La troisième Convention de la France insoumise (FI) s’est tenue les 25 et 26 novembre dernier. Elle a réuni 1600 militants, dont les trois quarts avaient été tirés au sort. Les autres étaient issus des différents « espaces » de la FI : groupe parlementaire, espace politique, etc.

Une Convention n’est pas un Congrès ; il ne s’agit pas d’une assemblée de délégués qui débattent et votent sur des questions programmatiques, stratégiques et organisationnelles. L’essentiel de la Convention de la FI fut consacré à des interventions de dirigeants et à des travaux en petits groupes. C’est caractéristique d’un mouvement, dans ce qui le distingue d’un parti.

Que la FI ait commencé comme un mouvement, c’est compréhensible (bien des partis sont issus de mouvements, comme Podemos). Au début, cela ne posait pas de problèmes, car la FI avait un objectif « simple » : organiser une campagne massive autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Ce fut d’ailleurs un énorme succès. Mais il s’agissait d’une étape. Et à présent, nous pensons qu’il faut engager la transformation de la FI en un parti. Expliquons-nous.

Contrôle démocratique

Dans une note de blog publiée fin novembre [1], Mélenchon dresse un bilan de la Convention. La FI est devenue « la première force d’opposition populaire », écrit-il. Sur le plan politique, c’est exact, et c’est un développement très positif. « Comment pérenniser ce que nous sommes ? », poursuit-il. « Le programme est le socle de cette continuité. Mais il ne peut suffire. (…) La forme de l’organisation, ici celle du Mouvement, ne peut-être un à-côté purement technique de ce que nous entreprenons. »

En effet : la forme de l’organisation est une question politique. L’outil doit être adapté au but qu’il poursuit. En l’occurrence, il doit être sous le contrôle démocratique des militants – et, à travers eux, sous le contrôle indirect des millions de jeunes et de travailleurs qu’il s’agit de mobiliser. Or ce qui distingue un parti d’un mouvement, c’est justement l’ensemble des mécanismes – congrès, directions élues et révocables, etc. – qui constituent les cadres formels d’un contrôle démocratique des militants sur l’organisation.

Bien sûr, ces mécanismes démocratiques ne constituent pas une garantie absolue contre le bureaucratisme et l’arrivisme. Mélenchon tacle à juste titre les « appareils sclérosés » de la « vieille gauche ». Mais d’où vient la sclérose des appareils du PS et du PCF ? De la « forme parti » ? Non. En dernière analyse, elle vient des pressions idéologiques et matérielles de la bourgeoisie sur les sommets de ces partis. Les partis n’existent pas dans le vide. Sous la pression du capitalisme, les directions du PS et du PCF ont renoncé (de longue date) au socialisme et au communisme, pour se consacrer à la conquête de positions lucratives et « prestigieuses » dans l’appareil d’Etat. Dérive droitière et sclérose bureaucratique sont allées de pair. Cela n’a rien à voir avec on ne sait quels vices inhérents aux structures d’un parti. Et par conséquent, un mouvement est exposé aux mêmes risques, aux mêmes pressions. Il l’est même davantage, en un sens, puisque sa direction échappe au contrôle des militants, faute de procédures démocratiques formelles.

Pour justifier théoriquement le choix d’un mouvement, Mélenchon affirme que « le mouvement incarne le peuple », alors que les « vieux partis de gauche » représentaient seulement une classe sociale : le salariat. Nous ne sommes pas d’accord avec les idées de Mélenchon sur l’émergence du peuple comme « acteur politique de notre temps », dont le salariat ne serait plus qu’une composante parmi d’autres [2]. Mais acceptons un instant ces idées, pour l’hypothèse ; admettons que le « mouvement incarne le peuple ». Qu’est-ce que cela change à la nécessité d’un contrôle démocratique du peuple sur le mouvement qui en est « l’incarnation » ? Ou alors, le peuple (militants compris) aurait-il le douteux privilège de « s’incarner » dans un mouvement qu’il ne contrôle pas ? Cela ne tient pas debout.

Conflits théoriques et conflits de personnes

La Convention de la FI n’a pas élu de direction identifiée et responsable devant toute l’organisation. Au lieu de cela, une « assemblée représentative » du mouvement se tiendra entre deux Conventions ; elle sera composée, elle aussi, par tirage au sort et à partir des « espaces » du mouvement [3]. Mélenchon se félicite de cette méthode : elle « remplace les anciennes méthodes clivantes de l’élection interne. Pas de candidature, pas de vote qui exclue et mortifie, pas de majorité et de minorité, aucune raison de fabriquer des conflits théoriques pour habiller les conflits de personnes. »

Il n’est pas juste de réduire ainsi les « conflits théoriques » qui surgissent, dans les partis, à de simples habillages de « conflits de personne ». Très souvent, les conflits idéologiques reflètent des contradictions objectives, des intérêts de classe divergents. Marxisme ou anarchisme, trotskysme ou stalinisme, jacobinisme ou girondisme : il est évident que ces « conflits théoriques » n’étaient pas les couvertures de conflits personnels entre Marx et Bakounine, Trotsky et Staline, Robespierre et Brissot !

L’année dernière, en Espagne, un vif débat a surgi entre deux dirigeants de Podemos, Iglesias et Errejon. Simple conflit de personnes ? Non. Iglesias incarnait la tendance la plus radicale, la plus proche des luttes et des aspirations des travailleurs ; Errejon incarnait la tendance la plus modérée, la plus imprégnée de confusion petite-bourgeoise. Comment le conflit a-t-il été tranché ? Par un débat, des documents, un congrès et un vote des militants, qui ont donné une nette majorité à Iglesias. Minoritaire, Errejon s’est-il senti « exclu » et « mortifié » ? Nous l’ignorons, mais peu importe : à défaut d’être parfaite, cette procédure est la plus démocratique.

Dans la mesure où la FI se consolidera, comme organisation de masse, des divergences finiront inévitablement par s’y cristalliser. Elles refléteront plus ou moins confusément les pressions contradictoires des différentes classes de la société. Il y aura une aile gauche et une aile droite. Comment ces divergences seront-elles tranchées ? Nous ne connaissons pas de meilleure procédure qu’un large débat démocratique – et, oui, à la fin, un vote des militants. Si les débats sont correctement organisés, la FI n’en sortira pas « mortifiée », mais renforcée.


[1] De retour de la Convention Insoumise

[2] Voir notre article : Mélenchon, le peuple et le salariat

[3] Du fait de leur fréquence et de leur composition, ces « assemblées représentatives » ne dirigeront pas la FI. La direction du mouvement sera assumée par des responsables non-élus, comme c’est le cas depuis le début. Cette remarque ne vise pas la qualité du travail qui est mené par ces dirigeants ; nous soulignons simplement un état de fait démocratique.