Fin juillet, la démission du chef d’Etat-major des armées, le général Pierre de Villiers, a provoqué une petite crise au sommet de l’Etat. Cette démission faisait suite à l’annonce, par le gouvernement, d’importantes coupes dans le budget de la Défense. Dans la foulée, nombre de politiciens – à droite comme à gauche – ont condamné l’attitude de Macron et défendu le général, « grand soldat » et « patriote ». Ajoutons : « réactionnaire patenté », comme il se doit à ce niveau de l’appareil d’Etat. Cela aurait dû dissuader la direction de la France Insoumise de prendre la défense du général...

L’impérialisme français et son armée

Cette crise ne peut se comprendre sans prendre en compte le rôle important joué par l’armée et la Défense dans l’économie française. Nombre de grandes entreprises sont bien sûr directement liées aux marchés de Défense nationale et au rôle de VRP international que joue l’Etat français. Mais au-delà des entreprises spécialisées, d’autres firmes françaises sont dépendantes du rôle joué par l’armée française en Afrique, où elles occupent souvent une place importante. Le groupe Total contrôle près de 50 % de l’approvisionnement en pétrole de la Centrafrique. Areva exploite près des 2/3 de l’uranium nigérien. Le groupe Bolloré s’est spécialisé dans les achats d’infrastructures en Afrique de l’Ouest. Ces marchés sont le fruit de stratégies économiques « régulières » et de corruption, mais aussi des interventions directes de l’armée française.

Plusieurs gouvernements d’Afrique francophone sont dépendants des troupes françaises : soit elles ont sauvé leur pouvoir menacé (comme au Tchad en 2008), soit elles les ont mis en place (comme en Côte-d’Ivoire en 2011). Une fois confortés par les baïonnettes tricolores, ces régimes ont naturellement tendance à favoriser les entreprises françaises. Ainsi, après que le président centrafricain Bozizé a conclu un accord avec une firme pétrolière chinoise au détriment du français Total, une rébellion armée et une intervention française, en 2013, ont permis au nouveau gouvernement centrafricain d’intégrer Total à ce contrat d’exploitation – en lieu et place de l’Etat centrafricain lui-même.

Des interventions qui coûtent cher

Avec la crise mondiale et les rivalités croissantes entre puissances impérialistes, l’armée est devenue un auxiliaire vital pour une partie significative de l’industrie française : elle lui garantit des marchés « protégés ». Mais une telle politique coûte cher à l’Etat, alors que celui-ci est en recherche permanente d’économies à réaliser. D’où les coupes importantes annoncées au début de l’été. La réaction quasi-unanime de la presse et des politiciens bourgeois a été une excellente démonstration des contradictions de la classe dirigeante sur cette question. La bourgeoisie française a besoin de son armée pour défendre sa domination impérialiste, mais elle a de moins en moins les moyens d’une telle politique.

Les interventions se sont récemment multipliées – au Mali, en Centrafrique, en Irak et en Syrie, sans compter une présence permanente dans plusieurs autres pays africains. L’armée française a aussi envoyé des milliers de soldats patrouiller dans les rues de la métropole, suite aux attentats. Doté de personnels épuisés et d’un matériel à bout de souffle, le sommet de l’appareil militaire a donc réagi directement à la perspective de voir ses moyens diminuer. Le mécontentement du général De Villiers est partagé par bien d’autres hauts gradés. Une grogne latente s’est développée dans l’armée contre les carences budgétaires et une lettre ouverte à Macron, signée par plusieurs officiers supérieurs et généraux à la retraite, a été publiée fin juillet. Ses auteurs dénonçaient l’attitude de Macron et réclamaient plus de moyens. Face à ces résistances, et après avoir dénoncé la pression « d’intérêts industriels », le gouvernement a finalement reculé sur son projet de coupes budgétaires dans la Défense.

La crise du capitalisme français

Entre la crise économique mondiale et la multiplication des crises militaires en Afrique et au Moyen-Orient, le capitalisme français est poussé vers une politique étrangère de plus en plus interventionniste, pour sauvegarder ses débouchés économiques. Concurrencé par des impérialismes plus compétitifs sur le plan économique, l’impérialisme français cherche à protéger militairement ses zones d’influence et les marchés qui vont avec. Mais outre que cela ne suffira pas à enrayer son déclin par rapport aux autres grandes puissances, cela coûte très cher. Où trouver l’argent ? En continuant à couper dans les services publics et dans les droits sociaux.

Les « intérêts de la France » à l’étranger ne sont pas ceux des travailleurs de France – et provoquent un cortège ininterrompu de souffrances pour les travailleurs des pays visés. Aussi, face aux frictions internes à la classe dirigeante française et à son appareil d’État, la gauche et le mouvement ouvrier ne doivent pas soutenir tel ou tel camp. Ils doivent expliquer aux travailleurs le rôle réactionnaire de l’impérialisme français, à travers le monde, et les mobiliser contre les agissements criminels de l’armée française en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs.

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