M i-janvier, Oxfam publiait un nouveau rapport sur les inégalités dans le monde. On y apprend que « la fortune des milliardaires (…) a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie. » La croissance des inégalités a donc très nettement accéléré. Depuis mars 2020, la planète compte un nouveau milliardaire toutes les 26 heures, en moyenne. Dans le même temps, plus de 160 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté.

Oxfam souligne les performances des milliardaires français. Entre mars 2020 et octobre 2021, leur fortune a augmenté de 86 %, soit la modique somme de 236 milliards d’euros. C’est près de 10 % du PIB du pays. Le processus de concentration des richesses, que Marx avait anticipé, atteint des proportions de plus en plus vertigineuses.

Cette situation fragilise la classe dirigeante, politiquement. Prenons un exemple. En 2021, le déficit de la Sécurité sociale – qui bat des records du fait de la pandémie – a atteint près de 40 milliards d’euros. Ce fameux « trou de la Sécu », qui sert habituellement à justifier les politiques d’austérité, représente seulement 17 % des 236 milliards d’euros, c’est-à-dire du surplus de fortune accumulé, en 20 mois, par une centaine d’individus – exactement 109 en juillet 2021, selon Challenges.

Autre exemple. Les politiciens bourgeois exigent des mesures implacables contre la « fraude aux prestations sociales ». A les entendre, c’est un gouffre qui menace d’engloutir la civilisation humaine. Pourtant, selon les chiffres officiels de la Caisse nationale des allocations familiales, cette fraude s’élèverait en 2019 à 2,3 milliards d’euros, soit moins de 1 % des 236 milliards d’euros « gagnés » par les milliardaires français.

Quand leur niveau de vie progresse, même lentement – ou, tout au moins, quand il ne régresse pas –, la plupart des travailleurs tolèrent l’existence de ces parasites géants qui se gorgent de milliards. Le mode de vie des grands capitalistes ne leur inspire ni jalousie, ni envie. Ils aspirent à une vie « normale », tranquille, fondée sur la sécurité de l’emploi, des conditions de travail correctes, de bons services publics et un salaire décent. Mais lorsque la crise du capitalisme les prive de ces conditions élémentaires d’une vie tranquille, lorsque leur niveau de vie régresse durablement, les travailleurs considèrent avec une hostilité croissante l’accumulation de richesses colossales par un petit nombre d’exploiteurs. C’est précisément ce qui se passe actuellement – et c’est lourd d’implications révolutionnaires.

Impact économique et social

Dans l’immédiat, la flambée des prix de l’électricité, du gaz, de l’essence et d’autres biens de première nécessité frappe la masse des salariés. Leurs salaires réels – rapportés à l’inflation – baissent nettement. Sans surprise, cela provoque de nombreuses grèves pour des augmentations de salaire. Sephora, Décathlon, Plastic Omnium, EDF, Enedis, GRDF, RTE, Castorama, Leroy Merlin, Lapeyre, Brico-Dépôt, Dassault aviation, Cémoi, Merlin Gérin, Kronenbourg : toutes ces entreprises – et bien d’autres – ont connu ou connaissent des grèves pour obtenir des augmentations de salaire.

Cette vague de grèves va se poursuivre et peut-être même s’amplifier, dans les mois à venir, car on voit mal comment l’inflation pourrait refluer à court terme. Comme l’écrit Le Figaro du 26 janvier, « l’inflation (…) pourrait se prolonger tout au long de l’année, ce que n’anticipait pas le FMI en octobre, à l’instar de la plupart des banquiers centraux, qui qualifiaient la hausse des prix de “phénomène transitoire”. » Ainsi, la soi-disant « transition » s’installe durablement, ce qui est conforme à ce nous écrivions en novembre dernier : « Plusieurs facteurs concourent à inscrire cette tendance inflationniste dans la durée : la reprise économique (marquée par un rebond de la demande), la pénurie de composants et de matières premières, le chaos qui règne dans les circuits d’approvisionnement internationaux, mais aussi les gigantesques quantités de liquidités dont les Etats et les Banques Centrales ont inondé l’économie mondiale depuis la crise de 2008. »

Pour tenter de faire baisser cette pression, les Banques Centrales n’auront pas d’autre choix que d’augmenter leurs taux d’intérêt et de diminuer drastiquement – voire d’interrompre – leurs programmes de rachats massifs de titres de dettes publiques. Or c’est précisément ce que redoutent les marchés financiers, qui sont drogués aux liquidités gratuites. En annonçant un resserrement de sa politique monétaire, la Réserve Fédérale américaine a précipité une chute significative des bourses mondiales, fin janvier.

