La présidentielle de 2017 a plongé Les Républicains dans une crise profonde et durable. Les sondages créditent ce parti d’à peine 10 à 12 % des votes. Les magouilles de Fillon ont joué leur rôle, bien sûr. Le charisme glacial de Wauquiez joue le sien. Mais la crise des Républicains a des causes bien plus profondes. Le grand parti de la bourgeoisie française a beaucoup pâti des mandats de Chirac et, surtout, du mandat de Sarkozy (2007-2012), qui a commencé au seuil de la crise mondiale de 2008. Le chômage et la grande pauvreté ont alors explosé. Incapable d’enrayer la régression sociale (et l’aggravant, même, par sa politique), Sarkozy a vu s’effondrer sa côte de popularité.

Après l’élection de Hollande, en mai 2012, Les Républicains se disaient : « Le PS va décevoir. Dans cinq ans, on reviendra aux affaires ». La première partie du pronostic s’est vérifié ; pas la deuxième. En 2017, une fraction de l’électorat des Républicains s’est portée sur Macron, une autre sur Le Pen. Les frasques de Fillon ont joué le rôle de catalyseur d’un processus politique de fond : le rejet croissant de tous les partis « de gouvernement » associés à la crise et aux politiques d’austérité. A gauche, c’est le PS qui en a fait les frais.

Polarisation

Ce rejet des grands partis traditionnels s’est accompagné d’une polarisation politique croissante – vers la droite et vers la gauche. La FI de Mélenchon a gagné beaucoup d’anciens électeurs du PS. A droite, Marine Le Pen n’a cessé de progresser dans l’électorat populaire. La victoire de Macron, en mai 2017, ne doit pas masquer ce fait majeur : cette élection présidentielle n’a pas été marquée par une progression du « centre », mais par une progression des « extrêmes » (la FI et le FN). En 2017, Mélenchon et Le Pen ont recueilli respectivement 3 millions et 1,3 millions de voix de plus qu’en avril 2012.

Cette polarisation politique est l’axe fondamental de la recomposition de la droite. Le « centre » est un amas de ruines qui va de la droite du PS aux juppéistes en passant par LREM. Ces jeunes et vieilles gloires tenteront sans doute de s’unir sous les mots d’ordre : « A bas les extrêmes ! Vive le statu quo ! » Mais sous l’impact de la crise, la base sociale d’un tel programme fond comme neige au soleil. A droite, c’est du côté du RN de Marine Le Pen que le potentiel électoral est le plus important. Et c’est donc vers l’extrême-droite que s’oriente le chef des Républicains.

La bourgeoisie française ne peut plus compter sur le seul « centre ». Aussi est-elle de plus en plus favorable à un rapprochement des Républicains et du RN. Chacun y met du sien : Wauquiez défend les thèses racistes et sécuritaires du RN. De son côté, le RN abandonne les éléments de son programme qui contredisent les intérêts de la bourgeoisie. Il ne défend plus (ou plutôt, ne fait plus semblant de défendre) la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIC et autres mesures « sociales ». Il a aussi jeté par-dessus bord ses appels à « sortir de la zone euro ». Et pour cause : la grande bourgeoisie française n’a aucun intérêt à sortir de la zone euro. Marine Le Pen le sait et, en femme « de principe », elle en change. A la différence de son père, elle veut exercer le pouvoir. Mais pour cela, elle doit davantage complaire à la bourgeoisie et ménager un terrain d’entente avec les Républicains.

Contradiction

Les médias bourgeois couvent ce processus de leur bienveillance : « Comme le RN a changé ! Comme il est raisonnable et républicain ! ». Mais tout cet enthousiasme ne lève pas la contradiction centrale : plus le RN se « normalise » et se rapproche du programme des Républicains, plus s’efface le profil « antisystème » de Le Pen et sa clique. Or c’est précisément ce profil qui – sur fond de trahisons de « la gauche » – avait permis au RN de capter une fraction croissante de l’électorat le plus pauvre. Autrement dit, la « normalisation » du RN menace son capital politique et électoral. Aussi ce processus pourrait-il connaître différents zigzags et soubresauts.

Les dirigeants de la FI ont bien identifié cette contradiction. Chaque fois que les députés du RN votent avec la droite et contre le peuple, Mélenchon le rend public et en souligne la signification. Il est clair que la FI peut profiter des contradictions du RN pour émerger comme la seule force de masse résolument opposée au « système ». Cependant, il restera à clarifier le contenu programmatique de cette opposition. En l'occurrence, nous pensons que les ambiguïtés du « populisme » – fut-il « de gauche » – doivent céder la place à un point de vue de classe et à un programme de rupture avec le capitalisme. Mais c'est un autre débat...