L’énorme succès de la campagne électorale de Mélenchon a plongé de nombreux journalistes et « experts » dans un état de stupéfaction mêlée d’effroi. Ils lèvent les bras au ciel : « Qui aurait pu prévoir, il y a un mois à peine, que Mélenchon serait en position de se qualifier au deuxième tour de la présidentielle ? Personne ! »

En réalité, c’était prévisible et fut prévu de longue date. Dans nos Perspectives pour la France publiées en mai 2015, nous écrivions : « Si aucune autre figure n’émerge à gauche du PS, Mélenchon sera un candidat crédible pour 2017. Dans la période à venir, de nouvelles couches de travailleurs chercheront une alternative de gauche aux politiques d’austérité. De grandes luttes accéléreraient le processus de cristallisation politique. […] La perspective d’une campagne présidentielle dominée par le PS, l’UMP et le FN suscitera la volonté de faire émerger une alternative de gauche. Celle-ci aurait un potentiel bien plus important qu’en 2012, du fait du développement de la crise et du discrédit du PS. » (Nous soulignons).

Plus récemment, en janvier 2017, nous écrivions dans un éditorial : « Si l’on en croit les "experts" des médias bourgeois, le vainqueur de l’élection présidentielle est connu d’avance : ce sera François Fillon, après un deuxième tour face à Marine Le Pen. […] Sur le papier, ce scénario n’est pas absurde. Mais il n’est pas du tout certain, car il fait abstraction de la volatilité et de la polarisation extrêmes de l’"opinion publique", qui sont elles-mêmes l’expression de la colère et de la frustration explosives qui travaillent les profondeurs de la société française. C’est précisément cela que les "experts" ne perçoivent pas concrètement, car ils sont eux-mêmes déconnectés des conditions de vie et des souffrances de la grande majorité de la population. Aussi n’anticipent-ils pas tout le potentiel de la candidature de Mélenchon, qui offre la possibilité d’infliger au système un coup venant de la gauche, à partir d’un programme hostile aux politiques d’austérité, aux inégalités sociales et à la corruption de la démocratie bourgeoise. »

Pendant des mois, les « experts » en question ont mouillé leur petit doigt et estimé que Mélenchon serait « aux alentours de 10 % ». Aucune analyse sérieuse ne venait étayer ce pronostic. A présent que les sondages indiquent le double, toute la société officielle se précipite sur le programme de Mélenchon et nous annonce que le cataclysme est aux portes du pays. Dans une désormais célèbre édition du Figaro, le programme de Mélenchon est qualifié de « délirant ».

La bourgeoisie considère toujours comme délirants les programmes qui remettent en cause – même modérément – sa richesse et son pouvoir. A ses yeux, le champ de la rationalité se confond avec sa dictature économique et politique. Tout le reste n’est que folie. Augmenter les salaires ? Embaucher des fonctionnaires ? Développer les services publics ? Baisser l’âge du départ à la retraite ? Réduire le temps de travail ? Taxer les profits des milliardaires ? Lutter contre l’exil fiscal ? Du pur délire ! Le summum de la sagesse, ce serait d’intensifier la politique d’austérité, de coupes budgétaires et de contre-réformes drastiques.

Seulement voilà : un nombre croissant de jeunes et de travailleurs ne veulent plus d’une telle sagesse – et le font savoir, désormais, en se préparant à voter pour Mélenchon. Au-delà des sondages, il y a les énormes meetings de la France insoumise et la participation active de centaines de milliers de personnes à la campagne. Sur le terrain, les militants rencontrent un écho impressionnant, complice et combatif. Des gens de tous âges manifestent spontanément – parfois en levant le poing – qu’ils voteront pour Mélenchon. Certains nous donnent les résultats de leur propre « sondage », qu’ils ont réalisé dans leur entourage, sans doute, mais qu’ils jugent infaillible : « c’est gagné ». On a le sentiment d’être à la veille d’une insurrection électorale. C’est une lame de fond, une cristallisation politique soudaine qui exprime un profond rejet de l’ordre économique et politique actuel.

Dans ce contexte, il n’est pas sûr que les attaques tous azimuts contre Mélenchon, 24 heures sur 24, auront l’effet escompté. Elles pourraient même s’avérer contre-productives. Les grands médias sont assez largement considérés – à juste titre – comme des piliers de l’ordre établi. Dès lors, nombre de victimes de cet ordre injuste pourraient bien interpréter les attaques contre Mélenchon comme un encouragement à voter pour lui. On peut en dire autant de l’intervention récente de François Hollande : de même que son soutien à Macron est un « moins », sa critique de Mélenchon est un « plus ». Par ailleurs, ceux qui prophétisent la ruine du pays, si Mélenchon est élu, semblent oublier que pour des millions de jeunes, de travailleurs et de retraités, les choses vont déjà très mal. Ils sont déjà « ruinés », appauvris, opprimés et méprisés par les dirigeants de ce pays (qui sont loin d’être ruinés, eux).

L’occasion nous est donnée, le 23 avril, d’infliger un coup sévère à l’édifice politique du capitalisme français. Quoi qu’on pense des limites du programme de Mélenchon, son élection serait un pas dans la bonne direction. Révolution appelle à redoubler d’énergie, ces prochains jours, pour amplifier la dynamique actuelle et faire en sorte que le candidat de la France insoumise émerge en position de force à l’issue du premier tour.

 

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