Arnaud Montebourg

La lutte contre le CPE, en mars et avril dernier, a eu un impact dévastateur sur le moral et la confiance des représentants politiques de la classe capitaliste. Accablé par la vindicte populaire, le gouvernement était plongé dans le désarroi et une « ambiance d’effondrement », selon l’expression de François Bayrou. Au cours de cette période de crise sociale aiguë, des représentants politiques de droite — mais aussi de gauche — ont déclaré que la Ve République était désormais obsolète, et cette idée a été largement relayée par les médias. Plusieurs représentants de l’UMP, de l’UDF et du PS se sont ouvertement déclarés partisans d’une VIe République.

Les représentants les plus perspicaces de la classe capitaliste comprenaient bien que la lutte contre le CPE prenait des proportions qui comportaient des possibilités bien plus graves, de leur point de vue, que le simple retrait de la contre-réforme. Le déroulement des événements, en mars et avril 2006, ressemblait fortement, mutatis mutandis, à celui qui avait précédé la grève générale de mai et juin 1968. A l’époque, une mobilisation de la jeunesse, confrontée à un gouvernement implacable, menaçant et répressif, a déclenché un mouvement de solidarité active d’une fraction grandissante du salariat, lequel est entré massivement en scène lors de la grève générale du 13 mai 1968. Cette grève, qui ne devait durer que 24 heures, selon les consignes des directions syndicales, s’est en fait rapidement transformée en une grève générale illimitée.

La conscience politique des travailleurs est quelque chose de très mobile. Dans une grève générale, l’idée qu’ils se font de leur propre force et de celle de leurs adversaires évolue très rapidement, et les motivations qui sont à l’origine du mouvement passent à l’arrière plan. En 1968, il a suffi de quelques jours pour que les travailleurs se trouvent dans une situation où, à bien des égards, ils étaient les maîtres de la société. L’ampleur de la grève — l’une des plus grandes de toute l’histoire de la classe ouvrière internationale — mettait la prise du pouvoir à la portée des travailleurs français.

Au printemps 2006, la classe capitaliste a bien failli se retrouver dans une situation similaire. La lutte contre le CPE a semé la panique dans les rangs de la classe dirigeante. Cependant, malgré son ampleur impressionnante, le mouvement n’a entraîné dans la lutte qu’une fraction des forces sociales potentiellement mobilisables. Même si elle était solidaire avec ceux qui s’engageaient activement dans la lutte, la masse du salariat et de la jeunesse est restée en retrait. A l’avenir, lorsque cette masse entrera en action de manière décisive, les soi-disant « institutions républicaines » s’effondreront comme un château de cartes. Et c’est précisément dans ces conditions que la classe dirigeante, pour tenter de faire dérailler le mouvement révolutionnaire et, ainsi, sauver son système, remettra à l’ordre du jour le remplacement de la Ve République capitaliste par une VIe République – capitaliste, elle aussi.

Expliquer la nécessité du socialisme

Malheureusement, l’idée d’une VIe République ne figure pas uniquement parmi les options que se réservent les stratèges du capitalisme. Elle occupe également une place importante dans la plate-forme programmatique du PCF et de certains courants du PS, dont celui d’Arnaud Montebourg. Comme nous l’avons dit, le mouvement contre le CPE n’a impliqué qu’une fraction de la population. La masse des travailleurs est restée inerte. La prochaine fois, il n’en sera pas nécessairement ainsi. Le capitalisme est incompatible avec les conquêtes sociales du passé. Il signifie désormais la régression sociale permanente. Tôt ou tard, les attaques incessantes contre les acquis sociaux finiront par provoquer des confrontations colossales entre les classes. Le PCF se doit de prendre cette perspective au sérieux, et d’élaborer un programme communiste et révolutionnaire qui soit à sa hauteur.

Le socialisme constitue la seule réponse à l’impasse capitaliste. Le premier devoir d’un parti communiste est d’expliquer inlassablement aux jeunes et aux travailleurs, en s’appuyant sur des faits, des chiffres, des arguments, mais surtout sur l’expérience collective des travailleurs eux-mêmes, qu’on ne trouvera aucune solution aux problèmes écrasants engendrés par le capitalisme dans le cadre de ce système. Certes, les communistes doivent être en première ligne de tous les combats pour la défense des acquis sociaux et pour arracher des concessions. Il ne s’agit pas d’« attendre » le socialisme les bras croisés. Mais en même temps, il est nécessaire en toute occasion de dire la vérité aux travailleurs. Tant que ce système restera en place, tous les acquis et toutes les conquêtes des luttes antérieures seront constamment menacés. En définitive, il ne sera pas possible de les maintenir sur la base du capitalisme.

