Le 24 novembre, sur une proposition de la France insoumise, l’Assemblée nationale a voté pour l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, avec une majorité écrasante de 337 voix pour et 32 contre. Mathilde Panot (FI) s’est félicitée de ce qu’elle a qualifié de « signal historique envoyé à toutes les femmes de notre pays ». Est-ce que, pour autant, cela représente une avancée réelle ?

Compromis

Cette proposition de loi tient en une phrase : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Sa brièveté même est le résultat d’un compromis entre les partis de la Nupes et les autres forces politiques de l’Assemblée nationale. A l’origine, la proposition de loi tenait en deux phrases : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » Mais c’en était trop pour la droite, y compris pour les macronistes. Aussi cette formulation a-t-elle été vidée de sa maigre substance. L’accès à la contraception en a été retiré, notamment.

Au final, cette proposition de loi ne contient aucune avancée concrète. La durée maximum légale pour pratiquer une IVG reste la même : 14 semaines, contre 18 en Suède ou 22 aux Pays-Bas. La « clause de conscience » reste en vigueur : elle autorise les médecins à refuser de pratiquer un acte médical «contraire à [leurs] propres convictions », même si cet acte est légal. Le Code de la santé publique va même plus loin en affirmant qu’un praticien n’est « jamais tenu de pratiquer une IVG ». Résultat : pour les femmes souhaitant avorter, la première épreuve consiste bien souvent à trouver un médecin prêt à les y aider.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce texte de la Nupes ait été approuvé par la majorité présidentielle. Et si 23 députés du RN s’y sont opposés, 32 ont voté pour, dont Marine Le Pen.

Soit dit en passant, malgré cet appui quasi-unanime de l’Assemblée nationale, cette proposition a peu de chances d’aboutir. Dans le système législatif français, le « bloc de constitutionnalité », qui comprend la Constitution de 1958 et plusieurs textes «à valeur constitutionnelle» (comme le préambule de la Constitution de 1946), est difficile à modifier. L’amendement approuvé en novembre doit encore être adopté par le Sénat, qui avait repoussé un amendement presque identique en octobre dernier…

« Effectivité » ?

Même si cet amendement était adopté, il ne changerait strictement rien à l’accès réel à l’IVG. Les députés de la Nupes peuvent bien se féliciter d’avoir « envoyé un signal à toutes les femmes », il faut rappeler que de nombreux principes inscrits dans la Constitution ne sont jamais appliqués. Par exemple, le préambule de la Constitution de 1946 affirme que tout être humain a le « droit d’obtenir un emploi », ce qui ne change rien au sort des millions de chômeurs que compte notre pays. De même, l’amendement sur l’IVG a beau défendre « l’effectivité » de ce droit, c’est précisément cette effectivité qui recule depuis un certain nombre d’années.

Le gouvernement Macron a voté pour cet amendement à l’Assemblée nationale, mais l’ensemble de sa politique va dans le sens opposé. Dès 2017, Macron a baissé de 25 % le budget du secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes. De plus, les politiques d’austérité mises en œuvre par son gouvernement – et par ceux qui l’ont précédé – ont multiplié les obstacles à l’accès à l’IVG. Depuis 15 ans, le Planning familial a dénombré la fermeture de près de 130 centres d’IVG, et a subi des baisses régulières de ses subventions.

En trouvant une formulation permettant à la majorité présidentielle de s’associer à cet amendement, la Nupes a offert aux macronistes une occasion de se donner des airs progressistes, à peu de frais. Marine Le Pen elle-même n’a pas laissé passer l’occasion, alors qu’en 2012 elle dénonçait les soi-disant « avortements de confort » et n’excluait pas de dérembourser l’IVG.

Au lieu de se lancer dans des « avancées » en trompe-l’œil, la Nupes devrait dénoncer l’hypocrisie de ce gouvernement, qui défend les droits des femmes en paroles mais les attaque en pratique. Surtout, la Nupes devrait lutter pour défendre les moyens réels d’accès à l’IVG : contre les baisses de subventions au Planning familial et les fermetures de centres hospitaliers, pour l’abolition de la « clause de conscience », pour l’extension du droit à l’IVG, etc.

Sous le capitalisme, aucun droit, même inscrit dans la Constitution, n’est jamais « garanti ». Pour que toutes les femmes puissent réellement disposer de leur corps, il faudra en finir avec le système capitaliste lui-même.