L’économiste Marc Touati s’en félicite : « la Bourse va mécaniquement se reconnecter à la réalité économique, et notamment au ralentissement de la croissance mondiale qui se met en place pour 2022 » Il ajoute que cela permettra aux marchés boursiers de « repartir sur des bases plus saines en 2023 ». Le problème, c’est que la « réalité économique », au niveau mondial, est minée par des contradictions et des dettes gigantesques, de sorte que le « ralentissement » annoncé, en 2022, pourrait être le prélude d’une nouvelle récession mondiale, sur fond de crise financière. Quoi qu’il en soit, une nouvelle récession est inévitable, à terme.

Impact politique

En attendant, l’inflation impose la question du pouvoir d’achat comme un thème central de l’élection présidentielle. Contrairement à ce qu’elles espéraient, la droite et l’extrême droite ne pourront pas seulement parler d’islam, d’immigration et d’insécurité. Elles doivent bricoler des mesures censées augmenter les salaires – sans toucher à un centime du grand Capital.

Valérie Pécresse annonce qu’elle baissera de 2,4 % les cotisations sociales de tous les salariés. « De quoi remonter immédiatement les salaires nets de 3 % », triomphe Frédéric Lemoine, le directeur du programme de Pécresse. Cela coûterait à l’Etat 7 milliards d’euros. Mais comme Pécresse veut aussi réduire la dette publique, elle récupèrera ces 7 milliards sous la forme d’impôts et de coupes franches dans les dépenses publiques. Autrement dit, elle reprendra de la main droite ce qu’elle aura donné de la main gauche. En fait, elle prévoit de reprendre beaucoup plus qu’elle ne donnera. Tous les programmes de la droite et de l’extrême droite seront taillés sur ce modèle.

A gauche, les candidats proposent des augmentations de salaire financées non par l’Etat, mais par le patronat. C’est bien, mais pour éviter que des augmentations de salaire soient effacées par de nouvelles augmentations des prix, il faut une indexation des salaires sur l’inflation. Les retraites et l’ensemble des prestations sociales doivent être intégrés à ce système.

Ceci étant dit, la profonde crise du capitalisme français – qui recule depuis de nombreuses années, face à ses concurrents – signifie que la bourgeoisie résistera de toutes ses forces à un transfert de richesses de ses poches vers les poches des travailleurs, des chômeurs, des jeunes et des retraités. De fait, la classe dirigeante française a objectivement besoin d’une destruction systématique de nos acquis sociaux. Il y a là une contradiction fondamentale que les dirigeants de la gauche réformiste ne résolvent pas. Hidalgo, Jadot et Taubira ne veulent même pas la voir. Leur programme vise à satisfaire en même temps les aspirations de la classe dirigeante (pleinement) et celles des travailleurs (très modérément). On sait comment tout ceci se termine, une fois au pouvoir : la politique réactionnaire du gouvernement Hollande en a donné une illustration limpide, entre 2012 et 2017.

Le programme de la France insoumise est beaucoup plus offensif. Les mesures qu’il défend visent une très nette augmentation du niveau de vie de l’écrasante majorité de la population, au détriment des plus riches. C’est pourquoi Révolution soutient le candidat de la FI. Dans le même temps, nous insistons sur le fait qu’il ne sera pas possible d’appliquer ce programme dans le cadre du système capitaliste. La bourgeoisie ne se laissera pas faire. Elle exercera des pressions colossales sur le gouvernement de la FI. Et comme nous l’expliquons dans notre longue Critique marxiste du programme de la FI, un gouvernement Mélenchon n’aura pas d’autre choix, s’il veut appliquer son programme, que de passer à l’offensive, c’est-à-dire de nationaliser les grands leviers de l’économie, de façon à priver la bourgeoisie de ses moyens de pression. A défaut, « l’insoumission » prendra nécessairement le chemin de la capitulation.


Sommaire

Contre la vie chère et le capitalisme ! - Edito du n°58
Mobilisation des salariés de la Santé et de l’Action sociale
Ouvrier boucher dans la grande distribution
Pass vaccinal : Macron « emmerde » les pauvres (on le savait)
A propos de la candidature de Fabien Roussel
Que signifient les tensions autour de l’Ukraine ?
Les sources du soulèvement populaire au Kazakhstan
Pfizer : cynisme et profits monstrueux
Les racines philosophiques du marxisme
Nouvelle brochure : Critique marxiste du programme de la FI
Le programme des Cercles marxistes
Qu’est-ce que l’impérialisme ?

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