieux les défendre.

Des outils au service des salariés

Un seuil social est un effectif de salariés à partir duquel l’employeur doit mettre en place de nouvelles dispositions en faveur de ces derniers. Dans le discours du MEDEF et de François Rebsamen, ce sont surtout les seuils sociaux obligeant à mettre en place des Institutions Représentatives du Personnel (IRP) qui sont visés. En effet, à partir de 11 salariés, toute entreprise doit être dotée de Délégués du Personnel (DP) ; à partir de 50, elle doit également mettre en place un Comité d’Entreprise (CE) et un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT).

Cette hostilité envers les représentants du personnel n’est pas accidentelle. L’élection de délégués du personnel, par exemple, oblige l’employeur à organiser des réunions mensuelles avec eux pour faire valoir les réclamations des salariés. Le DP dispose d’un crédit d’heures pour remplir sa mission, ainsi que de différents pouvoirs d’investigation et d’alerte. Ils ont été créés en 1936, à la signature des accords de Matignon, qui faisait suite à la grève générale de juin et à la victoire électorale du Front Populaire.

Le CE – dans les entreprises de plus de 50 salariés – a été créé après la Seconde Guerre mondiale pour obliger les employeurs à communiquer des informations économiques aux représentants des salariés, ce qui permet souvent aux syndicats de tirer la sonnette d’alarme ou de réagir plus rapidement à un projet de licenciement collectif. De plus, le CE est chargé de gérer les œuvres sociales et culturelles pour les salariés ; sa création oblige donc le patron à y consacrer un budget.

Enfin le CHSCT a été généralisé à partir de 1982, lors du premier septennat de François Mitterrand. Il a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail. Il dispose de moyens supplémentaires par rapport aux DP. Il peut, par exemple, mandater un expert aux frais de l’employeur s’il constate un risque important pour la sécurité ou en cas de projet de modification conséquente des conditions de travail (changement d’outillage, modification des cadences ou des normes de productivité...).

Ces IRP sont donc autant d’outils qui limitent – fut-ce à la marge – l’exploitation des salariés en faisant valoir leurs réclamations, en obtenant des informations ou en augmentant leur salaire indirect.

Le produit d’un rapport de forces entre les classes

Le patronat, la droite et le ministre « socialiste » du travail expliquent que ces obligations envers les salariés pèsent sur l’emploi, car elles exerceraient un « effet de seuil » négatif. En substance, les employeurs voudraient bien embaucher plus, mais « craignent » que le franchissement des seuils de 11 ou 50 salariés leur cause des contraintes insurmontables pouvant aller – quelle horreur ! – jusqu’à faire augmenter les dépenses salariales de 4 %, c’est-à-dire augmenter la part de la richesse créée qui revient, directement ou indirectement, aux travailleurs.

L’idée serait soit de suspendre pendant un certain temps la création de nouvelles IRP pour les entreprises qui franchiraient le seuil de 11 ou 50 salariés, soit de les rehausser, par exemple en faisant passer le seuil de 50 à 75 salariés pour la création d’un CE, voir de faire les deux. « Supprimez la barrière des seuils sociaux et, promis juré, nous embaucherons », nous disent en substance Pierre Gattaz et ses compères du MEDEF. On connaît déjà bien la valeur de ce genre de promesses : aucune.

L’argumentation économique en faveur de cette revendication patronale est de toute façon de peu de valeur. Ce qui détermine avant toute chose le niveau d’embauche, c’est le carnet de commandes à court terme et les perspectives d’extension du marché à long terme. Imagine-t-on qu’un employeur refusera une grosse commande, génératrice de gros profits, par peur de devoir embaucher, de franchir un seuil social et de devoir ainsi redistribuer une petite partie de ce profit supplémentaire aux salariés ? Ce serait là un bien mauvais calcul, même d’un point de vue capitaliste.

Aujourd’hui, en France, 80 % des entreprises employant des salariés (hors agriculture) ont un effectif inférieur à 10 salariés [1] – et ne sont donc concernées par aucun « seuil social ». Le déclin continu de la part du capitalisme français dans le marché mondial ajouté à la crise économique, qui entraîne une baisse de la demande et donc une réduction des marchés, fait que l’on imagine mal un boom des commandes qui amènerait ces petites entreprises à embaucher et à franchir allègrement les différents « seuils sociaux ».

En revanche, 77 % des salariés français travaillent dans une entreprise de 10 salariés ou plus, les grands groupes pouvant atteindre des effectifs colossaux. La hausse des seuils sociaux ou leur suspension concernera donc une majorité des salariés.

L’existence de représentants du personnel, disposant de différents moyens mis obligatoirement à leur disposition par l’employeur, est un produit du rapport de force entre les classes. Il s’agit de « bases avancées » au sein de l’entreprise pour permettre aux travailleurs de mieux organiser leurs luttes. Diminuer le nombre ou les moyens des IRP, c’est s’attaquer à la capacité d’organisation du salariat.

La capitulation du gouvernement face aux exigences des capitalistes

Comme cela a été dit plus haut, la soif de profit des actionnaires et les perspectives négatives pour l’économie mondiale interdisent toute création massive d’emploi. Une modification des seuils sociaux n’y changera rien.

L’objectif véritable de cette attaque contre les droits des travailleurs n’a rien à voir avec la « lutte contre le chômage ». Il s’agit simplement d’une nouvelle capitulation du gouvernement devant les exigences des grands capitalistes, qui souhaitent autant que possible extirper les syndicats de l’entreprise. Imposer leur disparition totale est exclu à ce stade ; cela entrainerait une explosion sociale sans précédent. Les capitalistes se « contentent » ainsi d’exiger un premier recul, qui en appellera d’autres par la suite. Sous l’effet de la crise mondiale du capitalisme, le patronat doit revenir sur toutes les conquêtes sociales du passé pour tenter de maintenir ses taux de profit. Aucun des sacrifices consentis aujourd’hui par les salariés ne sera payé en retour. Prétendre le contraire, c’est soit mentir, soit être aveugle.

Hollande et son gouvernement « socialiste » endossent le rôle d’Edward Smith, le capitaine du Titanic, menant au désastre ceux qui leur ont fait confiance : les salariés. Cependant, si Edward Smith commit effectivement des erreurs désastreuses, il fit preuve de courage et tenta de sauver le maximum de ceux dont il avait la charge, périssant dans la tentative. Pour sa bravoure, il fut honoré après sa mort. Hollande, Valls et leurs ministres s’accrochent eux aussi désespérément à un navire qui sombre : le capitalisme. Cependant, à la notable différence du capitaine Smith, ils préfèrent jeter marins et passagers par-dessus bord pour tenter de maintenir le bateau et les officiers en sécurité. Leur sort final ne sera sans doute pas plus enviable que celui du capitaine du Titanic, mais il paraît peu probable que quiconque honore leur conduite.

Les travailleurs et leurs syndicats – du moins les plus combatifs – savent à quoi s’en tenir quant aux promesses du patronat et des politiciens à son service. Ils n’ont nullement l’intention de se laisser faire. Réagissant à la « proposition » du gouvernement, la CGT, par la voix de son secrétaire général, a déjà fait savoir qu’elle ne « négocierait rien » sur les seuils sociaux. Effectivement, face à un adversaire qui vous « propose » de faire quelques pas en arrière pour pouvoir plus facilement vous balancer par-dessus le bastingage, il n’y a rien à négocier, il n’y a qu’à se battre.


 

[1Les données citées ici sont extraites de l’article de l’INSEE, « Unités légales selon le nombre de salariés et l’activité en 2012 », consultable sur le site www.insee.fr

 

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