En conséquence, la défense des réformes, qu’elles soient anciennes ou à venir, passe nécessairement par le renversement du capitalisme et l’établissement, non d’une VIe République capitaliste, mais d’une république socialiste et révolutionnaire, dans laquelle les travailleurs — et non plus les capitalistes — constitueront la classe dirigeante et exerceront leur pouvoir au moyen d’une démocratie directe, impliquant la masse de la population dans la direction des affaires, à tous les niveaux de l’Etat et de l’économie. Ceci implique, bien évidemment, l’expropriation des capitalistes et la propriété publique de toutes les banques et de toutes les grandes entreprises de l’industrie, de l’agro-alimentaire et de la distribution.

Ces idées fondamentales — des idées communistes — devraient former l’axe central de la propagande du parti. Certes, elles ne seront pas immédiatement acceptées par tous les travailleurs. Mais la responsabilité du PCF est justement de les expliquer. Il faut rejeter l’argument selon lequel le fait que les travailleurs ne soient pas encore convaincus des idées communistes interdit au PCF de les défendre, et qu’il faut donc propager l’idée plus « acceptable » — mais en l’occurrence complètement fausse — que le capitalisme peut être géré d’une manière « anti-libérale », de sorte que tout le monde y trouvera son compte. Au lieu d’aider les travailleurs et les jeunes à parvenir à des conclusions révolutionnaires, cette politique ne peut que renforcer leurs illusions dans la viabilité du capitalisme.

Les réformes d’ordre « constitutionnel » — sur les rapports entre le Parlement et l’Elysée, sur le « statut des élus », etc. — passent à côté du vrai problème. En Europe, comme ailleurs, les rapports entre les différentes institutions de l’Etat prennent des formes très variables. Ici, le régime est plutôt « présidentiel » ; là, les députés ont des pouvoirs plus étendus — et ainsi de suite. Cependant, on observe partout exactement les mêmes résultats : chômage de masse, inégalités croissantes, précarité de l’emploi, pauvreté, délocalisations, démantèlement des services publics — et tous les autres fléaux du capitalisme. Ces fléaux, en France, sont-ils vraiment le produit du « déséquilibre » entre le parlement et l’exécutif ? Et en quoi une « réforme des institutions » changerait-elle quoi que ce soit du point de vue des travailleurs et de leur famille ? Sous la « VIe République », les capitalistes possèderaient-ils toujours les banques et les grands groupes industriels ? Le sort des salariés seraient-ils toujours décidés par la Bourse ? Y aurait-il toujours près de six millions de personnes vivant dans la misère ? Si la réponse à ces questions est « oui », alors il faudrait nous expliquer l’utilité de cette VIe République !

Pour une république socialiste

Outre qu’elle occulte la question fondamentale du pouvoir économique des capitalistes, on ne peut s’empêcher de penser que la revendication d’une « VIe République » sert aussi à dédouaner les dirigeants de gauche de leur propre responsabilité politique. Est-ce la faute aux particularités institutionnelles de la Ve République si le gouvernement PS-PCF de 1997 à 2002 a transféré 31 milliards d’euros de biens publics au secteur privé ? Et si, à l’époque, les pouvoirs du Président de la République avaient été moins étendus, ces privatisations auraient-elles eu des conséquences moins graves ? Est-ce la faute des institutions si, malgré cette expérience douloureuse, le programme défendu par la direction actuelle du PCF propose toujours de laisser l’essentiel de l’économie et des banques privées entre les mains des capitalistes ? Un « rééquilibrage institutionnel » empêchera-t-il les capitalistes d’user et d’abuser de ce pouvoir économique pour poursuivre leurs attaques contre les travailleurs et leur famille ?

C’est là que réside le fond du problème. De même que les dirigeants du parti, ayant abandonné les idées du marxisme, se contentent d’un programme de réformes superficielles qui laissent intact le pouvoir économique de la classe capitaliste, de même ils se limitent à des ajustements « institutionnels » superficiels, dans le cadre de la République capitaliste, et renoncent à l’objectif d’une République socialiste. La « VIe République » n’est pas une alternative au capitalisme. Elle constitue, au contraire, une tentative de trouver une alternative au socialisme. L’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme, et l’impossibilité de résoudre les problèmes de la majorité de la population sur la base de ce système, finiront par déboucher sur une confrontation majeure entre les classes. Dans ce contexte, le programme du PCF devrait présenter une alternative révolutionnaire au système actuel. Il faut rejeter le piège de la VIe République capitaliste, et ouvrir la perspective d’une République socialiste !