Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, le gouvernement répond par une répression policière et judiciaire d’une intensité exceptionnelle – ainsi que par des mesures qui, de facto, restreignent le droit de manifester.

Du côté des gilets jaunes, le nombre de blessés, de mutilés et d’éborgnés ne cesse d’augmenter. Mi-janvier, le Ministère de l’Intérieur dénombrait environ 2000 manifestants blessés. Mais plusieurs associations d’observation des violences policières considèrent que le véritable chiffre est bien supérieur.

David Dufresne, écrivain et journaliste indépendant, recense les blessés depuis le 17 novembre. A ce jour (27 janvier), au moins 17 personnes ont perdu l’usage d’un œil et quatre ont eu une main arrachée. Entre 80 et 100 personnes ont reçu un tir de LBD en pleine tête. Bilan : mâchoires cassées, bouches édentées et paralysies du visage. Et cette liste n’est pas exhaustive. En l’espace de deux mois, la répression policière a fait davantage de blessés graves que durant les 20 dernières années !

Le « maintien de l’ordre »

La stratégie de soi-disant « maintien de l’ordre » vise souvent à provoquer une escalade de la violence. Le Ministère de l’Intérieur et les autorités locales usent de techniques visant à « radicaliser » les manifestants, dans le but d’exacerber la répression, en retour. Dans le même temps, ils cherchent à réduire l’ampleur des mobilisations en menaçant l’intégrité physique de tous ceux qui veulent manifester.

Cette stratégie est dénoncée par Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat Vigi-CGT-Police. Par exemple, il explique comment le Préfet de police de Paris organise la nasse des manifestants, en salle de commandement, à l’insu des différents pelotons de CRS présents sur le terrain, auxquels on donne l’ordre de bloquer telle ou telle issue.

Hypocrisie

A force de gazage, de matraquage et autres violences policières délibérées, des gilets jaunes sont exaspérés et perdent leur calme. Le cas de Christophe Dettinger – « le boxeur » – est emblématique. Père de famille luttant, selon ses mots, pour « les retraités, le futur de mes enfants, les femmes célibataires », il n’a pas pu contenir sa colère lorsqu’il a vu un CRS frapper une femme à terre. Il a donc administré à ce dernier une petite leçon de galanterie.

Les jours suivants, sur les plateaux de télévision, un seul cri raisonnait du matin au soir : « A bas la violence ! » (sauf, bien sûr, celle des CRS). « Le boxeur » est devenu la figure du Mal, l’incarnation d’une violence irrationnelle. Et puisqu’elle est irrationnelle, elle n’appelle aucune explication. Expliquer, c’est déjà justifier, c’est même encourager. Une seule position politique est admise : condamner. Condamner fermement et absolument. Malheur à celui qui « condamne, mais... ». Il n’y a pas de « mais » ! Condamne – et tais-toi.

Les dirigeants de la gauche et des syndicats doivent rejeter en bloc cette rhétorique et ces injonctions hypocrites. Comme l’expliquait Lénine au lendemain d’un affrontement entre des ouvriers et la police tsariste, en 1901, « nous avons toujours répété aux ouvriers qu’il est de leur propre intérêt de mener la lutte avec plus de calme et de retenue, de tâcher de mettre les mécontentements de toute nature au service de la lutte organisée du parti révolutionnaire. Mais la principale source qui alimente la social-démocratie révolutionnaire, c’est précisément cet esprit de protestation des masses ouvrières qui, face à l’oppression et la violence qu’elles subissent, ne peut manquer de se libérer de temps en temps par des explosions désespérées. Explosions qui éveillent à la vie consciente les plus larges catégories d’ouvriers (…) et répandent parmi eux une haine profonde contre les ennemis et les oppresseurs de la liberté ».

Répression du mouvement ouvrier

Le 7 janvier, Edouard Philippe annonçait des mesures visant à restreindre le droit de manifester, sous couvert de « maintien de l’ordre ». Il a simplement repris les mesures contenues dans une proposition de loi des Républicains, adoptée par le Sénat le 25 octobre dernier : création d’une interdiction administrative de manifester, ouverture d’un fichier spécifique de manifestants, aggravation des peines complémentaires.

La loi Travail de 2016 avait déjà marqué une étape dans la hausse de la répression policière et judiciaire de tous ceux qui luttent. Une violente campagne de stigmatisation visait les militants de la CGT. Les « casseurs » ont servi de prétexte pour filtrer et encadrer massivement les manifestations. Avec le mouvement des gilets jaunes, cette répression est montée de plusieurs crans.

Face à cette situation, les directions syndicales ne doivent pas se contenter de vagues protestations. La faiblesse invite à l’agression ! En Mai 68, les directions syndicales avaient appelé à une grève générale de 24 h pour protester contre la répression policière des étudiants. Qu’attendent les dirigeants syndicaux, aujourd’hui, pour faire de même ? Face à la violence de l’appareil d’Etat, le mouvement ouvrier doit s’appuyer sur l’indignation qu’elle provoque, dans les masses, pour intensifier la lutte et jeter la classe dirigeante sur la défensive.