La Banque de France a de nouveau révisé à la baisse ses prévisions pour l’économie française : en 2023, l’évolution du PIB se situerait entre une baisse de 0,5 % et une croissance de 0,8 %. Les analystes de la Deutsche Bank, eux, estiment que le PIB français pourrait reculer de plus de 1 %. Cela se traduirait fatalement par une nette augmentation du chômage et de la pauvreté.

En fait, l’économie mondiale est tellement fragile, tellement criblée de dettes et de déséquilibres, que la France pourrait glisser dans une récession encore plus sévère. Divers « accidents » peuvent aggraver brutalement la situation. Il y a le cours de la guerre en Ukraine, bien sûr, dont l’évolution peut avoir des conséquences plus ou moins sévères sur les économies européennes. Cependant, cette guerre est loin d’être la seule source de possibles accidents.

Par exemple, la nouvelle Première ministre britannique, Liz Truss, a étonné son monde en annonçant, fin septembre, un plan de baisses drastiques des impôts (surtout pour les plus riches, bien sûr), dans le contexte d’un énorme endettement public de la Grande-Bretagne. Loin de se réjouir de ces annonces, les grands capitalistes britanniques et les marchés internationaux ont réagi d’une façon très négative. La livre sterling est immédiatement tombée à son plus bas niveau historique face au dollar. Au pouvoir depuis à peine un mois, Liz Truss est sermonnée par le Fonds Monétaire International sur un ton habituellement réservé aux anciennes colonies. Le FMI redoute que la politique insensée du gouvernement britannique ne précipite une crise financière de grande ampleur.

La bataille des retraites

C’est dans ce contexte récessif et très instable que le gouvernement Macron a précisé sa nouvelle offensive contre nos retraites. L’âge légal du départ à la retraite serait repoussé de quatre mois, chaque année, pour atteindre 65 ans en 2031 (contre 62 ans aujourd’hui, sauf exceptions).

Ces 30 dernières années, de nombreux gouvernements se sont attaqués au système des retraites. Ces offensives ont souvent suscité des mouvements de masse. En décembre 1995, le plan Juppé – qui s’attaquait, entre autres, aux retraites des fonctionnaires – a été balayé par une puissante grève reconductible de toute la Fonction publique et d’une fraction du secteur privé. En mars 2020, la crise du Covid a obligé Macron à enterrer sa contre-réforme des retraites, après plusieurs mois de luttes. Mais pour le reste, les gouvernements sont allés de victoire en victoire sur cette question, malgré des millions de manifestants dans les rues à plusieurs reprises.

Nous l’avons dit et répété dans les pages de ce journal : les « journées d’action » syndicales, aussi massives soient-elles, ne peuvent pas faire reculer le gouvernement. Et comme ces journées d’action sont inefficaces, elles mobilisent de moins en moins, logiquement. Le 29 septembre dernier, par exemple, est passé largement inaperçu.

Le gouvernement ne reculera que face au développement d’un vaste mouvement de grèves reconductibles embrassant un nombre croissant de secteurs. Or les directions confédérales du mouvement syndical refusent de le reconnaitre, de l’expliquer – et donc de préparer sérieusement notre classe à un mouvement de ce type. C’est là un obstacle important, mais un obstacle seulement relatif. La passivité et la modération des directions syndicales ne peuvent pas empêcher la colère sociale de s’exprimer sous une forme radicale, tôt ou tard. On l’a vu avec le mouvement des Gilets jaunes en 2018 et 2019.

Ces vingt dernières années, toutes les conditions d’un nouveau Mai 68 se sont accumulées. La crise inflationniste est désormais l’une de ces conditions. Elle se traduit déjà par un nombre important de grèves dans les entreprises, et elle renforce la possibilité d’une explosion sociale à l’échelle nationale. C’est d’ailleurs ce qui explique les hésitations et les divisions de la majorité gouvernementale sur l’agenda des contre-réformes à venir.

La marche du 16 octobre

A l’initiative de la France insoumise (FI), une « marche contre la vie chère et l’inaction climatique » aura lieu à Paris le 16 octobre. Révolution appelle ses lecteurs à y participer et à mobiliser autour d’eux. Non que cette marche, à elle seule, puisse faire reculer le gouvernement. Mais dans la mesure où elle vise toute la politique réactionnaire de Macron, elle prend un caractère politique et offensif qui la distingue favorablement des journées d’action « strictement syndicales ». Mélenchon le dit dans sa note de blog du 30 septembre : le 16 octobre sera « une mise en cause globale de la politique du régime macroniste ».

