A l’heure de boucler ce numéro de Révolution, la dégradation de la situation sanitaire et la saturation du système hospitalier, dans un nombre croissant de départements, orientent le pays vers de nouvelles mesures de confinement. Le gouvernement est obligé, désormais, d’envisager la fermeture des écoles sur au moins une partie du territoire.

Macron voulait à tout prix éviter cette mesure, car les enfants à l’école, c’est les parents au travail, l’économie qui tourne, les profits qui s’accumulent. Bien sûr, il n’a jamais dit les choses ainsi. En maintenant les écoles ouvertes, il a toujours prétendu lutter contre les inégalités et le décrochage scolaires. Il savait qu’un tel discours trouverait un écho – sincère, lui – chez nombre d’enseignants et de parents d’élèves.

A ceux qui n’étaient pas convaincus et, sur la base de diverses études, soulignaient que les établissements scolaires sont d’importants foyers de contamination, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, a opposé un raisonnement qui marque l’un des sommets de l’épidémiologie gouvernementale : « Les enfants qui sont contaminés, la plupart du temps quand on remonte la chaîne de contamination, c’est pas du tout à l’école qu’ils se sont contaminés, ils se sont contaminés en famille. C’est plutôt qu’ils peuvent éventuellement contaminer à l’école quand ils arrivent de leur famille » [1]. Voilà de quoi faire de l’ombre aux dissertations de Sibeth Ndiaye, en mars 2020, sur la « dangerosité » des masques.

De manière générale, la communication gouvernementale est en pleine déroute. Les faits sont têtus et le virus indifférent aux formules rhétoriques. Les soi-disant « mesures de freinage massives » n’ont pas empêché le système hospitalier de rouler vers l’abîme. Par ailleurs, Macron a beau accuser les « bureaucraties » de ralentir la campagne vaccinale, le rythme de cette campagne est strictement limité par le nombre de doses disponibles. Tout le monde le comprend. Et les responsables de la pénurie de doses sont connus. Ce sont les grands capitalistes de l’industrie pharmaceutique, qui ont subordonné les niveaux de production de vaccins à un seul critère : la maximalisation de leurs profits.

Inégalités croissantes

Contrairement à un discours médiatique bien rodé, nous ne sommes pas « tous dans le même bateau ». La crise économique et sanitaire frappe d’abord les plus pauvres et les plus fragiles, comme le montre la situation en Seine-Saint-Denis. Elle aggrave les inégalités sociales. La grande pauvreté a brusquement augmenté, comme en témoignent toutes les associations caritatives.

Selon les estimations définitives de l’Insee, 320 000 emplois ont été détruits dans le secteur privé en 2020. Mais l’Insee précise que, du fait de la violence de la crise, plus de 400 000 personnes sont sorties de ses statistiques. D’innombrables travailleurs précaires – auto-entrepreneurs, intérimaires, salariés non déclarés… – ont perdu tout ou partie de leurs revenus du jour au lendemain.

Et ce n’est que le début. Le chômage et la misère vont encore augmenter, notamment lorsque les mesures de soutien (chômage partiel, etc.) seront complètement retirées. A quoi s’ajouteront les effets négatifs de la réforme de l’assurance chômage.

Pendant ce temps, les entreprises du CAC 40 ont versé 28,6 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, en 2020. Il est vrai que c’est 20,6 milliards de moins qu’en 2019, année record. Mais rassurez-vous : les patrons du CAC 40 promettent publiquement de se rattraper en 2021.

Diversions

Dans ce contexte, le gouvernement et les grands médias intensifient leurs campagnes de diversion massives. Cela fait des décennies que les musulmans, en France, servent de boucs émissaires aux gouvernements successifs. Voile, burka, prières de rues, rayons halal, taille des barbes : tout est bon pour stigmatiser les musulmans – et, « sans amalgame » aucun, bien sûr, les amalgamer au terrorisme islamique.

Logiquement, l’étape suivante de cette campagne, c’est la stigmatisation de tous ceux qui s’opposent à la stigmatisation des musulmans. La boucle est bouclée – et le concept trouvé : « islamo-gauchisme ». Des intellectuels en ont contesté la scientificité. Mais c’est trop demander à une vulgaire opération de propagande réactionnaire, qui en général ne s’embarrasse pas de principes scientifiques. Dans l’esprit du gouvernement, la définition de « l’islamo-gauchiste » est très claire : c’est quiconque, à gauche, s’oppose à la stigmatisation des musulmans. Ce sont tous ceux, par exemple, qui manifestaient contre l’islamophobie, le 10 novembre 2019, suite à l’attentat contre une mosquée à Bayonne. Tous « islamo-gauchistes » ! Dont Révolution, naturellement.

