Le 31 mai, l’administration de Donald Trump a confirmé la mise en place de droits de douane sur l’acier (25 %) et l’aluminium (10 %) qui seront exportés aux Etats-Unis depuis l’Union Européenne, le Canada et le Mexique, notamment. Ces nouvelles taxes s’appliquent depuis le 1er juin. La Chine y est déjà soumise depuis le 23 mars.

En réponse, l’UE a annoncé des « droits de douane défensifs » visant plus de 300 produits américains. Le Canada et le Mexique annoncent aussi des mesures de rétorsion. En outre, la décision de l’administration américaine a de puissants effets collatéraux. Par exemple, les sidérurgistes européens redoutent que la Chine, bloquée sur le marché américain, déverse des millions de tonnes d’acier et d’aluminium supplémentaires sur les marchés du Vieux Continent. Ils réclament donc à l’UE des mesures protectionnistes contre les exportations chinoises.

Le Figaro s’alarme : « Des ripostes successives pèseraient sur le commerce international et in fine sur la croissance. La course, version Fureur de vivre, avec James Dean, a démarré. Quelle voiture s’arrêtera avant le précipice ? » Allons plus loin : les voitures s’arrêteront-elles – ou vont-elles toutes plonger dans le précipice ? Car les sages avertissements des stratèges du Capital ne sont pas déterminants face à la dynamique objective d’une crise de surproduction mondiale, laquelle pousse les différentes bourgeoisies nationales à protéger leur marché intérieur – au risque de précipiter une nouvelle et profonde récession mondiale. N’oublions pas que c’est une flambée de mesures protectionnistes qui a transformé la crise des années 30 en Grande Dépression. Or, comme le soulignait Hegel, quiconque étudie l’histoire en conclura que personne n’en a jamais rien appris.

S’il en est un qu’on ne peut pas soupçonner d’avoir beaucoup étudié l’histoire, sans parler d’en apprendre quelque chose, c’est bien Donald Trump. On ne le sent pas angoissé par les équilibres à long terme de l’économie mondiale. Il s’en tient à sa formule : « l’Amérique d’abord ! », qui en rappelle une autre : « après moi, le déluge ! » Mais encore une fois, si la personnalité de Trump est un facteur non négligeable dans les affaires du monde, elle intervient dans un contexte qui lui permet de déployer tous ses talents. C’est la profonde crise du capitalisme qui a mis au pouvoir un Donald Trump – lequel, en retour, aggrave la crise.

Le marasme politique européen

D’ailleurs, les dirigeants européens, réputés plus raisonnables, ne font pas des miracles. Ils proclament sans cesse que la crise de la zone euro est « derrière nous ». C’est une mauvaise plaisanterie. Depuis 2008, la Banque Centrale Européenne a inondé les marchés financiers de liquidités gratuites, pour éteindre l’incendie : voilà tout. Aucun des problèmes fondamentaux, structurels, n’a été résolu.

En Grèce, par exemple, le système bancaire est toujours dans le rouge. 43 % des crédits que possèdent les banques grecques sont dits « non performants ». En clair, ils sont pourris. C’est le taux le plus élevé de toute l’UE. Certes, après sept années de récession, l’économie grecque a « rebondi » de 1,4 % en 2017. Mais il arrive souvent qu’un objet rebondisse au contact du sol, au terme d’une longue chute. La Grèce demeure une bombe à retardement dans les fondations de l’UE. En outre, son peuple martyrisé par une décennie d’austérité ne tardera pas à reprendre le chemin des luttes massives.

De manière générale, dix années de crise économique, en Europe, ont préparé toute une série de crises politiques. Elles se succèdent à un rythme rapide. En Italie, les électeurs ont infligé une débâcle inédite aux partis traditionnels. La bourgeoisie italienne va devoir composer avec une coalition gouvernementale « populiste » (de droite), qui ne satisfera personne et, probablement, ne tiendra pas longtemps, dans le contexte d’une stagnation de l’économie, d’une crise du système bancaire et d’un énorme endettement public (132 % du PIB). Or, dans l’hypothèse d’un dérapage des finances du pays et d’une flambée de ses taux d’emprunt, aucun sauvetage « à la grecque » ne serait possible. La monnaie unique serait au bord du gouffre.