Dans la même note, Mélenchon évoque la possibilité d’une dissolution de l’Assemblée nationale – brandie un instant par Macron – et donc d’élections législatives anticipées. Il affirme à ce propos : « Dissoudre nous donnerait l’occasion de voir pulvériser les partis du président. Nous pourrions gagner et notre programme s’appliquerait. Une droite républicaine pourrait renaitre. La lourde connivence du RN avec la macronie pourrait être punie par le peuple que Marine Le Pen a trahi en ne votant pas la censure ou en refusant l’augmentation du SMIC ! ».

Nous ne partageons pas l’étrange espoir d’une « renaissance » de la « droite républicaine ». A notre humble avis, les héritiers de Juppé, Chirac et Sarkozy peuvent tous aller au diable. Mais surtout, les perspectives formulées par Mélenchon font l’impasse sur plusieurs facteurs politiques importants.

Lorsque Macron « menace » de dissoudre à court terme, il n’est pas sérieux, car il sait que son parti sortirait laminé d’élections anticipées. Par ailleurs, ni le RN, ni les Républicains n’ont intérêt, dans l’immédiat, à provoquer une chute du gouvernement via une motion de censure votée avec la NUPES. Une dissolution ne serait donc possible que sous l’impact d’un puissant mouvement de la jeunesse et des travailleurs. Seules des luttes massives peuvent contraindre le pouvoir – ou la droite parlementaire – à déclencher des élections législatives anticipées.

Cependant, cette perspective soulève d’autres questions. Mélenchon écrit : « nous pourrions gagner [les élections] et notre programme s’appliquerait ». Par « nous », il veut dire : la NUPES. Or, quoi qu’en dise le dirigeant de la FI, la NUPES n’a pas créé de dynamique électorale en juin dernier. Au contraire : il y a eu un million de voix de moins, à gauche, qu’aux législatives de juin 2017. Certes, l’alliance dès le premier tour avec le PS et les Verts a permis d’obtenir un plus grand nombre de sièges qu’en 2017. Mais elle n’a pas suscité d’enthousiasme dans la masse des exploités et des opprimés : le PS et les Verts y sont très discrédités. Or le discrédit de ces deux partis – que leurs dirigeants entretiennent par une implacable modération – mine toujours autant le potentiel électoral de la NUPES. A cela s’ajoutent les déclarations régulières et lamentables de Fabien Roussel (PCF).

Par ailleurs, lorsque Mélenchon affirme que « la lourde connivence du RN avec la macronie pourrait être punie par le peuple que Marine Le Pen a trahi en ne votant pas la censure ou en refusant l’augmentation du SMIC », il néglige un facteur qui pèse beaucoup plus lourd, dans l’électorat populaire, que les cachoteries du RN à l’Assemblée nationale : Marine Le Pen n’est pas et n’a jamais été au pouvoir. En Italie, ce fut l’avantage principal de Meloni et de son parti d’extrême droite, qui vient d’y remporter les élections législatives.

En l’absence d’une alternative de gauche suffisamment radicale (et la NUPES, par essence, ne l’est pas), c’est l’extrême droite qui risque de profiter, sur le plan électoral, de la profonde crise économique et sociale. Du moins jusqu’à ce qu’elle se discrédite elle-même une fois arrivée au pouvoir, comme l’Italie ne tardera pas à le montrer. Mais si nous voulons éviter cette étape de l’extrême droite au pouvoir, en France, la direction de la FI doit commencer par cesser de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, c’est-à-dire la NUPES pour « un outil puissant et influent » qui défend « une ligne de rupture avec le système » [1].

La « ligne de rupture » doit viser le système capitaliste, dont les dirigeants du PS et des Verts sont les chantres endurcis. C’est donc d’abord à la FI de défendre clairement cette ligne, si elle veut briser la dynamique de l’extrême droite.


[1] Même note de blog de Mélenchon.


Sommaire

Peuple au bord de la crise de nerfs - Edito du n°64
Mes conditions de travail chez McDonald’s
A six mois du Congrès de la CGT
Sécheresse inédite en région PACA
A propos du mot d’ordre : « taxer les super-profits ! »
Les ravages de l’industrie brassicole en Afrique
Où en est la guerre en Ukraine ?
Italie : la victoire de Meloni et la tempête à venir
A paraître : Histoire de la philosophie – Un point de vue marxiste
Pourquoi sommes-nous communistes ?
Le rôle du journal politique