Une fois ouverte cette boîte de Pandore, on doit s’attendre à une prolifération de polémiques d’un ridicule inédit, ce qui n’empêche pas qu’elles soient formulées sur un ton d’une gravité martiale. Ainsi, par exemple, la polémique sur les réunions « non-mixtes » de l’Unef, le syndicat étudiant. Réaction immédiate de Jean-Michel Blanquer (encore lui) : « Les gens qui, se prétendant progressistes, font des distinctions en fonction de la couleur de la peau nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme. C’est extrêmement grave. (…) Je réfléchis à d’éventuelles évolutions législatives pour empêcher cela. » [2] Accuser l’Unef d’ouvrir la voie au fascisme, il fallait oser. Mais Mr Blanquer ose tout ; c’est même à cela qu’on le reconnait.

Bien sûr, il n’y aura ni « évolutions législatives » en la matière, ni dissolution de l’Unef (que demande l’extrême droite). Toute initiative dans ce sens provoquerait une opposition massive dans les rues. Le gouvernement le sait bien. Mais de son point de vue, l’essentiel est ailleurs : dans les bénéfices immédiats de cette opération de diversion réactionnaire. Des jours et des semaines durant, alors que l’épidémie accélérait, que les hôpitaux croulaient sous les malades, que la campagne vaccinale piétinait, que les plans sociaux se succédaient et que toutes les formes de misère sociale se développaient, les grands médias s’offusquaient inlassablement de la vie interne de l’Unef – dont on pensera ce qu’on voudra, mais qui n’est pas responsable des graves problèmes que nous avons énumérés !

Le rôle de la CGT

Bien sûr, le mouvement ouvrier doit fermement dénoncer toutes ces manœuvres de diversion et de division de notre classe. Mais le meilleur moyen de neutraliser ces manœuvres, c’est de passer à l’offensive, de forger l’unité de notre classe dans l’action contre la politique du gouvernement – et pour en finir avec les causes fondamentales du chaos actuel.

En occupant des dizaines de théâtres à travers le pays, les travailleurs de la culture ont envoyé un signal aux salariés de tous les secteurs. Ils nous montrent la voie. Il faut non seulement les soutenir, mais suivre leur exemple.

Du fait de son rôle central dans les luttes sociales en France, la CGT fait face à d’énormes responsabilités. Sa direction confédérale doit élaborer un plan de bataille à la hauteur de la situation. Dans les pages de ce journal, nous avons souvent expliqué quels devraient être, selon nous, les axes programmatiques d’une telle mobilisation de la CGT et de toute la gauche. Cette fois-ci, nous donnons la parole à la CGT Energie de Paris, qui a récemment publié une excellente Adresse solennelle à toutes les structures de la CGT. En voici des extraits :

« Aujourd’hui, à cause de la politique capitaliste menée dans notre pays, toutes les générations se retrouvent sans aucune perspective (…). Si nous ne réagissons pas, nous allons au-devant d’une situation gravissime économiquement, écologiquement et socialement. Pourtant des solutions existent pour une sortie rapide de ce tunnel infernal et mortifère ! La CGT se doit de poser immédiatement des revendications interprofessionnelles claires partout dans le pays. (…)

« Revendiquons la nationalisation totale du secteur de la santé et de la recherche, sous contrôle exclusif des représentants démocratiquement élus des personnels et usagers ! (…)

« Revendiquons la nationalisation et le contrôle exclusif, par les représentants démocratiquement élus des agents et usagers, de tous les secteurs essentiels à la nation : Education nationale, Energie, Banques, Culture, Transports publics, Poste et télécommunications, Autoroutes, Audiovisuel, Grande distribution alimentaire. (…)

« Plus largement, cette phase historique révèle une chose importante que la lutte de classe a toujours mise en avant : seuls les travailleurs sont essentiels à une nation car ils sont les seuls à en produire les richesses. »

Bien dit, camarades !


[1] Le 19 mars sur BFM TV.

[2] Le 19 mars sur RMC. Blanquer était en verve, ce jour-là.


Sommaire

Tous dans le même bateau ? - Edito du n°51
Suppressions d’emplois dans l’aéronautique
Pour la nationalisation du secteur !
Plan social chez Akka, sous-traitant d’Airbus
Casse industrielle dans l’Aveyron
Toulouse : non à la fermeture de l’agence Pôle Emploi Occitane !
Théâtres occupés : les travailleurs de la culture nous montrent la voie !
Contre la réforme de l’assurance chômage : mobilisation !
Révolte populaire au Sénégal
Paraguay : débâcle sanitaire et explosion sociale
Birmanie : le mouvement continue malgré la répression
Les puissances impérialistes refusent de payer pour nourrir le Yémen
Succès de l’Ecole francophone internationale de la TMI !
Où va la CGT ? - Réunion nationale en ligne, le 6 mai 2021
Il y a 40 ans, le premier gouvernement de François Mitterrand
L’égoïsme : un obstacle au socialisme ?

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