En Espagne, le Parti Populaire (droite) est discrédité par des années de politiques réactionnaires et par différents scandales de corruption, dont le plus important – impliquant pas moins de 800 cadres du parti ! – a fini par éjecter Mariano Rajoy du pouvoir, au profit d’un gouvernement dirigé par le PS espagnol (le PSOE). Cependant, le nouveau Premier ministre, Pedro Sanchez, n’a pas l’intention de mener une politique très différente de celle de Rajoy. Au lieu de se limiter à de savantes manœuvres parlementaires, les dirigeants de Podemos et d’Izquierda Unida – les deux partis de la « gauche radicale » – ont tout intérêt à mobiliser dans la rue, sur la base d’un programme de rupture avec l’austérité et le capitalisme. Quoi qu’il en soit, l’Espagne est loin d’avoir retrouvé la stabilité politique. La bourgeoisie s’accroche désormais à la relative popularité de Ciudadanos, le nouveau parti de « centre droit ». Mais en ces temps agités, un « nouveau » parti bourgeois a vite fait de se transformer en une branche morte.

Macron dévisse

A tout cela s’ajoutent, entre autres, les affres du Brexit en Grande-Bretagne et la poussée de l’extrême droite en Allemagne. Dans ce contexte politique général, en Europe, Macron fait figure d’exception. Bien des bourgeoisies le considèrent avec envie : son gouvernement multiplie les contre-réformes, mais il franchit chaque obstacle, chaque grève et chaque mouvement social sans faire la moindre concession.

« Jusqu’ici, tout va bien », donc, pour le gouvernement Macron. Mais on connaît la fin – soudaine et brutale – de cette histoire : l’atterrissage. Jusqu’à présent, le gouvernement a été aidé par des directions syndicales qui n’organisent pas sérieusement la lutte. Elles reprochent sans cesse au gouvernement de ne pas vouloir négocier. Mais de son point de vue, le gouvernement n’a aucun intérêt à reculer sur quoi que ce soit tant que la mobilisation ne prend pas la forme d’un mouvement de grève reconductible dans plusieurs secteurs de l’économie. Or d’un tel mouvement, les directions syndicales ne parlent pas – et ne veulent pas entendre parler.

Cette contradiction finira par être levée, avec ou sans l’assentiment des directions syndicales. Toute une série d’éléments atteste d’un rejet croissant de la politique gouvernementale et d’une volonté croissante de la combattre. La mobilisation étudiante fut la plus importante depuis la lutte contre le CPE (2006). Des grèves combatives ont éclaté dans de nombreux services publics et entreprises. Les manifestations politiques des 5 et 26 mai ont été importantes. Enfin, les sondages signalent que Macron « décroche » lourdement dans la masse de la jeunesse et des travailleurs, c’est-à-dire dans les forces vives du pays. Sous la surface de la société, la polarisation de classe suit son cours imperturbable ; les bataillons des grandes luttes à venir prennent position. Entre le fiasco de Parcoursup et, en ligne de mire, une nouvelle contre-réforme des retraites, l’atterrissage de Macron pourrait être rapide – et, espérons-le, très douloureux.


Sommaire

Le nouveau désordre mondial - Edito du n°26
Où va la grève des cheminots ?
La casse des services publics et du statut des fonctionnaires
Le handicap dans la France de Macron
L’oppression des femmes et la santé
« Black blocs » et « autonomes » : il ne suffit pas de les critiquer
Où va la Russie ?
Nouvelle crise politique en Italie
Colombie : un scrutin historique
L’Iran, les Corées et les limites de l’impérialisme américain
La révolution d’Octobre 1917 et la lutte des LGBT
Critique du « populisme de gauche »
Le marxisme : un « productivisme » ?